Après une percée fulgurante dans le nord-est de l'Afghanistan, les Taliban continuent de conquérir de nouveaux territoires dans le pays, alors que
le retrait des troupes américaines est presque achevé. Ils espèrent provoquer un effondrement du gouvernement afghan.
Ils sont désormais présents dans presque toutes les provinces afghanes et encerclent plusieurs grandes villes, comme ils l'avaient fait dans les années 1990 pour
s'emparer de la quasi-totalité du pays. Face à la multiplication des victoires militaires des
Taliban en Afghanistan, l’hypothèse de voir le groupe insurgé prendre le pouvoir dans les prochains mois n’est plus exclue.
Prenant la mesure du danger, le ministère afghan de l'Intérieur a indiqué, mardi 29 juin, avoir créé une "force de réaction rapide" de 4 000 hommes qui sera dirigée
par des généraux à la retraite et combattra les Taliban aux côtés des forces régulières.
En parallèle, les discussions de paix menées au Qatar n'ont pas débouché pour l'heure sur des avancées significatives. Sur le terrain, les combats font rage depuis
le début, en mai, du retrait des troupes américaines. Les Taliban, qui contrôlaient déjà largement le Sud à l'exception des grandes villes, ont effectué une percée dans le Nord-Est jusqu'à la
frontière avec le Tadjikistan.
Côté américain, la totalité des troupes devront avoir
quitté l'Afghanistan d'ici le 11 septembre, date butoir fixée par le président américain Joe Biden. Mais la finalisation de ce retrait ne semble déjà plus être qu'une question de
jours, d’après des représentants américains au fait de la question, interrogés mardi par Reuters.
L'Allemagne a elle aussi annoncé mardi avoir finalisé le retrait de ses troupes d'Afghanistan. Quant à l'Italie, l'une
des puissances occidentales les plus engagées dans le pays, elle a indiqué mercredi avoir rapatrié ses derniers soldats dans le cadre du retrait accéléré des contingents de l'Otan.
Pour Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à Paris I Sorbonne et auteur du livre "Le gouvernement transnational de l’Afghanistan, une si prévisible
défaite" (éd. Karthala), l’effondrement du régime afghan n’est qu’une question de temps.
France 24 : Quelle est la stratégie des Taliban en Afghanistan ?
Gilles Dorronsoro : Les Taliban sont en train de tester les défenses du régime de Kaboul. Leur but est de prendre le maximum de districts pour
encercler les villes. Jusqu’ici, ça a bien fonctionné puisqu’ils contrôlent à peu près 75 % du territoire. Depuis le début de l’année, ils ont pris plus de 70 districts [sur les 370 districts que
compte l’Afghanistan].
Visiblement, ils vont tenter de prendre les capitales provinciales. Le scénario est assez clair : ils vont isoler ces villes en prenant les axes de
communication qui les relient et ces capitales seront hors de contrôle du gouvernement. Si les Taliban s'emparent de ces villes moyennes, cela peut provoquer un effet d'effondrement.
Ce qui peut se passer alors, c’est que le gouvernement afghan s’effondre, ou que les Taliban décident de négocier avec les forces politiques gouvernementales pour
aller vers une transition pacifique, ce qui leur permettrait de prendre les grandes villes et la capitale en évitant une bataille qui serait très violente à Kaboul, car prendre cette ville est
techniquement compliqué.
Comment expliquer la progression fulgurante des Taliban ces derniers mois ?
Ils s’appuient sur un appareil militaire assez rustique, mais bénéficient de "troupes de choc", spécialisées dans les attaques éclairs, capables de monter à l’avant
et de prendre des positions rapidement. Ils ont un avantage majeur, c’est qu’ils sont présents sur l’ensemble du territoire afghan, ce qui leur permet de monter des opérations simultanées, face
auxquelles l’armée afghane se retrouve dépassée.
Face à eux, le gouvernement afghan est divisé, affaibli, et pas très légitime. Mais ça n’est pas tant sur ça que les Taliban s’appuient. Ils profitent surtout d’une
armée afghane en très mauvais état. Celle-ci est très affaiblie, elle prend peu d’initiatives sur le terrain et elle souffre de corruption – comme avec la revente d’armes par des soldats. Et
surtout, l’armée afghane se retrouve privée du soutien aérien qui était assuré par les troupes américaines. Il y a eu récemment une frappe de drone, mais c’est très marginal, pour une raison
simple, c’est qu’il n’y a plus de bases américaines en Afghanistan. Il ne reste que quelques centaines soldats [essentiellement affectés à la protection de l’ambassade des États-Unis et de
l’aéroport de Kaboul].
La victoire des Taliban n’est-elle qu’une question de temps ?
Tout est allé très vite et les Taliban semblent eux-même surpris de la rapidité de l’effondrement du régime en place. Il y a une possibilité réelle de voir les
Taliban au pouvoir en Afghanistan dans les prochains mois.
Il se peut que le régime résiste, et cela conduirait à une guerre civile, mais le pouvoir afghan d’Ashraf Ghani est politiquement fini et il ne bénéficie plus que
d’un soutien international de façade.
Le risque de voir les Taliban accéder au pouvoir remet-il en question le désengagement militaire américain ?
Le désengagement américain est déjà fait. Il n’y a aucune raison pour que les Américains y renoncent. Renvoyer des troupes en Afghanistan me paraît politiquement
suicidaire pour Joe Biden. En annonçant leur retrait, les Américains savaient très bien que le régime afghan allait s’effondrer, c’est un choix politique qu’ils ont fait.
Les Taliban d’aujourd’hui sont-ils les mêmes que ceux d’hier ? Doit-on craindre l’instauration d’un régime islamique autoritaire comme ils l’avaient fait
entre 1996 et 2001 ?
S’ils arrivent au pouvoir, il y aura une régression des droits humains en général, mais il est probable qu’ils n’enfreignent pas certaines lignes rouges afin de ne
pas s’attirer les foudres de la communauté internationale comme ce fut le cas dans les années 1990. Pour autant, les Occidentaux n’ont pas beaucoup de moyens de pression sur eux et pour le
moment, ils bénéficient d’une reconnaissance internationale forte.
On arrive donc à la conclusion logique et prévue d'une "aventure pathétique".
Les Afghans vont reprendre les commandes de leur pays.
En l’occurrence les "Talibans", qu'on le veuille ou non, ont mené un
combat pour les valeurs qui sont les leurs. Celles de l'islam et ce serait une erreur de penser qu'ils n'ont pas eu le soutien de la population. Si cela avait été le cas ils auraient été anéantis.
Ils ont affronté avec des pétoires hors d'âge et des bourricots , sans aviation, sans artillerie, sans logistique sans renseignement sophistiqué
les armées les plus puissantes du monde : USA, Union soviétique, France , Angleterre ....et au final ils restent maîtres du terrain.
Pourquoi ?
Parce que c'est leur terre et leurs caillasses qu'ils défendaient, parce qu'ils se sont battus pour une idéologie qui les
dépassait sans souci d'économiser leurs vies et leurs familles. Comme les volontaires de l'An II !
Le lieutenant Robert G. Escarpit, héros de la résistance en Médoc parlait de "Va nus pieds superbes".....
On n'avait aucune chance de "gagner".
Pourquoi ?
Parce que Les mouvements motivés par des tendances spirituelles, fussent ils exacts ou faux, ne peuvent plus, à partir d’un certain
moment, être brisés par la force matérielle si elle n’est pas sous tendue par une conception religieuse, philosophique ou morale.
Sinon cette action contre une idée apparaît comme injuste et brutale et suscite l’augmentation de ses partisans.
JPM
Afghanistan, Pakistan : L’échec américain.
...par le Gal. J-B Pinatel - Le 28/06/2021.
Le 4 juillet 2021, jour de « l’independance day », les Etats-Unis achèveront leur retrait d’Afghanistan mettant un terme à 20 ans de guerre, la plus longue de leur histoire au cours de
laquelle au 13 avril 2021 ils avaient perdu 2 349 soldats et avaient déploré 20 149 blessés.
Pour effectuer un retrait de leurs troupes d’une façon honorable, le 12 septembre 2020, les Américains ont lancé la nième négociation intra afghane avec les Talibans. Mais pas un seul observateur
de bonne foi peut croire que les Talibans voudront les poursuivre après le 4 juillet. Pourquoi ? Parce qu’en Afghanistan les Etats-Unis ont fait face à une guerre révolutionnaire dans
laquelle les objectifs religieux des talibans « instaurer un ordre islamique et vertueux pour remplacer l’ordre païen et corrompu » se sont entremêlés avec les objectifs mafieux des
trafiquants de pavot. En effet, devant la nécessité de financer leur guerre et de s’attacher la complicité des campagnes, les Talibans ont décidé de faire des producteurs et des trafiquants de
pavot, leurs compagnons de route alors qu’avant l’invasion américaine ils les exécutaient. Cette interdépendance nous la retrouvons dans nos banlieues. Elle est la cause des échecs de la
politique de réconciliation que le Président Kasaï a tenté plusieurs fois de négocier. Pour les Talibans il n’est pas question de composer avec un pouvoir corrompu, pour les trafiquants, la paix
est synonyme de développement économique et donc de fin de leur business alors qu’en temps de guerre, la culture du pavot et leur trafic sont une condition de survie pour la population
rurale.
Même la représentante spéciale de l’ONU Mme Lyons n’y croit pas. Tout en saluant diplomatiquement les avancées dans les pourparlers de paix entre l’Afghanistan et les Talibans, puisque les
deux parties ont annoncé le 2 décembre 2020 « qu’elles avaient formé un comité de travail
chargé de discuter de l’ordre du jour », elle s’est inquiétée d’une violence incessante qui reste « un obstacle sérieux à la
paix ».
En effet, entre le 13 juillet et le 12 novembre 2020, 9600 atteintes à la sécurité attribuées aux Talibans à Al Qaida ou à Daech ont été recensées dans tout le pays. En octobre et
novembre 2020, les engins explosifs improvisés ont ainsi causé 60% de victimes civiles de plus qu’à la même période en 2019. Et au dernier trimestre 2020, le nombre d’enfants victimes de
violences a augmenté de 25% par rapport au trimestre précédent. Les attaques contre les écoles ont été multipliées par quatre.
Même à Kaboul, les Américains et les forces gouvernementales n’arrivent pas à assurer la sécurité. Le 8 mai 2021, deux mois avant le retrait total des forces américaines, une explosion
devant une école pour filles à Kaboul fait au moins 85 morts et des centaines de blessés ; 8 jours plus tard le 15 mai 2021, un attentat revendiqué par Daech dans une mosquée soufi, a
occasionné plus de 60 morts et plusieurs centaines de blessés.
Comment expliquer cet échec de la première puissance militaire et économique du monde.
La première cause de cet échec est l’inadaptation totale de la politique de défense, de la stratégie opérationnelle et de l’armée américaine à la menace.
La première erreur stratégique des conseillers de Bush junior a été de croire que l’on pouvait gagner cette guerre sans modifier la doctrine d’emploi de leurs forces classiques prévue pour des
combats de haute intensité. Conformément à la doctrine militaire américaine, ils ont mené comme en Irak jusqu’en 2009 une guerre à distance sans mobiliser et entraîner des troupes locales et en
causant des pertes considérables à la population.
L’inadaptation de cette stratégie opérationnelle est résumée par le colonel Michel Goya dans ses « impressions de Kaboul », je cite : « une mission moyenne de deux heures de
vol, sans tir, d’un chasseur bombardier américain équivaut presque à la solde mensuelle d’un bataillon Afghan ».
Bien plus, Michel Goya dans « les armées du chaos » donne un exemple édifiant de l’inefficacité de cette guerre à distance, je cite : « des statistiques montrent qu’il faut aux
américains une moyenne de 300 000 cartouches pour tuer un rebelle en Irak ou en Afghanistan ». Le chef de bataillon d’Hassonville du 2ème REP écrivait en écho dans le Figaro du 20 avril
2010 : « L’une des clés
du succès du contingent français dans sa zone de responsabilité est d’être parvenu à contrôler nos ripostes et de ne tirer que pour tuer des cibles parfaitement
identifiées ».
Ce choix initial a entrainé des pertes considérables dans la population tant en Afghanistan qu’au Pakistan. L’étude « Body count » menée par des médecins légistes anglo-saxons, que l’on
peut télécharger sur le web, chiffre entre 2003 et 2011 à au moins de 150 000 civils tués par les frappes américaines en Afghanistan et de l’ordre de 50 000 au Pakistan.
Cette analyse est confirmée par le Général Stanley Cristal qui, prenant le commandement du théâtre d’opérations en juin 2009, déclare dans son premier discours aux troupes américaines
« je crois que la perception
causée par les pertes civiles est un des plus dangereux ennemis auquel nous devons faire face ».
La seconde raison de cet échec est que Washington a cru qu’il pourrait gagner ce conflit local sans adapter sa stratégie diplomatique et militaire mondiale qui considérait la Chine et la Russie
comme les deux menaces principales. C’est une erreur récurrente des Américains, ils croient toujours qu’ils peuvent ménager la chèvre et le chou.
Ainsi depuis le début du XXIème, les Etats-Unis confrontés à la montée en puissance de la Chine, ont initié un partenariat stratégique avec l’Inde. En 2005, les deux pays ont signé un
accord-cadre de défense de dix ans, dans le but d’étendre la coopération bilatérale en matière de sécurité. Ils se sont engagés dans de nombreux exercices militaires combinés et l’Inde a acheté
d’importantes quantités d’armes américaines ce qui fait des États-Unis l’un des trois principaux fournisseurs d’armement de l’Inde après la Russie et Israël.
Ce partenariat stratégique avec
leur ennemi héréditaire, a inquiété les stratèges pakistanais qui ont revu à la baisse leur engagement aux côtés des Etats-Unis au moment même où les américains avaient besoin d’une
collaboration sans faille du Pakistan pour gagner la guerre en Afghanistan. En effet, les Talibans sont majoritairement des Pachtounes qui représentent 40% de la
population afghane et leur ethnie est présente de part et d’autre de la frontière avec le Pakistan. Ainsi les Américains n’ont jamais pu obtenir une coopération efficace pour éviter que le
Pakistan ne constitue une base arrière pour les Talibans. En effet les dirigeants pakistanais, obnubilés par leur conflit avec l’Inde, doivent prendre en compte la possibilité que les Talibans
puissent revenir un jour au pouvoir à Kaboul. Or l’Afghanistan est pour eux un allié vital car il leur offre la profondeur stratégique qui leur manque face à l’Inde.
De même, en se rapprochant de
l’Inde, les Américains ouvraient la porte à la Chine qui s’est empressée de nouer un partenariat stratégique avec le Pakistan. Il s’est rapidement concrétisé par une très
importante coopération militaire et économique. Le New-York Times du 19 décembre 2018 écrit je cite : « depuis 2013, année de lancement des routes de
la Soie le Pakistan est le site phare de ce programme : le corridor industriel actuellement en
travaux à travers le Pakistan – environ 3 000 kilomètres de routes, de voies ferrées, d’oléoducs et de gazoducs – représente à lui seul un investissement de quelque 62 milliards de
dollars ».
