Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.
Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).
Le président Biden nous rejoue le « péril jaune » : la Chine volerait nos
brevets, entretiendrait la corruption et détruirait l’environnement avant de nous imposer par la force son régime totalitaire. Heureusement les États-Unis et l’Otan protégeraient les démocraties
et la paix. Mais alors comment expliquer l’alliance entre Beijing et Moscou qui devrait ressentir la même peur ? Ce serait simplement l’« alliance des
dictatures ». Pour toute personne ayant vécu la Guerre froide, cette narration sonne faux.
Le projet chinois des routes de la soie est un succès mondial. Malgré toutes les critiques émisses (corruption des élites locales, endettement des pays
partenaires, atteintes aux droits environnementaux), les pays qui y participent connaissent une forte croissance.
Comment ne pas s’étonner que les programmes d’aide au développement des Occidentaux n’y soit pas parvenus depuis la décolonisation ?
Et surtout, comment ne pas s’étonner, qu’après avoir durant des décennies vanté les mérites pour tous des échanges internationaux, l’Occident dénonce ce
succès ?
Les relations entre l’Occident et la Chine au XXIème siècle ne sont pas une succession de qui-pro-quo, mais de méprises à sens unique. Les États-Unis refusent
de comprendre le mode de pensée chinois et ne cessent de projeter leurs propres défauts sur Beijing.
CONCURRENCER LES ROUTES DE LA SOIE
Le président Joe Biden, rompant avec la politique de son prédécesseur Donald Trump, a annoncé que les États-Unis « concurrenceraient » la Chine,
provoquant des cris d’orfraie à Beijing. Il a convaincu le G7 de se lancer dans la bataille pour maintenir « l’avance des démocraties » sur le système « totalitaire »
chinois. C’est le projet « Reconstruire un monde meilleur » (Build Back Better World — B3W). Obéissant à son injonction, l’Union européenne
commence à déployer son contre-projet de « Passerelle mondiale » (Global Gateway). Demain, le président Biden présidera un sommet mondial
sur la démocratie avec la participation de Taïwan (l’ancienne dictature de Tchang Kaï-chek) pour donner un contenu idéologique à cet affrontement.
Dans notre imaginaire, la Guerre froide opposait l’URSS athée à l’Occident croyant, ou encore le communisme au capitalisme. Dans la réalité, il s’agissait
d’empêcher un bloc de culture collectiviste d’exercer une influence économique dans le bloc contrôlé par les Anglo-Saxons de culture individualiste. Cette fois-ci, il ne s’agira plus de
prétendre défendre le droit d’exercer une religion et la libre entreprise, mais de défendre la démocratie. En définitive, il s’agit toujours de caricaturer une puissance capable de rivaliser
économiquement avec les Anglo-Saxons, hier l’URSS, aujourd’hui la Chine.
LE « PIÈGE DE THUCYDIDE »
Les Anglo-Saxons définissent ce moment politique comme le piège de Thucydide, par référence à l’historien antique
qui écrivit l’histoire des guerres du Péloponese. En 2017, un célèbre politologue états-unien, le professeur Graham Allison, expliqua que « Ce qui rendit la guerre inévitable était la
croissance du pouvoir athénien et la peur qui en résultait à Sparte ». Identiquement, le développement de la Chine affole l’« Empire américain » qui se préparent à la
guerre [1]. Peu importe que ce raisonnement ignore les différences
culturelles et applique un concept grec à la Chine. Washington en est persuadé. Il se sait menacé par Beijing.
Si le professeur Alllison n’avait pas été un des conseillers de Caspar Weinberger au Pentagone durant les années 80 et s’il avait été plus cultivé, il aurait
compris que les Chinois ne raisonnent pas du tout comme les États-uniens. Il aurait écouté Beijing protestant contre tout projet concurrentiel et prônant des accords
« gagnant-gagnant ». Il n’aurait pas interprété cette formule dans le sens anglo-saxon, c’est-à-dire assurer le succès de l’un sans léser l’autre, mais dans le sens chinois. Jadis
lorsque l’Empereur prenait une décision, il ne pouvait la faire appliquer dans ses provinces que s’il veillait à ce que chacune y trouve son compte. Comme certains de ses décrets n’avaient
aucun impact dans telle ou telle province, il devait créer quelque chose pour y intéresser celle-ci. Le pouvoir de l’empereur ne pouvait se maintenir que s’il ne laissait personne à l’écart,
y compris le plus petit.
