Dans un accord de partenariat
stratégique détaillé signé la semaine dernière à Moscou, les puissances eurasiennes que sont la Russie et l’Iran ont lancé un défi à l’ordre mondial dirigé par les États-Unis et mis en
garde son nouveau président.
En géopolitique, le timing est primordial. Vendredi dernier à Moscou, trois jours seulement avant l’investiture du président américain Donald Trump à
Washington, les principaux dirigeants des membres des BRICS, le président russe Vladimir Poutine et le président iranien Massoud Pezeshkian, ont signé un accord de partenariat stratégique
global, détaillé en 47 articles, soit deux fois plus que dans le récent accord entre la Russie et la Corée du Nord.
Ce partenariat stratégique est désormais gravé dans le marbre alors que la dette colossale – impayable – du gouvernement américain atteint le montant sans
précédent de 36 100 milliards de dollars, ce qui équivaut à 106 400 dollars par Américain, et que la part des États-Unis dans l’économie mondiale tombe pour la première fois sous la barre
des 15%, d’après les chiffres de la Banque mondiale et du FMI.
En revanche, le partenariat stratégique entre la Russie et l’Iran vise à renforcer encore davantage l’imbrication des organisations multilatérales cruciales
chargées d’organiser le nouveau monde multimodal :
BRICS+, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et l’Union économique eurasiatique (UEEA).
Il s’agit d’un moment historique dans le long processus d’intégration eurasiatique en cours. Ou, comme l’interprète largement la Majorité mondiale, un défi
direct et souverain à
l’«ordre international fondé sur des règles», moribond et imposé par l’Occident.
Le vaste partenariat stratégique Téhéran-Moscou renforce la collaboration dans les domaines de la sécurité et de la Défense et met particulièrement l’accent
sur le développement harmonieux du corridor international de transport nord-sud (INSTC), un axe transeurasien unissant la Russie, l’Iran et l’Inde, qui fait de l’Iran un
centre de transit essentiel pour le gaz russe et les marchandises vendues à plusieurs partenaires afro-eurasiens.
Carte du corridor
international de transport nord-sud (INSTC).
Réécrire les règles de la guerre
asymétrique
Il est éclairant de mettre en lumière la propre interprétation de Poutine du partenariat, qu’il qualifie de «document
révolutionnaire» qui fixe des «objectifs
ambitieux», axés sur le «développement
durable».
Il a ajouté que la Russie et l’Iran s’alignent sur «la plupart» des questions de politique étrangère, qu’ils sont des pays indépendants et que les deux
nations civilisationnelles «résistent aux pressions extérieures et s’opposent aux sanctions illégitimes».
Le ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghchi, a souligné que le partenariat remplace «l’unilatéralisme par
la coopération et le respect», dans un accord destiné à fournir à l’Iran et à la Russie les outils pour construire «un nouvel ordre dans
lequel la coopération remplacera l’hégémonie et le respect remplacera l’imposition».
Passons maintenant aux détails. Bien que l’accord ne constitue pas une alliance militaire formelle, le partenariat institutionnalise les échanges militaires
au plus haut niveau, qu’il s’agisse d’exercices conjoints, de développement d’armes ou de projets d’échange de renseignements.
Moscou vendra inévitablement des avions de chasse Sukhoi S-30, des missiles Pantsir, Tok et Buk, ainsi que des systèmes de défense S-400 (et dans un avenir
proche, des S-500) pour la défense aérienne iranienne contre d’éventuels cas d’aventurisme américano-israélien, tout en achetant une vaste gamme de missiles et de drones fabriqués en
Iran. Les échanges en matière de recherche sur l’intelligence artificielle seront également renforcés. L’Iran et la Russie sont tous deux en première ligne pour réécrire les règles de la
guerre asymétrique.
Le partenariat stipule que la Russie fournira à l’Iran une «assistance». Dans la pratique, cela signifie non seulement des armes, mais aussi que Moscou
défendra Téhéran aux Nations unies et auprès d’autres forces internationales contre les menaces diplomatiques et minimisera les effets des sanctions économiques perturbatrices.
Et si une attaque contre l’Iran devait avoir lieu, la Russie ne collaborerait en aucun cas avec l’attaquant : Pas de renseignements, pas d’autorisation
d’utiliser le territoire russe pour des raids ou des incursions.
L’infrastructure énergétique est un pilier essentiel du partenariat et vise à améliorer la situation de l’Iran, dont l’économie nationale se dégrade. La
Russie fournira des technologies énergétiques de pointe pour développer les vastes infrastructures énergétiques iraniennes – qui doivent encore être modernisées -, les réseaux de gazoducs
et le commerce de gaz naturel liquéfié (GNL), qui ne cesse de se développer.
Le jour de l’accord, le ministre russe de l’Énergie, Sergei Tsivilev, a fourni de nouveaux détails sur un nouvel accord de 30 ans entre Gazprom et la
National Iranian Gas Company (NIGC) pour la construction d’un gazoduc dans la mer Caspienne, qui inclura l’Azerbaïdjan et visera probablement à inciter Bakou à abandonner ses positions
hostiles dans la région. La Russie couvrira les coûts d’infrastructure et fournira essentiellement du gaz à l’Iran et à certains de ses voisins.
Le volume prévu de 55 milliards de mètres cubes par an à l’achèvement du projet est comparable à la capacité des deux gazoducs Nord Stream vers l’Union
européenne, sabotés furtivement par les Américains, comme l’a révélé le journaliste d’investigation chevronné Seymour Hersh en 2022.
Cet accord énergétique est essentiel pour Téhéran, car même si le pays détient les deuxièmes plus grandes réserves de gaz de la planète – 34 milliards de
mètres cubes, juste derrière la Russie – il souffre de pénuries domestiques, surtout en hiver. La plupart des vastes réserves de gaz du pays ne sont pas exploitées en raison des sanctions
imposées par les États-Unis depuis des décennies.
Améliorer le «laboratoire du
futur»
Sur le plan géoéconomique, la Russie et l’Iran sont au centre de l’un des principaux corridors de connectivité du XXIe siècle : l’INSTC,
qui unit trois BRICS (l’autre étant l’Inde), à l’abri des sanctions, et qui constitue une alternative sérieusement plus rapide et moins coûteuse au canal de Suez, autrefois
indispensable.
L’autre corridor est la route maritime du Nord (NSR) à travers l’Arctique, que les Chinois appellent la Route de la Soie arctique ou la Route de la Soie
polaire. La Chine se définit comme un «État proche de l’Arctique».
Carte des principales
routes maritimes mondiales et des passages alternatifs dans l’Arctique, notamment les routes
du Nord-Ouest et du Nord-Est.
L’INSTC, c’est l’intégration eurasiatique à son paroxysme, doublée d’un projet de connectivité de premier plan des BRICS. Les répercussions géoéconomiques
sont stupéfiantes, car l’INSTC accélérera le processus de contournement du système financier international dominé par le dollar américain au sein des BRICS+.
