La presse occidentale a célébré les dix ans de guerre contre la Syrie en répétant à satiété sa lecture des événements. Selon elle, on assiste à une révolte
contre la dictature alaouite de « Bachar » (comprendre le président el-Assad). Ce cruel personnage pratiquerait la torture à grande échelle et serait ainsi responsable de la
mort d’un demi-million de ses concitoyens. La pléthore d’article publiés s’appuie sur les témoignages de « démocrates » réfugiés à Idlib.
Or :
• Ce
qui se passe en Syrie est identique à ce qui se passe en Afghanistan, en Irak, en Libye et au Yémen. Ces quatre autres pays n’ont plus, depuis longtemps, de leader que l’on puisse accuser
d’être un dictateur. La vraie cause de leur effondrement est à rechercher hors de leurs frontières : il ne s’agit pas de guerres civiles, mais du plan Rumsfeld/Cebrowski que le président
Bush a qualifié de « guerre sans fin ».
• La
Syrie n’est pas une dictature alaouite, mais une République baasiste. On peut se moquer de la rigidité de ce parti, mais ni nier son rôle central dans le pays, ni contester sa
laïcité.
• La
torture est avant tout l’œuvre des djihadistes. Elle a été pratiquée dans les années 50 par la Syrie lorsque les États-Unis et le Royaume-Uni soutinrent le coup d’État d’Adib Chichakli. À
l’époque, l’OTAN dépêcha le SS Aloïs Brunner pour former les services secrets syriens qui adoptèrent alors la cruauté des nazis. Hafez el-Assad n’accéda au pouvoir qu’en 1971, il renvoya
Brunner mais conserva les officiers formés par lui. Lorsque Bachar al-Assad devint président, en 2000, il fit arrêter et emprisonner Brunner et il interdit strictement la torture. Au
début de la guerre, en 2011, certains fonctionnaires, de leur propre initiative, pratiquèrent la torture. Ils ont tous été démis de leurs fonctions et jugés. La plupart d’entre eux se
sont enfuis et ont obtenu l’asile en Europe. Certains sont actuellement jugés en Allemagne.
• Le
président Bachar al-Assad n’est en rien responsable de la mort de ses concitoyens qu’il n’a cessé de défendre. Ce sont au contraire les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui ont
soutenu militairement et financièrement les djihadistes, qui en sont responsables.
• Aujourd’hui
la République arabe syrienne est divisée en trois. Outre le territoire libéré, une petite partie au Nord-Est est occupée par les États-Unis et leurs mercenaires kurdes ; une autre petite
partie, au Nord-Ouest, le gouvernorat d’Idleb, est occupée par Al-Qaïda dont la dénomination locale actuelle est Hay’at Tahrir al-Sham (Organisation de Libération du Levant — HTS). La
population d’Idleb est estimée par les Occidentaux à plusieurs millions, en réalité elle ne peut pas excéder 100 000 personnes. Cet Émirat islamique est protégé par l’armée turque. Il
n’est pas possible d’y parler de démocratie sans être décapité. Les témoignages de la presse occidentale ne peuvent donc être que de pures affabulations.
Au cours des dernières semaines, Hay’at Tahrir al-Sham a reçu instruction de Washington, non pas de renforcer ses opérations contre la République arabe
syrienne, mais de préparer des attentats à Moscou. Pour cela, elle vient de libérer le djihadiste ouzbek Sirajuddin Mukhtarov (dit « Abu Salah al-Uzbeki ») [photo], qu’elle avait arrêté
il y a neuf mois lors de son conflit avec Abu Mohamad al-Julani. Mukhtarov était le chef de l’attentat du métro de Saint-Petersbourg en 2017 (15 morts). Il forme désormais des commandos
suicides pour opérer en Russie.
Quel désir inassouvi, quelle vengeance, quelle haine, quelle ignorance ou quelles récompenses peuvent alimenter les appels d’individus, hors de tout
danger, à massacrer leur propre pays et à militer pour affamer ceux qui restent malgré tout des concitoyens, dans le seul but de «changer un
régime» ? C’est pire qu’une collaboration avec l’ennemi. C’est innommable.
