Les Mardis de Geopragma reçoivent le Général (2S) Daniel Schaeffer, Saint-Cyrien,
breveté de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique, maître en chinois, ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine. Observateur de la situation stratégique en
Extrême orient, il est aujourd’hui membre du groupe de réflexion Asie21.
Afin de préparer le débat qui suivra l’intervention du Général (2S) Schaeffer, nous vous invitons à lire son analyse « Avant
que ne saute le verrou taïwanais », parue dans Asie 21.
Par le général (2s) Daniel Schaeffer, membre du groupe de réflexion Asie21-futuribles (www.asie21.com)
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Il est désormais de notoriété internationale que la Chine maintient contre vents et marées sa prétention sur la
quasi-totalité de la mer de Chine du Sud, soit 80 à 90% d’un espace marin dont la superficie équivaut approximativement à celle de la mer Méditerranée. Cette prétention est délimitée par un
tracé en neuf traits, qui trouve son origine en 1947, à l’époque où la Chine était encore sous régime nationaliste[1]. Or cette ligne a été déclarée « sans effet légal », donc illégale, par la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye le 12 juillet 2016. La sentence
prononcée à cette date arrive après trois années au cours desquelles cinq juges dûment accrédités conduisent avec diligence l’examen d’un « mémoire en demande », présenté par les
Philippines le 22 janvier 2013. Pour ce faire Manille s’appuyait sur l’article 287 et l’annexe VII de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui codifient les
conditions permettant d’engager une « procédure d’arbitrage obligatoire » auprès d’une instance internationalement reconnue. Les motifs de la démarche : après bien des années
de palabres, c’est la lassitude de Manille de voir les Chinois s’installer et opérer dans sa zone économique exclusive (ZEE), en contravention totale avec les dispositions de la CNUDM.
Or la Chine persiste à refuser le jugement rendu et continue de multiples manières à renforcer son emprise sur cet
espace délimité par le tracé en neuf traits, espace qu’elle dénomme Nanhai Zhudao, ou « Groupe insulaire de la mer de Chine du Sud ». Ce « groupe » ne couvre pas seulement
toutes les îles et autres socles rocheux qui parsèment cette mer, tous en contentieux entre la Chine et plusieurs autres riverains, Vietnam, Malaisie, Brunei, Philippines, mais aussi toutes
les eaux qui, à partir de ces îles s’étendent jusqu’aux limites des mers territoriales de ces derniers et à celle de l’Indonésie.
L’enjeu des
hydrocarbures
Depuis que le problème existe de nombreux observateurs considèrent que la persistance des ambitions chinoises est liée à
la volonté de Pékin de s’emparer des richesses en hydrocarbures que renferme le plateau continental global, plateau qui borde une large ellipse centrale de haute mer dont la profondeur
décroit régulièrement de 800 vers 3 000 mètres. Si l’on en juge par les activités chinoises de coercition menées par intermittence, parfois intensément, contre le Vietnam, la Malaisie,
les Philippines et l’Indonésie dans les ZEE respectives de ces quatre pays depuis 2006, partout où la prétention chinoise les recouvre[2], l’on pourrait effectivement en conclure que ce sont bien lesdites richesses auxquelles les Chinois veulent seuls accéder.
Carte 2 – le chevauchement des
ZEE des riverains par les prétentions chinoises
L’enjeu des ressources
halieutiques
Mais, comme certains autres analystes, l’on peut avancer aussi que la tyrannie de la Chine est liée aux besoins du pays
en ressources halieutiques. Effectivement chaque année, du 1er mai au 16 août, elle impose
en mer de Chine du Sud un moratoire sur l’exercice de la pêche au nord du 12ème parallèle. L’objectif est de
permettre le renouvellement des espèces, surexploitées dans ces mers. L’intention est louable mais la décision est prise arbitrairement sans aucune concertation avec les autres riverains,
tous concernés en premier chef. Il en est de même pour d’autres secteurs définis quelque peu différemment en mer de Chine de l’Est et dans tout le détroit de Taiwan[3]. Sur ces deux derniers espaces marins le moratoire est même prolongé jusqu’au 16 septembre. En outre et en saison normale d’activités les flottilles chinoises de pêche,
dont une partie est constituée des milices navales, ne se privent pas d’aller exercer leurs activités dans les ZEE des quatre pays concernés ainsi que dans la ZEE indonésienne.
