Les
élections boliviennes et le plébiscite chilien.
...de Jacques Le Bourgeois, proposé par le Gal. D. Delawarde le 22/10/2020
Bonjour à tous,
Je viens de recevoir d'un de mes correspondants au Chili, un texte intéressant sous le titre
:
Le vent tourne en Amérique latine:Les
élections boliviennes et le plébiscite chilien.
L'auteur, Jacques Le Bourgeois, est un ancien officier français, docteur en histoire, qui a
adopté la nationalité chilienne il y a plusieurs années, et qui réside à Santiago.
Son court témoignage (2 pages) est donc particulièrement intéressant, parce que c'est celui d'un citoyen chilien
cultivé, qui est aussi un citoyen français et qui maîtrise parfaitement les questions géopolitiques de l'Amérique latine.
Ce témoignage peut être rediffusé pour l'information de vos amis et de vos concitoyens.
A+
DD
Deux événements, l’un en cours, les élections en Bolivie, l’autre imminent, le plébiscite chilien, nous permettent de penser
que des changements importants sont attendus en Amérique latine. Le vent tourne. Du moins, on l’espère, et dans le bon sens, car nous ne sommes jamais à l’abri de rafales incontrôlées ou de
retours inattendus. Toujours est-il que ces deux événements, par leur portée symbolique comme les conséquences qu’ils sont susceptibles d’entrainer, constituent des temps forts de l’histoire de
ce continent. Non seulement, ils expriment un véritable vote populaire, que l’histoire a longtemps refusé. De ce point de vue, nous avons affaire ici à une véritable leçon de démocratie. Mais ils
incarnent tout aussi nettement l’existence d’une identité locale et d’une certaine philosophie de vie à contre courant du système socio-économique imposé par le monde occidental représenté plus
particulièrement par le grand voisin du nord. Deux petits pays d’Amérique latine proposent au monde une autre vision.
Les élections boliviennes.
Dimanche 18 octobre 2020, se sont déroulées en Bolivie les élections présidentielles. 6 candidats étaient en lice, Luis Arce, Carlos Mesa, Fernando Camacho, Chi
Hyun Chung, Feliciano Mamani et Maria de la Cruz Baya. Au terme de 3 jours de dépouillement, alors que 79.01% des bulletins ont été validés, Luis Arce du MAS est donné vainqueur dès le premier
tour conformément aux règles électorales boliviennes. Il cumule déjà 53,05 % des voix et a plus de 20% d’écart avec son premier opposant, Carlos Mesa, (Selon les tout derniers résultats
officiels) . Il devrait donc être le futur président de la Bolivie. Le dépouillement n’est pas terminé et les conditions de réalisation de ces élections ont été si particulières que tout peut
encore arriver. Mais les écarts sont si importants qu’il serait malgré tout peu probable que ces résultats soient rendus caducs. D’ailleurs la présidente en exercice, Jeanine Anet, a reconnu la
victoire de Arce le soir même des élections, alors que nous n’avions qu’une estimation de sortie des urnes, Le lendemain, ce fut au tour de Carlos Mesa, arrivé en seconde position avec à peine 30
% des voix, de reconnaître la victoire de son adversaire. Certaines autorités régionales ont également reconnu cette victoire, le président Piñera du Chili, mais aussi Luis Almagro, secrétaire
général de l’OEA. Venant de ce dernier, ce n’est pas rien, car il fut le premier à faire invalider les élections de octubre 2019 qui avait vu la victoire de Evo Moralès. Toutefois, le fait que
Fernando Camacho, arrivé en 3ème position avec 14% , ne se soit pas encore prononcé, est symptomatique de l’existence d’une opposition casi viscérale au retour au pouvoir d’un candidat du MAS. Il
avait été un opposant virulent à Moralès au point d’initier un mouvement d’indépendance de sa province Santa Cruz.
Si les résultats sont inchangés, la victoire de Luis Arce est spectaculaire et a un triple impact.
Ce brillant résultat valide du même coup les élections de 2019 qui avaient vu la victoire de Evo Moralès. Il démontre la véracité du coup d’état organisé à son
encontre l’acculant à la démission puis à l’exil. Il met en évidence le montage fallacieux fait pour le justifier, montage auquel ont de toute évidence participé les forces armées, la police et
la droite bolivienne, mais aussi les Etats Unis et l’OEA, avec la complaisance du monde occidental dont particulièrement l’Union Européenne. Il démontre leur caractère intéressé et manipulateur,
leurs velléités de domination sous un couvert démocratique dont on peut sérieusement douter.
Il incarne la force du vote du peuple originaire. La voix de l’indien en Bolivie, pourtant majoritaire sur le plan démographique, a longtemps été étouffée au profit
d’une minorité blanche créole, raciste et dominatrice. De ce point de vue, il souligne l’ampleur de l’implantation de son parti, le MAS, dans la vie politique bolivienne
Enfin, il laisse entrevoir le retour à une politique similaire à celle qu’avait implantée Evo Moralès, même si, Arce, dans une récente interview, se soit nettement
démarqué de son mentor. Toutefois, comme lui même l’a affirmé au cours de cet entretien, il illustre la perspective d’ouvrir une nouvelle voie politique, différente et non imposée par le système
néolibéral et le monde occidental. Elle visera à promouvoir la nation bolivienne singularisée par sa spécificité culturelle, s’appuyant sur ses richesses naturelles dont les rendements seront
redistribués à sa population plutôt qu’aux multinationales. Par ailleurs la personnalité de Arce, de par son origine et sa formation, pourrait faciliter une meilleure intune tence d'ymptomatique
de l'n sur un changement constitutionnel par un vote pltinationales. incarne la force e dégration de la Bolivie dans l’ensemble de l’Amérique latine pour le profit indéniable de celle-ci.
