Ukraine : Une guerre non provoquée, vraiment ? (partie 1)
Source : Stratpol - Par Jean-Pierre Bensimon - Le 19/03/2023.
Pourquoi Joe Biden avait-il tellement besoin d’une guerre en Europe centrale ? Voila une question incongrue.
Dans la guerre d’Ukraine, il y a un agresseur et un agressé.
C’est la formule imprimée dans l’écrasante majorité des cerveaux sur les deux rives de l’Atlantique nord.
L’image des troupes russes pénétrant en Ukraine le 24 février 2022, par le Nord, le Sud et l’Est, en fait une vérité irréfutable. C’est aussi l’argument principal
qui légitime, coté occidental, de répondre à cette « invasion injustifiée et non-provoquée » par des sanctions inédites, par la mise au ban des nations, et demain par
« une défaite stratégique ».
L’opération militaire russe a-t-elle surgi du néant ou a-t-elle un passé ? Était-elle vraiment non provoquée ? Tout est là. Quand on pense la
guerre en cours, il suffit d’ouvrir le champ de la lunette pour que le tableau se complique et que la pensée binaire peine à rendre la réalité. Or, comprendre l’engrenage qui a mené en un an
d’escalade au seuil d’un face à face direct entre les puissances nucléaires majeures de l’époque impose d’aller au-delà des écrans de fumée de la communication de guerre.
C’est pourquoi il faut identifier objectivement les motifs et les attentes des principaux protagonistes que sont la Russie et les États-Unis, à partir des
invariants de leur doctrine stratégique.
Comment les Russes expliquent-ils leur opération militaire spéciale ?
Parmi les « lignes rouges » et les mises en garde du régime russe à l’endroit des Occidentaux, on retient quatre motifs susceptibles de pousser les Russes
à entrer en Ukraine le 24 février 2022 :
1) D’abord, Moscou avance le motif d’assistance aux populations des républiques de Donetsk et de Lougansk visées par une offensive imminente. Ce fût pour eux
l’urgence principale. L’armée de Kiev est alors concentrée dans le Donbass depuis des semaines. Dès le 15 février ses
bombardements de plus en plus intenses sont dûment enregistrés par l’OSCE. Il y a sur place des unités d’infanterie, de blindés, d’artillerie et de génie prêtes au combat. Deux offensives du
même genre, impliquant aviation, chars, et infanterie, avaient été lancées par le régime en 2014 et au début de 2015. En février 2022, la suite naturelle de l’écrasement des deux républiques
serait suivie par la conquête de la Crimée, porte d’entrée de la Russie dans les mers chaudes, annexée en 2014.
2) A partir de là, Kiev substitue une opération militaire à la solution coopérative de Minsk (2014/2015). Le règlement négocié entre les autonomistes et le
gouvernement sous le nom d’accords de Minsk a été ratifié par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Il stipule que des éléments d’autonomie culturelle et linguistique seront accordés aux populations
du Donbass, au sein de l’Ukraine, moyennant une réforme de la constitution ukrainienne. Tout vient d’une loi adoptée par la Rada le lendemain du coup de Maïdan de février 2014, proscrivant
l’usage du russe dans l’administration et l’enseignement.
Ainsi les autonomistes russophones auraient leur place en Ukraine, préservant l’unité politique et territoriale du pays. Les parties signataires de l’accord étaient
les autonomistes et le gouvernement de Kiev ; la Russie, la France et l’Allemagne en étant les garants. Comme l’ont déclaré publiquement, Mme
Merkel, M.
Hollande, le président ukrainien de l’époque Petro
Porochenko et l’actuel Volodimir
Zelensky, pour les Occidentaux comme pour Kiev, il n’a jamais été question d’appliquer ces textes pourtant exécutoires après leur validation par l’ONU. La négociation de Minsk avait en fait
servi à bloquer l’offensive victorieuse des autonomistes en 2015 et à donner du temps à Kiev pour préparer une armée en mesure de régler par les armes le problème du Donbass.
Mi-février 2022, une fois la dernière offensive ukrainienne déclenchée, la Russie a beaucoup hésité avant de décider que cette fois, elle ne pouvait pas ne pas
intervenir militairement pour protéger les Russes de souche et sauvegarder son contrôle sur la Crimée. La solution juridique consista à reconnaitre l’indépendance des deux républiques et de
passer avec elles un traité d’assistance justifiant l’intervention russe.
3) Le troisième motif de l’entrée en guerre des forces russes est le refus catégorique de Moscou de voir s’installer un État hostile membre de l’OTAN –
l’Ukraine – à sa frontière la plus sensible. Cet État pourrait, comme en Roumanie et en Pologne, abriter des bases américaines de missiles capables de frapper Moscou en quelques minutes. En
effet, Washington a déjà implanté en Roumanie et en Pologne, dans le cadre de l’OTAN, des systèmes mixtes de missiles anti-missiles et de missiles de croisière possiblement nucléaires (Aegis
Ashore sur lanceurs Mk 41). Ces engins mettraient actuellement une trentaine de minutes pour frapper Moscou et l’arsenal stratégique russe. Implantés à Kharkov, sur des lanceurs hypersoniques, le
délai serait réduit à 5 à 7 minutes. Moscou n’aurait pas le temps de distinguer entre missiles anti-missiles et missiles de croisière nucléaires. Tous les mécanismes de la dissuasion seraient
alors annulés, ne laissant pas aux Russes d’autre choix que la contre-frappe nucléaire. Par ailleurs les missiles de « décapitation » américains dédiés aux cibles humaines, les
États-majors politiques et militaires, devraient figurer dans la panoplie déployée sur les bases otaniennes, accroissant encore la vulnérabilité de la Russie.
4) C’est pour cela qu’elle a tant réclamé à la nouvelle administration Biden, dès son installation, la négociation d’un accord global sur l’architecture de
sécurité européenne. Il fallait combler les failles béantes du dispositif actuel. Biden leur a systématiquement opposé des refus ou des réponses dilatoires. Le 17 décembre 2021, les Russes ont
proposé non plus une conférence mais deux
traités dûment rédigés pour ouvrir enfin le débat. Ils ont été écartés d’un coup de plumeau fin-janvier.
