Je partage à 200% son analyse, les conclusions qu'il en tire et notamment celles qui concernent notre pays.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore l'auteur de cet article, Richard Labévière, son parcours très riche et son
expérience étendue, lire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Labévière
Bonne lecture.
DD
Idlib, cinq lettres qui résonnent à la fois comme l’espoir, le scandale et une nouvelle manifestation du mal récurrent de
l’Occident. L’espoir d’une fin prochaine de la guerre civilo-globale de Syrie ; le scandale de jihadistes armés occupant la dernière région d’un pays souverain avec le soutien actif des
Occidentaux, des pays du Golfe et d’Israël ; le mal de l’Occident : une schizophrénie récurrente consistant à aider des terroristes, de même filiation que ceux venus tuer nos enfants
dans les rues de Paris, Berlin, Londres et de bien d’autres localités d’Amérique, d’Afrique et d’Asie.
A l’ouest d’Alep – au nord-ouest de la Syrie – Idlib est la capitale du gouvernorat du même nom, à moins d’une centaine de kilomètres de la frontière turque. La
majorité des habitants d’Idlib travaillaient dans les industries voisines d’Alep et dans l’agriculture. Très fertiles, les terres de la province – 6000 km2 – produisaient en abondance des
céréales, du coton, des olives, des figues, du raisin, des tomates et du sésame. La région abrite les vestiges de plusieurs cités antiques dont celle d’Ebla – Tall Mardikh -, site exceptionnel de
recherches archéologiques où furent découvertes des tables d’argile couvertes de caractères araméens, la langue du Christ.
Depuis l’automne 2012, la ville est envahie par plusieurs groupes terroristes de la coalition Jaïch
al-Fatah (l’Armée de la conquête) regroupant principalement Jabhat al-Nosra (la Qaïda en
Syrie), Ahrar al-Cham, Faylaq al-Cham et d’autres factions de jihadistes armés, dont celles de
l’organisation « Etat islamique »/Dae’ch. La ville d’Idlib abritait 3000 Chrétiens. Risquant de devoir se convertir à l’Islam sunnite, la majorité
d’entre eux a dû fuir… vers le sud en direction de Homs, Hama et Damas ou vers le Liban voisin.
En janvier 2018, l’armée gouvernementale syrienne a pu libérer une petite partie du gouvernorat d’Idlib et encercler l’enclave jihadiste, un tiers étant contrôlé
par Dae’ch, les deux autres tiers par une coalition regroupée autour de Jabhat al-Nosra/Al-Qaïda. Depuis le début de l’été, ces groupes criminels sont assiégés, utilisant comme bouclier humain une partie de la population civile qui se monterait à trois
millions de personnes. Selon d’autres estimations non stabilisées, la poche d’Idlib servirait aujourd’hui de refuge à 25, voire 30 000 jihadistes armés, dont une bonne partie d’étrangers
(3000 Ouïghours avec leurs familles, plusieurs milliers de mercenaires des contingents en provenance de différentes régions du Caucase, quelques centaines d’activistes maghrébins, européens et
asiatiques.
UNE MÊME MACHINERIE
Pourquoi ces gens se retrouvent-ils aujourd’hui concentrés dans la poche d’Idlib ? Durant la libération d’Alep en décembre 2016, puis ultérieurement avec
celles de Deir ez-Zor, de la Ghouta et de Deraa, les autorités syriennes et leurs alliés russes ont, chaque fois, négocié une amnistie au bénéfice des groupes ayant accepté de rendre les
armes ; les irréductibles choisissant la possibilité de s’exfiltrer à destination de la région d’Idlib. Ainsi et de fait, Idlib et sa province sont devenues le déversoir, sinon le sanctuaire
de toutes les factions terroristes refusant d’accepter les progrès continus de la reconquête du « territoire national » par son « armée nationale », aidée de ses alliés
russes, iraniens et du Hezbollah libanais.