Le plébiscite chilien
Dimanche 25 octobre 2020 , le peuple chilien va vivre un moment historique. Il doit se prononcer sur un changement constitutionnel par un vote plébiscitaire. C’est
pratiquement une première dans l’histoire chilienne. Même si ce n’est qu’un premier pas vers un changement possible, le plébiscite suscite une immense lueur d’espérance pour 64% de chiliens.
L’enjeu est de taille, car ce sera compliqué. Le pays est véritablement polarisé entre ceux qui refusent ce changement et ceux qui l’approuvent.
Il y a un an, le 18 octobre 2019 exactement, éclatait au Chili, une véritable émeute sociale qui allait mobiliser durant des mois des manifestations ininterrompues
dont la plus gigantesque allait rassembler plus de 1 million et demi de personnes rien qu’à Santiago. La pandémie va suspendre cette situation sans l’interrompre. Depuis plus d’un mois les
mobilisations ont repris. Parmi les revendications sociales, le changement constitutionnel allait s’imposer avec force. Le gouvernement de Piñera, pressé par la rue et par la signature d’une
sorte de pacte transversal entre les partis politiques, après maintes tergiversations, allait finalement accepter le príncipe d’un plébiscite au cours duquel le peuple doit se prononcer sur le
changement constitutionel ou non ainsi que sur le mode constituant. Initialement prévu en avril 2020, l’irruption de la pandémie va conduire les autorités à repousser l’événement au 25 octobre
2020.
Dimanche prochain nous devrons répondre à 4 questions: approuve le changement de constitution ou le refuse, pour une assemblée constituante ( 100% citoyenne) ou
pour une convention mixte (50% citoyens et 50% parlementaires).
Les sondages donnent une large majorité au changement de constitution, ( Plus de 64% selon la Cadem, organisme officiel, de lundi 19 0ctobre) et une majorité
relative à l’assemblée constituante (46 % selon le même sondage). Mais le pays est nettement polarisé autour de ces deux positions.
La constitution en vigueur date de 1981 et, malgré sa refonte partielle en 2005 sous le gouvernement de Lagos, elle est porteuse d’une faute originelle, elle est un
produit de la dictature, décidée et rédigée entre 4 murs et approuvée par un plébiscite frauduleux. Par ailleurs, son originalité réside dans la subsidiarité de l’Etat au profit du secteur privé
et la fixation d’un quorum si élevé (4/5) qu’il rend quasiment impossible toute modification. Or la plupart des revendications sociales, que ce soit en matière d’éducation, la santé, l’accès au
logement, les pensions, l’accès aux ressources naturelles, en particulier le droit de l’eau, se heurtent à ce cadre rigide.
La pays est littéralement divisé en deux, répliquant grossièrement une division droite–gauche, avec d’un côté les partisans du système néo-libéral et et de l’autre,
ceux qui s’y opposent ou au mínimum veulent une modification de celui-ci. Cependant au-delà de cette division político-socio-économique, on en reconnaît une autre historique et viscérale. Celle
existant entre ceux qui ont appuyé et qui continuent d’appuyer la dictature de Pinochet, et ceux qui ont lutté contre. A ces deux particularismes locaux, s’ajoutent d’autres prismes qui s’y
superposent ou s’y mêlent, il s’agit de la perception écologiste, celle des religions avec en particulier le jeu singulier joué par les évangélistes et leur implication grandissante dans la vie
politique défendant des valeurs très conservatrices, celle des peuples originaires, en particulier le peuple mapuche, dont certains revendiquent leur autonomie, voire leur indépendance.
Pour le moment la campagne est relativement calme. Mais l’ambiance est tout de même ponctuée par des actes de violence révélateurs de l’enjeu. Il faut bien
comprendre que le gros du peuple chilien est victime d’abus économiques et politiques caractéristiques, répétés et rarement ou insuffisamment sanctionés. La minorité riche craint pour ses
intérêts et voit dans la défense du refus (de changement) non seulement la perpétuation de ses privilèges, mais aussi sa propre survie socio-économique. Le peuple Mapuche perçoit enfin
l’opportunité d’un véritable changement après des siècles de soumission et d’exploitation. Les estimations de participation sont très élevées, alors que le vote est volontaire, ce qui montre bien
l’intérêt d’un tel événement.
Il est vraisemblable que le vote pour le changement l’emporte et que le choix pour une assemblée constituante soit majoritaire. Ce sera un jour historique, car pour
la première fois de son histoire, le peuple chilien va participer à l’élaboration de sa constitution. Il est clair que la suite sera compliquée. Mais si le processus est mené à son terme, le
changement sera monumental et sans aucun doute une remarquable leçon de démocratie donnée au continent latino mais aussi au monde entier.
Santiago, le 21 octobre 2020.
Jacques Le Bourgeois,
Promotion St. Cyr "Charles De Gaulle" - (1970/1972)
Evo Morales
est arrivé à la présidence de la Bolivie en janvier 2006 et a mené divers changements qui ont transformé la dynamique économique du pays. Le résultat a été une croissance constante moyenne de
4,9% pendant 13 ans qui s’est traduite par une réduction de la pauvreté de 42% et de l’indigence de 60%, selon les organismes internationaux.
La production d’hydrocarbures a doublé mais les revenus qu’elle a générés se sont presque multipliés par 7 pendant cette période grâce à la nationalisation des
entreprises et à la réglementation concernant les ressources naturelles. D’autres indicateurs économiques sont positifs : le chômage a été réduit de 7,7% à 4,4% entre 2008 et 2019 et les
investissements n’ont pas baissé (l’investissement public a augmenté même pendant les périodes de crise économique.)
Ces résultats économiques ont été bien perçus par les Boliviens et on considère que c’est l’une des raisons pour lesquelles Morales était en tête des sondages
avant les élections de novembre 2019.
