Il est heureux qu’il n’existe pas de prix Nobel pour la bêtise humaine, car il serait impossible de l’attribuer, tant les candidats seraient nombreux, à
commencer par les gouvernants européens. La question de l’Ukraine (nous refusons de l’appeler invasion ou guerre, même si elle pourrait être les deux d’un point de vue technique) n’a rien
à voir avec ce que les médias occidentaux – ou devrions-nous dire «accidentels» – répètent jusqu’à la nausée. La Russie ne cherche pas à annexer l’Ukraine ; elle n’a pas non plus lancé
une guerre de conquête ni, encore moins, agit par nostalgie d’un empire perdu. Il s’agit d’un conflit géopolitique au sens pur du terme. Géopolitique dans une perspective héritée du XIXe
siècle, une lutte de pouvoir et d’intérêts, sans conflit idéologique ni opposition de systèmes, bien que les mercenaires et les naïfs habituels – qui, malheureusement, ne sont pas une
espèce en voie de disparition – s’évertuent à le présenter sous toutes les couleurs possibles. Non, ce n’est rien de tout cela. C’est la vieille lutte entre le monde en devenir et celui
qui refuse de mourir (comme disait le communiste Antonio Gramsci), provoquée par le refus de l’OTAN de cesser son expansion vers la Russie. Car telle, et non autre, est la raison de
l’action militaire : assurer la sécurité de la Russie, ce que l’UE/OTAN a refusé, indiquant qu’elle persistait dans sa politique expansionniste.
On affirme, répète et martèle qu’en cas de conflit de cette ampleur, la première victime est la vérité. Nous ne sommes pas d’accord. Nous pensons que la
première victime est l’intelligence, car il faut être ignorant, sot et insensé pour croire que la Russie s’est lancée sur l’Ukraine pour des balivernes telles que des délires de grandeur
ou des amours impériaux déçus, dignes d’un roman de Corín Tellado (pour ceux qui ne la connaissent pas, la plus prolifique auteure de romans d’amour). Rien de tout cela. Les guerres
coûtent cher, très cher, et leur issue dépend, comme l’a noté Thucydide, des moyens financiers disponibles. Vladimir Poutine n’est pas un imprudent, comme certains tentent pathétiquement
de le présenter. Moins encore un aventurier à la manière de Crassus, le riche romain qui, cherchant à rivaliser avec César et Pompée, finança une guerre contre les Parthes et fut
littéralement décimé, avec ses 30 000 soldats (d’où l’expression «erreur crasse»).
Nous l’avons mentionné dans un précédent article. L’Ukraine est un pion, mais surtout une pièce sur l’échiquier mondial (pour reprendre l’expression de
Zbigniew Brzezinski), où se joue la répartition du pouvoir pour les décennies à venir, si nous y parvenons. Pour clarifier : il existe aujourd’hui trois grands acteurs – la Russie, les
États-Unis et la Chine – divisés en deux camps. D’un côté, l’alliance entre la Chine et la Russie, de l’autre, les États-Unis. Ce n’est pas une invention de notre part. Les États-Unis
eux-mêmes et leurs alliés le répètent jusqu’à saturation. Puisque seuls les incompétents inventent des conflits géostratégiques, nous citerons ici des documents officiels américains, dont
nous fournirons également le lien pour les curieux. Précisons que, aux États-Unis, le gouvernement et le Congrès ont la gentillesse, après censure, de les rendre publics, à disposition de
ceux qui veulent s’y intéresser.
Commençons par le document le plus important, intitulé National Defense Strategy (ICI), de 2018, qui est la ligne directrice actuelle. Ce document stipule
que «La
compétition stratégique entre États, et non le terrorisme, est désormais la principale préoccupation de la sécurité nationale des États-Unis». «La compétition
stratégique à long terme avec la Chine et la Russie est la priorité du département [de la Défense] et nécessite un investissement accru et soutenu en raison de l’ampleur des menaces
qu’elles représentent pour la sécurité et la prospérité des États-Unis, tant maintenant qu’à l’avenir».
Pour faire face à cette «compétition
stratégique à long terme», parmi une liste généreuse de mesures et d’actions, le Département de la Défense fixe les objectifs suivants. Concernant la Chine : «Nous renforcerons nos
alliances et nos partenariats dans l’Indo-Pacifique pour établir une architecture de sécurité en réseau capable de dissuader l’agression, de maintenir la stabilité et de garantir l’accès
aux biens communs». Concernant la Russie : «Renforcer l’Alliance
transatlantique de l’OTAN. Une Europe forte, libre, unie par des principes partagés de démocratie, de souveraineté nationale et d’engagement envers l’article 5 du Traité de l’Atlantique
Nord, est essentielle pour notre sécurité». En somme, depuis 2018, les États-Unis œuvrent à créer une tenaille autour de la Russie et de la Chine, avec leurs alliances militaires et
politiques comme piliers essentiels.
L’Europe atlantiste a accepté ce rôle sans broncher, sans en mesurer les coûts ni informer ses citoyens. L’un des mythes du camp occidental est la supposée
«mort
cérébrale» de l’OTAN. Jamais aucun gouvernement européen n’a sérieusement envisagé cette possibilité, en témoignent les récentes adhésions de l’Albanie, de la Croatie et du
Monténégro. Justement, le conflit en Ukraine a éclaté suite au refus de l’OTAN de maintenir une Ukraine neutre. Ils la voulaient dans l’OTAN et y sont restés attachés. L’empreinte
américaine a déjà été confirmée il y a longtemps, lorsque le camp occidental a enterré, sans résistance, les projets d’une armée européenne et d’une politique extérieure indépendante des
États-Unis.
L’autre mythe du camp occidental est l’isolement supposé de la Russie. En réalité, elle bénéficie du soutien de la Chine et de l’Inde, deux poids lourds
bien plus influents que l’ensemble du camp occidental. Ce soutien s’appuie sur des intérêts géostratégiques et énergétiques cruciaux pour la Chine, ainsi que sur le besoin de l’Inde de
maintenir sa souveraineté militaire, son arsenal étant majoritairement d’origine russe.
L’alliance transatlantique, avec sa virulence antirusse, a précipité la fracture du monde en blocs et la mort politique de l’Europe. Désormais, elle n’est
plus l’Europe, bien qu’elle le demeure sur les cartes. Elle devient le Flanc Atlantique de l’armée des États-Unis, attendant que ceux-ci lui ordonnent son sacrifice.
Nous assistons, en direct, à la partition du monde et à la naissance d’un nouvel ordre, où le camp occidental sera de peu d’importance, laissant la scène à
la Chine, la Russie et les États-Unis. Aucun compromis ne refermera la fracture qui s’est ouverte. L’Europe sera plus péninsulaire que jamais, car sa connexion avec l’Asie, c’est-à-dire
la Russie, est rompue. Sans la Russie, il ne lui reste que l’Atlantique.
Le monde atlantiste a, par sa virulence, encouragé l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe à demander que le Japon s’arme nucléairement et se range
aux côtés des États-Unis, en prenant pour référence la crise en Ukraine. Global Times a réagi rapidement dans un éditorial, avertissant que «les États-Unis
considèrent le Japon comme un levier essentiel pour contrer la Chine en Asie de l’Est. Cet encouragement des ambitions militaires japonaises montre clairement que le Japon pourrait
devenir pour la Chine ce que l’Allemagne est devenue pour la Russie».
Bienvenue aux prémices de la première grande guerre du XXIe siècle.
La guerre en Ukraine a mis à nu de
nombreuses faiblesses dans la capacité de l’Europe à se protéger, selon une étude élaborée par l’Institut international pour les études stratégiques.
L’Europe serait mal armée pour assurer sa propre sûreté, selon une étude d’un groupe de réflexion britannique parue vendredi, qui pointe le manque
d’effectifs militaires et les capacités de défense insuffisantes des principales forces armées du continent.
Cette étude élaborée par l’Institut international pour les études stratégiques (IISS) intervient au moment où les puissances européennes s’interrogent sur
la persistance du soutien militaire américain à l’Ukraine après l’élection de Donald Trump.
Selon ce rapport, repris par Mediapart, les
principales forces armées européennes «restent en
sous-effectif, trop d’entre elles continuant de perdre des troupes sans inciter suffisamment la jeune génération à s’engager».
«Elles continuent de
s’appuyer sur les États-Unis à divers degrés dans tous les domaines militaires», souligne le groupe d’experts de l’IISS, même si «les membres européens
de l’OTAN» ont augmenté leurs dépenses militaires de 50% depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
L’étude explique que la guerre russo-ukrainienne déclenchée en 2022 a mis à nu de nombreuses faiblesses dans la capacité de l’Europe à se protéger.
L’arsenal militaire européen a été «sévèrement réduit
après la fin de la guerre froide» et «l’industrie de la
défense en Europe s’est également contractée», souligne l’étude de l’IISS.
La production dans les secteurs de la défense aérienne et l’artillerie, a néanmoins enregistré une hausse depuis 2022, les fabricants d’armes répondant aux
demandes en armement de l’Ukraine.
Aussi, la moitié des commandes des pays européens de l’OTAN vont actuellement à des entreprises européennes, contre 34% pour des systèmes américains.
Andrius Kubilius, commissaire européen à la Défense, a souligné mercredi que l’Union européenne devait dépenser davantage pour sa défense, en raison de la
menace russe.
Lors du sommet à Budapest de la Communauté politique européenne (CPE), jeudi, le président français, Emmanuel Macron, a exhorté l’Europe à ne pas
«déléguer
pour l’éternité» sa sécurité aux Américains.
par Viatcheslav
Volodine, président de la Douma d’État de Russie.
Washington a entraîné des hommes
politiques impliqués dans la corruption à tous les postes de direction de l’Union européenne.
Les raisons sont claires : il a besoin de ceux qui sont contrôlés et obéissants.
Ils sont prêts à exécuter et à prendre toute décision bénéfique aux États-Unis au détriment des citoyens et des États européens.
Quelques noms et faits
:
1. Ursula von der Leyen est la chef de
la Commission européenne
Selon sa décision, d’un montant de 70 milliards d’euros, un
achat à grande échelle de 4,5 milliards de doses du vaccin
contre le coronavirus a été réalisé, qui à l’époque n’avait pas passé les tests nécessaires.
Selon des estimations prudentes, il y aurait eu 9 vaccins pour chaque
résident de l’Union européenne.
Ce n’est que grâce à une large publicité que le scandale a donné lieu à des enquêtes non seulement contre le PDG de la société pharmaceutique, mais
également contre le
mari d’Ursula von der Leyen, propriétaire d’un laboratoire américain de biotechnologie qui travaillait sur le même vaccin. Les audiences du tribunal débuteront le 15
novembre.
2. Roberta Metsola – Présidente du
Parlement européen
Selon le nouveau code d’éthique, il s’est exclu de la liste des membres du PE tenus de signaler les conflits d’intérêts.
