Les Yéménites ont bouleversé
l’échiquier occidentalo-sioniste en introduisant des propositions sensées et judicieuses de façon telle qu’ils ont obligé les Anglo-Saxons à répondre par l’incohérence et l’absurdité,
mettant ainsi à nu leur cynisme. Que peuvent-ils opposer comme contre-argument à ceux qui prônent la justice et l’arrêt d’un génocide ? Beaucoup d’analystes y voient les prémisses
d’une déchéance occidentale !
Le Yémen : Un petit pays, une
grande humanité
On s’étonne qu’un petit pays défie la puissance US en devenant un véritable casse-tête. Ce n’est pas nouveau au regard de leurs échecs passés
contre des pays dits «faibles». C’est devenu presque une règle : Plus on est fort technologiquement, militairement – mais atteint du syndrome d’Hubris – plus on perd le sens de
la mesure, plus on est vulnérable face à un adversaire, qui n’a pas ces atouts, mais répond par des tactiques décisives jusqu’à vous épuiser ! Quelques actions vigoureuses du faible
peuvent mettre le puissant dans une humeur d’échec affligeante. «Quand la force
occupe le chemin, le faible entre dans la brousse avec son bon droit» (proverbe africain). Pour Pierre Perret «on a souvent
besoin d’un plus petit que soi… pour lui casser la gueule».
Même «l’alliance» composée de supposés 10 membres (dont le Bahreïn) pilotée par les États-Unis ne sera pas d’un grand secours, car elle vise à impliquer
des pays dans un engrenage belliqueux, qui profite exclusivement à cette entité sioniste et aux USA. Cette «coalition» est clairement une tromperie et non une
coopération se limitant aux «patrouilles et
renseignements» pour «sauvegarder le
commerce maritime international» ; manœuvre parfaitement saisie par les sept autres pays occidentaux. Le monde sait parfaitement que la plupart des navires passent
librement, sauf ceux venant en aide aux sionistes ! Il sait aussi que les actions yéménites sont raisonnables puisqu’ils défendent le droit des opprimés !
Seuls les USA et le Royaume-Uni, en leur qualité de «représentants de
la communauté internationale» ont pris l’initiative d’attaquer le Yémen pour satisfaire le régime israélien, en plus du soutien militaire au milieu du génocide à Gaza,
sans avoir été provoqués, pour le contraindre d’arrêter ses actions en mer rouge contre les intérêts israéliens.
Les Houthis ont prévenu, maintes fois, qu’ils vont riposter à toute attaque sur leur territoire en visant tous les navires de guerre ennemis par
l’utilisation des missiles balistiques. Mais à qui parle-t-on ?
Ces attaques décidées unilatéralement pour venir en aide à une entité colonialiste, raciste et génocidaire, sont
une offense, un pied de nez, un doigt d’honneur à la morale, au droit et au reste des peuples !
Le Yémen fait partie de l’axe vers lequel convergence le commerce international venant de Chine, de l’Inde, de Russie, de l’Iran et autres. Même les
câbles Internet mondiaux qui traversent le détroit de Bab el-Mandeb sont à leur portée.
Réactions Houthis
Les conséquences sont annoncées, par le vice-ministre des Affaires étrangères, Hussein al-Ezzi, ainsi : «Washington et
Londres doivent se préparer à payer un lourd tribut. Notre pays a subi des frappes aériennes, navales et sous-marines sournoises et massives. Il ne fait aucun doute que ces attaques
leur coûteront cher», tout en insistant qu’il s’agit d’une «coalition
américano-britannique» strictement.
La riposte commence déjà si l’on se fie aux déclarations des responsables yéménites qui ne cessent pourtant de rappeler et de prouver que leurs actions
ne visent que les navires à destination de leurs ports afin de leur infliger des pertes suffisamment sérieuses pour les dissuader à poursuivre le génocide et le blocus en nourriture
et médicaments à Gaza.
Le numéro un d’Ansarullah a expliqué que la position yéménite consistant à empêcher le passage des navires se dirigeant vers la Palestine occupée est
«une
position efficace et a infligé de grandes pertes à l’économie de l’ennemi», rassurant toutefois les autres navires en disant : «Il n’y a aucun
problème pour ces navires, car ceux qui sont visés sont les navires exclusivement associés à Israël».
