Pendant des décennies, la France a maintenu le contrôle sur ses anciennes colonies africaines en soutenant les hommes forts locaux. Les récents coups d’État au Niger et au Gabon contre des
gouvernements accusés d’être alignés à Paris montrent que l’empire français informel se délite.
Le président français Emmanuel Macron (à gauche) rencontre le président du Gabon Ali Bongo Ondimba (à droite) pour une rencontre bilatérale à Libreville, au
Gabon, le 1er Mars 2023. Bongo a depuis été évincé lors d’un coup d’Etat (Ludovic Martin / AFP via Getty Images)
Le lundi, le général Brice Oligui Ngeuma a été déclaré président par intérim du Gabon. Son investiture, qui était supposée promettre une « transition » démocratique
à terme, a eu lieu après la réélection bidon du dirigeant de longue durée Ali Bongo, et son arrestation par les militaires. Bongo, partenaire de la France, a pris les rênes du pouvoir en 2009
après le décès de son père, qui a été le président à vie de ce pays d’Afrique centrale depuis 1967, soit une très grande partie de la période après que le Gabon ait obtenu son indépendance de
Paris.
Le huitième coup d’Etat dans les anciennes colonies françaises depuis 2020, les évènements au Gabon ont été plus que tout conduit par un épuisement populaire
vis-à-vis de la dynastie Bongo. Mais il y a aussi à voir avec le déclin de l’influence française. Le jour même où Ngeuma a été destitué, la ministre française des Affaires Etrangères a déclaré au
Monde: « La Françafrique est morte depuis longtemps. » En ces termes, elle faisait référence aux liens commerciaux et militaires étroits que la France a maintenus pendant des décennies avec son
ancien empire après la décolonisation officielle.
Les évènements partout au Sahel montrent, encore plus clairement, à quel point le sentiment anti-français rompt ces liens ainsi que les gouvernements qui y sont
liés. Prenons le cas du Niger. Fin Juillet, dans la capitale Niamey, des officiers militaires ont mis dehors le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum, allié des français. La junte au
pouvoir a depuis défié les menaces d’intervention militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), encouragées par Paris et menée par des pays comme le Nigéria ou le
Sénégal.
En réalité, si certains à Paris qui continuent de parler de la « politique africaine », il s’agit aujourd’hui d’un projet à la dérive tant les hypothèses
persistantes de prérogative nationale sont éclipsées par le déclin de l’influence et des capacités françaises. Les anciennes colonies au Sahel et en Afrique sub-saharienne ont leur propres luttes
internes pour le pouvoir. Nénamoins, le ressentiment envers les gouvernements perçus comme subordonnés à Paris, exprime également un mécontentement profond face à la présence militaire française,
son incapacité à gagner une « guerre contre le terrorisme» mal conçue, et de la tendance de Paris à soutenir des autocrates locaux complaisants.
Le paternalisme français
Dans le cadre d’un rituel de longue date, les dirigeants français sont rapides à affirmer que le pays a tourné la page du paternalisme post-colonial. Le président
français Emmanuel Macron n’en a pas dit moins au début de sa présidence en 2017, annonçant la fin de la « politique africaine » française, devant des étudiants de la capitale du Burkina Faso
Ouagadougou.
Mais cela a mis du temps à se traduire par une sérieuse remise en question. À l’abri du débat public en France et de plus en plus éloignée de tout intérêt matériel
mesurable, la présence de la France dans la région est marquée par l’habitude et l’inertie, ce qui a alimenté une vague d’opinion anti-française, en partie aidée par les campagnes de
désinformation russes.
Depuis le début des années 2010, la France s’est engagée dans une opération de contre-insurrection prolongée à travers le Sahel, cherchant à soutenir le ruban
d’états enclavés du Mali, du Burkina Faso et du Tchad. (Ironiquement, une grande partie de l’instabilité initiale que les forces françaises cherchaient à contenir a été exacerbée par l’opération
soutenue par Nicolas Sarkozy, visant à renverser le dirigeant libyen Muammar Kadhafi en 2011.
Le Mali et le Burkina Faso ont été le théâtre de putschs réussis, respectivement, en 2020 et 2022, après quoi les nouvelles juntes ont expulsé les forces militaires
françaises et le personnel diplomatique. Ces forces, ainsi que le contingent militaire français en République centrafricaine, ont été transférés au Niger, qui est aujourd’hui le théâtre d’une
impasse, la junte ayant exigé que Paris retire ses 1 500 soldats restants et rappelle son ambassadeur, Sylvain Itté.
Le 28 Août, Macron a défendu les interventions françaises lors d’un discours devant le corps diplomatique. Il a ré-affirmé son refus d’accéder aux exigences de la
junte, réitérant la position de Paris, à savoir que les nouveaux pouvoirs en place sont illégitimes. Cependant, un article du Monde du 6 Septembre indique que les militaires français ont entamé
des négociations avec les nouvelles autorités à Niamey, afin d’organiser un éventuel retrait des forces d’expéditionnaires. Dans un mouvement apparent de désescalade, le premier ministre nommé
par la junte a indiqué le 4 Septembre que le gouvernement espèrait « maintenir une coopération » avec la France.