Aujourd’hui, chaque fois que Washington parle de « concurrence » avec Beijing, la Chine répond qu’il n’en est pas question, qu’elle n’accepte aucune
rivalité, ni guerre, mais vise l’harmonie entre tous à travers des relations gagnant-gagnant.
LA « FOURBERIE » CHINOISE
On pourrait croire que les Occidentaux sont affolés du soudain développement économique de la Chine. L’accord conclu entre Deng Xiaoping et les multinationales
US a profité aux salaires les plus bas et engendré un vaste mouvement de délocalisation des usines occidentales vers la Chine. Les classes moyennes disparaissent en Occident alors qu’elles se
sont développées en Chine, et maintenant dans presque toute l’Asie. La Commission européenne, qui se réjouissait, il y a vingt ans, de ce phénomène a commencé en 2009 a critiquer
l’organisation de l’économie chinoise. En réalité, ces critiques existaient avant, ce qui a changé en 2009, c’est qu’elles sont devenues de la compétence de Bruxelles en vertu du Traité de
Lisbonne. Selon les cas, elles portent sur le vol des brevets, le non-respect des normes environnementales ou encore sur le nationalisme économique chinois.
L’acquisition des savoir-faire occidentaux est parfaitement assumé par Beijing. Les brevets sont une pratique relativement nouvelle dans le monde. Ils ont été
inventés il y a deux siècles en Europe. Jusque là, on considérait que nul n’était propriétaire d’une invention ; qu’elle devait profiter à tous. Les Chinois le considèrent toujours.
N’ayant nullement l’intention de voler qui que ce soit, ils signent des accords commerciaux avec transfert de technologie. Puis ils les gardent et les développent.
Dans les années précédentes, les Occidentaux délocalisaient leurs industries polluantes en Chine. Aujourd’hui ils s’offusquent que ce pays ait des normes
environnementales plus basses que les leurs, mais n’ont pas pour autant l’intention de rapatrier chez eux des industries polluantes. La méprise culturelle a atteint un sommet lors de la
récente COP26 de Glasgow. Les Occidentaux exigent de décarbonner l’économie mondiale alors que les Chinois entendent lutter contre la pollution. Beijing a donc signé une déclaration
commune [2] avec Washington pour montrer qu’il ne voulait pas vexer
les États-Unis. Celle-ci assure que les deux pays sont sur la même ligne sans clarifier quoi que ce soit et sans prendre le moindre engagement concret. Jamais un diplomate chinois n’a dit non
à personne, d’ailleurs ce mot n’existe pas dans sa langue. D’un point de vue chinois, cette déclaration commune est un « Non » diplomatique, d’un point de vue états-unien, c’est la
preuve que le monde entier croit à la cause anthropique du réchauffement climatique.
Quant aux accusations de nationalisme économique, les Chinois ne s’en sont jamais cachés : ils sont nationalistes et n’ont toujours pas digéré le
colonialisme dont ils ont fait l’objet. S’ils se sont convertis au capitalisme dans les échanges internationaux, ils restent nationalistes dans leur production.
Il n’y a jamais eu ni tromperie, ni même volonté de tromper, de la part des Chinois ; simplement la suffisance des États-Unis et de leurs partenaires à
croire que tout le monde raisonne comme eux, à mépriser les discrètes mises en garde que Beijing leur adressait.
L’« IMPÉRIALISME » CHINOIS
La méprise la plus importante concerne le développement militaire de la Chine. En moins d’une dizaine d’années, Beijing s’est mis à produire à la chaine des
armes très sophistiquées. L’armée populaire, qui par le passé était avant tout une main d’œuvre au service de la collectivité, est aujourd’hui un corps d’élite. Le service militaire est
obligatoire pour tous, mais seuls les meilleurs des meilleurs peuvent espérer l’accomplir et profiter des avantages qu’il confère. Il y a quelques années, d’un point de vue militaire, la
Chine ne valait que par son nombre, aujourd’hui, elle dispose de la première marine au monde et est capable de rendre sourdes et aveugles les armées de l’Otan en pulvérisant ses
satellites.