La Russie et l’Iran échangent déjà massivement dans leurs propres monnaies et crypto-monnaies tout en travaillant à la mise au point d’un mécanisme
confidentiel permettant de contourner totalement le système mondial de messagerie bancaire SWIFT, basé en Belgique. La prochaine étape consistera à configurer un réseau de paiement à
l’échelle de l’Eurasie, qui sera lié à un mécanisme évolutif des BRICS, plusieurs options étant déjà discutées et testées dans ce qui ne peut être décrit que comme «un laboratoire du
futur».
L’hystérie impériale proverbiale définissant le partenariat comme le nouveau chapitre du nouvel «axe du mal» – avec la RPDC et la Chine ajoutées pour faire
bonne mesure – n’a pas lieu d’être. Le timing géopolitique, une fois de plus, est inestimable – couplé au contrecoup de la démence des sanctions.
La démence, d’ailleurs, restera intrinsèque à l’axe occidental dirigé par les États-Unis. Jack Sullivan, le grand manitou de l’insécurité nationale, avant
sa sortie pathétique, a suggéré à la Maison-Blanche une attaque des sites nucléaires iraniens avant le début de Trump 2.0 – ce qui aurait immédiatement plongé le nouveau président
républicain dans l’œil du cyclone : une guerre de grande ampleur en Asie de l’Ouest.
Le problème est que le cercle de feu sioniste qui entoure Trump hérite en fait de ces plans d’attaque
de l’administration Biden sortante, et qu’ils sont loin de rencontrer l’opposition de tout l’État profond américain ; ainsi, la démence ne s’arrête jamais. Compte tenu de l’orgueil qui
imprègne l’Empire du Chaos, il n’y aura pas de groupe de réalistes qui comprendront réellement les ramifications de l’entente stratégique entre la Russie et l’Iran.
L’état d’esprit des guerres éternelles qui a dévasté de larges pans de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, de Gaza, de l’Ukraine et
d’autres pays est aujourd’hui légèrement modifié. Cependant, les néocons et les néolibéraux employés en permanence qui ont contrôlé la politique étrangère des États-Unis pendant des
décennies ne disparaîtront pas. La différence est que maintenant la Russie et l’Iran, en étroite coopération, défient directement l’Empire du Chaos,
rechargé.
La Russie et l’Iran renforcent leurs
relations bilatérales dans un cadre stratégique, en attendant encore la confirmation d’une véritable alliance commune, notamment militaire. Les deux pays, ainsi que la Chine, savent
pertinemment qu’ils ont un grand rôle à jouer dans la suite du renforcement de l’ordre mondial multipolaire à l’échelle internationale.
La récente visite officielle du président iranien Massoud Pezeshkian en Russie et la signature entre Moscou et Téhéran du nouvel Accord de
partenariat stratégique global marquent indéniablement une nouvelle
étape très importante dans l’histoire contemporaine des deux nations. Et ce sur le long terme.
A ce titre, les instruments de propagande occidentale n’ont pas manqué à voir dans la signature dudit accord un renforcement de l’alliance russo-iranienne
dans une orientation anti-occidentale. En ce sens, la Russie comme l’Iran, tout comme d’ailleurs la Chine, comprennent parfaitement qu’en qualités de principaux adversaires déclarés des
régimes de la minorité planétaire occidentale, le travail à mener pour la suite du renforcement du monde multipolaire reste encore très important.
Au-delà de l’importance de l’accord signé par Moscou et Téhéran et des opportunités supplémentaires qu’il ouvre dans les sphères économique, commerciale,
financière, logistique, technologique, mais également militaire pour les deux nations, ce dernier aspect représente indéniablement une orientation qui devrait se renforcer encore plus
dans les mois et les années à venir. Et ce en sachant que les régimes otano-occidentaux continueront par tous les moyens à tenter de déstabiliser la Russie, l’Iran et la Chine, ainsi que
leurs alliés respectifs dans les différentes régions du monde.
En effet, et à l’heure où l’axe de la minorité planétaire otano-occidentale s’enrage chaque jour un peu plus face à la réalité du monde multipolaire qui
s’impose, il serait certainement grand temps à devoir passer à un niveau supérieur en matière de coopération dans le domaine militaro-sécuritaire conjoint. Selon plusieurs sources
iraniennes, l’Iran souhaite garder son autonomie stratégique sans forcément rejoindre un bloc militaire particulier. Néanmoins, nombreux sont également ceux dans la nation perse qui
comprennent parfaitement que dans la suite des événements, avec une possible escalade de la part des adversaires de l’État iranien, représentés par les nostalgiques de l’unipolarité, les
mesures à prendre devront à un moment donné devenir plus radicales et poussées.
Les événements récents en Syrie auront démontré que les forces hostiles à la multipolarité, avec l’implication des éléments terroristes et extrémistes, sans
oublier ceux qui souhaitent continuer à être assis sur plusieurs chaises à la fois, visent spécifiquement à frapper la Russie comme l’Iran et leurs intérêts réciproques. Pour autant,
Moscou comme Téhéran ne sont pas tombés dans le piège de s’enliser dans un dossier où une large
trahison interne aurait rendu vain tout engagement supplémentaire du côté russe comme iranien.
Et que de manière générale, le dossier syrien peut, en attendant le bon moment d’une reprise en main de la situation, devenir justement source d’enlisement
pour les principaux éléments impliqués dans les événements récents, à savoir la Turquie d’Erdogan, son allié qatari, sans oublier les régimes washingtonien et israélien. Car en Syrie et
au vu de la complexité de la situation dans ce pays, tout ne fait véritablement que commencer pour ceux qui pensent ou prétendent avoir gagné.
Dans tous les cas, et si dans le cas iranien le dossier syrien peut effectivement, pour le moment, être considéré comme un échec pour ses intérêts, la
Russie elle maintient jusqu’à présent sa présence sur la côte méditerranéenne syrienne avec ses bases militaires, tout en se déployant d’une manière plus importante en Afrique du Nord (en
Libye) et dans la région du Sahel dans le cadre de l’alliance avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger, pays membres de l’Alliance-Confédération des États du Sahel (AES), sans oublier
l’Afrique centrale.
D’une manière plus générale et en ce qui concerne précisément l’Iran, il est tout sauf perdant dans le cadre régional du Moyen-Orient. Son principal
adversaire régional, le régime israélien, en sait quelque chose. Ce dernier n’ayant pas été en mesure, malgré les innombrables massacres commis à l’encontre des populations civiles, à
pouvoir écraser les forces de la résistance libanaise du Hezbollah, ni d’atteindre ses objectifs en Palestine dans la bande de Gaza, sans oublier l’efficacité des actions des Forces
armées du Yémen contre les intérêts israéliens, étasuniens et britanniques, tout cela est précisément le résultat du travail de l’Iran dans la région. Le tout sans une entrée directe en
conflit du côté iranien.