Les opérations Serval et Barkhane – l’intervention initiale de 2013 pour réprimer une offensive de groupes islamistes dans le nord du Mali et l’opération de
contre-insurrection à l’échelle du Sahel qui en a découlé – « ont été un succès », a déclaré M. Macron au Point le 23 août. Dans son discours prononcé quelques jours plus tard, il a déclaré : «
Si nous cédons aux arguments ridicules avancés par cette alliance loufoque de pseudo-panafricanistes et de néo-impérialistes [référence à la milice russe Wagner, qui a été engagée par d’anciens
clients de la France comme le Mali et la République centrafricaine], nous aurons perdu la tête. »
« Le Niger était la dernière véritable tête de pont des forces françaises au Sahel, c’était absolument essentiel pour la présence militaire française dans la région
», a déclaré le député France Insoumise Arnaud Le Gall à Jacobin. « On a tout misé sur une réponse militaire, et les gens continuent à s’accrocher à l’idée que Barkhane était un succès, comme l’a
encore déclaré Macron lors de son discours du 28 Août. Mais Barkhane a été un échec majeur, et nous sommes en train d’être expulsés d’une troisième nation du Sahel. »
Dès l’expulsion du président nigérien Bazoum, Macron a rejeté toute forme d’ouverture vis-à-vis de la junte. Dans son discours de la semaine dernière, Macron a
réitéré, dénonçant une « épidémie de putschs » et réaffirmant le soutien français à une possible intervention par les forces de la CEDEAO, appelant à faire preuve « ni de paternalisme,
ni de faiblesse ».
« Une menace militaire est exactement ce qui va renforcer la junte au Niger », indique Le Gall, qui pointe aussi la réponse mouvante et inconsistante de la France
aux prises de pouvoir dans ces Etats. Il souligne l’hypocrisie de l’attitude de Paris à l’égard du Tchad, où Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir en 2021 après le décès de son père Idriss Déby,
qui dirigeait le pays depuis 1990. « D’un côté, nous avons donné l’onction à Déby au Tchad, alors que nous avons condamné les putschs au Mali, au Burkina Faso, et maintenant au Niger. »
Envoyer des troupes (encore) ?
La position de Macron a fait froncer les sourcils des deux côtés de la Méditerranée. Selon des sources diplomatiques françaises, la possibilité d’une intervention
de la CEDEAO au Niger a toujours été très improbable, et les conseillers de Macron auraient dû savoir qu’il s’agissait, soit d’un bluff peu crédible de chefs d’Etat méfiants, soit une
interprétation erronée et imprudente de leur propre influence. L’Algérie, aussi bien que des entités continentales, telles que l’Union africaine se sont prononcées contre une possible
intervention, tandis que le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a reconnu qu’il n’y avait « pas de solution militaire acceptable ».
« Le discours de Macron a été un dernier clou très maladroit dans le cercueil », a déclaré l’ambassadeur de France au Mali entre 2002 et 2006 Nicolas Normand à
Jacobin. « Il est mal conseillé et ne semble pas comprendre la situation. […] Nous soutenons quelqu’un qui a perdu. Ce type de discours aurait pu avoir du sens si Bazoum avait une chance de
reprendre le pour voir [au Niger], continue Normand, mais comme c’est inconcevable pour le moment, ce genre de déclaration ne fait que nous créer des problèmes. »
« La France n’a plus les moyens de le faire », a déclaré une source française en poste dans la région, qui a requis l’anonymat, sur les rodomontades de Macron. «
Partir du principe que la France peut décider ce qui se passe dans ses anciennes colonies est une forme d’aveuglement, en particulier sur nos propres capacités. Même les Etats-Unis n’ont plus
aujourd’hui les moyens de manipuler les autres pays comme par le passé. »
Macron s’est même trouvé en désaccord avec Washington, lequel n’a pas caché sa volonté d’instaurer une relation avec les dirigeants du pouvoir de facto militaire à
Niamey. La sous-secrétaire d’Etat des Etats-Unis par intérim Victoria Nuland, a été envoyée début août pour établir un dialogue avec la junte, mais cette visite a rapidement tourné court.
Quelques jours après le putsch, Kathleen Fitzgibbon a été nommée ambassadrice, remplissant ainsi une fonction vacante depuis deux ans. Les diplomates français ont pris ces deux décisions comme un
camouflet.
Craignant plus que tout l’exploitation par la Russie ou la Chine d’une réponse occidentale obstinée, alimentant la boucle des campagnes anti-françaises sur les
médias sociaux, les États-Unis sont désireux d’établir une relation de travail avec le nouveau gouvernement, ayant fourni plus de 500 millions de dollars d’aide militaire depuis 2012 et disposant
d’une base de drones et d’un effectif militaire de 1 100 personnes.
« La France et les Etats-Unis représentent les deux extrêmes, précise Normand. La bonne attitude aurait été de condamner le coup d’Etat et demander le retour du
gouvernement élu, et après trois jours, lorsque rien ne s’était passé, de se taire et d’établir des liens infomels. C’est la position qu’ont adoptée tous les pays européens, hormis la France.
»
Un adieu au statut de puissance mondiale
Néanmoins, malgré tout le chahut de la France, il y a une forte attraction à établir un modus operandi avec les nouvelles administrations qui font leur apparition à
travers le Sahel, essentielles dans les tentatives de l’Union européenne de bloquer les routes des migrants avant qu’ils ne traversent la Méditerranée. Une rencontre entre les ministres européens
des Affaires étrangères à Tolède en Espagne le 31 août a révélé des divergences entre la France et ses alliés européens, que Paris a longtemps cherché à enrôler à ses côtés pour des opérations
militaires au Sahel.
« L’Europe ne perçoit cette région qu’à travers le prisme de la migration », précise le député France Insoumise Le Gall. Cela a fortement isolé Macron, qui a
beaucoup parié sur sa capacité à représenter l’Europe en matière de politique étrangère, de défense, et d’autonomie
stratégique. Nous avons entraîné neuf pays européens dans nos interventions, et cela s’est transformé en un fiasco dont nous sommes l’une des principales causes. »
Au-delà de la « stabilité », maître mot pour régir les mouvements migratoires, il serait exagéré de dire que les intérêts français concrets ont contraint Paris à
maintenir une une présence dominatrice dans la région. Certes, le Niger produit 17% de l’approvisionnement annuel de la France en uranium, soit une part importante pour un pays dépendant de
l’énergie nucléaire, mais qui n’est « pas irremplaçable », selon une source française. Mais, globalement, seul 2% du commerce international français se fait avec l’Afrique subsaharienne.