Mohammed Abdel-Salam, porte-parole des Houthis, a
réagi ainsi : «La coalition
formée par les États-Unis vise à protéger Israël et à militariser la mer sans aucune justification … Nos opérations visent à soutenir le peuple palestinien face à l’agression
israélienne … et ne constituent pas une démonstration de force … Comme l’Amérique s’est autorisée à soutenir Israël … nous avons également le droit de soutenir la Palestine. Quiconque
cherche à étendre le conflit doit assumer les conséquences de ses actes».
Mohammed al-Bakhiti, membre du Bureau politique du mouvement yéménite a déclaré que les États-Unis et la Grande-Bretagne «ont commis une
erreur en faisant la guerre au Yémen et n’ont pas profité de leurs expériences antérieures …ils se rendront
bientôt compte qu’une agression directe … est la plus grande folie de leur histoire».
Réactions arabes et
autres
Les réactions arabes et dans le monde sont unanimes pour condamner rigoureusement les bombardements illégaux
anglo-américains qui ne répondent à aucune légitimité : Sans être agressés, sans mandat de l’ONU, contre un Yémen qui défend un droit reconnu par les lois
internationales, en conformité avec la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide !
L’Arabie saoudite, pays pivot, n’est pas intéressée par cette «coalition» qui peut l’entraîner dans un conflit dont les intérêts ne sont pas les
siens ! Elle connaît bien les effets d’une guerre avec le Yémen pour l’avoir expérimentée. C’était cette ingérence qui était à l’origine de l’enfer yéménite et syrien ! Les
choses ont bien changé depuis en Arabie saoudite de façon d’ailleurs radicale et les manigances actuelles des américano-sionistes, pour en faire à nouveau un proxy, sont un échec. En
plus, ce royaume est en passe de devenir avec l’Iran (tous deux réconciliés par la Chine) une force qui compte dans le bloc BRICS+. Il reste ce chantage anglo-saxon, comme épée
Damoclès, que les monarchies du Golfe doivent surmonter pour ne pas voir leurs avoirs en dollars confisqués ; meilleur moyen d’accélérer la
dédollarisation.
Les autres États arabes n’ont pas rejoint cette coalition, car cela serait perçu par leur peuple comme un soutien au génocide qui peut être source de
déstabilisation ! Ils condamnent ce couple agresseur et Israël tout en observant leur entrée dans les engrenages en laissant les divers groupes de résistants insaisissables les
harceler. Pourquoi chercher à affronter inutilement un ennemi quand on le voit déjà s’enliser lui-même dans un conflit qu’il ne maîtrise pas. Si la situation perdure, il est fort
possible que les pays arabo-musulmans prennent les mesures dissuasives qui donnent matière à réfléchir. Il suffit d’une annonce d’embargo sur l’énergie pour voir les esprits moribonds
s’apaiser.
Le colonel
Corvez, un ancien conseiller du général commandant la Force des Nations unies au Liban (FINUL), ancien conseiller en relations internationales, actuellement conseiller en
stratégie internationale – voit dans ce qui se déroule en Palestine carrément«le
début de la fin d’Israël».
Les Russes perçoivent la déchéance des Atlantistes. Ils connaissent le jeu trouble des USA, du Royaume-Uni et
d’Israël. Ils ne semblent pas pressés de voir la guerre en Ukraine s’arrêter en observant une autre plus délicate au MO. Leurs deux guerres se font à crédit avec une dette brute,
américaine, de plus de 34 000 milliards de dollars et 2000 milliards qui s’ajoutent chaque année. L’estocade a été donnée par le représentant de la Russie auprès de l’ONU, V.
Nebenzia, qui a confirmé, le 1er novembre, qu’Israël n’a «aucun droit à
l’autodéfense en tant qu’État d’occupation… aujourd’hui, en
voyant la destruction horrifiante à Gaza, qui dépasse de loin tout ce qu’ils critiquent dans d’autres contextes régionaux – les frappes contre des installations civiles, la mort de
milliers d’enfants et la souffrance épouvantable des civils au milieu d’un blocus total – ils gardent le silence…»
Conteneurs plus importants que les
massacres
Alors qu’une douzaine de compagnies maritimes ont suspendu leurs opérations en mer Rouge, que les Américains et les Anglais considèrent la protection des conteneurs plus importante que les massacres des Palestiniens, avec cette agression, tous les
bateaux des deux agresseurs sont déclarés officiellement cibles des Houthis. Une agression annoncée, avec culot, comme n’étant pas une volonté d’étendre le conflit, alors qu’ils sont
partie prenante aux côtés d’Israël, sachant l’impossibilité d’une victoire d’Israël quels que soient les moyens et la durée ! Ils ne voient jamais leur chance de regagner la confiance
des États autrement que militairement. Au Moyen Orient, ils leurs faudra se battre «jusqu’au dernier Israélien» (9 millions) ou bien «jusqu’au dernier arabe du Moyen-Orient» (plus de
300 millions).
