Après la Somalie, le Soudan du Sud et le Soudan, le chaos s’étend à l’Éthiopie et bientôt à l’Érythrée
...par Thierry Meyssan - Le 16/11/2021.
Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.
Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).
L’ambassadeur US, Jeffrey Feltman, supervise l’extension de la doctrine
Cebrowski à la Corne de l’Afrique. Après avoir mis le feu au Soudan, il s’en prend à l’Éthiopie et sanctionne l’Érythrée. Les Tigréens (un peuple éthiopien) servent sans s’en rendre compte la
stratégie de Washington à la fois contre ces États et contre l’Union africaine.
La Commission électorale nationale éthiopienne a repoussé les élections législatives de septembre 2020 en raison de l’épidémie de Covid. Le TPLF (principal
parti politique Tigréen) a néanmoins décidé d’organiser les élections dans sa région du Tigray, faisant ainsi clairement sécession du reste du pays. Le gouvernement fédéral n’a évidemment pas
reconnu ces élections. L’épreuve de force à ouvert la guerre civile.
L’Éthiopie compte 110 millions d’habitants, dont seulement 7 millions de Tigréens.
En un an, des fonctionnaires du TPLF et d’autres du gouvernement fédéral ont commis des crimes de guerre sans que l’on sache s’ils les ont perpétrés de leur
propre initiative ou sur instruction de leurs autorités (ils seraient alors qualifiés des « crimes contre l’humanité »). Toujours est-il que les zones de famine s’accroissent et que
les massacres se multiplient.
Comme toujours, chaque camp accuse l’autre du pire sans envisager que d’autres protagonistes puissent jouer un rôle. Pourtant, si l’on se demande :
« À qui profite le crime ? », on devrait répondre : « À ceux qui espèrent fracturer une peu plus le pays ».
L’anéantissement des structures étatiques de la Corne de l’Afrique est l’objectif du Pentagone après avoir anéanti des structures étatiques au Moyen-Orient
élargi. On a déjà assisté à la destruction du Soudan (divisé en 2011 en Soudan proprement dit et en Soudan-du-Sud) et à celle de l’Éthiopie (divisé en 1993 en Éthiopie proprement dite et en
Érythrée). Ces deux pays traversent aujourd’hui de nouvelles guerres civiles qui devraient conduire à de nouvelles partitions.
Menant la danse, le diplomate états-unien Jeffrey D. Feltman a d’abord organisé, pendant dix, la guerre en Syrie —c’est-à-dire le financement et l’armement des
jihadistes— [1], avant de devenir l’envoyé spécial du
président Joe Biden pour la Corne de l’Afrique. Son intervention, le 1er novembre 2021, devant le think tank du Pentagone, l’U.S. Institute of Peace (équivalent au secrétariat à la Défense de
ce qu’est la National Endowment for Democracy —NED— [2] au secrétariat d’État) reprend à
l’identique la rhétorique qui a été successivement développée contre l’Afghanistan, l’Iraq, la Libye, la Syrie, le Yémen et le Liban.
D’ores et déjà, les États-Unis rapatrient leurs ressortissants et ne conservent sur place que le personnel le plus indispensable de leur ambassade. Les agences
de presse occidentales diffusent des informations donnant à croire qu’Addis Abeba sera bientôt conquise, marquant la fin de l’Éthiopie et de l’Union africaine qui y dispose de son
siège.
Le seul pays qui ait survécu à la doctrine Rumsfeld/Cebrowski [3] mise en œuvre par le Pentagone,
c’est la Syrie. S’il y est parvenu, c’est parce que toute sa population a conscience que seul un État peut la protéger face à des ennemis difficiles à identifier. Le Levant est la région du
monde où la notion même d’État a été inventée dans la plus haute Antiquité. Nous ne parlons pas ici du Pouvoir, mais bien d’État, c’est-à-dire de ce qui permet à un Peuple de « tenir
debout » (stare en latin, qui a donné État dans les langues européennes). Après avoir cru durant quelques mois qu’une révolution était en
cours dans leur pays, les Syriens ont compris qu’ils étaient attaqués de l’étranger et que seul l’État pouvait les sauver. Aussi quelques soient leur griefs contre le Pouvoir, ils ont servi
et défendu l’État. Tous les autres pays du Moyen-Orient élargi qui se sont déjà écroulés se sont d’abord divisés en tribus ou en confessions.
L’Éthiopie est un pays fédéral constitué de régions dominées par une ethnie particulière. Le conflit actuel est vécu comme opposant les Tigréens aux Omoros et
aux Amharas. Pourtant l’opposition au gouvernement fédéral au sein des Omoros a fait alliance avec les Tigréens. Ces derniers ont la conviction d’être soutenus par Washington. Ils exhibent
fièrement le bref discours prononcé par Jeffey Feltman lors des obsèques du Premier ministre Meles Zenawi, membre de leur tribu. Ils notent que Feltman n’a cessé d’accuser longuement le
gouvernement fédéral de crimes en tous genres, de passer brièvement sur ceux des Tigréens et de ne jamais citer leurs alliés. C’est ne rien comprendre au fonctionnement de la diplomatie US
post-11-Septembre. Washington se moque des deux camps. Il ne souhaite ni la victoire des uns, ni celles des autres. Il entend pousser les deux à s’entretuer jusqu’à ce qu’aucun des deux ne
puisse élever la voix.
Le conflit a fait resurgir des préjugés tribaux qui avaient plus ou moins disparus.
Le Premier ministre fédéral, Abiy Ahmed, a tout fait pour réconcilier son pays avec son ancienne province d’Érythrée, aujourd’hui indépendante. La qualité de
son action a été reconnue par le Comité Nobel qui lui a décerné le Prix Nobel de la Paix 2019. Il s’agissait aussi de souligner qu’un chrétien pentecôtiste était parvenu à faire la paix avec
des musulmans. Le fait est qu’il semble difficile d’accuser Abiy Ahmed de « crimes contre l’humanité » comme on l’a fait contre le président Bachar el-Assad. Mais l’exemple d’Aung
San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix 1991, montre qu’aucune diffamation n’est impossible. La Haut-commissaire des Nations unies pour les Droits de l’homme, Michelle Bachelet, n’a d’ailleurs pas
manqué, en rendant son rapport sur les violations en Éthiopie, de dire à la fois que le gouvernement d’Abiy Ahmed était innocent… mais que les crimes constatés pourraient être requalifiés
ultérieurement de « crimes contre l’humanité ». Bref, c’est un honnête homme, mais cela pourrait être changé rétrospectivement s’il fallait s’en débarrasser.
Au demeurant Abiy Ahmed n’aura pas seulement à gérer un problème qu’il croyait avoir réglé. Il doit aussi s’occuper du grand barrage de la Renaissance, en cours
de remplissage, qui pourrait provoquer une salinisation du Nil au détriment du Soudan et de l’Égypte, et résoudre le conflit territorial avec le Soudan pour le triangle d’Al-Fashaga. Il doit
en outre se garder des Tribunaux islamiques qui sévissent en Somalie et conserver la paix qu’il a signé avec l’Érythrée.
Précisément, les rebelles tigréens ne s’en sont pas seulement pris à l’Éthiopie, ils ont aussi bombardé la frontière de l’Érythrée (une ancienne province de
6 millions d’habitants) de manière à relancer la guerre civile qui a déchiré l’ancien empire d’Abyssinie durant quarante ans. Loin de tomber dans ce piège, l’Érythrée, dont le président
Isaias Afwerki est lui-même ethniquement un tigréen mais proche de la Chine, a poursuivi le TPLF en territoire éthiopien, mais n’a pas attaqué l’armée éthiopienne. L’ambassadeur Jeffrey
Feltman, poursuivant sa politique de dynamitage de la paix dans cette région [4], a alors pris des sanctions
contre l’Érythrée [5] De manière inattendue, Addis Abeba est
venu au secours d’Asmara, demandant aux États-Unis de ne pas s’en prendre à un État qui « ne constitue pas une menace pour une paix durable » [6].
Plusieurs dirigeants africains ont interprété l’action de l’ambassadeur Jeffrey Feltman comme une volonté de Washington non seulement de démanteler le Soudan et
l’Éthiopie, puis de s’en prendre à l’Érythrée, mais aussi d’atteindre l’Union africaine.
Le TPLF dispose d’une très grande quantité d’armes. Elles semblent avoir été commandées depuis la Suisse par le directeur général de l’Organisation mondiale de
la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus [7]. Compte tenu des liens étroits de Monsieur
Tedros avec Beijing, on pourrait supposer qu’elle viennent de Chine. C’est peu probable. Il s’agit plutôt d’armes fournies par des sous-traitants du Pentagone.
Washington, qui a déjà pris des sanctions contre l’Éthiopie, s’apprête à retirer Addis-Abeba de son programme AGOA (African Growth and Opportunity Act). Depuis une dizaine d’années, le pétrole éthiopien est acheté par des transnationales états-uniennes en échange de
produits manufacturés US. Ce n’est pas très avantageux, mais si l’Éthiopie ne peut plus bénéficier de l’AGOA, il ne pourra plus ni exporter, ni importer avec l’Occident. Sauf intervention de
la Russie ou de la Chine, la famine et la guerre se généraliseront.
Le Département d’État Biden vient de nommer le diplomate de carrière Jeffrey Feltman au poste d’envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique.
Compte tenu de la poudrière géopolitique de la région et de l’histoire sombre de Feltman, notamment au Liban et lors des tristement célèbres interventions de la CIA au printemps arabe
après 2009, la question pertinente est de savoir si Washington a décidé de faire exploser toute la région, de l’Éthiopie à l’Égypte, en une répétition du chaos syrien, mais en bien plus
dangereux. Les États-Unis ne sont pas les seuls à être actifs dans la région.
Le groupe de pays africains s’étendant de l’Éthiopie, l’Érythrée, Djibouti et la Somalie, à cheval sur le golfe d’Aden et la mer Rouge, géopolitiquement
stratégiques, constitue la Corne de l’Afrique officielle. Elle est souvent étendue politiquement et économiquement pour inclure le Soudan, le Sud-Soudan, le Kenya et l’Ouganda. Cette
région est stratégique, notamment parce qu’elle est la source du Nil, le fleuve le plus important d’Afrique, qui s’écoule sur quelque 4 100 km vers le nord jusqu’à la Méditerranée, en
Égypte. La Corne de l’Afrique est également un point d’accès aux principaux flux maritimes mondiaux via la mer Rouge et le canal de Suez vers la Méditerranée. Le récent blocage étrange du
canal par un énorme porte-conteneurs pendant plusieurs jours, bloquant une partie importante du commerce mondial, est révélateur de l’importance de la région.
Un volcan
politique
La Corne de l’Afrique est clairement la cible d’une nouvelle vague de déstabilisation secrète et ouverte. Maintenant que les démocrates ont de nouveau pris
le contrôle de la présidence américaine, les interventions dans la région qui ont atteint un point culminant en 2015, avec la guerre américaine par procuration en Syrie et l’installation
de régimes des Frères musulmans soutenus par les États-Unis en Égypte, en Tunisie et en Libye lors des mal nommées révolutions de couleur du printemps arabe, reprennent apparemment, en
tant que priorité élevée de Washington.
La nomination par l’ONU, en février 2021, de Volker Perthes au poste de représentant spécial de l’ONU pour le Soudan et la nomination, en juin, par le
Département d’État de l’administration Biden, de Jeffrey Feltman au poste de représentant spécial des États-Unis pour la Corne de l’Afrique sont autant de signaux de ce qui est en train
de se mettre en place. Feltman et Perthes ont travaillé en étroite collaboration dans le cadre d’opérations noires durant le printemps arabe sur la
destruction du Liban et la déstabilisation de Bachar al-Assad en Syrie. Tous deux auraient également travaillé en
étroite collaboration avec la CIA.
Lorsqu’il a accepté son nouveau poste en avril, sortant de sa « semi-retraite », Feltman a notamment déclaré au magazine Foreign
Policy que la région avait le potentiel pour se transformer en une crise régionale de grande ampleur qui ferait passer la
Syrie pour un « jeu
d’enfant ». Feltman a déclaré : « L’Éthiopie compte 110
millions d’habitants. Si les tensions en Éthiopie débouchent sur un conflit civil généralisé qui dépasse le Tigré, la Syrie aura l’air d’un jeu d’enfant en comparaison ». Il a
exposé les grandes lignes de son action : « Pour ce qui est de
l’action immédiate, il ne fait aucun doute que le Tigré doit retenir l’attention », ajoutant que ses autres grandes priorités sont le différend
frontalier entre l’Éthiopie et le Soudan et les tensions liées au barrage de la Grande Renaissance éthiopienne.
Nous avons là les conditions préalables à la déstabilisation de l’Afrique et de toute la
région.
La guerre
du Tigré
Les puissances occidentales, dont la National Endowment for Democracy du gouvernement américain, préparent discrètement la déstabilisation à venir depuis
plusieurs années. Une étape clé a été le changement de régime de 2018 en Éthiopie. Dans un accord complexe, la coalition minoritaire au pouvoir des ethnies tigréennes a accepté, après des
mois de protestations bien organisées, de céder le pouvoir à une large coalition comprenant leurs adversaires acharnés de l’ethnie oromo. Le Tigré au nord contient une minorité de 6% en
Éthiopie et les Oromos sont la plus grande minorité avec 34%. En avril 2018, sous l’effet d’une pression internationale importante et d’une intervention manifeste de la NED en faveur d’un
changement de régime, le Front de Libération des Peuples du Tigré (FLPT), qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 2012, a été contraint de démissionner et d’accepter une coalition
de transition jusqu’aux élections prévues en 2020. Abiy Ahmed, du Front démocratique révolutionnaire du Peuple éthiopien, le premier Oromo à devenir premier ministre, a immédiatement
entamé des démarches pour remplacer la coalition FDRPE, dominée par le TPLF, par un nouveau parti, Prosperity, sous sa domination.
