175 000 compatriotes qui ont
pu échapper à la manipulation des listes électorales, avec 35 000 électeurs écartés, vont voter le 12 décembre pour ou contre l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Ce sera la 6ème fois depuis
1987 et toujours sur la même question. Mais pourquoi cet abus de référendums en rafales ? Pourquoi les dirigeants français, qui depuis Michel Rocard et Lionel Jospin, assistent en notaires
silencieux à l’amputation d’un morceau de la France ? Ils savent bien qu’une fois la Nouvelle-Calédonie livrée, nos 81 503 compatriotes loyalistes devraient partir en nouveaux pieds noirs encore
trahis. Ils savent aussi et surtout, qu’une fois Nouméa abandonnée, la Polynésie suivrait, et les ailes de la France se replieraient, renonçant au Pacifique juste au moment où l’histoire va y
commencer. Alors pourquoi ce grand renoncement à être la "France Monde" ? Richard Haddad reçoit Jean-Claude Martinez, président fondateur de l’Union pour la Nouvelle-Calédonie, professeur de
droit public et sciences politiques à l’Université Paris II, Panthéon- Assas, afin de nous éclairer sur ce qu'il appelle le covid idéologique long qui frappe les visions courtes. Son dernier
livre : "Nouvelle-Calédonie quoi qu'il en coûte, la France doit rester" démontre les failles juridiques de ces référendums et l'importance capitale de cet île pour la grande puissance que la
France doit demeurer. Retrouvez-nous sur :
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La Nouvelle-Calédonie, un atout stratégique méconnu dans le Pacifique
Le 12 décembre 2021, les électeurs de Nouvelle-Calédonie exprimaient leur souhait de demeurer français à l’issue d’un troisième référendum en trois ans, certes boycotté par les indépendantistes.
Au-delà des mines de nickel et du combat politique des partisans de l’autodétermination, les Français de métropole connaissent mal cet archipel d’îles jouxtant l’Australie en mer de Corail. S’y
joue pourtant une partie essentielle dans l’affrontement des puissances.
À 18.000 km et onze fuseaux horaires de Paris, la Nouvelle-Calédonie constitue l’un des derniers ensembles de territoires français qui offrent un accès à la sphère Asie-Pacifique. Dans une zone
du globe dominée par l’élément maritime et où les distances se mesurent en milliers de kilomètres, sa proximité relative avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et tout un ensemble de micro-États
indépendants, autonomes ou sous administration directe, contribue à en faire une base de départ pour intervenir dans des crises régionales. Autrefois considérée comme un territoire dont
l’éloignement constituait l’un des principaux intérêts, notamment pour y déporter ses forçats, cette exception française dans une partie du monde largement anglophone demeure fragile (I).
L’affirmation de la Chine en tant que puissance économique et militaire, dans un contexte de rivalité croissante avec les mondes océanien et nord-américain, a contribué à redonner au
« caillou » une importance accrue. Pourtant, malgré les richesses dont elle regorge, les moyens alloués à sa défense et au rayonnement de la France dans une région cruciale demeurent
limités (II), alors même que le caractère stratégique de sa position, apparu décisif au cours de la Seconde Guerre mondiale en tant que base arrière majeure des forces armées américaines, ne
s’est jamais démenti (III).
Exception française dans une zone d’influence anglo-saxonne (A), la Nouvelle-Calédonie n’en est pas moins un territoire multiculturel où l’attachement à la France varie selon les époques et les
communautés (B), au point que le sentiment indépendantiste y constitue une alternative crédible (C).
A. Exception
française aux antipodes anglo-saxons
Malgré l’intérêt de la monarchie finissante pour les expéditions lointaines outre-mer (Bougainville, La Pérouse) afin de rétablir un prestige écorné par les conséquences de la guerre de Sept
Ans[1], les vicissitudes de
la Révolution et les préoccupations continentales de l’Empire ne permirent pas à feu la Royale[2] de soutenir la comparaison avec la Royal
Navy, maîtresse incontestée des océans. De fait, jusqu’au milieu du XIXe siècle,
la France doit abandonner ses prétentions dans le Pacifique.
