Membre de la commission des affaires étrangères et européenne
12 Mars 2017
A/S : Qui commande en France Paris ou Ankara ?
Le 9 Mars dernier je marquais mon étonnement dans un communiqué reproduit ce dessous, du silence des
Etats européens qui restaient sans voix alors que le sieur Erdogan traitait l'Allemagne de Nazie, certaines communes allemandes ayant interdit des réunions politiques présidées par des ministres
turcs.
L'affaire se reproduit quelques jours plus tard cette fois-ci avec les Pays-bas qui refuse
d'accueillir le ministre turc des affaires étrangères, ce qui suscite les mêmes accusations de nazisme de Recep Erdogan.
Mais l'affaire ne s'arrête pas à cette nouvelle salve d'insultes parfaitement inadmissibles et
scandaleuses, les Français apprennent avec stupéfaction que le-dit ministre turc refusé d'accès aux Pays-Bas s'est posé à Metz où il a tenu sa réunion : incroyable mais vrai !
Paris en autorisant cette réunion commet une triple faute :
1) Le gouvernement foule au pied la plus élémentaire solidarité à l'égard de l'un de nos alliés et
partenaires européens alors même que le tandem Hollande Cazeneuve nous rabâche leur sempiternel pathos pro-européen : belle hypocrisie !
2) La réunion politique turque est une violation directe de la souveraineté de la France en ce
qu'elle est un acte d'une puissance publique étrangère effectué sur le territoire national. Si le droit international public autorise des étrangers à voter pour des élections nationales la France
encadre ce droit rigoureusement afin d'éviter les dérives politiques et débordements: en réponse à ma question écrite que je lui ai posée, le ministre de l'intérieur m'indique au JORF le 7
Octobre 2014 notamment :
" Tout Etat étranger qui souhaite organiser en France une élection nationale se voit rappeler de
façon systématique l'interdiction : d'afficher en dehors des locaux diplomatiques et consulaires ; de réunion dans des lieux publics ouverts ; de distribution de tracts, profession de
foi.."
La réponse souligne aussi l'exigence de réciprocité......A ce titre on peut se montrer un peu
curieux....
Dans ces conditions la liberté d'expression évoquée par le secrétaire général de la Préfecture, sans
doute sur ordre, est un argument hors de propos car ce qui est en jeux c'est le respect de notre souveraineté qui doit conduire un Etat étranger à la retenue !
3) Mais le gouvernement en s'écartant des principes réaffirmés en 2014 et en lâchant la bride à un
homme qui n'en restera pas là - ce dernier a parfaitement compris la lâcheté d'un gouvernement à bout de course - a commis une faute diplomatique qu'il sera très difficile de corriger sauf au
prix d'une crise majeure .
La diplomatie demande du courage et surtout de la lucidité !
Le 9 mars 2017
A/S : La Turquie n’est plus la Sublime Porte !
Les péripéties de notre élection présidentielle nous font parfois oublier les enjeux réels du monde dont les
conséquences peuvent être beaucoup plus dramatiques sur notre destin que nos querelles internes.
La radicalisation islamique de la Turquie est, à l’évidence, une tendance structurelle, de fond, qui est en
passe d’éradiquer toutes les forces laïques.
Plus graves encore sont les prétentions arrogantes du régime de diffuser sa propagande en Europe auprès de
ses expatriés en violation de la souveraineté des Etats où ils se trouvent.
En application de la souveraineté de chaque Etat, le droit international public interdit à un Etat étranger
de conduire des actions politiques auprès de ses nationaux expatriés.
Erdogan viole ce principe et, en accusant l’Allemagne de nazisme, il insulte notre voisin alors que des
communes décident de refuser que des Ministres turcs viennent faire campagne pour la gloire du régime turc.
Il n’est pas admissible qu’il n’y ait eu aucune protestation des Etats européens au motif qu’il ne faut pas
« froisser » Ankara en raison de son rôle dans la question des migrants.
C’est là une lâcheté sans pareille, que nous allons payer cher, car Erdogan a bien l’intention de
pousser son avantage et d’utiliser les diasporas turques à des fins politiques pour peser sur les choix des Européens dans tous les domaines, internes et externes.