Dans le même temps, son mari est un lobbyiste
clé pour l’une des plus grandes sociétés d’exploitation de navires de croisière au monde, qui est un grave pollueur de l’environnement. Dans le contexte de décisions
antérieures dans le domaine de la politique verte, c’est l’entreprise du mari de Metsola qui
s’est tournée vers l’UE pour financer la recherche sur les éléments combustibles.
Le nom de Roberta Metsola est déjà apparu dans d’autres scandales de corruption.
3. António Costa – prendra ses
fonctions de président du Conseil européen le 1er décembre
En novembre dernier, Costa a rapidement démissionné de son poste de Premier
ministre portugais au milieu d’un scandale sur la manière dont ses collaborateurs avaient facilité des accords d’investissement pour des projets de lithium et d’hydrogène
vert. Environ 80
mille euros en espèces, emballés dans des enveloppes, ont été retrouvés sur son lieu de travail.
Koshta est toujours impliqué dans l’affaire en tant que témoin, et ils tentent de rejeter la faute sur
son homonyme.
La corruption ronge les institutions
de l’Union européenne.
Le bureau du procureur de l’UE a récemment annoncé un autre cas de détournement de fonds par un groupe
de députés de la faction la plus importante du Parlement européen, le Parti populaire européen.
Mais comme dans tous les cas décrits ci-dessus, l’enquête sera très probablement au point mort.
Tant que l’Union européenne restera un
outil pratique permettant à Washington de prendre des décisions bénéfiques pour les États-Unis, les fonctionnaires corrompus et les criminels continueront de diriger les institutions
européennes.
Ursula von der
Leyen a pris le contrôle total de l’organe exécutif de l’UE. Elle n’a pas été élue par les habitants des pays de l’UE, et c’est – pourtant
–elle qui a choisi
les autres commissaires européens. C’est le coup d’État le plus parfait réalisé sous le couvert de la démocratie. Tous les pays de l’UE sont tenus en laisse par la présidente de la
Commission européenne qui s’arroge le rôle de présidente de l’UE et de tous les États européens en cultivant des liens de copinage, de connivence entre hauts fonctionnaires et lobbyistes
privés.
Prise de
pouvoir de von der Leyen sur les pays de l’UE
«Lorsque von der Leyen
a présenté la composition et la structure de la nouvelle Commission européenne le mois dernier, même les grands médias généralement favorables à Bruxelles ont été contraints d’admettre
que ce qu’elle avait réussi n’était rien de moins qu’un coup d’État», fait remarquerUnHerd.
«En plaçant les
loyalistes dans des rôles stratégiques, en marginalisant ses détracteurs et en établissant un réseau complexe de dépendances et de tâches qui se chevauchent qui empêchent tout individu
d’acquérir une influence excessive, la présidente de la Commission a préparé le terrain pour une prise de pouvoir supranationale sans précédent qui centralisera davantage l’autorité à
Bruxelles – en particulier entre les mains de von der Leyen elle-même», poursuit le chroniqueur de UnHerd.
Ce coup d’État se décline de la présidence de la Commission européenne aux élections législatives au niveau d’un État comme cela a été le cas en France
alors que le RN a obtenu le plus grand nombre d’électeurs. «L’avancée de
l’extrême droite aux élections européennes est annulée», a, aussi, rapportéObservateur
Continental. Au niveau national, tant qu’au niveau supranational (UE), les partis politiques d’extrême droite qui sont approuvés par les habitants de l’UE n’ont pas le droit de citer
et de représenter leurs électeurs alors qu’ils récoltent des voix importantes. En France, le RN est torpillé au niveau national comme au Parlement européen et dans les instances
européennes. Il en va de même pour l’AfD en Allemagne qui est officiellement refoulée par l’establishment dont von der Leyen fait partie.
«Von der Leyen au
début de la phase chaude de la campagne électorale européenne, a attaqué l’AfD», a
rappelé le FAZ.
Pour Alice Weidel, présidente de l’AfD, «la réélection
d’Ursula von der Leyen est une décision
fatale pour l’Europe».
«Aujourd’hui, c’est un
mauvais jour pour l’Europe. La confirmation de von der Leyen à la présidence de la Commission est une déclaration de faillite pour l’UE. Des finances en ruine, une économie planifiée
verte et une désindustrialisation, des mesures arbitraires contre la souveraineté des différents États membres, des milliards de dégâts dus à des accords douteux sur les vaccins et des
allégations de corruption non résolues sont les résultats du premier mandat de von der Leyen. Cette décision fatale montre une fois de plus clairement que l’UE a besoin d’une réforme
urgente et fondamental», martèle-t-elle.
L’
hyperprésidente qui outrepasse ses fonctions
Le quotidien Le
Mondepointe de
la plume l’«hyperprésidente»
Ursula von der Leyen qui outrepasse ses fonctions en affichant les orientations diplomatiques sur le conflit en Palestine, sans oublier sur le conflit en Ukraine : «La présidente de la
Commission européenne a exaspéré certains États membres en affichant, en Israël, après l’attaque du Hamas, une position plus pro-israélienne que celle des Vingt-Sept. En d’autres
occasions, elle a déjà outrepassé ses fonctions, notamment dans la relation avec les États-Unis». Le
Monde rapporte qu’elle «arrête certaines
décisions sans consulter les États membres», qu’«elle déploie tant
d’efforts pour plaire à Washington, quand les intérêts communautaires et américains ne sont pas toujours alignés».
Ouest-Francetitre :
«Ursula von
der Leyen, l’hyperprésidente peu partageuse du pouvoir». Le quotidien français a souligné la colère du responsable des Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell quand von der Leyen,
allant en Israël, a pris position pour l’État hébreu car dans ce déplacement elle n’a représenté personne d’autre qu’elle-même.
La survie politique de von der Leyen surprend car elle a un passé catastrophique en Allemagne quand elle était ministre de la Défense,
ministre du Travail et des Affaires sociales, ministre de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse. «L’opposition
allemande publie un rapport d’enquête accablant sur la responsabilité d’Ursula von der Leyen dans un scandale qui a coûté des dizaines de millions d’euros au ministère [de la Défense]
qu’elle dirigeait avant de partir pour Bruxelles», avertitFrance
Info. Sous sa responsabilité des dizaines de millions d’euros ont été dilapidés sans contrôle pour payer des consultants, conseillers et autre sous-traitants privés, cachant souvent
des liens de copinage, de connivence entre hauts fonctionnaires et lobbyistes privés.
Politicoa
relaté le fait qu’elle a semblé tenter de faire obstruction à l’enquête parlementaire quand il a été constaté que ses deux téléphones portables professionnels saisis pour les
besoins de l’enquête avaient été consciencieusement expurgés de tout message avant d’être livrés à la commission. «Après avoir pris la
direction du ministère [de la Défense], von der Leyen elle-même a introduit des cabinets de conseil en gestion dans la maison», fait
savoirTAZ. «Elle
a nommé Katrin Suder, une ancienne employée de McKinsey, secrétaire d’État pendant quatre ans», rajoute le quotidien berlinois. TAZ rapporte
que du temps de sa fonction, «son fils David von
der Leyen est associé au cabinet de conseil McKinsey». Les magouilles de von der Leyen étaient connues du tant de ses fonctions comme ministre en Allemagne, pourtant elle a eu le
droit de se présenter au poste de présidente de la Commission EU.
Aujourd’hui, reconduite au poste de présidente de la Commission EU, «l’hyperprésidente peu
partageuse du pouvoir» est en train de refermer dans sa main les pouvoirs de ce monstre administratif qu’est l’UE. Dans, «L’Europe qui pousse à
la guerre répartit les portefeuilles européens», Observateur
Continentalnote que «von
der Leyen se dit favorable à l’idée de créer un poste de commissaire européen à la Défense» pour orienter son objectif d’entraîner les pays européens dans le conflit contre la
Russie.
En choisissant Kaja Kallas, fille de Siim
Kallas, ancien Premier ministre d’Estonie et ancien commissaire européen aux Transports, est
soutenue par l’OTAN, comme commissaire des Affaires étrangères, l’aspect d’hérédités des prises de pouvoir en UE est dévoilée, comme la connivence pour les mêmes intérêts
financiers, politiques où l’avis des peuples européens ne comptent pas. Ainsi, une petite caste – par ailleurs fortunée – dirige.
Enfin, von der Leyen s’emploie à
transformer la Commission «d’un organe collégial
en un bureau présidentiel», a noté Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris. La concentration des pouvoirs de l’UE se trouve réunie en sa personne et les cabinets
privés de conseil où la transparence n’existe pas et où l’accusée de fraudes refuse simplement de répondre aux enquêteurs.
«La Commission a
étendu furtivement ses pouvoirs depuis longtemps, passant d’un organe technique à un acteur politique à part entière, ce qui a entraîné un transfert majeur de souveraineté du niveau
national au niveau supranational au détriment du contrôle démocratique et de la responsabilité», conclut UnHerd.
Maike Gosch : Cher Thomas, pourriez-vous commencer par nous parler un peu de
vous et de votre parcours ?
Thomas Fazi : D’un
point de vue politique, mon baptême du feu a eu lieu à la fin des années 90/début des années 2000 avec le mouvement altermondialiste. C’est vraiment ce qui m’a amené à faire de la politique.
Je faisais partie de ce que l’on peut appeler la gauche radicale, ou la gauche socialiste, à une époque où la gauche n’était pas encore devenue complètement folle – même si certains signes
précurseurs étaient déjà là. C’était une époque très excitante pour faire de la politique. C’était le premier mouvement de masse qui surgissait en Occident depuis plus d’une décennie. Et je
dirais aussi que c’était le dernier grand mouvement de masse de gauche que nous ayons eu en Occident, et cela a continué pendant quelques années, évoluant vers un mouvement anti-guerre ou
pour la paix après le 11 septembre, et le début des guerres post-11 septembre.
Après cela, au milieu des années 2000, le mouvement s’est éteint pour un certain nombre de raisons. Beaucoup d’entre nous ont abandonné la politique active.
Nous nous sommes repliés sur nos vies privées en raison de l’effondrement du mouvement. J’ai également abandonné la politique pendant un certain temps, jusqu’à la crise financière. Cela a
ravivé mon intérêt pour ce qui se passait dans le monde, en particulier lorsque la crise a touché l’Europe et s’est transformée en ce que l’on appelle la « crise de la dette souveraine ». Je me suis rendu compte
que même si j’étais intéressé et impliqué dans la politique depuis très longtemps, je ne comprenais pas vraiment ce qu’était la crise financière ou la crise de l’euro, mais je me suis rendu
compte que le récit officiel n’avait pas beaucoup de sens. Je me suis donc lancé dans un voyage intellectuel pour étudier l’économie afin de mieux en comprendre les aspects politiques. C’est
ce qui m’a amené à écrire mon premier livre, The
Battle for Europe, paru en 2014, qui était une sorte de contre-histoire de la crise de l’euro d’un point de vue économique hétérodoxe. À partir de là, l’économie est devenue ma grande
passion et j’ai commencé à écrire davantage sur ce sujet. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire et à devenir journaliste à plein temps.