Le jeune auteur syro-américain, qui a pris l’énorme risque de les infiltrer et de les mettre à nu, rapporte comment de tels ennemis internes sont
exploités par les ennemis externes et les plans diaboliques qui se préparent pour la Syrie pratiquement exsangue au bout de douze années d’une guerre atroce, sans précédent à l’époque
moderne. Douze années d’une résistance héroïque, couronnée d’une victoire militaire de l’avis des amis et des ennemis, pour se retrouver la proie des mêmes prédateurs.
La Syrie est en grand danger. Elle a plus que jamais besoin du soutien de ses citoyens où qu’ils se trouvent, tout comme elle a besoin que ses alliés
lui prêtent main forte, notamment l’Iran et la Russie qui ont déclaré être intervenus en Syrie afin d’éviter que les mercenaires terroristes instrumentalisés par les États-Unis ne se
retrouvent à Téhéran et à Moscou. Certes, ces deux puissants alliés ont à se battre sur d’autres fronts. Il n’en demeure pas moins que la question que se posent les Syriens est :
qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, alors que la Syrie a tout subi et tout donné pour ne pas se soumettre à l’ennemi commun ?
Mouna Alno-Nakhal
*
Témoignage de Hekmat Aboukhater
J’ai assisté sans invitation à la réunion du front de pression qui a mis fin à la Licence générale 2023 pour la Syrie1 et
qui milite actuellement en faveur de la prolongation de la guerre économique, menée par Washington contre ce pays, de huit années supplémentaires.
Derrière les portes closes, l’ancien fonctionnaire du département d’État qui dirigeait l’atelier a révélé l’objectif ultime du groupe : la partition de
la Syrie et la création d’un califat de facto pour une branche relookée d’Al-Qaïda.
Le 30 juillet dernier, je me suis inscrit sous un pseudonyme pour participer à un atelier organisé par le Syrian American Council (SAC), la principale voix du lobby visant à affamer et à déstabiliser la Syrie pour qu’elle se soumette aux
exigences de l’Occident. L’atelier demandait aux membres du SAC de défendre le plus récent projet de loi entrant dans le cadre du changement de régime en Syrie : Assad Regime Anti-Normalization Act of 2023 (H.R. 3202).2
Au cours de la réunion, j’ai pu constater l’impact du lobby anti-Syrie et
comprendre les tactiques cyniques qu’il emploie pour condamner la population syrienne à la pauvreté et à la famine.
Plus récemment, ce lobby a réussi à mettre fin à la Licence générale pour la Syrie, [LG 23], laquelle a permis à l’aide humanitaire d’entrer en Syrie suite au séisme qui a frappé le pays en février. Il y est arrivé
par un mensonge que les meneurs de l’atelier ont répété à l’envi : «Les sanctions n’affectent que le gouvernement syrien et non le
peuple».
En vérité, les sanctions ont causé des dommages incalculables au peuple syrien, comme l’a noté Mme Alena Douhan, rapporteuse spéciale sur les mesures
coercitives unilatérales auprès de l’ONU, dans une interview accordée à The Grayzone en 2021. Reprenant les propos d’un civil avec
lequel elle s’était entretenue plus tôt dans la journée, Mme Douhan a expliqué que «l’impact des sanctions unilatérales sur la population syrienne
est à peu près équivalent à celui du conflit…»
Mais pour certains, ce n’est pas encore suffisant. Parmi eux, l’animateur de l’atelier, Wa’el Alzayat, un vétéran syro-américain du département d’État qui a récemment écrit un article d’opinion invitant à ne pas
lever les sanctions contre la Syrie pour aider les victimes du tremblement de terre.3
Au cours de l’atelier qu’il a contribué à animer, M. Alzayat a appelé à l’éclatement de la Syrie en une série d’«États indépendants» laissant place à un nouveau califat dans la région d’Idlib, dirigé par une émanation d’Al-Qaïda rebaptisée, alors qu’elle est
désignée en tant qu’«organisation terroriste étrangère» par le gouvernement américain.4
Une brèche dans les sanctions sauve des vies syriennes
Le 6 février 2023, une nouvelle couche de misère a enveloppé la Syrie suite à des tremblements de terre massifs et consécutifs qui ont frappé le pays.
Cette catastrophe naturelle est venue s’ajouter à la calamité provoquée par les pays occidentaux et les États du Golfe qui ont alimenté les groupes armés ayant ravagé la Syrie pendant
plus de huit années.