Dans le tableau de l’immédiat avant-guerre, il faut aussi prendre en compte les facteurs psychologiques. Selon l’historienne Annie Lacroix-Riz, l’Ukraine représente
pour les Russes, ce qu’est non pas l’Alsace-Lorraine mais l’Île-de-France pour les Français. La voir devenir un pays radicalement hostile et le tremplin d’une agression possible était pour eux
intolérable, et cela a sans doute contribué indirectement à convaincre Poutine de franchir le Rubicon.
L’extension de l’OTAN n’était pas en soi un motif de guerre pour le Kremlin. Les Russes distinguent dans ce qui fut le glacis de l’union soviétique, les anciens
pays du Pacte de Varsovie et les pays issus de l’explosion de l’Union soviétique en 1991, plus proches d’eux. Et parmi ces ex-membres de l’Union soviétique, ils sont particulièrement attentifs
aux politiques des pays ayant fait partie de l’ex-empire tsariste, entrés dans l’Union dès le début des années 20, qui se sont séparés en 1991. Ce sont l’Ukraine, le Belarus et la Géorgie, les
tampons stratégiques de l’ouest et du sud-ouest du pays. Pour la Russie, l’entrée de la Roumanie ou de la Pologne dans l’OTAN est une chose, celle de l’Ukraine ou de la Géorgie en est une
autre.
La volonté américaine d’intégrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN dès 2008 était donc vécue comme très hautement provocatrice ; les Américains le savaient
parfaitement. les Français et les Allemands aussi, et c’est pour cela que Merkel et Sarkozy avaient obtenu à ce moment-là de retarder leur adhésion.
La question de la sécurité européenne et celle des missiles anti-missiles ne pouvait se traiter aux yeux du Kremlin autrement que par des négociations. Mais le
refus net de la nouvelle administration américaine créait un climat de tension extrêmement élevé. Du point de vue russe, les choses ne pouvaient en rester là. D’autant que depuis 2001 les
États-Unis se retiraient des principaux traités internationaux de limitation des armements ABM, Open Skies, INF, portant sur les missiles, les anti-missiles et les têtes nucléaires.
L’architecture du désarmement élaboré progressivement dès 1968, était démantelée. Seul demeurait valide jusqu’en 2026 le traité New Start. Il a été suspendu par la Russie le 21 février 2023 car
les États-Unis demandaient à inspecter l’arsenal nucléaire russe (conformément aux termes du traité) sauf qu’ils avaient eux-mêmes précédemment refusé à la Russie une inspection de même
nature.
Par ailleurs, il ne faut pas considérer que « la
démilitarisation et la dénazification » de l’Ukraine, présentées comme un objectif important coté russe, soient la cause de l’intervention russe. Ce sont davantage des
objectifs donnés à une intervention décidée pour des motifs autres, visant à mettre un terme définitif à l’hostilité des gouvernements de Kiev.
En fin de compte, au cœur de la décision russe d’intervention, il y avait l’impératif de préserver l’existence des républiques autonomistes et de prévenir une
catastrophe humanitaire. Le canon était en train de tonner, cela ne pouvait pas attendre. Pour Poutine, tout le reste du contentieux devait viser le compromis et rester dans la sphère de la
diplomatie.
Les véritables obsessions de Poutine étaient d’ordre intérieur : la natalité en Russie, la modernisation accélérée du pays, son intégration dans le marché mondial,
et sa sécurité. La réussite de son programme était conditionnée par le maintien de la paix. Personne n’a jamais apporté des preuves de sa supposée volonté d’expansion impériale. Ce qui ne
signifiait pas l’immobilisme. Les péripéties de la vie internationale imposent à un acteur influent de jouer un rôle dans les conflits en cours, en particulier dans son voisinage, en Syrie
ou en Libye, dont Washington s’acharnait à changer les régimes. Cela signifie défendre des intérêts et non pas conquérir ou annexer. Depuis 2007, la Russie a refusé clairement de s’aligner sur
Washington et elle a essuyé en retour pressions, vexations et provocations. Exprimer une volonté indépendante n’est considéré comme impérialiste que par les Etats-Unis qui ne souffrent pas la
contestation de leur hégémonie.
Il faut comprendre pourquoi le degré d’antagonisme américano-russe s’est régulièrement élevé à partir de cette date, au point de déboucher sur le très périlleux
face à face actuel.
Comment les Américains perçoivent l’essor de la Russie et leur rôle en Eurasie
L’argumentaire officiel qui justifie l’implication des États-Unis dans la guerre d’Ukraine peut se résumer en quelques points :
La solidarité des États-Unis doit aller au petit État soumis à une agression « injustifiée et non provoquée », qui bafoue ses droits souverains
inscrits dans la Charte des Nations Unies ;
Si on laissait la Russie régler militairement ses différends avec ses voisins, la sécurité de toute l’Europe serait compromise par les ambitions de Poutine, qui
rêve de restaurer l’ancienne l’Union soviétique ou l’empire tsariste du 19ème siècle ;
Laisser impunie l’agression russe compromettrait « l’ordre international libéral fondé sur des règles », aujourd’hui garanti par le leadership actif
des États-Unis au service du monde libéral. L’époque actuelle serait caractérisée par un affrontement entre « démocraties et autocraties », la capitulation des démocraties en
Ukraine étant hors de question.
Les deux premières explications américaines sont exclusivement polémiques. L’ambition impériale actuelle de la Russie est un mythe, ses options politiques et
diplomatiques prudentes, comme les évaluations des renseignements, en attestent. Elle n’a ni l’intention ni les moyens de s’attaquer aux pays européens mais l’ambition de multiplier avec eux les
échanges, les investissements et les projets de toute nature. Tous le savent.
Par ailleurs investir dans la guerre d’Ukraine près de 150 milliards de $ en un an, et prendre le risque d’une guerre contre la Russie, ne peut pas avoir pour seul
motif la protection de l’intégrité d’un pays d’importance stratégique secondaire pour les Etats-Unis. Le prétendre est une fable.
L’Amérique n’a pas la religion de la paix, loin de là. Elle est n’est restée en paix que 20 ans en 240 ans d’existence. Elle a mordu à pleine dents dans la chair
des « petits », Panama, La Grenade, Saint Domingue, Cuba, le Guatemala … la liste est longue… jusqu’à la
déposition du président Pedro Castillo au Pérou en décembre dernier.