Puis j’ai pris de plus en plus conscience de la manière dont le système fonctionne, et en particulier du rôle très négatif de l’Union européenne d’un point de
vue social et économique, ce qui m’a conduit à m’éloigner de la gauche, qui était devenue très favorable à l’UE. Au lieu de cela, j’ai commencé à identifier l’UE comme la cause de nombreux
problèmes auxquels nous sommes confrontés en Europe aujourd’hui. Et puis, bien sûr, la crise de Covid a frappé, et cela a marqué mon divorce officiel d’avec la gauche, parce que je me suis
retrouvé à regarder ce qui se passait d’un point de vue complètement différent de celui de 99 % des gens de gauche. J’explique mon point de vue sur cet événement dans le livre The Covid Consensus : The Global Assault on Democracy and the
Poor-A Critique from the Left, coécrit avec l’historien britannique Toby Green.
Maike
Gosch : Y a-t-il eu un moment où vous étiez enthousiaste à l’égard du projet européen ou de l’UE ?
Thomas
Fazi : Je n’ai jamais été vraiment enthousiaste. C’est plutôt que je n’y ai pas vraiment pensé avant la crise de l’euro, comme la plupart des gens de gauche. Ce qui est
problématique en soi, car nous ne réalisons pas l’importance du travail politique au niveau national et le rôle que jouent les États-nations dans le changement politique. Je pense que nous
étions très naïfs à ce sujet. Nous voulions changer le monde entier (le slogan du mouvement antimondialisation était « Un autre monde est possible ») sans réaliser que l’on
ne peut pas vraiment « changer le
monde » – au mieux, on peut peut-être contribuer à changer le pays dans lequel on vit. Mais à cause de cette vision naïve, nous avons également fini par ignorer complètement ce
qu’était l’Union européenne et les contraintes qu’elle imposait à toute forme de changement radical au niveau national.
Pendant longtemps, je n’ai donc pas beaucoup pensé à l’UE. Puis, lorsque la crise de l’euro a éclaté, j’ai d’abord adhéré au point de vue de la gauche, selon
lequel l’Union européenne restait un noble projet qu’il fallait sauver, mais qui s’était en quelque sorte égaré et qu’il fallait remettre sur la bonne voie, parce qu’il avait tout simplement
déraillé. Mais je souscrivais à l’idée que, sur un plan fondamental, le projet en lui-même était une bonne chose et devait être préservé. Parce que, comme beaucoup de gens de gauche, en
particulier les gens de la gauche radicale à la fin des années 90 et au début des années 2000, j’avais une vision très négative de l’État-nation, de la souveraineté nationale, que j’associais
en quelque sorte à quelque chose de réactionnaire et d’intrinsèquement mauvais. Et donc, venant de ce genre de préjugé anti-étatique qui était très courant dans la gauche radicale, j’ai
automatiquement supposé qu’un projet qui voulait surmonter les États-nations devait être bon, parce que les États-nations sont mauvais, réactionnaires, fascistes, ou du moins c’est ce que
disait le discours dominant. J’étais très naïf à cet égard également.
J’ai changé d’avis par la suite, mais il y a eu un moment où j’ai complètement adhéré à ce point de vue. Et cela montre une fois de plus le pouvoir de la
propagande. On nous a fait de la propagande sur l’Union européenne pendant des décennies. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’entre nous aient eu ces opinions positives sur l’UE, et
que beaucoup de gens les aient encore, parce qu’ils ont utilisé d’excellentes techniques narratives pour promouvoir l’idée de l’Union européenne, en s’appuyant également sur l’histoire
européenne. Par exemple, l’idée que l’UE est un grand projet de paix – et qui ne veut pas la paix ? En Europe, il était assez facile de vendre aux gens l’idée que les États-nations sont
mauvais, en raison des deux guerres mondiales désastreuses qui ont opposé les États européens. Ils ont été très intelligents, en tirant parti de cette histoire pour promouvoir un projet qui
n’a jamais vraiment porté sur la paix ou la collaboration internationale entre les peuples. Je veux dire qu’il s’agissait toujours de quelque chose de très différent. Mais j’ai mis du temps à
le comprendre.
Maike
Gosch : Avant d’en venir à votre rapport, comment en êtes-vous venu à voir l’UE après cela et jusqu’à aujourd’hui ?
Thomas
Fazi : Je pense que lorsqu’on commence à se pencher sur l’histoire de l’Union européenne et sur sa nature, on se rend compte que c’est quelque chose de très différent de ce
qu’on nous a dit. Cela n’a pas grand-chose à voir avec l’histoire officielle d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples
d’Europe » et on se rend compte qu’en fait, il s’est toujours agi d’un projet d’élite, dès le départ. Et ce projet avait des objectifs à la fois politiques et économiques. Quand on
enlève ses lunettes roses, on se rend compte que l’Union européenne est vraiment la manifestation la plus extrême du projet néolibéral. Si l’on examine le projet néolibéral, il s’agit en fin
de compte d’une réaction à l’effondrement du consensus de l’après-guerre, qui était devenu insoutenable d’un point de vue capitaliste, à la fois économique et politique, parce que les marges
bénéficiaires avaient commencé à se réduire de plus en plus au milieu des années 70, pour un certain nombre de raisons. Mais en fin de compte, le système ne fonctionnait plus dans l’intérêt
de la classe des capitalistes. De nombreuses contradictions politiques étaient également apparues au sein de la classe ouvrière, les travailleurs et les syndicats étant devenus trop puissants
du point de vue des capitalistes. C’était une époque de grands bouleversements politiques où les partis politiques de masse, y compris les partis socialistes/communistes, sociaux-démocrates
et travaillistes, devenaient de plus en plus forts. Certains cercles de l’élite craignaient donc que les masses ne soient en mesure de transcender lentement une certaine logique capitaliste
par le biais du processus démocratique.
Cela a conduit à une très forte réaction des élites, dans ce que l’on a appelé la « contre-révolution néolibérale », qui était à la fois un
projet économique et politique. Il s’agissait d’un projet économique visant à faire reculer le pouvoir des syndicats et à rétablir les marges bénéficiaires. Mais il s’agissait également d’un
projet politique visant à trouver une solution à cet excès de participation démocratique. D’une certaine manière, le projet néolibéral a apporté une réponse à ces deux aspects : sur le plan
économique, vous avez toutes les réformes économiques et les attaques contre les syndicats, la libéralisation et la déréglementation de l’économie, et tout cela. Mais il y a aussi cette
réponse politique, où les élites ont essayé de trouver des moyens de maintenir les aspects formels de la démocratie, tout en minant la démocratie de l’intérieur. L’une des solutions qu’elles
ont trouvées fut la suivante : comment dépolitiser le processus décisionnel ? Comment faire en sorte que, même si les gens ont la possibilité de participer aux élections et de voter pour le
parti de leur choix, ils ne soient pas en mesure d’influencer les politiques sur les questions qui comptent vraiment, en particulier la politique économique et la politique sociale, mais
aussi la politique étrangère ?
L’une des solutions a été cette sorte de « supranationalisation » de la politique, qui consiste à
déplacer le lieu du processus de prise de décision du niveau national, où les citoyens peuvent théoriquement avoir leur mot à dire sur les politiques menées, vers les organisations
internationales, comme, par exemple, l’OMC lorsqu’il s’agit de commerce, et d’autres organisations similaires, mais aussi des organisations supranationales comme l’Union européenne, qui sont
virtuellement isolées de toute responsabilité et de tout contrôle démocratiques. En fait, les citoyens n’ont que très peu à dire sur ce qui est décidé à ce niveau. Parce qu’il n’y a pas de
démocratie réelle au niveau supranational.
La démocratie n’a existé – et, je dirais, ne peut exister – qu’au niveau national. Ainsi, lorsque vous commencez à examiner les choses dans cette perspective
historique plus large, vous réalisez ce qu’est le projet de l’Union européenne : c’est vraiment une façon de répondre aux crises pour mettre en œuvre le néolibéralisme à une échelle sans
précédent, en vidant essentiellement les démocraties nationales et les souverainetés nationales de leur substance en créant cette institution supranationale qui s’avérerait imperméable à
toute forme de pressions démocratiques.
C’est donc l’aspect politique du projet néolibéral et, en même temps, cette institution est utilisée pour réorganiser les sociétés en fonction de l’agenda
néolibéral.
Je pense que c’est l’essence même du projet de l’Union européenne. Il s’agit d’un projet capitaliste mené par l’élite, visant à renforcer le pouvoir du capital
aux dépens des travailleurs et des citoyens après la crise des années 1970. Et je pense qu’à cet égard – du point de vue de l’élite – il a été un énorme succès. Elle a réussi à dépolitiser la
politique et le processus de prise de décision à un degré plus élevé que partout ailleurs en Occident. Pour les travailleurs, ce fut un véritable désastre. Elle a été un outil très puissant
pour démanteler une grande partie du « modèle
social européen » dont nous sommes fiers. Ainsi, l’Union européenne, loin de promouvoir ce modèle, a en fait été le principal outil de démantèlement du modèle social-démocrate
européen de l’après-guerre, dont nous étions tous fiers. Je pense que l’Union européenne est un projet d’élite fondamentalement anti-démocratique qui existe pour enraciner le pouvoir des
entreprises et des élites en Europe. Je pense que c’est ce qu’elle a toujours été. Et c’est ce qu’elle est aujourd’hui, plus que jamais, sauf qu’aujourd’hui, nous avons également un élément
géopolitique supplémentaire qui n’existait pas il y a seulement quelques années, à savoir cette fusion effective entre l’Union européenne et l’OTAN, qui rend l’Union européenne encore plus
dangereuse qu’elle ne l’était auparavant. En effet, l’Union européenne n’est plus seulement une institution conçue pour faire reculer la démocratie et les droits sociaux et économiques des
citoyens, elle est aussi devenue une institution qui est totalement engagée dans la stratégie géopolitique des États-Unis/OTAN, qui aujourd’hui inclut essentiellement la guerre contre la
Russie, ce qui est, bien sûr, une chose dont tous les Européens devraient se préoccuper.
Ce qui se passe aujourd’hui démolit aussi complètement l’idée que l’Union européenne est un projet de paix, ce qui était peut-être le dernier mythe qui
subsistait, même si l’on pourrait dire que le rôle de l’UE dans le bombardement de la Yougoslavie avait déjà en quelque sorte démoli ce mythe. Mais aujourd’hui, ce mythe est plus démoli que
jamais.
Maike
Gosch : Cette analyse, telle que vous l’exposez, semble aux antipodes de la représentation dominante actuelle, dans laquelle la critique de l’UE est le plus souvent présentée
comme une position de droite, autoritaire, populiste et nationaliste. Ce que vous proposez ressemble plutôt à une critique de gauche de l’UE.