Mais à quoi peut-elle destiner cette débauche d’hommes et d’armes ? La Chine a investi des sommes astronomiques pour construire les routes de la soie à
l’étranger. Elle doit assurer la sécurité de son personnel et de ses investissements dans des pays lointains. En outre, comme dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, elle devra assurer en
permanence la sécurité sur ces routes. Ses bases militaires à l’étranger visent uniquement ces deux buts et aucunement à rivaliser avec les États-Unis ou à envahir la planète. Par exemple, sa
base de Djibouti lui a permis de sécuriser son approvisionnement maritime face aux pirates somaliens. Au passage, on notera que Beijing et Moscou y sont rapidement parvenus, tandis que
l’Otan, qui s’était attribué la même mission, y a totalement échoué [3].
Beijing entend ne plus revivre son dépècement par les Traités inégaux qui lui valurent d’être occupé et pillé par huit puissances étrangères (Allemagne,
Autriche-Hongrie, Belgique, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Russie). Il est donc parfaitement légitime qu’elle s’arme à la hauteur de ce que ces puissances sont devenues.
Cela ne veut en aucun cas dire qu’elle entend agir comme elles, mais qu’elle entend se protéger d’elles.
L’industrie de l’armement
américaine a besoin d’ennemis. Sans ceux-ci, il est difficile de justifier un budget de guerre en constante augmentation. L’ennemi le plus lucratif, outre la Russie, est bien sûr la
Chine.
Mais il y a un problème.
La Chine n’a aucun intérêt à être un ennemi des États-Unis et certainement pas à être l’ennemi numéro 1. À ses yeux, cela ne fait qu’absorber des ressources qui seraient mieux utilisées
ailleurs.
C’est la raison pour
laquelle la Chine évite de discuter avec les États-Unis de sujets militaires et stratégiques.
Le chroniqueur de la CIA, David Ignatius, s’en désole :
ASPEN, Colorado – L’ambassadeur chinois, Qin Gang, a assuré cette semaine lors d’une réunion de politique étrangère que Pékin souhaitait « réduire les malentendus et les erreurs de
calcul » avec les États-Unis. Si c’est vrai, pourquoi la Chine continue-t-elle de résister à une proposition américaine de discuter de la « stabilité stratégique » entre les
deux pays de plus en plus en compétition ?
Qu’est-ce que des discussions sur la « stabilité stratégique » ont à voir avec la réduction des
malentendus et des erreurs de calcul ? Ce dernier objectif peut être atteint dans le cadre de discussions très simples et de bas niveau entre ambassadeurs ou politiciens. Ils n’ont rien de
« stratégiques« .
Le président Biden a déclaré mercredi, avant l’annonce du diagnostic de sa maladie, qu’il s’attendait à s’entretenir avec le dirigeant chinois Xi Jinping dans
les dix prochains jours. Un haut responsable de l’administration a indiqué que le président insisterait à nouveau sur les risques que pourraient subir leur relation et sur la nécessité
d’établir une meilleure communication. Mais, jusqu’à présent, le responsable a déclaré que les Chinois « n’ont pas accepté » la
proposition des États-Unis concernant les pourparlers sur la stabilité.
Les Chinois ne voient pas et ne veulent pas d’instabilité, il n’y a donc pas besoin d’en parler. Ce qu’ils voient, c’est une astuce américaine qui permettrait de
désigner la Chine comme un « ennemi« .
Le paragraphe suivant d’Ignatius le démontre :
Cette difficulté à développer un dialogue sino-américain sur les questions stratégiques a frustré l’administration Biden. Une leçon importante de la guerre
froide est que les superpuissances dotées d’armes nucléaires doivent communiquer pour éviter des erreurs dangereuses. Mais la Chine a résisté aux pourparlers sur la maîtrise des armements
alors même qu’elle développait son arsenal nucléaire et, par conséquent, elle n’a pas appris un langage commun pour la gestion des crises, au contraire de l’Union soviétique à
l’époque.
La Chine n’est pas en guerre froide avec les États-Unis. Elle ne se considère pas comme un ennemi des États-Unis. Il n’y a donc aucune raison de parler en langage
de guerre froide :
Biden a proposé ces entretiens pour la première fois lors d’un sommet virtuel avec M. Xi en novembre dernier, déclarant que les deux pays avaient besoin de
« garde-fous de bon sens
pour s’assurer que la concurrence ne dégénère pas en conflit« , selon une déclaration de la Maison Blanche à l’époque. Les points à l’ordre du jour de ces discussions
comprendraient l’élargissement d’un accord de 1998 visant à éviter les incidents maritimes, des mesures visant à éviter les activités militaires dangereuses, ainsi que des plans pour une
ligne d’assistance téléphonique et d’autres mesures de communication de crise, a déclaré le responsable de l’administration.