C’est là que les choses se compliquent. L’une de ses premières actions en tant que premier ministre a été de mettre fin, sous l’égide des États-Unis, à une
guerre de 20 ans avec l’Érythrée voisine et de signer un traité qui a valu à Abiy, qui a fait ses études en Grande-Bretagne, le prix Nobel de la paix. L’Érythrée a mené une guerre de 30
ans jusqu’en 1991 pour obtenir son indépendance de l’Éthiopie. Les conflits frontaliers entre la région du Tigré et l’Érythrée ont maintenu les deux pays en guerre jusqu’à l’accord de
paix d’Abiy.
De manière suspecte, Abiy a exclu le FLPT des pourparlers de paix. On prétend maintenant qu’Abiy avait un motif sinistre pour agir contre le gouvernement
régional bien armé du Tigré. En effet, il s’est rapidement assuré la collaboration du gouvernement érythréen pour lancer un assaut brutal sur deux fronts contre les forces du Tigré. En
août 2020, lorsqu’Abiy a rompu l’accord de transition pour les élections nationales, la région du Tigré a ignoré le report indéfini et a organisé les élections régionales du Tigré, ce qui
a entraîné un conflit armé avec l’armée nationale éthiopienne, rejointe depuis
2020 par les forces érythréennes contre les Tigréens.
Le groupe du Tigré a accusé le prix Nobel de la paix Abiy de vouloir créer une dictature oromo. Les Oromos étaient l’une des principales cibles du régime du
Tigré avant son départ en 2018. L’accord de transition, un peu comme celui conclu sous Mandela en Afrique du Sud, était un accord de réconciliation nationale malgré les injustices
passées.
Il promettait également à la région du Tigré une autonomie politique et une protection contre les forces étrangères (c’est-à-dire érythréennes). Mais plutôt
que de préparer des élections libres pour créer un véritable État fédéral comme convenu, Abiy a commencé à « purger et persécuter
de nombreux membres clés du FLPT du Tigré, notamment des généraux de l’armée et des entreprises. Cela a conduit les élites du FLPT et de la majorité tigréenne à croire qu’elles avaient
été trompées en abandonnant le pouvoir avec de fausses promesses », comme l’a décrit Jawar Mohammed, un architecte de la réconciliation et un des principaux organisateurs des
manifestations éthiopiennes de 2016. Tel est le contexte général de la situation actuelle. Jawar, un Oromo, a coordonné les protestations depuis les États-Unis où se trouvait son réseau
de télévision par satellite Oromia Media Network, basé à Minneapolis. Après son retour à Addis-Abeba en 2018, salué comme un héros du mouvement de libération, Jawar, diplômé de Stanford,
a été emprisonné en septembre 2020 comme terroriste sous un prétexte bidon par Abiy. Le penchant d’Abiy pour le pouvoir devenait
évident.
Le maudit
barrage
Alors qu’il consolidait son pouvoir, Abiy a également refusé de négocier un compromis sur l’une des questions les plus explosives en Afrique, à savoir la
construction de l’énorme barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) qui, une fois achevé, pourrait non seulement produire de l’électricité pour l’Éthiopie, mais aussi couper l’eau
vitale du Nil au Soudan et à l’Égypte. Pour Abiy, le barrage GERD est le symbole de sa volonté de créer une unité nationale autour de son pouvoir.
Le barrage Grand Ethiopian Renaissance Dam (GERD) sur le Nil bleu, qui fournit 85% du débit du Nil, a commencé à être construit en 2011 pour un coût estimé
à 4,9 milliards de dollars. Il se trouve à quelque 30 kilomètres de la frontière avec le Soudan. Le régime d’Abiy a jusqu’à présent refusé toutes les tentatives de négociation sur le
barrage avec l’Égypte et le Soudan. Pour environ 100 millions d’Égyptiens, les eaux du Nil sont leur « unique source de subsistance ». Plus de 90% de l’eau en Égypte provient du
Nil bleu. L’Égypte a demandé l’intervention des Nations unies, que l’Éthiopien Abiy rejette d’emblée. Abiy a commencé à remplir le barrage, un processus qui prendra de 5 à 7 ans, sans
aucune consultation avec le Soudan ou l’Égypte sur le taux de remplissage ou d’autres caractéristiques essentielles. L’Égypte a menacé de lancer une action militaire, tout comme le
Soudan.
L’arrivée
de Jeffrey Feltman
Dans cette région explosive, le Département d’État Biden a dépêché l’envoyé spécial Jeffrey Feltman pour s’occuper de la Corne de l’Afrique. Feltman a une
histoire trouble, voire sombre. Selon l’analyste stratégique français Thierry Meyssan, qui a vécu à Damas, Feltman, en tant qu’ambassadeur américain au Liban en 2005, a organisé
l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafiq Hariri. Il a organisé une commission de l’ONU qui a suggéré que le Syrien Assad était impliqué dans ce crime, dans le cadre d’un plan
américain visant à séparer le Liban de la protection de la Syrie. Feltman a ensuite organisé une révolution de couleur, surnommée la Révolution du Cèdre, exigeant que
les forces militaires et de sécurité syriennes quittent le Liban.
Feltman, en collaboration avec Volker Perthes, alors à la tête du groupe de réflexion sur la politique étrangère financé par le gouvernement allemand SWP et
spécialiste de la Syrie, a fait progresser le printemps arabe Obama-Clinton dans tout le Moyen-Orient, du Caire à Tripoli et au-delà. Après 2011, leur objectif était de renverser Bachar
al-Assad en Syrie et de réduire le pays en ruines avec le soutien d’Erdogan, de l’Arabie Saoudite et du Qatar. Leur objectif était d’amener les
Frères musulmans au pouvoir dans tout le Moyen-Orient. Feltman était alors le secrétaire d’État adjoint aux affaires du Proche-Orient sous la direction de la secrétaire
d’État Clinton. Les deux, Feltman et Perthes, ont poursuivi leur collusion pour le changement de régime sous les auspices de l’ONU après juin 2012, lorsque Feltman a été nommé secrétaire
général adjoint aux affaires politiques, poste qu’il a
occupé jusqu’en avril 2018.
Feltman à l’ONU disposait d’un budget de 250 millions de dollars pour intervenir là où il voyait une nécessité « onusienne », et la Syrie était en
haut de sa liste. Le poste à l’ONU a détourné l’attention du rôle de Washington dans les déstabilisations du printemps arabe. Il a supervisé le recrutement de dizaines de milliers de
mercenaires islamistes d’Al-Qaïda, de l’EI (organisations terroristes, toutes deux interdites en Russie) et d’autres terroristes étrangers pour détruire Assad et la Syrie. Il faisait
partie d’une directive présidentielle d’étude-11 (PDS-11) top secrète d’Obama de 2010, appelant au soutien de Washington à la secte paramilitaire islamiste fondamentaliste secrète des
Frères musulmans dans tout le monde musulman du Moyen-Orient – et avec elle, au déclenchement d’un règne de terreur qui changerait le monde
entier.
Feltman, travaillant discrètement avec Perthes qui est devenu l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie de 2015 à 2016 sous Feltman, a organisé l’opposition
syrienne ainsi que le soutien financier pour recruter l’EI et Al-Qaïda à l’étranger afin de détruire le régime syrien avec l’aide de la Turquie. Le projet a rencontré un obstacle majeur
après septembre 2015 lorsque la Russie, à la demande du gouvernement syrien, est entrée dans la guerre en Syrie. En mai 2021, l’Union européenne a renouvelé pour un an ses sanctions
contre toute personne ou entreprise participant à la reconstruction de la Syrie, conformément aux instructions secrètes émises, en 2017, par Jeffrey Feltman lorsqu’il occupait le poste de
secrétaire général adjoint de l’ONU. Le document a été rendu
public en 2018 par le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov.
Aujourd’hui, Feltman est de retour dans la région en tant qu’envoyé dans la Corne de l’Afrique. Son ancien co-conspirateur, Volker Perthes, depuis février
2021, est officiellement représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Soudan. Pour compléter l’ancienne équipe de changement de régime, le Département d’État Biden a nommé
Brett H. McGurk à la tête du Conseil national de Sécurité pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord. Lorsque Feltman organisait le printemps arabe et la destruction de
la Syrie, McGurk a occupé le poste de secrétaire d’État adjoint pour l’Irak et l’Iran de 2014 à janvier 2016. McGurk avait auparavant travaillé comme conseiller en 2004 auprès de
l’ambassadeur d’Irak John Negroponte et du général David Petraeus pour organiser la guerre civile sunnite contre chiite en Irak, qui a conduit
à la création ultérieure de l’État islamique.
Et la
Chine…
Le regroupement de l’équipe de Feltman dans la région de la Corne de l’Afrique laisse penser que les perspectives de paix et de stabilité durables y sont
bien sombres. Comme l’a dit Feltman, la Corne de l’Afrique pourrait faire passer la Syrie pour un « jeu
d’enfant ». Il reste à voir comment la Chine, le pays qui a le plus investi non seulement en Éthiopie, mais aussi en Érythrée, au Soudan et en Égypte, réagira aux nouveaux
déploiements américains dans la Corne de l’Afrique. La quasi-totalité du commerce maritime entre la Chine et l’Europe passe par la Corne de l’Afrique, le long de la mer Rouge, avant
d’atteindre le canal de Suez en Égypte.
La Chine a accordé bien plus d’un milliard de dollars de crédits pour construire le réseau électrique du barrage GERD vers les villes d’Éthiopie. Pékin
était de loin le plus grand investisseur étranger pendant le règne du FLPT, avec quelque 14 milliards de dollars dans divers projets en 2018. Depuis l’accord de paix avec l’Éthiopie, la
Chine a acheté deux grandes mines d’or, de cuivre et de zinc en Érythrée. Auparavant, Pékin était le plus grand investisseur en Érythrée pendant les années de guerre avec l’Éthiopie, et a
investi dans la modernisation du port érythréen de Massawa pour exporter le cuivre et l’or des mines chinoises sur place. Au Soudan, où les compagnies pétrolières chinoises sont actives
depuis plus de vingt ans, la Chine détient des intérêts importants tant au Soudan qu’au Sud-Soudan. En Égypte, où le président al-Sissi a officiellement rejoint « la Ceinture et la
Route » de la Chine, les liens sont également très forts : les investissements chinois dans la région du canal de Suez, les terminaux portuaires à conteneurs, les télécommunications,
les chemins de fer légers et les centrales électriques au charbon atteignent 20 milliards de dollars. Et pour ajouter à la complexité, depuis 2017, la marine chinoise exploite la première
base militaire chinoise à l’étranger directement adjacente à la base de l’US Navy au Camp Lemonnier à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique.
Tout cela crée un cocktail géopolitique d’une ampleur inquiétante, et Washington ne fait pas entrer les diplomates les plus honnêtes dans le bar à
cocktails, mais plutôt des spécialistes du changement de régime comme Jeffrey Feltman.
La Corne de l’Afrique
elle-même présente un intérêt important pour de nombreux pays qui se considèrent comme une entité géopolitique, car sa situation géographique lui permet de contrôler la connexion entre la mer
Rouge (et donc le canal de Suez) et l’océan Indien, où passe un grand nombre de navires. Djibouti accueille des bases militaires françaises, italiennes, américaines et même chinoises. De l’autre
côté du détroit se trouve le Yémen, où le conflit militaire se poursuit, dans lequel l’Arabie Saoudite et ses partenaires interviennent.
Des signes évidents de déstabilisation ont été observés récemment dans deux pays de la région, la Somalie et l’Éthiopie.
La veille, un message a été diffusé concernant la mort d’un officier de la CIA en Somalie. Il s’agissait d’un agent de la Division spéciale, un ancien Marine. Cet
événement a été interprété comme quelque chose d’extraordinaire, puisque dans ce pays d’Afrique de l’Est il y a un grand nombre de troupes américaines – plus de 700 soldats. Certains d’entre eux
sont en mission anti-terroriste.
La Somalie reste l’un des pays les plus dangereux au monde. Bien que la Somalie soit officiellement une fédération, ce qui est inscrit dans la constitution
provisoire du pays, la confrontation inter-clanique et inter-ethnique y demeure, à laquelle s’ajoutent les activités de groupes criminels et terroristes. Il y a une dizaine d’années, les pirates
somaliens étaient connus pour détourner les navires passant près des côtes et exiger des rançons pour les marins et les cargaisons saisies. Ce problème a été partiellement résolu grâce aux
opérations militaires de divers États, mais il n’a pas complètement disparu. Un autre problème est l’activité du groupe terroriste Al-Shabab qui est associé à Al-Qaïda. Fin novembre, des
responsables d’Al-Shabab ont tué un groupe de soldats somaliens entraînés par l’armée américaine.
Un rapport sur la lutte contre le terrorisme dans la région, préparé pour le Congrès américain, indique que d’ici 2021, les forces de sécurité somaliennes locales
seront en mesure de faire face aux menaces par leurs propres moyens. Apparemment, c’est ce qui a motivé la décision de retirer les troupes américaines de Somalie. Et Donald Trump a donné les
instructions appropriées. Cependant, cela a suscité des critiques de la part des politiciens et de la communauté de renseignement américaine qui ont affirmé que si les troupes américaines étaient
retirées, le pays plongerait sûrement dans une guerre civile. Tous les clans ne soutiennent pas le gouvernement fédéral de ce pays, donc même si des bases spéciales du commandement africain
restent dans la région (on suppose que les opérations contre Al-Shabab se poursuivront avec l’aide de drones de combat lancés du Kenya et de Djibouti), un conflit interne pour le pouvoir pourrait
commencer.
Des élections parlementaires doivent se tenir en décembre en Somalie et des élections présidentielles doivent avoir lieu en février. C’est une autre source
d’inquiétude, car de nombreux hommes politiques et chefs de clan ne veulent pas que le chef du pays en exercice, Mohammed Abdullahi Mohammed, conserve son poste. Il a pourtant l’intention de se
présenter à nouveau aux élections. Il est également intéressant de noter qu’il est soutenu par le Qatar – le principal sponsor des Frères musulmans.