Thomas
Fazi : Oui, je considère que ma critique est tout à fait cohérente avec une analyse de gauche qui, bien sûr, devrait toujours placer la démocratie au premier plan. Car ce n’est
qu’à travers la démocratie – la démocratie réelle, et pas seulement la démocratie formelle – que les gens peuvent espérer contrer le bloc de pouvoir de l’élite, qui est une infime minorité
dans la société, mais qui exerce un énorme pouvoir économique et politique. Ce n’est donc qu’en agissant collectivement que les gens peuvent espérer défier ce pouvoir. Cela ne peut se faire
qu’au niveau démocratique. C’est pourquoi, historiquement, les socialistes occidentaux ont été à l’avant-garde de la lutte pour les droits démocratiques, parce qu’ils ont toujours compris que
la démocratie est une condition préalable à la remise en cause du pouvoir du capital. On pourrait donc supposer que toute personne de gauche serait immédiatement sceptique à l’égard de tout
projet qui tend à vider la démocratie de sa substance et à la vider de son sens, car c’est ce que fait l’Union européenne. Je pense que trop peu de gens réalisent qu’être dans l’Union
européenne signifie que l’on perd effectivement toute capacité réelle à s’engager dans le processus démocratique, pour la simple raison – et je pense que nous avons eu de nombreux exemples
ces dernières années – que, quel que soit le gouvernement élu, celui-ci sera, en fin de compte, impuissant à mettre en œuvre un programme alternatif au statu quo, en particulier sur le plan
économique, car pour ce faire, il faut disposer d’un ensemble d’outils économiques permettant de réguler et d’intervenir dans l’économie, ce que les gouvernements n’ont pas aujourd’hui, car
nous avons délégué tous ces pouvoirs à l’Union européenne.
Je pense que les gens ne se rendent pas vraiment compte à quel point l’Union européenne est un défi pour la démocratie. Vous pouvez voter pour un parti qui a un
programme quelconque, mais en fin de compte, il n’a pas les moyens de mettre en œuvre un changement systémique. Car tous ces outils sont désormais détenus à Bruxelles et à Francfort. C’est un
énorme défi pour la démocratie, au point que l’appartenance à l’Union européenne, et en particulier à l’euro, annule presque toute notion de démocratie dans nos pays. Alors oui, on pourrait
penser que c’est quelque chose qui préoccupe les gens de gauche. Et pendant longtemps, ce fut le cas. Même si, aujourd’hui, les critiques à l’égard de l’Union européenne sont associées à la
droite, en réalité, pendant très longtemps, la plupart des critiques provenaient de la gauche. Jusqu’aux années 1970 et 1980, la plupart des partis socialistes, communistes et
sociaux-démocrates étaient fermement opposés à l’Union européenne pour les mêmes raisons. Ils comprenaient qu’il s’agissait d’une menace pour la démocratie, et donc pour la capacité des
travailleurs à influencer la politique à leur avantage par le biais du processus démocratique. Ce n’est pas sorcier. En fait, si vous regardez mon pays, l’Italie, le parti le plus
« souverainiste » qui ait jamais existé
est le parti communiste italien, qui est le seul parti à avoir voté contre tous les traités européens, depuis le traité de Rome de 1957 jusqu’au traité de Maastricht en 1992. Mais il suffit
de regarder l’histoire des partis socialistes et communistes en France ou du parti travailliste au Royaume-Uni pour constater que les partis de gauche s’opposaient à l’Union européenne parce
qu’ils comprenaient qu’il s’agissait d’un projet élitiste, corporatiste et antidémocratique, tandis que les partis conservateurs, les partis libéraux, soutenaient l’Union européenne. Ainsi,
un autre exploit extraordinaire de la propagande est qu’ils ont réussi à transformer toute critique de l’UE en quelque chose venant de la droite, alors qu’en fait, pendant très longtemps,
c’était exactement le contraire.
Mais bien sûr, la gauche porte également une grande responsabilité, parce que la gauche elle-même a changé d’avis sur l’UE et, bien sûr, une fois que la gauche
a adopté l’Union européenne, il est devenu beaucoup plus facile pour l’establishment d’accuser quiconque n’est pas un grand fan de l’UE d’être de droite. Cette transformation – presque une
mutation anthropologique de la gauche – a été longue à se mettre en place. L’économiste australien Bill Mitchell et moi-même revenons sur cette histoire dans le livre que nous avons publié en
2017 et qui s’intitule Reclaiming the State.
Nous y parlons en grande partie de la transformation de la gauche et de la façon dont elle est passée d’une compréhension de l’importance de la souveraineté nationale en tant que seul lieu où
une véritable politique démocratique peut avoir lieu, à la façon dont, à partir des années 70, la gauche a commencé à s’éloigner de ce point de vue et à adopter une vision de plus en plus
négative de la souveraineté nationale, et à embrasser cette idéologie du supranationalisme d’un point de vue de gauche. En fin de compte, cela a fini par apporter un soutien considérable au
projet néolibéral. Je pense que beaucoup de gens de gauche ont soutenu cette transformation de bonne foi. Ils n’ont tout simplement pas réalisé ce qui se cachait réellement derrière. C’est
ainsi qu’on en arrive à la situation actuelle, où la gauche est totalement opposée à l’idée de souveraineté nationale. Mais quand on commence à y réfléchir, on se rend compte que cette
hostilité à l’idée de souveraineté nationale n’a absolument aucun sens.
En fin de compte, la démocratie, historiquement, a évolué dans les limites de l’État-nation, parce que, bien sûr, la démocratie, comme son nom l’indique, a
besoin d’un demos. Elle nécessite donc une communauté qui se considère comme un sujet politique, qui considère que ses membres partagent dans une certaine mesure une identité commune,
généralement définie par une langue, des valeurs et des normes communes, etc. C’est ainsi que la démocratie a évolué historiquement, et dès lors que l’on commence à vendre l’idée que l’on
peut avoir une démocratie à un niveau supranational, on vend en fait un mensonge, car en réalité le concept d’État-nation et de souveraineté nationale est loin d’être un concept réactionnaire
; c’est en fait une condition préalable à toute forme de changement démocratique radical. Une fois que l’on a compris cela, on comprend aussi pourquoi l’Union européenne est un projet si
néfaste. C’est amusant, vraiment, de voir comment ils ont réussi à vendre cela, non seulement l’UE, mais aussi comment ils ont réussi à recadrer complètement ce que signifie être opposé à
l’Union européenne.
Maike Gosch
: Vous avez récemment rédigé un rapport intitulé Le coup d’Etat silencieux : La prise de pouvoir de la Commission
européenne. En vous écoutant, on a l’impression que cela dure depuis un certain temps, mais que cela s’est peut-être accéléré récemment. Pouvez-vous nous parler de votre rapport et
de son contenu ?
Thomas
Fazi : Je pense que l’Union européenne en tant que projet supranational est antidémocratique en soi. Mais il est aussi très important de comprendre comment elle fonctionne et
comment cette menace pour la démocratie a évolué au fil du temps. Il est important de comprendre que l’Union européenne était un projet fortement promu par les élites nationales. Elle ne
s’est pas créée d’elle-même. C’était un projet activement promu par les élites nationales, ce qui peut paraître paradoxal. Pourquoi les élites nationales accepteraient-elles d’abandonner
leurs propres pouvoirs et de les transférer à une institution supranationale, sur laquelle elles n’auraient bien sûr qu’une influence limitée, sans parler des citoyens ordinaires ? Cela
rejoint ce que je disais plus tôt sur la façon dont l’Union européenne, en particulier à partir de Maastricht, a été utilisée comme un moyen d’échapper à ces pressions démocratiques que les
élites nationales ne savaient plus gérer. Et elles ont vu l’Union européenne comme un moyen pratique d’échapper à ces pressions. Les élites nationales ont compris qu’en transférant ces
compétences à une institution supranationale, elles pourraient mettre en œuvre des politiques qu’elles voulaient elles-mêmes mettre en œuvre – des politiques néolibérales qui visaient à
saboter la démocratie, à affaiblir le pouvoir des syndicats, à démanteler l’État-providence, etc. – mais dont elles savaient qu’elles étaient très impopulaires, pour de bonnes raisons. Les
élites nationales ont donc compris qu’en transférant le pouvoir à l’Union européenne, elles pourraient mettre en œuvre ces politiques en faisant de l’Union européenne un bouc émissaire, en
disant : « Ce n’est pas quelque chose que nous
voulons faire, c’est quelque chose que l’Union européenne nous dit de faire ». Je pense que cette logique de « rejet de la responsabilité » est très importante pour
comprendre pourquoi les élites nationales ont apporté leur soutien précoce à l’Union européenne. Elles la considéraient comme un outil qu’elles pouvaient utiliser contre leur propre peuple,
contre leur propre électorat. C’est un discours que nous avons entendu à maintes reprises au fil des décennies, en particulier dans mon pays, l’Italie. C’est un discours très fort, qui a
largement facilité la mise en œuvre de bon nombre de ces politiques, car cela signifiait que les hommes politiques n’étaient pas aussi responsables de ces politiques et pouvaient éviter
d’être considérés comme responsables de ces politiques en rejetant la faute sur l’Union européenne. Il est donc assez clair pour moi que l’Union européenne, surtout dans ses premières années,
a été utilisée comme une sorte de cheval de Troie pour mettre en œuvre de nombreuses politiques qui auraient été autrement beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre. On peut donc considérer
cela comme un projet dans lequel les dirigeants nationaux de toute l’Europe se sont réunis pour conspirer contre leur propre peuple.
Bien entendu, les logiques en jeu étaient différentes dans chaque pays. Les raisons pour lesquelles l’Allemagne a rejoint l’euro, par exemple, étaient très
différentes de celles qui ont poussé l’Italie à y adhérer. Mais on peut observer ce type de poussée antidémocratique dans tous les pays. Et dans ce contexte, la Commission, en tant que
« gouvernement supranational » au sein
de l’Union européenne, a toujours existé et a toujours eu une influence considérable, en particulier en tant que seule institution habilitée à initier des lois au sein de l’Union européenne,
et en tant qu’institution largement à l’abri des pressions extérieures – non seulement démocratiques, mais aussi gouvernementales. Elle a toujours bénéficié d’une grande marge de manœuvre
dans ce sens. Par exemple, la Commission Delors a joué un rôle important dans les années 1980 pour ouvrir la voie à l’union monétaire. Mais dans le cadre que je décrivais, on pourrait
soutenir que ce sont encore dans une large mesure les États-nations (et leurs élites) qui ont utilisé les institutions de l’Union européenne pour faire avancer ce qu’ils considéraient comme
leurs propres intérêts. Dans ce contexte, le Conseil européen, qui est l’institution qui réunit tous les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, a joué un rôle important aux
côtés de la Commission européenne. Cela n’a pas nécessairement rendu l’Union européenne plus démocratique en soi, car les États membres eux-mêmes n’étaient pas vraiment attachés à la
démocratie et utilisaient en fait l’Union européenne pour contourner la démocratie, comme je l’ai expliqué plus haut. Mais les gouvernements nationaux ont joué un rôle important par
l’intermédiaire du Conseil et je pense que nous l’avons très clairement vu par exemple pendant la crise de l’euro, même si la Commission européenne a également étendu ses pouvoirs à l’époque.