S’il y avait plus d’accords contre les incidents et les activités militaires, les États-Unis seraient-ils plus ou moins agressifs dans leur action contre la Chine
?
Pourquoi les États-Unis veulent-ils une ligne directe et une communication de crise ? Cela ne les aideraient-ils pas à provoquer plus d’incidents qu’ils n’osent le
faire sans eux ?
Plutôt que d’adopter ce que l’ancien Premier ministre australien et spécialiste de la Chine, Kevin Rudd, appelle la « concurrence stratégique gérée« ,
dans un nouvel article du Foreign Affairs, Pékin insiste pour
que les États-Unis reviennent à leurs anciennes politiques d’engagement de soutien, qui ont facilité l’ascension de la Chine. Comme presque tous les autres diplomates chinois que j’ai
rencontrés au cours de la dernière décennie, Qin a souvent répété l’expression « coopération gagnant-gagnante« ,
que la Chine considère comme une panacée pour ses relations de plus en plus tendues avec Washington.
Qu’y a-t-il de mal à une « coopération gagnant-gagnante » ? Pourquoi la
remplacer par une « concurrence
stratégique » ?
En tant que superpuissance, la Chine veut jouer sur les deux tableaux : montrer ses muscles sans être perçue comme une brute. Xi a été explicite
dans ses plans « Made in China 2025 » visant à
dominer les principales technologies. Mais la Chine « a du mal à reconnaître que la relation [avec
les États-Unis] est compétitive« , a déclaré le haut fonctionnaire de l’administration. Au lieu de cela, elle répond aux critiques des États-Unis et des puissances régionales
asiatiques avec un ton blessé, comme pour dire « Qui, nous ?« .
Beaucoup de pays ont beaucoup de projets pour avoir une position dominante dans les principales technologies. Les Pays-Bas (et l’Allemagne) ont une telle domination
dans la lithographie à ultraviolets extrêmes (EUV), nécessaire à la fabrication des puces informatiques modernes, ainsi que dans plusieurs autres domaines. D’autres pays, la France, la Corée du
Sud, le Japon, la Russie, les États-Unis, ont d’autres secteurs industriels dans lesquels ils sont dominants au niveau mondial. C’est là le fonctionnement normal du capitalisme mondial, dans
lequel les pays cherchent à faire de leur mieux, non pas dans tous les domaines, mais dans ceux où ils sont les meilleurs.
L’élaboration d’une politique sino-américaine forte et durable reste le plus grand défi à long terme de l’administration Biden, malgré les préoccupations
actuelles liées à la guerre en Ukraine. Pékin est le seul concurrent qui pourrait véritablement défier les États-Unis sur le plan militaire, estiment les responsables. Mais l’Ukraine a compliqué
la politique américano-chinoise – pour les deux parties.
Nous en venons maintenant au fait. Comment la Chine pourrait-elle véritablement défier les États-Unis militairement ? En envahissant le Mexique et le Canada ou avec
une grande force de débarquement qui menace Los Angeles et New York ? Pourquoi la Chine voudrait-elle faire cela ?
Xi a été surpris que l’administration Biden, dont les Chinois s’attendaient à ce qu’elle soit faible et inefficace à l’étranger, ait été capable de rallier un
soutien mondial à l’Ukraine. Mais malgré la crainte de Xi d’encourir des sanctions, il reste fermement aligné sur le président russe Vladimir Poutine, a déclaré le haut fonctionnaire de
l’administration. Les espoirs que la guerre puisse encourager une rupture entre Pékin et Moscou étaient exagérés.
Ignatius a oublié de prendre ses médicaments. Son « soutien mondial » se restreint à l’OTAN, l’UE et la
coopération en matière d’espionnage entre les five
eyes. Il s’agit d’environ 34 pays sur les 193 États membres de l’ONU. Pourquoi quelqu’un s’attendait-il à ce que la Chine n’adopte pas la position neutre adoptée par la majorité ? Ceux qui
l’ont pensé devraient être renvoyés à l’école pour apprendre un peu de rationalité.