Pour la partie chinoise, un double impératif stratégique a guidé sa signature : la sécurisation de ses voies d’approvisionnement en pétrole et en gaz en bâtissant une voie terrestre
d’acheminement évitant le détroit de Malacca et pouvant à terme aller jusqu’à l’Iran et la lutte « contre les trois fléaux » qui menacent le Xinjiang chinois : terrorisme,
extrémisme, séparatisme. Trois mois après cette signature Ben Laden était exécuté par des navy seals américains ; coïncidence troublante quand on sait qu’il était l’instigateur de nombreux
attentats islamistes en Chine.
Depuis cette coopération stratégique n’a fait que se renforcer. En mai 2019, le vice-président chinois Monsieur Wang a effectué une visite au Pakistan au cours de laquelle il s’est entretenu avec
le président et le Premier ministre pakistanais du renforcement des relations bilatérales. M. Wang a déclaré que la Chine et le Pakistan étaient des “amis de fer”.
Par ailleurs les Américains ont rejeté avec dédain l’aide des Russes que Poutine a proposée juste après le 9/11. Le 2 octobre Poutine avait rencontré le secrétaire général de l’OTAN à Bruxelles
et lui a proposé l’aide de la Russie contre Al-Qaida notamment au Tadjikistan où stationnait la 201 division de fusiliers motorisés russe ; en Ouzbékistan où ils possèdent une base aérienne
à Ghissar. Mais pour le complexe militaro-industriel américain l’opposition avec la Russie était à l’époque vitale car elle leur permettait de justifier un budget militaire qui était pourtant dix
fois supérieur à celui de la Russie alors que la menace militaire chinoise était alors insignifiante.
20 ans plus tard pour Biden et ses conseillers, il est temps de tourner la page et d’éviter une alliance stratégique de la Russie avec la Chine et je partage l’analyse de Renaud Girard qui
dans Figaro vox met la rencontre Biden-Poutine du 16 juin 2021 à Genève sous la raison de leur intérêt commun : freiner l’ascension de la Chine. Certes cela ne se fera pas en un jour mais
cela permet d’identifier que l’absence de vision stratégique à long terme des hommes politiques occidentaux et par conséquence l’absence de prise en compte des conséquences des stratégies
mondiales des grands acteurs internationaux sur les théâtres d’opération régionaux ne permet pas de gagner les guerres régionales.
Macron devrait s’en inspirer et, plus que l’appui significatif des européens que nous recherchons désespérément sans succès depuis 10 ans, c’est de celui de la Russie
dont nous avons besoin au Sahel. J’ai publié en 2011 un livre intitulé « Russie alliance vitale » où je montrai que ce pays était notre meilleur allié face à l’islamisme et à
la montée en puissance de la Chine. Malheureusement Sarkozy, Hollande et Macron, vassaux zélés de Washington, se sont lancés en Libye, Syrie et Sahel dans des opérations extérieures sans mettre
en place le contexte diplomatique qui aurait permis de transformer nos victoires militaires en succès politiques.
En conclusion :
Le retrait américain marque la fin de la domination anglo-saxonne sur l’Asie centrale que les britanniques avaient établis depuis le milieu du XIXème siècle et une preuve de plus de la montée en
puissance de l’Asie face à l’Occident. La France qui se prépare à modifier sa stratégie dans le Sahel devrait tirer les leçons de cet échec américain en Afghanistan et au
Pakistan.
En moins de deux semaines, les Talibans Afghanistan ont capturé 2,86% de l’ensemble des véhicules Humvees en dotation au sein de l’Armée nationale Afghane
(ANA).
Washington a octroyé au gouvernement afghan près de 25 000 véhicules militaires de type Humvee suivant un financement complexe dans lequel la corruption a
englouti plus de la moitié des ressources allouées au programme d’équipement d’une armée afghane pléthorique mais dont les unités combattantes fondent comme de la neige au soleil depuis
le retrait militaire US partiel. Ces véhicules capturés par les Talibans sont désormais utilisés contre le gouvernement afghan. Si l’avance des Talibans est assez rapide et la possibilité
qu’ils puissent prendre le pouvoir extrêmement élevée, ils ne pourront jamais entretenir ni financer une armée de la taille qu’entretient le gouvernement afghan actuel.
Selon la BBC, près de
1000 militaires afghans auraient fui au Tadjikistan voisin suite à de violents combats avec les Talibans. Il s’agit de soldats et d’officiers d’ethnies tadjik et ouzbèke dont le sort
demeure incertain en cas de retour des Talibans au pouvoir.
Cette éventualité laisse la porte ouverte à plusieurs scenarii dans lesquels la Chine et la Russie pourraient jouer un rôle de premier plan dans la
géopolitique afghane. Le retrait militaire US, dans tous les cas partiel et ne concernant que des unités régulières, pourrait amener la Chine à ré-investir en Afghanistan selon son
approche spécifique excluant tout recours à la force. Beijing considère en effet l’Afghanistan comme un passage obligé et historique de la Nouvelle Route de la Soie, ou l’initiative de la
ceinture de prospérité chinoise et dispose d’une première tranche d’un montant de sept milliards de dollars US pour un programme de reconstruction d’un pays en guerre depuis quatre
décennies.
L’intervention militaire US et Atlantique en Afghanistan s’est achevée avec une défaite stratégique majeure et historique.
Contrairement à l’ex-URSS dont les stratèges savaient évaluer le rapport gain stratégique/coûts économiques, les planificateurs de l’Empire, intoxiqués par
un sentiment de supériorité absolue, s’obstinèrent à faire perdurer la guerre durant deux décennies en inondant l’Afghanistan avec de la planche à billets et la corruption. Et faute de
résultat probant avec des bombes du type MOAB (Mother of All Bombe où Mère de toutes les Bombes).
Les exactions et les violations massives des droits humains commises par les forces spéciales US, britanniques, canadiennes, australiennes, françaises,
danoises et néerlandaises et de celles d’autres pays embarqués dans cette aventure sans issue ont provoqué l’adhésion de certains groupes de la population hostiles aux Talibans à ce
mouvement, lequel ne cesse de se renforcer en dépit de vingt années de guerre.
C’est un échec retentissant doublé d’une défaite historique de l’Empire que ses médias tentent d’ignorer mais dont les effets se font sentir sur la nature
même du système politique et économique d’un empire qui crut pouvoir marquer le 21ème de son empreinte. Comme le 3ème Reich Allemand qui espéra au faîte de sa puissance durer un
millénaire, l’Empire totalitaire libéral continue à espérer poursuivre son hégémonie grâce aux géants du Net, la propagande, l’ingénierie sociale, la fraude électorale et la
gigacorruption financière et économique. Or, la Providence a voulu qu’il se casse les dents en Afghanistan, un pays arriéré et très pauvre d’Asie. Cette Asie où le poids du monde a
basculé.
Vidéo amateur prise par la caméra embarquée d’un smartphone transmise par un ressortissant afghan montrant des scènes de
liesse, réelles ou simulées, suite à l’entrée des forces des Talibans à Qala City, l’un des plus grands ports secs du pays et véritable poumon économique de ce pays enclavé d’Asie.
Les États-Unis ont quitté l'aérodrome de Bagram en Afghanistan après près de 20 ans en coupant l'électricité et en s'éclipsant pendant la nuit sans avertir le nouveau commandant afghan de la base, qui a découvert le départ des Américains plus de deux heures après, ont déclaré des responsables militaires afghans...."Nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles les Américains avaient quitté Bagram... et finalement, à sept heures du matin, nous avons compris qu'il était confirmé qu'ils avaient déjà quitté Bagram", a déclaré le général Mir Asadullah Kohistani, le nouveau commandant de Bagram....Avant que l'armée afghane ne puisse prendre le contrôle de l'aérodrome situé à environ une heure de route de la capitale afghane Kaboul, celui-ci a été envahi par une petite armée de pillards, qui ont saccagé baraquement après baraquement et fouillé dans les tentes de stockage avant d'être expulsés, selon des responsables militaires afghans."Au début, nous avons pensé que c'étaient peut-être des talibans", a déclaré Abdul Raouf, un soldat depuis 10 ans. Il a dit aussi que les américains avaient appelé de l'aéroport de Kaboul et dit "nous sommes ici, à l'aéroport de Kaboul".
Il y a une vidéo de la base vide. Des centaines de voitures ont été abandonnées. L’équipement réseau du quartier général a été arraché mais l’hôpital de la base semble être resté
intact. Il y a même quelques fournitures médicales utiles stockées là-bas.
Pendant ce temps, les Talibans continuent leur opération éclair pour prendre le contrôle du pays. Ils s’emparent des districts les uns après les autres, en
particulier dans le nord.
Il est remarquable qu'un grand nombre de districts pris par les Talibans ne se trouvent pas dans les régions principalement pachtounes mais dans le nord où la population est souvent ouzbèke, tadjike ou issue d'autres minorités ethniques. Avant l'invasion américaine, ces populations étaient souvent anti-talibans.
Les talibans ont probablement quelque 3 à 4 000 combattants dans la province de Badakhshan, au nord-est du pays, mais ils ont réussi à en prendre 90 % en seulement
4 jours, 14 de ses districts étant tombés au cours des dernières 48 heures. Quelque 1 500 soldats du gouvernement afghan qui y étaient stationnés ont fui vers le Tadjikistan. La capitale de la
province, Faizabad, est désormais isolée et le seul endroit encore sous le contrôle du gouvernement.
Il y a quelque chose de curieux dans tout cela. Le Badakhshan était un bastion de l’Alliance du Nord qui, à la fin des années 1990, combattait les talibans. C’est
le siège du parti Jamiat-e Islami, composé principalement de Tadjiks de souche et disposant de sa propre milice. Le chef du Jamiat-e Islami est Salahuddin Rabbani, qui préside aujourd’hui le Haut Conseil pour la paix en Afghanistan, chargé de négocier avec les talibans.
Cette province montagneuse compte 1 million d’habitants. Mais voici 4 talibans qui débarquent dans une voiture dans le district reculé de Wakhan. Ils ne sont pas combattus par la milice locale mais au contraire accueillis par la
population (masculine).
Il est inconcevable qu’une force talibane de la taille d’une brigade puisse s’emparer du Badakhshan en quelques jours et à peu de frais sans passer un accord avec
la milice du parti local dominant. Il a dû se passer quelque chose en coulisse dont les médias ne sont pas au courant.
C’est une bonne nouvelle car une victoire rapide des talibans dans le nord rendra moins probable une nouvelle guerre civile. Le journal
néoconservateur Long War
Journal, lui, est atterré :
L'Afghanistan risque de s'effondrer complètement après que les talibans ont fait des progrès spectaculaires ces derniers jours, frappant au cœur de la base de pouvoir du gouvernement afghan dans le nord et prenant le contrôle de vastes régions du pays - souvent sans opposition des forces gouvernementales. ... La plupart des gains des talibans ont eu lieu dans le nord. L'importance de la poussée des talibans dans le nord ne doit pas être sous-estimée. Les talibans mènent le combat directement chez les courtiers en pouvoir et les fonctionnaires de l'élite afghane. Si les talibans peuvent priver le gouvernement afghan et ses bailleurs de fonds de leur base de pouvoir, l'Afghanistan est effectivement perdu. Si le gouvernement perd le nord, il ne pourra pas conserver ses points d'appui ténus dans le sud, l'est, l'ouest et même le centre du pays. Si le gouvernement afghan perd le nord, les talibans pourraient s'emparer sans combattre des centres de population du sud, de l'est et de l'ouest, et commencer leur siège de Kaboul.
Je ne pense pas, pour l’instant, qu’il y aura un long « siège de Kaboul », mais un
transfert négocié du pouvoir.
Les événements des dernières semaines montrent une retraite ou une défaite plus ou moins contrôlée des forces gouvernementales, totalement démoralisées, et une
prise de contrôle systématique de la plupart des campagnes et des centres de district par des forces talibanes bien préparées. Seules les capitales des grandes provinces ne sont pas encore
tombées, bien que certains pensent que Mazar i-Sharif, la capitale de la province de Balkh, tombera ce soir.
Il semble qu’il y ait une volonté d’au moins certaines parties du gouvernement actuel de l’Afghanistan de laisser les talibans prendre le contrôle du pays sans trop
se battre.
Cela donne l’espoir qu’un autre long conflit sera évité. Après plus de 42 ans de guerre, l’Afghanistan a besoin de paix. Si le régime des talibans est dur, il est
quand même juste et certainement moins corrompu que les structures imposées par les États-Unis. Il faut donner à l’Afghanistan le temps de trouver un nouvel équilibre à partir duquel il pourra
ensuite se développer d’une manière adaptée aux circonstances locales ainsi qu’aux traditions et à la moralité des populations locales.
Les 42 dernières années ont montré que rien d’autre ne fonctionnera.
Les
États-Unis sont sur le point de connaître leur second Vietnam répété comme une farce dans une retraite désordonnée d’Afghanistan.
And it’s all over (Et
tout est fini)
For the unknown soldier (Pour le soldat inconnu)
It’s all over (Tout est fini)
For the unknown soldier (Pour le soldat inconnu)
The Doors,
« The
Unknown Soldier »
Commençons par quelques faits étonnants sur le terrain afghan.
Les Taliban ont le vent en poupe. En début de semaine, leur service de relations publiques affirmait qu’ils tenaient 218 districts afghans sur 421 – et en
capturaient de nouveaux chaque jour. Des dizaines de districts sont contestés. Des provinces afghanes entières sont pratiquement perdues pour le gouvernement de Kaboul, qui a été de facto
réduit à l’administration de quelques villes éparpillées et assiégées.
Le 1er juillet déjà, les Taliban ont annoncé qu’ils contrôlaient 80% du territoire afghan. C’est proche de la situation d’il y a 20 ans, quelques semaines
seulement avant le 11 septembre, lorsque le commandant Ahmed Chah Massoud m’a
dit dans la vallée du Panjshir, alors qu’il préparait une contre-offensive, que les Taliban dominaient 85% du territoire.
Leur nouvelle approche tactique fonctionne à merveille. D’abord, il y a un appel direct aux soldats de l’Armée nationale afghane (ANA) à se rendre. Les
négociations se déroulent sans heurts et les accords sont conclus. Des soldats par milliers ont déjà rejoint les Taliban sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.
Les cartographes ne parviennent pas à télécharger les mises à jour assez rapidement. Cela devient rapidement un cas d’école de l’effondrement d’un
gouvernement central du XXIe siècle.
Les Taliban avancent rapidement dans l’ouest de Wardak, capturant facilement les bases de l’ANA. C’est le prélude à un assaut sur Maidan Shar, la capitale
provinciale. S’ils prennent le contrôle de Wardak, ils seront alors littéralement aux portes de Kaboul.
Après avoir capturé le district de Panjwaj, les Taliban sont également à un jet de pierre de Kandahar, fondée par Alexandre le Grand en 330 avant J.-C. et
la ville où un certain mollah Omar – avec un peu d’aide de ses amis de l’ISI pakistanais – a lancé l’aventure talibane en 1994, qui a abouti à leur prise de pouvoir à Kaboul en
1996.