Nous nous souvenons tous du rôle important joué par les gouvernements nationaux, comme l’Allemagne, par la voix d’Angela Merkel, et la France, par la voix de Sarkozy, dans cette crise. Il est
assez clair qu’à cette époque, les gouvernements nationaux étaient encore fortement impliqués dans le processus décisionnel de l’UE. Là encore, ils n’agissaient pas nécessairement en accord
avec la volonté des citoyens de leur propre pays. On pourrait néanmoins soutenir qu’un processus qui implique des négociations entre des gouvernements nationaux démocratiquement élus est plus
démocratique qu’un processus concentré entre les mains d’une institution totalement non élue et non démocratique, comme la Commission européenne.
Cependant, surtout au cours des 10 à 15 dernières années, à commencer par la crise de l’euro, nous avons assisté à une expansion lente mais constante des
pouvoirs de la Commission, qui a progressivement étendu son pouvoir sur des domaines de compétence et même sur les affaires des États membres, y compris dans des domaines où elle n’avait
auparavant aucune compétence, et même sur des domaines pour lesquels elle n’a aucune compétence formelle en vertu des traités européens.
Je vois cela comme un processus à deux vitesses : l’une pourrait être décrite comme une « dérive des compétences ». C’est ainsi que l’Union
européenne, par l’intermédiaire de la Commission, étend lentement son influence et son contrôle sur de plus en plus de domaines de prise de décision. Et c’est quelque chose qui se produit
toujours en coulisses. Cela peut se produire par le biais de décisions de la Cour de justice européenne, qui tendent toujours à attribuer davantage de pouvoirs à l’Union européenne, ou par le
biais de petits changements législatifs dont la plupart des gens ne savent même pas qu’ils se produisent. Certains chercheurs ont également qualifié ce phénomène d’« intégration clandestine » ou « intégration secrète ». Il s’agit d’une intégration qui
ne se fait pas par le biais d’une délibération démocratique, ni par le biais d’une modification des traités. Elle se déroule en coulisses, à l’abri des regards indiscrets, et la plupart des
gens n’en ont même pas conscience. Il s’agit donc d’une forme d’intégration très sournoise, car des pouvoirs limités étaient initialement attribués à l’Union européenne qui a, au fil des ans,
accrus considérablement ses pouvoirs.
Mais il y a aussi une autre façon dont la Commission a étendu ses pouvoirs, c’est ce que j’appelle dans mon rapport « l’intégration par coup d’État ». En temps de crise,
lorsque les gens ont peur, sont désorientés ou confus, il est beaucoup plus facile de mettre en œuvre des changements institutionnels rapides et même radicaux, il devient beaucoup plus facile
de repenser les institutions et même les sociétés. Ainsi, contrairement à cette lente progression des compétences qui est toujours en cours, en temps de crise, on assiste à des sauts
quantiques, où la Commission saisit la fenêtre d’opportunité offerte par ces crises pour mettre en œuvre des augmentations soudaines de ses pouvoirs – presque comme on s’attendrait à voir
lors d’un coup d’État, un terme que j’utilise assez souvent dans mon rapport, car je pense qu’il décrit assez bien la nature de ces prises de pouvoir. Il ne s’agit pas d’un coup d’État
violent – il n’implique ni l’armée, ni la police – mais il s’apparente néanmoins à un coup d’État dans la mesure où des moments de désorientation publique sont utilisés pour prendre
soudainement le pouvoir, souvent d’une manière qui va même à l’encontre des traités européens et du droit européen lui-même, sans aucune délibération démocratique. Sous von der Leyen, ce
processus a connu une accélération massive.
Maike
Gosch : Passons maintenant aux crises qui ont été utilisées, selon votre article, pour transférer davantage de pouvoir à l’UE, et en particulier à la Commission
européenne.
Thomas
Fazi : Dans cet opuscule, je me concentre sur trois tournants historiques : la crise de l’euro, la pandémie de Covid-19 et la crise ukrainienne, et sur la manière dont toutes
ces crises ont été utilisées par la Commission pour étendre radicalement ses pouvoirs – au point que la Commission européenne (et par extension l’UE en tant qu’entité supranationale) est
désormais plus puissante qu’elle ne l’a jamais été. L’équilibre interinstitutionnel des pouvoirs s’est déplacé massivement du Conseil européen, où se réunissent les gouvernements, vers la
Commission elle-même. Ursula von der Leyen a joué un rôle absolument essentiel dans la promotion de cette idée, en tant que présidente de la Commission qui a supervisé à la fois la crise du
Covid-19 et la crise ukrainienne (qu’elle supervise hélas toujours). Je pense que des tendances claires se dégagent de l’analyse de ces deux crises, de la manière dont la Commission a
délibérément utilisé ces crises pour concentrer de plus en plus de pouvoir entre ses mains. C’est très inquiétant, car nous avons maintenant une institution non démocratique, non responsable
et non élue, qui exerce un pouvoir énorme sur presque tous les domaines de l’élaboration des politiques – de la santé publique aux affaires économiques, monétaires et fiscales, et même
maintenant à la politique étrangère et à la politique militaire et de sécurité, qui, en vertu des traités, ne relèvent pas de la compétence de la Commission.
En matière de politique étrangère, et en particulier de politique militaire et de sécurité, c’est toujours le seul domaine dans lequel, naturellement, les
gouvernements ont été réticents à céder le pouvoir à l’Union européenne ; en fait, la Commission a toujours eu une influence très limitée dans ces domaines. Mais aujourd’hui, grâce à la
guerre en Ukraine et à la façon dont Ursula von der Leyen a habilement exploité cette crise pour prendre le pouvoir et devenir une sorte de « commandant en chef » de l’Union européenne, nous avons
maintenant cette institution totalement antidémocratique qui décide, dans une large mesure, de la politique étrangère, militaire et de sécurité de toute l’Union européenne, ce qui est
vraiment terrifiant, étant donné que nous parlons de la question la plus importante qui soit : la guerre et la paix et la menace potentielle pour la survie même de chaque citoyen européen,
étant donné la perspective et la probabilité accrues d’une confrontation directe avec la Russie.
C’est le processus que je décris dans mon article. J’ai pensé qu’il était important d’attirer l’attention des gens sur ce processus, car trop peu de gens se
rendent compte de ce qui s’est passé ces dernières années et de la dangerosité de la situation résultant de cette « supranationalisation » croissante de la politique. La
Commission représente aujourd’hui une menace non seulement pour la démocratie, mais aussi pour la sécurité et le bien-être de tous les citoyens européens.
Maike
Gosch : Alors, parlons de ces crises dont on a profité, selon votre analyse, à commencer par la crise de l’euro, et peut-être surtout du rôle de l’Allemagne par rapport à ces
évolutions.
Thomas
Fazi : La politique allemande vis-à-vis de l’Union européenne a longtemps suivi le modèle selon lequel les gouvernements nationaux et les élites nationales utilisaient l’Union
européenne à leur avantage. L’Allemagne en est probablement l’exemple le plus clair, dans la mesure où un pays utilise l’Union européenne et le discours sur l’« européanisation de l’Allemagne » et se détourne
soi-disant des tendances hypernationalistes de l’Allemagne du passé pour, en fait, promouvoir les intérêts nationaux de l’Allemagne, ou plus précisément ceux de ses élites capitalistes, et
poursuivre ce que l’on pourrait décrire comme une forme de nationalisme économique. Pendant longtemps, la relation de l’Allemagne avec l’Union européenne a pu être décrite comme une relation
de « nationalisme par l’européanisme ».
Une grande partie du discours sur la relation de l’Allemagne avec l’Union européenne est complètement fausse, même en remontant jusqu’à l’entrée de l’Allemagne dans l’euro. La version
officielle est que l’Allemagne ne voulait pas rejoindre l’euro, mais c’était le prix à payer pour que les autres pays, en premier lieu la France, acceptent la réunification. Mais c’est en
grande partie un mythe. Lorsque l’on examine l’histoire de cette période, au début des années 1990, on se rend compte que les élites politiques et économiques allemandes comprenaient très
bien que l’euro était à l’avantage de l’Allemagne, ou mieux : à l’avantage de ses élites.
Le premier véritable coup de maître de la Commission a donc eu lieu pendant la crise de l’euro, lorsque, sous couvert de répondre à cette crise, la Commission
s’est octroyé des pouvoirs de surveillance et d’intervention sans précédent dans les politiques économiques des pays. L’Allemagne s’est toujours montrée très prudente à l’égard de l’octroi de
pouvoirs d’intervention supplémentaires à l’Union européenne dans sa propre économie, car elle a toujours été très fière de sa souveraineté économique, et à juste titre. Mais l’Allemagne a
consenti à bon nombre de ces changements institutionnels parce qu’elle s’est rendu compte que la Commission ne se concentrerait pas sur l’Allemagne, mais sur les pays les plus faibles de
l’Union, les forçant à mettre en œuvre les réformes économiques et à adhérer au programme économique qu’elle voulait qu’ils adoptent. Ce sont là des exemples clairs de la manière dont
l’Allemagne a « utilisé l’Europe » pour
affirmer et consolider son hégémonie économique et même politique sur l’Europe.
Mais revenons à la crise de l’euro. Lorsque la crise a éclaté, la Commission européenne et les autres institutions supranationales, comme la Banque centrale
européenne, ont déclaré qu’il fallait jouer un rôle beaucoup plus important dans la gestion des affaires financières et économiques des pays pour les empêcher de faire défaut. Alors qu’en
fait, c’est l’architecture même de l’euro était la principale raison pour laquelle plusieurs pays étaient confrontés à des problèmes financiers. Et pourtant, la crise a été utilisée par la
Commission européenne pour prendre temporairement le contrôle des finances de ces pays. Elle l’a fait par exemple par le biais de la « troïka », l’institution ad hoc composée de la
Commission, de la BCE et du FMI, qui a été créée pendant la crise. Et ce qui se passe dans toutes ces crises, c’est que certaines mesures sont présentées comme temporaires et
« ponctuelles », mais conduisent ensuite
à un changement institutionnel permanent. La troïka, qui était une institution ad hoc, créée pour résoudre la crise actuelle, a ensuite donné naissance à un certain nombre de nouvelles
règles, lois, réglementations, organisations, comme le Mécanisme européen de stabilité, et même à un traité, le Pacte budgétaire, qui a institutionnalisé le régime d’austérité et le système
de surveillance budgétaire, en vertu duquel la Commission s’est vu conférer des pouvoirs étendus pour superviser les équilibres budgétaires des États membres. Cela a conduit à un changement
institutionnel massif et à un transfert de pouvoir considérable du niveau national au niveau supranational.