De même que les Etats-Unis sont en « guerre éternelle », il y a un élément d’irrationalité dans l’obstination persistante des planificateurs français de maintenir
un pied en Afrique de l’Ouest. Dans l’imaginaire des cercles de la politique étrangère du pays, une forte présence dans la région a été un tremplin pour le rôle français en tant que puissance
mondiale, en tête de liste.
Selon Le Gall, la politique étrangère française est aussi soumise à des contraintes institutionnelles, qui pointe du doigt la presque totale domination du président
sur la politique étrangère, pour expliquer l’apparente incapacité de Paris à changer de stratégie.
« Le coeur du problème est le fait que ces problèmes sont à peine discutés, précise Le Gall à Jacobin. Bien évidemment, les Etats-Unis ont eu leur juste part
d’interventions néo-impériales, mais il y a eu des débats, le Congrès a mené des investigations, et lorsque cela est devenu controversé pour l’Afghanistan et l’Irak, les membres de l’exécutif ont
été mis sur le grill par le Congrès. Nous n’avons rien fait, et c’est choquant. Le Parlement n’a aucun contrôle sérieux sur la politique étrangère. »
Un retrait général n’a pas encore été décidé. Mais on peut s’attendre à ce que la question « Qui a perdu l’Afrique ? » fasse les gros titres français, car le temps
des accusations a commencé. Selon une source française en poste dans la région : « Il y a un attachement émotionnel à une certaine idée du pouvoir français parmi notre establishment militaire.
Pendant des années, nos militaires ont été orientés vers des missions de stabilisation, des opérations extérieures, et une projection externe de puissance. Entendre dire que c’est fini sera très
compliqué, en termes de psychologie. »
Contributeurs
Basé à Paris, Harrison Stetler est journaliste freelance et enseignant.
Par M.K. Bhadrakumar – Le 1er septembre – Source Indian Punchline
L’Afrique, en particulier l’Afrique de l’Ouest, a un fort sentiment
d’identité collective. Les tendances observées dans un pays ont tendance à se propager sur tout le continent. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si la prise de pouvoir militaire au Gabon
mercredi est intervenue juste au moment où le président français Emmanuel Macron adoptait une position ferme à l’égard des généraux au pouvoir au Niger.
Non seulement Macron
s’est moqué de la demande des généraux de renvoyer l’ambassadeur français à Niamey et les troupes françaises (1 500 personnes) dans ce pays, mais il a également menacé d’attaquer le
Niger.
Apparemment, Macron était sérieux. L’AFP avait rapporté la semaine dernière l’avertissement sévère du porte-parole de l’état-major français, le colonel Pierre
Gaudillière, selon lequel “les forces militaires françaises
sont prêtes à répondre à tout regain de tension qui porterait atteinte aux bases militaires et diplomatiques françaises au Niger” et que “des mesures ont été prises pour protéger ces bases“.
Mais les généraux de Niamey ont riposté en envoyant une communication au ministère français des Affaires étrangères indiquant que l’envoyé de Macron, l’ambassadeur Sylvain Itté, “ne bénéficie plus des privilèges et immunités attachés à son statut
de membre du personnel diplomatique de l’ambassade de France” ; ses “cartes diplomatiques et visas” ainsi que ceux des membres de sa
famille “sont annulés” ; et la police nigérienne
“a reçu instruction de procéder à l’expulsion”
d’Itté.
Il s’agit d’une humiliante rebuffade pour Macron. Il n’a plus d’autre choix que de revoir ses menaces à la baisse. Un bain de sang au Niger pour évacuer sa colère
contre l’expulsion de son ambassadeur serait désastreux pour la réputation internationale de la France.
En outre, un facteur “inconnu connu” entre également en jeu, qui fera réfléchir Paris
(et Washington) à deux fois : Le fantôme du chef de Wagner, Evgeniy Prigojine. Une explication s’impose.
Bien qu’aucune source crédible n’ait établi de lien entre la Russie et le coup d’État au Niger, ses liens étroits avec des interventions dans des pays africains –
République centrafricaine, Soudan, Mali et Libye – par l’intermédiaire du groupe Wagner laissent des questions sans réponse. Cela soulève bien sûr les circonstances de l’accident
d’avion de Prigogine dans des circonstances mystérieuses, que les enquêteurs russes considèrent désormais comme un acte de sabotage.
Il ne fait aucun doute que Prigojine était un obstacle aux plans des États-Unis et de l’OTAN en Afrique. John Varoli, ancien correspondant à
l’étranger pour le New York
Times, Bloomberg et Reuters TV (qui était basé à Moscou de 1992 à 2013 et a été
“formé en tant qu’expert en politique étrangère américaine
avec un accent sur la Russie et l’Ukraine“) a récemment écrit un blog captivant dans Substack où il conclut sur les lignes suivantes :
Plus que quiconque, la CIA et Kiev avaient un compte à régler et voulaient la mort de Prigojine… Projeter l’influence russe en Afrique est une
partie cruciale de la politique étrangère de Poutine, et Wagner est la clé de ce succès. Les relations avec les dirigeants africains reposent sur le charisme personnel de Prigojine… De même, en
éliminant Prigojine et ses officiers supérieurs, l’OTAN a porté un coup aux ambitions du Kremlin en Afrique… Comme pour tout assassinat de haut niveau, nous ne connaîtrons jamais toute la vérité.
Mais une chose est sûre : Les États-Unis, certains membres de l’OTAN et l’Ukraine sont les principaux bénéficiaires de la disparition de Prigojine, tandis que le Kremlin n’y
gagne absolument rien.