Les tremblements de terre ont fait plus de 7000 morts et on estime que 9 millions de Syriens ont été touchés par ce désastre. Les tremblements de terre
ont également fait 50 000 victimes en Turquie, pays limitrophe, où la situation a suscité bien plus d’attention de la part des médias occidentaux. Les rares fois où la souffrance des
Syriens a été mentionnée, les médias traditionnels ont eu tendance à rejeter la responsabilité de la tragédie sur le président Bachar al-Assad, l’accusant d’avoir exacerbé la crise en
n’autorisant pas une totale liberté de mouvement vers et depuis les zones encore contrôlées par les milices d’Al-Qaïda.
Le 9 février, alors que la période cruciale de 72 heures au-delà de laquelle les espoirs de retrouver des survivants sous les décombres s’amenuisent
considérablement5,
l’OFAC [Office of Foreign Assets Control] du département du Trésor des États-Unis a délivré la Licence LG 23 autorisant les transactions liées à l’aide aux victimes pour une durée de
180 jours ; transactions interdites par le règlement relatif aux sanctions contre la Syrie (SySR).
Cette licence a apporté un soulagement bien nécessaire aux organisations humanitaires du pays en accordant des exemptions aux institutions financières
qui les soutiennent. Comme l’explique le Centre Carter dans un «Livre blanc» publié le 11 juillet dernier6,
la LG 23 a permis à des acteurs non américains d’effectuer des transactions avec des Syriens en garantissant aux institutions financières qu’elles n’enfreindraient pas la législation
américaine, et a aidé à la synchronisation des efforts de secours par de nouvelles possibilités de dialogue entre les organismes d’aide internationaux. En tant que directeur d’une ONG
basée au Massachusetts, «Project Onwards», laquelle a collecté 30 000 dollars pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre du 6 février, j’ai été témoin de l’impact des
sanctions américaines. Tout au long de la collecte et de la distribution des fonds, notre ONG a dû faire face à des obstacles successifs de la part d’institutions financières telles
que Venmo, Paypal, Bank of America et d’autres ; une expérience que j’ai récemment relatée dans une interview accordée à MarketWatch7.
Ainsi, 48 heures après le tremblement de terre, Project Onwards a été informée que son compte avait été gelé en raison d’un don de 5 $ comprenant le mot «Syrie». Ces obstacles ont en
grande partie disparu suite à l’annonce de la LG 23.
Pour la plupart des Syriens, l’adoption de la LG 23 fut la bienvenue et était attendue depuis longtemps. Mais cette liberté financière limitée est un
anathème pour le lobby anti-Syrie qui a fonctionné comme une extension politique des bandits armés ayant dévasté la Syrie et n’a reculé devant rien dans sa tentative d’affamer la
population syrienne et l’obliger à se soumettre.
Composé d’un étrange amalgame de militants purs et durs contre le gouvernement syrien et d’anciens employés du gouvernement américain, ce lobby est
horrifié par la perspective que les Syriens puissent retrouver un semblant de normalité sous le «régime» du président Bachar el-Assad.
Le lobby anti-Syrie ouvre la voie à l’abandon de la LG 23
Le 8 août, à l’issue de la période de 180 jours, le département du Trésor a annoncé que la LG 23 ne serait pas renouvelée. L’Union européenne a prolongé
sa propre licence jusqu’au 24 février 2024. Quant au Royaume-Uni, il a prolongé la sienne jusqu’à nouvel ordre. Et, les États-Unis sont revenus au statu quo imposant des sanctions
draconiennes au peuple syrien.
Le refus de l’administration Biden de renouveler la LG 23 peut être largement attribué à la politique inchangée de Washington envers la Syrie. Après
huit années passées à soutenir des groupes djihadistes et sectaires sur le terrain dans leur sale guerre contre la Syrie, les États-Unis sont passés de l’incitation au conflit
militaire à l’encouragement de l’asphyxie économique. Mais l’objectif final n’a pas changé, pas plus que l’ultimatum qui sous-tend la politique américaine : faire partir Bachar
al-Assad, c’est-à-dire changer le régime syrien ou voir la Syrie brûler.
Bien que la décision ait finalement été prise par Washington, une constellation d’ONG et de groupes à but non lucratif lui a ouvert la voie. Il s’agit
d’un réseau d’organisations composé d’une poignée d’acteurs sectaires, motivés par des griefs personnels et dissimulés derrière dix organisations nationales qui mettent un visage
syrien sur la guerre économique menée par Washington contre Damas.