Pour remettre la réalité des calculs américains sur ses pieds, on citera Barack Obama, qui s’exprimait en 2016 dans une
interview bilan de ses deux mandats pour The Atlantic « S’il
y a quelqu’un dans cette ville qui prétend que nous envisagerions d’entrer en guerre avec la Russie pour la Crimée et l’Ukraine orientale, il devrait s’exprimer et être très clair à ce
sujet. »
Obama veut dire que seul un original pourrait avoir l’idée saugrenue d’un tel conflit. Et peut-être aussi que son second dans la hiérarchie de la Maison Blanche, en
charge du dossier de l’Ukraine, Joseph Robinette Biden, est un homme dangereux.
On accuse Poutine d’agressivité à cause de son intervention militaire contre le président géorgien Saakachvili en 2008. Mais il réagissait à son
initiative de bombarder l’Ossétie du Sud faisant plusieurs milliers de morts. Déjà la Russie réagissait à une guerre contre des populations russophones à sa frontière. Accusé de
passivité, Obama répondait :
« Poutine
est allé en Géorgie sous le regard de Bush, en plein milieu de la période où nous avions plus de 100.000 soldats déployés en Irak. » Il trouve peut-être ridicule que l’on joue
au bon Samaritain avec un couteau entre les dents, ou qu’il n’est pas habile de guerroyer sur deux fronts en même temps. En tout état de cause, l’Amérique, avec ses 800 bases militaires à
l’étranger son budget de défense himalayen, est mal placée pour donner de leçons de pacifisme, que ce soit en l’Ukraine ou ailleurs.
Par contre, la troisième explication de l’implication des États-Unis dans le conflit d’Ukraine, comme défenseur de « l’ordre international libéral fondé sur
des règles », renvoie à une doctrine dominante depuis Reagan au sein des élites du pouvoir. Replacée dans la conjoncture stratégique du mandat de Joe Biden, elle donne une interprétation
plus plausible des risques que prend actuellement la Maison Blanche en Europe centrale.
1) La vision stratégique américaine en politique extérieure
La perception de l’Amérique sur sa place dans le monde après l’effondrement de l’Union soviétique a été présentée de façon synthétique en 1997 par Zbigniew
Brzezinski dans son fameux « Le Grand Échiquier ».
Pour l’Amérique dit-il, « l’enjeu
principal est l’Eurasie. Et pour la première fois, c’est une puissance extérieure [l’Amérique] qui prévaut en Eurasie… cette situation n’aura qu’un temps. Mais de sa durée et de son issue
dépendent non seulement le bien être des États-Unis mais la paix dans le monde. » Brzezinski recommande donc de refuser aussi bien « le repli intérieur » que
« l’apparition d’un rival ». D’autant que l’hégémonie américaine est superficielle. « Elle
s’exerce par de multiples mécanismes d’influence, mais à la différence des empires du passé, pas par le contrôle direct. »
On peut résumer à partir de ces minces extraits le solide consensus des élites du pouvoir américaines :
Perpétuer la domination des États-Unis sur l’Eurasie, donc sur la planète, est le but supérieur de la politique étrangère américaine ;
Prévenir activement l’émergence d’un rival, c’est-à-dire d’une puissance concurrente (on pense à la Russie et à la Chine) ;
Maintenir, sinon renforcer, la force d’influence américaine sur l’Eurasie, clé de la pérennité du monde unipolaire.
Brzezinski plaide ici pour que les Etats-Unis demeurent le pôle de puissance unique qu’ils sont devenus depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Ce courant est
ultra-majoritaire au sein des élites US.
Face à lui, il n’y a que de rares conservateurs authentiques, obsédés par les risques de l’État-Léviathan et le niveau de la fiscalité. Ils n’aiment pas les
dépenses militaires, terreau de l’impôt, ni les interventions extérieures qui s’achèvent en « guerres éternelles ». America first.
Pour les hégémonistes, le devoir c’est de tenir à l’œil les rivaux qui pointent l’oreille, la Chine, la Russie, mais aussi l’Allemagne dont les performances
industrielles donnent des maux de tête à la Maison Blanche. Ils savent qu’il leur faut en priorité maintenir voire développer l’influence/emprise sur leurs points d’appui : les Européen à l’ouest
de l’Eurasie et à l’autre extrémité, les alliés de longue date dans l’aire indo-pacifique (Taïwan, Japon, Australie, Corée du Sud, Philippines).
Sur les modalités de l’hégémonie (diplomatie, économie, guerre), les opinions divergent. Paul Wolfowitz, icone du néoconservatisme et architecte de la guerre en
Irak de 2003, insistera sur l’élimination des rivaux potentiels avant qu’ils ne soient trop forts, sans exclure la guerre préventive. Aujourd’hui, Robert Kagan, l’un des auteurs
vivants les plus prolifiques de ce courant, théorise cette option sans mettre de gants.
A travers une interprétation personnelle de l’histoire des États-Unis des deux derniers siècles, Kagan développe
la dualité entre « les
guerres nécessaires » et « les
guerres choisies ». La guerre nécessaire est la guerre pour la survie ; elle se situe au niveau des besoins primaires, quand un agresseur risque de conquérir le territoire
national et de détruire les institutions en place. Pour lui, l’Amérique n’a jamais mené de « guerre nécessaire. » Même après Pearl Harbor les Japonais n’étaient pas une menace car ils
n’imaginaient pas envahir l’Amérique, pas plus que Hitler malgré sa déclaration de guerre. Les États-Unis ont donc toujours fait des « guerres choisies » c’est-à-dire les guerres qu’ils
ont voulu mener, sans avoir à traiter une menace directe pour leur existence. S’ils ont combattu, c’est pour façonner l’ordre international au gré de leurs intérêts et de leur hégémonie. D’où
leur conviction d’être les seuls garants de l’ordre international libéral dans le monde.
Mieux, les États-Unis ont poussé leurs adversaires à déclencher des guerres qu’ils souhaitaient. Kagan est très clair : « [Les Américains] oublient
les politiques américaines qui ont conduit les Japonais à attaquer Pearl Harbor et qui ont amené Hitler à déclarer la guerre ». La charge est inversée. C’est l’Amérique qui
veut la guerre mais elle charge l’ennemi de la déclencher et d’en subir l’opprobre.