Toutes les informations disponibles indiquent l’implication et la culpabilité de l’Occident.
La guerre par procuration menée par les États-Unis en Ukraine est entrée dans une nouvelle phase où le terrorisme devient de plus en plus une arme pour les
Américains afin d’affaiblir la Russie. Ce n’est un secret pour personne que les frappes de drones ukrainiens à l’intérieur de la Russie sont soutenues par la technologie et les données
satellitaires américaines. Le directeur de la CIA s’est publiquement vanté d’un programme solide visant à recruter des citoyens russes pour travailler pour son agence.
Tout porte à croire que les Russes s’organisent pour réorganiser les combattants de Wagner à la suite de l’assassinat de Prigojine. Pour la première fois, une
délégation militaire russe s’est rendue en visite officielle en Libye le 22 août, selon un communiqué du ministère de la défense à Moscou. La délégation était dirigée par le vice-ministre de la
défense, le général Yunus-Bek Yevkurov, connu pour être la personne de référence de Prigojine.
Il est intéressant de noter que la visite du général s’est faite à l’invitation du commandant de l’armée nationale libyenne (ANL), le maréchal Khalifa Haftar, qui
est étroitement associé au groupe Wagner, dont on pense qu’il garde une grande partie des infrastructures militaires et pétrolières de la Libye.
Rétrospectivement, c’est la présence de Wagner qui a effectivement fait échouer les plans initiaux des États-Unis et de l’OTAN visant à étendre les empreintes de
l’alliance au continent africain via la Libye, en aval du meurtre horrible de Mouammar Kadhafi et du changement de régime en 2011, sous l’alibi de la lutte contre le terrorisme dans la région du
Sahel.
Il est évident que Wagner a joué un rôle clé dans ce grand jeu en Afrique. Si l’intention occidentale derrière l’assassinat de Prigojine était de décapiter Wagner
en détruisant la structure de commandement du groupe et de vaincre ainsi l’influence russe en Afrique, cela n’arrivera pas. Moscou redouble d’efforts et, fait intéressant, ne le cache pas non
plus.
Mardi dernier, le représentant permanent adjoint de la Russie auprès des Nations unies à New York, Dmitry Polyansky, a déclaré à l’agence de presse Tass que la Russie continuerait à fournir une assistance
globale au Mali et aux autres pays africains qui le souhaitent. Il s’attend à “davantage de preuves” de la coopération russo-malienne en
matière de sécurité.
En effet, depuis la Libye, la délégation militaire russe dirigée par le général Yunus-Bek Yevkurov s’est rendue au Burkina Faso, où elle a été reçue par le
président Ibrahim Traore. Les deux parties ont discuté de la coopération bilatérale dans le domaine militaire et de la défense, y compris de son état actuel et de ses perspectives d’avenir. Elles
ont également abordé d’autres questions soulevées lors de la rencontre entre les présidents russe et burkinabé en marge du deuxième sommet Russie-Afrique qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg à la
fin du mois de juillet.
“Le chef de la délégation
russe a assuré M. Traoré du soutien de la Russie à la période de transition au Burkina Faso. Il a également déclaré que la Russie se tenait aux côtés du peuple burkinabé dans tous les domaines de développement potentiel“.
(souligné par l’auteur).
Toujours au début du mois d’août, Assimi Goïta, le président intérimaire du Mali – un autre pays qui a engagé Wagner pour remplacer les troupes françaises – a
téléphoné à Poutine pour discuter des questions de sécurité suite à l’assassinat de Prigojine (qui se serait rendu au Mali peu avant sa mort). Le communiqué du Kremlin indique que “Assimi Goïta a décrit en détail les processus qui se déroulent au
Mali et a fait part au président russe des efforts des dirigeants nationaux pour stabiliser la situation et mener une lutte sans concession contre les groupes terroristes“.
Tous ces développements mis bout à bout, la formation d’une alliance militaire entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger la semaine dernière doit être mise en perspective. Le Niger a autorisé les forces armées du
Mali et du Burkina Faso à intervenir sur le territoire nigérien en cas d’attaque extérieure, selon une déclaration commune des trois pays.
En clair, le pacte permet au Mali et au Burkina Faso de fournir une assistance militaire au Niger en cas d’intervention militaire de la CEDEAO ou de la
France. Les dirigeants du coup d’État à Niamey cherchent à obtenir l’aide de Wagner en cas d’intervention.
Dans ce contexte, le président nigérian Bola Tinubu, qui dirige la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest [CEDEAO], a proposé jeudi une formule de compromis sur le retour du Niger à un régime démocratique similaire à la période de neuf mois qu’a connue son pays à la fin des années 1990. Jusqu’à présent, la
CEDEAO avait insisté sur le fait qu’elle voulait que le président évincé Mohamed Bazoum reprenne immédiatement le pouvoir. C’était également la demande de Macron. Mais Tinubu a changé
d’avis.
M.K.
Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Afrique: Nouveau bastion des sociétés de sécurité privées
Les mercenaires sont aussi vieux que la guerre elle-même. Le pharaon égyptien Ramsès II est sans doute le premier à avoir employé plus de 10.000 mercenaires au 13ème siècle av. J.-C. De même, le
roi perse Xerxès Ier a utilisé des combattants grecs en 484 av. J.-C. Et dans l’histoire du monde, l’on peut relever de nombreux épisodes où des royaumes, des Etats, ont engagé des soldats
étrangers dans un grand nombre de guerres. Qu’on les appelle « soldats de fortune », « volontaires », « légionnaires », « chiens de guerre », « oies
sauvages » ou aujourd’hui « groupes auxiliaires » ou « SMP » ne change rien à cette réalité.
Cet article publié en russe par le site fondsk.ru n’engage pas la ligne
éditoriale du Courrier.