Ces quelques personnes bruyantes sont presque toutes vérifiées présentes sur Twitter/X alors que les Syriens ne peuvent pas s’y inscrire en utilisant le
code du pays : 963+8,9.
Par conséquent, le plaidoyer du lobby anti-Syrie est amplifié par les porte-paroles du département d’État, les néoconservateurs et les faucons de guerre, tandis que les Syriens qui
subissent les conséquences de leur plaidoyer sont muselés par le régime des sanctions occidentales.
Le lobby anti-Syrie se bat pour empêcher l’aide humanitaire
Dès le 9 février, alors que des habitants d’Alep étaient encore piégés sous les décombres, le lobby anti-Syrie a déclaré que toute forme d’allègement
des sanctions constituait une «brêche» dont le gouvernement syrien pourrait abuser. Et tout au long de la pause de 180 jours, le lobby a bombardé l’administration Biden d’appels
publics10,
d’articles d’opinion et de publications émanant de groupes de réflexion sur le Moyen-Orient11 ;
ce qui a donné à Washington le mandat dont il avait besoin pour ne pas renouveler la LG 23.
L’utilisation de ce lobby comme arme d’oppression par Washington est clairement affichée sur la page Facebook de l’American Council for Syria [ACS]. Il a publié le 25 juillet
qu’il demandait à l’administration Biden de «rejeter tout effort visant à prolonger la LG 23 pour la Syrie», arguant que l’exemption
humanitaire «permet des transactions illimitées avec le régime d’Al-Assad»12.
Et quelques semaines plus tard, il a obtenu gain de cause.
Alors que comme d’autres lobbyistes anti-Syrie, l’ACS prétend parler au nom de tous les Syriens, les réactions décevantes au flux de matériel qu’il
publie sur les médias sociaux indiquent le contraire. Un post sur Facebook célébrant la disparition de la LG 23 et remerciant les «efforts
inlassables de l’équipe et des alliés» n’a recueilli que deux «likes». Mais malgré son impopularité évidente, il est loin d’être la seule organisation anti-syrienne à
Washington.
Le Conseil syro-américain (le SAC) honore les fauteurs de guerre et supprime les voix anti-guerre
L’ACS est souvent rejoint dans ses efforts par le prétendu Conseil syro-américain ou le SAC, une organisation parmi la douzaine d’autres organisations
qui constituent le lobby anti-Syrie à Washington. Au cours de la dernière décennie, l’ONG 501 (c) alignée sur les néoconservateurs a poussé à l’intervention militaire américaine en
Syrie. Et le SAC est justement dirigé par Suzanne Meridien, une admiratrice déclarée de feu le sénateur de l’Arizona John McCain[13], dont le soutien fanatique aux attaques militaires
américaines en Irak, Afghanistan, Libye et Syrie en a fait l’un des faucons de guerre les plus notoires des deux dernières décennies.
En outre, comme l’a rapporté The Grayzone13,
le SAC a mené des campagnes visant à faire taire les opinions divergentes sur la Syrie, notamment en intimidant la librairie Politics & Prose à Washington DC pour qu’elle annule
la présentation de l’ouvrage du rédacteur en chef de Grayzone, Max Blumenthal.
Un nouveau projet de loi vise à condamner la Syrie à la famine et à la guerre civile pour une nouvelle génération
Début mai, un nouveau coup porté contre l’avenir des Syriens a pris la forme d’un nouveau train de sanctions présenté par Joe Wilson, le président
républicain hyper-interventionniste de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants : c’est le
projet de loi anti-normalisation avec la Syrie (H.R. 3202).
Ce projet de loi exige que le gouvernement fédéral s’oppose à toute forme de normalisation avec la Syrie de la part de ses voisins et autorise
potentiellement leur punition, y compris les alliés ostensibles des États-Unis comme les Émirats arabes unis, le Bahreïn, la Jordanie et l’Arabie saoudite qui cherchent à rétablir
leurs relations diplomatiques avec la Syrie. De plus, il demande à élargir le champ des sanctions à tous les ressortissants étrangers qui feraient des affaires avec le gouvernement
syrien et à les placer sur des listes de sanctions potentielles. Si ce projet est adopté par le Congrès, il condamnerait les Syriens à une nouvelle décennie de l’un des régimes de
sanctions économiques les plus durs au monde en prolongeant jusqu’en 2032 les sanctions de l’écrasante Loi César (H.R.31), et le gouvernement américain devra d’utiliser «toute la gamme de ses pouvoirs» pour «décourager les activités de reconstruction dans n’importe quelle zone sous
contrôle de Bachar al-Assad».