Et cela a constitué un schéma qui s’est répété lors des crises suivantes. Ainsi, lorsque la crise du Covid a éclaté en 2020, Ursula von der Leyen s’est
immédiatement mise à la tête de la réponse à la crise, à la fois sur le plan économique, puis sur le plan de l’approvisionnement en vaccins. Et l’argument était toujours le même :
« Nous sommes confrontés à une crise massive, nous
ne pouvons donc pas laisser les gouvernements nationaux s’en occuper seuls. Laissez-nous gérer la situation, nous avons l’expertise et nous sommes les seuls à pouvoir prendre des décisions
pour tout le monde ». Et encore une fois, si l’on regarde les mesures économiques qui ont été adoptées pendant la pandémie, comme le lancement du fonds Next Generation EU, présenté comme un fonds de soutien
économique pour aider les pays à traverser la crise, en fait, cela a conduit à un véritable changement dans la constitution économique de facto de l’Union européenne, car pour la première
fois, nous avons vu l’UE se lancer dans un programme massif d’emprunts conjoints, ce qui a toujours été rejeté par certains pays, notamment l’Allemagne, et par certains électeurs. Et cette
résistance n’a pas été surmontée par un débat public démocratique ou une modification des traités, mais simplement sous couvert de réponse à la crise. Ainsi, sous couvert de réponse
économique à la crise du Covid, nous nous trouvons maintenant dans une situation où l’UE s’endette conjointement, ce qu’elle n’avait jamais fait, certainement pas à cette échelle. En outre,
la Commission est également responsable du versement de ces fonds, ce qui bien sûr lui donne un énorme pouvoir de décision, non seulement sur la manière dont cet argent est dépensé – car
c’est elle qui décide en dernier ressort de la destination de cet argent – mais elle peut également l’utiliser pour faire chanter les États qui n’adhèrent pas à l’agenda de Bruxelles, en
menaçant de retenir ces fonds, comme elle l’a fait avec la Hongrie et la Pologne, par exemple.
Ensuite, dans la deuxième phase de la crise du Covid, la Commission, ou plutôt Ursula von der Leyen elle-même, a mené à elle seule un programme massif d’achat
de vaccins pour l’ensemble de l’UE, signant pour le compte des États membres des contrats d’une valeur stupéfiante de 71 milliards d’euros. La plupart de ces contrats ont été signés à huis
clos. Ursula von der Leyen a négocié elle-même un accord d’une valeur de 35 milliards d’euros au cours d’une série de SMS et d’appels avec le PDG de Pfizer, Albert Bourla, qui ont depuis
disparu. Toutes les tentatives des auditeurs, des commissaires à la transparence, des députés européens, des journalistes et des citoyens pour savoir ce qui s’est passé exactement se sont
heurtées à des obstacles, et le « Pfizergate » est devenu l’un des plus grands scandales
de l’histoire de l’UE. De plus, même l’argument avancé par la Commission pour ce programme d’achats conjoints, à savoir qu’en négociant au nom de tous les États membres, elle pourrait obtenir
des prix plus bas, s’est avéré sans fondement.
Puis, après l’invasion russe de l’Ukraine début 2022, Ursula von der Leyen s’est de nouveau placée à la tête de la réponse de l’UE et a ainsi atteint deux
objectifs qu’elle poursuivait depuis son entrée en fonction en 2019 : élargir le mandat de l’UE et de la Commission en matière de sécurité, tout en garantissant la subordination de l’Union à
la stratégie des États-Unis et de l’OTAN, transformant ainsi l’UE en bras politique de l’OTAN. Elle a commencé par lancer un ensemble de sanctions sans précédent, adopté
littéralement le lendemain de
l’invasion russe, et qui avait donc été préparé bien à l’avance. De nombreuses autres ont suivi. L’accaparement des pouvoirs est que traditionnellement, le Conseil était en charge du régime
des sanctions, la Commission étant uniquement chargée de superviser les aspects techniques et la mise en œuvre. Les rôles ont maintenant changé et l’ensemble du processus a été élaboré et
dirigé par von der Leyen, sans doute en étroite coordination avec Washington, au point que les États-Unis, du moins au début, en savaient plus sur le travail concernant les sanctions que les
États membres eux-mêmes. Et, fin 2022, une décision a été prise par le Conseil pour donner à la Commission le pouvoir d’établir et d’appliquer des sanctions en cas de violation de ces mêmes
sanctions, ce qui relevait jusqu’alors de la compétence des États membres individuels. Dans toutes ses déclarations publiques et ses discours, Ursula von der Leyen a adopté un ton de plus en
plus belliqueux sur le conflit ukrainien, en multipliant les sanctions, puis en jouant un rôle crucial dans le financement de l’aide militaire létale, à hauteur de 3,6 milliards d’euros
provenant du mécanisme de financement de la Facilité européenne pour la paix. Grâce à cette stratégie de déclarations publiques, qui a continué à repousser toujours plus loin les limites,
elle a réussi à « verrouiller » la
stratégie UE-OTAN (maintenant devenue indissociable), en utilisant efficacement des tactiques écrasantes et la pression sur ces pairs pour faire que les États membres suivent son exemple –
tout cela, attention, sur des questions de défense et de sécurité, sur lesquelles la Commission, il convient de le répéter, n’a aucune compétence formelle.
Je l’explique de manière beaucoup plus détaillée dans le rapport et je parle également de la manière dont la Commission a utilisé cette crise pour renforcer ses
efforts de contrôle des opinions et des récits (comme on les appelle désormais) dans l’UE, via un nouveau régime de censure sous la forme du Digital Services Act.
Maike
Gosch : Votre rapport est publié par le MCC Brussels. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette institution et sur votre relation avec elle ?
Thomas
Fazi : Le MCC Brussels est un think tank hongrois. Il n’est pas directement financé par le gouvernement, c’est donc un think tank indépendant, mais comme tous les think tanks,
il reflète une idéologie. Et le MCC Brussels est assez proche des vues de Victor Orbán. La Hongrie est aujourd’hui l’un des rares pays qui, selon moi, défend encore les principes fondamentaux
de la souveraineté et de la démocratie, et qui tente de repousser l’empiétement toujours croissant de l’UE sur les affaires intérieures des États-nations, et c’est aussi le seul pays qui
s’oppose à la stratégie UE-OTAN en Ukraine.
L’institution a donc bien sûr ses propres opinions, qui rejoignent en partie celles d’Orbán. Je ne partage pas son avis sur tous les sujets, mais je partage
sans aucun doute son point de vue sur l’Union européenne et ses opinions géopolitiques, notamment vis-à-vis de l’Ukraine et de l’OTAN. Le simple fait que le think tank soit associé à Orbán le
discréditera aux yeux de certains. Mais là encore, je pense que cette méthode qui consiste à délégitimer toute opinion critique en la décrivant simplement comme étant « d’extrême droite » ou pro-Poutine ou autre ne semble
plus si efficace que ça. J’inviterais davantage de personnes à comprendre qu’il s’agit simplement d’une façon de refuser de s’engager dans un débat.
J’ai récemment présenté le rapport à Bruxelles et de nombreux journalistes hostiles sont venus à la présentation. Je pense qu’ils étaient venus là-bas dans
l’espoir d’obtenir de bonnes citations pour rédiger un article contre le MCC, mais au lieu de cela, je pense qu’ils sont repartis en réalisant que ce qu’ils avaient entendu était une analyse
solide qui n’avait rien d’« extrême
droite ». Et en fait, la plupart d’entre eux ont fini par ne pas écrire sur le sujet – pour cette raison même, je pense, parce qu’ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas dénigrer
mon essai ou l’événement, et l’un d’eux me l’a dit très explicitement. Je suis donc heureux d’écrire des articles pour quiconque est prêt à me laisser écrire sans censure ni interférence.
Cela pourrait être un think tank conservateur comme le MCC, mais je serais tout aussi heureux d’écrire pour un think tank de gauche. Le problème est que la gauche, comme mentionné en début
d’interview, est devenue si détachée de ses valeurs traditionnelles qu’elle considère un socialiste de la vieille école comme moi comme un homme de droite parce qu’il parle de l’importance de
la souveraineté nationale ou d’autres questions de ce genre. C’est l’un des paradoxes de notre époque : moi qui viens de la gauche, de la gauche socialiste, sur un certain nombre de questions
fondamentales – comme la souveraineté nationale, l’Union européenne, l’OTAN, la guerre en Ukraine – je me retrouve souvent plus proche aujourd’hui de gens qui viennent de la droite ou qui
viennent de traditions politiques complètement différentes de la mienne que de ceux de gauche. Mais encore une fois, je ne vois pas cela comme un glissement à droite de ma part. Je vois cela
comme une folie totale de la plupart des gens de gauche. Comme je l’ai déjà dit, ma position sur ces questions n’a pas changé au cours des vingt dernières années et, en fait, elle est
étroitement liée à la position que la gauche a eue pendant très longtemps sur ces questions, jusqu’à il y a quelques décennies.
Maike
Gosch : Je pense que, que l’on soit d’accord ou non avec votre description de ces évolutions comme un « coup d’État », la plupart des gens s’accordent à dire
que nous avons assisté ces dernières années à un renforcement des pouvoirs de la Commission et qu’elle a assumé des compétences dans des domaines où elle n’en avait pas auparavant. Je me
demande s’il y a eu une quelconque résistance à cette « prise de pouvoir » que vous décrivez, soit de la part
du Parlement, soit de la part des gouvernements nationaux, soit de la part de tout autre organisme ou de toute autre personne ?
Thomas
Fazi : Tout d’abord, en ce qui concerne le Parlement européen, il serait naïf de s’attendre à ce que le Parlement européen, parmi toutes les institutions, s’y oppose, car il a
toujours été en faveur d’un renforcement des pouvoirs de l’Union européenne aux dépens des gouvernements nationaux. Ainsi, historiquement, les députés européens ont toujours promu le
transfert de souveraineté du niveau national au niveau supranational. Le Parlement européen, historiquement, a toujours été attaché à l’idée fédéraliste – les États-Unis d’Europe, etc. – et a
donc toujours été en faveur du transfert de pouvoir à la Commission et de l’octroi de pouvoirs accrus à la Commission aux dépens des États-nations, même s’il parle de la nécessité de
« démocratiser la Commission », etc.,
mais ce n’est qu’une édulcoration de ce qui constitue fondamentalement un soutien total à l’idée de supranationalisation elle-même. Peut-être que le Parlement actuel adoptera une approche
légèrement différente, mais historiquement, le Parlement a toujours été en faveur du transfert de pouvoirs à la Commission.
Donc, non, il n’y a pas eu beaucoup de résistance à ce sujet. Il y a eu également très peu de résistance de la part des citoyens, mais c’est, je pense, parce
que beaucoup de gens ne sont pas vraiment conscients de ce qui se passe, sauf sur un plan instinctif, en termes de prise de conscience que l’Union européenne est plus puissante qu’elle ne
devrait l’être – et ont tendance à voter de plus en plus pour des partis « populistes » eurosceptiques – mais ils manquent souvent
d’une compréhension plus profonde de ce qui se passe exactement au niveau institutionnel.