A chacune des étapes de cette reconquête, les pays occidentaux – au premier rang desquels les Etats-Unis – ont annoncé, de manière métronomique, l’imminence
d’attaques chimiques commanditées par le seul « régime de Bachar al-Assad », selon la terminologie des chancelleries et de la presse occidentales. A chaque fois a été enclenchée la même
machinerie et ses mêmes rhétoriques alarmistes : celle du siège médiéval (Alep assiégée, encerclée, étouffée, coupée du monde, etc.) ; celle du « bain de sang » et de la
martyrologie (Alep-Martyr, Deraa-martyr, la Ghouta-martyr, etc.) ; celle de la catastrophe humanitaire (sans précédent) et celle de l’usage d’armes chimiques, tandis que les Etats-Unis font
obstruction – depuis 2002 quand cela ne les arrange pas- au déploiement des experts indépendants de l’OIAC (Organisation internationale de l’interdiction des armes chimiques – agence des Nations
unies basée à La Haye aux Pays-Bas).
L’ultime discours de « la ligne rouge » devait permettre d’effectuer des bombardements, pudiquement appelés « frappes » – en dehors de tout
cadrage des Nations unies – comme ce fut le cas en avril 2018 ; « frappes chirurgicales » bien-sûr qui, officiellement, ne firent aucune victime. Ultérieurement, différentes
enquêtes indépendantes de provenances diverses (Nations unies, services de renseignement, ONGs, etc.) devaient conclure qu’aucune preuve ne permettait d’attribuer ces attaques chimiques au
« régime de Bachar al-Assad, alors qu’il était avéré que la « rébellion » en faisait un usage régulier.
Il y a trois semaines, le conseiller américain à la sécurité nationale – John Bolton – remettait le couvert affirmant que des attaques chimiques se préparaient à
Idlib et qu’il fallait ainsi s’attendre à de nouvelles « frappes occidentales » sur la Syrie… Quelques jours après, appliquant la « diplomatie du perroquet » – selon
l’expression de Guillaume Berlat – le chef de la diplomatie française Jean-Yves le Drian proférait les mêmes menaces, mot pour mot. L’ironie de l’histoire est que c’est le même John Bolton –
faucon parmi les faucons – qui en 2002 obtenait la tête du premier Directeur général de l’OIAC – le diplomate brésilien José Bustani -, ce dernier ayant eu l’impertinence de proposer le
déploiement de ses inspecteurs en Irak afin de chercher les fameuses armes de destruction massive qu’on ne trouva jamais, oh grand jamais !
Jean-Claude Mallet, l’inoxydable conseiller de Jean-Yves le Drian, surnommé par ses collègues le « Bolton français » cultive le même mépris pour l’OIAC,
affirmant parait il à ses proches – comme Jérôme Bonnafont le patron d’ANMO (la Direction « Afrique du Nord/Moyen-Orient » du Quai d’Orsay) – qu’il « préférait voir Dae’ch au pouvoir à Damas, plutôt que Bachar al-Assad ! » Une telle clairvoyance diplomatique ne s’invente pas…
DEUX REUNIONS DEDIEES
Dans un tel contexte de provocation, le chef de la diplomatie syrienne – Walid Mouallem – a déclaré le 30 août dernier que « le gouvernement était résolu à
libérer la totalité du territoire syrien ». Le 4 septembre, le Kremlin annonçait que l’armée syrienne s’apprêtait « à régler le problème du terrorisme » à Idlib. Depuis, les
États-Unis multiplient les déclarations pour s’opposer à toute offensive contre les groupes terroristes retranchés à Idlib, tout en affirmant leur volonté de continuer à lutter contre le
terrorisme ! Allez comprendre… ou plutôt cherchez l’erreur ! L’ambassadeur américain à l’ONU, Nikki Haley, réitérait la volonté du président Donald Trump : avertir le gouvernement
syrien de ne pas reprendre la dernière partie du territoire syrien contrôlé par les jihadistes.