Assez avec ce gloubi-boulga. Ignatius, comme beaucoup d’autres personnes dans la bulle de Washington DC, ne comprend pas la Chine et ne fait aucun effort pour la
comprendre. Ces personnes ne font que refléter ce qu’elles pensent que les États-Unis feraient et le projettent sur un pays qui pense de manière très différente.
Elbridge Colby est un autre exemple de ces « analystes » :
Dans son ouvrage The Strategy of Denial, Elbridge Colby
propose un plan pour contenir et combattre la montée en puissance de la Chine afin de préserver la liberté, la prospérité et la sécurité des Américains – l’accent étant mis sur la sécurité.
L’argument repose sur une vision très spécifique des plans de la Chine, que Colby ne tente pas de relier à la politique ou à la stratégie chinoise réelle, pour atteindre l’hégémonie en Asie
de l’Est. Les prescriptions qui en résultent, bien qu’elles aient été louées par certains, sont fatalement erronées.
Colby, secrétaire adjoint à la défense pour la stratégie et le développement des forces de 2017 à 2018, estime que
la Chine pourrait poursuivre une « stratégie ciblée et
séquentielle » de « menaces ou de guerre réelles contre des membres isolés de la
coalition« , en commençant par Taïwan. Il craint que Pékin ne le fasse d’une manière qui ne déclenche pas de guerre régionale mais qui aboutisse à l’hégémonie chinoise en
Asie.
Pour éviter cela, Colby pense que les États-Unis doivent poursuivre une « stratégie de déni » afin de
préserver leur domination en Asie.
Le problème est qu’il n’existe aucune preuve de l’existence d’une véritable « politique ou stratégie chinoise visant à atteindre l’hégémonie en
Asie de l’Est« .
Colby ne fournit aucun indice à ce sujet. Il a inventé cette « menace » parce qu’il pense que c’est ce que les États-Unis
feraient s’ils étaient la Chine.
Le défaut le plus flagrant est que Colby se base sur ce qu’il pense que la stratégie de la Chine devrait être, et non sur les indices de ce qu’elle est
réellement. Il s’agit là d’une approche particulièrement mauvaise de l’analyse, car elle permet d’introduire facilement des biais ou de la spéculation dans les prévisions du comportement de
l’adversaire.
Une bonne stratégie de défense nécessite de comprendre comment l’adversaire prévoit de se battre. Pourtant, il ne
s’engage pas dans la doctrine militaire chinoise, la pensée stratégique chinoise ou le débat robuste aux États-Unis sur la stratégie et les ambitions de la Chine. Au lieu de cela, il soutient
qu’en raison de l’incertitude concernant la stratégie de la Chine, les États-Unis devraient simplement se concentrer sur la « meilleure stratégie » de la Chine
pour gagner l’Asie. Selon Colby, « la meilleure stratégie d’un État ne dépend
pas en fin de compte de ce que ses dirigeants pensent qu’elle est« , car elle est liée à la « réalité objective. »
L’analyse de Colby est totalement erronée.
Construire une réponse en fonction de la « meilleure stratégie » d’un
adversaire, c’est aussi avoir beaucoup plus de chances de ne pas voir ce que fait réellement cet adversaire. Colby défend son approche consistant à élaborer une stratégie basée sur la
« meilleure »
stratégie de la Chine en affirmant que « vaincre une mauvaise stratégie est plus
facile et moins coûteux que vaincre une bonne stratégie« . Par conséquent, si les États-Unis se préparent à la meilleure stratégie de la Chine, toute stratégie chinoise réelle
devrait être encore plus facile à gérer.
En réalité, la posture de défense et les investissements nécessaires pour vaincre la « meilleure » stratégie d’un
adversaire pourraient être sensiblement différents de ceux nécessaires pour vaincre la deuxième meilleure stratégie d’un adversaire.
Le livre de Colby ne porte pas sur la stratégie, mais sur le fait de dépenser autant d’argent que possible pour une position américaine d’agression envers la Chine :
Colby propose qu’une coalition dirigée par les Américains impose à la Chine une stratégie de déni, bloquant la capacité de la Chine à traverser les 80 miles du
détroit de Taïwan. Comment mettre la cloche sur le chat ?