L’écrasante majorité de la province de Badakhshan – à majorité tadjike, non pachtoune – est tombée après seulement quatre jours de négociations, agrémentées
de quelques escarmouches. Les Taliban ont même capturé un avant-poste au sommet d’une colline, tout près de Faizabad, la capitale du Badakhshan.
J’ai suivi la frontière tadjiko-afghane en détail lorsque j’ai parcouru la route du
Pamir fin 2019. Les Taliban, qui suivent les pistes de montagne du côté afghan, pourraient bientôt atteindre la légendaire frontière désolée avec le Xinjiang chinois dans le
corridor de Wakhan.
Les Taliban sont également sur le point de s’attaquer à Hairaton, dans la province de Balkh. Hairaton se trouve à la frontière entre l’Afghanistan et
l’Ouzbékistan, à l’emplacement du pont de l’amitié sur l’Amu Darya, d’une importance historique, par lequel l’Armée rouge a quitté l’Afghanistan en 1989.
Les commandants de l’ANA jurent que la ville est désormais protégée de tous côtés par une zone de sécurité de cinq kilomètres. Hairaton a déjà attiré des
dizaines de milliers de réfugiés. Tachkent ne veut pas qu’ils traversent la frontière.
Et il n’y a pas qu’en Asie centrale, les Taliban ont déjà progressé jusqu’aux limites de la ville d’Islam Qilla, située à la frontière avec l’Iran, dans la
province de Herat, et qui est le point de contrôle clé du couloir très fréquenté reliant Mashhad à Herat.
Le puzzle
tadjik
La frontière tadjiko-afghane, extrêmement poreuse et géologiquement étonnante, reste le cas le plus délicat. Le président tadjik Emomali Rahmon, après un
entretien téléphonique sérieux avec son homologue russe Vladimir Poutine, a ordonné la mobilisation de 20 000 réservistes et les a envoyés à la frontière.
Rahmon a également promis un soutien humanitaire et financier au gouvernement de Kaboul.
Les Taliban, pour leur part, ont officiellement déclaré que la frontière est sûre et qu’ils n’ont aucune intention d’envahir le territoire tadjik. En début
de semaine, même le Kremlin a annoncé de manière cryptique que Moscou n’envisageait pas d’envoyer des troupes en Afghanistan.
Un coup de théâtre est prévu pour la fin du mois de juillet, les Taliban ayant annoncé qu’ils soumettraient une proposition de paix écrite à Kaboul. Il est
fort possible qu’il s’agisse d’une invitation à Kaboul à se rendre et à transférer le contrôle total du pays.
Les Taliban semblent bénéficier d’un élan irrésistible, surtout lorsque les Afghans eux-mêmes ont été stupéfaits de voir comment le « protecteur »
impérial, après près de deux décennies d’occupation de facto, a quitté la base aérienne de Bagram au milieu de la
nuit.
Comparez cela à l’évaluation d’analystes sérieux tels que Lester Grau,
expliquant le départ des Soviétiques il y a plus de trois décennies :
« Lorsque les
Soviétiques ont quitté l’Afghanistan en 1989, ils l’ont fait d’une manière coordonnée, délibérée et professionnelle, laissant derrière eux un gouvernement qui fonctionnait, une armée
améliorée et un effort consultatif et économique assurant la viabilité continue du gouvernement. Le retrait était basé sur un plan diplomatique, économique et militaire coordonné
permettant aux forces soviétiques de se retirer en bon ordre et au gouvernement afghan de survivre.
La République
démocratique d’Afghanistan (RDA) a réussi à se maintenir malgré l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Ce n’est qu’ensuite, avec la perte du soutien soviétique et les efforts
accrus des moudjahidines (guerriers saints) et du Pakistan, que la RDA a glissé vers la défaite en avril 1992. L’effort soviétique pour se retirer en bon ordre a été bien exécuté et peut
servir de modèle pour d’autres désengagements de nations similaires ».
En ce qui concerne l’empire américain, Tacite s’applique une fois de plus : « Ils ont pillé le
monde, dépouillé la terre par leur faim… Ils sont poussés par la cupidité, si leur ennemi est riche ; par l’ambition, s’il est pauvre… Ils ravagent, ils massacrent, ils s’emparent par de
faux prétextes, et tout cela, ils le saluent comme la construction d’un empire. Et quand, dans leur sillage, il ne reste rien d’autre qu’un désert, ils appellent cela la
paix ».
Dans le sillage de l’hégémon, les déserts appelés paix comprennent à des degrés divers l’Irak, la Libye, la Syrie – qui se trouvent être, géologiquement,
des déserts – ainsi que les déserts et les montagnes de l’Afghanistan.
Il semble que les think tanks de Washington, entre les cercles Dupont et Thomas, le long de Massachusetts Avenue, n’ont pas vraiment fait leurs devoirs sur
le Pachtunwali – le code d’honneur pachtoune – ou sur l’ignoble retraite de l’empire
britannique de Kaboul.
La
filière de l’héroïne afghane
Il est encore trop tôt pour dire si ce que l’on présente comme le « retrait » des États-Unis d’Afghanistan reflète l’effondrement définitif
de l’Empire du Chaos.
C’est d’autant plus vrai qu’il ne s’agit pas du tout d’un « retrait » : c’est un repositionnement – avec des éléments de privatisation en plus.
Au moins 650 « forces américaines » protégeront l’ambassade tentaculaire de Kaboul. S’y ajouteront peut-être 500 soldats turcs – ce qui signifie
l’OTAN – pour protéger l’aéroport, ainsi qu’un nombre non déclaré de « contractants », c’est-à-dire de mercenaires, et un nombre indéterminé de forces spéciales.
Le chef du Pentagone, Lloyd Austin, est à l’origine de ce nouvel accord.
L’ambassade militarisée est désignée sous le nom de Forces Afghanistan-Forward. Ces forces seront « soutenues » par un nouveau bureau spécial afghan au Qatar.
La disposition clé est que le privilège spécial de bombarder l’Afghanistan quand les États-Unis le souhaitent reste intact. La différence se situe au niveau
de la chaîne de commandement. Au lieu du général Scott Miller, jusqu’ici le plus haut commandant américain en Afghanistan, le bombardier en chef sera le général Frank McKenzie, chef du
CENTCOM.
Les futurs bombardements proviendront donc essentiellement du golfe Persique – ce que le Pentagone décrit affectueusement comme une « capacité au-delà
de l’horizon ». Fait crucial, le Pakistan a officiellement refusé d’en faire partie bien que, dans le cas des attaques de drones, ils devront survoler le territoire pakistanais au
Baloutchistan.
Le Tadjikistan et le Kirghizstan ont également refusé d’accueillir des bases américaines.
Les Taliban, quant à eux, ne sont pas inquiets. Le porte-parole Suhail Shaheen a été catégorique : toutes les troupes étrangères qui ne seront pas parties à
la date limite du 11 septembre seront considérées comme – quoi d’autre ? – des occupants.
La question n’est pas de savoir si les Taliban parviendront à asseoir leur domination, mais simplement de savoir quand. Et cela nous amène aux deux
questions vraiment importantes :
1) La CIA sera-t-elle en mesure de maintenir ce que Seymour Hersh, puis moi-même, avons décrit comme la filière de l’héroïne
afghane qui finance ses opérations secrètes ?
2) Et si la CIA ne peut pas continuer à superviser la production des champs de pavot en Afghanistan et à coordonner les
étapes ultérieures du commerce de l’héroïne, où ira-t-elle ?
Tous les esprits réfléchis d’Asie centrale et d’Asie du Sud savent que l’Empire du Chaos, pendant deux longues décennies, n’a jamais été intéressé par la
défaite des Taliban ou la lutte pour « la liberté du peuple afghan ».
Les principaux motifs étaient :
conserver une base avancée cruciale et stratégique dans le ventre-mou des « menaces existentielles » que sont la Chine et la
Russie, ainsi que l’intraitable Iran – tout cela faisant partie du nouveau Grand Jeu ;
être bien placé pour exploiter plus tard les énormes richesses minérales de l’Afghanistan ;
et transformer l’opium en héroïne afin de financer les opérations de la CIA. L’opium a joué un rôle majeur dans l’essor de l’empire
britannique, et l’héroïne reste l’un des principaux commerces sales du monde, qui finance des opérations de renseignement occultes.
Ce que
veulent la Chine et l’OCS
Comparez maintenant tout ce qui précède avec l’approche chinoise.
Contrairement aux think tanks de Washington, les homologues chinois semblent avoir fait leurs devoirs. Ils ont compris que l’URSS n’a pas envahi
l’Afghanistan en 1979 pour imposer la « démocratie populaire » – le jargon de l’époque – mais qu’elle a en fait été invitée par le gouvernement de Kaboul, reconnu par les
Nations unies à l’époque, qui voulait essentiellement des routes, de l’électricité, des soins médicaux, des télécommunications et une éducation.
Comme ces éléments de base de la modernité ne pouvaient être fournis par les institutions occidentales, la solution devait venir du socialisme soviétique.
Cela impliquerait une révolution sociale – une affaire alambiquée dans une nation islamique profondément pieuse – et, surtout, la fin du
féodalisme.
La contre-attaque impériale de Zbignew « Grand Échiquier » Brzezinski a fonctionné parce qu’elle a manipulé les seigneurs féodaux afghans et leur
capacité de régimentation – soutenue par d’immenses fonds (CIA, Saoudiens, services secrets pakistanais) – pour donner à l’URSS son Vietnam.
Aucun de ces seigneurs féodaux n’était intéressé par l’abolition de la pauvreté et le développement économique en Afghanistan.
La Chine est en train de reprendre le flambeau là où l’URSS l’a laissé. Pékin, en contact étroit avec les Taliban depuis le début de l’année 2020, souhaite
essentiellement étendre le Corridor économique Chine-Pakistan (CECP), d’une valeur de 62 milliards de dollars, l’un des projets phares de l’Initiative Ceinture et Route », à
l’Afghanistan.
La première étape, cruciale, sera la construction de l’autoroute Kaboul-Peshawar – à travers le col de Khyber et l’actuelle frontière de Torkham. Cela
signifiera que l’Afghanistan fera de facto partie du CECP.
Voici l’intégration régionale à l’œuvre. Kaboul-Peshawar sera un nœud supplémentaire du CECP qui comprend déjà la construction de l’aéroport
ultra-stratégique de Tashkurgan sur l’autoroute du Karakoram dans le Xinjiang, à seulement 50 kilomètres de la frontière pakistanaise et également proche de l’Afghanistan, ainsi
que du port de Gwadar au Baloutchistan.
Début juin, une réunion trilatérale
Chine-Afghanistan-Pakistan a conduit le Ministère chinois des Affaires étrangères à parier sans ambiguïté sur le « redressement
pacifique de l’Afghanistan », la déclaration commune saluant « le retour rapide des
Taliban dans la vie politique de l’Afghanistan » et s’engageant à « développer les liens
économiques et commerciaux ».
Il est donc hors de question que des Taliban dominants refusent la volonté chinoise de construire des projets d’infrastructure et d’énergie axés sur
l’intégration économique régionale – la contrepartie des mollahs étant de maintenir le pays pacifié et non soumis à des turbulences djihadistes de type État islamique de la province de
Khorasan susceptibles de déborder sur le Xinjiang.
Le jeu chinois est clair : les Américains ne doivent pas être en mesure d’exercer une influence sur le nouvel arrangement de Kaboul. Il en va de l’importance stratégique de l’Afghanistan pour « la Ceinture et la Route » – et cela se mêle aux discussions au sein
de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), fondée par ailleurs il y a 20 ans, et qui préconise depuis des années une « solution asiatique » pour le drame afghan.
Les discussions au sein de l’OCS considèrent que la projection par l’OTAN du nouvel Afghanistan comme un paradis djihadiste contrôlé par Islamabad n’est
rien d’autre qu’un vœu pieux.
Il sera fascinant de voir comment la Chine, le Pakistan, l’Iran, la Russie et même l’Inde combleront le vide de l’après-guerres éternelles
en Afghanistan. Il est très important de se rappeler que tous ces acteurs, ainsi que les pays d’Asie centrale, sont membres à part entière de l’OCS (ou observateurs, dans le cas de
l’Iran).
Il est plausible que Téhéran puisse interférer avec d’éventuels plans impériaux visant à bombarder l’Afghanistan de l’extérieur – quel qu’en soit le motif.
Par ailleurs, il est difficile de savoir si Islamabad ou Moscou, par exemple, aiderait les Taliban à prendre Bagram. Ce qui est certain, c’est que la Russie retirera les Taliban de sa
liste d’organisations terroristes.
Étant donné que l’empire et l’OTAN – via la Turquie – ne partiront pas vraiment, une possibilité future distincte est une poussée de l’OCS, alliée aux
Talibans (l’Afghanistan est également un observateur de l’OCS), pour sécuriser la nation à leurs conditions et se concentrer sur les projets de développement du CECP. Mais la première
étape semble être la plus difficile : comment former un véritable gouvernement de coalition nationale, solide, à Kaboul.
L’histoire dira peut-être que Washington voulait que l’Afghanistan soit le Vietnam de l’URSS ; des décennies plus tard, il a fini par obtenir son propre
second Vietnam, répété comme – quoi d’autre ? – une farce. Un Saïgon remixé approche à grands pas et une nouvelle étape du nouveau Grand Jeu en Eurasie est à venir.
Déployant
des compétences diplomatiques raffinées de Doha à Moscou, les Taliban de 2021 n’ont plus grand-chose à voir avec ceux de 2001.
Une réunion très importante s’est tenue à Moscou la semaine dernière, pratiquement dans le plus grand secret. Nikolai Patrushev, secrétaire du Conseil de
Sécurité russe, a reçu Hamdullah Mohib, conseiller à la Sécurité nationale de l’Afghanistan.
Il n’y a pas eu de fuites importantes. Une déclaration fade a souligné l’évidence : ils se sont « concentrés sur la
situation sécuritaire en Afghanistan pendant le retrait des contingents militaires occidentaux et l’escalade de la situation militaro-politique dans la partie nord du
pays ».
La véritable histoire est beaucoup plus nuancée. Mohib, représentant le président Ashraf Ghani, a fait de son mieux pour convaincre Patrushev que
l’administration de Kaboul représente la stabilité. Ce n’est pas le cas, comme l’ont prouvé les avancées ultérieures des Taliban.
Patrushev savait que Moscou ne pouvait pas offrir un soutien substantiel à l’arrangement actuel de Kaboul, car cela aurait pour effet de brûler les ponts
que les Russes devraient traverser dans le processus d’engagement des Taliban. Patrushev sait que le maintien de l’équipe Ghani est absolument inacceptable pour les Taliban – quelle que
soit la configuration de tout futur accord de partage du pouvoir.
Selon des sources diplomatiques, Patrushev n’a donc pas été impressionné.