En ce sens, l’incapacité à pouvoir annexer les territoires qu’Israël visait et même les événements en Syrie dont Tel-Aviv était l’un des principaux
bénéficiaires mais qui créent de nombreuses incertitudes supplémentaires pour le régime israélien, n’en sont que des preuves supplémentaires. Le régime israélien comprend que de manière
stratégique, l’Iran remporte cette première étape de la confrontation. Et c’est aussi précisément la raison pourquoi les régimes étasunien et israélien vont désormais chercher par tous
les moyens à frapper l’Iran pour tenter de prendre leur revanche, en vue de faire basculer les processus en cours.
Tout cela pour dire que les prochaines étapes pour les principaux partisans et promoteurs de l’ordre mondial multipolaire devront fort certainement être
orientées sur un renforcement de l’interaction militaire conjointe. Les alliances militaires bilatérales de type Russie-Biélorussie et Russie-République populaire démocratique de Corée
devront à terme être élargies au trio Russie-Chine-Iran, ainsi qu’à leurs alliés respectifs en Eurasie, en Afrique et en Amérique latine. Et avec comme objectif ultime la mise en place
d’une alliance militaire à part entière de tous les
partisans confirmés du monde multipolaire.
En attendant ces prochaines étapes, tous les principaux partisans et promoteurs de l’ordre mondial multipolaire savent pertinemment qu’à l’heure actuelle,
aucun relâchement ne peut être permis. Face aux inchangeables régimes d’une extrême minorité planétaire et de leurs sous-traitants, seules des mesures fortes et coordonnées remettront les
nostalgiques de l’unipolarité à la seule place qui leur revient. Celle précisément d’une minorité qui ne peut jouer un quelconque rôle majeur dans les affaires internationales.
Les pays membres de
l’Alliance-Confédération des États du Sahel restent parmi les principaux alliés de la Russie à l’échelle continentale africaine. Une orientation confirmée lors de la récente réunion
d’information organisée par le ministère russe de la Défense, à Moscou.
Récemment, le ministère de la Défense de la Fédération de Russie a organisé une réunion d’information du chef d’état-major général des forces armées russes,
le général d’armée Valeri Guerassimov, pour les attachés militaires des États étrangers. Le haut représentant militaire de l’État russe a passé en revue la situation dans la sphère
militaro-sécuritaire, aussi bien dans le cadre de l’Opération militaire spéciale qu’à l’échelle des différentes régions du monde. La situation sur le continent africain a été également
séparément abordée. L’information a été
publiée sur la chaîne Telegram officielle du ministère russe de la Défense.
Ainsi et selon le général Valeri Guerassimov, la situation sécuritaire en Afrique reste compliquée en raison de l’implication des pays occidentaux qui
continuent d’utiliser des approches néocoloniales, considérant le continent uniquement comme une source de matières premières stratégiques. De telles approches selon lui, ne trouvent
aujourd’hui ni soutien, ni approbation. L’Occident continue de perdre sa position dans la région, au moment où de plus en plus de pays africains entrent dans une véritable lutte pour
l’indépendance.
À ce titre, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, afin d’assurer la sécurité régionale et de renforcer le contrôle sur les territoires nationaux, ont
proclamé en septembre 2023 la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) et se sont retirés fin janvier 2024 de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO),
en raison de l’incapacité de cette organisation à fournir une assistance dans la lutte contre le terrorisme.
Toujours selon le chef d’état-major général des Forces armées russes, les organisations terroristes soutenues par le régime ukrainien constituent une menace
particulière pour la sécurité de la région du Sahel. Il est question notamment du soutien aux terroristes dans l’utilisation de drones, ainsi que des entraînements à mener des activités
subversives contre les populations civiles. À cet égard, Valeri Guerassimov a rappelé que la Russie continuera à soutenir les partenaires africains dans la défense de leur souveraineté et
dans la garantie de conditions sûres pour le développement de leurs nations.
En termes de perspectives, l’intervention du chef d’état-major russe confirme plusieurs orientations qu’Observateur
Continental avait maintes fois traitées. Aussi bien en ce qui concerne la
confirmation de l’alliance militaro-sécuritaire russo-africaine et la marche
commune en avant entre la Russie et les pays membres de l’Alliance-Confédération des États du Sahel.
Cela sans oublier l’implication effectivement du régime kiévien aux côtés des groupes terroristes qui opèrent dans la région du Sahel, suite à quoi les
nations de l’AES ont pris la
décision de considérer le régime en question pour ce qu’il est véritablement, un régime terroriste. Cette réalité a également poussé le Mali, le Burkina Faso et le Niger
à se
mobiliser à l’échelle internationale contre les actions dudit régime.
Il est par ailleurs évident que lesdites actions en faveur du terrorisme international ne pouvaient se faire sans l’implication d’un certain nombre d’autres
régimes, plus particulièrement otano-occidentaux, qui cherchent désespérément à prendre leur revanche contre les pays africains ayant fermement misé sur les valeurs du Panafricanisme et
du monde multipolaire. Ces régimes sont en effet bien
connus, ceux de Washington et de Paris, entre autres.
Néanmoins, les pays africains et notamment ceux de l’AES, doivent désormais faire attention à certains autres acteurs impliqués et qui prétendaient jusqu’à
encore récemment à jouer un rôle constructif dans la lutte antiterroriste sur le continent africain. Comme la Turquie d’Erdogan, pays membre de l’OTAN, qui d’un côté prétend pouvoir
jouer un rôle «positif» dans la lutte antiterroriste menée par les États africains, y compris dans le Sahel, tout en soutenant ouvertement des groupes terroristes au Moyen-Orient,
notamment en Syrie. Des groupes terroristes faisant par ailleurs partie des mêmes réseaux extrémistes, que combattent activement les pays de l’Alliance-Confédération des États du Sahel et
les alliés russes.
Pour ce qui est enfin de la poursuite des opérations de la Russie dans la sphère militaro-sécuritaire sur le continent africain aux côtés de ses alliés et
malgré les inquiétudes exprimées par certains observateurs africains et russes dans le cas où Moscou allait quitter ses bases militaires sur la côte méditerranéenne en Syrie, tout indique
aujourd’hui que la situation reste sous contrôle. Les bases en question sont pour le moment toujours en place et surtout des alternatives existent. À l’heure où nombre de
sources indiquent qu’un
déploiement important supplémentaire s’opère du côté de la Russie en Libye.
Un pays où des spécialistes militaires russes opèrent déjà, provoquant une vive inquiétude du côté otano-occidental et de ses acolytes, qui y voient un
déploiement militaire de l’État russe près du flanc sud de l’OTAN. Tout cela indique que la Russie continuera à assurer ses opérations en Afrique, en soutien à ses principaux alliés. N’en
déplaise aux ennemis issus d’une minorité planétaire nostalgique d’une ère révolue, mais à laquelle ladite minorité ne cesse de s’accrocher.
La brève visite du président russe Vladimir Poutine à Pyongyang le 19 juin a fait couler beaucoup d’encre. La signature d’un traité de partenariat stratégique global
par Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a fait les gros titres des médias occidentaux et a déclenché toute une série de spéculations sur la naissance d’une alliance militaire
susceptible de saper la dynamique de puissance dans la région de l’Asie du Nord-Est.