Si Djibouti peut atteindre une sécurité relative grâce à la présence de bases militaires étrangères, la situation en Éthiopie voisine reste critique.
Après le déclenchement du conflit avec le Front de libération nationale du Tigré, les forces gouvernementales ont capturé l’une des principales villes de la
province d’Adigrat le 20 novembre, tuant des centaines d’habitants et en faisant fuir des dizaines de milliers vers le Soudan voisin.
Le 24 novembre, la Commission éthiopienne des droits de l’homme a déclaré que plus de 600 personnes avaient été tuées à Mai Kadra, une autre ville de la province du
Tigré. Un nettoyage ethnique y a été effectué avec le soutien de la police locale. Malgré les appels des Nations unies et de l’Union africaine à mettre fin à l’effusion de sang, le Premier
ministre Al-Ahmed a refusé d’arrêter l’opération militaire et d’entamer des négociations.
Ce qui se passe peut également affecter l’économie du pays, notamment les activités des investisseurs extérieurs comme les EAU. Les Émirats financent 92 projets
dans une grande variété de secteurs en Éthiopie. En outre, 50 000 travailleurs migrants originaires d’Éthiopie se trouvent aux Émirats arabes unis dans le cadre du programme de réduction du
chômage. En outre, il est prouvé que les Émirats aident à combattre les rebelles en utilisant la base militaire d’Assab en Érythrée.
Un autre facteur de déstabilisation est la construction d’un grand barrage en Éthiopie, qui est appelé le projet du siècle. Il s’agit d’une grave préoccupation pour
l’Égypte et le Soudan, car son lancement affectera le niveau de l’eau du Nil, qui est directement lié aux activités agricoles de ces deux pays.
Le déclenchement de la guerre civile peut servir de prétexte à une intervention en Éthiopie. Il est à noter que les représentants de l’Égypte ont déjà discuté de
cette possibilité avec les représentants de l’Érythrée. Jusqu’à présent, le Caire utilise la pression diplomatique pour obtenir le soutien de la Zambie et de la Namibie dans la construction du
barrage. Le Soudan, pour sa part, a boycotté les dernières négociations qui ont eu lieu le 21 novembre.
En même temps, il faut noter le partenariat entre les EAU et l’Égypte sur un certain nombre de problèmes régionaux, notamment la lutte contre l’expansion de la
Turquie et la lutte contre l’organisation des Frères musulmans. Il n’est pas encore clair comment des points de vue différents sur le conflit éthiopien et la construction du barrage pourraient
affecter la coopération des deux pays. Mais il existe un potentiel de refroidissement de la relation.
Ces facteurs indiquent que l’instabilité chronique dans la région, qui repose en partie sur des conflits historiques, pourrait dégénérer en un grave chaos. Cela
nécessitera non seulement l’introduction de troupes étrangères (pays de l’Union africaine, contingent arabe, probablement les États-Unis ou l’OTAN) comme contingent de maintien de la paix, mais
aussi la nécessité d’un certain nombre de tâches humanitaires.
D’autre part, il existe également un potentiel de coopération. L’ancien président de la Somalie rappelle dans son article qu’en 1977, l’Éthiopie et la Somalie ont
entamé une guerre pour le contrôle de la région de l’Ogaden. À cette époque, Fidel Castro a proposé aux dirigeants soviétiques un plan pour établir la paix dans la région – la création d’une
confédération de l’Éthiopie, de la Somalie, du Yémen du Sud et le futur Djibouti (qui, à l’époque, était une colonie française). La solution de ce problème conduirait à l’établissement d’un
contrôle sur la mer Rouge et, par conséquent, sur le canal de Suez, ainsi qu’à la révélation du potentiel économique de la région. Ces plans n’étaient pas destinés à se réaliser, notamment parce
que le chef militaire de la Somalie, Siad Barre, a rejeté cette proposition et a préféré un conflit avec l’Éthiopie. Cependant, l’idée d’intégration régionale continue de vivre aujourd’hui. En
2018, les dirigeants éthiopiens ont entamé un rapprochement avec la Somalie et l’Érythrée en signant un accord tripartite qui, selon le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, pourrait être le
prélude à une intégration politique. Mais il est probable que certaines forces ne soient pas intéressées par ce processus, ce qui explique pourquoi il y a des processus de déstabilisation et de
frictions.
Djibouti : la diplomatie de géant d’un petit État Sonia Le Gouriellec (Presses
Universitaires du Septentrion, 230 pages, 20 €)
L’auteur aborde la puissance des États de petite taille et leur capacité à exploiter leur positionnement géographique malgré leur taille. Être un « petit
État » ne signifie pas forcément être vulnérable sur la scène internationale comme en témoignent Dubaï, Djibouti, Singapour...
Dubaï, Singapour, le Vatican et Djibouti… Qu’ont-ils en commun, outre leur taille ?
Ces États sont perçus comme plus faibles et vulnérables sur la scène internationale, il est donc intéressant de s’intéresser à leur « comportement » sur cette
scène. Une tradition de pensée classique en Relations internationales estime que ces États n’ont pas de puissance et sont négligeables. Or ils sont les plus nombreux et tendent à s’allier ce
qui compense la vulnérabilité inhérente à leur petitesse. Le comportement de l’Etat djiboutien rappelle celui de nombreux petits États (création d’alliances, promotion du multilatéralisme,
posture de neutralité au moins dans les discours, etc.), il se singularise aussi par une volonté d’affirmation qu’illustre son activisme diplomatique ainsi que la multiplication des garanties
sécuritaires recherchées au niveau systémique par la présence de cinq bases militaires sur son territoire par exemple (France, Etats-Unis, Chine, Japon, Italie).
Djibouti, lui, a une « diplomatie de géant ». Comment réussit-il à être si présent ? Et dans quel but ?
Ce titre vient d’un constat : Des travaux menés en 2002 ont montré que le nombre moyen de représentations des petits États était de sept mais 60 % des petits
États étudiés en ont moins. À l’époque, Djibouti était déjà au-dessus de la moyenne avec 11 représentations. En 2017, Djibouti comptait environ 45 représentations diplomatiques à l’étranger.
C’est une caractéristique assez exceptionnelle pour un petit État. Dans le livre je montre que cette politique étrangère est au service d’un pouvoir concentré. En effet, les principales
ressources de Djibouti sont les revenus des ports et les rentes des bases militaires. Le régime vend à ses partenaires une certaine stabilité. Ce discours sur l’ordre et la stabilité dans une
région conflictuelle lui permet également de faire diminuer la pression de démocratisation des États occidentaux et des institutions internationales. Le comportement de l’Etat djiboutien
semble aussi trouver ses racines dans un environnement régional singulier, particulièrement conflictuel et menaçant, qui le pousse à s’adapter sans cesse. Et cette perception persistante, à
tort ou à raison parfois, que sa souveraineté est menacée, et ce depuis son indépendance : par ses voisins éthiopiens et somaliens au début, puis par l’Erythrée, par l’ancienne puissance
coloniale un temps et aujourd’hui par la Chine.
On a souvent tendance à ne voir Djibouti que comme une base arrière de grandes puissances. Chinois, Américains et Français brouillent-ils la perception
que l’on devrait avoir de Djibouti ?
En partie, oui. Je remarque qu’on a une approche partielle de ce territoire. De façon curieuse alors que Djibouti est très présent dans l’imaginaire collectif
français, il existe peu de travaux sur le pays, particulièrement en science politique et encore moins dans le domaine qui a trait aux Relations internationales. Les visiteurs qui en repartent
ont une excellente connaissance des forces françaises et étrangères à Djibouti mais ils n’ont pas fait réellement connaissance avec Djibouti et ses populations. Cela contribue à la « légende
coloniale de la terre vide, chère à Loti, Romain Gary ou Paul Nizan. Djibouti est pourtant un territoire qui regorge de passionnants objets d’études. Pour s’en convaincre, il convient de voir
ce que Djibouti voudrait bien nous cacher, et pas uniquement ce que son régime veut bien exposer aux observateurs extérieurs.
Vous parlez de « la mélancolie » des militaires pour Djibouti. Et pourtant, c’est un endroit rugueux, exigeant, inhospitalier… Pourquoi cette forme de
romantisme ?
Oui, j’ai eu de nombreux entretiens avec des militaires français sur place ou ayant séjourné à Djibouti et j’ai remarqué ce sentiment mélancolique, teinté de
nostalgie pour ce petit territoire africain. De nombreuses hypothèses sont possibles : un sentiment de sécurité sur place, un sentiment anti-français peu développé par les populations locales
(en tout cas en comparaison avec d’autres pays du continent), etc. Je ne saurais expliquer pourquoi. Ils sont nombreux à lire votre blog et peut être pourront-ils nous donner quelques pistes
d’explications dans les commentaires…
Propos de Sonia Le GOURIELLEC
recueillis par Philippe CHAPLEAU
Lignes de Défense
En mer entre Djibouti et le Mozambique, 28 mars 2019.
...par Richard Labévière.
Comme chaque année depuis 2016, une partie de la rédaction de prochetmoyen-orient.ch a appareillé de Djibouti pour l’océan Indien. Cette opportunité nous permet, notamment de mesurer l’évolution du
« grand jeu djiboutien » qui se déploie au beau milieu d’un axe stratégique vital pour la défense et la sécurité de la France : Méditerranée/mer
Rouge/océan Indien.
Dernièrement sur la route de l’Ethiopie et du Kenya, le président de la République a fait halte dans l’Etat portuaire afin d’y transmettre essentiellement trois
messages : la France dispose toujours à Djibouti de sa plus grande base militaire à l’étranger et elle y remplit pleinement les obligations de ses accords de défense dans une région en
bouillonnement constant ; elle veille aussi à questionner – autant que faire se peut – le clanisme et l’opacité d’un régime autoritaire ; enfin, il s’agissait aussi de prendre la mesure des
évolutions économiques de ce « hub stratégique », maillon important du collier de perles chinois et des routes de la soie.
UNE TACTIQUE D’ENDETTEMENT SYSTÉMIQUE
Afin de conforter ses intérêts économiques en Ethiopie, Pékin vient de restaurer la vieille ligne du chemin de fer français reliant Djibouti à Addis-Abeba. Cette
rénovation a été exclusivement menée par une main-d’œuvre chinoise, sachant que Djibouti connaît un taux de chômage de 60%. Coût de l’opération : 500 millions de dollars pour un tronçon de
moins d’une centaine de kilomètres, avec un emprunt à un taux de 6% ! Pékin a aussi construit un aqueduc pour un montant de 350 millions de dollars acheminant d’Ethiopie 8000 m3 d’eau par
jour, eau certainement la plus chère d’Afrique.
Sur le front des infrastructures routières et portuaires, Pékin poursuit la même tactique d’endettement systémique de son partenaire djiboutien : des prêts à
des taux délirants pour réaliser des infrastructures de qualité souvent contestable. Les cinquante hectares du port de Doraleh, qui devaient se transformer en une zone franche commerciale ouverte
et susceptible de profiter aux investisseurs djiboutiens, n’ont rien de très « francs », laissant actuellement place à un no man’s land dont personne ne connaît la
réelle destinée. Djibouti achète à l’Ethiopie de l’énergie électrique estimée à 6 centimes le Kw/heure. Ce flux transite par un opérateur chinois qui facture le même Kw/heure à 60 centimes, soit
en faisant dix fois la bascule par rapport au prix éthiopien initial. Au final, Djibouti consomme l’une des électricités les plus onéreuses d’Afrique. Par ailleurs, les sept câbles sous-marins
qui relient l’Asie et l’Europe transitent par la région : quelle chance ! Néanmoins en matière de télécoms, Djibouti est – là-aussi – le deuxième pays le plus cher du monde. Encore
merci Pékin !
Enfin, et pour renforcer le contrôle social de la population djiboutienne, Pékin cherche à vendre au président Ismaïl Omar Guelleh (IOG) un système numérique de
reconnaissance facial, le même qui fait tellement de miracles en Chine en matière de restriction orwellienne des libertés civiles et politiques. Quel progrès ! Toujours est-il que
l’endettement de Djibouti a doublé en trois ans et qu’il représente aujourd’hui 95% du produit intérieur brut… au profit exclusif de Pékin, qui fait plus fort que toutes les anciennes puissances
coloniales.
Dans ce contexte économique des plus asymétriques, la société française Colas a tenté, à plusieurs reprises, de répondre à des appels d’offres
lancés par Djibouti en matière de terrassement et de travaux publics. A chaque reprise, elle s’est fait laminer par une concurrence chinoise des plus opaques et déloyales. L’un des messages
d’Emmanuel Macron aux autorités djiboutiennes a été des plus clairs : on a besoin de règles équitables et respectées s’appliquant aussi aux sociétés chinoises !
Cette tactique chinoise d’endettement systémique des pays d’accueil engrange d’autant plus de succès à Djibouti que son système politique repose sur de savants
équilibres claniques qui ne se résume pas au seul clivage ancestral Afars/Issas. On l’a dit : avec un chômage qui frappe 60% de la population active, les bons connaisseurs de Djibouti
estiment que plus d’un tiers des postes de la fonction publique sont des « emplois fictifs » distribués en fonction d’un système d’allégeances strictement destiné à la reproduction de
l’actuel pouvoir d’IOG et de sa clientèle.
En définitive, et comme dans d’autres régions d’Afrique, la stratégie chinoise – d’abord le civil, ensuite le militaire – aboutit à une série de perte sèche de
souveraineté et d’indépendance nationales. L’endettement de pays d’accueil comme Djibouti atteint des seuils qui rendent vite toute espèce de remboursement impossible. Structurellement débiteurs,
ces mêmes pays deviennent ainsi les vassaux d’une Chine suzeraine et impériale qui ne manque pourtant jamais une occasion de prétendre qu’elle ne cherche nullement à occuper une position mondiale
hégémonique.