« Les forces de défense opérant à partir d’une
posture de force distribuée et résiliente, dans tous les domaines de combat, pourraient utiliser une variété de méthodes pour émousser l’invasion chinoise dans les airs et les mers entourant
Taïwan. »
Les États-Unis et leurs alliés pourraient « chercher à neutraliser ou à détruire les
navires de transport et les avions chinois avant qu’ils ne quittent les ports ou les pistes d’atterrissage chinois. Les défenseurs pourraient également essayer d’obstruer les ports clés, de
neutraliser les éléments clés du commandement et du contrôle chinois… Et une fois que les forces chinoises sont entrées dans le détroit, les forces américaines et les forces de défense
pourraient utiliser diverses méthodes pour neutraliser ou détruire les navires de transport et les avions chinois. »
Colby laisse parler son imagination pour les moyens que nous pourrions employer ici.
Comme le premier critique du livre de Colby, celui-ci critique également sa position de départ, non basée sur les faits :
Ce n’est pas tant que Colby donne les mauvaises réponses. C’est qu’il ne pose pas de questions pertinentes sur les intentions et les capacités technologiques de
la Chine. Au lieu de cela, il nous offre un pastiche de généralités qui obscurcissent plutôt qu’elles ne clarifient les questions stratégiques en jeu.
En bref, Colby dépeint la Chine comme une puissance expansionniste désireuse d’absorber des territoires, citant à
une demi-douzaine d’occasions les prétendues visées chinoises sur les Philippines et Taïwan – comme si l’intérêt de la Chine pour les Philippines était équivalent à son intérêt pour
Taïwan.
Utiliser des ordures ne pouvant produire qu’une ordure, agrémenté de fantasmes militaristes, tout cela ne constitue pas une bonne stratégie.
Le problème est que dans la prochaine administration républicaine, Colby aura probablement un autre poste élevé au Pentagone.
Du coup, ses stupides analyses sont un danger pour le monde entier.
Moon of
Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
La quatrième révolution industrielle chinoise ébranle les valeurs technologiques étasuniennes
Le véhicule électrique de BYD à 11 400 $ et les
progrès de Huawei dans le domaine des logiciels de planification des ressources d’entreprise nuisent à Tesla et à Cisco.
Par David P. Goldman – Le 22 Avril 2023 – Source AsiaTimes
Deux des valeurs technologiques américaines les moins performantes de
la semaine – Cisco et Tesla – ont un point commun : elles se sont toutes deux heurtées à la concurrence chinoise. À l’ouverture de la bourse de New York le 21 avril, Tesla avait perdu plus de 12
% au cours de la semaine et Cisco plus de 8,1 %.
BYD, le concurrent
chinois de Tesla, a annoncé un véhicule électrique à 11 400 dollars, ce qui représente un défi pour l’offre la moins chère de Tesla, qui est d’environ 33 000 dollars.
Huawei a annoncé qu’elle avait adopté son propre logiciel
de planification des ressources de l’entreprise (ERP), après que les sanctions américaines de 2019 lui ont coupé l’accès aux systèmes américains. Huawei est en concurrence avec Cisco
dans les réseaux locaux sans fil (LAN),
les commutateurs
Ethernet, les routeurs et
autres technologies de communication.
Le véhicule électrique Seagull de
BYD, d’une valeur de 78 000 yuans (11 400 dollars), qui offre un rayon de 300 miles [480 km] et une accélération de 0 à 60 mph en cinq secondes, a volé la vedette au salon de l’automobile de
Shanghai la semaine dernière, selon les sites web de l’industrie. C’est la moitié du prix de base de la Nissan Leaf ou de la Chevrolet Bolt, ce qui fait de la Seagull le véhicule électrique le
moins cher au monde – devenant ainsi la Ford Model T du 21e siècle. BYD affirme qu’elle exportera 300 000 véhicules cette année, soit six fois plus qu’en 2022.
La Chine a produit 27 millions de voitures en 2022, contre 10 millions aux États-Unis, 7,8 millions au Japon, 5,5 millions en Inde et 3,7 millions en Corée du Sud
et en Allemagne. Avec un chiffre d’affaires de près de 3 000 milliards de dollars, le secteur automobile est de loin la plus grande industrie manufacturière du monde.