Il y a eu relativement peu de résistance de la part des gouvernements également, mais je pense que cela pourrait en partie être dû au fait qu’il pourrait y
avoir dans les calculs de certains gouvernements un peu de cette « logique de rejet de la faute », que j’ai mentionnée au
début, qui est toujours à l’œuvre. Ainsi, par exemple, si vous êtes favorable à un soutien massif à l’Ukraine et que vous voulez mener une guerre par procuration contre la Russie, mais que
votre peuple n’est pas susceptible de soutenir cette politique, alors il peut être utile de confier à la Commission la mise en œuvre de cette politique, car vous pouvez alors dire :
« C’est l’ensemble de l’Union européenne qui fait
cela. Ce n’est pas ce que nous voulons, mais c’est la Commission qui prend les devants. C’est l’Union européenne qui fait pression pour cette politique, et tout le monde le fait aussi. Nous
devons donc nous y conformer ». Mais je pense que cela tient plus généralement au fait que la supranationalisation est dépendante du chemin parcouru. Une fois que ce processus est
lancé, il devient très difficile de l’arrêter ou de le suspendre, et encore moins de l’inverser. Il prend une sorte de logique qui lui est propre.
Même un petit transfert de souveraineté au niveau supranational créera les conditions qui rendront d’autres transferts de souveraineté inévitables ou
apparemment inévitables. L’existence d’une institution supranationale et l’adhésion à cette institution supranationale créent de très fortes pressions institutionnelles, matérielles et même
psychologiques sur les gouvernements pour qu’ils acceptent ensuite d’autres transferts de souveraineté. Cela est particulièrement évident dans la sphère économique. Si vous avez renoncé à
votre souveraineté monétaire, vous avez renoncé à une grande partie de votre souveraineté économique. Alors, bien sûr, quand une crise frappe, vous n’avez pas d’autre choix que de céder
davantage de contrôle à l’institution qui contrôle réellement votre économie, qui se trouve être l’Union européenne, comme nous l’avons vu lors de la crise de l’euro. Mais le simple fait
d’appartenir à l’Union européenne, à ce genre de « club multinational », crée en soi d’énormes pressions,
dans le sens où, chaque fois qu’une crise d’ampleur continentale ou même mondiale survient, elle crée d’énormes pressions sur les gouvernements pour qu’ils acceptent que ce soit la
Commission, en tant que seule institution capable d’agir rapidement et à l’échelle européenne, qui prenne les devants.
Je pense que la montée des partis dits « populistes » à travers l’Europe est clairement un rejet
fort de leurs propres gouvernements. Mais c’est aussi certainement, indirectement, un rejet des politiques de l’UE, dans la mesure où les gouvernements ne font souvent que mettre en œuvre les
politiques émanant de l’Union européenne. Donc, oui, les citoyens ont essayé de faire pression à certains égards par leurs votes. Et, bien sûr, nous devrions espérer beaucoup plus de
cela.
Maike
Gosch : En dehors de cela, avez-vous une idée ou une suggestion sur ce que les citoyens européens pourraient faire pour contrer cette prise de pouvoir, s’ils sont d’accord avec
votre analyse ?
Thomas
Fazi : Ce qu’il faut faire, je pense, c’est sensibiliser davantage les citoyens à ce qui se passe et à l’ampleur du problème et de la menace que représente l’Union européenne.
Je pense que c’est la meilleure chose et la plus importante que nous puissions faire : sensibiliser les citoyens à l’importance de démanteler cette institution. Il est devenu presque
impossible pour les citoyens de concevoir une Europe sans l’UE, mais honnêtement, ce que nous devons comprendre, c’est que les contradictions de l’Union européenne s’accumulent de plus en
plus. Il est donc loin d’être certain que l’UE puisse survivre aux dix ou vingt prochaines années. Les contradictions économiques qui en résultent ne cessent de s’accroître. Les performances
économiques de l’Europe sont fondamentalement les pires des pays industrialisés. Et l’UE en porte une grande part de responsabilité. Et vous avez la pression constante de l’UE sur le
processus démocratique. Combien de temps cela peut-il durer ? Combien de temps peut-on réprimer les partis qui critiquent l’Union européenne ? Et puis, bien sûr, il y a l’élément géopolitique
– le rôle clé de l’Union européenne dans le conflit potentiellement catastrophique avec la Russie. L’Union européenne est donc aujourd’hui un échec économique, politique et géopolitique
total. Peut-être pas du point de vue des élites, mais certainement du point de vue de l’écrasante majorité des gens. Elle nous a tous trahis à de nombreux niveaux.
J’aimerais voir émerger un mouvement fort contre l’UE dans toute l’Europe, car je pense que c’est seulement à partir des cendres de l’Union européenne que nous
pourrons reconstruire une Europe fondée sur une véritable collaboration entre les États – un véritable internationalisme – qui nécessite l’existence d’États souverains. C’est très différent
de ce que nous avons aujourd’hui, qui est le supranationalisme, qui est la négation des États-nations et donc la négation de l’internationalisme. Espérons donc tous que nous verrons
l’émergence d’une forme d’opposition à l’échelle européenne à cette institution hautement destructrice. Le mieux que nous puissions faire est de sensibiliser les gens à ce qu’est réellement
l’UE et, espérons-le, de jouer un rôle dans l’émergence de ce mouvement.
Thomas
Fazi
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Pourquoi les dirigeants européens veulent-ils la guerre ?
L’anxiété et la colère concernant l’avenir de l’Union européenne
augmentent depuis un certain temps. L’Union est en proie à une crise de plus en plus grave – ou plutôt à plusieurs crises de plus en plus graves : une crise du coût de la vie, une crise du
logement, une crise migratoire, une crise de la croissance lente et, surtout, une crise politique. Elle est confrontée à un défi de taille : l’extrême droite, qui progresse dans les sondages
dans de nombreux pays de l’UE, menace de mettre à mal la fragile cohésion de l’Union et les « valeurs libérales ».
Il y a quelques
jours, le Parti de la liberté (extrême droite) a remporté les élections autrichiennes avec 30 % des voix. L’extrême droite est peut-être encore exclue du processus de formation du
gouvernement en Autriche, mais ses autres variantes européennes sont au pouvoir ou soutiennent un gouvernement dans 9 des 27 pays de l’UE.
Sur le plan international, le défi le plus important auquel l’UE est confrontée est sans doute la poursuite de la guerre dans l’Ukraine voisine, qui ne montre
aucun signe d’apaisement malgré un flux soutenu d’armes en provenance d’Europe et des États-Unis. Et, bien sûr, il y a l’ombre du changement climatique, qui continue d’alimenter des
catastrophes naturelles mortelles.
Sans surprise, la réponse des dirigeants politiques de l’UE à ces crises croissantes n’a pas été de s’attaquer à leurs causes profondes, qui se résument toutes
aux politiques néolibérales destructrices qu’ils ont joyeusement embrassées. Au lieu de cela, ils ont réagi en faisant du bellicisme, espérant peut-être que la perspective de la guerre
aiderait les Européens à oublier leurs griefs.
Au cours des deux dernières années, nous avons entendu à maintes reprises que la plus grande menace pour la sécurité européenne était la Russie et que la
solution consistait à vaincre la Russie en Ukraine. On nous a répété que le chemin de la paix passait par l’escalade.
Les armes européennes ont afflué en Ukraine, les pays de l’UE élargissant progressivement leur gamme pour y inclure des armes plus meurtrières et plus
destructrices. La dernière en date est l’insistance des dirigeants européens, dont le chef de la diplomatie européenne sortant, Josep Borrell, pour que l’Ukraine soit autorisée à utiliser des
missiles à longue portée pour frapper des cibles sur le territoire russe.
Le 19 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution non contraignante demandant aux pays fournissant des missiles à l’Ukraine de l’autoriser à les utiliser contre des cibles russes.
La Russie a mis en garde à plusieurs reprises contre une telle initiative. Elle a même récemment mis à jour sa doctrine nucléaire, abaissant le seuil d’utilisation des armes nucléaires.
Alors que l’escalade par la fourniture d’armes à l’Ukraine se poursuit, les Européens apprennent également que leurs pays doivent dépenser davantage en
armements pour se préparer à l’éventualité où cette même escalade qu’ils encouragent deviendrait incontrôlable et où l’UE se retrouverait en guerre contre la Russie. Andrius Kubilius,
commissaire européen à la défense désigné – un poste nouvellement créé pour faire face à la « menace russe » – estime par exemple que l’Union devrait devenir un « entrepôt d’armes de guerre » pour dissuader
Moscou.
Le mantra de l’économie de guerre a également été promu, les Européens étant poussés à croire qu’une construction militaire pourrait stimuler une économie
européenne en train de battre de l’aile.
En septembre, l’économiste libéral Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ancien Premier ministre italien, a publié un rapport très attendu intitulé « L’avenir de la compétitivité européenne », qui a été
salué par beaucoup comme un « pas dans la bonne
direction » pour promouvoir une intégration économique plus profonde de l’Union.
« La paix est
l’objectif premier de l’Europe. Mais les menaces à la sécurité physique augmentent et nous devons nous y préparer », écrit Draghi dans l’introduction du rapport. Il suggère ensuite
que l’UE investisse massivement dans le développement de son industrie de l’armement.
Les dirigeants européens semblent de plus en plus adhérer à l’adage latin « Si vis pacem para bellum », ou « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Le problème de
la « guerre pour la paix » aujourd’hui
est que l’existence d’armes nucléaires, qui peuvent anéantir la civilisation humaine, a radicalement changé l’équation guerre-paix, en particulier dans les cas où une puissance nucléaire est
impliquée.
On peut bien sûr arguer que les dirigeants européens sont forts en paroles, mais pas tellement en actes – d’où leur réticence à autoriser l’Ukraine à utiliser
des missiles à longue portée, malgré la résolution du Parlement européen et toute la rhétorique enthousiaste. Cependant, l’ambiguïté et les menaces rhétoriques restent dangereuses car elles
ouvrent la voie à des incidents militaires qui pourraient avoir de graves conséquences.
Toutes ces discussions sur la guerre, la préparation à la guerre et l’armement pour la guerre ont pour effet de détourner l’attention des nombreuses crises de
l’UE et de leurs origines.
Malgré son insistance à défendre les droits de l’homme, la liberté, la démocratie et l’équité, l’UE est essentiellement une organisation néolibérale qui protège
les droits des riches à devenir plus riches. La politique économique n’est pas façonnée par le souci de la santé et du bien-être des citoyens européens ordinaires, mais par celui de garantir
les profits des entreprises.