Cette semaine, nous avons tous pu voir pourquoi. Une délégation du bureau politique des Taliban s’est rendue à Moscou essentiellement pour discuter avec les
Russes de l’évolution rapide du mini-échiquier dans le nord de l’Afghanistan. Les Taliban s’étaient rendus à Moscou quatre mois plus tôt, en compagnie de la troïka élargie (Russie,
États-Unis, Chine, Pakistan) pour débattre de la nouvelle équation du pouvoir afghan.
Lors de ce voyage, ils ont assuré avec insistance à leurs interlocuteurs que les Taliban n’ont aucun intérêt à envahir un quelconque territoire de leurs
voisins d’Asie centrale.
Il n’est pas excessif, au vu de l’habileté avec laquelle ils ont joué leur jeu, de qualifier les Taliban de renards du désert. Ils savent bien ce que le
ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a répété : Toute turbulence en provenance d’Afghanistan entraînera une réponse directe de l’Organisation
du Traité de Sécurité collective.
En plus de souligner que le retrait – en fait, le repositionnement – des États-Unis représente l’échec de leur « mission » en Afghanistan, Lavrov
a abordé les deux points vraiment essentiels :
Les Taliban accroissent leur influence dans les zones frontalières du nord de l’Afghanistan ; et
Le refus de Kaboul de former un gouvernement de transition « favorise une
solution belliqueuse » au drame. Cela implique que Lavrov attend beaucoup plus de souplesse de la part de Kaboul et des Taliban dans la tâche sisyphéenne de partage du
pouvoir qui les attend.
Et puis, soulageant la tension, lorsqu’un journaliste russe lui a demandé si Moscou allait envoyer des troupes en Afghanistan, Lavrov est revenu à M. Cool :
« La
réponse est évidente ».
Shaheen
parle
Mohammad Suhail Shaheen est le porte-parole très éloquent du bureau politique des Taliban. Il est catégorique : « Prendre l’Afghanistan
par la force militaire n’est pas notre politique. Notre politique est de trouver une solution politique à la question afghane, qui se poursuit à Doha». Conclusion :
« Nous avons confirmé
notre engagement en faveur d’une solution politique ici à Moscou, une fois de plus ».
C’est tout à fait exact. Les Taliban ne veulent pas d’un bain de sang. Ils veulent être embrassés. Comme Shaheen l’a souligné, il serait facile de conquérir
les grandes villes – mais il y aurait du sang. En attendant, les Taliban contrôlent déjà la quasi-totalité de la frontière avec le Tadjikistan.
Les Taliban de 2021 ont peu de choses en commun avec leur incarnation d’avant la guerre contre le terrorisme de 2001. Le mouvement a évolué, passant d’une
guérilla rurale pachtoune largement Ghilzai à un arrangement plus interethnique, incorporant des Tadjiks, des Ouzbeks et même des Shi’ites Hazaras – un groupe qui a été impitoyablement
persécuté pendant les années 1996-2001 du pouvoir taliban.
Il est extrêmement difficile d’obtenir des chiffres fiables, mais 30% des Taliban actuels pourraient être des non-Pachtounes. L’un des principaux
commandants est d’origine tadjike, ce qui explique la guerre éclair « douce » menée dans le nord de l’Afghanistan à travers le territoire tadjik.
J’ai visité un grand nombre de ces endroits géologiquement spectaculaires au début des années 2000. Les habitants, tous cousins, parlant le dari, livrent
maintenant leurs villages et leurs villes aux Taliban tadjiks par mesure de confiance. Très peu de Pachtounes de Kandahar ou de Jalalabad sont impliqués – voire aucun. Cela illustre
l’échec absolu du gouvernement central de Kaboul.
Ceux qui ne rejoignent pas les Taliban désertent tout simplement – comme l’ont fait les forces de Kaboul qui tenaient le poste de contrôle près du pont sur
la rivière Pyanj, en dehors de la route du Pamir ; ils se sont échappés sans combattre vers le territoire tadjik, en empruntant la route du Pamir. Les Taliban ont hissé leur drapeau à
cette intersection cruciale sans tirer un seul coup de feu.
Le chef de l’Armée nationale afghane, le général Wali Mohammad Ahmadzai, fraîchement nommé par Ghani, garde un visage courageux : La priorité de l’ANA est
de protéger les principales villes (jusqu’à présent, tout va bien, car les Taliban ne les attaquent pas), les postes frontières (cela ne va pas si bien) et les autoroutes (résultats
mitigés jusqu’à présent).
L’entretien avec
Suhail Shaheen est assez éclairant, car il se sent obligé de souligner que « nous n’avons pas
accès aux médias » et déplore le déluge « sans
fondement » de « propagande lancée
contre nous », ce qui implique que les médias occidentaux devraient admettre que les Taliban ont changé.
Shaheen souligne qu' »il n’est pas possible
de prendre 150 districts en seulement six semaines en se battant », ce qui est lié au fait que les forces de sécurité « ne font pas confiance
à l’administration de Kaboul ». Dans tous les districts qui ont été conquis, jure-t-il, « les forces sont
venues aux Taliban de leur plein gré ».
Shaheen fait une déclaration qui aurait pu venir tout droit de Ronald Reagan au milieu des années 1980 : « L’Émirat islamique
d’Afghanistan est le véritable combattant de la liberté ». Cela peut faire l’objet d’un débat sans fin à travers les terres d’Islam.
Mais un fait est indiscutable : Les Taliban s’en tiennent à l’accord qu’ils ont signé avec les Américains le 29 février 2020. Et cela implique une sortie
totale des Américains : « S’ils ne respectent
pas leurs engagements, nous avons clairement le droit de riposter ».
Pensant à l’avenir, « lorsqu’un
gouvernement islamique sera en place », Shaheen insiste sur le fait qu’il y aura de « bonnes
relations » avec chaque nation, et que les ambassades et les consulats ne seront pas visés.
L’objectif des Taliban « est clair : mettre
fin à l’occupation ». Et cela nous amène à la manœuvre délicate des troupes turques qui « protègent » l’aéroport de Kaboul. Shaheen est très clair.
«Pas de forces de
l’OTAN – cela signifie la poursuite de l’occupation», proclame-t-il. « Lorsque nous aurons
un pays islamique indépendant, alors nous signerons tout accord avec la Turquie qui soit mutuellement bénéfique ».
Shaheen est impliqué dans les négociations en cours, très compliquées, à Doha, il ne peut donc pas se permettre d’engager les Taliban dans un futur accord
de partage du pouvoir. Ce qu’il dit, même si « les progrès sont
lents » à Doha, c’est que, contrairement à ce qui a été rapporté précédemment par les médias du Qatar, les Taliban ne présenteront pas de proposition écrite officielle à Kaboul
d’ici la fin du mois, Les pourparlers se poursuivront.
Vers la
guerre hybride ?
Quels que soient les démentis « Mission accomplie » sans appel émanant de la Maison Blanche, certaines choses sont déjà claires sur le front de
l’Eurasie.
Les Russes, d’une part, sont déjà en train de discuter en détail avec les Taliban et pourraient bientôt rayer leur nom de
leur liste de terroristes.
Les Chinois, quant à eux, sont assurés que si les Taliban engagent l’Afghanistan à rejoindre l’Initiative Ceinture et
Route, en se connectant via le Corridor économique Chine-Pakistan, l’État islamique de la Province de-Khorasan ne sera pas autorisé à se déchaîner en Afghanistan, appuyé par les
djihadistes ouïghours actuellement à Idlib.
Et rien n’est exclu pour Washington lorsqu’il s’agit de faire dérailler la BRI. Des silos cruciaux disséminés de l’État profond doivent être déjà à l’œuvre
pour remplacer une guerre éternelle en Afghanistan par une guerre hybride, à la manière de la Syrie.
Lavrov est parfaitement conscient des courtiers puissants de Kaboul qui ne diraient pas « non » à un nouvel arrangement de guerre hybride. Les
Taliban, pour leur part, se sont montrés très efficaces en empêchant diverses factions afghanes de soutenir l’équipe Ghani.
Quant aux « stans » d’Asie centrale, pas un seul d’entre eux ne souhaite une guerre éternelle ou une guerre hybride.
Attachez vos ceintures : Le voyage va être mouvementé.
CHRONIQUE - Au début de l’engagement de l’armée américaine en 2001, Joe Biden n’était pas un citoyen lambda mal informé.
Le président des États-Unis a, le 9 juillet 2021, répété son intention de voir s’achever à la fin du mois d’août
l’engagement militaire américain en Afghanistan, lequel avait commencé en octobre 2001.
Pour justifier un tel retrait, qui risque fort d’ouvrir prochainement aux talibans les portes de Kaboul, Joe Biden a dit:
«We did not go to Afghanistan to nation-build» (Nous ne sommes pas allés en Afghanistan pour reconstruire un pays).
C’est un mensonge historique.
Joe Biden le sait très bien car, en 2001, il n’était pas un citoyen lambda mal informé. Il était président de la
commission des affaires étrangères du Sénat. En janvier 2002, il est le premier élu américain à se rendre en Afghanistan après les attentats du 11
septembre 2001 et la chute du pouvoir taliban à Kaboul (13 novembre 2001), au profit de l’Alliance du Nord,
coalition financée par la CIA, dont la progression avait été aidée par les bombardements de l’US Air Force.
La réalité est que les Américains ont initié et dirigé une conférence internationale sur
l’Afghanistan, dès le 5 décembre 2001, qui s’est tenue à Bonn. Là, ils ont fait adouber par leurs alliés l’homme qu’ils
avaient choisi pour diriger le pays: Hamid Karzaï. Et ils se sont engagés publiquement à «reconstruire, démocratiser et
développer» l’Afghanistan.
Pour ce faire, ils ont emmené l’Otan sur place.
- Ils ont implanté un peu partout des PRT (Provincial Reconstruction Teams).
- Ils ont investi des centaines de milliards de dollars en dépenses civiles et militaires.
- Ils ont organisé des élections générales démocratiques.
Comment expliquer un tel effort ?
Après avoir réussi brillamment, du moins en apparence, à provoquer une déroute très rapide des talibans en novembre 2001,
les États-Unis, alors dominés par la pensée néoconservatrice, ont été saisis, à ce moment précis, par une forme d’hubris néocoloniale.
En 2009 à Kaboul, le bien nommé ambassadeur russe en Afghanistan, Zamir Kaboulov, avait confié à l’ambassadeur de France:
«Si nous, les Russes, nous avons échoué, ce n’est pas que nous étions mauvais. Nous étions très bons. Mais la
tâche était tout bonnement impossible ; les Américains échoueront comme nous !».
J’avais rapporté ces propos au général Stanley McChrystal, qui commandait alors aux forces occidentales stationnées
en Afghanistan. Il avait rejeté la prophétie, pensant sincèrement que l’Amérique - puissance forcément plus
intelligente que l’Union soviétique des années 1980 - allait réussir à stabiliser le pays.
Un an plus tard, le président Obama ordonnait l’accroissement du contingent américain en Afghanistan.
Si Joe Biden, vice-président à l’époque, n’était pas d’accord, pourquoi n’a-t-il pas mis sa démission dans la balance
?
Ce qui est sûr, c’est que le sénateur Biden, dans ses votes, s’est montré totalement aligné sur la folie des grandeurs
néoconservatrices du début des années 2000. Il a pleinement approuvé les ambitieuses expéditions néocoloniales américaines, sur l’Hindu
Kuch d’abord, en Mésopotamie ensuite.
Sur l’Afghanistan, Biden s’est montré plus trumpiste que Trump. Alors que partout dans le pays les talibans se mettaient,
au mépris de leurs engagements, à conquérir de nouveaux districts, était-il nécessaire que les Américains quittent la grande base
aérienne de Bagram, au demeurant facile à sécuriser ?
Était-il si difficile pour Biden de comprendre que retirer les derniers soldats américains d’Afghanistan allait
provoquer, au sein des forces de sécurité afghanes, un profond effet démoralisateur ?
Le leader du Parti démocrate n’a-t-il pas ressenti une petite honte à jeter les minorités ethniques et
les femmes afghanes à la merci de barbus obscurantistes ?
On me rétorquera que les républicains américains ont bien abandonné aux envahisseurs
communistes le Sud-Vietnam en 1975. C’est vrai, mais la Maison-Blanche de l’époque avait au moins l’excuse que ce fut le
Congrès qui coupa les vivres à l’armée sud-vietnamienne.
Biden n’a aucune excuse pour cet abandon précipité: le Congrès actuel ne le réclame pas.
Après s’être débarrassée, à la fin de l’année 2001, des combattants arabes internationalistes installés en Afghanistan,
l’Amérique aurait très bien pu décider de ne pas s’installer dans le pays. Elle aurait pu se contenter, via la CIA, de continuer à
financer les groupes combattants amis et exiger du Pakistan qu’il ne donne pas refuge aux talibans.
Elle a fait, librement, un choix différent: celui d’une «mission civilisatrice» à la Jules Ferry. On ne sort pas ce genre
d’entreprise quand on veut. L’exemple de Mossoul a montré qu’un départ précipité pouvait se transformer en catastrophe.
L’honneur, mais aussi l’intérêt à long terme de l’Amérique dans la lutte contre le djihadisme
voudraient qu’elle ne redonne pas aux talibans le pays qu’elle leur a, par la guerre, soustrait voici
Parlons de l’Afghanistan. Le retrait des troupes américaines constitue un tournant très sérieux dans l’équilibre global des forces en géopolitique d’Asie
centrale. Dans un avenir prévisible, le mouvement radical des Taliban, qui unit les Pachtounes, le plus grand groupe ethnique d’Afghanistan, arrivera au pouvoir d’une manière ou d’une
autre. Il s’agit d’une force extrêmement active, et il y a quelques raisons de croire que les reculs honteux des Américains, qui, comme d’habitude, ont abandonné leurs laquais
collaborationnistes à leur sort, vont tenter de retourner les Taliban contre leurs principaux adversaires géopolitiques dans la région, la Russie et l’Iran.
La Chine sera elle aussi directement touchée, car l’Afghanistan est un élément essentiel du projet d’intégration « One Belt One Road ». Les
Taliban pourraient également servir de base à une escalade dans le Xinjiang, en mobilisant et en soutenant les islamistes ouïghours.
En outre, la montée en puissance des Taliban pourrait déstabiliser la situation en Asie centrale dans son ensemble et, dans une certaine mesure, créer des
problèmes pour le Pakistan lui-même, qui est de plus en plus libéré de l’influence américaine.
Les Américains sont entrés en Afghanistan dans un environnement géopolitique très différent. La Russie était extrêmement faible après les années 90 et
semblait avoir été mise au placard. Pour être en sécurité dans ce modèle unipolaire, les Américains ont décidé de renforcer une présence militaire directe au sud de la Russie et, ce
faisant, d’éliminer les forces du fondamentalisme islamique qui servaient précisément les intérêts géopolitiques occidentaux, surtout à l’époque de la Guerre froide.