En substance, la H.R. 3202 sert à réaffirmer la loi César de 2019 devenue tristement célèbre pour son rôle dans l’appauvrissement de la population
syrienne14,
la destruction de la Livre syrienne, le maintien de 90% des Syriens en dessous du seuil de pauvreté avec la famine pour des millions de Syriens.15
Joshua Landis16 –
l’un des rares experts indépendants en ce qui concerne la Syrie – explique dans son analyse de ce projet de loi : «Tant que l’économie syrienne
restera en ruine, davantage de réfugiés quitteront le pays, le commerce illégal de la drogue augmentera et davantage de Syriens rejoindront des groupes radicaux». C’est
précisément ce que le SAC a entrepris de réaliser via sa campagne en faveur de l’adoption de la loi H.R. 3202.
Un atelier sur la façon d’affamer les civils
Début juillet, le SAC a annoncé qu’il ouvrait les inscriptions à un atelier intitulé «Mobilisation en faveur de la loi H.R. 3202 : Engagement dans le district» destiné à former les militants en herbe à l’art de faire
pression sur les politiciens pour qu’ils contribuent à saboter l’économie d’un autre pays.
Naturellement, lorsque certains des agents du changement de régime syrien les plus dévoués m’ont offert la possibilité de voir de mes propres yeux
comment des sanctions mortelles peuvent être imposées sans un véritable soutien populaire, j’ai sauté sur l’occasion.
L’animateur de cet atelier intitulé «How-to-Sanction-101» n’était autre que Wa’el
Alzayat dont j’ai parlé plus haut. J’ajoute qu’il a servi fièrement et avec honneur sous les ordres d’interventionnistes libéraux tels que l’actuelle directrice de l’USAID, Samantha
Power, et l’ancien ambassadeur des États-Unis en Syrie, Robert Ford. Il est également le PDG d’«Emgage»17 une
organisation financée par l’Open Society Foundation de Georges Soros. Elle vise à accroître l’engagement civique des musulmans américains.
Emgage et Alzayat ont fait l’objet d’une enquête approfondie menée par Electronic Intifada18 qui
a démontré les liens d’Emgage avec des organisations pro-israéliennes et son rôle dans la projection de la puissance américaine à l’étranger, le plus souvent en ignorant la cause
palestinienne.19
Les opinions néoconservatrices de Alzayat sont apparues très clairement dans un article d’opinion publié en 2017 par le Washington Institute for Near East Policy20 lié
à l’AIPAC, dans lequel il préconise des frappes militaires américaines sur la Syrie, l’Irak et l’Iran en tentant de lancer une nouvelle panique liée à la détention d’armes de
destruction massive [ADM] : «L’administration [Trump] a besoin de toute urgence [sic] d’une approche globale à l’égard de l’Iran, centrée sur la
Syrie et l’Irak, y compris par des moyens militaires, pour rétablir la stabilité régionale. Faute de quoi, de nouvelles catastrophes, alimentant l’extrémisme et probablement de
nouveaux programmes d’ADM, verront le jour».
Et au cours de l’atelier du SAC, Alzayat a demandé à ses membres de faire pression sur leurs élus pour qu’ils soutiennent la législation destinée à
contrecarrer toute reprise économique en Syrie. Bien que le projet de loi H.R.3202 ait été l’objet principal de la rencontre, Alzayat et d’autres dirigeants du SAC ont encouragé les
participants à se familiariser avec les projets de loi H.R.590, H.R.4868 et H.R.4681, qui visent directement ou
indirectement la Syrie, son économie et son peuple.
L’atelier comprenait même une réunion fictive avec des membres du Congrès, tels que Andy Biggs et Jim McGovern, au cours de laquelle les membres du SAC
devaient évoquer leurs antécédents de vote et leur appartenance à tel ou tel caucus afin de s’assurer qu’ils soutiendraient la législation anti-syrienne. C’est ainsi que la feuille de
l’entretien fictif a permis de classer Andy Biggs dans la catégorie des «anti-syriens», tandis que Jim MCgovern a été classé dans la catégorie des «neutres».