L’aspect sensationnel
du traité est qu’il prévoit que les deux pays s’entraident en cas d’attaque par un pays tiers. Il ne fait aucun doute que la géopolitique de la région pourrait changer radicalement de cap si
la Russie et la RPDC portaient leurs relations à un niveau qualitativement nouveau d’alliance militaire. Mais les apparences peuvent être trompeuses, surtout lorsqu’elles sont exagérées par
la rhétorique des deux protagonistes.
Abstraction faite de l’extraordinaire courtoisie dont a bénéficié Poutine à son arrivée dans le pays hôte, il n’en reste pas moins que le traité n’a pas de
sens, puisque la Russie et la RPDC sont toutes deux des puissances nucléaires. Et si leur dissuasion nucléaire ne peut les rendre autosuffisantes dans le domaine de la sécurité, Dieu seul
peut les aider. En outre, une attaque américaine contre la RPDC semble peu probable et une attaque des États-Unis contre la Russie l’est encore moins.
En réalité, le récent changement de politique de l’administration Biden, qui a permis à l’Ukraine d’utiliser des armes américaines pour attaquer la Russie –
avec le soutien et les conseils du personnel de l’OTAN, étayés par des données satellitaires et des données du renseignement occidental – semble avoir été la proverbiale goutte d’eau qui a
fait déborder le traditionnel vase russe. On sait que le projet de traité est en discussion depuis septembre 2023.
Comme on pouvait s’y attendre, les Américains sont fous de rage, car la Russie a mis les États-Unis en échec en Asie du Nord-Est, une région de la plus haute
importance pour la stratégie mondiale des États-Unis. Le week-end dernier, coïncidant avec l’arrivée de Poutine à Pyongyang, le conseiller américain à la sécurité nationale, Jack Sullivan, a
manifesté sa volonté de poursuivre l’escalade en annonçant, lors d’une interview soigneusement structurée accordée à la chaîne PBS, financée par le gouvernement américain, que “Kiev est libre d’utiliser les armes à feu et les armes de
destruction massive pour se défendre contre les attaques terroristes” :
Kiev est libre d’utiliser des armes américaines “partout où des forces russes franchissent la frontière”
;
Plus précisément, cela s’appliquera à la région russe de Koursk ainsi qu’à la région ukrainienne de Sumy, à partir de laquelle des “mouvements exploratoires” ont été effectués ;
“Il ne s’agit pas de
géographie. C’est une question de bon sens. Si la Russie attaque ou est sur le point d’attaquer l’Ukraine à partir de son territoire, il est logique de permettre à l’Ukraine de
riposter” ;
Le critère est de savoir si les forces russes utilisent le territoire russe comme “sanctuaire” ;
L’Ukraine sera également libre d’utiliser des systèmes de défense aérienne, y compris des armes fournies par les États-Unis, pour détruire les avions
russes, même si ces avions se trouvent dans l’espace aérien russe, “s’ils sont sur le point de tirer dans l’espace aérien
ukrainien” ;
Des avions à réaction F-16 (à capacité nucléaire) seront déployés en Ukraine, l’objectif étant de permettre à Kiev d’avoir la capacité d’attaquer la
Russie.
Et ce, malgré l’avertissement explicite de Poutine sur la possibilité de fournir des armes russes aux régions à partir desquelles des frappes pourraient être
lancées si Bruxelles et Washington ne cessaient pas d’armer l’Ukraine. Izvestia a écrit qu'”il semble que la Corée du Nord puisse être un candidat
approprié“.
La délégation de Poutine comprenait d’ailleurs le nouveau ministre de la défense, Andrei Belousev. Poutine lui-même a qualifié le traité de “document
véritablement révolutionnaire… un document fondamental qui constituera la base de nos relations à long terme“. Mais au-delà du brouhaha médiatique sur le contenu militaire de l’alliance
naissante entre la Russie et la RPDC, il ne faut pas perdre de vue que les relations entre les deux pays recèlent un vaste potentiel économique inexploité.
Les stratégies extérieures de Poutine, contrairement à celles de ses prédécesseurs soviétiques, ont toujours un contenu économique bien pensé. En l’occurrence,
Moscou tisse également des liens avec des partenaires asiatiques, vecteur essentiel de la priorité accordée par Poutine au développement de l’Extrême-Orient russe.
Dans cette perspective, Poutine a appelé à l’abrogation des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU à l’encontre de la RPDC. Du point de vue de Pyongyang,
cela suffit à changer la donne pour sortir de son isolement international.
Le commerce bilatéral a été multiplié par neuf et a dépassé les 34 milliards de dollars l’année dernière. La Russie dispose d’une grande marge de manœuvre pour
importer de la RPDC de la main-d’œuvre qualifiée dans l’Extrême-Orient russe, qui souffre d’une pénurie chronique de main-d’œuvre. La visite de Poutine a également relancé le projet
stratégiquement important de restauration et de développement du port logistique commun de Rajin, le port tout temps de la RPDC, qui peut assurer un flux de marchandises stable de la Russie
vers les marchés de l’Asie-Pacifique. Le 19 juin, les deux pays ont également signé un accord sur la construction d’un pont routier frontalier sur la rivière Tumannaya.
Toutefois, en fin de compte, comme l’a déclaré l’assistant présidentiel russe Yury Ushakov, le traité est nécessaire en raison des profonds changements de la
situation géopolitique dans la région et dans le monde. Mais il a également souligné que le traité respectera tous les principes fondamentaux du droit international, qu’il ne sera pas
conflictuel ni dirigé contre un pays quelconque et qu’il visera à garantir une plus grande stabilité en Asie du Nord-Est.
Inévitablement, la question de la place de la Chine dans ce nouveau paradigme suscite beaucoup de curiosité. Par une curieuse coïncidence, alors même que
Poutine atterrissait à Pyongyang, Pékin accueillait son premier dialogue diplomatique et de sécurité au niveau vice-ministériel, ou dialogue 2+2, avec la Corée du Sud.
La partie sud-coréenne aurait évoqué le tango entre la Russie et la RPDC, mais la partie chinoise a apparemment adopté une position de principe sans engagement,
selon laquelle la Corée du Nord et la Russie, en tant que voisins proches et amicaux, ont un besoin légitime d’échanges, de coopération et de développement de leurs relations.
D’autre part, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères a déclaré que le dialogue 2+2 à Pékin répondait à la nécessité de développer les
relations bilatérales entre la Chine et la Corée du Sud et n’avait pas de lien particulier avec l’engagement entre d’autres pays. Il est intéressant de noter que le Global Timesa cité l’avis d’un éminent expert chinois selon lequel le dialogue 2+2 peut servir de “stabilisateur et de médiateur des tensions et des conflits
régionaux“, car il permet à la Chine et à la Corée du Sud, qui ont des liens commerciaux et culturels étroits, d’améliorer la communication et la confiance sur les questions de
diplomatie et de sécurité.