C’est sans doute en Afrique que cet usage a acquis une forte notoriété, notamment dans les conflits des années 60-70, en particulier au Congo lors de la rébellion
Simba. Les ex-puissances coloniales (Grande Bretagne, France, Belgique, Portugal…) ont ainsi agi indirectement pour influencer le cours des choses, et souvent pour des motifs mercantiles liés aux
matières premières africaines. Puis, plus récemment, des considérations différentes ont présidé au recours de forces privées en Afghanistan, en Irak, au Kosovo, en Syrie et en ex-Yougoslavie.
Actuellement, ces interventions doivent être d’abord analysées au regard de la recomposition géopolitique qui met un terme à un monde bipolaire. Et d’ailleurs, les accords sur le développement
des forces armées locales sont une composante importante des relations russo-africaines.
Les Anglo-saxons préparent-ils une nouvelle bataille sur le continent noir ?
Le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverley, avant une visite au Ghana, au Nigeria et en Zambie, a déclaré que Londres a l’intention de
renforcer la coopération avec les pays africains dans le domaine de la sécurité et de mettre en œuvre des programmes de formation pour les unités militaires locales. Selon lui, le
« collectif occidental » devrait offrir à l’Afrique « une
option de développement alternative » qui serait différente de l’approche de la Russie ou de la Chine. Nul doute que les Anglo-Saxons, fidèles à leurs traditions coloniales
séculaires, se préparent à une nouvelle bataille pour le Continent Noir, qui est déjà aujourd’hui l’arène d’une concurrence féroce, à laquelle participent divers États, dont les plus puissants et
influent. Beaucoup a déjà été dit et écrit à ce sujet.
La défense des intérêts et la réalisation des plans à long terme des pays étrangers nécessite, dans certains cas, une protection, y compris armée. Dans des
conditions où l’implication directe de l’armée régulière devient soit irréalisable, soit limitée, voire totalement impossible, le rôle de formations paramilitaires, telles que
les « sociétés de sécurité privées » (PSC en anglais), devient incontournable. Il faut souligner tout de suite qu’on parle spécifiquement des « sociétés de sécurité
privées », car il n’y a pas de SMP en droit international. Et l’abréviation occidentale « PMC » signifie
« Private Military Combatant or Contractor », c’est-à-dire des mercenaires qui ne sont couverts par aucune convention.
Une nette augmentation des PSC d’origine occidentale mais aussi chinoiseen
Afrique
De nombreux PSC étrangers opèrent en Afrique : les Britanniques avec Aegis Defence Services et G4S, les Américains avec Constellis et CACI, les Français, avec
Secopex, les Allemands avec Asgaard et bien d’autres. Le nombre de leurs employés ne fait l’objet d’aucune comptabilité ou contrôle, d’autant plus que les entreprises elles-mêmes concluent
en règle générale des accords de non-divulgation sur la nature de leur travail. Les forces locales (appelons-les conditionnellement élites) ne souhaitent pas non plus faire connaître leurs
liens avec de telles structures, puisqu’il s’agit invariablement de maintenir le pouvoir et de faire des profits fabuleux, ce qui répond d’ailleurs au concept d’entreprise privée.
Récemment, les activités des PSC « de l’Est » en Afrique ont suscité le plus d’intérêt, puisque ce sont elles qui y sont les plus actives. La Chine mène une
expansion économique à grande échelle sur le continent dans le cadre de l’initiative « One Belt, One Road » lancée en 2013 : des accords ont été signés avec 52 des 54 pays
africains. Aujourd’hui, il y a environ 10.000
entreprises chinoises en Afrique et jusqu’à 2 millions de travailleurs chinois impliqués dans le développement des infrastructures, la construction de logements, la production industrielle
et l’exploitation minière. Les investissements de plusieurs milliards de dollars nécessitent une protection, y compris une protection physique : des citoyens chinois ont été volés, tués ou
kidnappés contre rançon. Il y a aussi eu des tentatives d’attaques contre des sites de constructeurs.
Dans un environnement où il n’est pas facile de s’appuyer sur les agences de sécurité locales, les autorités chinoises sont contraintes de résoudre elles-mêmes ce
problème. Cependant, ce n’est pas un problème : plus de 5.000 PSC sont enregistrés en Chine, employant environ quatre millions de personnes, principalement parmi les anciens
militaires. Il est significatif que les PMC soient interdites en Chine et que toutes les sociétés de sécurité privées soient sous le contrôle strict du ministère de la Sécurité
publique. Dans le même temps, seules 20 sociétés de sécurité privées ont l’autorisation de travailler à l’étranger, et environ la moitié d’entre elles opèrent en Afrique : Beijing DeWe
Security Service, Hua Xin Zhong An Group, Shandong Huawei Security Group, China Overseas Security Group, Frontier Services Group, China Overseas Security Service, China Security Technology Group,
VSS Security Group et Zhongjun Junhong Security Service. Une caractéristique des PSC chinois est qu’il leur est interdit de porter des armes à feu, à l’exception des employés d’Overseas Security
Guardians et du groupe Hua Xin Zhong An, qui assurent la protection armée des navires marchands chinois naviguant dans les eaux africaines.
Selon les chiffres officiels, seuls 3.200 employés des PSC chinois travaillent à l’étranger, mais ce chiffre est discutable. Par exemple, rien qu’au Kenya,
2.000 employés de DeWe ont participé à la protection de la
construction du chemin de fer Mombasa-Nairobi-Naisha. Les Chinois attirent largement les sous-traitants et organisent et gèrent eux-mêmes les structures de sécurité locales, assurent la
protection des entreprises chinoises, utilisant des armes non létales, et résolvent les problèmes techniques. De cette façon, ils évitent la responsabilité des morts et des blessés résultant
de l’utilisation d’armes par des « partenaires » locaux. Par exemple, en juillet 2016, DeWe a eu recours à l’embauche de personnel armé local pour évacuer plus de 300
travailleurs pétroliers chinois de la capitale Sud-soudanaise de Juba, alors qu’une confrontation armée avait éclaté entre les forces du gouvernement et celles de l’opposition.