Aujourd’hui, après avoir évalué les changements survenus dans le monde et, surtout, la transformation de la Russie et de la Chine en deux pôles
indépendants, de plus en plus indépendants de l’Occident mondialiste, les États-Unis ont décidé de revenir à leur stratégie précédente. En retirant leur présence militaire directe dans un
Afghanistan exsangue, les États-Unis tenteront de se décharger de toute responsabilité et de faire subir à d’autres l’inévitable contrecoup que constitueront les Taliban, qui sont, on le
sait, extrêmement militants.
Dans une telle situation, Moscou a décidé à juste titre d’être proactive. La consolidation du pouvoir des Taliban n’étant qu’une question de temps, il ne
faut pas attendre de voir comment et quand le régime actuel, collaborationniste et pro-américain, sera renversé. Il faut négocier avec les Pachtounes maintenant. Comme nous l’avons vu
récemment lors de la visite d’une délégation de Taliban à Moscou. Les Taliban sont désormais une entité indépendante. Et l’approche réaliste de Poutine exige que l’on tienne compte d’un
tel acteur, parce que cet acteur est là, sur le terrain, et s’est avéré inébranlable.
La déstabilisation de toute l’Asie centrale est inévitable si on laisse la situation en Afghanistan se dégrader. Cela affectera directement le Tadjikistan,
l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Turkménistan – c’est-à-dire que cela n’affectera pas directement les intérêts de la Russie et de l’OTSC. Par conséquent, la Russie doit assumer
la responsabilité de ce qui se passe dans le prochain cycle de l’histoire sanglante de l’Afghanistan.
Ici, la Russie devrait agir en tenant compte de la structure en mosaïque de la société afghane – les intérêts des groupes ethniques non pachtounes
d’Afghanistan – Tadjiks et Ouzbeks, ainsi que les chiites Hazaras et la minorité ismaélienne du Bodakhshan – devraient certainement être pris en compte. La Russie a été trop longtemps et
trop profondément impliquée dans le labyrinthe afghan pour être enfin apte à comprendre les subtilités de la société afghane. Cette connaissance, ainsi que le potentiel stratégique de la
Russie et son prestige accru, constituent un avantage très sérieux.
La coopération de la Russie à la préparation d’un avenir afghan en harmonie avec d’autres acteurs régionaux – avec l’Iran et le Pakistan ainsi qu’avec la
Chine, l’Inde et les États du Golfe – est cruciale. La Turquie, un partenaire difficile mais aussi tout à fait souverain, pourrait servir de courroie de transmission vers
l’Occident.
Mais l’essentiel est d’exclure sciemment l’Occident – principalement les États-Unis, mais aussi l’Union européenne – du nouveau formatage eurasiatique en
gestation qui devra rapidement résoudre le problème afghan. Ils ont montré ce dont ils sont « capables » pour résoudre l’impasse afghane. Cela s’appelle en bref et simplement :
un échec total. Rentrez chez vous, et nous ne voulons plus vous voir en Asie centrale à partir de maintenant. L’Eurasie est aux Eurasiens.
Cela ne signifie pas que le problème afghan sera facile à résoudre sans l’Occident. Ce ne sera certes pas facile. Mais avec l’Occident, ce n’est pas
possible du tout.
L’Organisation pour la Coopération de Shanghai ferait bien de coordonner les actions de ses membres pour contenir les menaces terroristes émanant
d’Afghanistan vers les pays frontaliers, telle ISIS-K, d’encourager un compromis politique entre Kaboul et les Taliban, et d’élaborer un plan pour développer le potentiel de connectivité
porté par ce pays ravagé par la guerre, afin d’assurer sa stabilité à long terme.
L’avenir de l’Afghanistan est plus incertain que jamais, sur fond d’avancée
rapide des Taliban dans tout le pays au lendemain du retrait
militaire étasunien qui va se terminer le
31 août. La plupart des observateurs prédisent une période intense de guerre civile si le groupe, qui reste considéré comme terroriste par de nombreux pays, comme la Russie – malgré
le fait que Moscou les a pris pragmatiquement pour interlocuteurs au fil des années dans les dialogues de paix, ne parvient pas à prendre les principales villes de l’Afghanistan qui
restent à ce jour sous contrôle du gouvernement. Le chaos résultant pourrait créer une opportunité dangereuse, en laissant ISIS-K étendre sa présence dans le pays, et même devenir une
menace de sécurité majeure pour l’Asie centrale et l’Asie du Sud. Les États-Unis abandonnant de fait leurs engagements anti-terroristes, peut-être pour
des raisons machiavéliques visant à provoquer ce même scénario, il en revient donc à l’OCS d’assurer la sécurité régionale à leur place.
Ce groupe comprend la plupart des républiques d’Asie Centrale (RAC, à l’exception du Turkménistan), la Chine, l’Inde, le Pakistan, et la Russie,
l’Afghanistan, le Bélarus, l’Iran et la Mongolie y ont le statut d’observateur, cependant que l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, le Cambodge, le Népal, le Sri Lanka et la Turquie
sont des partenaires de dialogue. L’un des mandats de l’OCS est de faire face de manière conjointe aux menaces de terrorisme, séparatisme, et d’extrémisme et d’améliorer la coopération
économique entre ses membres. Si l’on considère les événements qui s’enchaînent rapidement décris au premier paragraphe de la présente analyse, il s’ensuit donc que les pays membres de
l’OCS ont un intérêt naturel à travailler ensemble lorsqu’il s’agit de l’Afghanistan. Cette coopération peut prendre des formes ayant trait à la sécurité, politiques, et économiques.
L’aspect sécurité a trait à un soutien aux deux États jouxtant l’Afghanistan, surtout le Tadjikistan très fragile, qui sort d’une guerre civile ; le volet politique peut œuvrer à
faciliter le dialogue entre les parties combattantes. Le volet économique, quant à lui, est relatif au potentiel de connectivité de l’Afghanistan.
Pour développer un peu plus, il a été signalé que presque
1 600 soldats afghans ont fui dans le Tadjikistan voisin au cours des dernières semaines, afin d’échapper à l’avancée rapide des Taliban dans le Nord du pays. Sputnik a
rapporté que le groupe a permis une traversée en masse de la frontière pour poursuivre ses opérations sans entrave, et chacun sait que les Taliban n’entretiennent pas de projets
d’expansion territoriale. Il est par conséquent extrêmement improbable qu’ils constituent une menace pour le Tadjikistan ou envers une autre RAC. Malgré cela, l’incertitude qui prévaut
quant à l’avenir de l’Afghanistan pourrait déboucher sur d’importants flux de réfugiés, surtout si ISIS-K se met à exploiter la situation. Pour cette raison, le président
Poutine a
récemment promis à son homologue tadjik un soutien total pour assurer la sécurité de sa frontière. Il ne fait aucun doute que la base militaire russe implantée dans ce pays est
parfaitement en mesure de remplir cette mission si on lui demande, mais le sujet n’en constitue pas moins une excellente opportunité pour les membres de l’OCS de coopérer plus étroitement
sur le front de la sécurité.
À ce stade, sa structure régionale anti-terroriste (SRAT) n’a pas encore connu le feu de l’action. L’OCS est constituée de membres très divers, et n’a pas
expérimenté à ce stade de coopération en matière de sécurité hormis les exercices très symboliques qui sont menés de temps à autre. L’efficacité de l’organisation serait fortement
améliorée si le Tadjikistan demandait son assistance, quand bien même ce ne serait qu’afin de constituer un « exercice en conditions réelles » de soutien à la mission menée par
les Russes. Cela n’implique pas non plus de déploiement prolongé de soldats sous bannière de l’OCS, car une telle mission pourrait aussi bien être accomplie par un partage accru de
renseignements en passant par cette structure, ainsi que le déploiement d’un soutien matériel approprié. Bien que l’Inde soit en rivalité avec la Chine et le Pakistan, ces trois pays
pourraient mettre leurs différends de côté de manière pragmatique afin d’acquérir l’expérience de sécurité multilatérale qui pourrait être utile pour le traitement des crises régionales
futures, qu’elles aient trait à l’Afghanistan ou non.
La seconde dimension de la stratégie de l’OCS pour l’Afghanistan devrait voir l’ensemble des membres faire de leur mieux pour encourager un compromis
politique entre Kaboul et les Taliban. Reuters a
rapporté cette semaine que ces derniers comptent présenter un plan de paix au cours des discussions qui devraient avoir lieu le mois prochain, ce qui pourrait dans les faits
constituer un ultimatum pour empêcher le déplacement que l’on pense qu’ils projettent en direction de la capitale. Les Taliban réfutent qu’une
telle attaque soit à l’étude de leur côté, mais les observateurs craignent que celle-ci pourrait devenir inévitable si Kaboul refuse de se soumettre à leurs exigences. Afin d’éviter
l’instabilité prononcée qui suivrait probablement cette bataille, il relève de l’intérêt de l’OCS de veiller à ce que les Taliban et Kaboul parviennent à un accord au cours de la
prochaine phase de discussions. Le gouvernement afghan est déjà fortement démoralisé du fait du retrait étasunien, et son allié officiel étasunien sera prochainement moins capable que
jamais de le défendre une fois effectué son retrait, au mois de septembre, si bien que ce scénario est bien possible.
C’est là que réside la troisième partie des actions que l’OCS peut mener pour aider l’Afghanistan : présenter les fondamentaux d’une proposition
d’intégration économique régionale, pour démontrer à l’ensemble des parties prenantes intérieures que la paix serait véritablement dans l’intérêt de chacun. L’accord du mois de février
entre le Pakistan, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, prévoyant la construction d’une voie ferrée trilatérale (que l’on nomme souvent PAKAFUZ en prenant les premières lettres du nom de
chacun des trois pays) pourrait débloquer le
potentiel d’intégration supercontinentale de ce pays ravagé par la guerre, en rapprochant enfin l’Asie centrale et l’Asie du Sud. Cela pourrait amener à l’établissement d’un
nouvel axe économique allant de la Russie en Europe centrale jusque l’Inde en Asie du Sud, que l’on pourrait désigner sous le nom de Couloir de l’OCS. Cette proposition ambitieuse devrait
idéalement être présentée à Kaboul ainsi qu’aux Taliban par l’OCS, comme une proposition d’ensemble, avec l’assistance de tous les membres de l’OCS durant la prochaine séance de
discussions de paix à venir au mois d’août.
Le temps manque pour en présenter tous les détails, mais chaque pays pourrait apporter une chose ou une autre à ce projet, même des promesses générales
d’assistance financière (par dons ou prêts) ainsi que d’expertise technique. La chose la plus importante est que les deux parties en guerre (mais surtout l’obstinée Kaboul) comprennent
que parvenir à un compromis pragmatique servirait l’ensemble des intérêts de l’Eurasie, pas uniquement leurs intérêts propres, et que le corps multipolaire très prometteur du
supercontinent est bel et bien en jeu dans ce débat. L’OCS doit agir et pas se contenter de parler, d’où la nécessité de mettre de côté certains des différends existants entre ses membres
pour présenter conjointement un projet crédible à cette fin (qu’importe le manque de détails à ce stade, au vu du peu de temps qui est disponible). La bonne volonté et la confiance qui
pourraient faciliter un tel processus pourraient fortement être stimulées par la proposition énoncée ci-avant, quant à une assistance en matière de sécurité accordée au
Tadjikistan.
Pour assembler l’ensemble, c’est l’OCS qui porte la responsabilité de montrer la voie pour s’assurer que la situation en Afghanistan ne rentre pas
prochainement dans une spirale de perte de contrôle, ce qui créerait un terrain fertile pour l’expansion régionale d’ISIS-K. Le bloc ne peut parvenir à cela qu’en contenant conjointement
de telles menaces terroristes envers les RAC avoisinantes comme le Tadjikistan, en encourageant Kaboul et les Taliban à parvenir de manière pragmatique à un compromis politique au cours
de la prochaine phase de pourparlers de paix qui aura lieu en août, afin de prévenir une intensification de la guerre civile afghane. Opportunité en sera également d’aider Kaboul et les
Taliban à discuter d’un projet crédible pour transformer l’Afghanistan en pièce centrale du couloir de l’OCS qui est proposé, depuis l’Europe de l’Est jusque l’Asie du Sud. Certes, cela
fait beaucoup pour une organisation qui n’a encore jamais été confrontée à une véritable crise, sans compter sur le caractère urgent de la crise afghane, mais tout ou partie de ce qui est
proposé ici est bel et bien réalisable, pourvu que la volonté politique soit au rendez-vous.
Le triomphe des Talibans donne le sentiment d’être
total. En ce moment même, plusieurs chefs militaires et politiques afghans rassemblent leurs forces pour combattre les « Taliban ». Qui sont ces hommes, quelles régions et quelles
ressources sont derrière eux – et ont-ils une chance de vaincre les fanatiques religieux qui ont si facilement pénétré dans Kaboul ?
L’opposition anti-talibane s’est soudain découvert plusieurs “parrains” en même temps. Il semblait pourtant que jusqu’à il y a deux jours, personne n’aurait pensé que quelqu’un résisterait aux
“étudiants”.
Le maître du lithium
Ainsi, l’un des chefs de la résistance anti-talibane, Ahmad Masood, a lancé un appel aux pays occidentaux pour qu’ils les aident en leur fournissant des armes. Ahmad Massoud est le fils d’Ahmad
Shah Massoud, le Lion du Pandjshir, qui a longtemps dirigé la résistance aux forces soviétiques dans le nord-est de l’Afghanistan, dans les gorges du Pandjshir, pratiquement imprenables.
“J’implore les amis de l’Afghanistan en Occident de nous défendre à Washington et à New York, au Congrès et dans l’administration Biden. Défendez-nous à Londres, où j’ai obtenu mon diplôme, et à
Paris, où une allée du jardin des Champs-Élysées a été baptisée du nom de mon père ce printemps. <…> Nous avons besoin de plus d’armes, de plus de munitions et de plus d’équipements”, a
déclaré Massoud dans une lettre publiée dans le Washington Post.
Il a déclaré que la résistance disposait de stocks de munitions et d’armes, et que certains Afghans avaient répondu à l’appel à rejoindre la résistance au cours des 72 dernières heures. Certains
soldats de l’armée régulière afghane ont été irrités par la reddition de leurs commandants et des anciens membres des forces spéciales afghanes. Mais, selon Massoud, ce n’est pas suffisant. “Vous
êtes le seul espoir qui nous reste”, a conclu Massoud.
Ahmad Massoud Jr. a en effet étudié en Grande-Bretagne, à la Royal Military Academy de Sandhurst, puis à la faculté militaire du King’s College de Londres. Il est professionnel et assez jeune (né
en 1989) pour être énergique et indépendant. Il est charismatique et ressemble incroyablement à son père, ce qui accroît considérablement sa popularité auprès de la population locale. Il n’a
occupé aucun poste officiel dans l’Afghanistan occupé, mais il a hérité du pouvoir de son père, tué par Al-Qaida, sur les gorges de Pandjshir.