Selon le ministère chinois des affaires étrangères, les deux parties ont réitéré au cours du dialogue 2+2 leur engagement à entretenir des relations amicales et
mutuellement bénéfiques entre la Chine et la Corée du Sud et à “s’engager activement dans le dialogue et les échanges à tous les
niveaux et dans tous les domaines“.
Elles ont également convenu de renforcer la communication par le biais de mécanismes tels que les dialogues stratégiques de haut niveau, les dialogues 2+2 sur
la sécurité diplomatique et pour “renforcer la
confiance politique mutuelle et faire progresser le développement sain et stable du partenariat stratégique de coopération entre la Chine et la Corée du Sud“.
Il est clair que la Chine et la Corée du Sud, deux grands bénéficiaires de la mondialisation, sont parties prenantes de la stabilité des chaînes de production
et d’approvisionnement mondiales et qu’elles ne seront pas favorables au type de politisation et de “sécurisation” dans lequel la Russie et la RPDC pourraient
s’embarquer.
Ainsi, selonGlobal Times, la partie
chinoise “a souligné que le maintien de la paix et de
la stabilité sur la péninsule est dans l’intérêt commun de toutes les parties, y compris la Chine et la Corée du Sud… la tâche urgente est de calmer la situation, d’éviter l’escalade de la
confrontation et d’adhérer à l’orientation générale d’une solution politique“. La Chine a toujours déterminé sa position en fonction des mérites de la question elle-même et continuera à
jouer un rôle constructif dans les affaires de la péninsule coréenne à sa manière.
En définitive, la Russie et la Chine avancent sur des voies indépendantes en ce qui concerne la Corée du Nord et la dynamique du pouvoir en Asie du Nord-Est. La
visite d’État de Poutine à Pyongyang a probablement fait apparaître cette ligne de faille dans le partenariat “sans limites” entre la Russie et la Chine, ce qui donne à
penser qu’il ne faut peut-être pas trop interpréter l'”alliance” Russie-RPDC une fois que la poussière sera
retombée.
Bien que les liens fraternels entre la Russie et la Corée du Nord remontent à l’époque où Joseph Staline soutenait l’indépendance de la Corée du Nord face à
l’occupation coloniale japonaise – on dit même que Kim Il-Sung, le fondateur de la Corée du Nord, occupait un poste dans l’Armée rouge – dans les circonstances actuelles, la Russie attache
une importance centrale à ses relations avec la Chine et ne précipitera pas une action unilatérale en Asie du Nord-Est susceptible d’avoir un impact sur les intérêts fondamentaux de
Pékin.
En fin de compte, le traité Russie-RPDC ne peut donc être considéré que comme une alliance de circonstance visant à riposter aux stratégies régionales des
États-Unis en Eurasie et en Asie du Nord-Est, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la forte détérioration des relations entre la Russie et les États-Unis, le Japon et la Corée du
Sud, qui se trouvent être également les bourreaux de la RPDC.
Cela dit, il ne faut pas se leurrer : le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un est le véritable vainqueur de cette affaire. Mais il l’a également mérité en
franchissant le Rubicon sur les champs de bataille de l’Ukraine, faisant preuve d’un niveau de solidarité avec la Russie qui n’est égalé par aucun des amis “éprouvés” de Moscou dans le Sud global.
M.K.
Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
«Nous avons besoin de brise-glaces» et de plus de partenariats stratégiques
«L’endiguement» par les États-Unis
du partenariat stratégique Russie-Chine s’effiloche déjà en temps réel.
Le forum de Saint-Pétersbourg a offert une multitude de sessions cruciales sur les corridors de connectivité. L’une des plus importantes portait sur
la Route
maritime du Nord (RMN) – ou, dans la terminologie chinoise, la Route de la Soie arctique : la future alternative numéro un au canal de Suez.
Avec la présence dans la salle des principaux acteurs industriels (Rosneft, Novatek, Norilsk Nickel, etc.), ainsi que des gouverneurs et des ministres,
le décor était planté pour un débat approfondi.
Igor Levitin, conseiller de Poutine, a donné le ton : pour faciliter le transport continu de conteneurs, le gouvernement fédéral doit investir dans les
ports maritimes et les brise-glaces ; une comparaison a été faite – en termes de défi technologique – avec la construction du chemin de fer transsibérien ; Levitin a également
souligné les possibilités d’expansion infinies pour les centres urbains tels que Mourmansk, Archangelsk et Vladivostok.
En outre, la RMN sera reliée à un autre corridor de connectivité transeurasien en plein essor : l’INSTC (Corridor de transport international nord-sud),
dont les principaux acteurs sont la Russie, l’Iran et l’Inde, membres des BRICS.
Alexey Chekunkov, ministre du Développement de l’Extrême-Orient et de l’Arctique, a inauguré une phase d’essai de la RMN, dont le coût est identique à
celui du transport ferroviaire, sans les goulets d’étranglement. Il a loué la RMN en tant que «service» et
a inventé la devise ultime : «Nous avons besoin
de brise-glaces». La Russie sera bien sûr le principal acteur de ce projet, qui bénéficiera à 2,5 millions de personnes vivant dans le Nord.
Sultan Sulayem, PDG de DP World, une entreprise de Dubaï spécialisée dans la logistique et les services maritimes, a confirmé que «les chaînes
d’approvisionnement actuelles ne sont plus fiables» et qu’elles sont inefficaces ; la RMN est «plus rapide, plus
fiable et moins cher». De Tokyo à Londres, le trajet est de 24 000 km ; via la RMN, il n’est que de 13 000 km.
Sulayem est catégorique : la RMN change la donne et «doit être mise en
œuvre maintenant».
Vladimir Panov, représentant spécial de Rosatom pour l’Arctique, a confirmé que l’Arctique est «un coffre à
trésor» et que la RMN «le
déverrouillera». Rosatom mettra en place toutes les infrastructures nécessaires «d’ici cinq ans
environ». Il a attribué la rapidité des développements au dialogue stratégique de haut niveau entre Poutine et Xi, complété par la création d’un groupe de travail
Russie-Chine.
Andrey Chibis, gouverneur de Mourmansk, a fait remarquer que ce port profond et essentiel pour la RMN – la principale plate-forme de conteneurs de
l’Arctique – «ne gèle
pas». Il a reconnu l’énormité des défis logistiques, mais en même temps, cela attirera beaucoup de travailleurs qualifiés, compte tenu de la qualité de vie élevée à
Mourmansk.
Un labyrinthe de corridors
interconnectés
La construction de la RMN peut en effet être interprétée comme une version accélérée du XXIe siècle de la construction du chemin de fer transsibérien à
la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans le cadre général de l’intégration eurasiatique, les interconnexions avec d’autres corridors seront infinies – de l’INSTC aux
projets de la BRI qui font partie des nouvelles routes de la soie chinoises, de l’Union économique eurasiatique (UEEA) et de l’ANASE.
Lors d’une session consacrée au Grand
Partenariat eurasiatique (GPE), le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexander Pankin, a fait l’éloge de ce concept d’Eurasie «sans lignes de
démarcation, unissant d’anciennes civilisations, des corridors de transport et un espace commun unifié de 5 milliards d’habitants».