Au cours de ce même atelier, j’ai également pu voir comment fonctionne le lobby anti-Syrie et comment il exploite l’ambition individuelle, l’intérêt
financier et l’ignorance pour mener sa campagne en faveur de sanctions écrasantes.
En bref, l’atelier s’est concentré sur les six principales «priorités politiques» concernant la Syrie avec une
série d’objectifs contradictoires représentant la nouvelle poussée de plus en plus créative de Washington pour soumettre les Syriens à des privations économiques sans fin.
Les priorités tordues du lobby anti-Syrie
Dès le début de la session, la nature néocoloniale des «priorités politiques» du SAC est apparue clairement
lorsque M. Alzayat a annoncé le premier objectif du groupe : «restaurer le leadership des États-Unis» dans l’État souverain de Syrie.
La dynamique proposée par les activistes anti-syriens était présentée de manière inoffensive, le groupe exhortant ses membres à appeler les élus à
poursuivre la «voie diplomatique» vers une solution politique et à leur demander de «travailler à formaliser un cessez-le-feu à l’échelle nationale
en Syrie».
Mais ce prétendu pacifisme s’est rapidement évaporé lorsque M. Alzayat a révélé, par inadvertance, l’agenda réel des membres du groupe se résumant à
dire que s’ils parvenaient à faire pression sur les décideurs américains pour obtenir un cessez-le-feu en Syrie, ils se rapprocheraient de leur objectif ultime qui est de tenter
d’aider les régions du nord-ouest et du nord-est du pays à «devenir indépendantes».
En pratique, cela signifie que l’organisation terroriste, qui s’est présentée publiquement comme la branche syrienne d’Al-Qaïda jusqu’en 2016,
deviendrait un État-nation et que les 4 millions de Syriens estimés vivre sous leur domination seraient définitivement soumis à une interprétation barbare de la charia par les
salafistes et les djihadistes 21 ans après la célèbre déclaration du président Bush selon laquelle «aucune nation ne peut négocier avec les
terroristes».
L’influent lobby anti-Syrie a apparemment décidé que non seulement nous pouvions négocier avec les terroristes, mais qu’en plus nous devrions les aider
à établir leur propre califat.
Dans les conditions actuelles, le cessez-le-feu proposé par M. Alzayat faciliterait l’obtention de résultats privilégiés par l’establishment de la
politique étrangère américaine.
En effet, le nord-ouest «indépendant» resterait le foyer d’activités terroristes et le califat viserait probablement les zones contrôlées par le
gouvernement syrien, du moins pour commencer. Quant au nord-est «indépendant», il verrait la création d’un État croupion kurde enclavé et sans
accès à la mer. Il permettrait d’atteindre un objectif stratégique similaire.
Par ailleurs, l’application du cessez-le-feu nécessiterait l’occupation indéfinie de la Syrie par les forces militaires américaines, lesquelles pourront
continuer à justifier leur présence illégale en Syrie par l’existence du foyer terroriste dans le nord-est du pays.
Après avoir exposé son plan de balkanisation de la Syrie, le SAC a présenté une diapositive (ci-dessous) sur la manière de «restaurer le leadership américain» en Syrie.
Dans ce but le lobby demande la nomination d’un «Envoyé expérimenté pour la Syrie» afin d’aider à revigorer la voie politique. Tout au long de
l’atelier, M. Alzayat a encouragé les participants à lui envoyer, ainsi qu’à son bureau au SAC, toutes les questions et préoccupations qui pourraient être soulevées au cours des
réunions, ce qui pourrait être une allusion pas très subtile qu’il serait la personne idéale pour ce poste.
Le SAC a également exhorté ses membres à demander aux législateurs un cessez-le-feu en Syrie, dirigé par «la Turquie
et des alliés de même sensibilité» ; une demande qui fait abstraction du rôle de la Turquie dans la privation du nord de la Syrie de plus de 50% de son approvisionnement en
eau21 et
de son rôle dans l’acheminement d’énormes quantités de djihadistes et d’armes vers la Syrie tout au long de la dernière décennie. De plus, en tant que responsable de la «route du
djihad»22,
le gouvernement turc a facilité l’arrivée de centaines de milliers de terroristes qui cherchent, depuis 2011, à établir un califat islamique brutal dans la Syrie laïque, avec plus ou
moins de succès.