Il sera alors trop tard, mais nous aurons été prévenus !
Ni l’Allemagne, ni l’Autriche, ni les Pays-Bas n’ont accepté que des réunions publiques de soutien à l’apprenti-dictateur Erdogan se déroulent sur leur sol.
En réponse, les gouvernements de Berlin et de La Haye ont été insultés et menacés de représailles par le maître d’Ankara qui est allé jusqu’à évoquer à leur propos
le nazisme et le fascisme.
L’outrecuidance du président turc à l’encontre de l’Europe n’est pas neuve. Elle fait partie du personnage et vient de franchir un pas de plus.
Elle est inacceptable.
Or, tandis que la ministre turque de la famille était expulsée des Pays-Bas et le ministre des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, refoulé, la France accueillait
ce dernier et autorisait une réunion publique à Metz durant laquelle il a appelé à voter en faveur de l’augmentation des pouvoirs présidentiels lors du référendum du 16 Avril.
Cette décision est à l’évidence une honte. Elle porte atteinte à la dignité de notre pays. Elle confirme en quelles mains il est tombé depuis qu’il y a cinq ans une
foule brandissant des drapeaux étrangers fêtait l’élection de François Hollande sur la place de la « République ».
La Turquie est un pays inquiétant. Son passé ne plaide pas en sa faveur. Lorsqu’elle était l’Empire Ottoman, elle a menacé l’Europe occidentale pendant des siècles,
assiégé Vienne à deux reprises, et occupé lourdement le sud-est du continent. Lors de sa défaite durant la première guerre mondiale, elle a pratiqué un génocide monstrueux qu’elle refuse toujours
de reconnaître.
Les Chrétiens représentaient un tiers de la population sur son territoire actuel.
Les Arméniens ont été massacrés dans des conditions horribles, les Assyro-Chaldéens ont subi le même sort, les Grecs ont été persécutés.
La majorité des survivants n’a trouvé son salut que dans l’exode. La Turquie actuelle ne comprend que 2% de chrétiens.
Ce pays est le fruit d’une invasion et d’une colonisation où les envahisseurs ont « remplacé » les habitants. Le rivage turc était grec depuis
l’antiquité. Istanbul s’est appelée Constantinople ou Byzance et était la capitale de l’Empire romain d’Orient.
Aujourd’hui, une dernière minorité est réprimée. Il s’agit des Kurdes, musulmans, mais d’une ethnie différente, qui attendent depuis 1918 que la promesse d’un Etat
réunissant les régions où ils sont majoritaires en Turquie, en Irak, en Syrie et en Iran soit tenue.
C’est pour s’opposer à la montée en puissance des Kurdes que la Turquie intervient sur le territoire syrien. Elle le fait apparemment aux côtés de l’Armée Syrienne
Libre et contre l’Etat Islamique. La première n’est qu’un paravent. Le second, un prétexte.
L’ASL est une force virtuelle bien incapable d’agir seule. Quant à l’Etat islamique, la Turquie l’a soutenu contre Bachar Al-Assad jusqu’à une date récente. La
chute du gouvernement légal syrien était l’objectif prioritaire d’Ankara, en grande partie responsable de la guerre civile chez son voisin.
Ce but manqué, il s’agit pour Erdogan d’empêcher que les deux régions kurdes frontalières qui ont gagné leur autonomie se réunissent. L’opération « Bouclier de
l’Euphrate » a pour finalité d’enfoncer un coin entre les deux zones tenues par des Kurdes du PYD, le cousin syrien du PKK, ennemi juré d’Erdogan.
La situation actuelle est d’une rare confusion qui a le mérite paradoxal de révéler la duplicité turque.
A l’Est, autour de Manbij, se tiennent les « Forces Démocratiques Syriennes » et les Kurdes de l’YPG, soutenus par les Américains.
Au nord, jusqu’à Al Bab, se trouvent les Turcs et leurs alliés de l’ASL, qui ont bénéficié du soutien aérien russe en remplacement de celui des Etats-Unis. Des
escarmouches se produisent entre ces deux forces.