Carte 3 – Zones d’application
du moratoire annuel chinois sur la pêche (les zones en vert sont les plus poissonneuse des trois espaces marins semi-fermés extrême-orientaux)
L’on pourrait dire aussi que c’est pour protéger ses approvisionnements en hydrocarbures, en matières premières, en
produits divers importés, qui transitent par ce segment de ligne maritime commerciale que constitue la mer de Chine du Sud, que Pékin entend vouloir y exercer le droit de l’Etat en mer.
Logique dès lors qu’il considère Nanhai Zhudao comme sa mer territoriale. Et pour entretenir la fiction, ce n’est pas la marine de l’armée populaire de libération (MAPL) qui est investie de
cette mission de sécurité et de contrôle de la navigation internationale in situ, mais les garde-côtes, une force paramilitaire dont de nombreux moyens équivalent à ceux de la MAPL. La
capacité d’intervention des garde-côtes vient d’être renforcée le 22 janvier 2021 avec la promulgation de la « loi sur la police maritime de la République populaire de Chine ». Elle
est entrée en vigueur le 1er février et elle s’appliquera
« dans et au-dessus des zones maritimes sous la juridiction de la République populaire de Chine » (article 3 de la loi). Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour ne pas se
laisser abuser par cette formulation imprécise. La Chine a déjà publié suffisamment de textes sur l’administration de Nanhai Zhudao à partir de la quasi-préfecture implantée depuis juillet
2012 sur l’île Boisée (Woody island en anglais) dans l’archipel des Paracels. L’application de cette loi ne pourra manquer de provoquer localement des crises, parfois même susceptibles de
dégénérer jusqu’à un niveau paroxystique. Les garde-côtes ont en effet désormais le pouvoir de faire usage de leurs armes, de poing comme de bord, contre ceux qui seront considérés comme des
contrevenants, qu’ils soient locaux ou étrangers. Ils pourront même procéder au démantèlement d’installations considérées comme illégales dans toute la zone, y compris sur les sites rocheux
contestés.
La raison stratégique de
l’irrédentisme chinois
En bref, contestation sur les micro-territoires insulaires, visée sur les hydrocarbures, tentative d’instauration d’un
quasi-monopole sur la pêche, volonté d’exercer le droit de l’Etat en mer sur toute l’étendue revendiquée, ne sont en aucun cas les raisons profondes qui soutiennent la Chine dans sa volonté
de ne rien céder dans le contrôle de la mer du Sud. Lesdites raisons ne sont que les supports d’enjeux, enjeux importants certes, mais enjeux seulement. La raison profonde, essentielle, de la
pugnacité chinoise est stratégique. Pékin veut pouvoir, dans les meilleures conditions possibles de sécurité, approcher des côtes américaines ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins
(SNLE), les Jin, à une distance de tir optimale pour ses missiles balistiques Julang II, en attendant que la génération suivante, les sous-marins de la classe Tang et les missiles Julang III,
devienne opérationnelle. Rappelons, pour qui cela pourrait être éventuellement utile, que ces sous-marins et ces missiles ne sont pas destinés à l’attaque mais à la riposte, à la frappe en
second pour employer la terminologie en vigueur, dans l’hypothèse où les Etats-Unis, ou d’autres disposant aussi de l’arme nucléaire, comme l’Inde, s’aviseraient à frapper en premier.
Or en l’état actuel des capacités des Julang II, dont la portée maximale est de 7200 kilomètres, ils ne pourraient même
pas toucher Hawaï, ni l’Alaska, s’ils étaient tirés à partir des profondeurs de la mer de Chine du Sud. A cause de cela aujourd’hui, les submersibles chinois sont mécaniquement contraints de
sortir de cette mer s’ils veulent que leurs missiles puissent au minimum venir frapper la côte ouest des Etats-Unis. Pour atteindre les objectifs, sans aucun doute déjà répertoriés par le
haut état-major chinois, les Jin devraient s’avancer au moins jusqu’à hauteur de la dorsale Empereur – Hawaï, comme par hasard définie troisième ligne de défense chinoise.