Cependant, en dépit des efforts des fonctionnaires du département d’État tels M. Alzayat, un rapprochement s’est amorcé entre le gouvernement syrien et
ses voisins, vu qu’un consensus régional contre l’isolement de la Syrie a commencé à émerger et que les relations, rompues au cours de la sale guerre sur la Syrie, ont été rétablies
avec de nombreux pays membres de la Ligue arabe.
D’où la loi H.R. 3202. Affirmant que «les tentatives régionales de normalisation avec le régime Assad créent un
dangereux précédent», M. Alzayat a demandé à ses partisans de pousser les hommes politiques à adopter cette loi dite d’«anti-normalisation avec
Al- Assad» laquelle «consolide la position des États-Unis» contre les efforts de la Syrie visant à rétablir des relations diplomatiques avec
ses voisins.
Priorité politique : Saper la diplomatie
Insistant sur l’idée que «la Syrie ne pourra jamais trouver la paix ou être stabilisée avec Al-Assad au pouvoir»,
M. Alzayat a exhorté les participants à faire pression sur leurs élus pour qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir afin d’empêcher le dialogue international.
Or, les experts nommés par les Nations unies, Human Rights Watch et le Programme alimentaire mondial ont tous déclaré sans ambiguïté que les mesures
restrictives unilatérales du gouvernement américain, qualifiées de sanctions, sont le principal obstacle à la reconstruction de la Syrie, au rétablissement de sa stabilité et à la
réduction de la pauvreté et de la faim. Par conséquent, vu que la loi H.R. 3202 prolongerait ces sanctions de huit ans et menacerait implicitement les voisins de la Syrie qui
souhaitent coopérer avec Damas, il est de plus en plus évident que la véritable menace pour la stabilité régionale ne se trouve pas en Syrie, mais plutôt dans des ateliers comme
celui-ci.
L’une des demandes clés de cette priorité politique serait que les membres du SAC demandent à leurs élus de voter en faveur de la loi H.R. 4868, connue
sous le nom de «Stop UN Support for Assad Act» également introduite par le député Joe Wilson. Cette proposition de loi interdit le financement
par les États-Unis des programmes des Nations unies en Syrie, à moins que les administrateurs de l’aide ne puissent prouver au Département d’État américain qu’ils ne «fournissent pas un soutien matériel direct au gouvernement syrien». Cette loi imposerait aussi la création d’un «mécanisme d’examen indépendant au cas où un programme d’aide implique des contrats dans un territoire contrôlé par le gouvernement syrien».
En faisant ainsi pression pour mettre des barrières sur la seule organisation internationale qui tient la ligne contre la famine de masse23 en
Syrie, Alzayat cherche à réduire le peu d’aide que la Syrie reçoit pour nourrir son peuple sciemment appauvri par la guerre.
Lors de l’examen de ce point, particulier, les membres du SAC ont été invités, à plusieurs reprises, à souligner le fait que 4 millions de personnes
vivent dans le nord-ouest de la Syrie, sans jamais mentionner le fait que la majorité des Syriens vivent dans les zones tenues par le gouvernement syrien ; notamment, les 12 millions
de personnes résidant dans les grandes villes d’Alep, de Damas, de Lattaquié, de Tartous et de Homs.
Ils ne mentionnent pas non plus les milliards de dollars d’aide étrangère déversés dans le seul endroit au monde où règne Al-Qaïda24,
alias Hay’at Tahrir al-Sham, alias HTS.
La 5ème priorité du SAC qui concerne le Captagon – une drogue introduite pour la première fois en Syrie par des djihadistes venus de Turquie – constitue
aujourd’hui un pilier central de la campagne de propagande du lobby anti-Syrie.
Tirer parti de la guerre contre la drogue
Le Captagon a été qualifié de «cocaïne du pauvre» et de «pilule du djihad»
en raison de son utilisation abondante par les terroristes soutenus par l’OTAN. Ces derniers mois, les médias occidentaux se sont concentrés sur cette drogue dans le but de ternir
davantage la réputation de Damas en s’appuyant25 sur
les déclarations de groupes de réflexion néoconservateurs26 affirmant
que le gouvernement syrien en est le principal producteur.
Le Captagon serait consommé dans tout le monde arabe, des élites riches aux travailleurs pauvres qui comptent sur ses effets stimulants. Aujourd’hui, la
prolifération de cette drogue alimente en carburant le lobby anti-Syrie.