La Turquie développe également activement des liens de sécurité avec l’Afrique
Ces dernières années, la Turquie a considérablement élargi son réseau d’ambassades sur le continent. Une attention particulière a été accordée au renforcement
de la coopération militaro-technique : rien qu’en 2021, l’offre d’équipements militaires turcs a quintuplé. Et ce chiffre est
susceptible de continuer à augmenter, notamment en raison
de la popularité croissante des drones turcs Bayraktar. Il
est à noter que les militaires turcs sont
présents en Libye et même en Somalie, où ils forment, en langue turque, des soldats et officiers locaux : les recrues somaliennes prêtent même serment dans deux langues à la
fois.
En 2012, Sadat International Defence Consultancy (SADAT), une société privée, a été créée en Turquie. Son fondateur et propriétaire, Adnan Tanriverdi, n’est
pas qu’un homme d’affaires : de 2016 à 2022, il a été simultanément conseiller du président R. Erdogan. Adnan avait déclaré sans ambages que « la
Turquie a une tradition militaire profondément enracinée ». Selon lui, les PSC peuvent fournir des services aux pays amis en embauchant du personnel militaire à la retraite et
récemment démobilisé. Et puis ils peuvent être utilisés comme un instrument de politique étrangère. Le site officiel affirme que SADAT est
« la
première et la seule entreprise privée en Turquie qui fournit des services de conseil, de formation militaire et de logistique dans le secteur de la défense internationale et de la sécurité
intérieure au niveau international ». La direction de SADAT note que les employés ne participent pas aux conflits en tant que mercenaires, mais fournissent uniquement des services
de conseil et de formation. Cependant, dans le même temps, il est souligné que l’un des principaux avantages est la présence d’une « armée de l’air » disponible, armée de drones
Bayraktar.
Le groupe Wagner se positionne différemment avec un lourd équipement militaire
Dans le même temps, il convient de souligner que ni la plus grande entreprise de sécurité au monde, G 4 S, (800 000 employés dans 138 pays), ni
d’ailleurs aucune autre structure privée, ne peuvent se comparer au groupe Wagner en termes d’armement. Même le tristement célèbre Blackwater n’a jamais eu à sa disposition une
arme d’un calibre supérieur à 20 mm, et des véhicules blindés : il n’avait que des jeeps blindées de classe B6. Bien sûr, Eric Prince pouvait compter sur le fait que, si nécessaire, il
recevrait un support aérien et d’autres soutiens de la part des forces armées américaines. Mais il ne pouvait même pas rêver d’avoir des chars, des canons et des roquettes d’artillerie en sa
possession, sans parler de l’attaque au sol par des avions bombardiers. De plus, personne ne s’est jamais fixé la tâche de mener des opérations militaires via une société de sécurité
privée.
Wagner continuera-t-il à opérer en Afrique, où la direction de l’entreprise a des contrats commerciaux privés avec des gouvernements et des entreprises locales ou
des groupes armés ? Le ministre russe, S. Lavrov, en mai de l’année dernière, dans une interview à la chaîne de télévision italienne Mediaset, a confirmé que les « wagnériens »
opéraient en Libye et a précisé : « Une
société militaire privée a été invitée par les autorités de la ville de Tobrouk. Ils sont là à des conditions commerciales, comme au Mali ».
La représentante officielle du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a récemment précisé que la décision de poursuivre le travail des
spécialistes de Wagner en Afrique sera prise par les pays africains eux-mêmes. Fidel Guandjiki, conseiller du président de la République centrafricaine, a déjà dit ce que pourrait être une
telle décision : « Si
Moscou décide de rappeler les wagnériens et d’envoyer des Beethoven ou des Mozart à la place, cela ne nous dérangera pas ».
Il est bien évident qu’aucune structure de sécurité privée de la Fédération de Russie, qui continuera à travailler en Afrique, ne pourra compter sur une aide de
l’État similaire à celle fournie au groupe Wagner. Ils n’auront à leur disposition, ni le système de missiles de défense aérienne Pantsir, ni les bombardiers de première ligne Su-24, ni les
vols VTA des Forces aérospatiales russes, comme ce fut le cas en Libye. Il est également impossible de surestimer le rôle, l’ampleur et les résultats des activités passées de l’entreprise
d’E. Prigozhin : de nombreux projets du groupe Wagner en Afrique n’étaient pas rentables et subventionnés, c’est-à-dire qu’une partie de leurs coûts était directement ou indirectement compensée
par le budget de la Fédération de Russie.
Il est possible que ces contrats, dont la base de revenus est générée en Afrique même, soient poursuivis, mais les projets subventionnés seront très probablement
transférés sous le contrôle du Ministère russe de la Défense. On sait que la Russie a conclu des accords officiels sur le développement des forces armées locales avec des dizaines d’États
africains et sur l’architecture des relations russo-africaines. Comme l’a noté S. Lavrov, « les
instructeurs militaires russes poursuivront leur travail dans un certain nombre d’États du continent. Selon les experts, ce format est plus efficace, et comporte moins de risques et peut
nous procurer des avantages à long terme ».
L’exemple des carences de l’ONU au Mali
La partie russe est certainement intéressée au renforcement des liens interétatiques au niveau régional et au renforcement de la composante africaine pour assurer
la sécurité. Aider les gouvernements africains à combattre les insurgés et les groupes terroristes ne signifie pas résoudre leurs problèmes à leur place. D’ailleurs, au niveau de l’ONU,
personne n’allait le faire, comme en témoigne éloquemment l’expérience du Mali.