Pour l’heure le problème qui se pose à ces SNLE est celui de leur déploiement à partir de leur port-base de Sanya, au
sud de l’île de Hainan. Détectables dès leur sortie comme sous-marin possible ou probable par les aéronefs équipés de systèmes spécifiques, ils sont également repérables par voie acoustique
tant qu’ils n’ont pas atteint une profondeur sécurisante d’immersion. En effet, malgré les énormes progrès accomplis dans le domaine, comparativement aux 90 décibels de bruit général ambiant
des océans, le bruit généré par les Jin se situerait encore, selon les sources, entre 110 et 140 décibels. Or ces SNLE doivent d’abord couvrir un peu moins de cent kilomètres en zone
néritique où la profondeur d’eau décline progressivement pour atteindre 200 mètres sur le rebord du plateau continental [4], avant de plonger dans les grands fonds. Par conséquent, même accompagnés d’une escorte de sécurité au départ de leur patrouille, ils peuvent être facilement détectés
tout au long de leur parcours primaire, tant par voie aérienne que par moyens navals, avant de pouvoir se diluer dans les eaux noires. Cette zone de vulnérabilité explique pourquoi elle est
un secteur privilégié des patrouilles maritimes aériennes américaines, avec les P3 Orion à partir de 2001, les P8-A Poséidon à partir de 2013, qui viennent parfois croiser jusqu’à 30 milles
marins de la côte de Hainan, soit à moins de 18 milles de la limite de la mer territoriale légale de l’île.
Carte 4 – Le problème de la sortie de port des SNLE chinois
Au bout de leur traversée profonde en direction du Pacifique, les Jin doivent ensuite franchir le détroit de Bashi, où
en temps de paix, selon la règle édictée par la CNUDM, ils ont obligation de transiter en surface. En réalité et en toute logique ils y passeraient plutôt en plongée et passent sans doute
déjà ainsi aujourd’hui. Or dans le détroit de Bashi la voie est étroite puisque plusieurs îlots philippins le barrent. Il est donc facile pour un hostile d’y placer le quota nécessaire de
moyens de détection pour surveiller les sorties vers le Pacifique.
Les efforts visant à la
sanctuarisation de la mer de Chine du Sud
Compte tenu de l’existence de toutes ces zones de vulnérabilité le problème essentiel pour les Jin chinois est donc de
ne pas se faire repérer tout au long de leur parcours en mer de Chine du Sud. Il s’agît donc pour eux de pouvoir limiter, même supprimer, ou contrer si possible, tous les moyens de repérage
que pourraient aligner la partie adverse, soit les Etats-Unis et leurs alliés, avant tout japonais et australiens, accessoirement indiens, voire français, britanniques, canadiens. Il s’agit
donc pour les Chinois de réussir à limiter les activités de ces trublions en mer de Chine du Sud, et surtout essayer de leur en interdire l’entrée. C’est bien l’objectif essentiel,
stratégique, de la volonté chinoise de sanctuariser cette mer. Le professeur Tetsuo Kotani, chercheur spécial à l’Institut Okazaki, à Tokyo, avançait en juillet 2011[5] une thèse identique à celle que le présent auteur présentait déjà en octobre 2010[6]. Leszek Buszynski, professeur à l’Université nationale australienne, rencontré en plusieurs occasions, dit bien que la position chinoise rappelle celle que les
Soviétiques avaient adoptée en décidant de faire des mers d’Okhotsk et de Barents des « bastions ». L’idée est bien la même que celle de la sanctuarisation. Elle est identique chez
d’autres Anglo-saxons qui parlent d’application de la doctrine de Monroe à la mer de Chine du Sud par les Chinois pour y régner en maître. Il faut ajouter à cela le détroit de Taiwan ainsi
qu’un immense pan de la mer de Chine de l’Est, au motif que le plateau continental naturel chinois s’étend jusqu’au rebord de la fosse d’Okinawa.
Là est la raison essentielle pour laquelle Pékin met tout en œuvre pour réussir ce plan de cloisonnement de la mer de
Chine méridionale face à la volonté contraire des Etats-Unis et de leurs alliés. Quant aux pays d’Asie du Sud-Est, qui parviennent à peine à faire entendre leur faible voix pourtant
primordiale, les voici contraints, à cause de la géographie, au rôle de futures victimes collatérales des tensions entre les deux géants.