Si les côtes de la Nouvelle-Calédonie sont découvertes par Cook le 4 septembre 1774, le pays demeure longtemps quasi inconnu, car jugé sans intérêt. Elle voit apparaître sur ses rivages
explorateurs, baleiniers et autres missionnaires vers 1840. Théâtre d’une compétition entre missionnaires catholiques et protestants, la Nouvelle-Calédonie est l’objet d’un projet, avorté, de
conquête sous Louis-Philippe. Napoléon III reprend l’idée pour en faire une colonie pénitentiaire (1867-1897). Quoiqu’il craigne moins la réaction de Londres que le Roi des Français – la
guerre de Crimée est sur le point d’éclater –, l’annexion est discrètement menée en 1853. Malgré ce succès emporté au détriment de l’arrondissement du domaine australien des Britanniques, la
rivalité demeure s’agissant des points de relâche pour les marins et pécheurs, et de l’évangélisation des populations.
Parent pauvre de l’empire colonial français, tourné vers l’Afrique et l’Indochine, la Nouvelle-Calédonie se développe comme elle peut sous l’impulsion d’investisseurs privés et d’administrateurs
coloniaux. La découverte du nickel permet alors de tisser des partenariats commerciaux avec la Chine (1884) et le Japon (1892), d’abord pour attirer de la main-d’œuvre, puis pour exporter le
minerai[3]. Bien que consciente
de l’importance du Pacifique dans l’avenir, la France de l’entre-deux-guerres ne peut y consacrer les moyens souhaités et se contente de consolider un modeste existant. Craignant à la fois la
montée du « péril jaune » et l’expansion américaine, des voix s’élèvent même au gouvernement et dans les états-majors pour demander un retrait du Pacifique[4], voire l’échange de la
colonie avec un territoire africain[5] !
B.
Une mosaïque ethnique
Mosaïque ethnoculturelle, la société calédonienne demeure fracturée par les rivalités de populations aux intérêts opposés. Vivant principalement aux abords des agglomérations, souvent selon un
mode de vie traditionnel dans le cadre de tribus, les Kanaks (mélanésiens) constituent la population autochtone originelle de la Nouvelle-Calédonie (41,2%[6]). Malgré un sentiment
identitaire fort illustré par le projet indépendantiste de « Kanaky », le monde kanak est culturellement hétérogène – vingt-huit langues différentes en plus du français – et apparaît à
la marge sur le plan économique.
Sévèrement sanctionnés suite à la tentative d’insurrection de 1878 menée en réaction à la colonisation, les Kanaks sont soumis au statut de l’indigénat de 1887 à 1946. Obtenant la nationalité
française en raison du ralliement précoce de la colonie à la France Libre, ils s’insèrent dans le jeu politique dans les années 1950 avec un discours autonomiste initialement modéré et dénué de
considérations ethnicistes. Tant l’échec de ce projet que la réaffirmation de leur identité spécifique dans les années 1970 sous la houlette de chefs charismatiques comme Jean-Marie Tjibaou,
Yeiwéné Yeiwéné ou Éloi Machoro, vont provoquer une évolution du discours et des revendications. Dès lors, le terme « calédonien » ou « caldoche » tend à désigner les
Européens par opposition aux « kanaks ».
Représentant un quart de la population, les « Caldoches » sont principalement les descendants des travailleurs du secteur minier. Bien que l’héritage de l’ancienne colonie pénitentiaire
demeure vif, les colons européens et les bagnards ont relativement peu contribué au peuplement du « caillou »[7].
Comme les Kanaks, le monde caldoche est pluriel et des différences notables s’expriment entre ceux de Nouméa et ceux de la Brousse, entre les « gros » et les « petits »
colons, entre les « libres » et les « bagnards », générant autant de microsociétés longtemps cloisonnées[8].