Cependant Kagan est mécontent des décisions des gouvernements de son pays. Il leur reproche d’avoir toujours trop attendu avant d’intervenir militairement, et
d’avoir permis à leurs ennemis de prendre des forces et de s’affirmer alors qu’il eut été plus facile et moins couteux de s’en débarrasser au tout début de leur ascension. Sparte aurait dû
attaquer Athènes bien plus tôt. Désormais,
« …la
question est de savoir si les États-Unis continueront à commettre leurs propres erreurs ou s’ils apprendront, une fois de plus, qu’il vaut mieux contenir les autocraties agressives à un stade
précoce, avant qu’elles n’aient pris de l’ampleur et que le prix à payer pour les arrêter augmente. »
C’est là que se situe une divergence capitale entre les théoriciens hégémonistes de la politique internationale américaine. Ils se divisent entre « réalistes »
et « interventionnistes » ou néoconservateurs. Les réalistes, aussi sensibles que les interventionnistes aux intérêts unipolaires des États-Unis, sont plus prudents. Ils mettent en
garde contre les inconvénients des interventions extérieures en série ; elles sont très couteuses et il faut dépenser l’aide aux pays frappés. Elles peuvent générer des conflits en cascade, et
leur parfum impérialiste entache l’image de l’Amérique. Finalement, les États-Unis ont une capacité d’intervention qui a ses limites. En témoignent les « guerres éternelles » en
Afghanistan, en Irak, au Yémen, qui sont le legs amer des néocons.
De ce fait, des réalistes peu amènes envers la Russie comme Barack Obama, ont toujours mis en garde contre l’intervention des États-Unis en Ukraine. Ils soulignent
que ce sujet est hyper sensible pour les Russes qui n’hésiteront pas à faire la guerre, avec de grands risque pour les États-Unis. C’est leur avertissement solennel, de Georges Kennan à Henry
Kissinger, à Zbigniew Brzezinsky lui-même, et aux plus grandes figures de la guerre froide contre l’Union soviétique. C’est aujourd’hui la mise en garde de John
Mearsheimer entre autres, et mezzo voce de l’armée via son chef d’état-major général, Mark
Milley, sans oublier la Rand
Corporation, le think
tank du Département d’État.
Mais aujourd’hui, pour les interventionnistes bien représentés par Robert Kagan, foin de l’équilibre des forces, foin des conférences diplomatiques, foin de quatre
siècles d’influence des Russes. Dans le cas de l’Ukraine, on
a trop attendu. « [les Américains] se
sont à nouveau mobilisés pour défendre le monde libéral. Il aurait été préférable qu’ils le soient plus tôt. Poutine a passé des années à sonder ce que les Américains toléreraient, d’abord en
Géorgie en 2008, puis en Crimée en 2014, tout en renforçant sa capacité militaire (pas bien, comme il s’avère). La réaction prudente des Américains à ces deux opérations militaires, ainsi qu’aux
actions militaires russes en Syrie, l’a convaincu d’aller de l’avant. Sommes-nous mieux lotis aujourd’hui pour ne pas avoir pris les risques à l’époque ? »
Biden a parfaitement entendu le son de cloche des néoconservateurs qui imprègnent la politique étrangère de son administration, comme la féroce Victoria Nuland.
Il n’hésitera pas, en tant que première puissance navale, à engager un face à face pour l’instant conventionnel avec la plus grande puissance terrestre, sur son terrain. Si Biden prend en
connaissance de cause ces grands risques dont il n’ignore rien, c’est qu’il a des ambitions qui dépassent le face à face russo-américain. Entre les schémas théoriques et la réalité concrète,
entre la doctrine et la vraie guerre, celle qui est en cours, il y a un gouffre. Si Biden a franchi ce gouffre, c’est que autres facteurs sont intervenus dans sa décision de recourir aux
armes.
2) Les chemins de la puissance allemande et l’achèvement de Nord Sream 2
Dans la logique de Brzezinski, la domination américaine sur l’Eurasie a pour condition première son emprise sur ses alliés à l’ouest et à l’est du continent,
l’Amérique se situant géographiquement à l’extérieur. Or en septembre 2021, une nouvelle attendue avait traumatisé les experts de politique étrangère : le
pipeline Nord Stream 2 était achevé et il était en attente de certification par les autorités allemandes. Pendant une décennie les Américains avaient tout essayé pour faire capoter
ce projet. Intimidation, procès, pressions diplomatiques maximales, attaque des bateaux usines qui posaient les tuyaux. Il fallut toute l’obstination et l’habileté d’Angela Merkel pour le mener
quand même à bon port.
Seymour Hersh raconte comment il
allait être accueilli : « L’opposition
au Nord Stream 2 s’est enflammée à la veille de l’investiture de Biden en janvier 2021, lorsque les républicains du Sénat, menés par Ted Cruz du Texas, ont soulevé à plusieurs reprises la menace
politique du gaz naturel russe bon marché lors de l’audition de confirmation de Blinken comme secrétaire d’État. À ce moment-là, un Sénat unifié avait réussi à faire passer une loi qui, comme
Cruz l’a dit à Blinken, “a stoppé [le gazoduc] dans son élan. »
Pourquoi ce pipeline enrageait-il autant le pouvoir américain ? Parce qu’il donnait à l’Allemagne l’opportunité de consolider une relation mutuellement très
fructueuse avec la Russie. La puissante économie germanique pouvait ainsi compter sur des sources inépuisables d’énergie à des prix inférieurs au marché. Un cercle vertueux d’activité
économique et de productivité était enclenché entre les deux colosses européens, faisant redouter Outre-Atlantique une concurrente coriace sur les marchés mondiaux. Et les velléités
d’indépendance d’une Allemagne en pleine ascension envers son traditionnel parrain politique. Les aspérités de la politique allemande de Washington avaient été clairement exposées par Georges Friedman, un expert en stratégie très proche de la
CIA : « l’intérêt
primordial des États-Unis pour lequel nous avons fait des guerres pendant des siècles, lors de la première, la deuxième et la guerre froide a été la relation entre l’Allemagne et la Russie, parce
qu’unis ils représentent la seule force qui pourrait nous menacer. Et nous devons nous assurer que cela n’arrivera pas.» G. Friedman “… c’est
cynique, immoral, mais ça marche“.
L’inquiétude américaine était renforcée par le tour que prenait la relation Allemagne-Chine. Si le modèle allemand trouvait ses ressources primaires en Russie, la
dynamique de sa croissance était assurée par la demande chinoise. Là encore un cercle vertueux Allemagne-Chine, mutuellement bénéfique, fonctionnait à plein.