Tout en soulignant l’importance de la question du Captagon, M. Alzayat a exhorté les membres à se montrer convaincants auprès des membres conservateurs
du Congrès. Il a expliqué qu’en dépit du fait que certains représentants républicains soient anti-interventionnistes, ils sont partisans de la ligne dure anti-drogue. Ils
soutiendraient donc la loi H.R.4681 ou «Illicit Captagon Trafficking Suppression Actof 2023» et d’autres projets de lois anti-Syrie à condition de les présenter au sein d’un ensemble de mesures.
Et, en effet, les animateurs de l’atelier ont incité les membres du SAC à établir un lien entre les sanctions contre la Syrie et l’éventuelle menace
d’un flux de Captagon vers les États-Unis via la frontière sud avec le Mexique.
Travailler avec les États-Unis tout en défendant les Syriens : Une étude contradictoire
En 1949, trois ans seulement après l’indépendance de la Syrie et le départ des derniers soldats français, la jeune démocratie a fait l’objet d’un coup
d’État ourdi par le nouvel hégémon mondial. À l’époque, les intérêts américains avaient apparemment été menacés quand le premier président post-colonial de la Syrie, Choukri
al-Quouwatli, a hésité à approuver le passage d’un oléoduc à travers la Syrie. Al-Quouwatli a été rapidement éjecté du pouvoir27 lors
de ce qui a été décrit comme «l’une des premières actions secrètes menées par la CIA».
Par la suite, les ingérences américaines prétendument motivées par la démocratie, la laïcité et la liberté pour le peuple syrien se sont succédé jusqu’à
la sale guerre de 2011, dont les pires années, 2012 à 2016, ont vu Al-Qaïda et Daech se déchaîner sur la moitié de la Syrie. Et, alors qu’ils assiégeaient Alep, le conseiller à la
sécurité nationale de l’époque, Jake Sullivan, a envoyé un courriel de deux lignes à la secrétaire d’État Hillary Clinton, dans lequel il déclarait ce qui suit : «AQ [Al-Qaïda] est de notre côté en Syrie. Pour le reste, les choses se sont déroulées comme prévu».
Au cours de la campagne d’action secrète la plus coûteuse de la CIA28,
Al-Qaïda, Daech et d’autres encore étaient en effet de son côté lorsque les États-Unis ont inondé la Syrie d’armes. À ce jour, on ne sait pas combien de milliards de dollars ont été
dépensés pour armer les soi-disant «rebelles modérés»29 et
combien ont atteint la destination prévue.30
L’implication des États-Unis en Syrie n’est plus à prouver. Suite à l’attaque par Daech d’un bus de soldats de l’armée syrienne à Deir Ezzor le 11 août
dernier [27 soldats décédés et plusieurs blessés], le ministère syrien des affaires étrangères a officiellement accusé l’armée américaine d’avoir facilité l’embuscade.31
Et avec la multiplication des frappes aériennes israéliennes et des attentats terroristes dans le pays, les tensions sont à leur comble entre la Syrie
et ses alliés d’une part, et les forces d’occupation pro-américaines, d’autre part.
Par conséquent, lorsqu’on lit l’énoncé de la mission du SAC qui est de «renforcer la capacité d’action de la
communauté syro-américaine afin qu’elle puisse s’organiser et plaider en faveur d’une Syrie libre, démocratique, laïque et pluraliste grâce au soutien américain», trois questions
viennent à l’esprit :
Une organisation peut-elle prétendre de manière crédible parler au nom des Syriens alors qu’elle dépend entièrement du soutien de milliardaires
américains et du gouvernement des États-Unis ?
Pourquoi semble-t-elle si désireuse de sacrifier des vies syriennes en portant à ébullition les tensions qui couvent à l’intérieur du pays ?
Comment les intérêts américains peuvent-ils être servis en encourageant les djihadistes tout en tentant d’entrer en conflit avec les puissants
alliés de la Syrie tels la Russie et l’Iran ?
J’aurais voulu poser ces questions directement aux lobbyistes du SAC mais pour une raison ou une autre, ils n’étaient pas intéressés par une telle
discussion.
«Un rapport «indépendant» faisant état d’un génocide des Ouïghours vous est présenté par une université fictive et des idéologues néocons qui font pression pour «punir» la
Chine»