Les analystes disent que le Gouvernement a utilisé correctement une situation extérieure favorable pour réduire les inégalités dans la société : le prix
des matières premières et le volume des ressources naturelles (en particulier le pétrole et le gaz) que possède la Bolivie ont augmenté.
Et ces réussites ont un nom : Luis Arce, ministre pendant tout le gouvernement de Evo Morales sauf pendant 18 mois entre 2017 et 2019 parce qu’il avait un
problème de santé. Son départ du ministère a coïncidé avec la fin de la situation extérieure favorable à l’économie. L’État a augmenté ses investissements et adopté une série de mesures qui a
amené le déficit public à plus de 8% du Produit Intérieur Brut.
Arce est l’homme politique du MAS qui a le moins de soutien des secteurs populaires en partie parce que ce n’est pas un indigène et qu’il est originaire de la
capitale (il est né à La Paz en 1963) mais il est perçu comme l’artisan de la bonne époque de l’économie de la Bolivie même par les classes moyennes.
Un « boy
de Chuquiago »
Fils d’instituteurs publics, dès sa jeunesse, le fait qu’un pays possédant autant de richesses ait des indices de pauvreté aussi élevés inquiétait Arce. C’est
pourquoi il a choisi de faire des études d’économie. Il a une licence d’économie de l’Université Mayor de San Andrés et une maîtrise de sciences économiques de l’Université de Warwick
(Angleterre).
Lorsqu’il était étudiant, il se définissait déjà comme socialiste. A la fin des années 90, il a formé avec des membres du défunt parti, un groupe de discussion
et d’analyse pour la transformation économique du pays. « Le premier défi que nous avions était de démontrer que nous, la gauche, nous gérions l’économie mieux que la droite, »
disait-il en rappelant cette époque lors d’une interview accordée au Wall Street Journal en 2014.
Après avoir fait ses études, il est entré comme fonctionnaire à la Banque Central de Bolivie où il est resté 19 ans tandis que le pays était gouverné par des
partis de gauche et de droite. Cela lui a valu des critiques puisque, selon ses propres déclarations, il a intégré une équipe de travail dont il ne partageait pas les méthodes et les
objectifs. On peut trouver certaines de ses objections aux politiques de ces périodes dans son mémoire de maîtrise qui n’a pas été publié.
Quand Morales est arrivé au pouvoir, la permanence de Arce dans l’équipe économique a été perçue comme un signe de continuité et a calmé ceux qui craignaient
que le dirigeant cultivateur de coca prenne des décisions impulsives ou qu’ils considéraient comme mauvaises. Dans plusieurs interviews, l’ex-ministre a raconté des anecdotes concernant des
moments où Morales voulait prendre des décisions qu’il a réussi à modérer, ce que le Président a également reconnu à diverses occasions.
Par exemple, pendant sa première année de gouvernement, Morales voulait doubler le salaire des fonctionnaires et exproprier les actifs des entreprises de gaz
étrangères. Les 2 fois, Arce et d’autres membres de l’équipe économique l’ont convaincu que ce n’étaient pas les meilleures mesures à prendre à ce moment-là parce qu’elles seraient mal
interprétées et qu’il valait mieux recourir à des décisions moins polémiques et les faire durer dans le temps pour arriver aux mêmes résultats. « Karl Marx disait : « Pour
obtenir le saut vers le socialisme, il faut développer les forces de production. C’est ce que nous faisons, » disait Arce en 2014 en évoquant le long chemin qui a été choisi pour mener à
bien les transformations qui ont donné des résultats.
Dans le document officiel qui présentait le Nouveau Modèle Économique, Social Communautaire et Productif, en 2011, il expliquait : « Ceci est un
modèle de transition vers le socialisme dans lequel, graduellement, on résoudra beaucoup de problèmes sociaux et on renforcera la base économique pour une distribution correcte des excédents
économiques. » « On ne peut pas réaliser un déplacement mécanique du capitalisme vers le socialisme, il faut une période intermédiaire » dans laquelle il est nécessaire
« de construire une société de transition entre le système capitaliste en créant les conditions d’une société socialiste, » soulignait-il.
Dans un Gouvernement formé majoritairement par des représentants indigènes et sociaux, avec une longue histoire, Arce représentait un petit groupe de
professionnels qu’on appelait « Chuquiago Boys », une déformation du nom de l’expression « Chicago Boy » formée sur le nom aymara de la ville de La Paz.
On se souviendra du 19 novembre
2019, jour d’élection présidentielle, en Bolivie. Evo Morales, alors candidat, s’est vu soutenu de nouveau par la grande majorité de son peuple. Les premiers résultats le donnèrent
comme gagnant au premier tour, sans nécessité d’un second tour. C’est alors que le secrétaire général de l’OEA, alors présent, comme observateur, prit l’initiative d’une déclaration, faisant
état d’une grave fraude électorale. Son statut, comme secrétaire général de l’OEA, lui assurait une certaine crédibilité de la part des alliés de Washington et des ennemis de Evo Morales.
C’est alors, en concertation avec la partie perdante de l’élection et des alliés de l’empire, les forces armées boliviennes, fidèles aux partisans de la « droite », ont été mises à
contribution pour confirmer cette fraude et mettre à prix la « tête » de Evo Morales et de tous ceux et celles qui lui sont très proches.
Nous connaissons la suite. Evo Morales, pour éviter des massacres de son peuple et de ses plus proches, ainsi que sur lui-même, s’exila au Mexique qui lui avait
tendu la main. Pendant ce temps, l’armée s’en prenait aux résistants à ce coup d’État militaire, alors que les principaux artisans de ce dernier préparaient un gouvernement fantoche,
reconnu par Washington et ses alliés, tenant lieu de pouvoir légitime pour gouverner le pays.