En avril 2013, la résolution n° 2100 du Conseil de sécurité a établi la mission de l’ONU au Mali pour stabiliser et « afin
de soutenir les processus politiques dans ce pays ». Pour remplir les nobles tâches décrites dans la résolution, y compris le respect des droits de l’homme, la taille de la mission
a été portée à 17.430 personnes, dont plus de 12.000 « casques bleus » armés (en février 2023). Des fonds énormes ont été dépensés pour leur entretien à partir d’un compte spécial séparé,
dont le budget était approuvé chaque année par l’Assemblée générale. Ainsi, pour la période juillet 2021 – juin 2022, un montant de 1 262 194 200 USD a été alloué. Ce n’est pas une
faute de frappe : un milliard deux cent soixante-deux millions de dollars et plus par an ! Pour une mission de 17.000 personnes…
Outre les Casques bleus, un contingent militaire français a été présent au Mali depuis 2013, qui a été appelé à combattre des groupes terroristes locaux, notamment
ceux affiliés à l’État islamique et à Al-Qaïda (organisations terroristes interdites en Russie ). Dans le même temps, l’objectif principal de Paris était de ramener le Mali sous le contrôle
total de la France, et lorsqu’il est devenu clair que cela ne fonctionnait pas, le président Emmanuel Macron a annoncé le retrait de ses troupes en juin 2021. Et encore une fois, les calculs
ne se sont pas matérialisés : bientôt des spécialistes envoyés par le ministère de la Défense russe ainsi que des membres du groupe Wagner, sont apparus dans cet État ouest-africain.
Le 30 juin 2023, la mission de l’ONU au Mali a été fermée par décision du Conseil de sécurité : ses employés sont tenus de quitter le pays au plus tard le 31
décembre. Bien que la décision de mettre fin au mandat de la mission ait été prise à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, une campagne antirusse s’est développée en
Occident. Le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, a été contraint de faire une déclaration spéciale selon laquelle la publication des médias occidentaux sur le travail
des sociétés de sécurité privées de la Fédération de Russie au Mali vise à perturber la coopération entre les deux pays. Un militant malien des droits de l’homme en fuite, de nationalité
française faut-il le souligner, a fait devant l’ONU un récit où il condamne la situation sécuritaire dans le pays. Il accuse « les nouveaux partenaires militaires russes des dirigeants
maliens » de violations des droits de l’homme. C’est devenu plus tard un « même », mais pour quelques heures seulement.
D’autres zones d’exercice en Afrique : Algérie, Lybie
Il semble que dans le nouveau contexte actuel, la Russie puisse être intéressée, par exemple, à renforcer le rôle de l’Algérie en matière de sécurisation du Sahara,
puisque cet État nord-africain a une expérience significative dans ce domaine et reste un véritable allié de la Russie.
La particularité de la situation en Libye réside dans le fait que le gouvernement est fragmenté et que le pays n’existe pas dans son ensemble. Des forces
extérieures se tiennent derrière chaque groupement, avec leurs intérêts divergents. Mais il est évident que les États-Unis et la Turquie sont unis pour s’opposer à la Fédération de Russie et
empêcher le regain d’influence de Moscou là où ses positions semblaient inébranlables. La réalité est que pratiquement tous ceux qui étaient au pouvoir dans l’ancienne Grande Jamahiriya ne sont
intéressés que par le maintien de ce pouvoir. En même temps, aucun d’entre eux ne témoignent de bons sentiments pour la Russie et l’on ne peut pas compter sur des changements.
Un récent « allié et frère » d’E. Prigozhin – le commandant de l’Armée nationale libyenne (LNA), Khalifa Haftar – a réitéré qu’il n’était intéressé que
par « une
répartition équitable des revenus pétroliers ». Ayant perdu tout espoir de devenir le seul dirigeant – comme l’avait assuré le patron du groupe Wagner avant de se rendre à Tripoli
– Haftar recourt désormais à un moyen éprouvé : le chantage et les menaces. Le 24 juin, il a annoncé qu’il « arrêterait
le flux de pétrole et de gaz, arrêterait leur exportation, en s’adressant aux autorités judiciaires et en rendant une ordonnance de force majeure ». La raison en est le sort
incertain de sept milliards de dollars…
Bien sûr, Wagner n’y est pour rien, mais il convient de noter qu’en janvier, le directeur de la CIA, William Burns, s’est de nouveau rendu en Libye. Lors des
négociations avec Haftar, il a de nouveau soulevé la question selon laquelle le groupe de Prigozhin était “une figure supplémentaire dans ce parti”. Et, selon des sources bien informées, le
citoyen américain Khalifa Haftar est également prêt à négocier sur ce sujet. Surtout dans des circonstances nouvelles.
Pensée critique : Le rôle de l’Afrique dans la nouvelle guerre froide
Les médias occidentaux, dirigés par
les États-Unis, parlaient à peine de l’Afrique sauf pour alerter sur sa soi-disant instabilité perpétuelle mais aujourd’hui, le récit est un train de changer et on assiste à un débat sur
son rôle dans ce que beaucoup ont commencé à appeler « la nouvelle guerre froide ».
Cette lutte mondiale n’est plus une lutte entre le capitalisme et le communisme comme l’ancienne guerre froide mais on peut la simplifier en disant que
c’est une lutte entre le 1% de l’Occident dirigé par les États-Unis qui ne démord pas de l’uni-polarité face au sud mondial dirigé par les BRICS qui promeuvent la multi-polarité.
L’uni-polarité se réfère à la croyance qu’un seul pays ou un seul groupe de pays comme les économies développées occidentales (qui, dans ce contexte
incluent aussi le Japon en tant que membres du G7) doit dominer les relations internationales alors que la multipolarité pense que tous les pays doivent être traités d’égal à égal. La
première est entrées brièvement en vigueur après la dissolution de l’ancienne Union soviétique en 1991 et la seconde a commencé un surgir après la désastreuses invasion occidentale de
l’Irak dirigée par les États-Unis en 2003.