Tout ce que déploie la Chine actuellement en mer de Chine du Sud et projette encore de déployer va dans le sens du but
visé :
dénégation du jugement de la CPA ;
refus de l’abandon du tracé en neuf traits ;
nouvelle loi sur la police maritime avec renforcement du pouvoir des garde-côtes ;
dénonciation des activités américaines de présence sous toutes leurs formes, dont les plus intrusives sont les
opérations pour la liberté de la navigation ;
critique contre les exercices navals interalliés réalisés dans cette mer ;
intimations lancées aux avions des Etats-Unis de cesser leurs survols ;
renforcement de la militarisation des îles Paracels et, dans les îles Spratleys, des plateformes complètement
artificielles de Johnson South, Gaven, Cuarteron, Kennan, Hughes, Subi, Fiery Cross et Mischief[7], ces trois derniers disposant de pistes d’aviation de 3 000 mètres, et tous les huit étant désormais équipés de radars, de missiles antiariens et
antinavires ;
programmation, prête à être lancée à tout instant, de la transformation des récifs de Scarborough en plateforme
artificielle, à l’identique de celle de Mischief ;
installation d’un « réseau d’information en haute mer » entre Hainan, les Paracels et les Spratleys,
constitué de stations automatiques, fixes ou flottantes, de surveillance de la mer et de l’air, avec radars, capteurs lasers et infra-rouges ;
Installation d’une « grande muraille sous-marine », réseau de sonars répartis sur le fond de la mer,
quelque peu similaire au système SOSUS[8] américain ;
création d’un centre sous-marin dual de collecte et de centralisation de l’information ;
projet d’implantation en zone hadale, dans la fosse de Manille (Manila trench), d’une « colonie
robotique » automatique de détection, en toute logique dans le détroit de Bashi[9];
menace de création d’une zone d’identification et de défense aérienne au-dessus de Nanhai Zhudao ce qui, ainsi
calquée sur le contour du tracé en neuf traits, créerait, au sens strict du droit international, un espace aérien entièrement chinois ;
multiplication et densification des exercices navals et aériens sur toute la zone ;
multiplication des tirs d’essais de missiles balistiques antinavires DF-21D et DF-26 entre Hainan et les
Spratleys ;
arrivée dans la panoplie des missiles, le missile à planeur hypersonique antinavire DF-17.
Tout ce déploiement d’efforts Pékin le conduite dans l’espoir de créer un sentiment de lassitude chez ses adversaires
pour les amener à céder, leur faire abandonner leurs opérations de présence active, non seulement en mer de Chine du Sud, mais aussi dans le détroit de Taiwan et en mer de Chine de l’Est, et
ainsi les obliger à sortir desdits espaces marins. Voilà qui serait une magnifique illustration, si toutefois les Chinois y parvenaient, de l’un des principes édictés par le grand stratège
antique chinois, Sun Zi : « Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre ».
Carte 6 : détroit de Bashi
et zone potentielle d’installation de « colonie robotique »
Il est évident que lorsque les nouvelles générations de SNLE et de missiles, Tang et Julang-3, seront opérationnelles,
dans deux à quatre ans à priori, la donne sera complètement changée puisque, avec une portée possible de 12 000 kilomètres, les Julang-3 auraient la capacité d’atteindre la côte ouest
des Etats-Unis, et à fortiori l’Alaska, sans être contraints de sortir de la mer de Chine du Sud. Mais il n’en reste pas moins que, même s’ils n’étaient plus astreints à cela, le problème de
leur vulnérabilité resterait le même qu’aujourd’hui dans toute la phase de sortie de port jusqu’à celle de l’engloutissement dans les profondeurs. C’est pourquoi, même avec l’apparition de la
nouvelle génération de moyens de frappe en second, le souci des Chinois restera de pouvoir réaliser la sanctuarisation de cette mer du Sud.
Interdire l’entrée des marines
étrangères en mer de Chine du Sud
Dans ce cadre de la sanctuarisation recherchée, l’idéal serait que les marines étrangères considérées comme hostiles
puissent être interdites d’entrée dans cette mer. C’est pourquoi les Chinois mettent en place une stratégie combinée adaptée des concepts « anti-accès / interdiction de zone » (Anti
access / aera deniel – AA/AD) et de défense de l’avant. Pour cela ils alignent des moyens aériens classiques, de nombreuses unités navales projetables en Pacifique, comme les
sous-marins nucléaires d’attaque, au nombre de six, et les porte-avions, dont le troisième est en construction, l’armée des fusées dispose de deux types de missiles balistiques antinavires,
les DF-21D et les DF-26. S’ajoute à cela, depuis 2019, un missile à planeur hypersonique, le DF-17. Déployés par
l’armée des fusées, tous sont dits antinavires, puisqu’ils sont réputés pouvoir être guidés vers des objectifs mobiles à grands gabarits, tels que des porte-avions. Si les DF-21D n’ont qu’une
portée limitée à 2 000 kilomètres maximum, les DF-26 pour leur part, avec leurs capacités d’atteinte à 4 000 kilomètres, peuvent coiffer l’arc des Mariannes, cet arc sur lequel s’appuie la
deuxième ligne chinoise de défense, mais aussi où se situe la grande base américaine de Guam. En complément viennent les DF-17 dont la portée se situerait entre 1 800 et 2 500 kilomètres.