Devant cette scène grotesque, d’usurpation de la volonté, clairement exprimée du peuple, se firent silencieux les évêques boliviens tout comme fut le cas du
Vatican. La majorité des pays subordonnés à Washington comme c’est le cas du « club de Lima et de l’Union Européenne » reconnurent le nouveau gouvernement. Ce ne fut toutefois pas le cas pour
les Nations Unies qui se sont abstenues d’en reconnaître la légitimité.
En ce 18 octobre 2020,
ce fut également élection présidentielle dans le but de légitimer le nouveau gouvernement. Ce que les putschistes considéraient pour acquis s’est vite transformé en une débâcle rarement vue.
Le candidat, Luis Arce, mis de l’avant par le parti politique de Evo Morales (MAS), s’est vu attribuer, par le vote du peuple bolivien, la présidence avec 52,4% des voix.
Deux points
retiennent particulièrement mon attention : le
premier est celui de la reconnaissance immédiate de cette victoire par les principaux dirigeants de l’opposition officielle. Le
second est cette unanimité internationale de ceux qui, en 2019, ont tout fait pour que la victoire de Evo Morales ne soit pas reconnue.
Je note, entre autres, l’appel téléphonique, tout récent, du pape
François à Evo Morales, toujours en résidence protégée en Argentine. Je note également le comportement des évêques
boliviens qui se félicitent de la victoire de celui qui sera le nouveau président de Bolivie. On se souviendra que ces mêmes évêques avaient, pratiquement, fait campagne (en 2019)
contre Evo Morales, l’accusant de fraudes électorales, sans jamais en donner les preuves.
Trump et
l’Union européenne ont aussitôt reconnu le nouveau gouvernement, se disant disposés à travailler avec ce dernier.
Je voudrais bien croire à un virement de 180 degrés de tous ces acteurs qui ont été, sous une forme ou une autre, les auteurs directs et indirects du Coup
d’État de novembre 2019. D’ailleurs, jusqu’à tout récemment, certains des plus radicaux promettaient de mettre l’armée au service de leur démocratie. Il y a toutefois une autre
hypothèse tout à fait plausible…
Le trois novembre
prochain sera jour d’élection aux É.U.. Donald Trump, en tant que candidat à cette élection, ne peut se permettre, à deux semaines de ces dernières, une aventure
internationale comme celle d’un second coup d’État contre le peuple bolivien. Ses promesses de paix et de respect des peuples et des nations se verraient renvoyées aux oubliettes. Je le vois
donc ordonner, de la Maison-Blanche, à tous ses collaborateurs et collaboratrices impliqués, directement ou indirectement dans un changement de régime politique en Bolivie, de se conformer
aux résultats des élections et d’en reconnaître les principaux élus. Faire ainsi la démonstration que son gouvernement respecte la « démocratie » et le droit des peuples à décider
de leur destin.
Je suis porté à penser que pour certains, ce fut un véritable virement, et pour d’autres, il s’agit plutôt d’une remise à plus tard. J’espère me tromper
sur ce dernier point.
Aujourd’hui vendredi 23 octobre à 18 heures à La Paz, capitale de la Bolivie, le TSE (tribunal suprême électoral ) a donné les résultats définitifs des élections en
Bolivie. Il a confirmé La victoire de Luis Arce et celle de son parti, le MAS, qui obtient la majorité dans toutes les instances parlementaires.
La victoire de Arce est spectaculaire, plus de 55%. Elle confirme l’implantation de son parti, le MAS et le retour au pouvoir du courant socialiste, mais surtout du
peuple originaire. Comme face à tous ces événements, il importe de faire une lecture du relief, celle des creux et une autre, celle des bosses. Jusque là nous avions fait une première approche ,
sans doute superficielle, une vision du relief de loin, parce que nous n’avions pas toutes les données et que les résultats restaient aléatoires, en dépit des déclarations péremptoires. Dans ces
pays latins, il convient d’être prudent. Les chiffres dont nous disposons nous permettent de faire une analyse plus fine, ce sera l’objet de notre propos. Toutefois, je ne me prononcerai pas
davantage sur les répercussions sur le continent avant de voir comment les Boliviens vont assimilé ces résultats.
Una participation remarquable malgré des conditions contraires et compliquées.
Sur 7 332 926 inscrits, se sont exprimés 6 463 893 votes. 22 % sont blancs, 3, 57 % ont été déclarés nuls et 95 % ont été validés. Ceci nous donne une participation
remarquable, de plus de 88 %.
Or ce n’est pas une dictature, même si les actions répressives du pouvoir intérimaire résultant d’un véritable coup d’Etat en octobre 2019 pourraient s’y
apparenter. Les observateurs internationaux mandatés ont tous confirmé la bonne tenue de ces élections. Les conditions furent pourtant compliquées, en particulier pour les régions rurales les
plus reculées de Bolivie, ce qui explique d’ailleurs la lenteur des résultats, ( près d’une semaine pour obtenir un décompte complet). Quelques incidents ont pourtant été rapportés (El ciudadano
du 21 octobre 2019) : notamment des pressions comme le regard du militaire ou du policier qui t’accompagne jusque dans l’isoloir ; ces 1300 indigènes de San Miguel de Valesca ( dans la province
de Santa Cruz) qui n’ont pu voter car ils n’ont jamais reçu les bulletins de vote ; des vols d’urnes ou des menaces. Toutefois, le TSE a confirmé qu’aucun acte provenant des différentes régions
n’avait été remis en cause. La campagne électorale , elle-même, n’a pas été simple surtout pour les candidats du MAS. Le gouvernement intérimaire a repoussé par 3 fois la date. Il a réprimé avec
une violence inusitée les manifestations ou les rassemblements politiques. Plusieurs centaines de personnes sont encore incarcérées pour de simples motifs politiques. Si l’on ajoute à ces
exactions tant policières, militaires et politiques, le spectre mortifère et les restrictions sanitaires liées à la pandémie, cette très forte participation traduit bien l’expression déterminée
d’un peuple qui avait la ferme intention de faire entendre sa voix. La validité du vote s’en trouve renforcée. La légitimité du vainqueur sera difficilement contestable.