Ahmad Massoud (photo: REUTERS/Mohammad Ismail)
Ce territoire a en fait toujours été indépendant de Kaboul, quelle que soit l’autorité de la capitale. Les Tadjiks de Pandjshir ont suffisamment d’armes pour eux-mêmes et pour la défense de la
gorge, mais ce n’est clairement pas suffisant pour aller au-delà de la gorge. Ce dont ils disposent en suffisance, cependant, c’est de l’argent: Massoud contrôle certaines des plus grandes mines
d’émeraudes du monde (le marché, bien sûr, est illégal) et des mines de lithium. Et sans lithium, il n’y a pas de batteries pour les téléphones portables.
En d’autres termes, Ahmad Massoud Jr. a besoin de l’économie mondiale. Et pas seulement des Chinois. Les Chinois ont d’ailleurs été contraints d’abandonner leur propre projet minier il y a
quelques années en raison de l’ »instabilité ». Mais peut-être que le jeune Massoud n’a tout simplement pas envie de concurrence.
Les Pandjshiris ont pris le contrôle de Charikar, un centre de population crucial pour l’ensemble de l’Afghanistan. Il est situé sur l’autoroute Kaboul-Hairaton, qui relie la capitale au nord.
C’est la seule route stratégique qui traverse le pays (grâce aux constructeurs de routes soviétiques) et le célèbre col et tunnel de Salang dans les montagnes de l’Hindu Kush. Le tunnel
traversant l’Hindu Kush a été construit par des constructeurs de métro moscovites dans les années 1960. Jusqu’en 1974, il était considéré comme le tunnel le plus haut du monde. Au cours de la
première guerre avec les Talibans en 1997, Massoud Sr. a fait sauter le tunnel, « fermant » ainsi la partie nord de l’Afghanistan. Après l’unification du pays en 2001, le tunnel a été
reconstruit.
Charikar est une ville célèbre. Juste au-delà de sa périphérie orientale commence la “Verte Charikar” de funeste mémoire, une plaine envahie de petits arbres et plantée de raisins. C’est de là
que les moudjahidines attaquaient régulièrement les colonnes de l’armée soviétique circulant sur la route stratégique pendant la guerre d’Afghanistan. En contrôlant Charikar et la vallée verte,
vous contrôlez toute communication entre les deux parties du pays.
Et juste au-delà de cette zone verte se trouve la base aérienne de Bagram. C’est le principal et peut-être le seul centre de commandement militaire et de logistique du centre de l’Afghanistan.
Aujourd’hui, elle est sous contrôle taliban, mais la distance est infime et les taliban, comme toute cavalerie nomade, ne sont pas très enclins aux batailles défensives. Jusqu’à présent,
l’initiative est du côté des Pandjshiris. Cependant leurs ressources sont limitées, en particulier pour des raisons évidentes.
L’ennemi idéologique des Talibans
Pendant ce temps, le vice-président Amrullah Saleh s’est déclaré chef par intérim de l’Afghanistan. Il a fait référence aux articles de la constitution selon lesquels un président en fuite perd
automatiquement ses pouvoirs et le pouvoir passe au vice-président.
Saleh, également un Pandjshiri tadjik, avait combattu les Shuravis (désignation des soviétiques) sous Ahmad Shah Massoud, avait beaucoup grandi et avait même été promu dans les années 1990 au
poste de chef de l’Alliance du Nord, qui unissait les populations du Nord afghan (Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras) contre les Taliban pachtounes, qui s’appuyaient sur le Sud et le Sud-Est du
pays.
Amrullah Saleh (photo: JAWAD JALALI/EPAТАСС)
Mais quelque chose a mal tourné, et Amrullah Saleh a passé toute la seconde moitié des années 1990 à Moscou, où il était occupé à se faire discret. Officiellement, il publiait le magazine Haft
Ruz (« Sept jours » en tadjik), mais beaucoup de ceux qui ont vécu dans les années 1990 se souviennent d’un hôtel sur Kashirskoye Shosse qui est devenu à la fois le siège de
l’opposition afghane et un énorme marché. À la fin des années 1990, Ahmad Shah Massoud a nommé Saleh coordinateur du travail avec les agences de renseignement occidentales, et Saleh s’est rendu
aux États-Unis. Après les attentats du 11 septembre, il s’est trouvé en liaison avec la CIA et a participé à l’opération spéciale de l’Alliance du Nord contre les talibans. Dans le gouvernement
de Hamid Karzai, il a été chef des services de renseignement et de sécurité.
Saleh est l’un des ennemis les plus permanents des Taliban. La position extrêmement dure de Saleh à l’égard des taliban a été la raison de sa démission du gouvernement de Karzai, puis du cabinet
d’Ashraf Ghani. Prêt à tuer les barbus partout où il les trouve. Il porte des vêtements européens. Séduisant, beau, charismatique, parle le dari, le pachtoun et l’anglais, il a survécu à une
douzaine de tentatives d’assassinat, et détient un passeport américain. Il déclare qu’il ne “se tiendra pas sous le même toit” que les taliban (notre équivalent de « ne s’assiéra pas à côté
d’eux dans un champ »).
Il utilise activement Twitter : « Nous devons prouver que l’Afghanistan n’est pas le Vietnam et que les Taliban ne ressemblent pas, même de loin, aux Vietcongs. Contrairement aux États-Unis
et à l’OTAN, nous ne nous décourageons pas et nous voyons d’énormes opportunités à venir. Les avertissements inutiles sont terminés. Rejoignez la résistance. » Lui et Ahmad Massoud, Jr.
Savent ce qu’est le Viet Cong et sont donc en mesures de faire de telles rapprochements historiques par écrit. Cela les distingue du personnage qui est en de fait à la tête de tous (ou au-dessus
de tous) les Tadjiks du nord de l’Afghanistan (à l’exception de la gorge de Pandjshir).
Le « Roi du nord » et le maréchal
Dustum
Atto Muhammadi Nur, surnommé Ustad (« lenseignant^ », « le professeur »), est officieusement l’homme le plus riche de l’Afghanistan moderne, bien que personne ne puisse
vraiment compter. Il est également le “Roi du Nord” (Podshohi Shimol). Il a été nommé Ustad parce qu’il a travaillé comme instituteur jusqu’en 1979. Puis les Shurawis (soviétiques) sont arrivés,
et il avait mieux à faire que d’enseigner aux enfants tadjiks.
Après le départ des troupes soviétiques, Ustad s’est associé à l’Ouzbek Rashid Dustum et a pris le contrôle de la province de Balkh et de tout le nord de l’Afghanistan. Sans sa permission, une
mouche ne peut pas y voler. Il n’y a pas une seule entreprise locale dont il ne soit pas le cofondateur.
Ashraf Ghani a tenté de l’évincer de son poste de gouverneur de Balkh, mais le nouveau gouverneur nommé depuis Kaboul, Muhammad Ishaq Rahgozar, s’est adressé à Ustad Noor en l’appelant
« Votre Excellence » et ne s’est pas permis de fouiner fouillé inutilement dans Mazar-e-Sharif (la capitale de Balkh). La presse anglo-saxonne le considère comme un mafioso (son
comportement domestique et public est très similaire), un homme corrompu et ainsi de suite, malgré le fait qu’Ustad Noor ait brûlé plusieurs fois en public des champs entiers de pavot à opium. La
sincérité de ses actions n’a, pour le moins, pas vraiment convaincu.
Auparavant, les forces qu’il contrôlait étaient estimées à environ 60’000 hommes armés, sans compter les deux brigades de sa milice personnelle (« milice »). Par ailleurs, dans le
contexte afghan, tous ces calculs formels s’avèrent parfois illusoires. Personne ne peut garantir le comportement d’une unité particulière. Elle peut même se disperser en l’absence d’un leader
clair.
Et les taliban, comme des enfants à Disneyland, sont venus renifler les dorures du palais du général Rashid Dustum à Mazar-e-Sharif. Ils se sont assis avec précaution dans les fauteuils dorés,
ont regardé les tableaux encadrés d’or et aussi les tapisseries dorées représentant des « idoles ». Le général Dustum et Ustad Noor ont fui en Ouzbékistan il y a quelques jours. Ustad
Noor affirme que l’étonnante prise de la ville de Mazar-e-Sharif, forte de 400’000 habitants et remplie de militaires ouzbeks et tadjiks, est le résultat d’une conspiration.
Atto Muhammadi Nur (photo: sergey Fadeichev/TASS)
« Malgré notre résistance déterminée, malheureusement, tous les équipements du gouvernement et des ANDSF (Forces de défense et de sécurité afghanes) ont été remis aux taliban dans le cadre
d’un vaste complot organisé et lâche », a déclaré Ustad Noor. Noor a déclaré que le but du complot était de le « prendre au piège » ainsi que le maréchal Abdul Rashid Dustum, qui a
été vice-président de l’Afghanistan de 2014 à 2020. Noor a noté que les militants n’ont pas réussi à atteindre cet objectif, et que maintenant, lui-même, le maréchal Dustum et plusieurs autres
autorités sont « en lieu sûr »”. C’est-à-dire, à Tashkent.
Dustum, qui est maintenant devenu maréchal, contrôle la population ouzbèke et turkmène du nord de l’Afghanistan et a toujours joué un rôle important dans l’Alliance du Nord. Dustum est issu d’une
famille pauvre dehkan, avait toujours soutenu les mouvements socialistes d’Afghanistan, avait fait des études militaires à Moscou et à Tashkent, et avait combattu honnêtement aux côtés du
gouvernement afghan pro-soviétique, à la tête d’une division. Après le retrait soviétique, il s’est retranché dans la ville de Mazar-e-Sharif, majoritairement peuplée d’Ouzbeks, dont il avait
déjà été chassé une fois par les taliban. Il était ami avec le défunt président ouzbek Karimov, ce qui a donné lieu à des soupçons de collusion et de séparatisme.
On rapporte déjà que des unités militaires sous le contrôle du maréchal Dustum se sont portées au secours des Pandjshiris. Les unités tadjiks d’Ustad Noor pourraient également s’établir à
Charikar, Salang et Bagram.
Les nomades et les chiites
Les chiites Hazara constituent un autre élément de la résistance aux taliban. Les Taliban sont une secte sunnite extrêmiste. Pour eux, les chiites, et, plus encore, les mongols, sont pires que
des infidèles. La situation est aggravée par l’Achoura, la principale fête religieuse des chiites, qui pleure l’imam Ali assassiné. La principale célébration de l’Achoura a lieu le dixième jour
du mois de Muharram, soit le 19 août cette année. Les taliban ont en quelque sorte promis qu’ils assureraient la sécurité des chiites, mais peu les croient. En outre, l’Iran soutient les chiites
(autrefois, il y avait les Huit Shiites, une alliance de partis militants chiites afghans basée en Iran). Il vaut mieux ne pas se frotter à eux.
Les Hazaras sont les descendants des guerriers de la garnison mongole de l’armée de Gengis Khan (« hezare »” veut dire « mille »). Ils ont une apparence mongole distinctive,
et leur langue de type iranien est parsemée de mots mongols et turcs. De tout temps, ils ont été la minorité nationale et religieuse la plus humiliée d’Afghanistan sous tous les dirigeants et
autorités. Ils ont été chassés des villes vers les montagnes impénétrables et incultes et transformés en nomades mendiants.
L’apparence mongoloïde est devenue un sujet de moqueries et même de pogroms. Et le chiisme les empêchait même de s’approcher du pouvoir dans le pays. En conséquence, les Khazars ont toujours
soutenu toute coalition contre Kaboul, tout comme la population juive de l’Empire russe, humiliée et privée de ses droits fondamentaux, a massivement soutenu les mouvements révolutionnaires.
Les nomades qui vivent dans des cabanes recouvertes de feutre sous un système tribal sont des soldats idéaux si vous leur donnez une poignée de kalachnikovs et leur montrez l’ennemi. Et
l’Alliance du Nord a toujours été capable de trouver un terrain d’entente avec eux. Par ailleurs, les chiites iranophones de l’ouest du pays passent automatiquement du côté des nordistes. Ma
fois, si c’est la volonté d’Allah et de Téhéran.
Quand tout ça va-t-il s’arrêter?
Il faut comprendre que les talibans ne peuvent pas, de manière réaliste, contrôler l’ensemble du territoire afghan, notamment les provinces non pachtounes. Leur prise de contrôle triomphante du
pays était basée sur l’arrogance, le faste et la peur. Ces tactiques de cavalerie (avec des jeeps en place de chevaux et de chameaux) ont permis à des escouades relativement petites d’hommes
barbus d’occuper des villes sans combat, et à la population locale s’est enfuie avec épouvante.
Maintenant, la situation a commencé à changer. Avec la perte de Charikar, les garnisons talibanes du nord perdent leurs approvisionnements et leurs communications avec Kaboul. En effet,
l’Afghanistan pourrait revenir à la situation du milieu des années 1990: une guerre civile menée selon des critères ethniques et, en partie, religieux, et une division du pays entre le nord et le
sud. Et l’ensemble actuel des opposants aux taliban ressemble beaucoup à l’Alliance du Nord de l’époque.
Tout cela semble attrayant sur le papier. En réalité, la nouvelle incarnation de l’Alliance du Nord a désormais peu de chances de faire des percées à Kaboul. Oui, il est possible de changer
radicalement l’équilibre des forces en prenant Bagram et Mazar-e-Sharif. Il est possible de reprendre le contrôle de la frontière nord. Le monde entier devra compter avec les Pandjshiris pendant
un certain temps. Mais dans l’ensemble, compte tenu de l’équilibre actuel des forces et, surtout, de l’avantage psychologique des taliban, nous avons pour l’instant un match nul.
Beaucoup de gens au Pandjshir le comprennent aussi. Le même Ahmad Massoud Jr. a toujours prôné publiquement la fédéralisation de l’Afghanistan. Bien sûr, il avait à l’esprit les gorges de
Pandjshir, sa région natale, mais l’idée est d’une portée considérable.
D’un point de vue formel, celui qui contrôle Kaboul a le pouvoir. Mais dans la pratique, l’Afghanistan est facilement divisé selon des lignes ethniques qui sont pratiquement identiques aux lignes
géographiques. Les Tadjiks, les Ouzbeks, les Turkmènes et les Hazaras « verrouillent » une fois de plus le col de Salang, et aucun Taliban ne s’en approchera. Ils ont déjà essayé une
fois, et ça n’a pas marché. Et le champ de bataille sera temporairement situé dans les parties ouest et nord-ouest du pays, des déserts peu peuplés. Ce qui compte ici, ce n’est pas la présence
d’armes, ni même leur quantité, mais des tactiques spécifiques.
Jusqu’à présent, les taliban se sont adaptés à cette tactique d’attaque « “nouvellement médiévale », contre laquelle les Américains, avec toute leur puissance aérienne et leurs drones,
n’ont pas pu gagner. Les Nordistes, en revanche, ont tous été élevés dans la science militaire traditionnelle – américaine, britannique et soviétique. Et cette confrontation pourrait durer
longtemps.
Qui profite de l’attentat suicide de Kaboul ?
...par Pepe Escobar - Le 31/08/2021.
L’État
islamique au Khorassan vise à prouver aux Afghans et au monde extérieur que les Taliban ne peuvent pas sécuriser la capitale.