1% de la population de Gaza a été tuée par Israël ! N’est-ce pas un génocide si l’on applique ce pourcentage par exemple aux USA (plus de 3
millions) ; au Royaume-Uni (plus de 600 000) ; à la France (plus de 600 000) ? Qu’auraient-ils conclu si 100 000 civils israéliens avaient été tués en 3
mois ?
La capacité des Houthis à échapper aux coûteuses défenses aériennes a surpris les USA. Ils s’inquiètent
déjà des coûts élevés que leur causent les Houthis.
Un missile à 2 millions de dollars contre un drone à 2/3 000 dollars ? Même s’ils interceptent tous les missiles et drones, ils seront
perdants ! Exemple : 100 projectiles, coûtant 2/300 mille dollars, à détruire par 100 missiles coûtant 200 millions de dollars ? Sans compter la gestion des navires de
guerre, avec les risques d’en perdre ! «Cela devient
rapidement un problème, car le plus grand bénéfice, même si nous abattons leurs missiles et drones, est en leur faveur», a déclaré Mick Mulroy, ancien responsable et officier de
la CIA.
On dit que qu’Israël veut étendre les hostilités en entrainant les États-Unis. La hantise des USA est de voir une extension qui s’ajoute à celle de
l’Ukraine. Cette crainte s’observe par les déclarations réfutant une extension tout en engageant des provocations «limitées» pour faire croire qu’ils sont capables de le faire. À
notre sens, il s’agit d’un bluff visant à susciter la crainte pour mieux prévenir son extension qu’ils redoutent. Une extension qui sonnera la fin d’Israël. Les menaces officieuses et
théâtrales de l’utilisation de la «bombe», si nécessaire, vont dans le même sens. Il s’agit plus d’une frayeur de ce que les sionistes ne veulent pas voir leur arriver que d’une
volonté.
Terminons par cette curieuse
demande des USA : Washington aurait sollicité Pékin pour peser sur l’Iran afin de faire cesser les attaques Houthis ! Quel culot ! Quelle insolence ! Lambert Strether
répond avec cette ironie «avant de leur
faire la guerre, ou après ?».
Et si Pékin demande aux USA d’ôter la «carte blanche» à Israël pour commettre ses crimes, de ne pas l’aider militairement et de peser sur les
sionistes pour faire cesser le génocide des Gazaouis ?
Comment l’«asabiyya» du Yémen remodèle la géopolitique
Le mot arabe Asabiyya, ou
«solidarité sociale», est un simple slogan en Occident, mais il est pris très au sérieux par les nouveaux concurrents de la planète que sont la Chine, la Russie et l’Iran. C’est
toutefois le Yémen qui l’a généralisé, en sacrifiant tout à la morale collective mondiale pour tenter de mettre fin au génocide à Gaza.
«Lorsqu’il y a un
changement général des conditions,
c’est comme si toute la création avait changé
et que le monde entier était modifié,
comme s’il s’agissait d’une création nouvelle et répétée,
un monde qui naît à nouveau». (Ibn Khaldoun)
Les forces de résistance yéménites Ansarullah ont clairement indiqué, dès le départ, qu’elles avaient mis en place un blocus dans le détroit de Bab
el-Mandeb et dans le sud de la mer Rouge uniquement à l’encontre des navires appartenant à Israël ou destinés à ce pays. Leur seul objectif était et reste d’arrêter le génocide de
Gaza perpétré par la psychopathie
biblique israélienne.
En réponse à l’appel moral à mettre fin à un génocide humain, les États-Unis, maîtres de la guerre mondiale contre le terrorisme, ont, comme on pouvait
s’y attendre, redésigné les Houthis du Yémen comme «organisation terroriste», lancé un bombardement en série des installations militaires souterraines d’Ansarullah (en supposant que
les services de renseignement américains sachent où elles se trouvent) et constitué une mini-coalition de volontaires comprenant leurs vassaux britanniques, canadiens, australiens,
néerlandais et bahreïnis.
Sans perdre de temps, le Parlement du Yémen a déclaré les gouvernements américain et britannique «réseaux
terroristes mondiaux».