Des liens inévitables ont été établis – du GPE à l’UEEA et à l’OCS, avec la prolifération du transport multimodal et des systèmes de paiement
alternatifs. Khan Sohail, secrétaire général adjoint de l’OCS, a fait remarquer qu’il y avait pratiquement «tous les jours de
nouvelles annonces de la part de la Chine» – un long chemin «depuis la
création de l’OCS il y a 21 ans», qui reposait alors exclusivement sur la sécurité. Des développements importants sont attendus lors du sommet de l’OCS qui se tiendra le mois
prochain à Astana.
Sergey Glazyev, ministre de la Macroéconomie à la Commission économique eurasiatique, qui fait partie de l’UEEA, a fait l’éloge de l’intégration
progressive de l’UEEA et de l’OCS et du développement rapide des transactions dans des paniers de monnaies nationales, ce qui «était
inconcevable il y a dix ans».
Il a admis que même si le GPE n’a pas encore été formalisé, les faits sur le terrain prouvent que l’Eurasie peut être autosuffisante. Le GPE n’en est
peut-être qu’au stade initial, mais il fait progresser rapidement le processus d’«harmonisation du
libre-échange».
Une autre session clé à Saint-Pétersbourg portait précisément sur le
lien entre l’UEEA et l’ANASE. Les 10 pays de l’ANASE forment déjà le quatrième plus grand bloc commercial au monde, avec 3,8 billions de dollars et 7,8 % du commerce mondial par
an. L’UEEA a déjà conclu un accord de libre-échange (ALE) avec le Vietnam et est en train d’en conclure un autre avec l’Indonésie.
Et puis il y a l’Asie du Nord-Est. Ce qui nous amène à la visite inédite du président Poutine en RPDC.
Un nouveau concept de sécurité en
Eurasie
Il s’agissait d’un voyage d’affaires épique. La Russie et la RPDC ont signé rien de moins qu’un nouvel Accord de Partenariat stratégique global.
Sur le plan commercial, cela permettra de renouveler le flux vers la Russie des armes de la RPDC – des obus d’artillerie à la balistique -, du minerai
magnétique, de l’industrie lourde et des machines-outils, ainsi que le va-et-vient d’une armée de spécialistes en technologies de l’information méga-compétents.
Kim Jong-un a qualifié l’accord de «pacifique»
et de «défensif».
Et bien plus encore : il deviendra «la force motrice
qui accélérera la création d’un nouveau monde multipolaire».
En ce qui concerne l’Asie du Nord-Est, l’accord n’est rien de moins qu’un changement total de paradigme.
Pour commencer, il s’agit de deux acteurs indépendants et souverains de la politique étrangère. Ils ne feront pas l’objet de chantage. Ils s’opposent
totalement aux sanctions en tant qu’outil hégémonique. En conséquence, ils viennent de décider qu’il n’y aurait plus de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU contre la RPDC
promulguées par les États-Unis.
La clause clé établissant une assistance mutuelle en cas d’agression étrangère contre la Russie ou la RPDC signifie, en pratique, l’établissement d’une
alliance militaro-politique – même si Moscou, prudemment, préfère dire qu’elle «n’exclut pas la
possibilité d’une coopération militaro-technique».
L’accord a complètement choqué l’Exceptionalistan car il s’agit d’un contre-pied brutal non seulement aux visées globales de l’OTAN mais aussi à
l’Hégémon lui-même qui, depuis des décennies, a mis en place une alliance militaro-politique globale avec le Japon et la Corée du Sud.
Traduction : à partir de maintenant, il n’y a plus d’hégémonie militaro-politique en Asie du Nord-Est – et dans l’ensemble de la région Asie-Pacifique.
Pékin en sera ravi. Voilà qui change la donne stratégique. Et ce, sans qu’une seule balle ne soit tirée.
Les répercussions seront immenses, car un concept plus large de «sécurité» s’appliquera désormais aussi bien à l’Europe qu’à l’Asie.
Bienvenue donc, en pratique, à l’homme d’État Poutine qui propose un nouveau concept intégré et global de sécurité eurasiatique (mes italiques). Il
n’est pas étonnant que l’Occident collectif souffrant de déficience mentale, soit stupéfait.
Gilbert Doctorow a observé à
juste titre que «Poutine considère
ce que l’OTAN est sur le point de faire à ses frontières occidentales comme l’acte d’agression même qui déclenchera le partenariat stratégique de la Russie avec la Corée du Nord et
présentera aux États-Unis une menace concrète pour ses bases militaires» en Corée, au Japon et dans l’ensemble de l’Asie-Pacifique.
Et peu importe que la réponse russe soit symétrique ou asymétrique. Le fait essentiel est que l’«endiguement» par les États-Unis du partenariat
stratégique Russie-Chine s’effiloche déjà en temps réel.
En termes favorables, à la manière de l’Eurasie, il s’agit maintenant de se concentrer sur les corridors de connectivité. C’est une histoire qui a
commencé lors des éditions précédentes du forum de Saint-Pétersbourg : comment relier la RPDC à l’Extrême-Orient russe et, au-delà, à la Sibérie et à l’Eurasie au sens large. Le
concept fondateur de la RPDC, le Juche («autosuffisance», «autonomie»), est sur le point d’entrer dans une nouvelle ère, parallèlement à la consolidation de la RMN dans
l’Arctique.
Tout le monde a en effet besoin de brise-glaces, et ce à plus d’un titre.
Les États-Unis ont déclenché une guerre intense contre la Russie, obligeant celle-ci à mettre en place un immense complexe militaro-industriel.
Aujourd’hui, ils se plaignent du fait que la Russie essaie d’en tirer profit.
Si vous, connards pédés, n’aviez pas forcé Poutine à se lancer dans une guerre aussi massive, il ne vendrait pas d’armes.
Et d’ailleurs, les homos : Ce ne sont pas vos affaires à qui la Russie vend des armes. La Russie et la RPDC sont deux pays que vous avez décidé de
jeter aux oubliettes. Vous n’avez plus aucun levier sur eux maintenant. Et vous, espèces d’enfoirés, vous n’avez pas le droit de dire à quelqu’un quoi faire.
Quand les gens ont vu les images de ces deux mâles alpha riant et blaguant alors qu’ils partaient faire une balade dans une voiture de luxe, tout le
monde se disait «eh bien, je suis
presque sûr que Poutine ne parle pas coréen…» Contrairement aux conneries loufoques selon lesquelles Kim est un «fou», il a un QI de génie et parle environ 10 langues, dont le
russe.
The
Guardian : La suggestion de Vladimir Poutine selon laquelle la Russie pourrait fournir des armes à la RPDC est «incroyablement
préoccupante», a déclaré un haut responsable américain, quelques jours après que Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un ont signé un accord de défense exigeant que leurs
pays fournissent une assistance militaire immédiate si l’un ou l’autre est attaqué.