Les constructeurs automobiles chinois constituent un laboratoire national pour les technologies dites de la quatrième révolution industrielle, et la domination de
la Chine dans le domaine des batteries pour véhicules électriques constitue un avantage supplémentaire. La combinaison de la robotique et de l’intelligence artificielle, y compris le contrôle de
la qualité et la maintenance préventive, pourrait faire s’effondrer la structure des coûts de la production automobile, et la Chine est très en avance sur le reste du monde dans ce
domaine.
Selon un porte-parole de Huawei, 6 000 réseaux 5G dédiés ont déjà été installés dans des usines chinoises. La grande capacité d’information et le temps de réponse
rapide de la 5G permettent des applications d’IA dans la fabrication – par exemple, la transmission d’un très grand nombre d’images vers le Cloud pour un traitement en temps réel afin d’améliorer
le contrôle de la qualité. Huawei introduit ce que l’on appelle la 5.5G, une amélioration qui augmente d’un tiers le débit d’information, parce que les applications d’IA mettent déjà à rude
épreuve la capacité des systèmes 5G.
Le Seagull bon marché de BYD est un signe de changement. Aux États-Unis, une voiture neuve coûte en moyenne 48 000 dollars, soit à peu près le même montant que le
revenu annuel disponible moyen. Le prix de 11 400 dollars de la nouvelle voiture de BYD est légèrement inférieur au revenu disponible moyen en Chine et légèrement supérieur au revenu disponible
de 7 000 dollars au Brésil.
La fabrication dans le cadre de l’industrie 4.0 pourrait faire chuter le coût des véhicules d’entrée de gamme au point que les familles moyennes des pays du Sud
puissent se les offrir, de la même manière que la chaîne de montage d’Henry Ford a mis le modèle T à la portée de la famille américaine moyenne en 1907.
En mars, les exportations chinoises ont bondi de 14 % d’une année sur l’autre, tirées par une hausse de 35 % des exportations vers l’Asie du Sud-Est, les
infrastructures numériques et physiques étant en tête de liste. Si la Chine parvient à faire fortement chuter la structure des coûts de fabrication, son marché d’exportation continuera à se
développer, de même que les activités des entreprises à l’étranger. BYD, par exemple, tente de reprendre l’usine Ford de Bahia, au Brésil, qui a été abandonnée.
Grâce à ses vastes économies d’échelle, la Chine peut réaliser des économies de coûts qui mettent en péril l’industrie automobile des marchés développés. Elle est
en train de rattraper les États-Unis dans certaines des poches d’excellence qui subsistent dans ce pays, notamment les logiciels d’entreprise.
L’annonce par Huawei de son propre système ERP illustre le risque de boycott technologique. Dépendant des logiciels américains jusqu’en 2019, Huawei dispose
désormais d’un système, « MetaERP »,
qu’il peut vendre de manière compétitive, prenant ainsi des parts de marché à l’Américain Oracle et à l’Allemand SAP.
Le 20 avril, Huawei organisait à son centre de Dongguan une cérémonie de remise de prix à l’équipe Meta ERP, sous la rubrique « Héros se battant pour traverser la rivière Dadu« , selon un
communiqué de presse de l’entreprise. Cela fait référence à la bataille du pont de Luding en 1935, une victoire des forces communistes, pourtant en infériorité numérique, quand elles étaient
poursuivies par l’armée nationaliste pendant la Longue Marche.
Les analogies avec la guerre civile chinoise abondent dans la littérature économique du pays. L’industrie chinoise des semi-conducteurs, principale cible des
contrôles technologiques américains, dominera la production des nœuds matures (14 nanomètres et plus), selon Chen
Feng, chroniqueur à l' »Observer« . En
surpassant l’Occident dans le segment mature du marché, la Chine se positionnera pour le défier dans le segment haut de gamme du marché.
Chen Feng écrivait en février : « Les puces de milieu et de bas de gamme sont encore rentables, mais la
Chine ne se contentera pas de ce segment de marché. Au contraire, elle s’appuiera sur les puces de milieu et de bas de gamme pour développer les puces haut de gamme. Il s’agit là d’un
développement durable. L’industrie sidérurgique chinoise, qui écrase le monde, a été construite de cette manière. Qu’il s’agisse de l’époque de la guerre révolutionnaire [guerre civile chinoise]
ou de l’économie mondiale, l’encerclement des villes à partir des campagnes a été l’expérience la plus réussie de la Chine. »
David P.
Goldman
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.