Parlons maintenant stratégie.
D’un seul coup, la résistance yéménite s’est emparée de l’avantage stratégique en contrôlant de facto un goulot d’étranglement géoéconomique clé : Bab
el-Mandeb. Elle peut ainsi causer de graves problèmes aux secteurs des chaînes d’approvisionnement, du commerce et de la finance à l’échelle mondiale.
Et Ansarullah a le potentiel de doubler la mise – si nécessaire. Des négociants du golfe Persique ont confirmé, officieusement, que le Yémen pourrait
envisager d’imposer un «triangle d’Al-Aqsa», du nom de l’opération de résistance palestinienne du 7 octobre qui visait à détruire la division militaire israélienne de Gaza et à
capturer des prisonniers dans le cadre d’un vaste accord d’échange de prisonniers.
Une telle mesure impliquerait de bloquer sélectivement non seulement le détroit de Bab el-Mandeb et la route de la mer Rouge vers le canal de Suez, mais
aussi le détroit d’Ormuz, coupant ainsi les livraisons de pétrole et de gaz à Israël en provenance du Qatar, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis – bien que les principaux
fournisseurs de pétrole d’Israël soient en fait l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan.
Ces Yéménites n’ont peur de rien. S’ils parvenaient à imposer le triangle – dans ce cas uniquement avec l’implication directe de l’Iran – cela
représenterait le Grand dessein sous stéroïdes cosmiques du général Qassem Soleimani de la Force Qods, assassiné par les États-Unis. Ce plan a le potentiel réaliste de faire
s’écrouler la pyramide de centaines de milliers de milliards de dollars de produits dérivés et, par conséquent, l’ensemble du système financier occidental.
Et pourtant, alors que le Yémen contrôle la mer Rouge et l’Iran le détroit d’Ormuz, le Triangle d’Al-Aqsa ne reste qu’une hypothèse de travail.
Bienvenue dans le blocus de
l’Hégémon
Avec une stratégie simple et claire, les Houthis ont parfaitement compris que plus ils attirent les Américains privés de stratégie dans le marécage
géopolitique de l’Asie occidentale, dans une sorte de mode de «guerre non déclarée», plus ils sont en mesure d’infliger de graves douleurs à l’économie mondiale, que le Sud mondial
mettra sur le dos de l’Hégémon.
Aujourd’hui, le trafic maritime de la mer Rouge a chuté de moitié par rapport à l’été 2023 ; les chaînes d’approvisionnement sont bancales ; les navires
transportant des denrées alimentaires sont contraints de contourner l’Afrique (et risquent de livrer la cargaison après sa date de péremption) ; comme on pouvait s’y attendre,
l’inflation dans la vaste sphère agricole de l’UE (d’une valeur de 70 milliards d’euros) est en hausse rapide.
Pourtant, il ne faut jamais sous-estimer un empire acculé.
Les géants occidentaux de l’assurance ont parfaitement compris les règles du blocus limité d’Ansarullah : Les navires russes et chinois, par exemple,
peuvent naviguer librement en mer Rouge. Les assureurs mondiaux ont uniquement refusé de couvrir les navires américains, britanniques et israéliens, exactement comme le voulaient les
Yéménites.
Les États-Unis ont donc, comme on pouvait s’y attendre, transformé le récit en un gros mensonge : «Ansarullah s’en
prend à l’ensemble de l’économie mondiale».
Washington a mis le turbo sur les sanctions (ce qui n’est pas grave puisque la résistance yéménite a recours au financement islamique), a intensifié les
bombardements et, au nom de la sacro-sainte «liberté de navigation» – toujours appliquée de manière sélective – a parié sur la «communauté internationale», notamment les dirigeants du
Sud mondial, qui l’implorent de faire preuve de clémence, c’est-à-dire de laisser les voies de navigation ouvertes, s’il vous plaît. L’objectif de la nouvelle tromperie américaine,
recadrée, est de pousser le Sud mondial à abandonner son soutien à la stratégie d’Ansarullah.
Prêtez attention à ce tour de passe-passe crucial des États-Unis : Car, à partir de maintenant, dans une nouvelle tournure perverse de l’Opération
Protection du Génocide, c’est
Washington qui bloquera la mer Rouge pour le monde entier. Washington elle-même sera épargnée : Le transport maritime américain dépend des routes commerciales du Pacifique,
pas de celles de l’Asie occidentale. Les clients asiatiques et surtout l’économie européenne, déjà durement touchée par les sanctions énergétiques russes liées à l’Ukraine, en
souffriront encore plus.