Matthew Miller, porte-parole du département d’État américain, a déclaré que la fourniture d’armes russes à Pyongyang «déstabiliserait
bien sûr la péninsule coréenne et potentiellement… selon le type d’armes qu’ils fournissent… violerait les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU que la Russie elle-même a
soutenues».
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le ministère sud-coréen des Affaires étrangères ont déclaré que le traité entre la Russie et la RPDC
constituait une «menace
sérieuse» pour la paix et la stabilité dans la péninsule coréenne. Blinken a déclaré que les États-Unis envisageraient «diverses
mesures» en réponse à l’accord, qui a élevé les liens entre les États frappés par les sanctions à leur plus haut niveau depuis la guerre froide.
La Corée du Sud a convoqué l’ambassadeur de Russie pour protester contre l’accord avec la RPDC, alors que les tensions frontalières continuaient de
s’accentuer.
Séoul a également déclaré qu’il envisagerait de fournir des armes à l’Ukraine, déclenchant une réaction de colère de la part de l’ambassadeur de Russie,
Georgy Zinoviev, qui a déclaré que les tentatives de chantage et de menace contre la Russie étaient inacceptables, a rapporté l’agence de presse russe TASS.
Lors de sa rencontre avec Zinoviev vendredi, le vice-ministre sud-coréen des Affaires étrangères, Kim Hong-kyun, a condamné le traité et appelé la
Russie à mettre immédiatement un terme à sa coopération militaire avec la RPDC.
Les frictions concernant les livraisons d’armes aux deux parties en guerre en Ukraine se sont aggravées cette semaine, sur fond de spéculations selon
lesquelles Poutine et Kim auraient discuté de fournitures supplémentaires de missiles nord-coréens et de munitions destinées aux forces russes lors de leur rencontre à Pyongyang
mercredi.
Lors d’une visite d’État au Vietnam jeudi, Poutine a déclaré que des livraisons d’armes russes à la RPDC constitueraient une réponse appropriée à la
fourniture d’armes par l’Occident aux forces ukrainiennes.
Ouais, pas sans déconner.
«Ceux qui envoient
ces [missiles en Ukraine] pensent qu’ils ne nous combattent pas, mais j’ai dit, y compris à Pyongyang, que nous nous réservons ensuite le droit de fournir des armes à d’autres régions
du monde, au regard de nos accords» avec la RPDC, a déclaré Poutine. «Je n’exclus pas
cette possibilité».
Poutine, qui a rencontré Kim pour la deuxième fois en neuf mois, a également averti la Corée du Sud qu’elle commettrait une «grave
erreur» si elle décidait de fournir des armes à l’Ukraine.
«J’espère que cela
n’arrivera pas», a-t-il déclaré aux journalistes à Hanoï. «Si cela se
produit, nous prendrons alors des décisions pertinentes qui ne plairont probablement pas aux dirigeants actuels de la Corée du Sud».
Qu’est-ce que diable la «Corée du Sud» (la Corée occupée par les États-Unis) a à voir avec l’Ukraine ?
Les Coréens se disent : «Nous devrions
aider l’Ukraine à tenter de provoquer une guerre mondiale contre la Russie, car les valeurs de la démocratie sont les nôtres» ?
Cela montre simplement que ce sont les porcs de l’Amérique.
L’Amérique dit «sautez» et
les Coréens demandent alors : «à quelle hauteur
?»
«Assez haut pour
amener la Russie à fournir des armes ultra-sophistiquées au pays voisin avec lequel nous vous demandons de provoquer une guerre».
La Corée du Sud, un exportateur d’armes en pleine croissance doté d’une armée bien équipée soutenue par les États-Unis, a fourni une aide non létale et
d’autres types de soutien à l’Ukraine et s’est jointe aux sanctions américaines contre Moscou. Mais elle a depuis longtemps pour politique de ne pas fournir d’armes aux pays en
guerre.
Vendredi, Chang Ho-jin, conseiller à la sécurité nationale du président sud-coréen Yoon Suk Yeol, a déclaré que Séoul reconsidérerait sa position sur la
fourniture d’armes à l’Ukraine.
C’est vraiment bizarre pour un pays qui vend des armes à l’Ukraine et qui lui conseille de les utiliser pour attaquer l’intérieur de la Russie, et qui
reproche à Poutine de vendre des armes à Kim.
Imaginez si Poutine vendait des armes à Kim et lui disait «vous devriez les
utiliser pour attaquer la Corée du Sud et le Japon». Vous ne pouvez pas imaginer cela, car cela n’arriverait pas. Ces gens sont des adultes. Ils utilisent leurs armes de manière
défensive.
Les accords signés par les dirigeants russe et nord-coréen à l’issue de leurs cinq heures d’entretien en tête-à-tête et de leurs 90 minutes d’entretien
avec la participation de leurs délégations gouvernementales comportent de nombreux éléments. Il va sans dire que ces accords conséquents sur un «partenariat stratégique global» ne
sont pas le fruit d’une seule journée, mais d’un travail intense des deux parties à différents niveaux administratifs et exécutifs depuis la visite de Kim Jong-un dans
l’Extrême-Orient russe il y a neuf mois.
Permettez-moi d’aller droit au but et d’exposer ici le développement le plus surprenant qui est apparu dans le discours de Vladimir Poutine à la suite
des cérémonies de signature, comme indiqué dans le titre ci-dessus que je donne à cet essai.
Vladimir Poutine a fait remarquer que le partenariat comporte un volet militaire qui affirme que chaque partie viendra en aide à l’autre si elle est
attaquée. Puis, gratuitement pourrait-on dire, il a mentionné l’envoi imminent de F-16 par les pays de l’OTAN qui utiliseront le territoire ukrainien pour frapper au cœur de la
Fédération de Russie. La juxtaposition de ces deux points dans son discours ne laisse guère de doute à ceux d’entre nous qui ont une formation de soviétologue : Poutine considère ce
que l’OTAN est sur le point de faire à ses frontières occidentales comme l’acte d’agression même qui déclenchera le partenariat stratégique de la Russie avec la RPDC et présentera aux
États-Unis une menace vivante pour ses bases militaires en Corée, au Japon et dans l’ensemble de la région.
Que nous choisissions de considérer ce scénario comme une réponse «symétrique» ou «asymétrique» n’a rien à voir avec la question. Le résultat net sera
certainement aussi efficace pour réveiller les abrutis de Washington, D.C., de Bruxelles, de Londres et de Berlin sur le fait que la Russie est sérieuse, qu’elle ne bluffe pas et
qu’elle peut provoquer des destructions massives sur les actifs militaires américains et occidentaux à tout moment de son choix en cas de nouvelle escalade de la guerre en
Ukraine.
Lors du récent Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Poutine s’est opposé au politologue Sergei Karaganov qui, depuis plus d’un an,
demande à la Russie d’organiser une frappe nucléaire tactique en Europe afin de secouer l’Occident plein d’orgueil qui croit bêtement à son invulnérabilité et à son exceptionnalisme.