Il y a quelques jours, David Ignatius – journaliste au Washington Post – citait un haut responsable de l’administration américaine, expliquant qu’il « fallait
multiplier les initiatives pour résister à une attaque d’Idlib », ajoutant qu’« en ce moment, notre travail consiste à aider à créer des bourbiers (pour la Russie et le gouvernement
syrien) jusqu’à ce que nous obtenions ce que nous voulons ». Les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux sont particulièrement engagés dans trois de ces bourbiers : la Palestine, la
guerre du Yémen et la dernière invention d’un « printemps arabe » en Irak pour essayer d’amener ce pays – majoritairement chi’ite – à s’opposer à l’Iran. Nous y reviendrons.
Toujours est-il que les présidents turc, russe et iranien se sont réunis vendredi à Téhéran pour décider de la marche à suivre. Ils ont acté « une
stabilisation par étapes », laissant la porte ouverte à la négociation avec les insurgés. La Russie et l’Iran se sont prononcés clairement pour une opération militaire visant à neutraliser
les derniers groupes jihadistes pour « libérer la dernière portion du territoire national syrien d’une occupation terroriste soutenue par des puissances étrangères ».
Si la Turquie partage la même volonté d’éradiquer la Qaïda de l’ensemble de la région, il n’en va pas de même pour
les groupes terroristes dits « modérés » qu’elle soutient et garde comme un fer au feu afin de continuer à faire pression sur Damas pour l’empêcher de concéder aux Kurdes une entité
autonome à ses frontières. Ankara craint – par-dessus tout – que le nord de la Syrie ne serve de base de repli aux activités du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré en Turquie
comme une organisation terroriste). Plusieurs observateurs attentifs de ce sommet ont pu constater un nouveau rapprochement d’Ankara et de Moscou au détriment d’une relation turco-américaine de
plus en plus détériorée.
L’ONU, qui réunissait aussi ce même vendredi le Conseil de sécurité sur la question d’Idlib, a de son côté appelé cette semaine les différents acteurs à
« éviter un bain de sang ». Washington, Londres et Paris ont renouvelé leurs menaces de recourir à la force si « l’armée syrienne employait à nouveau l’arme chimique contre sa
population, comme ce fut le cas à la Ghouta orientale au printemps dernier ». Dans les couloirs du Conseil de sécurité, l’ambassadeur russe Vassili Nebenzia s’est un peu lâché :
« nous avons la forte impression que nos partenaires occidentaux enflamment l’hystérie autour d’Idlib et cherchent ensemble à ne pas autoriser la chute de la dernière importante enclave
terroriste en Syrie ».
Refusant d’admettre sa défaite militaire sur le terrain – alors que son objectif , faut il le rappeler, était bien la partition de la Syrie à l’image de ce que les
interventions occidentales ont fait en Irak et en Libye -, la Coalition (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, pays du Golfe et Israël) a clairement perdu la bataille sans toutefois renoncer à
poursuivre la guerre… L’extension de la guerre de Syrie s’opère dans trois directions, autant d’anciens et de nouveaux « bourbiers », selon la terminologie du Washington Post.
TROIS « BOURBIERS » FABRIQUES
« La guerre est un caméléon », selon Carl von Clausewitz, et dans le contexte de la biodiversité politique des Proche et Moyen-Orient, la résurgence
continuelle du conflit israélo-palestinien est un invariant depuis 1948. Violant régulièrement l’espace aérien libanais, la chasse israélienne effectue aussi de nombreux bombardements en Syrie,
ciblant officiellement des objectifs « iraniens et du Hezbollah libanais ». Ces éléments de langage sont assez curieux, sinon parfaitement contradictoires puisque qu’aucune unité
iranienne, ni le Hezbollah ne sont engagés de manière compacte, leurs soldats étant intégrés à des unités de l’armée régulière syrienne. Et les services de renseignement israéliens – ayant
accumulé des échecs notoires pendant et depuis la dernière guerre menée contre le Liban (été 2006) – « ne sont pas en mesure de localiser avec précision les soldats iraniens, comme ceux du
Hezbollah engagés dans les différents théâtres syriens », explique un officier européen de renseignement en poste en Jordanie.