Selon l’interprétation
de Michael Hudson, il est fort possible que les néoconservateurs en charge de la politique étrangère américaine veuillent en fait (c’est moi qui souligne) que le Yémen et l’Iran
mettent en œuvre le Triangle d’Al-Aqsa : «Ce sont les
principaux acheteurs d’énergie en Asie, la Chine et d’autres pays qui seront touchés. Et cela (…) donnera aux États-Unis encore plus de pouvoir pour contrôler l’approvisionnement en
pétrole du monde comme monnaie d’échange pour essayer de renégocier ce nouvel ordre international».
Il n’existe aucune preuve solide que le Pentagone ait la moindre idée de ce que ses Tomahawks frappent au Yémen. Même plusieurs centaines de missiles
n’y changeront rien. Ansarullah, qui a déjà enduré huit ans de puissance de feu ininterrompue de la part des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes
unis – et qui a pratiquement gagné – ne se laissera pas abattre aujourd’hui par quelques frappes de missiles.
Même les proverbiaux «responsables anonymes» ont informé le New York
Times que «la localisation
des cibles houthies s’est avérée plus difficile que prévu», essentiellement en raison de la médiocrité des renseignements américains sur la «défense aérienne,
les centres de commandement, les dépôts de munitions et les installations de stockage et de production de drones et de missiles» du Yémen.
Il est très instructif d’écouter comment le Premier ministre yéménite Abdulaziz
bin Saleh Habtoor présente la décision d’Ansarullah concernant l’initiative de blocus d’Israël comme étant «basée sur des
aspects humanitaires, religieux et moraux». Il fait référence, de manière cruciale, à «notre peuple à
Gaza». Et la vision globale, nous rappelle-t-il, «découle de la
vision de l’Axe de la Résistance».
C’est une référence que les observateurs avisés reconnaîtront comme l’héritage permanent du général Soleimani.
Doté d’un sens historique aigu – de la création d’Israël à la crise de Suez en passant par la guerre du Vietnam – le Premier ministre yéménite rappelle
comment «Alexandre le
Grand a atteint les côtes d’Aden et de l’île de Socotra mais a été vaincu (…) Les envahisseurs ont tenté d’occuper la capitale de l’État historique de Shebah et ont échoué (…) Combien
de pays au cours de l’histoire ont tenté d’occuper la côte ouest du Yémen et ont échoué ? Notamment la Grande-Bretagne».
Il est absolument impossible pour l’Occident et même la Majorité mondiale de comprendre la mentalité yéménite sans apprendre quelques faits de l’Ange de
l’Histoire.
Revenons donc au maître de l’histoire universelle du XIVe siècle, Ibn Khaldoun, l’auteur de la Muqaddimah.
Ibn Khaldoun déchiffre le code
d’Ansarullah
La famille d’Ibn Khaldoun était contemporaine de l’essor de l’empire arabe, se déplaçant aux côtés des premières armées de l’islam au VIIe siècle, de
l’austère beauté des vallées de l’Hadramaout, dans l’actuel sud du Yémen, jusqu’à l’Euphrate.
Ibn Khaldoun était un précurseur de Kant, qui a eu la brillante idée que «la géographie est
à la base de l’histoire». Et il a lu le maître de la philosophie andalouse du XIIe siècle, Averroès – ainsi que d’autres écrivains révélés aux œuvres de Platon et a compris
comment ce dernier faisait référence à la force morale du «premier peuple» dans le Timée, en 360 av. J.-C..
Oui, il s’agit bien de «force morale» – pour l’Occident, un simple slogan ; pour l’Orient, une philosophie essentielle. Ibn Khaldoun a compris que la
civilisation est née et s’est constamment renouvelée grâce à des personnes dotées d’une bonté et d’une énergie naturelles ; des personnes qui comprenaient et respectaient le monde
naturel, qui vivaient dans la lumière, unies par le sang ou rassemblées par une idée révolutionnaire ou un élan religieux commun.
Ibn Khaldoun a défini l’asabiyya comme cette force qui unit les gens.
Comme beaucoup de mots en arabe, asabiyya présente un éventail de significations diverses, vaguement reliées entre elles. La plus pertinente est sans
doute l’esprit de corps, l’esprit d’équipe et la solidarité tribale, à l’instar d’Ansarullah.