Des résultats définitifs et transparents, cependant remis en cause.
Le tribunal suprême électoral a manifestement tenu à veiller à une stricte discipline, une totale transparence pour éviter toute suspicion de fraude, qui fut le
motif à la fois de l’ annulation des élections de octobre 2019 et la justification de la prise du pouvoir par un gouvernement intérimaire dirigé par Jeanine Anez. En fait un coup d’Etat, une
prise de pouvoir irrégulière dont les résultats actuels confirment son illégalité. Cependant des critiques surgissent.
Luis Arce a obtenu 55, 10 % des voix, Mesa, ex-président et candidat du Centre citoyen arrive en seconde position avec 28 92 % des voix, quant au candidat de
l’ultra droite, Camacho, pour le Mouvement Creemos, il n’obtient que 13, 88 % des voix, provenant pour l’essentiel de Santa Cruz, sa région, Les 3 autres candidats n’obtiennent que des résultats
infimes d’à peine 1 % pour le mieux coté. Conformément à la loi électorale bolivienne, Luis Arce est élu dès le premier tour.
Le TSE a donc officialisé la victoire de Luis Arce. Il sera le prochain président de Bolivie et selon les ultimes informations que nous avons, la passation de
pouvoir devrait se faire le 8 novembre prochain. Son vice président pourrait être David Choquehuanca avec lequel il a fait campagne, mais cette fonction doit encore être confirmée par un
vote.
Néanmoins , comme nous l’avions suspecté dans notre analyse antérieure, des voix contraires se sont faites entendre. Le conseil citoyen de Santa Cruz, par la voix
de son dirigeant, Calvo, ne reconnaît pas les résultats. Il accuse le TSE de malversations et appelle à la grève dès ce samedi 24 octobre. Santa Cruz a toujours été un foyer de contestation
contre le pouvoir de Moralès, lorsque celui-ci était au pouvoir. Province riche, peuplée majoritairement de propriétaires créoles blancs qui détiennent le pouvoir local, productrice en
hydrocarbures , elle a régulièrement manifesté son opposition à l’Altiplano, et à La Paz, fief du MAS. Sa posture contestataire avait été jusqu’à revendiquer son autonomie en 2014.
Selon nous, cette réaction ne devrait pas prendre une importance grandissante. Cependant, elle révèle les difficultés que Arce va rencontrer, au moins dans cette
province, mais aussi dans les deux autres où le MAS n’a pas eu la majorité, à savoir Beni et Pando, adjacentes à Santa Cruz. Difficultés non nouvelles puisque ce sont des redites de ce qui s’est
passé durant les mandats de Moralès.
Le pouvoir retrouvé du MAS (movimiento al socialismo)
Les élections ont attiré nos regards sur les présidentielles, or ce même jour, les Boliviens devaient élire leur pouvoir législatif , 36 sénateurs et 130 députés,
dont parmi ces derniers, la moitié est élue directement , l’autre est élue à partir de la liste du candidat à la Présidentielle. Le MAS est le grand gagnant, toutefois il n’aura pas une majorité
absolue.
Le MAS a obtenu 21 des 36 sièges de sénateurs, le Centre Citoyen de Carlos Mesa 11 et le mouvement de Camacho, Creemos, 4 sièges.
Pour ce qui concerne les députés, le MAS aura 81 des 130 sièges dont 26 députes dits plurinominales, 42 députés dits Uninominales, 7 des circonscriptions spéciales
( dont La Paz, Oruro, Cochabamba, Tarija, Santa Cruz) et 6 représentants parlementaires auprès des régions.
Le MAS aura donc 81 des sièges de députés sur 130. Il sera en mesure de faciliter la tâche à Luis Arce et rétablir ainsi une politique similaire à celle menée par
Moralès. Toutefois, le MAS n’a pas le monopole du pouvoir, car ce ne sera pas suffisant pour voter certaines lois requérant une majorité de 2/3, comme des modifications constitutionnelles.
Comment expliquer la victoire spectaculaire de Luis Arce et du MAS?
A mon sens, il existe au moins 4 raisons principales.
La première est l’impopularité du pouvoir intérimaire et en particulier sa présidente, Jeanine Anez. Son accession au pouvoir s’est faite par
la force dans une imbroglio électoral profond qui s’est fondé sur des accusations de fraude électorale (dont on découvre aujourd’hui le montage fallacieux), et a provoqué la démission de Moralès
et son exil au Mexique puis en Argentine. De toute évidence, la prise de pouvoir de 2019 n’était pas autre chose qu’un coup d’état “soft”, certes, mais la population n’était pas dupe et les
partisans de Moralès n’ont jamais accepté cette situation. Par ailleurs, la présidente intérimaire a démontré régulièrement sa posture raciste n’hésitant pas à insulter les indiens sur les
réseaux sociaux mais aussi et surtout son incompétence politique. Son gouvernement a eu une gestion désastreuse, bien sûr accentuée par la pandémie , qu’elle a véritablement instrumentalisée pour
contrôler la partie de la population qui s’opposait à sa politique. Non seulement impliqué dans des actes de corruption caractérisés comme celui du Ministre de la Santé (l’affaire des
hyperventilateurs), il a mené une politique répressive brutale centrée sur les opposants au régime sur la base de motifs essentiellement politiques. L’économie qui avait atteint sous les mandats
de Moralès des niveaux inédits en Bolivie ( Le PIB est passé de 9500 millions de $US à 40 800 millions de $US et la pauvreté est passée de 60 % à 37 % ( chiffres officiels boliviens), s’est
effondrée en l’espace de 9 mois avec ce gouvernement, rendant le quotidien des Boliviens insoutenable.