Il semblerait qu’aujourd’hui, d’un trait de plume, Vladimir Vladimirovitch ait accompli la même chose sans perte de vie et sans ouvrir la boîte de Pandore des armes nucléaires.
Les voyages de Poutine en Asie de l’Est ne s’arrêtent pas aujourd’hui. Au contraire, il se rendra ensuite au Vietnam, où nous pouvons nous attendre à de
nouveaux accords qui équivaudront à un échec et mat de la manœuvre de Messieurs Biden, Sullivan et Blinken concernant l’AUKUS et la Corée du Sud et le Japon. Ils pensaient avoir si
bien réussi à «contenir» la Chine et la Russie au cours de leur premier mandat. Il semblerait maintenant que ces vastes efforts de cajolerie, de chantage et de domination des «alliés»
des États-Unis dans le Pacifique n’aient créé qu’une version actualisée de la ligne Maginot qui n’a pas survécu à une manœuvre de contournement allemande.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, remercions notre bonne étoile qu’en cette époque de pygmées et de lâches à la tête des États d’Europe et d’Amérique du
Nord, il y ait au moins un dirigeant rationnel et courageux pour sauver la situation.
Vladimir Poutine se rend au Vietnam juste après la RPDC… pourquoi ? Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi aller si loin au sud après une visite aussi
importante chez un voisin direct ?
J’ai déjà parlé des énormes changements que le nouveau traité de sécurité avec Pyongyang indique (Treaty
text of Russia-DPRK agreement), donc aujourd’hui je veux discuter de l’autre événement qui est un peu plus difficile à interpréter, la relation entre la Russie et le Vietnam. Ou
en général, la politique étrangère vietnamienne dans le nouveau monde multipolaire.
Pour m’aider dans cette tâche, j’ai le grand plaisir de parler à un collègue vietnamien du monde académique, le Dr. Nguyen Khac Giang. Le Dr. Nguyen est
chercheur invité à l’Institut Yusof Ishak de Singapour. Il a travaillé comme journaliste à Hanoï et a obtenu son doctorat en sciences politiques à l’Université Victoria de Wellington,
en Nouvelle-Zélande. Le Dr. Nguyen a également récemment publié un essai très perspicace dans un livre sur la neutralité post-1989, dans lequel j’ai aussi un chapitre. Son essai porte
le beau titre «Bamboo in the
Wind : Vietnam’s Quest for Neutrality». Il n’y a pas de meilleur moment pour discuter de cela maintenant, car il semble y avoir beaucoup de vent.
Au cours du week-end, Sputnik a
rapporté que la Russie avait approuvé un accord sur les déploiements militaires conjoints (JMD) avec l’Inde, qui est essentiellement l’accord d’«échange réciproque de logistique»
(RELOS) négocié ces dernières années. Ce pacte permettra à chacune des deux forces armées d’utiliser plus facilement les installations de l’autre, ouvrant ainsi la possibilité de
visites plus régulières de leurs marines respectives et donnant une dimension militaire symbolique au corridor maritime oriental entre Chabahar et Vladivostok.
Le moment choisi n’est pas non plus une coïncidence, puisqu’il suit immédiatement le pacte de défense mutuelle entre la Russie et la RPDC et la
réaffirmation par la Russie et le Viêt Nam de la force de leur partenariat stratégique, avec l’engagement de ne conclure aucun accord avec quiconque pourrait constituer une menace
pour les intérêts de l’autre. Ces deux alliances, la première formelle et la seconde officieuse, sont maintenant suivies par le pacte JMD de la Russie avec l’Inde, complétant ainsi le
nouveau recalibrage de sa stratégie asiatique.
Jusqu’à présent, les ennemis et les amis du pays avaient supposé que la Russie «pivotait» vers la Chine, insinuant qu’elle favoriserait les intérêts de
Pékin plutôt que d’autres. Si tel avait été le cas, il aurait pu y avoir des pressions conjointes sur la RPDC pour la punir de ses essais de missiles, des exercices navals conjoints
dans la partie de la mer de Chine orientale et méridionale revendiquée par la Chine et une réduction des effectifs avec l’Inde pour donner à la Chine un avantage dans les conflits de
l’Himalaya.
Au lieu de cela, la Russie a forgé une alliance militaire formelle avec la RPDC, a confirmé qu’elle ne ferait jamais rien qui puisse menacer les
intérêts du Viêt Nam (ce qui implique qu’elle ne revendiquera jamais la partie du territoire maritime disputée par la Chine) et a conclu la JMD avec l’Inde. La faction pro-IRB de la
communauté des experts et des politiques russes n’est probablement pas satisfaite de ces résultats, car ils renforcent la main de leurs «rivaux amis» équilibrés et
pragmatiques.
Pour expliquer cela, les premiers pensent qu’un retour à la bipolarité sino-américaine est inévitable, et que la Russie devrait donc accélérer la
trajectoire de la superpuissance chinoise pour se venger des États-Unis de tout ce qu’ils ont fait depuis 2022.
La seconde, en revanche, souhaite maintenir le rôle d’équilibre de la Russie afin d’éviter une dépendance disproportionnée vis-à-vis de la République
populaire, estimant qu’il est encore possible de contribuer à un multipolarisme complexe au cours de la transition systémique mondiale au lieu de revenir à un bipolarisme.
Quant aux trois derniers développements stratégico-militaires, leur effet cumulatif est de signaler que la Russie ne deviendra jamais le «partenaire
junior» de la Chine, comme la faction pro-IRB insinue qu’elle devrait le faire «pour le bien commun», et ils servent également à compliquer les questions géopolitiques régionales pour
la République populaire. Les États-Unis pourraient renforcer leur présence militaire en Asie du Nord-Est après le pacte de la RPDC avec la Russie, tandis que le Viêt Nam et l’Inde
continueront d’affirmer avec confiance leurs revendications territoriales respectives à l’encontre de la Chine.
Alors que la première conséquence pourrait pousser la Chine dans une spirale de rivalité avec les États-Unis, qui pourrait être exploitée par la Russie
et la Corée du Nord pour obtenir un soutien plus important contre l’ennemi commun, la seconde renforce la position potentielle de Moscou en tant que médiateur entre les deux pays et
Pékin. Le premier est donc une variante du bipolarisme sino-américain, avec toutefois une plus grande autonomie stratégique pour la Russie et la Corée du Nord, tandis que le second
maintient les tendances complexes du multipolarisme.
Dans l’ensemble, ces mesures peuvent être interprétées comme un «jeu de pouvoir» de la part de la faction équilibrée/pragmatique de la Russie contre ses
«rivaux amicaux» favorables à l’IRB, qui ont connu une embellie au cours de l’année écoulée, mais qui sont maintenant de nouveau sur la pente descendante comme auparavant. Le
partenariat stratégique entre la Russie et la Chine reste intact et continue d’avoir un impact positif sur le monde, mais la Russie est désormais beaucoup moins susceptible de devenir
le «partenaire junior» de la Chine qu’auparavant et de la favoriser par rapport à la Corée du Nord, au Viêt Nam et à l’Inde.