Afin d’éviter de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards laqués, gardons en mémoire le discours du président chinois Xi Jinping en juin 2017, lors de
l’inauguration de la première base militaire chinoise à l’étranger – en l’occurrence à… Djibouti : « en 2049, pour le centième anniversaire de la République populaire, la Chine
s’imposera comme la première hyper-puissance mondiale ». On ne peut être plus clair dans la pratique du double langage et de l’enfumage version Sun Tzu : gagner la
guerre sans la faire…
ETHIOPIE/ERYTHREE : LA DRÔLE DE PAIX
Dans cette perspective de domination chinoise masquée, que faut-il attendre de l’amorce de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée survenue au cours de l’été
2018 ? L’Erythrée s’est séparée de l’Ethiopie à l’issue d’une guerre de libération nationale de trente ans (1961 – 1991), avant de reprendre les hostilités de 1998 à 2000, ayant adopté
depuis, une posture « ni guerre, ni paix ». Historiquement, le régime d’Issayas s’est entièrement construit contre l’Ethiopie qui a toujours servi d’alibi à la reproduction d’un régime
totalitaire. S’adossant à la menace existentielle éthiopienne, Issayas pouvait ainsi justifier nombre de mesures liberticides, comme un service militaire à durée indéterminée qui a contribué à
faire fuir une bonne partie de la jeunesse. Coup de théâtre l’été dernier : en l’espace de quelques mois, les frères ennemis se sont réconciliés, signant un accord de paix, jurant
« appartenir à un même peuple ».
L’Ethiopie pourra tirer des intérêts multiples de cette paix, si elle perdure. L’arrivée au pouvoir en 2018 du jeune Abiy Ahmed (42 ans) – de père oromo et de mère
amhara – change complètement la donne jusque-là dominée par le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) de Meles. Un intérêt économique d’abord : moins pour l’accès au marché érythréen
qui reste modeste que pour l’accès à ses ports. Cette « détente » permet à Addis-Abeba de soulager la pression non seulement militaire mais aussi politique d’une posture défensive
lourde sur le front nord, pour se concentrer sur les autres enjeux régionaux, à commencer par la Somalie.
C’est du même coup un moyen de distendre l’alliance de l’Erythrée et de l’Egypte qui commençait à devenir préoccupante pour l’Ethiopie. D’autre part, en faisant la
paix avec Asmara, Addis-Abeba se donne le beau rôle alors qu’il occupait illégalement une partie du territoire érythréen. Surtout, Abiy Ahmed incite le régime d’Issayas à évoluer en le privant de
l’alibi de la « menace éthiopienne », le jeune Premier ministre éthiopien affaiblissant du même coup son opposition, l’armée et les services éthiopiens de renseignement,
traditionnellement dominés par les Tigréens.
Cette spectaculaire détente a été favorisée par trois parrains, à commencer par les Emirats arabes unies (EAU) en train d’achever la construction de différentes
installations militaires dans le port érythréen d’Assab. Contrôlant déjà une partie des ports de la région, les Emiriens cherchent à affaiblir celui de Djibouti dont ils ont été chassés. Le
terminal du port de Doraleh, qui était concédé à DP World (l’opérateur portuaire émirien), a été nationalisé par Djibouti en septembre 2018. Soutenir le rapprochement
Ethiopie-Erythrée revient – de fait – à affaiblir la situation monopolistique du port de Djibouti.
L’Arabie saoudite est un autre acteur de ce rapprochement. La monarchie wahhabite reste l’allié principal des EAU dans la confrontation avec le Qatar, exclu du
Conseil de coopération du Golfe (CCG) depuis juin 2017 en raison de sa proximité économique avec l’Iran et de sa bienveillance politique à l’égard des Frères musulmans. Deux axes – Qatar/Turquie
d’un côté et Arabie/EAU/Egypte de l’autre – s’affirment désormais. Enfin, Washington a aussi œuvré pour la détente Asmara/Addis-Abeba, la première motivation américaine étant de contrer les
ambitions chinoises dans la région. La méfiance des Etats-Unis à l’égard du gouvernement djiboutien s’est accrue à mesure que Pékin confortait son emprise en faisant tomber l’Etat-portuaire dans
le piège de l’endettement systémique. Un repli américain en direction du Somaliland est toujours possible si la cohabitation avec les autres forces armées installées à Djibouti devenait
intenable…
La réconciliation entre l’Ethiopie et l’Erythrée s’est accompagnée aussi d’un rapprochement entre l’Ethiopie et la Somalie d’une part (la liaison aérienne entre
Addis-Abeba et Mogadiscio qui était gelée depuis 41 ans a été rétablie et Abiy a fait une visite d’Etat dans la capitale somalienne concluant notamment un accord pour développer quatre ports
somaliens) et entre l’Erythrée et la Somalie d’autre part. Mogadiscio a longtemps accusé Asmara de soutenir des groupes armés islamistes actifs sur son territoire : les Tribunaux islamiques,
puis les Chebabs. Aujourd’hui, ce soutien logistique ne serait plus de mise.
Au final, cette drôle de paix, « alliance de la carpe et du lapin », pour reprendre les termes du chercheur Gérard Prunier (l’un des meilleurs experts de
la zone), n’est pas une bonne affaire pour Djibouti. Mais ce revers doit être relativisé : les ports d’Assab et de Massawa ne sont pas prêts de rassembler les qualités pour constituer, à
moyen terme, une alternative sérieuse à Djibouti. En outre, la croissance éthiopienne (plus de 8% par an) pourrait absorber de nouveaux débouchés sans nécessairement desservir Djibouti qui
conservera toujours sa position stratégique de gardien du détroit de Bab al-Mandeb, la si bien nommée « porte des larmes ».
BRISURE ARABIE SAOUDITE/EMIRATS ARABES UNIS
Un autre développement s’avère nettement plus intéressant à souligner, pouvant à terme générer d’autres tensions, sinon un nouveau conflit dans la zone de la
péninsule arabique : au Yémen et dans sa sous-région maritime, les objectifs de l’Arabie saoudite et des EAU se révèlent parfaitement contradictoires.
Avec la généralisation de la guerre au Yémen depuis 2015, les EAU parachèvent leur enveloppement maritime de la péninsule arabique entre les détroits d’Ormuz et de
Bal Al-Mandeb. Ils ont transformé l’île yéménite de Socotra en porte-avions, aménageant aussi des points d’appui militaire dans les ports du Puntland et du Somaliland, notamment à Berbera (seul
port en eaux profondes du nord de la Somalie), ainsi qu’à Bossaso. Profitant de cette détente Ethiopie/Erythrée, les Emiriens ont également développé des infrastructures militaires dans le port
d’Assab (Erythrée) et, dans une moindre mesure, à Massawa. Dans l’archipel des Hanish – véritable porte du détroit de Bab al-Maneb – les Emiriens ont, également installé un véritable état-major
de coordination de leur dispositif maritime régional.
Depuis toujours les EAU veillent à ce que Dubaï – leur « Cité entrepôt » – conserve sa position portuaire prédominante entre l’Afrique de l’Est et l’Asie
la plus lointaine. Il est clair que le bras de fer engagé avec Djibouti est une illustration de cette stratégie portuaire qui pourrait, à terme, l’opposer à son allié et parrain saoudien. Autant
Riyad cherche à promouvoir un Yémen unitaire et compact dirigé par un petit roitelet à sa botte, autant les EAU travaillent activement à une fragmentation, un éclatement, une partition du Yémen
en deux, ou plutôt en trois morceaux. Cette volonté de casse d’un Yémen unitaire concerne les zones portuaires de Mukallah (à proximité du sultanat d’Oman), d’Aden qui marque l’entrée de la mer
Rouge et d’Hodeïda, port stratégique où transite l’essentiel des importations et des exportations du Yémen.
Par ailleurs, les EAU cherchent – dans le conflit yéménite et dans d’autres dossiers stratégiques – à se dissocier, de plus en plus nettement, du parrain saoudien.
A Riyad, la révolution de palais en cours, cherchant à porter le jeune prince héritier Mohammad Ben Salman au pouvoir suprême, est loin d’être aboutie. Elle pourrait même dégénérer gravement,
sinon entraîner la monarchie wahhabite dans une crise interne qui pourrait avoir de lourdes conséquences régionales. Les EAU suivent cette évolution comme le lait sur le feu et ne veulent en
aucun cas risquer d’être embarquer dans un éclatement toujours possible de l’Arabie saoudite.
Ce différend émiro-saoudien est porteur d’une nouvelle brisure potentielle d’un monde sunnite déjà fracturé par l’axe des pays du CCG allié à l’Egypte face à celui
constitué par le Qatar, la Turquie et les Frères musulmans. L’annonce de la réouverture de l’ambassade des EAU à Damas s’est faite avec l’aval de Riyad qui cherche ainsi à endiguer – de toutes
les façons possibles – les prétentions hégémoniques sur l’Islam sunnite d’une Turquie alliée au Qatar et prête à jouer de tous les leviers internationaux, voire terroristes de la Confrérie des
Frères musulmans.
Non contente d’avoir installé un centre de formation militaire à Mogadiscio, la Turquie entend jouer la carte du soft power et de l’influence
religieuse dans la Corne. A Djibouti, derrière l’Institut français, elle achève la construction d’une grande mosquée dont l’inauguration a été plusieurs fois reportée. Ankara dépense aussi
beaucoup d’argent dans l’entretien de madrassas (écoles coraniques) dont les autorités djiboutiennes prétendent qu’elles contrôlent les enseignements. A voir… Un peu plus au nord en mer Rouge, la
Turquie aménage, avec l’aide du Qatar, un port militaire dans la presqu’île de Suakin, c’est-à-dire juste en face du port saoudien de Djeddah… Ambiance !
A terme, et c’est sans doute l’une des conclusions à tirer du passage du président de la République à Djibouti, les différents bouillonnements de la Corne de
l’Afrique nécessiteraient une consolidation de la présence française dans l’Etat portuaire, ainsi qu’un redéploiement des moyens attribués à notre base d’Abu Dhabi. Installée dans une zone
d’influence anglosaxonne et à deux cents kilomètres des côtes iraniennes, celle-ci ne présentera jamais les atouts stratégiques de Djibouti. Est-il judicieux d’y avoir installé Al-indien (le
patron des forces maritimes françaises de l’océan Indien) ? Celui-ci ne serait-il pas plus opérationnel depuis Djibouti ou même embarqué ?
Plus que jamais, le grand jeu djiboutien pèse sur l’avenir de la mer Rouge, et conjointement sur ceux de la péninsule arabique et de la Corne de l’Afrique.
Outre un renforcement de la base militaire de Djibouti et d’une présence significative en augmentation des sociétés françaises, le merveilleux Institut français
dirigé avec maestria par Louis Estienne pourrait favoriser – à terme – l’amorce d’un observatoire de la Corne. Il en est question et c’est, en tout cas, l’un des vœux que l’ont peut formuler
lorsqu’on appareille de Djibouti pour l’océan Indien, tellement vital pour la défense, la sécurité et les intérêts de la France.
RÉFLEXIONS DE MER
L’un des bonheurs de la haute mer – outre le fait d’être libéré des réseaux numériques et de leurs aliénations débilitantes – est que les nouvelles ne sont pas
immédiates, parvenant ainsi aux marins avec plus de vérité… Dans cet ordre d’idées, la décision désastreuse du président des Etats-Unis d’entériner l’occupation israélienne du plateau du Golan –
le 22 mars dernier – en dépit des nombreuses résolutions des Nations unies qui dénoncent les annexions territoriales imposées par Tel-Aviv depuis la guerre de juin 1967, n’est pas une surprise.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump n’a cessé de soutenir inconditionnellement son électorat évangéliste inconditionnellement pro-israélien, en
faveur de la colonisation et de l’annexion de nouveaux territoires palestiniens.
Dernièrement, les autorités de Tel-Aviv – coutumières du viol du droit international – ont empêché la bonne tenue d’une manifestation culturelle organisée par le
Consulat général de France de Jérusalem à laquelle devaient participer plusieurs associations palestiniennes. Il est vrai que lorsque Netanyahou entend prononcer le mot « culture », il
sort son revolver… Et, il n’est pas surprenant non plus que ce criminel de guerre soit l’un des premiers visiteurs du nouveau président brésilien Bolsonaro.
Ce dernier vient de se précipiter aux Etats-Unis pour se prosterner devant son mentor Donald Trump afin de signer des contrats de coopération militaire, tout
particulièrement en matière de recherches et d’industries spatiales. L’étrange Bolsonaro a vendu aux Américains les services de la base brésilienne de vols spatiaux au détriment de son homologue
franco-européenne de Kourou en Guyane. Le populo-fasciste brésilien veut clairement refaire du Brésil un satellite nord-américain…
Et Donald Trump a toutes les raisons d’être ravi de cette nouvelle collaboration brésilienne alors qu’il finalise la mise en œuvre d’un nouveau « plan
Condor » : à partir de Panama et de la Colombie faire tomber Lula et Dilma Roussef au Brésil (c’est fait !), remettre la main sur la Venezuela, le Chili et les pays andins (c’est
en cours !). Entre la résurgence de l’impérialisme américain le plus bête et méchant et les délirs de domination planétaire de la Chine, nous voilà condamnés à être inventifs, clairs et
courageux.
A ce propos, impossible de clore notre escale djiboutienne sans citer encore la conclusion du manuel stratégique des colonels de l’armée de l’air chinoise Qio Liang
et Wang Xiangsui1 : « pour la guerre hors limites, la distinction entre
champ de bataille et non-champ de bataille n’existe pas. Les espaces naturels que sont la terre, la mer, l’air et l’espace sont des champs de bataille ; les espaces sociaux que sont les
domaines militaire, politique, économique, culturel et psychologique sont des champs de bataille ; et l’espace technique qui relie ces deux grands espaces est plus encore le champ de
bataille où l’affrontement entre les forces antagoniques est le plus acharné. La guerre peut être militaire, paramilitaire ou non militaire ; elle peut recourir à la violence et peut être
aussi non-violente ; elle peut être un affrontement entre militaires professionnels ainsi qu’un affrontement entre les forces émergentes principalement constituées de civils ou de
spécialistes. Ces caractéristiques marquent la ligne de partage entre la guerre hors limites et la guerre traditionnelle, et elles tracent la ligne de départ des nouvelles formes de
guerre ».