La seconde est de toute évidence la pandémie. Le système de santé bolivien n’était pas armé pour y faire face et comme la gestion
gouvernementale n’a pas été à la hauteur, ce fut une véritable catastrophe. En juillet 2020, des centaines de corps jonchaient les rues de Cochabamba faute d’une organisation et à cause de la
peur de la population face à la répression. La population n’osait pas sortir et préférait déposer les cadavres dans la rue plutôt que les apporter dans les morgues. Le taux de mortalité COVID en
Bolivie se situe entre les 10 les plus élevés au monde. Les effets sur l’économie ont donc été d’autant plus désastreux que les revenus que le régime de Moralès prodiguait à la population ne
pouvant être honorés, c’est tout l’ensemble de la population pauvre qui s’est retrouvée cette fois encore plus démunie. Il était évident que tous ces gens allaient voter MAS.
La troisième raison est bien sûr la personnalité de Luis Arce. Arce était le ministre de l’économie de Moralès. Il a une excellente
formation d’économiste et c’est lui qui a littéralement conçu, organisé et dirigé la reconstruction économique de la Bolivie que nous connaissons, notamment grâce à la nationalisation des
ressources naturelles, mais aussi les bons d’aide et les pensions allouées aux couches les plus pauvres. J’étais personnellement en Bolivie à cette époque, exactement dans le Yungay, et j’ai
assisté à la remise de ces bons. Il fallait voir s’éclairer les visages de ces pauvres gens lorsqu’ils recevaient cette indemnisation qui, pourtant, à ses débuts, n’était guère importante. Par
ailleurs Arce a une personnalité qui devrait favoriser son rayonnement. Il est issu de la classe moyenne, de parents professeurs. Il a donc le lien avec cette couche sociale (que l’on retrouve au
sein du MAS) qui a bénéficié de l’enrichissement dû à la politique de Moralès, mais qui s’en est détachée sur certains aspects politiques et constitutionnels. Si Moralès de par son origine
indienne et paysanne avait le lien originel avec le monde cocalero, son profil ne convenait pas à tout le monde, défaut que n’a pas Arce., qui, lui au contraire, fait le lien entre le monde
cocalero et cette couche moyenne.
La quatrième raison est l’ancrage du parti de Arce, le MAS et plus particulièrement de sa base électorale qui s’identifie avec
Moralès. Ce dernier a toujours eu un socle électoral de l’ordre de 45 %. En 4 élections, ce socle n’a jamais failli, il a même atteint un sommet de 64 % en 2009. On a effectivement observé des
défaillances en 2017 lorsque Moralès a tenté de faire modifier la constitution pour obtenir un mandat supplémentaire. Une résistance est apparue au sein du parti. On a également observé les
effets produits par le consumisme sur la jeunesse bolivienne appartenant à la couche moyenne dont les parents militaient au sein du MAS: un certain amollissement, une sorte d’indifférence, une
désaffection pour la militance politique au grand dam des activistes originaux. Mais la mobilisation observée lors de ces dernières élections démontrent sa puissance retrouvée. Selon moi, cette
union retrouvée s’est faite face à l’adversité, la pandémie sans doute, mais surtout le gouvernement intérimaire.
Voici donc les éléments qui permettent de comprendre ces résultats renversants. Il nous faudra maintenant nous pencher sur les
conséquences possibles principalement sur le continent latino où l’on perçoit les signes avant-coureurs de changements possibles. Mais il est encore trop tôt pour les qualifier. Et dans ces
changements attendus, ou espérés (selon l’état d’esprit de chacun), il est fort probable que la Bolivie de Arce aura non seulement son rôle à jouer mais surtout pourrait avoir été un facteur
déclenchant.
Santiago, Chile, le 23 octobre 2020
Jacques Le Bourgeois,
St.Cyr, Promotion Charles De Gaulle
Docteur en Histoire
Le
plébiscite Chilien :
Le
peuple a parlé haut et fort.
Sera-t-il
écouté ?
...par Jacques Le Bourgeois, proposé par le Gal. Dominique Delawarde.
Le 25/10/2020.
Bonjour à tous,
Après la Bolivie, le Chili vient de s'exprimer à son tour. Là encore, ce peuple Sud américain vient de s'exprimer et de dire massivement sa défiance envers une
classe politique pro-occidentale au pouvoir.
Le vent a donc bien tourné en Amérique du Sud.
Il y aura donc une nouvelle constitution "citoyenne", élaborée par des citoyens élus et non par des parlementaires dont on connaît les allégeances.
C'est un bien pour le Chili et un nouveau camouflet pour les occidentaux en général et les USA en particulier.
Un de mes correspondants au Chili, Jacques Le Bourgeois commente, aujourd'hui, cette élection en pièce jointe.(Ci-dessous)
L'auteur, Jacques Le Bourgeois, est un ancien officier français, docteur en histoire, qui a adopté la nationalité chilienne il y a plusieurs années, et qui
réside à Santiago. Il est donc particulièrement qualifié pour traiter des sujets de l'Amérique latine en général et, en particulier, de ceux du Chili, son pays d'adoption.
Son court témoignage (2 pages) est donc particulièrement intéressant, parce que c'est celui d'un citoyen chilien cultivé,
qui est aussi un citoyen français et qui maîtrise parfaitement les questions géopolitiques de l'Amérique latine.
Ce témoignage peut être rediffusé pour l'information de vos amis et de vos concitoyens. Vous ne le trouverez pas sur BFMTV ......