Les États-Unis étaient en train d’assister à un scénario cauchemardesque. L’Allemagne devenait un géant économique qui n’allait pas tarder à taper du poing dans les
affaires internationales. Pire encore, par ses liens économiques et technologiques avec la Russie et la Chine, elle favorisait la montée en puissance de deux entités politiquement
adverses. Ce
n’était pas un rival stratégique de l’Amérique qui étaient en train d’émerger mais trois. La dynamique allemande, par son impact sur la Russie et sur la Chine, accélérait le processus de
marginalisation relative de l’Amérique et minorait la force des anciennes relations d’influence qui avaient assis sa domination sur l’Eurasie.
Dans cette nouvelle configuration, il est impossible de programmer l’élimination successive des trois rivaux potentiels car leur dangerosité réside dans les
rapports qui les lient entre eux. L’Amérique est face à un système unique, à trois têtes, mais dont l’Allemagne occupe le centre. La doctrine stratégique américaine commandait de disloquer ce
système, donc de couper d’une façon ou d’une autre le bras russe et le bras chinois de l’Allemagne. Comment faire autrement pour paralyser le système à trois et, en même temps, contenir
préventivement l’ascension de la Russie et de la Chine vers le statut de puissances autonomes, susceptibles de mettre en échec l’imperium américain
dans les affaires du monde.
Le programme est copieux. Il faut reconfigurer des liens structurels établis au sein de l’Eurasie, en train de coaguler des savoirs, des ressources et des activités
qui marginaliseront à terme l’actuel hégémon.
Il n’y a pas d’autre voie aux yeux des néocons au pouvoir pour pérenniser le monde unipolaire hérité du krach soviétique de 1991.
C’est bien ce que dit la doctrine, mais elle ne donne ni calendrier ni mode d’emploi. C’est là que les équipes réunies autour de Joe Biden vont faire preuve de
créativité tout en s’appuyant sur de nombreux scénarios et jeux de guerres élaborés par les experts du deep
state, pendant le mandat ennuyeux de ce Trump qui ne voulait pas embourber son pays dans de nouveaux conflits.
3) Le choix du moment d’agir
Le choix du moment d’une guerre désirée mêle la détermination des hommes au pouvoir à l’aléa des circonstances.
Au premier rang, la personnalité de Joe Biden puisqu’il exerce le pouvoir et qu’il a autorisé dès son entrée à la Maison Blanche la séquence de décisions planifiées
qui placent l’Amérique au centre de la guerre en cours. C’est un homme qui a consacré sa vie à la politique, et s’il est sujet à des pertes d’équilibre et des trous de mémoire, rien n’autorise à
sous-estimer son expérience, sa détermination et sa vista.
Ni à l’absoudre de son népotisme, de sa fourberie, et de sa vision du monde marquée par la cécité et la violence.
Biden a été le responsable du dossier de l’Ukraine comme vice-président. On ne peut pas lui reprocher de manquer de cohérence dans ses choix En janvier
2017, au
moment de quitter sa fonction, il qualifiait déjà la Russie de « principale
menace pour “l’ordre libéral international” » avec les mêmes mots qu’aujourd’hui.
Sa connaissance des milieux politiques et économiques ukrainiens (dans lesquels son fils Hunter a été notoirement actif) en fait un expert de ce pays et de ses
mœurs. Il était le patron de Victoria Nuland lorsque celle-ci pilotait le coup de Maidan de février 2014 en s’appuyant sur le puissant courant ultranationaliste post-nazi de l’ouest galicien. Il
supervisait aussi la politique ukrainienne, lors des offensives de Kiev contre les autonomistes de l’Est, lors de la signature des accords de Minsk et quand il a été décidé de doter l’Ukraine de
forces militaires capables de soutenir une guerre.
Dès sa prise de fonctions, il était en mesure de trancher entre les propositions de ses conseillers. Il n’a pas été manipulé par les équipes d’Obama qu’il a
reconduites dans les postes officiels des affaires étrangères et du renseignement. Au contraire, il leur a imposé une voie très différente de celle son prédécesseur, celle qu’il avait lui-même
tracée comme vice-président. La confirmation de Victoria Nuland (l’épouse de Robert Kagan dans le civil) comme numéro 3 du Département d’État, atteste de cette continuité.
La première urgence de la nouvelle administration est, on l’a vu, le destin du pipeline Nord Stream 2 prêt à l’emploi qui bouleverse tant le Congrès et la Maison
Blanche. Dans les mêmes cercles, la seconde source de colère, c’est l’affirmation insolente de la Russie au Moyen-Orient, au point de figurer aussi en tête des questions à régler au cours du
mandant qui commence.
En 2007, Vladimir Poutine avait prononcé à Munich devant les chefs d’état occidentaux un
discours centré sur le refus du monde unipolaire hérité de la guerre froide, autant dire sur un refus de l’ordre américain. Par la suite, il avait mené une politique indépendante, très
contrariante pour Washington en Géorgie en 2008. Enfin, à partir des années 2010, il avait contesté et mis en échec les projets américains dans leur arrière-cour traditionnelle du Moyen-Orient,
en Syrie et en Libye. L’insolence russe confinait à l’humiliation avec le processus d’Astana (Kazakhstan) au cours duquel la Russie en compagnie de la Turquie et de l’Iran traitaient
du devenir de la Syrie sans accorder aux Occidentaux davantage qu’un strapontin. Bref la Russie se posait comme un joueur coriace sur le théâtre régional.
Brzezinski avait expliqué pourquoi l’Amérique ne pouvait le tolérer un rival, et les néoconservateurs démultipliaient son message, y compris pendant le mandat de
Donald Trump, en accusant inlassablement Poutine des pires avanies, par exemple d’une intrusion imaginaire dans l’élection présidentielle de 2016. La Russie contestait la volonté américaine dans
son pré-carré. Dans la logique de l’hégémonie cela ne pouvait pas durer.
C’est ainsi que Biden et ses équipes vont élaborer un plan particulièrement audacieux. En une même manœuvre, d’un coup de billard à trois bandes, Biden va
tenter de couper à l’Allemagne son bras russe tout en épuisant les forces humaines et matérielles de Moscou, et en même temps, de couper son bras chinois en pourrissant progressivement le
climat général des relations de l’Occident avec la Chine. Le risque est immense pour l’avenir de l’Europe mais la partie est jouable car les personnalités transparentes de Scholz et Macron ne
feront pas obstacle à l’engagement suicidaire du Vieux Continent dans une guerre qui n’est pas sa guerre.
79 ans, marié, 3 enfants, Professeur retraité de sciences sociales et consultant en ressources humaines
Ukraine : Une guerre non provoquée, vraiment? (partie 2)
Source : Stratpol - par Jean-Pierre Bensimon - Le 27/03/2023.