L’Armée syrienne, elle aussi soutenue par la Russie, qui parvient à user de ses bons rapports avec les Kurdes et de sa réconciliation avec la Turquie, a occupé une
bande de territoire au sud, bloquant ainsi la progression turque et permettant aux Kurdes et à leurs alliés de se concentrer sur la prise de Raqqa, encore aux mains de l’Etat islamique.
Il est clair que si la Turquie, gardienne des détroits, était un allié précieux de l’Occident contre l’URSS, sa présence dans l’OTAN
n’a plus de sens, si toutefois l’organisation en possède encore un.
Ankara poursuit une politique étroitement nationaliste dont les objectifs et les alliances sont sans lien avec son appartenance à l’OTAN. Son occupation illégale du
nord de Chypre, membre de l’Union Européenne, est un motif plus ancien mais toujours actuel de suspicion.
A l’intérieur, le président Erdogan, dont les tendances autoritaires étaient perceptibles à l’origine, a accentué sa dérive depuis la tentative de coup d’Etat du 15
Juillet 2016. L’opposition est muselée, la liberté de la presse compromise. Plus de cent-mille fonctionnaires, militaires, policiers, magistrats, membres des services d’éducation ou de santé ont
été révoqués. Des milliers d’associations et de médias ont été supprimés. Et le Président veut encore plus de pouvoirs. Tel est l’objet du prochain référendum qui vise à accroître la mainmise
d’un homme et d’un parti, l’AKP dont l’orientation totalitaire, nationaliste et islamiste, ne fait plus de doute.
Que sa propagande soit doublement malvenue en Europe est une certitude.
Elle est à la fois contraire à nos valeurs communes et provocatrice.
Des étrangers n’ont pas à se comporter comme en terrain conquis en déployant leurs drapeaux et en s’appuyant sur les droits des citoyens qu’ils ne sont pas pour
faire chez nous la propagande en faveur de la restriction des libertés chez eux. Sans doute y a-t-il des double-nationaux parmi eux qui se diront citoyens. Cela montre assez le problème que pose
la double-nationalité dès lors qu’elle correspond à une masse dont l’intégration est douteuse.
A Metz, le gouvernement a dû une fois de plus mobiliser des policiers pour protéger la manifestation que des opposants, Kurdes notamment, entendaient contester.
Une telle soumission à la volonté du nouveau sultan ottoman est inqualifiable. Le manque de solidarité à l’égard des pays
européens insultés est une lourde faute, l’une des dernières sans doute d’un mandat qui aura manqué de cohérence et de grandeur, à moins que sa cohérence n’ait résidé dans une
soumission servile aux désirs de ses « amis » musulmans. L’acharnement impuissant contre Damas, l’aide apportée aux rebelles syriens, comme l’accueil de Mevlut Cavusoglu à Metz
semblent le suggérer.
Ceux qui présentaient Recep Tayyip Erdogan comme un "islamiste modéré", comparable à un "démocrate-chrétien" européen, ont l’air fin. Il y a peu, nombreux
étaient les partisans du "vivre ensemble" qui traitaient encore d’islamophobes, de racistes ou de xénophobes ceux qui s’opposaient à une entrée de la Turquie en Europe, au prétexte que ce grand
pays était musulman. Oser cet argument identitaire, défendu ici même comme une évidence, était vu comme un blasphème par les apôtres du respect de l’Autre. Aujourd’hui, le masque est évidemment
tombé : il laisse voir, sans surprise, le véritable Erdogan, autocrate qui met les journalistes et les opposants en prison et qui cherche à consolider son pouvoir personnel. Le Coran est son
meilleur appui pour oppresser son peuple et agresser, verbalement pour l’instant, les pays mécréants. Hamed Abdel-Samad, qui vient de publier en France son best-seller, Le Fascisme
islamique (Grasset), le rappelle cette semaine dans Le Figaro-Magazine : "L’islam modéré est un islam qui attend seulement sa chance de prendre le pouvoir. Nous nous souvenons tous
de l’attitude d’Erdogan quand il avait besoin du soutien de l’Occident. Depuis, il a montré son vrai visage". Le drame est que la France officielle persiste à ne rien remarquer de la mutation de
l’imprécateur islamiste, qui défigure la démocratie turque. Dimanche, le ministre turc des affaires étrangères a pu tenir un meeting électoral à Metz, alors même que l’Allemagne et les
Pays-Bas venaient de refuser une telle propagande sur leur sol.