Les deux compères ajoutent : « en outre, il est urgent que nous élargissions notre champ de vision concernant les forces mobilisables, en particulier
les forces non militaires. A part diriger l’attention comme par le passé sur les forces conventionnelles, nous devrions porter une attention spéciale à l’emploi des ‘ressources stratégiques’
intangibles comme les facteurs géographiques, le rôle historique, les traditions culturelles, le sentiment d’identité ethnique ainsi que le contrôle et l’utilisation de l’influence des
organisations internationales ».
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas ! Bonne lecture et bonne semaine.
Richard Labévière 1 avril 2019
1 Qio Liang et Wang Xiangsu : La Guerre hors limites. Editions Payot&Rivages, 2003
STRATÉGIE : MACRON à Djibouti pour contrer l'influence croissante de la Chine
...par Alain Barluet - le 12/03/2019.
Le chef de l'État rend visite lundi et mardi à cet allié stratégique sous
influence croissante de Pékin, avant de poursuivre sa tournée en Éthiopie et au Kenya.
Voilà neuf ans qu'un président français n'avait pas rendu visite à son partenaire historique djiboutien. Emmanuel Macron
y passera la nuit, ce lundi, avant d'aller jusqu'à jeudi en Éthiopie et au Kenya. Une étape présidentielle à Djibouti devenue relativement urgente tant le «grand jeu» s'est intensifié
dernièrement autour du petit territoire (23 000 km2, moins de 900 000 habitants), indépendant depuis 1977, et qui revêt une importance stratégique
majeure par son positionnement sur l'axe entre la Méditerranée à l'océan Indien, structuré par le canal de Suez, le détroit
de Bab el-Mandeb(à proximité de Djibouti), et le détroit de Malacca (où
croisera en juin prochain le Charles-de-Gaulle).
La montée en puissance de l'influence chinoise domine le contexte djiboutien sur lequel pèse la proximité de la guerre
au Yémen. Pékin a investi la «caserne du monde» en installant à Djibouti sa première base à l'étranger, susceptible
d'accueillir 10 000 militaires, et envisage une deuxième base. Pékin finance massivement les infrastructures, portuaires notamment, du
«hub» djiboutien.
Une manne chinoise qui inquiète à Paris - bien au-delà de Djibouti d'ailleurs - tant par les pressions et
marchandages qui l'accompagnent que par ses conséquences potentiellement déstabilisatrices. Les ressources propres de l'État djiboutien sont très limitées, or il va devoir dès cette année
rembourser ses prêts. Les deux tiers de sa dette sont détenus par la Chine qui exige notamment, en échange de non-paiements réguliers, une réduction du loyer de sa base
militaire. «Dans ces conditions, le risque est grand que le créancier chinois se paye en nature, en récupérant tout ou partie de la propriété des
infrastructures», s'inquiétait une mission d'information du Sénat, au printemps dernier, en pointant le risque que
surviennent des conflits du type de Suez, en 1956, à la suite de la nationalisation du canal par Nasser.
«Nous sommes déterminés à contrecarrer cette influence croissante», a prévenu
le mois dernier Florence Parly, qui accompagnera Emmanuel Macron à Djibouti. Ce pays qui héberge la principale base française en
Afrique et qui est le seul du continent dont l'accord de défense avec la France (renouvelé en 2011) conserve
une «clause de sécurité». «Le détroit de Bab-El-Mandeb est devenu plus stratégique qu'Ormuz, car il impacte
l'ensemble de l'économie française dépendante des échanges avec l'Asie», explique Pierre Razoux, directeur de recherche à l'Institut de recherche de l'École militaire
(Irsem). «La Russie cherche à obtenir des bases dans les pays riverains pour être en
mesure, si nécessaire, de dénier l'accès de la mer Rouge aux Occidentaux. Il est donc crucial que la France reste militairement présente à Djibouti pour garantir la sécurité du détroit de
Bab-el-Mandeb», estime Pierre Razoux.
Paris entend bien préserver son rôle historique, sans équivalent en Afrique - «un rôle stabilisateur et d'apaisement, comme on le constate chaque fois qu'il y a une poussée de fièvre entre Djibouti et ses voisins», rappelle-t-on à
l'Élysée. Les chefs d'état-major des deux pays ont échangé des visites l'an dernier. En diminution ces dernières années, la présence militaire française à Djibouti (1 450 personnes) ne
devrait toutefois pas progresser significativement mais «se stabiliser avec une légère hausse pour des postes de coopération», selon une
source militaire. Dans le domaine économique, Paris entrevoit à Djibouti une fenêtre d'opportunités après un climat longtemps néfaste (redressements fiscaux abusifs, augmentations de loyer…).
Emmanuel Macron, accompagné par des chefs d'entreprise, semble déterminé à ne pas laisser Djibouti en tête à tête avec la Chine, alors que de nouveaux projets d'infrastructures se profilent.
Pour cela, «nous mettrons sur la table de nouveaux instruments financiers qui ne pèseront pas sur la dette djiboutienne», dit-on dans
l'entourage du chef de l'État.
Dans l'environnement immédiat de Djibouti, Paris devra également prendre en compte une recomposition régionale inédite,
marquée par le rapprochement, l'an dernier, de l'Éthiopie et de l'Érythrée - qui a «complètement changé la donne», estime une source
militaire. «Ce rapprochement rouvre pour Addis-Abeba l'accès au port d'Asmara», relève Pierre Razoux. L'Éthiopie, elle aussi, «souhaite diversifier ses relations et ne pas dépendre uniquement des Chinois», ajoute-t-il.
À Addis-Abeba, Florence Parly signera un accord de défense, doublé d'une lettre
d'intention prévoyant une coopération pour la création d'une marine éthiopienne. Une initiative emblématique, puisque liée à la volonté séculaire de l'Éthiopie de disposer d'un
port sur la mer Rouge.
Le 23 mai dernier, une audition de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées devant le Sénat s’est focalisée sur la pertinence
de maintenir – si ce n’est de « rebooster » – la présence française à Djibouti car celle – militaire et civile – de la Chine ne cesse d’y croître. Il y a en effet de quoi s’inquiéter, tant
pour la France que pour les Djiboutiens eux-mêmes. Ces derniers l’ont compris, mais un peu tard… La présence militaire chinoise en Afrique, en l’occurrence à Djibouti, indique que la Chine
n’entend plus seulement protéger ses possessions mais conquérir de force un rôle géopolitique majeur.
Dans une intervention, Philippe Paul a planté le décor : un déplacement du Bureau de la Commission
pendant quatre jours à Djibouti a eu lieu en mars dernier, en préparation de la LPM 2019-2025. Djibouti est en effet la première base française de forces prépositionnées ; c’est aussi la
conjoncture géostratégique dans cette région qui intéressait le Bureau pour les deux aspects de la présence française à Djibouti : la dimension militaire évidente, mais aussi la présence non
militaire, à travers l’économie, le rôle du français comme langue officielle ou la place de la France dans le système éducatif et de santé à Djibouti. Faut-il maintenir cette présence,
faut-il la renforcer ou envisager au contraire d’autres priorités ?
Aujourd’hui, la présence de la France à Djibouti repose sur quatre piliers liés entre eux : la langue française et l’histoire commune ; la présence économique ;
la présence militaire des forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) dans un dispositif interarmes complet ; et la présence des familles de militaires français.
Premier constat : tout le monde semble affluer dans cette région stratégique, dans un contexte où la
présence française, longtemps déclinante, est aujourd’hui au mieux stabilisée. C’est le cas des Américains, qui ont ouvert dans les années 2000 une importante base militaire dans la région
qui abrite maintenant 4.000 hommes et de très importants moyens, notamment aériens. C’est de Djibouti que décollent tous les drones américains opérant en Somalie ou au Yémen.
C’est aussi le cas des Chinois, qui ont ouvert leur première base militaire hors de Chine à Djibouti (leur prochain objectif serait la Namibie, histoire de
compléter leur « maillage » en Afrique). Si le nombre de soldats stationnés dans cette base n’est pas communiqué, il est indéniablement en augmentation. Cette base a la capacité d’accueillir
des troupes bien plus nombreuses. La Chine est par ailleurs très active dans les infrastructures portuaires, ferroviaires, de télécommunications, etc. L’évacuation de centaines de Chinois et
autres ressortissants fuyant la guerre au Yémen sur une frégate chinoise a renforcé la volonté de la Chine de disposer d’une solide base portuaire à Djibouti.
Les pays du Golfe sont également très intéressés par Djibouti. Dubaï y gérait jusqu’à récemment un port, transféré d’autorité à la Chine par les autorités
djiboutiennes. L’Arabie Saoudite envisagerait d’y ouvrir une base et elle serait prête à financer la modernisation de l’armée djiboutienne. Le Japon dispose également d’une installation à
Djibouti, dans le cadre des opérations de lutte contre la piraterie. Enfin, certains pays européens comme l’Allemagne ou l’Espagne sont représentés au travers de leurs contingents engagés
dans les opérations en Somalie.
Deuxième constat : la présence militaire française à Djibouti est un élément très fort d’influence,
aujourd’hui mis en concurrence par l’arrivée massive d’autres puissances. Mais il reste des acquis, notamment dans l’insertion des militaires français et de leurs familles dans le pays, qui
distingue grandement les Français des Américains ou des Chinois.
Troisième constat : après une période d’incompréhensions, voire de désamour, la relation entre la France
et Djibouti reprend des couleurs. Cela tient aussi, paradoxalement, à l’arrivée d’autres acteurs, les Djiboutiens mesurant l’intérêt à ne pas dépendre d’une seule relation, en l’espèce avec
la Chine.
Il y a donc aujourd’hui une véritable opportunité pour que la France repense sa présence à Djibouti, dans tous les
domaines et non sous le seul angle militaire.
Bernard Cazeau a exposé ce volet militaire qui focalise l’intérêt de Forces Operations.
Avec 1 450 hommes sur place, les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) représentent encore la première base de prépositionnement de l’armée française.
Ces forces visent en premier lieu à accroître la capacité de projection, à la fois en volume et en rapidité. À titre d’exemple, depuis la base aérienne de Djibouti, les chasseurs français
sont à quelques minutes du Yémen, de la Somalie, et à portée des bases utillisées en Jordanie (base Prince-Hassan) et aux Émirats Arabes Unis (base 104). De la même façon, les capacités de
transport aérien à Djibouti ont été sollicitées au début de l’opération Serval.
Les FFDJ sont également un point d’appui pour les forces navales passant de la mer Rouge à l’océan Indien. En deuxième lieu, les FFDJ assurent, dans le cadre du
traité franco-djiboutien renouvelé en 2011, la défense du territoire djiboutien. En troisième lieu, elles sont positionnées au point stratégique du détroit du Bab-el-Mandeb, par lequel
transite la quasi-totalité du trafic commercial entre l’Asie et l’Europe. Ce carrefour abrite aussi une part très significative des échanges avec l’Afrique, dans la Corne de l’Afrique et
au-delà. À ce titre, les FFDJ ont joué un rôle important dans les opérations de lutte contre la piraterie en mer d’Oman (opération Atalante). Enfin, la base de Djibouti offre à l’armée
française un laboratoire ou terrain d’entraînement sans comparaison en raison des conditions climatiques proches des milieux arides et semi-arides auxquels l’armée française est souvent
confrontée et parce que les conditions d’entraînement y sont beaucoup plus souples que sur le territoire national : tir à munitions réelles, par exemple.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi l’armée française a maintenu, malgré les réductions importantes d’effectif des FFDJ, un ensemble complet interarmes. Les
FFDJ sont constituées d’une base aérienne (BA 188) abritant 4 Mirage 2000-D de défense aérienne, un avion de transport
tactique C-160Transall et 2 hélicoptères Puma,
d’un détachement de l’Aviation légère de l’Armée de Terre (Detalat) composé de deux Puma et d’une Gazelle, d’une base navale et du 5e RIAOM (Régiment Interarmes d’Outre-mer) ; fort de 580
militaires, ce régiment est structuré en groupement tactique interarmes (GTIA) qui associe différentes composantes, avec des éléments tournants prélevés sur les régiments de métropole et
incorporés de façon temporaire au 5e RIAOM.
Enfin, il convient de souligner l’apport de ce dispositif en matière d’entraînement et d’interopérabilité. C’est le cas, naturellement, pour l’armée française,
à travers le brassage de troupes en mission de courte durée, qui peuvent ainsi s’aguerrir aux conditions difficiles de la guerre en milieu aride et désertique, mais aussi à travers les
manœuvres interarmes. C’est le cas également pour l’interopérabilité avec les alliés et partenaires de la France : ainsi, les manœuvres Wakri associaient un détachement des US Marines et un
élément des Forces armées djiboutiennes.
Dans les années passées, le format des FFDJ a été fortement revu à la baisse. À la veille des attentats de 2015, le ministère de la défense s’interrogeait même
sur le maintien d’une base aérienne, ce qui aurait fait tomber les effectifs à moins de 1.000 hommes. La question pourrait être de savoir s’il ne faut pas, au contraire, inverser la tendance.
La loi de programmation militaire 2019-2025 semble ouvrir des perspectives en ce sens.
Gilbert-Luc Devinaz en vient à ce qui fonde la réflexion actualisée sur la pertinence de la présence de la
France sur ce territoire. On assiste à la conjonction de plusieurs facteurs qui créent une situation nouvelle à Djibouti. Tout d’abord, l’Éthiopie se développe rapidement ; ce pays de 100
millions d’habitants devrait atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire et donc sortir du sous-développement dès 2025. Deuxième facteur, l’Éthiopie n’a pas de débouché maritime et
Djibouti constitue, en quelque sorte, son port naturel ; les Français en avaient bien conscience lorsqu’ils ont construit, il y a plus d’un siècle, le chemin de fer entre Addis-Abeba et
Djibouti.