Comme le démontre Ibn Khaldoun, lorsque le pouvoir de l’asabiyya est pleinement exploité, bien au-delà de la tribu, il devient plus puissant que la
somme de ses parties individuelles et peut devenir un catalyseur pour remodeler l’histoire, faire ou défaire les empires, encourager les civilisations ou les forcer à
s’effondrer.
Nous vivons sans aucun doute un moment d’asabiyya, grâce à la force morale de la résistance yéménite.
Solide comme un
roc
Ansarullah a compris de manière innée la menace du sionisme eschatologique – qui se trouve être le reflet des croisades chrétiennes d’il y a un
millénaire. Et ils sont pratiquement les seuls, en termes pratiques, à essayer de l’arrêter.
En prime, ils révèlent une fois de plus l’hégémonie ploutocratique en bombardant le Yémen, l’État-nation arabe le plus pauvre, dont la moitié de la
population au moins est en situation d’insécurité alimentaire.
Mais Ansarullah n’est pas dépourvu d’armes lourdes comme les moudjahidines pachtounes qui ont humilié l’OTAN en Afghanistan.
Ses missiles de croisière antinavires comprennent le Sayyad et le Quds Z-O (d’une portée allant jusqu’à 800 km) et le Al Mandab 2 (d’une portée allant
jusqu’à 300 km).
Leurs missiles balistiques anti-navires sont notamment le Tankil (portée jusqu’à 500 km), l’Asef (portée jusqu’à 450 km) et l’Al-Bahr Al-Ahmar (portée
jusqu’à 200 km). Cela couvre la partie sud de la mer Rouge et le golfe d’Aden, mais pas, par exemple, les îles de l’archipel de Socotra.
Représentant environ un tiers de la population du pays, les Houthis du Yémen, qui forment l’épine dorsale de la résistance Ansarullah, ont leur propre
agenda interne : Obtenir une représentation équitable dans la gouvernance (ils ont lancé le printemps arabe au Yémen), protéger leur foi zaydite (ni chiite ni sunnite), lutter pour
l’autonomie du gouvernorat de Saada et œuvrer à la renaissance de l’imamat zaydite, qui était en place avant la révolution de 1962.
Aujourd’hui, ils sont en train d’imprimer leur marque sur la «grande image». Il n’est pas étonnant qu’Ansarullah combatte férocement les Arabes vassaux
de l’Hégemon – en particulier ceux qui ont signé un accord de normalisation des relations avec Israël sous l’administration Trump.
La guerre saoudo-émiratie contre le Yémen, avec l’Hégémon «menant depuis les coulisses», a été un bourbier qui a coûté à Riyad au moins 6 milliards de
dollars par mois pendant sept ans. Elle s’est terminée par une trêve bancale de 2022 et une victoire de facto d’Ansarullah. Il convient de noter qu’un accord de paix signé a été
rejeté par les États-Unis, malgré les efforts déployés par l’Arabie saoudite pour conclure un accord.
Aujourd’hui, Ansarullah bouleverse la géopolitique et la géoéconomie avec non seulement quelques missiles et drones, mais aussi des océans de ruse et
d’acuité stratégique. Pour citer la sagesse chinoise, imaginez qu’un simple rocher modifie le cours d’un ruisseau, qui modifie ensuite le cours d’un fleuve puissant.
Les épigones de Diogène peuvent toujours faire remarquer, à moitié en plaisantant, que le partenariat stratégique Russie-Chine-Iran a peut-être
contribué, avec ses propres rochers bien placés, à l’avènement d’un ordre plus équitable. C’est là toute la beauté de la chose : il se peut que nous ne puissions pas voir ces rochers,
mais seulement les effets qu’ils provoquent. Ce que nous voyons, en revanche, c’est la résistance yéménite, solide comme un roc.
Le bilan montre que l’Hégémon, une fois de plus, se met en mode pilote automatique : Bombarder, bombarder, bombarder. Et dans ce cas précis, bombarder
revient à détourner le récit d’un génocide commis en temps réel par Israël, le porte-avions de l’Empire au Moyen-Orient.
Cependant, Ansarullah peut toujours augmenter la pression en s’en tenant fermement à son récit et, poussé par le pouvoir de l’asabiyya, livrer à
l’Hégémon un deuxième Afghanistan, en comparaison duquel l’Irak et la Syrie ressembleront à un week-end à Disneyland.