Le gouvernement français, qui reproche au cimentier franco-suisse LafargeHolcim de participer au projet de Donald Trump d’ériger un
mur entre le Mexique et les Etats-Unis, se couvre de honte en se montrant incapable de discerner les vraies menaces pour l’Occident et son monde libre. Accabler Trump en laissant Erdogan en paix
est une faute politique. Elle illustre la dangerosité des vendeurs de "conscience éthique" et autres collaborateurs en puissance de l’islam conquérant et totalitaire. En octobre 2015, la France
s’était déjà laissée humilier par Erdogan, venu tenir meeting à Strasbourg devant une salle divisée entre hommes et femmes. Comme le relatait mon bloc-notes d’alors (ici), le sultan
avait accusé l’Europe d’être affectée par "la xénophobie, l’islamophobie et le racisme". Il avait demandé à ses compatriotes de prendre la nationalité des pays hôtes tout en refusant de s’y
assimiler. Cette fois, Erdogan s’est déchaîné contre l’Allemagne et les Pays-Bas, dénonçant "le nazisme et le fascisme". A l’adresse d’Angela Merkel, qui en octobre 2015 s’était dite prête à
appuyer l’entrée de la Turquie en Europe en échange de son aide pour maîtriser les flux moyen-orientaux qu’elle venait d’accepter massivement, le dirigeant islamiste a déclaré récemment : "Si je
veux venir en Allemagne, je le ferai et si vous ne me laissez pas passer par vos portes (…) je ferais se dresser le monde". Cela s’appelle une déclaration de guerre. Mais les autruches
au pouvoir vont garder la tête dans le sable. Oui : il y a des coups de pieds aux fesses qui se perdent.
Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC.
Colonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.
Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis,
2014).
Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui
dessinent le monde d'aujourd'hui.
Suite à l'annulation de meetings de membres de son gouvernement en Allemagne, le président turc a parlé de «
comportements nazis ». Pour Caroline Galactéros, ces provocations montrent que sur la scène internationale, l'Europe n'impresionne plus.
Céder au chantage ou à l'intimidation ne rapporte jamais rien et surtout pas la liberté ou la paix. Tant que l'on croit pouvoir s'en sortir en
complaisant aux quatre volontés du maitre chanteur, celui-ci triomphe, nous méprise et nous humilie.
Le Neo-sultan d'Ankara a perdu son sang-froid. Il a vociféré, éructé grossièrement d'innommables insultes à l'adresse de l'Allemagne qui, dans un
éclair de lucidité, en interdisant quelques meetings visant à mobiliser les Turcs d'Allemagne en faveur de la réforme constitutionnelle qui doit parachever le 16 mars prochain, la mainmise du
président Erdogan sur tous les rouages institutionnels du pouvoir, osait brider son offensive politique interne portée sans vergogne sur le sol germanique. Une «démocrature islamique» ouvertement
conquérante et délirante est donc en train de s'installer à nos portes, qui tient nos Etats pour quantités négligeables, simples aires d'intimidation offertes à la mégalomanie de son chef via
l'instrumentalisation de communautés immigrées transformées malgré elles en armes politiques au service du grand dessein sultanesque ….