Et l’on en vient à la Chine… Celle-ci a obtenu à la fois de remplacer les Dubaïotes pour l’exploitation d’un port et d’en construire un second. Les Chinois ont
également construit la nouvelle ligne de chemin de fer Addis-Djibouti, qu’ils ont symboliquement inaugurée un siècle quasiment jour pour jour après l’inauguration de la première ligne par les
Français. Ils ont également construit le nouveau réseau de télécom, qu’ils maîtrisent entièrement, et un hôpital, même si celui-ci n’est pas vraiment pourvu de médecins. Ils ont enfin obtenu
le droit de construire une immense base militaire, bien protégée. Les intérêts de la Chine pour l’Afrique sont connus. À Djibouti, ils s’illustrent clairement et de manière massive.
Philippe Paul l’a rappelé fort justement : la présence chinoise est forte car elle est à la fois militaire
et civile. Si quelqu’un doutait du lien entre le militaire et le civil, les réactions très vives des Américains à la perspective de mainmise chinoise sur toute l’activité portuaire de
Djibouti ont été vives : les Américains, qui entretiennent une base de 4.000 hommes, ont exprimé très clairement qu’il n’était pas question que les approvisionnements de leur base soient
dépendants du bon vouloir chinois, si ceux-ci devaient finir par gérer toutes les infrastructures portuaires.
C’est pourquoi, alors même que la France a, pendant une quinzaine d’années, un peu délaissé Djibouti sur le plan économique, il existe aujourd’hui une vraie
opportunité pour réinvestir dans ce pays. Il faut aider Djibouti à éviter de se retrouver dans un face-à-face exclusif avec la Chine, qui pourrait vite devenir étouffant. De fait, les
réalisations chinoises ont été largement financées par des prêts chinois à Djibouti. Or, dès 2019, Djibouti va devoir commencer à rembourser ces prêts, alors même que le pays produit peu, en
lui-même. Dans ces conditions, le risque est grand que le créancier chinois se paie en nature, en récupérant tout ou partie de la propriété des infrastructures.
Il y a quelques semaines, le Fonds monétaire international (FMI) a exprimé sa préoccupation par rapport à la stratégie chinoise consistant à prêter sans
limitation à des pays financièrement fragiles, qui auront les plus grandes difficultés à rembourser. Cette stratégie, loin d’être imprudente, est peut-être le retour délibéré vers une forme
d’impérialisme que les puissances européennes ont elles-mêmes pratiqué au XIXe siècle, et qui permet de prendre le contrôle d’un pays par ses infrastructures.
Philippe Paul a cité l’une des personnes auditionnées avant la visite du Bureau ; elle avait défini la
relation entre la France et Djibouti comme un « je t’aime, moi non plus » mais les autorités djiboutiennes s’aperçoivent qu’elles se sont beaucoup – trop ! – engagées avec la Chine. Les
Chinois ont construit une base militaire qui héberge des milliers de personnes, et ils savent
pourquoi ils sont là. Les entreprises françaises investissent moins car l’accès aux marchés n’est guère transparent… Alors, que faire ? En tout cas, ne pas laisser tomber Djibouti.
Pascal Allizard l’a souligné, l’aspect géostratégique est évident : juste en face de Djibouti, le port de
Gwadar au Pakistan, tout proche de l’Iran, est sous contrôle chinois. Officiellement, c’est un port de commerce mais, à vingt kilomètres de là, les Chinois créent un port militaire. « Tracez
une ligne droite avec Djibouti : vous fermez l’accès au détroit d’Oman et à la Méditerranée. Et on annonce une seconde base militaire chinoise à Djibouti. Quant à la présence française, il
faut décider : la maintenir, avec les moyens adéquats, ou partir, ce dont nous paierions lourdement, et longuement, le prix. A Changchun, une Université forme des centaines de jeunes Chinois
au français. Ces étudiants sont destinés, pour les plus brillants, à venir en France et, pour les autres, à devenir les futurs cadres de la présence chinoise en Afrique. La rentabilité et la
solvabilité des investissements chinois n’est pas avérée à Djibouti – ces investissements échappent d’ailleurs aux critères de l’OCDE. Cela signifie qu’ils sont adossés à des contrats de
nantissement, et qu’il faut s’attendre à des conflits de type canal de Suez.
Hélène Conway-Mouret a posé une question difficile : « Qu’attendent de nous les Djiboutiens ? Avec les
Chinois, c’est trop tard, ils sont pieds et poings liés, pour avoir accepté des infrastructures parfois non nécessaires : ainsi, du second port. Quant à la voie de chemin de fer, elle
transporte des marchandises chinoises vers toute l’Afrique de l’Est.
Ladislas Poniatowski a fourni une bonne réponse, quoique vague : « Trois pays sont incontournables en
Afrique : la République Démocratique du Congo, le Nigéria et l’Éthiopie. Djibouti est le port de l’Éthiopie. Face à la Chine, nous ne sommes plus l’acteur principal, mais il faut rester, bien
sûr, si la France veut rester la France ! »
D’accord, mais concrètement, que fait-on ? Les tensions générées par la stratégie chinoise s’accumulent. Les Djiboutiens attendent que les entreprises
françaises recommencent à investir. Ils se méfient désormais des financements chinois. Mais les acteurs économiques sont arrêtés par l’absence de garanties et des problèmes de corruption. Les
Djiboutiens souhaitent aussi acquérir du matériel militaire français : une mission militaire récente a souligné l’importance de leurs besoins mais le financement dont ils disposent, en
provenance d’Arabie Saoudite, se limiterait pour l’instant à 50 millions d’euros. L’aide saoudienne pourrait permettre notamment d’acheter des vedettes rapides pour protéger les côtes
djiboutiennes.
La Chine a annoncé qu’elle accueillera le forum inaugural Chine-Afrique sur la défense et la sécurité à la
fin de ce mois, signalant son engagement croissant en Afrique. Les responsables militaires affirment que le sommet se concentrera sur les questions de sécurité régionale, le financement et
l’amélioration des capacités de sécurité de l’Afrique et l’amélioration de la coopération en matière de défense.
Ce forum intervient dans un contexte de relations politiques et économiques sinoafricaines croissantes, avec des liens diplomatiques croissants, des
investissements dans les infrastructures indispensables et la formation de la prochaine génération d’élites africaines. La Chine s’efforce de se projeter en tant que puissance mondiale
responsable et de créer une image positive d’elle-même sur la scène mondiale. Cela est particulièrement vrai en Afrique, où elle a encouragé la coopération économique gagnant-gagnant,
l’assistance mutuelle en matière de sécurité et la solidarité dans les affaires internationales.
La coopération en matière de défense est à considérer comme un effort de la Chine pour sécuriser ses intérêts stratégiques à l’étranger. Cela comprend
l’initiative « One Belt One Road » qui prévoit 1 milliard de dollars d’investissements dans l’infrastructure et d’autres projets le long des
routes commerciales reliant la Chine à l’Europe, la Russie, l’Asie centrale et du Sud-Est et l’Afrique.
Selon Theodor Neethling, qui dirige le département d’études politiques de l’Université de Free State en Afrique du Sud, la Chine a fortifié ses investissements
en Afrique en prenant progressivement une part active aux Nations Unies. Au cours de la dernière décennie, la Chine a accru son rôle dans les missions de maintien de la paix : des cinq
membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, elle est le plus grand contributeur de maintien de la paix et parmi les douze premiers contributeurs mondiaux. La Chine a fourni des
troupes aux missions de l’ONU au Soudan du Sud, où elle a des intérêts pétroliers, en République démocratique du Congo, qui fournit du cobalt et du cuivre, et au Mali.
Les Africains feraient bien de réaliser que la politique chinoise de non-interférence dans les affaires intérieures des pays où ils s’installent économiquement
et militairement appartient au passé. Alors le rôle d’une présence – notamment militaire – de la France à Djibouti apparaît crucial dans cette région.
A plusieurs reprises prochetmoyen-orient a mis la loupe sur l’importance stratégique de Djibouti, vitale pour la France et ses
intérêts1. Le prochain Annuaire français des relations
internationales (AFRI)2 – à paraître fin juin 2018 – comporte une longue étude dédiée à
l’Etat portuaire : « Djibouti : un port-monde entre océans et Méditerranée ». Le 1er août 2017 à Djibouti, la Chine a inauguré sa première base militaire à
l’étranger, événement qui coïncidait avec le 90ème anniversaire de la fondation de l’Armée rouge chinoise. Dans la Revue stratégique de défense et de sécurité
– remise par Arnaud Danjean au président de la République en novembre dernier – est souligné et mis en perspective l’un des axes majeurs et prioritaires de notre pays :
Méditerrané/canal de Suez/mer Rouge/océan Indien.
De très grande qualité (ce n’est pas toujours le cas pour ce genre de commande), ce texte sera-t-il abandonné à la critique rongeuse des souris comme tant d’autres
rapports pertinents ? En mars dernier, Juste avant d’être limogé par Donald Trump, Rex Tillerson – encore secrétaire d’Etat – a effectué une tournée dans la Corne de l’Afrique. Au président
djiboutien Ismaïl Omar Guelleh (IOG), il a à peu près tenu ce langage : « attention, il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Vous ne pouvez pas tout céder aux Chinois qui, bientôt
vont autoriser les Russes à utiliser leurs installations portuaires djiboutiennes. Nous sommes arrivés avant et ne le permettrons pas ! »
Pris dans l’étau américano-chinois, IOG s’est naturellement tourné vers la France éternelle, ce qui a permis une remise à flot de la relation bilatérale. Mais
maintenant le temps presse et il s’agit de consolider à nouveau notre base militaire et d’intensifier nos échanges économiques avec Djibouti. Il faut faire vite car la fenêtre d’opportunité ne
sera pas éternelle parce que la situation régionale se tend, la donne géopolitique rebat les cartes et se complexifie. Enfin, si le désir de France – entretenu et dynamisé par une équipe
diplomatique et militaire hors du commun – est plus que jamais intacte en mer Rouge, il s’agit maintenant de le concrétiser !
EXTENTION DE LA GUERRE CIVILO-GLOBALE DE SYRIE
Aujourd’hui, Djibouti constitue toujours un îlot de paix et de stabilité au beau milieu d’une zone de conflits, de tensions et de convoitises optimales. Il y a
d’abord la tragédie du Yémen, glissement et extension de la guerre civilo-globale de Syrie où s’affrontent l’Arabie saoudite et l’Iran entre autres. Perdure ensuite un bras de fer persistant
entre Riyad, les autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et le Qatar, accusé de laxisme envers l’Iran et la Russie. Cette querelle de famille se traduit notamment par une guerre des
ports entre mer Rouge et détroit d’Ormuz. Enfin, convergence des évolutions précédentes, l’Arabie saoudite fragilisée connaît certainement l’une des crises de régime les plus aigües de son
histoire. De plus grandes difficultés encore sont – semble-t-il – à venir pour la monarchie wahhabite.
La guerre du Yémen est une extension territoriale du face-à-face que Riyad et Téhéran poursuivent en Syrie depuis les années 2012/2013. Elle oppose ouvertement les
rebelles houthis et les forces fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, élu en 2012, suite au départ du président Saleh. Le conflit s’est
internationalisé en mars 2015 avec l’intervention de plusieurs pays sunnites menés par l’Arabie saoudite. Cette intensification des opérations militaires a pour conséquence la destruction de l’un
des pays les plus pauvres de la planète, décimé par la malnutrition et une pandémie de choléra.
En fait, cette extension de l’obsession saoudienne anti-chi’ite est une transformation de la « guerre du Saada », qui a commencé en 2004 au nord-ouest du
pays. Les tribus zaïdites (houthis) du nord se sont senties progressivement marginalisées par le pouvoir central de Sanaa, depuis la réunification du pays en 1990. Ils protestent notamment contre
la fin des subventions sur les produits pétroliers et une corruption endémique des appareils d’Etat au profit des tributs de l’Hadramaout. L’assassinat de deux représentants houthis siégeant au
Conseil de transition et l’enlisement de la Conférence de dialogue national de 2012 mettront le feu aux poudres, aboutissant à la bataille d’Amran en juillet 2014.
Au Yémen, la différence entre majorité sunnite et minorités chi’ites n’a jamais eu vraiment cours, les clivages étant essentiellement le fait d’appartenances
tribales et d’implantations régionales. Contrairement à 90% des Chi’ites qui sont duodécimains – c’est-à-dire croyant en l’existence des douze imams – les Houthis n’en reconnaissent que six. Par
conséquent, ils ne sont pas considérés comme des Chi’ites à part entière et partagent la plupart des pratiques, habitudes et rites de leurs compatriotes sunnites dans une espèce de syncrétisme
qui varie – comme il vient d’être dit – surtout en fonction des attaches tribales, claniques et régionales.
Débordé en septembre 2014 par la révolte venue du nord-ouest du pays et par celle de plusieurs unités de l’armée nationale, le président Abdrabbo Mansour Hadi est
contraint à la démission en janvier 2015, lorsque les unités houthis s’emparent du palais présidentiel à Sanaa. En février, il se réfugie dans le port d’Aden, puis à Riyad au moment du
déclenchement de l’intervention militaire saoudienne.
Depuis, la guerre du Yémen s’enlise, faisant toujours plus de victimes civiles dans une indifférence internationale assourdissante. Le pourrissement du conflit fait
apparaître un clivage très net entre Arabie Saoudite et EAU quant à l’avenir de la région : Riyad mise sur un Yémen réunifié par un pouvoir à sa botte tandis qu’Abou Dhabi spécule sur une
nouvelle partition nord-sud qui favoriserait sa prise de contrôle des ports stratégiques d’Aden et de Mukalla.