C’est pourquoi l’État-providence recule dans toute l’Europe, l’emploi devient de plus en plus précaire et dominé par l’économie des petits boulots, et les prix
de l’alimentation, des services publics et du logement sont inabordables pour beaucoup. Les politiques néolibérales extractives de l’UE, sous la forme de divers accords commerciaux avec les
pays en développement, ravagent également les économies du Sud et favorisent la migration vers le continent.
Le noyau néolibéral de l’UE est également la raison pour laquelle les dirigeants européens ne parviennent pas à mettre en place une transition écologique juste
sans en faire supporter le coût aux citoyens ordinaires.
Le bellicisme, l’armement et la création d’un grand complexe militaro-industriel unifié ne résoudront aucun de ces problèmes. L’UE devrait plutôt revoir ses
stratégies politiques, sociales, climatiques et économiques pour se concentrer sur les valeurs sociales, la démocratie participative, le pluralisme, le bien-être, la croissance durable, la
paix et la coopération. Cela pourrait signifier le développement d’une nouvelle forme de socialisme pour remplacer le désastre néolibéral actuel et élever toute l’Europe.
Santiago Zabala et
Claudio Gallo
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
Il est désormais interdit de s’opposer à la guerre
La semaine dernière, il s’est passé quelque chose d’unique au Parlement européen, une de ces choses dont nos médias ne nous parlent jamais. C’est qu’un
eurodéputé polonais du nom de Grzegorz Braun a pris la parole et s’est déchaîné pour dénoncer le soutien de Bruxelles à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, un soutien qui nous a
coûté jusqu’à présent 88 milliards d’euros selon l’UE elle-même. Braun a à peine pu parler quelques secondes : le président de l’Assemblée, Esteban González Pons, lui a immédiatement
fermé le micro et a passé la parole à un commissaire. En réponse, le commissaire a dit au Polonais que la Russie est un pays où la démocratie et la liberté d’expression ne sont pas
respectées. Un argument particulièrement frappant pour quelqu’un qui vient de se faire couper le micro pour avoir dit ce qu’il ne fallait pas. Il est vrai que le profil politique de
Grzegorz Braun est plutôt énergique, mais ce n’est pas le plus important. Ce qui importe, c’est la contradiction flagrante d’un système qui, au nom de la liberté d’expression, prive un
député du droit de s’exprimer.
Il se passe quelque chose de vraiment inhabituel avec la guerre en Ukraine, c’est l’épaisse chape d’hostilité qui s’abat sur tous ceux qui osent être en
désaccord avec la doxa officielle, à savoir ce discours de soutien aveugle à Zelensky qui, en à peine deux ans, a conduit l’Union européenne à devenir un appendice de l’OTAN, qui a plongé
toute l’Europe dans une crise énergétique et industrielle dont les effets sont déjà plus que visibles, qui a fait de nous tous les ennemis jurés d’une puissance nucléaire et qui a ouvert
un conflit planétaire qui ne manquera pas de se poursuivre sous diverses formes pendant des années.
Les conséquences de cette position sont suffisamment graves pour exiger au moins un débat minimal, mais non : la doxa est implacable et exige une adhésion
irrationnelle que l’on n’a pas connue, même dans les périodes les plus tendues de l’ancienne guerre froide. Les intérêts en jeu doivent être nombreux et très puissants. Le rapport de
l’Oakland Institute nous apprend que le gouvernement de Zelensky a vendu les meilleures terres agricoles du pays à de grandes entreprises étrangères. La presse économique internationale
nous apprend également que BlackRock et Pimco ont des intérêts importants dans la dette ukrainienne et qu’ils se sont déjà positionnés pour «gérer» la reconstruction du pays une fois la
guerre terminée. Il ne s’agit certainement que de la partie émergée de l’iceberg. Et ce doit être un très, très gros iceberg, quand il n’y a pas de médias officiels qui ne répètent pas
tous les jours les slogans habituels, même quand les preuves montrent qu’il s’agit de mensonges. Si gros que l’Allemagne (et pas des moindres) a accepté avec une soumission ovine que l’on
fasse sauter un gazoduc vital.
Le plus exaspérant, cependant, est que le simple fait de prétendre être en faveur d’une paix immédiate en Ukraine mérite toutes sortes de condamnations, à
commencer par celle, très utilisée, de «poutiniste». Pour autant que je me souvienne, c’est la première fois que cela se produit. Au cours du dernier demi-siècle, nous avons connu des
conflits très sanglants dans différentes parties du monde et il y a toujours eu quelqu’un pour brandir l’étendard de la paix. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Même un gouvernement aussi
frileux que celui de l’Espagne, toujours prêt à se remplir la tête d’illusions doucereuses, obéit docilement dans cette affaire ukrainienne et soutient Washington et Londres dans une
guerre à laquelle, en principe, l’Espagne n’a aucun intérêt particulier. Pourquoi ? Le seul dirigeant occidental de poids sur la scène mondiale qui s’est engagé en faveur de négociations
de paix en Ukraine a été Donald Trump, et ils ont déjà essayé de le tuer à deux reprises. Ce n’était certainement pas uniquement à cause de la guerre en Ukraine, mais cela fait partie du
package (et c’est ce qui est le plus inquiétant).
Depuis une position exactement opposée à celle du Polonais Braun, le vieux gauchiste italien Vincenzo de Luca a récemment rappelé l’évidence : hier, il
était téméraire d’étendre sans fin l’OTAN vers l’Est et aujourd’hui, il est irrationnel de faire la guerre sans savoir quel en est l’objectif. La doxa répond à ces objections en disant
que seuls les extrêmes politiques (droite et gauche) remettent en cause le soutien à l’Ukraine et le harcèlement organisé contre la Russie. Mais ce n’est pas vrai : d’innombrables voix de
tous bords idéologiques voient le tableau et pensent la même chose, ce qui est d’ailleurs ce que dicte le vieux réalisme politique. Ce qui est peut-être le plus pertinent, c’est
précisément ceci : le réalisme qui a caractérisé les chancelleries occidentales pendant plus d’un demi-siècle a été massivement remplacé par une rhétorique irresponsable de bellicisme
puéril, si manifestement puérile qu’il est inévitable que quelqu’un nous cache quelque chose. L’iceberg.
J’allais écrire : Les députés européens «s’engagent» pour la guerre contre la Russie.
Bien évidemment qu’ils ne s’engageront pas eux-mêmes ; mais ils ne sont pas le moins du monde troublés d’envoyer leurs peuples au
casse-pipe, de déclencher éventuellement une guerre nucléaire qui fera des dizaines de millions de morts militaires et civils, vieillards, femmes et enfants compris, et la destruction de
tous les moyens de subsistance de ceux qui n’auront pas eu la chance de mourir sur le coup ; rappelons-nous Dresde, Hiroshima, Nagasaki… trois villes intégralement détruites ainsi que
leurs habitants par ceux-là mêmes qui agressent maintenant la Russie et les peuples européens.
La prise de conscience de cette abomination passée et à venir devrait inciter les moins informés (ou les plus décérébrés) à se poser des questions pour
comprendre, enfin, que nos «élites» occidentales, dans leur grande majorité, sont en guerre contre leurs propres peuples, et ça ne date pas d’hier.
Nous avons, à travers de nombreux articles, expliqué comment l’Amérique, devenue l’Ordre mondial, avait, au lendemain de la seconde guerre mondiale,
constitué la vassalité de l’Europe en installant au pouvoir de cette nouvelle Europe des hommes et des femmes entièrement acquis à la cause atlantiste ; j’écrivais le 4 mars 2023, dans
cet article : «L’Ukraine, berceau et
tombeau des Européens ?»1
«L’un des fondateurs
de cette structure sera Jean Monnet, agent de la CIA (selon Marie-France Garaud, Philippe de Villiers, François Asselineau et bien d’autres), tandis que d’autres fondateurs de cette
institution comme Robert Schuman et le belge Paul-Henri Spaak tiendront le rôle de simples exécutants au service des États-Unis.
On nous a fait croire
que le plan Marshall fut mis en place par les Américains pour, selon eux, «aider» les Européens ; ce plan Marshall a été une telle réussite pour leurs affaires qu’ils n’hésiteront pas à
provoquer des conflits (tout bénéfice pour le complexe militaro-industriel) pour reconstruire des pays qu’ils auront ruinés auparavant ou pour piller leurs ressources. La liste est
interminable (les derniers en date : Irak, Syrie, Libye, Serbie, Afghanistan). L’Ukraine vient d’entrer en lice et là, les USA font très fort : ils demandent à un petit pays, l’Ukraine,
d’entrer en guerre contre un grand pays (la Russie) qui refuse leur domination ; l’Ukraine envoie sa population se faire massacrer, les armes sont fournies par les Européens et ce sont
les entreprises américaines (sous la houlette de Blackrock) qui reconstruiront l’Ukraine dévastée, aux frais des mêmes Européens».
Je n’ai rien de plus à rajouter à ce que j’écrivais il y a deux ans dans cet autre article : «Lola, islam, motion
de censure, Ukraine : mais à quoi joue le RN ?»2
«Sur le plan géopolitique, nous savons désormais que cette affaire ukrainienne a été préfabriquée de longue date par les USA, l’UE, l’OTAN, la CIA ou l’Ordre
mondial, comme vous préférez (mais considérez tous ces organismes ou États comme une seule entité).
Le Système mondial
représenté par les USA n’a qu’un objectif : Faire perdurer sa suprématie en supprimant tous ceux qui pourraient y porter atteinte ; un axe Europe-Russie qui pourrait se
mettre en place serait létal pour l’Empire mondial qui doit à tout prix le bloquer ; l’affaire des Balkans, les bombardements meurtriers sur la population serbe, la création de l’État
islamique du Kosovo n’avaient pas d’autre but que d’empêcher ce rapprochement. L’affaire ukrainienne est une autre tentative du Système pour réaliser son projet impérialiste. L’ennemi de l’Europe n’est pas la Russie, ce sont les USA qui ne cachent pas leur hostilité à l’égard des Européens et de toute nation qui
viendrait contrarier leur projet de mainmise sur le monde».
Vous trouverez ci-après la liste des députés européens qui ont voté le 18 septembre 2024 pour la guerre, ceux qui se sont abstenus, ceux qui ont voté
contre.3
Marion Maréchal et son groupe (Nicolas Bay, Guillaume Peltier, Laurence Trochu) ont voté pour la guerre ; ils sont
donc quatre fois infidèles, une première fois à leur parti d’origine, Reconquête, une deuxième fois à leur pays, une troisième fois à leur peuple, une quatrième fois à une véritable
Europe qui n’a jamais vu le jour, libre et indépendante de l’Ordre mondial et qui aura enfin réussi à faire la jonction avec son grand frère de l’Est. Ces gens qui ont trahi (aussi) notre avenir et celui de nos enfants seront responsables du malheur qui pourrait arriver car on ne peut pas croire
qu’ils sont incapables d’imaginer les conséquences de leur vote.
Sarah Knafo, seule représentante de Reconquête, s’est abstenue.
Tous les députés RN ont voté contre, sauf Jordan Bardella qui était absent.