Et nous, Européens placides, iréniques et indécrottablement confiants en l'avenir, poursuivons benoitement avec elle un «dialogue» sur son adhésion
éventuelle à l'UE et, -à prix d'or-, un «partenariat» migratoire qu'elle menace de rompre à chaque instant si on ne lui passe pas tous ses dangereux caprices. Comment une telle agression turque,
aussi soudaine qu'infâmante, a-t-elle été possible au cœur du Vieux continent, en son centre politique et économique? Sans doute parce que l'Europe est faible, divisée, inquiète de la pression
migratoire qui angoisse ses peuples et menace ses politiciens. Et elle nie cette réalité et préfère payer le prix croissant de son insondable naïveté structurelle. Car les enchères montent. Face
à notre pusillanimité, le président turc démontre par ses réactions qu'il ne considère finalement l'Europe que comme un espace lâche où dépérissent et se délégitiment progressivement des nations
identitairement avachies qui renoncent à elles mêmes, un espace où il doit lui être loisible, comme «à domicile» (c'est pourquoi cette réaction allemande l'a surpris) de parler à «ses»
communautés qui sont les pions européens de sa stratégie globale d'influence.
Il est vrai que les reculades allemandes face aux exigences des autorités turques touchant leur importante population en Allemagne ne se limitent
plus à une mansuétude déjà incompréhensible avant la crise migratoire de l‘été 2015 et le généreux appel de la chancelière Merkel à l'accueil de tous les réfugiés. Cette «ouverture» a fait long
feu et même fragilisé le pouvoir de celle qui avait voulu prendre le leadership de la croisade des grands cœurs face au drame syrien. On le sait, il y a en proportion bien peu de Syriens qui se
pressent aux frontières turques, libyennes, grecques et italiennes…
La faiblesse, le laxisme, l'aveuglement ne font pas une politique. Et n'ont aucune chance de permettre l'apaisement. Celui qui est à
l'offensive profite juste de notre naïveté timorée. Les failles de l'acclimatation déficiente des populations musulmanes aux lois, valeurs, et pratiques démocratiques - ici allemandes mais tout
autant françaises-, sont devenues des gouffres béants sous nos pieds qui promettent des affrontements gravissimes quand, bien trop tard, nous nous aviserons enfin de répondre à une provocation de
trop. Le président Erdogan porte le fer au flanc d'une Europe qui le craint et croit avoir besoin de lui pour refouler des populations migrantes qu'elle n'ose pas déclarer indésirables pour
rester fidèle à ses généreux principes.
Ceux-ci sont pourtant devenus de dangereuses chimères dans le contexte sécuritaire actuel d'un affrontement civilisationnel instrumentalisé par des
groupuscules ultraviolents, mais aussi par des Etats prosélytes qui repoussent les frontières de la coexistence pacifique pour pratiquer l'ingérence agressive. Le neo-sultan qui veut -et qui va
parvenir à- concentrer entre ses mains tous les pouvoirs constitutionnels au sortir d'un référendum qu'il ne peut perdre, sera le maitre bientôt absolu d'un pays en crise économique dont les
ambitions géopolitiques sont désormais mises à mal par un rapprochement russo-américain en Syrie où le bon sens semble étonnamment plus présent que dans les couloirs du Pentagone ou même du
Congrès. Car, si Recep Tayyip Erdogan montre les dents et laisse entrevoir sa capacité de nuisance et de déstabilisation aux Allemands sidérés, c'est aussi parce qu'il est actuellement en
position de faiblesse stratégique relative dans un jeu infiniment plus large et important pour lui que son seul rapport aux Européens. Comme toujours, il est important de ne pas se laisser
aveugler par un foyer de crise immédiat, mais de le resituer dans le cadre du permanent et très vaste marchandage multisectoriel qui est l'ordinaire, la substance même de la vie internationale.
Ainsi, comme l'UE par exemple, réactive périodiquement le dossier des sanctions, ceux de l'Ukraine ou de la Crimée en croyant gêner
Moscou dans ses mouvements au Moyen-Orient, Erdogan aboie aussi sur l'Europe qui critique (enfin!) sa conception autocratique de la liberté de la
presse pour rappeler qu'il ne faut point trop le maltraiter en Syrie ou en Irak, sauf à prendre le risque d'une déstabilisation majeure de certains pays européens dont il contrôle les minorités
turques ou islamiques…. Car, depuis la reprise en main et la purge massive déclenchée par le pouvoir après le coup d'Etat avorté du 15 juillet 2016, le pays parait sur une ligne de crête étroite
qui peut faire basculer le régime du président Erdogan vers le meilleur ou le pire. A l'intérieur, la crise économique et sociale s'installe, avec un effondrement de 20% de la livre turque depuis
un an, une inflation et un chômage en hausse sensible et un effondrement du tourisme ; sans parler des attentats islamistes et de la polarisation croissante de la société, certes voulue par le
régime pour s'imposer, mais qui débouche sur une fébrilité sociale qui n'a pas que des avantages pour «le Palais».