De plus, contrairement à une idée reçue, la société caldoche n’a pas été imperméable au métissage puisque le surnombre d’hommes célibataires dans les premiers temps de la colonisation a favorisé
les unions mixtes entre Européens et femmes kanakes. Un phénomène qui n’a pas permis d’aplanir le mur séparant les deux principales communautés. Envisageant le projet indépendantiste à travers
les exemples de l’Algérie, des Nouvelles-Hébrides – ou dans une certaine mesure, de la fin de l’apartheid en
Afrique du Sud –, les caldoches sont très majoritairement fermement opposés à l’autodétermination. En effet, ils sont trop conscients que, dans le cadre d’une Kanaky indépendante, la faiblesse de
leur poids démographique provoquerait de profondes réformes sociales, agraires et économiques qui modifieraient à leur détriment les rapports de forces hérités de la société coloniale.
Farouchement hostiles à l’indépendance, les Caldoches éprouvent toutefois un attachement relatif à cette France dont la politique est jugée pro-kanake depuis les accords de Matignon et Nouméa.
Exacerbant des traits culturels liés à une histoire singulière, les Caldoches ont développé quant à eux une identité propre très influencée par la présence américaine au cours de la Seconde
Guerre mondiale.
À la croisée de ce clivage communautaire, quoique globalement partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron de la France, d’autres communautés, d’un poids démographique varié
peuplent le territoire. Citons ainsi des populations originaires de Wallis et Futuna (8,3%), de Java, mais aussi des « Arabes » descendants des Kabyles déportés suite à la révolte des
Mokrani[9] et quelques
Japonais[10] en proportions
plus anecdotiques.
C. L’indépendantisme
Initialement, les mouvements politiques calédoniens étaient autonomistes modérés, prônant un projet ne se fondant pas sur une assise ethno-raciale. Le maintien d’un lien avec la France visait
alors à garantir le développement économique d’un territoire aspirant à pouvoir s’exprimer sur les grandes affaires locales sans subir la tutelle d’une administration lointaine.
Or, le recul de l’autonomie politique et l’ingérence néfaste de Paris qui interdit toute immixtion de capitaux étrangers dans l’économie vont progressivement convertir les autonomistes à
l’indépendantisme au cours des années 1970[11]. La décennie
suivante est marquée par de violentes tensions communautaires et prises à partie des forces de l’ordre. Face au discours des indépendantistes stigmatisant une puissance coloniale oppressante –
l’ONU considère d’ailleurs toujours la Nouvelle-Calédonie comme un territoire à décoloniser[12] –, le Premier
ministre Jacques Chirac essaye de trouver une sortie politique à la crise. Un premier référendum d’autodétermination en 1987 est boycotté par les indépendantistes donnant le « non »
victorieux à 98,3%.
L’année suivante, des activistes armés espèrent profiter du contexte des élections présidentielles pour mener une action d’éclat. C’est la prise de la gendarmerie d’Ouvéa aux Loyautés. Paris
choisit de répondre par la force et l’assaut mené sur la grotte se solde par la mort de dix-neuf preneurs d’otages. Pour les indépendantistes, dont certains avaient espéré un soulèvement général
de la Nouvelle-Calédonie, c’est un échec. Quelques mois plus tard, sous l’impulsion du Président réélu François Mitterrand, les accords de Matignon jouent la carte de l’apaisement via une
amnistie générale et la promesse d’un futur référendum d’autodétermination. Dix ans plus tard, les accords de Nouméa (5 mai 1998) accordent d’importants transferts de compétences au territoire
tandis que la France conserve les compétences régaliennes. La question de l’autodétermination est, quant à elle, repoussée à plus tard. De 2018 à 2021, trois référendums posent la question de
l’indépendance. Fortement mobilisés et bénéficiant d’une loi favorable qui exclut du corps électoral de nombreux européens, les indépendantistes ne parviennent pas l’emporter lors du second
scrutin pourtant beaucoup plus serré que prévu (victoire du « non » à 53%, en recul par rapport à 2018, 56,67%). L’ultime scrutin, qui s’est tenu le 12 décembre 2021, voit
l’écrasante victoire du « non » à l’indépendance en raison de l’appel des partis indépendantistes à s’abstenir. En 2020, le dépouillement des résultats, très variables d’une province à
l’autre, est une radiographie de la démographie néo-calédonienne. En effet, majoritairement peuplée d’européens, la province sud, autour de Nouméa, a réaffirmé son attachement à la France, tandis
que la province nord et les îles loyautés, majoritairement autochtones, se sont déclarées principalement pour l’indépendance.