Bonne lecture
DD
Les résultats du plébiscite chilien viennent de tomber. Alors que 95,75 % des votes ont été scrutés, l’”Apruebo” l’emporte avec 78,3 % , soit un peu plus de 5, 5
millions de voix, contre 21,73% pour le “rechazo”, soit un peu plus de 1, 5 millions de voix. C’est une victoire indiscutable des partisans d’un changement constitutionnel. Une seconde question
était posée : Convention constituante (composée essentiellement de citoyens élus) ou convention mixte (50% de parlementaires et 50% de citoyens élus). La première l’emporte avec un pourcentage
similaire. Le peuple chilien veut changer sa constitution et veut le faire lui-même. L’événement est historique, car c’est bien la première fois que la population se prononce
dans son ensemble sur un choix politique fondamental. Il est également particulièrement chargé émotionnellement, car c’est une première victoire du mouvement social initié il y a un an, pour
exprimer des décennies de frustrations et d’abus.
Mais ce n’est qu’une première étape d’un long et compliqué processus. Celui-ci est bien sûr légitimé par des résultats sans appel, (quoique la participation
pourrait être un sujet de discussions futures), mais les changements demandés sont si importants, si profonds, les positions des uns et des autres sont si variées et pour certaines inconciliables
que l’on peut comprendre ceux qui douteraient d’un aboutissement heureux. Mais à l’image de cette population, jeunes et vieux, hommes et femmes, qui se sont mobilisés parce qu’ils croient en un
Chili meilleur et qu’ils sont allés voter “pour le futur de leur pays et de leurs enfants”, il me semble qu’on ne peut qu’appuyer leur démarche et faire en sorte qu’ils soient écoutés.
Une participation inusuelle
Dès ce matin, 8 heures, les responsables de bureaux de vote à peine installés, à peine ceux-ci étaient ouverts que les gens faisaient déjà la queue. Ils ne venaient
pas accomplir docilement leur devoir, car le vote n’est plus obligatoire. Ils exprimaient leur voix. Une voix forte, la leur. En fin de matinée, les files étaient gigantesques, quelquefois de
plusieurs centaines de mètres, plus longues que d’habitude, car amplifiées par souci de la réglementation sanitaire, mais tout de même inusuelles. Les gens affichaient un visage tranquille, comme
mus d’une secrète volonté, une profonde satisfaction qu’ils avaient la joie de montrer. Et parmi ces gens, on observait un changement fondamental par rapport aux élections précédentes, les jeunes
étaient très nombreux. Ceux-là même qui avaient montré une indifférence méprisante à la politique lors des élections présidentielles et parlementaires de 2017, s’investissaient d’une façon
impressionnante dans une action citoyenne nationale. Il est vrai qu’ils avaient constitué la force vive des manifestations depuis octobre 2019. Les personnes du troisième âge, elles aussi,
étaient nombreuses, mais ce fait n’est pas nouveau. Toutefois on ne peut passer sous silence l’exemple de ce centenaire, venu voter “ pour le futur de ses petits enfants” ou cet autre, une femme
grabataire dont des proches ont poussé le brancard jusque dans l’isoloir, elle aussi, “ pour un Chili meilleur”. Ce 25 octobre 2020, le peuple chilien dans son ensemble exprimait son intime
conviction qu’il fallait changer les choses.
Ils seront un peu plus de 7 millions à voter, soit un peu plus de 50% du nombre total de votants. Le chiffre ne reflète pas les images recueillies au cours de la
journée où des files infinies se prolongeaient d’un pâté de maisons à l’autre. Certains durent attendre plusieurs heures avant d’atteindre l’isoloir. Heureusement le ciel fut clément. Quelques
nuages ont même adouci la chaleur printanière. Certains politologues, on l’a senti au cours des commentaires post-électoraux, mettent déjà en avant l’idée qu’en fait ce vote n’est que le fait
d’un habitant sur deux. Curieusement, les mêmes s’étaient abstenus de commenter le fait que le président actuel avait été élu avec un peu plus de 50% des voix mais avec une abstention de plus de
60%. Néanmoins la participation à ce plébiscite est considérée comme élevée. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un vote volontaire, et qu’il s’est déroulé dans le contexte de la
pandémie.
Une rapide rétrospective historique
L’idée d’un changement constitutionnel n’est pas née avec l’émeute sociale de 2019. Elle remonte au début des années 90 à Concepcion. Mais c’est vraiment en 2013
que la revendication d’une assemblée constituante va faire son chemin avec le mouvement “ Marca tu voto”. Durant sa campagne électorale, le 27 octobre 2013, la candidate à la présidence, Madame
Bachelet, annonce dans son programme un processus de changement constitutionnel. Néanmoins, sa promesse va se heurter à une vive opposition, venant principalement des partis de droite, mais aussi
de ceux de gauche et non des moindres, puisque Camilo Escalona, sénateur et secrétaire général du PS auquel appartenait Madame Bachelet, a eu une formule lapidaire pour écarter le sujet: “no
fumemos opio”, que l’on pourrait populairement traduire par la métaphore suivante : “Parler constitution revient à fumer de la moquette”. Alors devant telles considérations
auxquelles s’ajouteront les obstacles de la première année de son mandat présidentiel (notamment l’affaire Caval), ce projet va sombrer dans l’oubli. Toutefois, en 2016 il est officiellement
relancé, mais sous la forme d’un processus de convention mixte avec participation du congrès. Des cabildos (réunions) citoyens vont être organisés, puis des cabildos provinciaux. Nous-mêmes
participerons à ces deux niveaux. Mais face à une opposition politique généralisée, un silence complice des médias et un discrédit systématique organisé principalement par les partis de droite et
le monde des grosses entreprises, le processus ne débouchera pas. Ce n’est qu’au cours des manifestations du mouvement social de octobre 2019 que l’idée va resurgir et de là s’imposer comme la
revendication principale. Cela donnera lieu à l’établissement d’un accord signé entre la plupart des partis politiques sauf le parti communiste, repris dans le plan en 3 points proposé par le
gouvernement. Initialement fixé au mois d’avril 2020, ce plébiscite sera repoussé au 25 octobre du fait de la pandémie.