Bien que la principale accusation contre la Russie porte sur le lancement unilatéral d’une guerre illégale et non provoquée, l’analyse des décisions prises par
Joe Biden incitent à conclure qu’au contraire, le nouveau président a acculé Poutine dans un traquenard stratégique qui ne pouvait que déboucher sur une guerre. (voir Partie 1)
Il est d’abord nécessaire de situer la fonction de la guerre d’Ukraine dans la politique étrangère de l’administration Biden. Cette guerre n’est pas une fin en soi,
mais un outil au service d’objectifs stratégiques plus vastes. Comme on l’a vu précédemment, pour les États-Unis, l’impératif est aujourd’hui de stopper la montée de l’Allemagne comme rival industriel et commercial, et de briser l’ascension de la Russie et
de la Chine vers le statut de puissance à part entière dans un monde multipolaire.
Dès les années 40, les États-Unis pensaient leur politique étrangère en termes planétaires. L’Eurasie, cette concentration sans équivalent de ressources
naturelles, humaines et d’activités économiques, reste pour eux la clé unique de l’hégémonie mondiale. Qui domine l’Eurasie domine le monde. Zbigniew
Brzezinski l’avait très clairement exprimé dans son ouvrage phare (Le
Grand échiquier), recommandant à l’Amérique de tout
faire pour éviter l’émergence d’un rival dans cet espace géographique auquel elle n’appartient pas. Georges Friedman, ancien stratège de la CIA, n’avait-il
pas souligné en 2015 que :« l’intérêt
primordial des États-Unis (…) a été la relation entre l’Allemagne et la Russie, parce qu’unis ils représentent la seule force qui pourrait nous menacer. Et nous devons nous assurer que cela
n’arrivera pas. »
Or, depuis deux décennies, l’Eurasie est le siège d’une coagulation menaçante de dynamisme économique et d’ambitions politico-militaires locales, sur laquelle
l’Oncle Sam a de moins en moins prise. L’Allemagne y joue un rôle central dans la mesure où elle a noué avec la Russie un axe d’échanges vertueux qui lui apporte des ressources primaires bon
marché, et
avec la Chine, un second axe d’échanges vertueux qui offre de vastes marchés à l’échelle de sa redoutable industrie. Avec le temps ce n’est pas un rival mais trois qui sont en train
d’acquérir la carrure de concurrents stratégiques de l’Amérique. L’Allemagne impose son Nord Stream 2, la Russie interfère au Moyen-Orient, et la Chine se projette dans le monde entier avec son
projet « One
Belt, One Road ». Pour les actuels détenteurs du pouvoir à la Maison Blanche, c’est en brisant ces deux axes, tant qu’il en est encore temps, que l’Amérique pourra remettre ces trois
rivaux potentiels à leur place et conserver sa position hégémonique sur l’Eurasie.
Logiquement, la première cible choisie par Biden sera la Russie et le premier champ de bataille l’Ukraine. Ce pays est
déjà le siège d’une guerre civile larvée qui concerne indirectement Moscou. Son potentiel démographique, son étendue et sa
tradition hypernationaliste teintée de post-nazisme, la prédisposent à assumer le rôle de supplétif dans la guerre par procuration à venir contre le Kremlin. Biden sait que l’opinion
intérieure n’accepterait pas l’engagement au sol de boys américains
et il pense qu’il a les moyens de convaincre Kiev de se lancer dans l’aventure.
L’activation d’un conflit de haute intensité au sol en Europe pourra produire un choc de rupture extrêmement violent sur l’axe germano-russe, et donnera en même
temps l’occasion rêvée de dégrader suffisamment le régime et les capacités militaires de la Russie pour la priver de tout rêve de puissance et d’autonomie à moyen terme.
Il est aisé d’élaborer une planification intellectuellement cohérente, mais plus complexe de la mettre en œuvre à cette échelle. Si Biden a le goût du risque, il
sait aussi qu’il peut compter sur les jalons que l’Amérique a posés en Europe centrale sous son autorité de vice-président. La conception de la guerre que les États-Unis d’apprêtent à déclencher
sur le théâtre ukrainien a déjà fait l’objet d’études et d’évaluations minutieuses, couronnées par des publications. La Rand Corporation (think tank dédié au conseil au Département d’État et aux
agences de renseignement) rédige dès 2019 un
rapport de 354 pages sur les mesures à prendre pour « Jeter la Russie à terre. » Elles seront scrupuleusement appliquées.
Les plans sont là, mais
il faut absolument faire porter le chapeau du déclenchement de la guerre aux Russes. Il faut qu’ils soient perçus comme des agresseurs cruels, des hors la loi détestables, menés par un
autocrate à moitié fou, ce qui justifiera devant l’opinion de leur faire une guerre économique et militaire impitoyable.
Les Américains sont des spécialistes de l’intoxication de leurs adversaires qu’ils savent pousser à la faute. En 1979, ils sont parvenus à faire croire au Kremlin
que le nouveau chef de l’Afghanistan, Hafizullah Amin, s’apprêtait à les trahir et qu’il allait autoriser des États-Unis à implanter chez lui des fusées qui menaceront l’Union soviétique. Le
Kremlin déclenchera une intervention pour le neutraliser mais il sera accueilli par des djihadistes armés jusqu’aux dents par Washington. Zbigniew Brzezinski reconnaitra que les États-Unis
avaient entrainé Moscou dans le piège afghan : « nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam ». En déclarant à Saddam en 1990 qu’ils
n’interviendraient pas dans le conflit avec le Koweït, ils l’ont poussé à attaquer, leur donnant aux Américains l’occasion de lui infliger une défaite cinglante avec l’approbation de leur
opinion.
Ils comptent tenter une manœuvre du même genre avec la Russie. Elle sera forcée de mettre le doigt dans l’engrenage si leurs amis autonomistes russes de souche et
la Crimée sont gravement menacés. Il suffira de pousser en coulisse les nationalistes ukrainiens à une offensive dans le Donbass pour déclencher la réaction russe que les media se chargeront de transformer en agression illégale et non provoquée.
Mais affronter la Russie est une affaire sérieuse qu’il faut soigneusement préparer. A la manœuvre, Biden et ses équipes vont commencer par fermer l’alternative du
compromis, réunir une coalition puissante, renforcer le proxy ukrainien avant de contraindre l’ours russe à entrer en Ukraine. La Russie n’est pas tombée dans un piège, mais elle ne pouvait pas
laisser passer une provocation de plus qui avait des implications existentielles.