Territoire français au bout du monde doté de forces de souveraineté à peine suffisantes pour assurer les missions qui lui sont dévolues, la Nouvelle-Calédonie renferme pourtant dans son sol une
ressource stratégique qui depuis longtemps attise les convoitises.
A.
Un sous-sol convoité
La relative prospérité de la Nouvelle-Calédonie – comparativement aux outres collectivités d’outre-mer – repose en partie sur les transferts en provenance de la Métropole et sur le nickel. Avec
le deuxième gisement mondial (11%), les fruits du sous-sol néo-calédonien représentent l’essentiel des exportations. Par conséquent, son économie est lourdement tributaire des variations des
cours mondiaux.
Exploité depuis les années 1870, ce minerai suscite les convoitises de nombreux voisins dont les industries sidérurgiques sont grandes consommatrices. Depuis la fin du XIXe siècle,
l’Asie est un partenaire commercial important ; de nos jours, le japonais Nishin
Steel détient encore 10% du capital de la SLN, la principale entreprise minière de Nouvelle-Calédonie. Très tôt acteur de la mondialisation et dominant le marché mondial, le nickel
calédonien s’est rapidement confronté à la concurrence du Canada puis de l’Australie[13]. Ressource
stratégique, notamment pour la fabrication d’aciers spéciaux pour la construction navale et l’armement, le nickel confère longtemps une importante rente de situation à des investisseurs privés.
Refusant toute immixtion de capitaux étrangers qui auraient pu moderniser l’appareil productif, au prix d’une perte de contrôle d’un actif stratégique, le général de Gaulle réussit à faire
échouer les tentatives de partenariat dans les années 1960, au grand dam des partisans de l’autonomie. Il faut attendre la restructuration du secteur du nickel dans les années 2000 ainsi que la
forte demande portée par l’Asie, pour permettre l’ouverture de nouvelles usines en Nouvelle-Calédonie.
Au-delà des simples relations commerciales portant sur un minerai indispensable à sa croissance économique insolente, la Chine développerait une véritable stratégie d’influence à travers un
soutien voilé aux indépendantistes de Nouvelle-Calédonie en vue d’affaiblir ses concurrents régionaux et d’imposer une nouvelle tutelle, comme l’affirment Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène
Vilmer. « S’il
y a eu des soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et si Pékin suit de près la progression du camp indépendantiste confirmée par le
référendum de 2020, c’est parce qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise et présenterait au moins deux intérêts majeurs pour le Parti-État. D’abord, elle
« deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise », tout en isolant l’Australie « puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara,
Port-Vila et Suva ». Ensuite, elle assurerait également à la Chine un approvisionnement en matières premières, notamment en nickel. Pékin a donc plusieurs raisons d’encourager
l’indépendance de ce territoire, tout en entretenant des relations avec l’élite politique et économique locale. «
La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est
parfaitement rodée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique. » C’est notamment le rôle de l’Association de l’amitié sino-calédonienne, qui fait sur place un travail de Front uni.
On notera que sa présidente, Karine Shan Sei Fan, est une ancienne du cabinet du leader indépendantiste, «
dont les deux derniers directeurs de cabinet sont d’éminents membres » de cette association. D’une manière générale, la « diaspora [chinoise] et les associations qui la représentent, pour
certaines, sont extrêmement proches de certains élus indépendantistes ». En octobre 2017, un an avant le premier référendum, Karine Shan Sei Fan avait invité l’ambassadeur de Chine en
France qui, avec son épouse et des conseillers, a passé une semaine sur place : «
Ils ont vu tout le monde, ils demandaient de quoi nous avions besoin : tourisme, aquaculture, tout ce qui était susceptible d’intéresser ils le proposaient », se souvient le député
Philippe Gomès[14].