Il se dit beaucoup de choses sur les Houthis, mais là encore les Français asphyxiés par la propagande et une vision néo-colonialiste qui recycle
quelques traces de la guerre froide n’ont pas la moindre idée de ce qui se joue dans cette zone qui rassemble le plus grand nombre de «bases» tout en étant traditionnellement un des
lieux dans lesquels s’est toujours jouée l’indépendance de l’Afrique mais aussi celle du Moyen-Orient, tout en contrôlant une grande partie du trafic économique de la planète. Voici
donc grâce à Marianne Dunlop une information précieuse provenant de ce qui demeure en Russie un des meilleurs centres de connaissance du monde arabe et musulman.
Danielle
Bleitrach
*
par Youri Mavachev
Les Houthis du Yémen sont devenus
une nouvelle ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest. Des dizaines, voire des centaines de milliers de volontaires arabes peuvent vouloir se venger de l’Occident pour les griefs du
passé récent à Gaza. Personne ne peut les retenir.
La malédiction générique de l’Occident est son manque de volonté de comprendre les nuances des problèmes du monde. Ainsi, des acteurs extrarégionaux,
les États-Unis et le Royaume-Uni, se sont une fois de plus immiscés au Moyen-Orient. Cette fois au Yémen, avec leur opération «Gardien de la prospérité» contre les Houthis du
mouvement Ansar Allah. Malgré les potentiels incomparables des deux camps, Washington et ses alliés ont peu de chances de réussir.
Et ce n’est pas tant les qualités ou les capacités de combat des rebelles qui sont en cause. Sans prendre la peine d’étudier le terrain, l’Occident
collectif est arrivé trop tard, dans une région complètement différente et éveillée. Pour comprendre la profondeur de l’erreur américaine, il faut revenir huit ans en arrière. C’est à
cette époque que les premières tentatives ont été faites pour mettre au pas les maîtres du détroit de Bab el-Mandeb. Et avec des données initiales beaucoup plus favorables à une
expédition punitive.
En 2015, la large coalition qui est intervenue dans la guerre civile au Yémen était composée d’États locaux – arabes – au fait de la situation sur le
terrain, et donc bien mieux informés que les Américains sur les faiblesses des Houthis. De plus, ils disposaient de budgets militaires gonflés par le pétrole.
D’une manière générale, vu de l’extérieur, le processus ressemblait à ceci : des habitants de la péninsule arabique traitaient avec d’autres. Le
processus était dirigé par l’Arabie saoudite, qui considérait comme une question de principe la répression de la résistance chiite aux autorités sunnites de son voisin.
La légitimité des actions de la coalition était renforcée par le fait que les Houthis s’étaient positionnés et étaient perçus par leurs adversaires
comme la principale force pro-iranienne, et donc chiite, de la péninsule arabique. C’est-à-dire sur ces terres où la religion abrahamique – l’islam – d’obédience sunnite a vu le jour.
En conséquence, pour Riyad, en tant que gardien du Hedjaz, le territoire de La Mecque et de Médine, sacré pour les musulmans, un tel voisinage avec les chiites «apostats» était
inacceptable.
Néanmoins, même à cette époque, ni la légitimité ni les frappes aériennes de la coalition arabe utilisant des armes de haute précision coûteuses, y
compris américaines, n’ont changé qualitativement la situation sur le théâtre de la guerre. Le blocus naval qui a affamé les Yéménites n’a pas non plus changé la donne. En réponse,
les Houthis ont en effet frappé très efficacement les infrastructures pétrolières de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Sans entrer dans les détails de cette guerre,
retenons l’essentiel : après huit années de combats sanglants et insensés, les représentants des pays les plus riches de la région ont préféré retirer leurs troupes, en entamant des
pourparlers de paix avec les Houthis. Les parties, non sans difficultés, se sont mises d’accord sur tout.
Oui, les rebelles d’Ansar Allah n’ont effectivement pas été épargnés par l’attention et l’assistance de l’Iran dans cette guerre. Les missiles
balistiques de moyenne portée Kheybar Shekan, ainsi que certains types de drones utilisés par les Houthis contre la coalition, ne peuvent être produits de manière artisanale. Les
Houthis possèdent également des missiles antinavires chinois de moyenne portée YJ-8. Ces arsenaux servent encore aujourd’hui aux Houthis. Cependant, toutes les forces politiques ne
sont pas en mesure de combiner les méthodes militaires et politiques.