I – La fermeture des options diplomatiques
Les contentieux entre Kiev et la Russie et entre les États-Unis et la Russie pouvaient être réglé par un compromis. Mais dans l’optique de Biden, le but recherché
n’est pas la solution d’un contentieux, mais son utilisation pour créer un fossé infranchissable entre la Russie et l’Allemagne et dégrader les capacités militaires de Moscou. Les armes devaient
parler, et pour leur donner la parole, il fallait rendre au préalable impossible toute alternative diplomatique. C’est à cela que vont travailler les équipes du président.
Le premier torpillage de l’option diplomatique est antérieur à la guerre actuelle, mais il a bien servi à la préparer. En 2014 et 2015, des accords avaient été passés à Minsk entre le gouvernement de Kiev et les autonomistes de Donetsk et de Lougansk pour mettre fin à leur cruelle guerre civile par des
aménagements négociés de la constitution. Après ratification par le Conseil de Sécurité de l’ONU, ces accords étaient devenus exécutoires sous l’autorité de garants, France et Allemagne pour
Kiev, Russie pour les autonomistes. Ils n’ont jamais été appliqués, et la guerre civile s’est poursuivie jusqu’à l’intervention russe de février 2024. Angela
Merkel pour l’Allemagne dès juin 2022 et François
Hollande fin décembre pour la France, ont expliqué que les accords de Minsk avaient en fait été utilisés pour donner à Kiev le temps de bâtir une puissante force militaire. Les deux
dirigeants faisaient là sans s’en rendre compte la pédagogie de « l’ordre international fondé sur des règles » qu’ils chérissent.
Cependant, il semble que Merkel et Macron aient réellement tenté une relance de Minsk en 2019, dans une réunion à Paris avec Volodomir Zelenky en présence de
Poutine. La
conclusion signée par Zelensky prescrivait à Kiev d’écouter les propositions des autonomistes et d’élaborer « des
dispositions particulières d’autoadministration locale – statut spécial – de certaines zones des régions de Donetsk et de Louhansk ». Français et Allemands voulaient en finir avec la
guerre civile ukrainienne et ils savaient que le protocole de Minsk était la seule chance d’éteindre pacifiquement ce conflit inflammable sur le sol européen. Mais le Deep State de Washington
voulait entretenir cette plaie infectée, et ses alliés nationalistes/nazis ukrainiens veillaient au grain. Zelensky s’inclina et les garants aussi, Minsk fut enterré. Quand Biden est entré en
fonction, il n’y avait plus de solution pacifique sur le tapis, et bien sûr, il se garda bien d’en proposer une.
Le second coup porté à l’option diplomatique consista à introduire le sujet le plus clivant, la « libération » de la Crimée, dans l’équation des relations
russo-américaines. Washington sait parfaitement qu’il s’agit de la pierre angulaire de la défense russe sur son flanc sud et sa seule ouverture vers les mers chaudes. C’est ainsi que Zelensky
prend en mars 2021 un
décret dit « de désoccupation de la Crimée », qui n’était rien d’autre qu’une déclaration de guerre à la Russie. « L’Ukraine
n’a nullement renoncé à récupérer les territoires qu’elle a perdus en 2014. » Il pense évidemment au Donbass, en partie contrôlé par les autonomistes pro-russes, mais aussi et surtout à
la Crimée. »
La nouvelle administration de Washington est à l’évidence aux manettes. D’ailleurs, quelques mois après, Washington formalisera son alliance politico-militaire avec
Kiev dans la « Charte
de partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine » où les États-Unis épiceront encore le
casus belli :
Les États-Unis et l’Ukraine ont l’intention de poursuivre une série de mesures de fond visant à prévenir une agression extérieure directe et hybride contre
l’Ukraine et à tenir la Russie responsable de cette agression et des violations du droit international, y compris la saisie et la tentative d’annexion de la Crimée et le conflit armé dirigé
par la Russie dans certaines parties des régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine, ainsi que son comportement malveillant continu. »
Or nous sommes le 10 novembre 2021, bien avant l’entrée des troupes russes en Ukraine.
Le troisième cercueil de l’option diplomatique sera ouvert avec le refus formel de Biden de négocier une nouvelle architecture de sécurité en Europe, sujet qui intéresse aussi bien
les pays européens que la Russie. Mais cette dernière est au centre de la cible et se considère comme menacée dans son existence même par trois mécanismes :
L’élargissement continuel de l’OTAN désormais sur ses frontières, malgré
les engagements de 1990 de Georges Bush 1 et James Baker quand il avait fallu obtenir l’accord de la Russie, pays vainqueur en 1945, pour autoriser la réunification de l’Allemagne
;
La liquidation de l’architecture de sécurité antérieure fondée sur les accords de limitation des armements en vigueur depuis les années 70. Elle découle de la
sortie des États-Unis des accords ABM, Open Skies, et INF. Le but de ses stratèges est d’implanter des systèmes mixtes de missiles anti-missile et de missiles de croisière nucléaire à moyenne
portée au centre de l’Europe, de plus en plus proches des centres vitaux russes. Avec le programme Aegis Ashore, tout tir de missile depuis les bases ouvertes en Pologne et en Roumanie
devrait provoquer le déclenchement instantané d’une contre-frappe nucléaire russe, ceux-ci n’ayant pas le temps de distinguer entre un simple tir anti missile et une frappe nucléaire contre
leur territoire ;
La décision du sommet de Bucarest de 2008 d’intégrer l’Ukraine et à la Géorgie dans l’OTAN, alors que la Russie avait fait depuis longtemps de la neutralité de
l’Ukraine une ligne rouge. L’impact de cette décision avait été amorti par l’opposition résolue d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy à sa mise en œuvre. Ils avaient obtenu le
report sine
die de son application. Or il faut faire sortir la Russie de ses gonds. Le chiffon rouge est à nouveau agité le 8 juin 2001 par Blinken lors d’une communication devant le
Sénat : « [les
États-Unis] soutiennent l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan ». En février 2022, Zelensky pressera à nouveau pour l’adhésion
à l’Otan : « Il
en va de même pour l’OTAN. On nous dit : la porte est ouverte. Mais jusqu’à présent, l’accès n’est qu’autorisé. »
Dans un contexte aussi incertain et périlleux, la Russie de Poutine pense diplomatie. Elle demandera l’ouverture de négociations pour une nouvelle architecture de
sécurité en Europe dès l’installation de la nouvelle administration.