DEPLOIEMENT NAVAL EMIRIEN
Dans ce contexte très volatil, les Saoudiens poursuivent leurs bombardements aériens avec des pilotes ukrainiens et pakistanais. Ils déploient au sol plusieurs
milliers de mercenaires – dont des Colombiens et quelque 3000 Janjawid soudanais du nord-Darfour – tandis que la marine militaire émirienne assure le gros des opérations
amphibies, de contrôle et de blocus côtiers.
Ce mouvement naval « d’enveloppement » de la péninsule arabique s’effectue à partir du détroit d’Ormuz, s’appuyant d’abord par l’installation d’une
importante base sur l’île yéménite de Socotra. Celle-ci est située en mer d’Arabie à quelques encablures de l’entrée orientale du golfe d’Aden, à 234 kilomètres au large du cap Guardafui qui
marque l’extrémité nord-est de la Somalie et à 352 kilomètres au sud-sud-est des côtes du gouvernorat yéménite d’Al-Mahrah. Socotra mesure 133 kilomètres de long et une quarantaine de kilomètres
de largeur pour une superficie de 3 579 km2.
Les Emiriens ont transformé cette île yéménite en porte-avions. Ils y implantent des installations d’appui et y stockent des produits de première nécessité. Leurs
gros porteurs C-17 assurent un pont aérien avec le Yémen du sud. Leurs forces spéciales s’y entraînent, fraternisant avec une unité locale de l’armée yéménite dont les soldes sont payées par…
Abou Dhabi.
Le nord de la Somalie constitue la deuxième étape de ce déploiement naval émirien avec une implantation spectaculaire sur les docks de Berbera, l’un des rares ports
en eau profonde de la Corne de l’Afrique. Une installation secondaire s’effectue dans le port de Bossasso. Depuis le début de la guerre civile de Somalie – avec la chute du président Siad Barré
en 1991 – Bossasso est devenue la capitale administrative et commerciale des régions du nord de la Somalie. Depuis dix ans, ce centre fonctionne comme station de ravitaillement du transport
maritime entre la mer Rouge et les ports du golfe Persique. Il est desservi par une autoroute qui permet des expéditions massives de bétail à destination de l’ensemble du Proche-Orient.
Parallèlement, Abou Dhabi négocie directement avec les provinces indépendantistes somaliennes afin de punir Mogadiscio de sa neutralité dans la crise ouverte entre
le CCG et le Qatar depuis juin 2017. Le 8 avril dernier à l’aéroport de Mogadiscio, les autorités sécuritaires somaliennes saisissent un avion civil émirien de la Royal Jet, avec à son bord 47
militaires des « forces du devoir émiraties », et mettent la main sur plusieurs sacs d’argent contenant une somme avoisinant les dix millions de dollars. Une altercation éclate
entre des représentants de l’ambassade des EAU et les responsables somaliens, mais rien n’y fait. Les autorités locales saisissent l’avion. Elles le laisseront finalement repartir avec
l’argent.
Le ministère des Affaires étrangères émirien dénonce pourtant la « saisie », en précisant que les sommes d’argent sont destinées au soutien de
l’armée somalienne et au paiement de soldes en application de la convention établie en novembre 2014 pour le renforcement de la coopération militaire entre les deux pays. D’autres sources de
renseignement estiment que l’argent émirien sert à financer les groupes armés qui sévissent en Somalie, d’autres assurant que ces fonds sont destinés à corrompre les députés somaliens.
La troisième étape du déploiement naval émirien s’effectue en Erythrée, dans le port d’Assab, au sud du pays sur la côte occidentale de la mer Rouge. L’installation
émirienne a débuté en avril 2015, en échange de la modernisation de l’aéroport international d’Asmara, mais aussi d’une aide financière et pétrolière au gouvernement érythréen.
L’ensemble du dispositif naval émirien est géré directement par le ministère de la Défense à Abou Dhabi. Les tâches de coordination opérationnelle sont effectuées
par un état-major interarmées installé dans l’archipel des Hanish, à mi-chemin entre les côtes africaines et arabiques, entre le Yémen et l’Erythrée. Quelque 23 îles et îlots composent l’archipel
qui s’étire autour des deux îles principales : la Grande Hanish et l’île de Zugar. Cet archipel commande le passage stratégique du détroit de Bab el-Mandeb. Entre mer Rouge et détroit
d’Ormuz, ce déploiement naval inédit s’explique – bien-sûr – par les bras de fer engagés contre l’Iran et le Qatar, mais aussi en raison d’une guerre portuaire régionale plus ancienne et plus
profonde, l’obsession d’Abou Dhabi étant d’assurer l’avenir hégémonique et monopolistique de Dubaï, la citée entrepôt3.
GUERRE PORTUAIRE REGIONALE
Durant ces quinze dernières années, la société Dubaï-Port-World (DPW) a multiplié des accords avec la presque totalité des ports de la région entre détroit d’Ormuz
et mer Rouge. La principale opération a visé Djibouti dont la concurrence potentielle est la plus redoutée par les EAU. Ainsi en 2003, le port de Doraleh (Djibouti) a été inauguré, nécessitant un
investissement de 590 millions de dollars.
DPW a investi 400 millions de dollars pour la construction du terminal qui était géré par le Doraleh Container Terminal, détenu à hauteur de 66% par
l’autorité portuaire djiboutienne et à 33% par l’opérateur émirien. La collaboration entre les deux partenaires s’est tendue en 2015, lorsque le gouvernement djiboutien a accusé DPW d’avoir versé
des commissions occultes de plusieurs millions de dollars à l’homme d’affaires franco-djiboutien Abdourahman Boreh, à la tête de l’Autorité des ports et zones franches entre 2003 et 2008. En
fait, celui-ci était soupçonné de favoriser ses partenaires émiriens au détriment des intérêts nationaux et régaliens de Djibouti.
DPW est également accusée de fraude fiscale et de détournement de fonds publics. La procédure de résiliation lancée dans la foulée par Djibouti sera déboutée à
Londres en février 2017. En réaction, le gouvernement djiboutien mettra en place une loi votée en octobre dernier, lui permettant de résilier unilatéralement les contrats publics liés à la
réalisation de grandes infrastructures au nom de la souveraineté du pays. « Il convient de noter que le Doraleh Contaiener Terminal sera désormais sous l’autorité de la Doraleh Container Terminal
Manangement Company qui appartient à L’Etat », précise le communiqué du cabinet présidentiel.
Plus concrètement, DPW est devenue le bras armé des EAU dans la majorité des ports de la péninsule arabique et de la mer Rouge afin de veiller à ce qu’aucune
installation côtière de la zone ne vienne porter ombrage à la croissance continue de Dubaï, de son dispositif de port sec et de ses relais régionaux. Outre agent d’une stratégie portuaire
parfaitement élaborée, DPW s’impose aussi comme l’acteur prépondérant et le gardien d’un modèle de développement économique néo-libéral, sans taxes ni syndicats. Si elles entament les prétentions
saoudiennes d’hégémonie régionale, les ambitions émiriennes jouissent d’une bienveillance américaine protectrice.
In fine, cette stratégie économico-portuaire émirienne a favorisé et accéléré l’arrivée des investisseurs chinois auxquels les autorités djiboutiennes ont concédé
certains attributs de leur souveraineté nationale. Liant l’avenir de son pays aux intérêts chinois, IOG a toutefois bien intégré les dernières mises en garde américaines. Et c’est naturellement
vers la France – avec laquelle Djibouti a signé ses plus vieux accords de défense – qu’IOG se tourne maintenant pour tenter de desserrer l’étau américano-chinois, notamment en favorisant
l’arrivée de plusieurs gros investisseurs français.
Cette opportunité pourrait donner à nouveau un rôle régional – important, sinon stratégique – à la base militaire française de Djibouti d’autant que plus au nord en
mer Rouge, une autre partie est engagée. Malgré son engagement au Yémen aux sein de la coalition menée par l’Arabie saoudite, le Soudan a ouvert largement ses portes aux investisseurs du Qatar et
de la Turquie. Ainsi, Ankara et Doha se sont associés pour développer des infrastructures militaires dans l’île de Suakin sur la mer Rouge, situé juste en face du port saoudien de Djeddah.
En fait, Suakin est le grand port soudanais de la mer Rouge. Construit sur une île de 20 kilomètres rattachée au continent par une digue depuis le XIXème siècle,
Suakin était en passe d’être supplanté par Port-Soudan se trouvant à quelque 45 kilomètres plus au nord. Ici comme ailleurs aux Proche et Moyen-Orient ainsi qu’en Asie, Ankara renoue avec son
passé impérial : en 1517, le sultan Selim 1er a envahi Suakin, devenue pour les cinquante années suivantes la résidence du pacha de l’empire ottoman pour l’Eyalet (division
administrative de niveau supérieur) d’Abyssinie (Habes en turc).
A Djibouti non plus, la Turquie ne reste pas inactive et construit notamment une grande mosquée, juste derrière l’Institut français. Privilégiant – pour l’instant –
le softpower à l’implantation militaire, Ankara multiplie l’inauguration de madrassas (écoles coraniques) dans l’ensemble du pourtour de l’Etat portuaire. La Turquie a-t-elle une
stratégie pour la corne de l’Afrique ? Toujours est-il qu’après Djibouti et le Soudan, elle appui les efforts de déstabilisation de la Somalie et cherche aussi à développer ses
investissements et son influence en Ethiopie.
MAINTENANT
Entre détroit d’Ormuz et mer Rouge, ce grand jeu naval – militaire et commercial – ramène inexorablement à l’Etat-portuaire de Djibouti, devenu un « épicentre
stratégique monde ». Résumons, ce grand jeu djiboutien se situe à la résultante de trois dynamiques interactives : 1) l’extension de la guerre civilo-globale de Syrie à la Corne de
L’Afrique et la mer rouge ; 2) une défiance accrue envers les avancées régionales de l’Iran, du Qatar de la Russie et de la Chine ; 3) enfin et en dernière instance, ce grand jeu vise à
prévenir une implosion toujours possible de l’Arabie saoudite.
La semaine dernière, prochetmoyen-orient.ch écrivait : « Arabie saoudite : le canard est toujours vivant. Depuis plusieurs semaines,
on nous annonce la mort du jeune prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman (MBS). Il y a quelque temps déjà, une réunion s’est tenue au ministère saoudien des finances, en présence du
ministre, de MBS et d’une brochette de princes du sang. En épluchant les comptes, les participants ont découvert quelques trous béants dus aux turpitudes du jeune MBS. Très vite les noms
d’oiseaux ont volé assez bas et on en est venu aux mains, voire aux pistolets automatiques… MBS aurait été exfiltré en catastrophe. Ce conseil d’administration plutôt agité aurait eu quelques
prolongements dans les rues de Riyad, ainsi que dans d’autres régions du pays dont plusieurs sources du renseignement européen rapportent des « affrontements armés prolongés ayant nécessité
l’intervention des forces armées ». En novembre dernier, MBS et son père ont donné un violent coup dans la fourmilière en arrêtant plusieurs milliers d’opposants potentiels. Arrêtés,
humiliés et rançonnés, les affidés de l’ancien roi Abdallah n’allaient certainement pas rester les bras croisés ! Par conséquent et dans tous les cas de figures, MBS, son père et la
clientèle des Salman sont plutôt en mauvaise posture et auront encore des comptes à rendre : ‘Il semble que la mort de MBS relève de Fake News particulièrement bien
orchestrées. Mais les plus gros problèmes sont à venir dans la monarchie pétrolière’, prévient un officier européen de renseignement en poste dans la péninsule arabique ».
Pour toutes ses raisons, Djibouti : c’est maintenant !
1 « Paris-Djibouti : remise à flot », 17 mars 2017 et « Djibouti : le grand jeu », 26 mars 2018. 2Publication du Centre
Thucydide, diffusée par la Documentation française, l’AFRI a une vocation généraliste. Il s’intéresse aux relations internationales dans toutes leurs dimensions – politiques, stratégiques,
économiques, culturelles, technologiques… Il rassemble dans un esprit pluridisciplinaire les spécialistes, universitaires et chercheurs, diplomates, experts, français ou étrangers. Il est
préparé par un Comité de rédaction et de lecture. Il constitue un périodique sans équivalent dans la littérature francophone en la matière. 3Roland
Marchal : Dubaï : le développement d’une cité-entrepôt dans le Golfe. Editions du CNRS/CERI, juin 1997.
Le 17 mars 2017, prochetmoyen-orient.ch se félicitait d’enregistrer un certain retour de la France à Djibouti en titrant : « Paris – Djibouti : remise à
flot… » Un an plus tard, force est de constater la confirmation du mouvement et l’intensification d’un Grand jeu dont Djibouti est devenu l’épicentre. Cette
évolution confirme l’une des principales conclusions de la Revue Stratégique de Défense et de Sécurité, remise par Arnaud Danjean au Président de la République en novembre
dernier : l’un des axes stratégiques majeurs de notre pays relie la Méditerranée, le canal de Suez, la mer Rouge à l’océan Indien. Djibouti en constitue le pivot central !
Bien avant son indépendance, l’histoire de la jeune République de Djibouti n’a pas été un long fleuve tranquille. « La Grande Bretagne, qui avait établi son protectorat sur l’Egypte en 1882,
se prétendit héritière de droit des possessions égyptiennes sur les rives de la mer Rouge et de l’océan Indien. Ses visées se portèrent plus particulièrement sur Zeila, Berbera et Bulhar mais
Massaoua fut laissée à l’Italie. Trop prudente pour risquer une aventure jusqu’à Harar, l’Angleterre abandonna à Ménélik – roi du Choa – la conquête de cette ville. L’Ethiopie dut cependant
renoncer, une fois de plus, à réaliser son rêve millénaire de possession d’un port sur la mer Rouge. Elle adressa plusieurs demandes en ce sens aux puissances européennes avec l’espoir de ménager
un « couloir » éthiopien vers la mer, mais en vain. La côte fut partagée entre l’Angleterre, installée à Zeila et Berbera, l’Italie à Massaoua et Assab, et la France à Obock, puis
bientôt à Tadjoura et Djibouti »1.