L’Afrique est apparue brusquement sous le radar de l’opinion publique occidentale après que ses gouvernements aient conspiré pour détruire la Libye en 2011
mais peu après, elle a disparu de sa conscience car les médias se sont plus centrés sur le conflit syrien qui a débuté cette année-là et ensuite sur le conflit ukrainien qui a commencé en
2014. Mais la dernière phase du conflit ukrainien provoquée par l’opération militaire spéciale de la Russie a fait que l’Occident a prêté à nouveau plus d’attention à l’Afrique.
Bien que plus de la moitié de ses pays aient voté pour condamner l’opération spéciale de la Russie en Ukraine, aucun d’entre eux n’a respecté la pression
des États-Unis destinée à la sanctionner. De plus, le président de l’Union africaine, Macky Sall, a été d’accord avec le président russe Vladimir Poutine lors de sa visite début juin sur
le fait que les sanctions occidentales contre son pays, dirigées par Washington, étaient responsables de l’aggravation de la crise alimentaire mondiale qui, en réalité, doit son origine à
des événements antérieurs au conflit ukrainien comme la « pandémie de COVID-19 », etc…
Pendant ces dernières semaines, il y a eu une grande activité diplomatique en Afrique. La chef de l’Agence des États-Unis pour le développement
international (USAID), Samantha Power, s’est rendue récemment sur le continent pour convaincre ces pays que le président Sall se trompait et que l’Occident avait raison de rendre la
Russie responsable de cette crise humanitaire imminente. Peu après, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, s’est rendu dans quatre pays où il y a contrecarré de façon
convaincante son faux récit. Le président français Emmanuel Macron s’est aussi rendu en Afrique à ce moment-là pour rouspéter contre la Russie.
Le secrétaire d’État nord américain Anthony Blinken finit également un voyage là-bas, ce qui a conduit beaucoup d’observateurs à conclure qu’actuellement il
y a une lutte enflammée pour l’influence sur tout le continent, exactement comme c’était arrivé auparavant pendant l’ancienne guerre froide. À la différence de cette époque-là, la
compétition ne se situe pas entre des idéologies mais entre le modèle idéal de relations internationales : le 1% de l’Occident, dirigé par les États-Unis, défend l’uni polarité alors que
le sud mondial, dirigée par les BRICS soutient la multi-polarité.
Mais revenons au rôle de l’Afrique dans la nouvelle guerre froide. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles elle est en train d’acquérir de plus en plus
d’importance et de devenir une scène de compétition entre la Russie et l’Occident. Premièrement, ses plus de 50 pays constituent un bloc impressionnant de vote à l’ONU, et on en déduit
que Moscou et ses rivaux cherchent à ce qu’ils soutiennent leurs interprétations quelles qu’elles soient pour pouvoir montrer au reste de la communauté internationale que tel nombre
d’États soutient ses opinions.
Deuxièmement, on s’attend à ce que l’Afrique ait une croissance démographique rapide tout au long du siècle prochain, ce qui pourrait se traduire par un
énorme marché potentiel. Troisièmement, cela peut contribuer à ce que certains pays comme l’Éthiopie, le Nigeria et l’Afrique du Sud deviennent réellement des pays importants avec une
influence de grande portée dans leur propre masse terrestre et éventuellement même au-delà. Quatrièmement, des pays importants comme la Russie et ses rivaux occidentaux ont intérêt à
établir des associations stratégiques avec leurs homologues émergeants précocement.
Et enfin, la dernière raison se réduit à la base idéologique de la nouvelle guerre froide concernant la diffusion de la vision du monde de chaque partie en
Afrique. Pour l’expliquer, le 1% dirigé par les États-Unis veut conserver son hégémonie impériale sur les pays qu’il considère être à l’intérieur de ce qu’il appelle « sa zone d’influence
» alors que le sud mondial dirigé par les BRICS (dans cette situation représentés par la Russie) veut les aider à compléter pleinement leur processus de décolonisation comme l’a promis
récemment le ministre des Affaires étrangères Lavrov.
Ces grands objectifs stratégiques à long terme sont incompatibles entre eux puisque le premier consiste à perpétuer la servitude dans les conditions
actuelles alors que le second consiste à libérer les nations étrangères de cette influence hégémonique pernicieuse. En réalité, c’est le 1% et non le sud mondial comme l’affirment les
médias occidentaux qui se sert de la corruption comme arme et livre des guerres par délégation (proxy wars) pour promouvoir ses intérêts en Afrique, ce qui le rend extrêmement
dangereux.
Mais l’Afrique est destinée à jouer un rôle important dans la transition systémique mondiale vers la multipolarité bien que certains pays puissent avoir des
difficultés à se libérer complètement du joug néocolonial de l’Occident. Par conséquent, on peut dire que l’importance du continent dans la nouvelle guerre froide est qu’il est la scène
d’un nouveau mouvement de libération nationale inspiré de son prédécesseur de la vieille guerre froide. Comme alors, l’Occident soutient l’hégémonie coloniale alors que la Russie soutient
la véritable liberté.
La nouvelle conquête de l’Afrique par l’occident. Que penser de cette nouvelle bataille hégémonique ? Faut-il avoir peur de cette nouvelle guerre froide dont l’Afrique est l’un des
théâtres ? Qui est le partenaire le plus intéressant ?
Partie 3 : La démocratie à géométrie variable de l’Occident
Comment peut on vanter les vertus de la démocratie, lancer des guerres pour la défendre, et dans le même temps dresser le tapis rouge à ses plus ardents détracteurs ?