Ainsi face à un ennemi naval venant du Pacifique les Chinois disposent désormais, sans même être contraints d’approcher les DF-26 de leurs côtes continentales, d’une triple coupole de frappe
sur la toute la mer des Philippines, entre les Mariannes et les côtes des archipels japonais et philippins[10]. Enfin avec le DF-17 les Chinois peuvent gagner en allonge puisque ces missiles peuvent être transportés et lancés par des bombardiers stratégiques Xian H-6K.
Faire sauter le verrou
taïwanais
Il ne s’agit cependant pas de se focaliser sur la seule mer de Chine du Sud. L’on peut même miser sur le fait que
lorsque Taiwan aura été reconquis, s’il l’est un jour, les problèmes de contentieux en mer de Chine méridionale pourraient même se résoudre, au moins en partie. Tout simplement parce qu’à
partir de Taiwan disparaitraient les problèmes de sécurité auxquels les Jin sont confrontés aujourd’hui tant qu’ils n’ont pas atteint le Pacifique, et même les Tang plus tard, quand bien même
ils n’auraient pas la nécessité de sortir de cette mer semi-fermée qu’est celle du Sud. Tout simplement parce qu’après s’être emparés de la place, les conquérants communistes auraient la
capacité de développer un port militaire majeur sur la côte est de Taiwan, face au Pacifique. Il y existe déjà de multiples petits sites qui peuvent être complètement reconfigurés en amples
bases navales, quitte à arracher des pans de montagne en arrière-plan pour gagner les superficies nécessaires. Le chambardement sauvage des îlots et des hauts-fonds marins opérés dans les
Spratleys pour les transformer en plateformes artificielles opérationnelles militaires montre que les Chinois ne sont aucunement effarés par le gigantisme de tâches potentielles à
accomplir : quand « Yugong déplaçait les montagne » dit la légende chinoise.
Quel intérêt ? Tout simplement parce que, sur près de 200 kilomètres tout le long de cette côte orientale, les
profondeurs marines atteignent immédiatement le niveau bathyal presque partout : à 7 kilomètres de la rive les fonds arrivent déjà à 1 300 mètres. Autrement dit un SNLE quittant le
port de Su Ao, Hualien, Taitung ou Chenggong[11] réaménagé glisserait quasiment à l’instant vers les abysses à portée immédiate, sans vrai risque d’être repéré. A Hualien, port principal de cette côte, les
Chinois pourraient même être capables de créer un chenal sous-marin pour limiter, voire éliminer la problématique de la courte sortie de port. Motivés par une hargne froide, ils auraient la
capacité de réaliser cela.
Carte 8 : Potentialité de
transformation de quelques ports taïwanais en bases navales
Conclusion
C’est pourquoi, pour éviter qu’une telle hypothèse se vérifie un jour les Etats-Unis n’ont pas intérêt à ce que les
Chinois fassent sauter le verrou taïwanais, ce verrou qui boucle le chapelet des archipels de la mer de Chine de l’Est, celui des Ryukyu, et la succession des Etats-archipels de la mer de
Chine du Sud que sont les Philippines, Bornéo et l’Indonésie jusqu’au détroit de Malacca, tous ces archipels qui barrent la route à la marine chinoise vers le Pacifique et la contraignent à
passer par tous ces goulots d’étranglement que constituent les détroits. C’est pourquoi, vis-à-vis de Taïwan, les Américains ont tout intérêt à mener une subtile, tout en demeurant ferme
cependant, activité de soutien à l’île sans pour autant risquer, à cause de balourdises dont ils sont parfois capables, de réveiller la fureur de Pékin et tenter celui-ci de se lancer dans
une conquête par la force. Or, c’est bien la menace que Pékin fait planer de plus en plus fortement à proximité et autour de l’île depuis presque deux ans maintenant.
Daniel Schaeffer, Asie21
[1] Cf. carte 1 jointe.
Notons que Zhongsha qundao, archipel du Milieu, est improprement traduit dans la presse internationale par banc Macclesfield
[2] Cf carte 2- le chevauchement des ZEE des riverains par les prétentions chinoises
[3] Cf.carte 3 et https://www.asie21.com/2019/05/17/mers-de-chine-moratoire-chinois-sur-la-peche/
[4] Cf.Carte 4 – Le problème de la sortie de port des SNLE chinois
[6] Mer de Chine méridionale : une sanctuarisation chinoise, Revue de défense nationale, 19 octobre 2010, accessible à
https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=30
[7] Voir carte 5 – les socles rocheux transformés en îles artificielles militarisées par la Chine