B. Un
dispositif militaire insuffisant
Si le dispositif interarmées et interarmes du commandement des forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) est tout juste suffisant pour assurer les missions de souveraineté et de protection du
territoire, il apparaît en revanche largement sous-dimensionné pour espérer peser au niveau régional. Pourtant, la Nouvelle-Calédonie demeure indéniablement le point d’appui le plus solide du
dispositif militaire français dans le Pacifique suite aux nombreuses dissolutions d’unités en Polynésie française depuis les années 2000.
Outre un régiment de service militaire adapté dont le rôle est plus social que militaire[15], la
Nouvelle-Calédonie accueille le régiment d’infanterie de Marine du Pacifique-Nouvelle-Calédonie (RIMaP-NC), une unité aux effectifs d’un petit bataillon interarmes doté de matériels légers et
vieillissants, essentiellement composés de compagnies tournantes en provenance de diverses unités de Métropole pour des séjours de quatre mois. Le dispositif aérien, centré sur la base aérienne
186 de la Tontouta n’est guère mieux loti avec quelques aéronefs anciens, chargés de missions de transport et d’exercice aéroportés, sujets à de fréquentes indisponibilités techniques. S’agissant
de la Marine, le constat est plus amer. Avec un domaine maritime équivalent à la moitié de la Méditerranée, la frégate de surveillance et les deux patrouilleurs sont également en fin de vie au
point qu’il arrive qu’aucun navire ne puisse prendre la mer[16]. Bien que le
Pacifique et l’Indien soient considérés comme des théâtres d’intérêt stratégique, les forces de souveraineté se révèlent sous-dimensionnées pour assumer les missions régaliennes de l’État en mer,
de l’aveu même du chef d’état-major de la Marine[17].
Malgré toutes les faiblesses inhérentes au manque de moyens qui leur sont allouées, les Forces armées en Nouvelle-Calédonie entretiennent une coopération militaire avec les nations insulaires
voisines dans le cadre d’accords régionaux et participent régulièrement à des exercices interalliés avec les grandes puissances de la région (Castor, Croix
du Sud, Tropic Twillight, Southern Katipo) en vue de se préparer à une éventuelle intervention humanitaire. Base de départ pour une intervention de ce genre au Timor oriental en 2000
(opération Santal),
la Nouvelle-Calédonie s’est révélée d’ailleurs un point d’appui incontournable lors du dernier grand conflit de haute intensité dans la région.
3.
Une position stratégique depuis la Seconde Guerre mondiale
Alors que des tensions en mer de Chine autour de la question de Taïwan replacent le Pacifique au cœur de l’actualité, il convient de rappeler que la Nouvelle-Calédonie a joué un rôle essentiel au
cours du dernier conflit majeur dans la région, démontrant le caractère stratégique de sa position.
A. L’atout
maître du général de Gaulle
Dotée de forces marginales, sans espoir de renfort lors de l’entrée en guerre de la France le 1er septembre
1939, la Nouvelle-Calédonie apparait bientôt comme un atout essentiel de la France Libre… et sort renforcée de la guerre. Contrairement à ce que prétend la légende gaulliste, le ralliement de la
Nouvelle-Calédonie s’entend du fait de l’intégration du territoire au monde océanien anglo-saxon. Tributaire de l’Australie pour ses approvisionnements – notamment le charbon pour le
fonctionnement des mines –, elle entend en effet poursuivre le combat avec l’Empire britannique plutôt que dans le giron d’un lointain État français exsangue appelant à déposer les armes et dont
rien n’était à attendre. Enfin, jouer la carte de Londres n’était pas dépourvu d’arrière-pensées pour renégocier ultérieurement la nature du lien politique l’unissant à la France[18].