Il n’empêche que l’armée israélienne fournit armes et logistique aux terroristes de Jabhat al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie), qui opèrent sur le plateau du Golan. Au nom de l’action humanitaire, les terroristes blessés sont exfiltrés par des « ONGs
israéliennes » pour être soignés dans des hôpitaux des colonies voisines. Tel-Aviv craint que la reconquête de la « totalité du territoire national » par l’armée syrienne ne
remette en cause – à terme – sa présence sur le territoire du plateau du Golan, occupé et annexé depuis juin 1967. Benjamin Netanyahou profite de cette confusion guerrière pour imposer son
« Etat juif » et l’instauration d’un régime d’Apartheid en Israël, tout en continuant la poursuite de déportations massives des populations palestiniennes de Jérusalem-Est et de
Cisjordanie.
Le deuxième « bourbier » concerne l’intensification de la guerre du Yémen, qui depuis 2015 consiste à amplifier une confrontation qui opposerait la
minorité chi’ite houthi – supposément soutenue par l’Iran – aux forces gouvernementales appuyées par l’Arabie saoudite et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Au Yémen, la différenciation
Sunnites/Chi’ites n’a jamais été réellement pertinente, la logique des affrontements relevant davantage d’une cassure régionale opposant les confédérations tribales du nord à celles du sud.
Washington et Riyad ont délibérément transformé les différends yémenites Nord-Sud en opposition interne à l’Islam, en une « fitna » entre Sunnites et Chi’ites. En fait, il s’agit
surtout d’une extension, d’un glissement de la guerre civilo-globale de Syrie vers le sud, opposant en grande partie les mêmes acteurs – non seulement dans le sud de la péninsule arabique, mais
aussi sur les eaux entre les détroits d’Ormuz, de Bab-el-mandeb et la mer Rouge.
Avec l’aide de la France, les Emirats arabes unis (EAU) opèrent un mouvement naval « d’enveloppement » de la péninsule arabique qui s’effectue à partir du
détroit d’Ormuz, s’appuyant d’abord sur l’installation d’une importante base sur l’île yéménite de Socotra, transformée en porte-avions. Le nord de la Somalie constitue la deuxième étape de ce
déploiement naval avec une implantation spectaculaire sur les docks de Berbera, l’un des rares ports en eau profonde de la Corne de l’Afrique. Une installation secondaire se poursuit dans le port
de Bossasso.
La troisième étape de ce déploiement maritime s’opère en Erythrée, dans le port d’Assab, au sud du pays sur la côte occidentale de la mer Rouge. L’installation
émirienne a débuté en avril 2015, en échange de la modernisation de l’aéroport international d’Asmara, mais aussi d’une aide financière et pétrolière au gouvernement érythréen. L’ensemble du
dispositif naval émirien est géré directement par le ministère de la Défense à Abou Dhabi. Les tâches de coordination opérationnelle sont effectuées par un état-major interarmées installé dans
l’archipel des Hanish, à mi-chemin entre les côtes africaines et arabiques, entre le Yémen et l’Erythrée.
Entre mer Rouge et détroit d’Ormuz, ce déploiement naval inédit s’explique – bien-sûr – par les bras de fer engagés contre l’Iran et le Qatar, mais aussi en raison
d’une guerre portuaire régionale plus ancienne et plus profonde, l’obsession d’Abou Dhabi étant d’assurer un avenir hégémonique sans partage de Dubaï, la « Citée entrepôt »1.
Le dernier bourbier, le plus récent, vise à réactiver la dynamique d’éclatement et de polarisation communautaire en Irak. Vendredi dernier, des centaines de
manifestants ont mis le feu au consulat iranien de Bassora où neuf manifestants ont été tués. Le couvre-feu a été instauré pour tenter de contenir un mouvement social
« anti-corruption ». Selon un diplomate européen en poste à Bagdad, « les services américains ne sont pas étrangers à cette flambée de violence qui a ciblé des groupes armés
chi’ites proches de l’Iran et les locaux du consulat d’Iran. Les américains cherchent à provoquer une espèce de printemps arabe pour imposer un pouvoir anti-iranien à Bagdad, incarné par leur
homme : le premier ministre sortant Haïdar al-Abadi »- qui semble très fragilisé.