Ce jeu à trois va se poursuivre durant une grande partie du XXème siècle jusqu’à l’indépendance du 27 juin 1977. Aujourd’hui que cet Etat-portuaire s’impose comme une ville-monde, au
sens braudélien du terme – « les informations, les marchandises, les capitaux, les crédits, les hommes, les ordres, les lettres marchandes y affluent et en repartent » -, Djibouti est au cœur
d’un grand jeu, qui fonctionne désormais à cinq : sa souveraineté et son développement sont directement confrontés aux intérêts de Dubaï, ville la plus importante et émirat des Emirats
arabes unis (EAU) ; les Etats-Unis sont militairement présents depuis les attentats du 11 septembre 2001 ; la Chine y a installé sa première base militaire à l’étranger ; et la
France continue à tenir son rôle historique de « plus vieil allié-fondateur ».
GUERRE SAOUDIENNE
A cette configuration géopolitique lourde, où l’on ne doit pas oublier la Turquie installée à Port-Soudan et Mogadiscio, viennent s’ajouter trois partenaires d’une incontournable proximité :
Ethiopie, Somalie et Erythrée dans un contexte régional polarisé par une nouvelle guerre du Yémen, conflit régional opposant les Houthis du nord aux barons tribaux du sud. Avec l’appui des
Etats-Unis, l’Arabie saoudite et ses alliés du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont résolument transformé cette querelle de famille en une « fitna », un combat contre les
Chi’ites yéménites qu’ils accusent d’être soutenus par l’Iran.
Avant l’ingérence militaire saoudienne, on ne pouvait guère différencier les Houthis (qui, à la différence des Chi’ites duodécimains croyant en douze imams, n’en reconnaissent que six) du reste
de la majorité de la population sunnite. Mais l’obsession de Riyad en a décidé autrement, saisissant cette péripétie locale et interne au Yémen pour s’ingérer une nouvelle fois dans les affaires
de la « République » voisine qui fait tant horreur aux Saoud – ses habitants faisant preuve d’une insupportable arrogance consistant à organiser régulièrement dans leur pays… des
élections !
Ressurgissant des conflits récurrents entre les confédérations tribales du nord et du sud du Yémen, la guerre actuelle couvait depuis le début des années 2000 avant de se cristalliser et se
généraliser à l’ensemble du pays à partir de 2014. Avec l’aval américain, les Saoudiens – qui ont systématiquement détruit tous les aéroports du pays – ont, curieusement, laissé intact celui du
port de Mukallah. Proche de la frontière du sultanat d’Oman, ils y ont installé leurs protégés jihadistes de la Qaïda pour les lancer contre les « Chi’ites » houthis.
S’ils achètent régulièrement des bateaux de guerre, les Saoudiens restent des bédouins qui n’aiment pas l’eau. Ils ont donc délégué à leurs alliés émiriens la tâche de constituer une
« ceinture maritime » autour du sud de la péninsule arabique.
Et le déploiement maritime des EAU est impressionnant. Une première base est installée sur l’île yéménite de Socotra – située en mer d’Arabie, non loin de la passe orientale du golfe d’Aden. La
« ceinture » s’appuie sur cinq principaux ports en eaux profondes : Aden (au Yémen à la porte du détroit de Bal el-Mandeb) ; Bosasso et Berbera (au nord de la Somalie) ;
Massoua et Assab (en mer Rouge septentrionale sur territoire érythréen). Ce dispositif est coordonné depuis un état-major inter-armées installé dans l’archipel des Hanish qui commande le détroit
de Bab el-Mandeb, la bien nommée porte des larmes ou des lamentations…
Cette expansion militaire émirienne s’appuie également sur une série d’investissements lourds dans de nombreux ports civils de la sous-région ; l’objectif poursuivi étant d’empêcher
l’émergence d’un centre portuaire susceptible de concurrencer le rayonnement de Dubaï, la « cité-entrepôt » qui rayonne dans tout l’océan Indien de Zanzibar aux Philippines. Soutenu par
les Etats-Unis pour contenir les ambitions chinoises dans la zone, ce collier de perles émirien nous ramène à Djibouti et à la grande brouille qui l’oppose désormais aux EAU.
L’AFFAIRE ABDERRAHMAN BOREH
EN 2006, l’homme d’affaires d’origine djiboutienne Abderrahman Boreh favorise l’implantation de la société émirienne DP-World qui assure la gestion du port de Djibouti. Mais,
lors des élections législatives de 2013, il prend le parti de l’opposition qu’il soutient financièrement. Compromis dans plusieurs affaires de corruption, il trouve refuge à Dubaï. Et lorsque
l’émirat refuse de l’extrader, le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh (IOG) annule la concession portuaire avant de la confier à une société rivale. Les relations entre Djibouti et les EAU
s’enveniment jusqu’à la rupture des relations diplomatiques en avril 2017. Dernièrement les investissements de DP-World à Djibouti sont nationalisés.
La société émirienne s’installe alors dans le port voisin de Berbera – au Somaliland -, se posant en rival potentiel avec l’appui d’Abderrahman Boreh. IOG riposte en proposant à l’Ethiopie un
« accord de sécurité » permettant à l’armée éthiopienne d’opérer à partir du territoire de Djibouti. Cet appel au secours intervient alors que l’Ethiopie a exprimé, il y a deux ans, son
désir de « considérer l’Ethiopie et la République de Djibouti comme un seul et unique territoire ». Ainsi l’Ethiopie serait-elle engagée dans un processus d’annexion de l’ancienne
colonie française ? Où en est-on aujourd’hui ?
Selon le spécialiste de la Corne de l’Afrique Gérard Prunier – chercheur au CNRS – « le président IOG se débat entre diverses sollicitations – et menaces – contradictoires. Alors qu’il
implore l’aide des Éthiopiens, il doit en même temps traiter avec les ennemis arabes de l’Éthiopie qui réclament une base militaire à Djibouti pour appuyer leurs efforts de guerre au Yémen.
Depuis le 6 juin 2017, des soldats Éthiopiens sont installés dans le district de Tadjourah, sur le territoire de la République de Djibouti, suite à l’accord signé début mai entre IOG et
Addis-Abeba. Le général Zakaria Cheikh Ibrahim, chef d’état-major de l’armée djiboutienne, a précisé que cet accord permet à l’armée Éthiopienne de pénétrer en territoire djiboutien sans
autorisation préalable et d’utiliser les installations militaires djiboutiennes. Or, dans la zone de Tadjourah, les Éthiopiens font face aux forces érythréennes, installées à la frontière entre
l’Érythrée et Djibouti depuis les heurts frontaliers de juin 2008 entre ces deux pays. Et la force d’interposition du Qatar s’est retirée l’année dernière »2.
Par ailleurs, des unités de l’armée Éthiopienne sont également déployées face au port érythréen d’Assab dans un secteur où le territoire ne fait que quelques kilomètres de large. Par CCG (
Conseil de coopération du Golfe) interposé, Asmara bénéficie désormais d’une mansuétude américaine à laquelle l’Érythrée n’était pas habituée. Washington veut flatter le CCG qui a besoin
d’Asmara. Les États-Unis ont déversé presque 10 milliards de dollars d’équipements militaires pour aider la coalition saoudienne. Enfin, même si les pouvoirs djiboutien et somalilandais sont à
couteaux tirés pour des raisons commerciales, ils partagent la même réserve à l’égard de l’aventure militaire saoudienne et émirienne au Yémen. Face au rouleau compresseur arabe, l’installation
massive de la Chine apparaît comme une aubaine salvatrice.
L’ŒIL DU CYCLONE
Depuis cinq ans, Pékin multiplie les investissements lourds à Djibouti. En juin dernier, la première base militaire chinoise y a été inaugurée alors qu’on annonce la visite du président Xi Jin
Ping en mai prochain. Avant son limogeage, Rex Tillerson a fait une tournée expresse dans la région, tenant un langage très ferme à l’encontre de Djibouti. En substance, et selon plusieurs
sources diplomatiques, il a tenu à peu près ce langage au président IOG : si vous continuez à tout céder au Chinois, vous nous trouverez sur votre route et nous continuerons à balkaniser la
région à partir de l’Ethiopie et de la Somalie. Pour l’heure, les Etats-Unis continuent à soutenir l’Arabie saoudite et les EAU qui poursuivent leur entreprise de fragilisation de « l’Etat
fédéral de Somalie », d’importantes découvertes de gisements pétroliers et gaziers ayant été réalisées en Ogaden.
Gérard Prunier encore : « on assiste à des menées impérialistes à l’ancienne, mais selon des logiques quelque peu anachroniques qui se contredisent et s’annulent. C’est ainsi, par
exemple, que Washington a le plus grand mal à réagir à cette série de conflits emboîtés – et décalés – où presque toutes les parties prenantes ( Égypte, Éthiopie, Arabie saoudite, Émirats arabes)
sont ses « amis ». Où sont donc les ennemis ? Mais même ceux-ci – le Soudan et l’Érythrée – sont peu menaçants… ils sont simultanément alliés à leurs « amis » ! En revanche, entre eux et pour des
raisons « archaïques », ils se prennent à la gorge les uns avec les autres. Face à ces contradictions, la Chine – souvent décrite comme l’impérialisme montant dans la région – est
encore plus perdue que les États-Unis et cherche, sans y parvenir, les principes d’une logique qui lui échappe. Ni les débris du maoïsme, qui sert encore un peu à Pékin par la force de l’habitude
pour les rapports diplomatiques avec les pays sous-développés non asiatiques, ni le capitalisme d’État actuel n’ont de réponses préformatées pour résoudre l’imbroglio djiboutien. Il faut donc
improviser – ce à quoi les États modernes, bloqués dans la triangulation du politiquement correct, du commercialement expédient et du militairement nécessaire sont mal préparés. Paradoxalement,
l’implication de toutes ces puissances accroît la marge de manoeuvre des acteurs locaux, ces derniers connaissant parfaitement les contraintes avec lesquelles ils doivent composer »3.
Dans cet environnement composite – qui rappelle les Balkans d’avant 1914 ou le Croissant fertile d’après 1947 -, Djibouti fait figure d’œil du cyclone, la République portuaire pâtissant et
bénéficiant à la fois de son exceptionnelle géographie de carrefour stratégique. Dans ce contexte, le président IOG fait feu de tout bois diplomatique. Dimanche dernier à New Delhi, il assistait
à la clôture du premier sommet fondateur de l’Alliance solaire internationale (ASI) – imaginée par l’Inde et la France lors de la COP-21 fin 2015 -, clôturant la visite d’Emmanuel Macron. Sur la
photo, IOG est placé juste derrière le président français qui barre la Une de La Nation, le premier quotidien de Djibouti.
LA FRANCE EN POSITION D’ARBITRAGE
C’est une première : le Groupe d’affaires franco-djiboutien (GAFD) s’est monté en moins de trois mois, à la vitesse d’un TGV. Deux vice-présidents : le Djiboutien Kadra
Douksiett et le Français Stéphane Rémon avec, pour l’instant quelques 25 membres, 400 millions d’euros de chiffre d’affaires et un potentiel de 3000 emplois dans un contexte qui connaît 40 à 50%
de chômage structurel. L’approche se veut aussi qualitative, avec plusieurs programmes de formation en direction de la jeunesse, tournés vers les nouvelles technologies ; « des
formations à l’écoute et adaptées aux besoins de Djibouti », souligne l’un des chefs d’entreprise animateur du GAFD ; « face au tsunami chinois, il s’agit, notamment de diversifier
l’offre portuaire ».
Fin janvier, un contrat a été signé – à hauteur de 250 millions d’euros – avec la société française Rubis-Energie pour un terminal de stockage pétrolier à Damer-Jog, entre
Djibouti et le Somaliland, une nouvelle zone portuaire en pleine extension. Les deux prochaines années verront la demande énergétique tripler. Le Français Akuo-Energie a,
également négocié un protocole d’un montant de 70 millions d’euros pour développer l’énergie solaire et la valorisation des espaces agricoles. Enfin, la chaîne
hôtelière Onomo prévoit différentes implantations à hauteur d’une quinzaine de millions d’euros. Enfin, le leader mondial du transport maritime CMA-CGM étudie une arrivée
djiboutienne en douceur, afin de ne pas mettre en péril (compte-tenu du contexte régional) ses intérêts à Dubaï ; « le transporteur marseillais ayant parfaitement compris qu’il ne peut
faire l’impasse sur les énormes potentiels de l’avenir djiboutien », précise Jean-François Moulin, expert du fret maritime.
Dernièrement, les sénateurs Philippe Paul, Bernard Cazeau, Gilbert-Luc Devinaz, Hugues Saury et le conseiller Marc Schor de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des
Forces armées, ont assisté à l’accostage du BPC Dixmude (effectuant la Mission Jeanne d’Arc 2018 de qualification des Officiers-élève de l’Ecole navale)
après une visite de la base navale française. L’enjeu d’une telle visite, qui devrait annoncer la venue de la ministre de la Défense Florence Parly, est de prendre la juste mesure d’une
consolidation nécessaire de la présence militaire française à Djibouti.
La rapidité d’exécution du Groupe d’affaires franco-djiboutien a valeur de symptôme, quant à l’impérieuse nécessité pour les Djiboutiens de sortir d’une quadrature du triangle
EAU/Etats-Unis/Chine. Parallèlement à la base française d’Abou Dabi aux EAU, qui a davantage valeur de vitrine de nos industries de défense, celle de Djibouti prend de plus en plus d’importance
en matière de besoins opérationnels stratégiques. « Dans tous les cas de figure, et lorsque la situation régionale se tend, Djibouti revient naturellement vers son plus vieux partenaire
historique qui n’a jamais fait défaut », conclut un officier supérieur français en poste à Djibouti ; « l’histoire commune des deux pays se poursuit avec une France, désormais en
position privilégiée d’arbitrage et d’assurance de souveraineté, si les investissements suivent et si notre présence militaire se consolide ».
Etymologiquement, djab bouti, signifie sans doute le lieu où le monstre a été vaincu ! Bonne lecture et à la semaine prochaine.
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