B. Le
rêve américain
L’entrée en guerre des États-Unis va profondément transformer la Nouvelle-Calédonie. Craignant que les Japonais ne cherchent à se saisir de ses ressources minières stratégiques pour leur effort
de guerre d’une part, et n’utilisent le territoire comme avant-poste pour menacer l’Australie d’autre part, Washington décide de prendre les devants. Le 12 mars 1942, une division américaine
débarque à Nouméa avec la mission de défendre l’archipel contre l’armée japonaise, tout en affirmant à Londres comme à Vichy sa volonté de respecter la souveraineté française[19]. À moins de 1 500 km
de Guadalcanal, l’un des tournants de la guerre du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie devient progressivement la plus importante base avancée de l’armée américaine ; jusqu’à 200 000
soldats y stationnent simultanément à une époque où la population locale ne dépasse guère 50 000 habitants. Cette présence a eu pour conséquence immédiate de doter le territoire de
nombreuses infrastructures militaires et civiles, mais également d’introduire cet American
way of life toujours perceptible de nos jours. Considérant la Nouvelle-Calédonie comme une emprise éminemment stratégique – deuxième port de l’US
Navy après San Francisco à son apogée[20] – amenée à
jouer un rôle essentiel dans le dispositif de sécurité d’après-guerre, le Président Roosevelt envisagea sérieusement son annexion en dédommagement de l’aide prêt-bail consentie à De Gaulle à qui
il entendait faire payer son arrogance[21]. Un projet échafaudé
sans concertation et abandonné notamment pour ne pas s’aliéner la France dans le nouveau contexte de guerre froide.
Conclusion
Avec l’exacerbation des tensions liées à la rivalité économique sino-américaine et à la question de la souveraineté de Taiwan, le Pacifique est devenu le théâtre de confrontations à fleurets plus
ou moins mouchetés entre les puissances. Le déplacement de l’arc des crises potentielles constitue indéniablement un défi pour la France. En effet, outre ses propres intérêts économiques et
territoriaux, en raison de son double statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et de puissance nucléaire, Paris ne peut se désintéresser des affaires du Pacifique. Si l’état des
moyens militaires déployés depuis des décennies dans la région Pacifique démontre que la zone ne constituait pas une priorité pour la diplomatie française, le fait est qu’elle se trouve désormais
à l’heure d’un choix crucial pour sa crédibilité de grande puissance. Si tant est qu’elle veuille continuer à peser dans le grand jeu du XXIe siècle,
elle n’aurait guère d’autre choix que d’accroître sa présence dans une région propice à un embrasement terrifiant. Qu’elle le veuille, par-delà les déclarations d’intention, est une chose[22] ; qu’elle
puisse fournir cet effort qui suppose un engagement plus appuyé que d’épisodique déploiement du groupe aéronaval ou de chasseurs-bombardiers modernes en est une autre. Quel que soit le cap
envisagé, de par sa position géographique stratégique et les richesses de son sous-sol, ce porte-avion des intérêts français qu’est la Nouvelle-Calédonie ne saurait rester sans un capitaine
déterminé à la barre. Que ce capitaine demeure français, par-delà les référendums, est une tout autre histoire.
[1] Après le désastreux
traité de Paris (1763) qui met un terme à la guerre de Sept Ans moyennant la perte de la majeure partie de son premier empire colonial, la France envisage ainsi le monde océanien comme la
promesse de reconstitution d’un nouveau domaine impérial et rétablir ainsi son prestige écorné
[2] Tancrède Josseran,
« Et la Royale fut détruite », in Renaud Escande (dir.), Le
livre noir de la Révolution française, Cerf, 2008.
[3] « C’est
pendant la Grande Guerre que les premières expéditions de minerais de nickel vers le Japon sont effectuées. Cette diversification des exportations perdure après la fin des hostilités alors que la
sidérurgie japonaise connaît un développement rapide. Pourvoyeur de main-d’œuvre jusqu’à la guerre, le Japon devient un client de la principale activité économique de l’archipel. Il devient aussi
un investisseur. Dans les années 1920, plusieurs sociétés minières à capitaux japonais sont constituées dans la colonie. Les deux plus importantes sont la société Le Fer et la Société minière de
l’Océanie. Avec la montée des tensions internationales, ces sociétés sont parfois considérées comme des « paravents » des ambitions japonaises en Nouvelle-Calédonie. »
Yann Bencivengo, « L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique », Journal
de la Société des Océanistes, n°135, 2012, p. 215-228, p.225.