Cette nouvelle crise intervient à un moment de paralysie politique à Bagdad. Le Parlement élu en mai dernier ne parvient toujours pas à s’accorder sur le
choix de son président et les tractations se poursuivent pour trouver une coalition à même de former un gouvernement. Déchiré par des années de violences depuis l’invasion anglo-américaine de
2003, l’Irak se remet d’une longue guerre contre Dae’ch. Malgré d’importantes recettes pétrolières (7,7 milliards de dollars en août), le pays connaît
toujours un fort chômage et des pénuries répétitives d’eau et d’électricité. « En termes de « bourbier », les services américains en connaissent un rayon et ne vont certainement
pas en rester en si bon chemin afin de se venger de l’affront de la défaite américaine – et plus largement occidentale – en Syrie, un deuxième Vietnam dit-on au Pentagone », conclut le
diplomate européen.
UN DESASTRE FRANÇAIS
Dernièrement sur les ondes de France Inter, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a dit au sujet de la
question d’Idlib que « Bachar al-Assad a gagné la guerre. Il faut le constater, mais… il n’a pas gagné la paix ». Plutôt que de se réjouir de la fin prochaine d’une guerre hélas très
meurtrière, le ministre a, une nouvelle fois, succombé à la « diplomatie du perroquet » sans esquisser le moindre mea culpa pour notre
politique étrangère, véritable désastre depuis la décision prise par son prédécesseur Alain Juppé de fermer l’ambassade de France à Damas en mars 2012.
A la suite de cette décision incompréhensible et lourde de conséquences – s’il fallait fermer les ambassades de France dans tous les pays avec lesquels nous avons
quelques différends, on finirait par ne plus parler qu’avec la Confédération helvétique ou la Papouasie extérieure, et encore… – s’est imposée une série d’affirmations proprement
idéologiques : Bachar est le seul responsable des centaines de milliers de morts de la guerre civile mais aussi régionale ; Bachar tue son peuple (avec des armes chimiques) ;
Bachar est le seul dictateur de la région (sous entendu, l’Arabie saoudite et les autres pays sunnites de la région sont autant de démocratie-témoins..) ; Bachar doit partir, etc. Et Laurent
Fabius franchissait plusieurs fois le mur du son de l’incompétence diplomatique, voire de l’obscénité, en affirmant notamment que « les p’tits gars de Nosra font du bon travail » ou que « Bachar n’a pas le droit d’être sur terre… »
Pour l’instant, trois raisons essentielles expliquent partiellement ce désastre français : 1) avec le chiraquisme finissant (dans les eaux du G-8 d’Evian en
juin 2003), une école néo-conservatrice française (surgeon de sa maison-mère américaine) a fait main-basse sur le Quai d’Orsay, une partie du ministère de la Défense et de l’Elysée. Hormis un
alignement inconditionnel sur la politique étrangère américaine, cette secte (appelée aussi La Meute) nourrit une admiration tout aussi
inconditionnelle de la politique israélienne et une haine liquide de l’Iran ; 2) la multiplication de substantielles ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis,
le Koweït, l’Egypte et d’autres, obligent à quelques contorsions sélectives en matière de défense des droits de l’homme ; 3) une ignorance crasse de l’histoire, de la géographie et de
l’anthropologie des Proche et Moyen-Orient gagne du terrain chez nos élites politico-administratives alors qu’il n’y a pas si longtemps encore l’école orientale du Quai tenait le haut du
pavé…
Malgré plusieurs répressions coloniales extrêmement brutales durant le Mandat, malgré la donation du Sandjak d’Alexandrette de la Syrie du mandat à la Turquie,
malgré le transfert de la technologie nucléaire à Israël et bien d’autres facéties tout aussi lamentables, la France éternelle conservait néanmoins en Syrie une très bonne image, une certaine
estime, sinon une estime certaine. Depuis trente ans, l’auteur de ces lignes y constatait un « désir de France » intact et polymorphe. De Victor Hugo au général de Gaulle en passant par
la blanquette de veau et la diversité de ses terroirs, la belle France était considérée comme un pays occidental atypique – très à part – car porteur de cette troisième voix/voie gaullienne qui
fait tant horreur aux néo-cons et autres mondialistes hystériques, arrogants et destructeurs.