Les Houthis sont un groupe militaro-politique et en même temps religieux de la minorité chiite, les Zeidites. Il est vrai que cette minorité représente
un tiers de la population du pays. Leur mouvement «Ansar Allah» («Adhérents d’Allah») est apparu au Yémen à la fin des années 1990. L’appellation «Houthis» vient du nom du fondateur
du mouvement, Hussein Badruddin al-Husi, homme politique, religieux et commandant de campagne. En 2004, il a été tué lors de combats avec l’armée yéménite. Son frère Abdel-Malik
al-Husi dirige aujourd’hui les rebelles. Les Houthis ont donc accumulé beaucoup d’expérience en près de 20 ans de combat.
Les succès qui les accompagnent le confirment. Depuis 2014, les Houthis ont réussi à prendre pied dans 14 des 22 régions du Yémen. La capitale Sanaa est
également contrôlée par les rebelles. L’autre partie du Yémen est contrôlée par le gouvernement internationalement reconnu, dont la capitale est Aden. D’ailleurs, en tant que «vrais
patriotes», ils ont soutenu les frappes de la coalition occidentale sur leur pays. Ils se sont toutefois plaints que les États-Unis agissaient sans l’aval des Nations unies et qu’ils
ne coordonnaient toujours pas leurs actions avec les autorités officielles du Yémen.
Entre-temps, pratiquement aucun des États qui ont précédemment combattu les Houthis ne se range cette fois-ci du côté de la coalition dirigée par les
États-Unis contre eux. Sauf, bien sûr, si l’on compte le Bahreïn, dont l’autonomie de décision est très discutable. La 5e flotte de l’US Navy est stationnée sur le territoire de
l’État depuis de nombreuses années.
L’explication du phénomène de «non-alignement» est la solidarité panislamique. Après que les Houthis ont déclaré la guerre à Israël à l’automne 2023, la
rue arabe a commencé à sympathiser avec les rebelles. Et les monarchies du Golfe la craignent comme le feu après les événements du printemps arabe. Cette crainte est fondée – les
actions anti-israéliennes d’Ansar Allah semblent importantes pour le monde arabe aussi parce que les monarchies du Golfe ont en fait préféré l’inaction au soutien des coreligionnaires
palestiniens. En tout cas, il n’a jamais été question d’un blocus commercial d’Israël de leur part. Il est donc extrêmement dangereux d’entrer en guerre du côté des «infidèles» de
l’Occident contre ceux qui sont en réalité en guerre contre Israël. Les Houthis ont attaqué par défi les navires naviguant vers les ports israéliens.
Le soutien sans équivoque de l’administration de Joe Biden à Israël contre le Hamas a joué un rôle presque décisif à cet égard. Tous les observateurs
savent que depuis octobre 2023, la couverture aérienne de l’État hébreu est assurée par plusieurs groupes de porte-avions de la marine américaine depuis plusieurs eaux. Sans parler
des deux mille marines de la 26e unité expéditionnaire. Inutile de préciser comment cette présence étrangère est perçue par les musulmans du monde entier, pour qui Jérusalem est une
ville sainte.
La position du dirigeant turc Recep Erdogan, qui suit de près le monde arabe, est également un marqueur du sentiment anti-occidental dans la région. Ce
n’est pas un hasard s’il a critiqué les États-Unis et la Grande-Bretagne pour les frappes non autorisées au Yémen. Bien qu’Ankara fasse officiellement partie du bloc de l’OTAN.
En outre, même un dirigeant clé d’Asie du Sud, qui a été littéralement cajolé par les États-Unis ces derniers temps, comme l’Inde, a préféré la
diplomatie à la force brute contre les Houthis. Lors de l’escalade, le ministre indien des Affaires étrangères Subramanyam Jaishankar n’a pas appelé Biden ou Sunak, mais s’est adressé
au mécène d’Ansar Allah, l’Iran, pour «atténuer ensemble
les problèmes mondiaux» dans la région.
Les Houthis sont donc devenus une nouvelle ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest. Par conséquent, tôt ou tard, la coalition dirigée par les
États-Unis et la Grande-Bretagne devra faire face aux sentiments anti-occidentaux massifs dans les pays arabes. Surtout s’il s’agit d’une opération terrestre. Des dizaines, voire des
centaines de milliers de volontaires des pays arabes pourraient vouloir se venger de l’Occident pour les infractions commises récemment à Gaza. Qui empêchera ces volontaires de
s’opposer au monde islamique ? Les monarchies du Golfe ? Non, bien sûr.