L’horrible attentat suicide de Kaboul introduit un vecteur supplémentaire dans une situation déjà incandescente : Il vise à prouver, aux Afghans et au monde
extérieur, que le nouvel Émirat islamique d’Afghanistan est incapable de sécuriser la capitale.
À l’heure actuelle, au moins 103 personnes – 90 Afghans (dont au moins 28 Taliban) et 13 militaires américains – ont été tuées et au moins 1 300 blessées,
selon le Ministère afghan de la Santé.
L’attentat a été revendiqué par une déclaration sur la chaîne Telegram d’Amaq Media,
l’agence de presse officielle de l’État islamique. Cela signifie que l’attentat a été commis par le commandement central de l’EI, même si les auteurs de l’attentat étaient des membres de
l’État islamique au Khorassan, ou EI-K.
Présumant hériter du poids historique et culturel des anciennes terres d’Asie centrale qui, depuis l’époque de la Perse impériale, s’étendaient jusqu’à
l’Himalaya occidental, ce groupuscule salit le nom de Khorassan.
Le kamikaze qui a mené « l’opération martyre
près de l’aéroport de Kaboul » a été identifié comme un certain Abdul Rahman al-Logari. Cela suggère qu’il est afghan, de la province voisine de Logar. Et cela suggère également
que l’attentat a pu être organisé par une cellule dormante de l’EI-K. Une analyse électronique sophistiquée de leurs communications permettrait de le prouver – des outils dont les Taliban
ne disposent pas.
La façon dont l’EI, qui connaît bien les médias sociaux, a choisi de présenter le carnage mérite un examen attentif. La déclaration sur Amaq
Media reproche aux Taliban d’être « en partenariat » avec l’armée américaine dans l’évacuation des « espions ».
Il ridiculise les « mesures de sécurité
imposées par les forces américaines et la milice des Taliban dans la capitale Kaboul », puisque son « martyr » a
pu atteindre « une distance de pas
moins de cinq mètres des forces américaines, qui supervisaient les procédures ».
L’EI-K comprend une bande de fanatiques, désignés comme takfiris parce
qu’ils définissent les compagnons musulmans – en l’occurrence les Taliban – comme des « apostats ».
Fondé en 2015 par des djihadistes émigrés envoyés dans le sud-ouest du Pakistan, l’EI-K est une bête trouble. Son chef actuel est un certain Shahab
al-Mujahir, qui était un commandant de niveau intermédiaire du réseau Haqqani dont le siège est au Waziristan du Nord, dans les zones tribales pakistanaises, lui-même une collection de
moudjahidines disparates et de candidats au djihad sous l’égide de la famille.
Washington a qualifié le réseau Haqqani d’organisation terroriste dès 2010, et traite plusieurs de ses membres comme des terroristes mondiaux, dont
Sirajuddin Haqqani, le chef de la famille après la mort du fondateur Jalaluddin.
Jusqu’à présent, Sirajuddin était le chef adjoint des Taliban pour les provinces orientales – au même titre que le mollah Baradar, le chef du bureau
politique de Doha, qui a été libéré de Guantanamo en 2014.
Fait crucial, l’oncle de Sirajuddin, Khalil Haqqani, anciennement chargé du financement étranger du réseau, est maintenant responsable de la sécurité de
Kaboul et travaille comme diplomate 24/7.
Les précédents dirigeants de l’EI-K ont été éliminés par des frappes aériennes américaines en 2015 et 2016. L’EI-K a commencé à devenir une véritable force
de déstabilisation en 2020 lorsque la bande regroupée a attaqué l’Université de Kaboul, une maternité de Médecins sans Frontières, le palais présidentiel et l’aéroport.
Les renseignements de l’OTAN, repris par un rapport
de l’ONU, attribuent à l’EI-K un maximum de 2 200 djihadistes, répartis en petites cellules. Il est significatif que la majorité ne soit pas afghans : Irakiens, Saoudiens, Koweïtiens,
Pakistanais, Ouzbeks, Tchétchènes et Ouïghours.
Le véritable danger est que l’EI-K fonctionne comme une sorte d’aimant pour toutes sortes d’anciens Taliban mécontents ou de chefs de guerre régionaux
déconcertés qui n’ont nulle part où aller.
La
parfaite cible facile
L’agitation civile qui régnait ces derniers jours autour de l’aéroport de Kaboul était la cible idéale pour le carnage de la marque EI.
Zabihullah Mujahid, le nouveau ministre taliban de l’Information à Kaboul, qui, à ce titre, s’adresse quotidiennement aux médias du monde entier, est celui
qui a prévenu les membres de l’OTAN de l’imminence d’un attentat suicide commis par l’EI-K. Des diplomates de Bruxelles l’ont confirmé.
Parallèlement, ce n’est pas un secret pour les cercles de renseignements en Eurasie que l’EI-K est devenu disproportionnellement plus puissant depuis 2020
en raison d’une ligne de transport d’Idlib, en Syrie, vers l’est de l’Afghanistan, officieusement connue dans le langage des barbouzes sous le nom de Daech Airlines.
Moscou et Téhéran, même à des niveaux diplomatiques très élevés, ont carrément accusé l’axe américano-britannique d’être les principaux facilitateurs. Même
la BBC a
rapporté, fin 2017, que des centaines de djihadistes de l’EI avaient bénéficié d’un passage sécurisé hors de Raqqa et de la Syrie, sous les yeux des Américains.
L’attentat de Kaboul a eu lieu après deux événements très importants.
Le premier est l’affirmation de Mujahid, lors d’une interview accordée à la chaîne américaine NBCNews en
début de semaine, selon laquelle il n’y a « aucune
preuve » qu’Oussama Ben Laden soit à l’origine
des attentats du 11 septembre 2001 – un argument que j’avais déjà laissé entrevoir dans ce podcast la
semaine précédente.
Cela signifie que les Taliban ont déjà commencé une campagne pour se déconnecter de l’étiquette « terroriste » associée au 11 septembre. La
prochaine étape consistera peut-être à faire valoir que l’exécution du 11 septembre a été mise en place à Hambourg et que les détails opérationnels ont été coordonnés depuis deux
appartements du New Jersey.
Rien à voir avec les Afghans. Et tout cela en restant dans les paramètres du récit officiel – mais c’est une autre histoire extrêmement compliquée.
Les Taliban devront montrer que le « terrorisme » concerne uniquement leur ennemi mortel, l’EI, et va bien au-delà de la vieille école Al-Qaïda,
qu’ils ont hébergée jusqu’en 2001. Mais pourquoi devraient-ils hésiter à faire de telles déclarations ? Après tout, les États-Unis ont réhabilité Jabhat Al-Nosra – ou Al-Qaïda en Syrie –
en tant que « rebelles modérés ».
L’origine de l’EI est un matériau incandescent. L’EI a été créé dans des camps de prisonniers irakiens, son noyau étant composé d’Irakiens, dont les
compétences militaires proviennent d’anciens officiers de l’armée de Saddam, une bande de sauvages renvoyée en 2003 par Paul Bremmer, le chef de l’Autorité provisoire de la
Coalition.
L’EI-K porte dûment le travail de l’EI de l’Asie du Sud-Ouest au carrefour de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud en Afghanistan. Il n’y a aucune preuve
crédible que l’EI-K a des liens avec les services secrets militaires pakistanais.
Au contraire : l’EI-K est vaguement aligné avec le Tehreek-e-Taliban (TTP), également connu sous le nom de Taliban pakistanais, l’ennemi mortel d’Islamabad.
Le programme du TTP n’a rien à voir avec les Taliban afghans modérés dirigés par le mollah Baradar qui ont participé au processus de Doha.
L’OCS à
la rescousse
L’autre événement important lié à l’attentat de Kaboul est qu’il a eu lieu un jour seulement après une nouvelle conversation téléphonique entre les
présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping.
Le Kremlin a souligné que les deux hommes étaient « prêts à intensifier
leurs efforts pour lutter contre les menaces du terrorisme et du trafic de drogue provenant du territoire afghan », qu’il était « important d’instaurer
la paix » et qu’il fallait « empêcher la
propagation de l’instabilité aux régions adjacentes ».
Et cela a conduit à l’argument décisif : Ils se sont engagés conjointement à « tirer le meilleur
parti du potentiel » de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), fondée il y a 20 ans sous le nom de « Cinq de Shanghai », avant même le 11 septembre, pour
lutter contre « le terrorisme, le
séparatisme et l’extrémisme ».
Le sommet de l’OCS se tiendra le mois prochain à Douchanbé, où l’Iran sera très certainement admis en tant que membre à part entière. L’attentat de Kaboul
offre à l’OCS l’occasion de s’affirmer avec force.
Quelle que soit la coalition tribale complexe formée pour gouverner l’Émirat islamique d’Afghanistan, elle sera imbriquée dans l’ensemble de l’appareil de
coopération économique et sécuritaire régional, dirigé par les trois principaux acteurs de l’intégration eurasienne : la Russie, la Chine et l’Iran.
Le bilan montre que Moscou a tout ce qu’il faut pour aider l’Émirat islamique contre l’EI-K en Afghanistan. Après tout, les Russes ont expulsé l’EI de
toutes les parties importantes de la Syrie et l’ont confiné dans le chaudron d’Idlib.
En fin de compte, personne à part l’EI ne souhaite un Afghanistan terrorisé, tout comme personne ne souhaite une guerre civile en Afghanistan. L’ordre du
jour indique donc non seulement une lutte frontale menée par l’OCS contre les cellules terroristes existantes de l’EI-K en Afghanistan, mais aussi une campagne intégrée visant à drainer
toute base sociale potentielle pour les takfiris en Asie centrale et du Sud.
Le retour de flamme : Les Taliban s’en prennent à l’armée fantôme du renseignement américain
...par Pepe Escobar - Le 31/08/2021.
L’attentat
à la bombe de l’aéroport de Kaboul montre qu’il existe des forces de l’ombre en Afghanistan, prêtes à perturber une transition pacifique après le départ des troupes américaines. Mais
qu’en est-il de « l’armée de l’ombre » des services secrets américains, constituée au cours de deux décennies d’occupation ? Qui sont-ils, et quel est leur programme ?
C’est ainsi que le directeur de la CIA, William Burns, se rend en toute hâte à Kaboul pour solliciter une audience auprès du chef taliban Abdul Ghani
Baradar, le nouveau dirigeant potentiel d’une ancienne satrapie. Et il le supplie littéralement de prolonger un délai pour l’évacuation des actifs américains.
La réponse est un « non » retentissant. Après tout, la date limite du 31 août a été fixée par Washingto. La prolonger ne signifierait que
l’extension d’une occupation déjà vaincue.
Le coup du « M. Burns va à Kaboul » fait désormais partie du folklore du cimetière des empires. La CIA ne confirme ni ne nie que Burns ait
rencontré le mollah Baradar ; un porte-parole des Taliban, délicieusement diversionniste, a déclaré qu’il n’était « pas au
courant » d’une telle rencontre.
Nous ne connaîtrons probablement jamais les termes exacts dont ont discuté les deux improbables participants – à supposer que la rencontre ait eu lieu et
qu’il ne s’agisse pas d’une désinformation grossière des services de renseignement.
Pendant ce temps, l’hystérie de l’opinion publique occidentale se concentre sur l’impérieuse nécessité d’extraire tous les « traducteurs » et
autres fonctionnaires (qui étaient de facto des collaborateurs de l’OTAN) de l’aéroport de Kaboul. Pourtant, un silence tonitruant entoure ce qui est en fait la véritable affaire :
l’armée des ombres de la CIA laissée sur place.
L’armée fantôme est constituée de milices afghanes créées au début des années 2000 pour mener des opérations de « contre-insurrection » – un bel
euphémisme pour des opérations de recherche et destruction contre les Taliban et Al-Qaïda. En cours de route, ces milices ont pratiqué, en masse, cette proverbiale combinaison sémantique
normalisant le meurtre : les « exécutions extrajudiciaires », qui font généralement suite aux « interrogatoires renforcés ». Ces opérations étaient toujours secrètes,
conformément au manuel classique de la CIA, ce qui garantissait qu’il n’y ait jamais de responsabilité.
Maintenant, Langley a un problème. Les Taliban ont conservé des cellules dormantes à Kaboul depuis le mois de mai, et bien avant cela, dans certains organes
du gouvernement afghan. Une source proche du Ministère de l’Intérieur a confirmé que les Taliban ont réussi à mettre la main sur la liste complète des agents des deux principaux
dispositifs de la CIA : la Force de Protection de Khost (KPF) et la Direction nationale de la Sécurité (DNS). Ces agents sont les principales cibles des Taliban aux points de contrôle
menant à l’aéroport de Kaboul, et non des « civils afghans » impuissants qui tentent de s’échapper.
Les Taliban ont mis en place une opération complexe et ciblée à Kaboul, avec de nombreuses nuances – permettant, par exemple, le libre passage de certaines
forces spéciales de membres de l’OTAN, qui sont entrées dans la ville à la recherche de leurs ressortissants.
Mais l’accès à l’aéroport est désormais bloqué pour tous les ressortissants afghans. L’attentat suicide à la voiture piégée a introduit une variable encore
plus complexe : les Taliban vont devoir mettre en commun toutes leurs ressources en matière de renseignement, et ce, rapidement, pour lutter contre les éléments qui cherchent à introduire
des attaques terroristes intérieures dans le pays.
Le Centre
norvégien d’Analyses globales RHIPTO a montré comment les Taliban disposent d’un « système de
renseignement plus avancé » appliqué à l’Afghanistan urbain, en particulier à Kaboul. Le fait de « frapper aux portes
des gens » qui alimente l’hystérie occidentale signifie qu’ils savent exactement où frapper lorsqu’il s’agit de trouver des réseaux de renseignements collaborationnistes.
Il n’est pas étonnant que les groupes de réflexion occidentaux se lamentent sur la façon dont leurs services de renseignement seront minés à l’intersection
de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud. Pourtant, la réaction officielle discrète s’est résumée à une simple déclaration des
ministres des Affaires étrangères du G7 annonçant qu’ils étaient « profondément
préoccupés par les informations faisant état de violentes représailles dans certaines régions d’Afghanistan ».
Le retour de bâton est vraiment une salope. Surtout lorsque vous ne pouvez pas le reconnaître pleinement.
De
Phoenix à Omega
Le dernier chapitre des opérations de la CIA en Afghanistan a commencé alors que la campagne de bombardements de 2001 n’était même pas terminée. Je l’ai vu
de mes propres yeux à Tora Bora, en décembre 2001, lorsque les forces spéciales sont sorties de nulle part, équipées de téléphones satellites Thuraya et de valises pleines d’argent
liquide. Plus tard, le rôle des milices « irrégulières » dans la défaite des Taliban et le démembrement d’Al-Qaïda a été salué par les États-Unis comme un immense succès.
L’ancien président afghan Hamid Karzai était, à son honneur, initialement opposé à ce que les forces spéciales américaines créent des milices locales, un
élément essentiel de la stratégie anti-insurrectionnelle. Mais au final, cette vache à lait était irrésistible.