Des résultats contendants et révélateurs des fractures du pays.
Les premiers résultats d’une victoire indiscutable de l’”apruebo” sont parvenues de l’étranger dès la fin de l’après midi, avant même que les bureaux de vote
continentaux ne ferment. 59 000 chiliens y étaient habilités à voter. Le vote pour le changement constitutionnel est estimé à 84% alors que le refus stagne à 15, 7 %. Des records sont atteints à
Paris et Berlin où ces votes favorables vont dépasser les 90% . C’est seulement en Arabie Saoudite où sur les 41 votants, 21 choisiront le refus. Dans tous les autres pays du monde représentés,
l’approbation l’avait largement emporté. Ce succès à l’étranger est tout à fait compréhensible, dans la mesure où les Chiliens vivant hors de leur pays depuis de longues années sont
majoritairement des victimes de la dictature. Les résultats particuliers recueillis en Arabie saoudite sont révélateurs de l’existence d’une autre catégorie de Chiliens.
Les résultats continentaux vont paraître à peine les bureaux fermés à 20 heures et nous aurons une vision quasi définitive des résultats peu après 22 heures où plus
de 90 % des bulletins auront été visés. Le système chilien est donc extrêmement efficace et franchement transparent. L’”apruebo” l’emporte donc avec plus de 78 % des voix contre 21 % pour le”
rechazo”. La solution de la “ Convention constituante” l’emporte avec des chiffres similaires.
Toutes les régions du Chili offrent les mêmes résultats, y compris l’Araucania, dominée généralement par les partis de droite. La répartition moyenne est 75 % pour
l’”apruebo” et 25 % pour le “Rechazo”. En region métropolitaine, l’”appruebo” atteint les 80 %, alors qu’en Araucania, le “rechazo” va jusqu’à près de 40 %. Ce rapport 75 / 25 correspond
grossièrement à la répartition des richesses. Cette différence est encore plus nette au sein des communes de la région métropolitaine où les 3 communes les plus riches, Las Condes, Vitacura et Lo
Barnechea voient une nette victoire du “rechazo”. Curieusement dans Providencia, La Reina et Ñuñoa qui sont des communes peuplées principalement de classes moyennes plutôt aisées, l’”appruebo”
l’emporte largement. Bien sûr, toutes les communes les plus pauvres situées au nord, à l’ouest ou au sud, à l’image de la nôtre, La Granja, voient des larges victoires de l’”apruebo” avec des
taux de plus de 88 % alors que le “rechazo” y atteint à peine les 10%. Ce sont les communes les plus pauvres, souvent communes-dortoirs, dont la jeunesse a été très massivement impliquée dans les
manifestations du mouvement social.
Les suites du processus
Le plébiscite qui s’est déroulé aujourd’hui n’est que la première étape d’un long processus qui risque de s’étaler sur deux ans. Vraisemblablement la plus
facile.
Comme la solution de l’assemblée constituante a été retenue, il sera nécessaire d’établir des listes (appelés blocs) de citoyens candidats à y participer. Ces
listes doivent être officialisées pour le 11 janvier 2021 et les candidats retenus inscrits. Le problème est que ces listes ne sont pas toutes définies et que des discussions sont en cours sur le
nombre, en particulier l’affaire des sièges pour les peuples originels. Le seul point sur lequel il y a consensus est la répartition 50 / 50 hommes-femmes.
Ce premier obstacle passé, les élections des candidats à la Constituante se feront le 11 avril 2021 en même temps que celles des maires et des gouverneurs.
Les membres élus, ceux-ci auront 9 mois pour rédiger le texte de la future constitution. Ils disposeront de 3 mois supplémentaires en cas de retard. Les commissions
commenceront leur travail au début août 2021. Ce sera la phase la plus compliquée, car il conviendra de définir les thèmes fondamentaux de la future constitution selon les règles d’un quorum pour
le moment fixé à 4/5, sous peine de ne pas retenir la proposition avancée et revenir à la proposition antérieure, c’est à dire celle inscrite dans la constitution de 1980 en cas de non-accord.
Comme on le devine, ce sera le piège tendu aux membres de la constituante, le risque d’un blocage sur certains thèmes, car le consensus est quasiment inatteignable. La solution sage serait de
modifier ce quorum avant même la mise en action de la constituante. Ce devrait être le rôle des parlementaires actuels. Sauront-ils écouter la voix du peuple ? Le gouvernement appuiera t-il en ce
sens ? Rien n’est sûr.
Le texte de la constitution définitivement rédigé, il sera soumis à un nouveau plébiscite, cette fois avec vote obligatoire, qui pourrait intervenir en août
2022.
Comme on le voit, le parcours est long et compliqué. L’objectif est d’obtenir une nouvelle constitution qui aura été le fruit d’une réflexion et d’un travail en
commun au profit de la nation. L’enjeu est énorme, mais enthousiasmant. Il suscite aussi des passions, car d’un côté les uns veulent un Chili meilleur, plus juste, plus démocratique, les autres
ne cachent pas leur volonté de défendre leurs privilèges et leurs acquis. Quelques-uns sont près à céder quelques miettes, mais ils ne voudront certainement pas mettre leurs proches ni leurs
biens en danger. Il est possible que sur l’autre rive, les plus farouches partisans d’un changement profond, victimes des frustrations accumulées, légitiment leurs radicalisme sur les résultats
obtenus par ce plébiscite. Il n’est pas impossible non plus que l’on débouche sur une solution mitigée, si diluée que rien ne changera. Toutefois ce qui aura pourtant changé, ce sera le fait que
la communauté se sera exprimée et qu’à la face du monde pris à témoin, ses dirigeants n’auront plus ni la latitude, ni la permissivité dont ils jouissaient jusqu’à
présent.
De ce point de vue au moins, ce plébiscite restera une belle victoire.