Quelques secondes de rêve : si la France était restée (par le biais de son ambassade à Damas et de ses excellents connaisseurs de la Syrie aujourd’hui montrés
du doigt, censurés, voire « criminalisés ») en position d’observateur, comme a su le faire l’Allemagne et d’autres pays européens ; si la France était restée fidèle à sa troisième
voie proche-orientale historique, elle serait aujourd’hui au centre du jeu, à armes égales avec la Russie et l’Iran. Elle serait en position de médiatrice, pièce maîtresse de la reconstruction
politique et économique à venir.
Au lieu de cela – et aux antipodes de ses intérêts vitaux – elle s’est mise délibérément hors-jeu, hors des processus d’Astana et de Sotchi (et pas seulement par
russophobie délirante), n’occupant plus qu’un strapontin dans la négociation de Genève, essayant laborieusement de revenir par le biais de l’action humanitaire et du retour des réfugiés. Hormis
les erreurs précédemment soulignées, comment les responsables de notre pays ont-ils pu se tirer dans le pied à ce point ?
AU BOULOT !
Parce qu’il ne faut plus nous raconter d’histoires et revenir au réel – plusieurs hauts responsables syriens nous l’ont dernièrement confirmé -, la France sera le
dernier des pays auxquels fera appel la nouvelle Syrie. Et, les poules auront des dents avant de voir une société française se réinstaller en Syrie. Les Syriens préféreront se réconcilier avec
les Etats-Unis et la Grande Bretagne, voire avec le diable avant de pardonner à la France éternelle ses partis pris idéologiques et ses leçons pseudo-morales ! Les Syriens feront affaire
avec n’importe quelle entreprise européenne de Malte, d’Andorre, du Portugal ou de Papouasie extérieure (encore elle) avant de songer à fabriquer, commercer et penser français …
Les historiens à venir nous expliqueront – un jour peut-être – comment un tel désastre français fut possible ; comment le pays de la Révolution de 1789, des
soldats de l’An-II , jusqu’à ceux du Conseil national de la Résistance, a-t-il pu aider – en leur livrant des armes – des criminels voulant abolir la laïcité, le droit des femmes et la liberté de
cultes et de croyances en Syrie ? Comment notre cher pays a-t-il pu consciemment favoriser l’expansion d’un Islam radical qui a fait tant de victimes en France et dans le monde entier depuis
des décennies ? A défaut d’engager une psychanalyse collective, il faudra que les responsables de ce désastre rendent – un jour aussi – des comptes, parce que l’alignement occidental
n’explique pas tout, d’autant que d’autres pays européens – répétons-le – ont choisi de ne pas aller aussi loin que la France dans le reniement, sinon la haine de soi !
Oui, la question est bien de comprendre cette névrose mortifère dont les psychiatres continuent à interroger les mécanismes. Comme les autres psychoses, la
schizophrénie se manifeste par une perte de contact avec la réalité et une anosognosie, c’est-à-dire que la personne qui en souffre n’a pas conscience de sa maladie (en tout cas pendant les périodes aiguës). Cette particularité rend
difficile l’acceptation du diagnostic par la personne schizophrène et son adhésion à la thérapie médicamenteuse.
En définitive et face aux échéances urgentes de la libération à venir d’Idlib et de la reconstruction de la Syrie, notre vieux pays et ses élites ont vraiment du
boulot. Il serait temps de s’y mettre sans exclusive, ni excommunications…
Bonne lecture néanmoins et à la semaine prochaine.