Le Ministère afghan de l’Intérieur a été l’un des principaux profiteurs, le projet initial ayant été regroupé sous les auspices de la police locale afghane.
Cependant, certaines milices clés ne dépendaient pas du Ministère, mais répondaient directement à la CIA et au Commandement des Forces spéciales américaines, rebaptisé plus tard le
tristement célèbre Joint Special Operations Command (JSOC).
Inévitablement, la CIA et le JSOC se sont disputés le contrôle des principales milices. Ce problème a été résolu lorsque le Pentagone a prêté des forces
spéciales à la CIA dans le cadre du programme
Omega. Dans le cadre d’Omega, la CIA a été chargée de cibler les renseignements, tandis que les opérations spéciales ont pris le contrôle des forces sur le terrain. Omega a progressé
régulièrement sous le règne de l’ancien président américain Barack Obama : il ressemblait étrangement à l’opération Phoenix de l’époque du Vietnam.
Il y a dix ans, l’armée de la CIA, baptisée Counter-terrorist Pursuit Teams (CTPT), était déjà forte de 3 000 hommes, payés et armés par le combo CIA-JSOC.
Il n’y avait rien de « contre-insurrectionnel » dans tout cela : Il s’agissait d’escadrons de la mort, à l’instar de leurs homologues d’Amérique latine dans les années
1970.
En 2015, la CIA a obtenu de son unité sœur afghane, la Direction nationale de la Sécurité (DNS), qu’elle crée de nouvelles formations paramilitaires pour,
en théorie, combattre l’État islamique, qui a ensuite été identifié localement comme l’État islamique au Khorassan. En 2017, Mike Pompeo, alors chef de la CIA, a lancé Langley dans une
surenchère afghane, ciblant les Taliban mais aussi Al-Qaïda, qui à l’époque ne comptait plus que quelques dizaines d’agents. Pompeo a promis que la nouvelle mission serait
« agressive », « impitoyable » et « implacable ».
Ces
« acteurs militaires » de l’ombre
Le rapport le plus précis et le plus concis sur les paramilitaires américains en Afghanistan est sans doute celui
d’Antonio de Lauri, chercheur principal à l’Institut Chr. Michelsen, et d’Astrid Suhrke, chercheuse principale émérite également à l’Institut.
Le rapport montre comment l’armée de la CIA était une hydre à deux têtes. Les unités les plus anciennes remontaient à 2001 et étaient très proches de la
CIA. La plus puissante était la Force de Protection de Khost (KPF), basée au Camp Chapman de la CIA à Khost. La KPF opérait totalement en dehors de la loi afghane, sans parler du budget.
À la suite d’une enquête de Seymour Hersh, j’ai également montré comment la CIA finançait ses opérations secrètes par le biais d’une filière
d’héroïne, que les Taliban ont maintenant promis de détruire.
L’autre tête de l’hydre était constituée par les forces spéciales afghanes de la DNS : quatre unités principales, chacune opérant dans sa propre zone
régionale. Et c’est à peu près tout ce que l’on savait d’elles. La DNS était financée par nul autre que la CIA. À toutes fins utiles, les agents étaient formés et armés par la CIA.
Il n’est donc pas étonnant que personne en Afghanistan ou dans la région ne sache quoi que ce soit de définitif sur leurs opérations et leur structure de
commandement. La Mission d’Assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), dans un jargon bureaucratique exaspérant, a défini les opérations du KPF et de la DNS comme semblant
« être
coordonnées avec des acteurs militaires internationaux, c’est-à-dire en dehors de la chaîne de commandement gouvernementale normale ».
En 2018, on estimait que la KPF abritait entre 3 000 et plus de 10 000 agents. Ce que peu d’Afghans savaient vraiment, c’est qu’ils étaient bien armés, bien
payés, qu’ils travaillaient avec des personnes parlant l’anglais américain et utilisant un vocabulaire américain, qu’ils se livraient à des opérations nocturnes dans des zones
résidentielles et, surtout, qu’ils étaient capables d’appeler des frappes aériennes, exécutées par l’armée américaine.
Un rapport de 2019 de la MANUA a souligné qu’il y avait « des rapports continus
selon lesquels la KPF commettait des violations des droits de l’homme, tuait intentionnellement des civils, détenait illégalement des individus et endommageait et brûlait
intentionnellement des biens civils lors d’opérations de recherche et de raids nocturnes ».
Appelez cela l’effet Pompeo : « agressif, impitoyable et implacable » – que ce soit par des raids de type « tuer ou capturer » ou par
des drones équipés de missiles Hellfire.
Les Occidentaux éveillés, qui perdent actuellement le sommeil à cause de la « perte des libertés civiles » en Afghanistan, ne sont peut-être même
pas vaguement conscients que leurs « forces de coalition » commandées par l’OTAN ont excellé dans la préparation de leurs propres listes de mise à mort ou de capture, connues
sous la dénomination sémantiquement démente de « Liste conjointe des Effets prioritaires ».
La CIA, quant à elle, s’en moque éperdument. Après tout, l’agence a toujours été totalement en dehors de la juridiction des lois afghanes régissant les
opérations des « forces de la coalition ».
La
dronification de la violence
Au cours de ces dernières années, l’armée fantôme de la CIA s’est coalisée dans ce que Ian Shaw et Majed Akhter ont décrit de manière mémorable comme
« La
dronification de la violence d’État », dans un article fondateur publié dans la revue Critical Asian Studies en 2014 (téléchargeable ici).
Shaw et Akhter définissent le processus alarmant et continu de dronification comme : « la délocalisation du
pouvoir souverain des militaires en uniforme vers la CIA et les forces spéciales ; les transformations techno-politiques réalisées par le drone Predator ; la bureaucratisation de la
chaîne de mise à mort ; et l’individualisation de la cible ».
Cela revient, selon les auteurs, à ce que Hannah Arendt définissait comme « la règle de
personne ». Ou, en fait, de quelqu’un agissant en dehors de toute règle.
Le résultat final toxique en Afghanistan est le mariage entre l’armée fantôme de la CIA et la dronification. Les Taliban sont peut-être prêts à accorder une
amnistie générale et à ne pas se venger. Mais pardonner à ceux qui se sont livrés à un massacre dans le cadre de l’accord de mariage pourrait être un cran trop loin pour le code
Pachtounwali.
L’accord de Doha de février 2020 entre Washington et les Talibans ne dit absolument rien de l’armée fantôme de la CIA.
La question qui se pose maintenant est de savoir comment les Américains vaincus pourront conserver des moyens de renseignement en Afghanistan pour leurs
fameuses opérations de « contre-terrorisme ». Un gouvernement dirigé par les Taliban prendra inévitablement le contrôle de la DNS. Ce qu’il adviendra des milices est une
question ouverte. Elles pourraient être complètement reprises par les Taliban. Elles pourraient se détacher et finir par trouver de nouveaux sponsors (saoudiens, turcs). Elles pourraient
devenir autonomes et servir le chef de guerre le mieux placé pour payer.
Les Taliban pourraient être essentiellement une collection de seigneurs de la guerre (jang salar, en dari). Mais ce qui est certain, c’est qu’un nouveau
gouvernement ne permettra tout simplement pas un scénario de milice en friche semblable à celui de la Libye. Il faut dompter des milliers de mercenaires qui pourraient devenir un ersatz
de l’EI-Khorassan et menacer l’entrée de l’Afghanistan dans le processus d’intégration eurasien. Burns le sait, Baradar le sait – tandis que l’opinion publique occidentale n’en sait
rien.
Le nom de code du plan que le secrétaire Blinken est en train de mettre en œuvre n’a pas été communiqué officiellement. Il sera probablement appelé
« Eternal Revenge » ou quelque chose dans le genre.
Secrétaire Antony
Blinken Je veux faire savoir
aujourd’hui que le travail de l’Amérique en Afghanistan se poursuit.
Nous avons un plan pour la suite, et nous le mettons en œuvre.
Les États-Unis n’ont jamais été bon perdant. Le président Biden et Blinken non plus. Ils vont se venger du tollé que leur évacuation chaotique des troupes
et des civils d’Afghanistan a provoqué. Les talibans en seront tenus pour responsables, alors même qu’ils avaient, à la demande des États-Unis, escorté
des groupes de citoyens américains jusqu’aux portes de l’aéroport de Kaboul.
On peut anticiper ce que leur plan implique en examinant le processus qui a conduit à la
résolution d’hier du Conseil de Sécurité de l’ONU sur l’Afghanistan. La résolution complète n’a pas encore été publiée, mais le rapport de l’ONU en donne l’essentiel :
Treize des 15
ambassadeurs ont voté en faveur de la résolution, qui exige en outre que l’Afghanistan ne soit pas utilisé comme refuge pour le terrorisme.
Les membres
permanents, la Chine et la Russie, se sont abstenus ».
Comme la résolution ne fait que « demander instamment », elle est évidemment minimale et non contraignante. Ce n’est pas ce que les États-Unis
voulaient obtenir. Ils en voulaient une beaucoup plus forte, assortie de sanctions possibles (voir « tenir les talibans responsables » ci-dessous) si les talibans ne la
respectaient pas.
Avant la réunion du Conseil de Sécurité des Nations unies, la France et la Grande-Bretagne avaient proposé de créer une « zone de sécurité » à Kaboul. Cette demande a été silencieusement abandonnée, probablement en raison des préoccupations de
la Chine et de la Russie concernant la souveraineté de l’Afghanistan.
Le 29 août, Blinken s’était entretenu avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, au sujet d’une résolution contraignante. Le compte rendu du Département d’État sur cet appel a été minimal :
« Le secrétaire d’État
Antony J. Blinken s’est entretenu aujourd’hui avec le conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères de la RPC, Wang Yi, de l’importance pour la communauté internationale
de tenir les Taliban
responsables des engagements publics qu’ils ont pris concernant le passage en toute sécurité et la liberté de voyager des Afghans et des ressortissants
étrangers ».
Le compte
rendu de la Chine révèle que les sujets de discussion ont été beaucoup plus nombreux que cela :
« Selon Wang, la
situation en Afghanistan a subi des changements fondamentaux, et il est nécessaire que toutes les parties prennent contact avec les talibans et les guident activement.
Les États-Unis, en
particulier, doivent collaborer avec la communauté internationale pour fournir à l’Afghanistan l’aide économique, l’aide à la subsistance et l’aide humanitaire dont le pays a besoin de
toute urgence, aider la nouvelle structure politique afghane à assurer le fonctionnement normal des institutions gouvernementales, maintenir la sécurité et la stabilité sociales, freiner
la dépréciation de la monnaie et l’inflation, et s’engager rapidement sur la voie de la reconstruction pacifique, a-t-il ajouté ».
Les États-Unis ont bloqué les réserves de la Banque centrale d’Afghanistan, ont arrêté tout paiement budgétisé à l’Afghanistan et ont ordonné au Fonds
monétaire international et à la Banque mondiale de bloquer leurs programmes pour l’Afghanistan.
Cela paralysera toutes les fonctions de l’État afghan. La Banque mondiale est par exemple actuellement chargée de payer les enseignants et le personnel
médical afghans. L’Afghanistan connaît une sécheresse et devra importer de grandes quantités de nourriture. Avec ses avoirs étrangers bloqués, il n’a aucun moyen de le faire.
La Chine est clairement consciente que l’Afghanistan connaîtra une catastrophe humanitaire si les États-Unis poursuivent leur blocus économique.
Il y a aussi le danger du terrorisme auquel les États-Unis n’ont pas su faire face :
« Wang a exhorté les
États-Unis, sur la base du respect de la souveraineté et de l’indépendance de l’Afghanistan, à prendre des mesures concrètes pour aider l’Afghanistan à lutter contre le terrorisme et la
violence, au lieu de pratiquer la politique du deux poids deux mesures ou de combattre le terrorisme de manière sélective.
La partie américaine
connaît clairement les causes de la situation chaotique actuelle en Afghanistan, a noté Wang, ajoutant que toute action à entreprendre par le CSNU devrait contribuer à apaiser les
tensions au lieu de les intensifier, et contribuer à une transition en douceur de la situation en Afghanistan plutôt qu’à un retour à la tourmente ».
La Chine est particulièrement préoccupée par le « Mouvement islamique du Turkestan oriental » (MITO) basé dans l’est de l’Afghanistan, que
l’administration Trump avait
retiré l’année dernière de sa liste de terroristes, alors que l’organisation continue de cibler la Chine. L’administration Biden n’a fait aucune tentative pour renouveler la
désignation terroriste du MITO.
La Russie a les mêmes préoccupations, comme l’a
expliqué son représentant permanent, Vassily Nebenzia, après s’être abstenu de voter la résolution :
« Nous avons dû le
faire parce que les auteurs du projet avaient ignoré nos préoccupations de principe.
Tout d’abord, en
dépit du fait que le projet de résolution a été proposé dans le contexte d’une attaque terroriste odieuse, les auteurs ont refusé de mentionner État Islamique et le « Mouvement
islamique du Turkestan oriental », des organisations qui sont internationalement reconnues comme terroristes, dans le paragraphe sur le contre-terrorisme. Nous interprétons cela
comme une réticence à reconnaître l’évidence et une tendance à diviser les terroristes entre « les nôtres » et « les leurs ». Les tentatives de minimiser les menaces
émanant de ces groupes sont inacceptables.
Deuxièmement, au
cours des négociations, nous avons souligné le caractère inacceptable et les effets négatifs de l’évacuation du personnel afghan hautement qualifié pour la situation socio-économique du
pays. S’il subit une « fuite des cerveaux », le pays ne sera pas en mesure d’atteindre les objectifs de développement durable. Ces éléments qui sont vitaux pour le peuple afghan
n’ont pas été reflétés dans le texte de la résolution.
Troisièmement, les
auteurs n’ont pas tenu compte de notre proposition d’indiquer dans le document les effets négatifs du gel des avoirs financiers afghans sur la situation économique et humanitaire du pays,
et de mentionner le fait que l’aide humanitaire à l’Afghanistan doit impérativement respecter les principes directeurs de l’ONU, stipulés dans la résolution 46/182 de
l’AGNU ».
La première préoccupation mentionnée par Nebenzia reconnait les préoccupations chinoises. La deuxième est basée sur une préoccupation que les Taliban
avaient soulevée lorsqu’ils ont refusé de prolonger l’évacuation par les États-Unis de la population afghane éduquée. La troisième est la plus importante.
La Russie avait proposé de lever le blocage des avoirs afghans. Les États-Unis ont rejeté cette proposition. Il est donc évident que les États-Unis ont
l’intention de les maintenir en place. Ils s’en serviront pour formuler des exigences que les Taliban seront incapables de satisfaire.
Dans le même temps, les États-Unis utiliseront les membres de l’ISPK (ISIS-K) et de l’« Alliance du Nord » en Afghanistan pour poursuivre la
guerre et rendre impossible toute tentative de gouverner l’Afghanistan de manière fructueuse.
Ils accuseront ensuite les talibans des mauvais résultats.