A l'extérieur, l'opération «Bouclier de l'Euphrate» patine et Erdogan voit ses calculs territoriaux et d'influence compromis sur le théâtre syrien,
où Washington et Moscou semblent s'entendre, discrètement mais sûrement, pour limiter les appétits sultanesques. En effet, dans le cadre d'une négociation politique complexe en cours à Genève et
Astana autour de possibles zones d'influences consolidées dans la Syrie future, il s'agit désormais pour Moscou, Téhéran et donc manifestement Washington, de contenir l'avancée des forces turques
et de leurs rebelles affiliés vers le sud et notamment vers Raqqa, «capitale» syrienne de l'EI que chacun convoite. Aussi, les forces kurdes syriennes, regroupées au sein des FDS (Forces
démocratiques syriennes) se sont-elles tout récemment entendues avec Damas et Moscou (et donc le soutien au moins tacite de Washington) pour empêcher Ankara et ses rebelles pro-Turcs de pouvoir,
en amont de Raqqa, s'emparer du verrou essentiel de Manbij tandis que le sud de la ville d'al Bab – elle même reprise à l'EI par les rebelles pro-Turcs - est en train de se refermer sur eux grâce
à une opportune avancée vers l'est des troupes de Bachar el Assad et de ses alliés. Les lignes de front comme les alliances restent évidemment très mouvantes et incertaines, mais ces derniers
mouvements militaires augurent d'une possible négociation autour d'une zone - désormais sous contrôle syro-russo-iranien- qui interdirait de facto à la Turquie et à ses «rebelles» une avancée
vers l'Euphrate et réduirait ses prétentions territoriales et politiques, tout en permettant aux Kurdes (s'ils acceptaient de jouer leur rôle qu'on leur assigne), de réaliser leur objectif
principal: relier leurs cantons d'Afrin et de Kobane voire de se rapprocher de leurs frères irakiens de la région de Sinjar. Il est pour l'heure évidemment très hasardeux de jauger la réalité et
la solidité de cette convergence tactique entre Moscou et Washington avec les Kurdes comme «enjeux-otages», mais on ne peut que constater qu'elle ne fait pas l'affaire d'Ankara…
Pour en revenir à la relation turco-européenne, l'heure est à la décision. La France, pour s'être trop longtemps fourvoyée dans des postures et des
positions dogmatiques et inefficaces qui l'ont presque totalement «sortie du jeu» syro-irakien, n'est malheureusement plus audible sur le dossier syrien comme, d'une manière générale d'ailleurs,
au Moyen-Orient. C'est très grave et notre prochain Président devra s'atteler sans attendre à la refondation d'une politique étrangère digne de ce nom et propre à faire de nouveau entendre et
compter notre voix sur la scène du monde. Elle reste cependant une puissance européenne majeure. Un sursaut de lucidité et de pragmatisme devrait conduire Paris à apporter un soutien sans
équivoque à notre allié allemand face aux vociférations infâmantes du président Erdogan. Au-delà, il est grand temps pour l'ensemble des Européens de refuser l'intimidation et le chantage turcs
et d'exprimer unanimement leur solidarité avec Berlin en décidant de clore immédiatement et définitivement ce processus d'adhésion devenu
inenvisageable même à très long terme. Consentir à poursuivre ce dialogue qui n'est qu'un marché de dupes, trahit notre faiblesse politique et culturelle, et démontre dramatiquement
combien les dirigeants européens sont à contretemps du nouveau monde et de ses enjeux civilisationnels et identitaires, qu'il ne s'agit plus de nier mais de structurer au profit de la coexistence
pragmatique et respectueuse de nations raffermies.
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