[4] Citons Henry Simon,
rapporteur du budget des Affaires étrangères à la Chambre le 20 janvier 1920 : « Nos successeurs, il faut le reconnaître, ont déjà paru à l’horizon et la loi va jouer contre nous. La
jeune Amérique, vous le savez, est penchée sur les problèmes du Pacifique, dont nous tiennent éloignés nos soucis de frontières, notre natalité diminuée, notre faiblesse monétaire et l’exiguïté
de nos capitaux. » Jacques Binoche, « La politique extrême-orientale française et les relations franco-japonaises de 1919 à 1939 », Revue
française d’histoire d’outre-mer, tome 76, n°284-285, 1989, p.263-275, p.264.
[5] « Ainsi, dans
ses Théories stratégiques, l’amiral Castex rappelle qu’elles sont dépourvues des trois valeurs essentielles à une base stratégique (la situation géographique, l’autonomie défensive et les
possibilités de ravitaillement) et que la position française y est des plus médiocres. Il conclut sur la nécessité de les échanger avec un territoire en Afrique-Occidentale, de préférence la
Sierra Leone. » Thomas Vaisset, « Une défense sous influence. L’amiral Thierry d’Argenlieu et la dépendance de la France libre à l’égard des alliés dans les territoires français du
Pacifique (1940-1942) », Revue
historique des armées, n°257, 2009, p.101-121, p.102.
[7] Benoît Carteron,
« La quête identitaire des caldoches en Nouvelle-Calédonie », Ethnologie
française, 2015/1, vol. 45, Presses Universitaires de France, p.155-166, p.157.
[9] Mélica Ouennoughi, « Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie. Naissance d’une micro-société (de 1864 à nos jours) », Insaniyat
/ إنسانيات, n°32-33, 2006, p. 53-68.
[10] Yann Bencivengo, « L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique », Journal
de la Société des Océanistes, n°135, 2012, p. 215-228.
[11] Robin S. Gendron,
“At Odds Over INCO: The International Nickel Company of Canada and New Caledonian Politics in the 1960s”, Journal
of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, n°20/2, 2009, p.112–136, p.134.
[12] Des 72 territoires
initialement inscrits par l’Assemblée Générale des Nations-Unies sur la liste des territoires non-autonomes, la Nouvelle-Calédonie est l’un des dix-sept derniers. En l’espèce, incluant la
Nouvelle-Calédonie dans son argumentaire, l’ONU réitère régulièrement sa volonté « d’éradiquer une fois pour toute le colonialisme » selon les propres mots d’Antonio Guterres.
« L’ONU reste déterminée à éradiquer le colonialisme même si la décolonisation avance lentement », ONU
Info, 21/02/2021 https://news.un.org/fr/story/2020/02/1062311, consulté le 11/10/2021.
[13] Yann Bencivengo, «
Naissance de l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie et au-delà, à l’interface des trajectoires industrielles, impériales et coloniales (1875-1914) », Journal
de la Société des Océanistes, n°138-139, 2014, p.137-149, p.137-139.
[14] Paul Charon et
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Les
opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien, rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Paris, ministère des Armées, 2e édition,
octobre 2021, P. 401.
[15] Christine Salomon,
« Service militaire adapté et nostalgie du service militaire obligatoire en Nouvelle-Calédonie », Outre-Mers,
vol. 406-407, no. 1, 2020, pp. 49-71.
[22] « Pays de
l’Indopacifique à part entière, la France veut également être une puissance stabilisatrice, qui porte les valeurs de liberté et de respect du droit. Notre ambition est d’apporter des solutions
aux défis sécuritaires, économiques, sanitaires, climatiques et environnementaux auxquels les pays de la zone sont confrontés. » La
stratégie de la France dans l’Indopacifique, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, juillet 2021, p.3, https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/10/c3852600ccbecbccb2fa05ecf147fa307a79ac17.pdf, consulté le 22/10/2021.