Poutine rencontrera brièvement Biden en tête à tête à Genève le 16 juin 2021, et le 7 décembre suivant par téléconférence. Biden,
qui a signé entre temps la très menaçante Charte de partenariat avec Kiev, refuse évidemment d’ouvrir une discussion sérieuse. Dans un ultime effort Poutine présente aux Occidentaux le 17
décembre deux projets de traités dûment rédigés, qui recevront aussi des réponses dilatoires. Quand l’année 2022 s’ouvre, la Russie constate l’échec intégral de ses efforts diplomatiques et la
précarité de sa position avant que le 26 janvier la Maison Blanche ne refuse officiellement les traités proposés le 17 décembre.
L’introduction d’une sémantique de guerre sera le quatrième moyen de murer l’alternative diplomatique. Une guerre commence toujours par des mots. Dès son premier coup de téléphone,
le 26 janvier 2021, Biden accuse Poutine d’intrusion dans la campagne présidentielle de 2020 et de cyber attaques. Dans un crescendo calculé, Biden va introduire des
injures ad
hominem de plus en plus blessantes.
Après un rapport accusatoire publié la veille reprochant à Poutine d’avoir voulu favoriser Trump lors de la présidentielle, Biden
est interrogé le 17 mars 2021 sur ABC par George Stephanopoulos. Le questionnement a été préparé : « Vous connaissez Vladimir Poutine. Pensez-vous que c’est un tueur ? » Joe Biden hoche
la tête, puis répond : « Oui, je le pense. » Stupéfaits, les media titreront « Biden a dit que Poutine était un tueur. »
Ce n’est que le début d’une litanie d’imprécations. Poutine devient un « criminel de guerre » le
17 mars 2022 devant une assemblée de parlementaires US. Le 26 mars, en Pologne, Biden prie, « Pour
l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir » non
sans avoir au préalable qualifié Poutine de « boucher ».
Dmitri Peskov, le porte parole du Kremlin, en tire la conclusion politique : « les
insultes personnelles de ce genre réduisent le champ des possibles pour nos relations bilatérales avec le gouvernement américain actuel. »
Il est intéressant de comparer les anathèmes anti poutiniennes de Biden aux remarques de Barack Obama sur la personnalité du leader russe qu’il a beaucoup
fréquenté. Dans son
interview fleuve de 2016, il dit à Jeffrey Goldberg de The
Atlantic :
Poutine n’est pas particulièrement méchant. »
« La vérité, en fait, c’est que Poutine, dans toutes nos rencontres, est scrupuleusement poli, très franc. Nos réunions sont très
professionnelles. »
« Il est constamment intéressé à être vu comme notre pair et à travailler avec nous, parce qu’il n’est pas complètement stupide… Vous ne le voyez pas, dans aucune
de ces réunions ici, aidant à façonner l’ordre du jour. D’ailleurs, il n’y a pas une seule réunion du G20 où les Russes fixent l’ordre du jour sur les questions importantes. »
En bref, sur tous les sujets, Joe Biden a fait ce qui était en son pouvoir pour fermer les portes de la parole, du compromis, donc de la paix. C’est la première
marche de son projet de défaite militaire et de dégradation du statut international de la Russie. Et cela marquera toute la première année de son mandat. Mais il aura aussi traité d’autres
préalables inscrits dans son plan de guerre.
II – La mise sur pied d’une coalition indispensable
Les Américains savent qu’ils ne peuvent pas assumer leur guerre contre la Russie seuls. Ils ont absolument besoin, par exemple, d’impliquer des pays d’envergure sur
les marchés mondiaux pour assurer l’efficacité de leur système de sanctions. Ils en ont aussi besoin pour partager les charges humanitaires, sociales, logistiques et militaires de la
guerre.
L’Europe occidentale et l’Europe centrale sont toutes désignées pour fournir ces alliés car elles sont déjà intégrées aux deux piliers de l’influence
américaine dans la région, l’Union européenne et l’OTAN. Leur situation géographique est idéale comme bases arrière de l’Ukraine. Leur fonction d’alliés de Washington leur imposera une multitude
d’obligations : recevoir des millions de réfugiés, assurer des livraisons d’armes et de munitions, organiser la maintenance des engins militaire lourds, sans oublier la formation et
l’entrainement des experts et hommes de troupe ukrainiens levés par vagues pour remplacer les effectifs qui allaient fondre comme neige au soleil dans cette guerre d’artillerie.
Mais il y a un hic. Cette guerre n’est pas la guerre des Européens de l’Ouest. Aucun d’entre eux ne se sent réellement menacé par la Russie de Poutine. Aucun
n’aspire à s’en prendre aux capacités militaires de la Russie ni à isoler la Chine. Au contraire aucun pays ouest-européen se réjouit de se couper des ressources primaires russes à bon prix, des
marchés de la Chine, des occasions d’investissement très lucratifs en Russie et de la coopération scientifique avec Moscou sur des projets de pointe (comme ITER, fusion nucléaire contrôlé, ou la
conquête spatiale).
Bien au contraire, la guerre avec la Russie, même sous l’artifice de non co-belligérance, heurte facialement leurs intérêts. Elle fait courir un risque sérieux aux
équilibres socio-politiques et à l’avenir industriel d’un continent privé d’énergie et de matières premières, au moment où mal remis du Covid, il pensait en termes de transition
climatique.
Comment Biden est-il parvenu à les engager dans son aventure et les maintenir si longtemps dans sa coalition ? La réponse n’est pas simple. On peut seulement
évoquer des facteurs qui y ont contribué :
la transition de Merkel à Scholz qui a débilisé le pouvoir dans le pays phare de l’Europe, minorant la capacité des autres pays d’affirmer ouvertement leur
intérêt national (à l’exception de la Hongrie) ;
la puissance des réseaux d’influence américains au
sein des élites du pouvoir des pays et des institutions européennes. Elles sont gangrénées de haut en bas par de quasi agents d’Outre-Atlantique que leur langue et leur nationalité
de papiers désigne nominalement comme allemands, français, belges, etc. mais qui ont fait allégeance à Washington ;
la force des moyens de rétorsion américains sur les alliés récalcitrants. Il n’y a par exemple aucune explication à la destruction « secrète » de Nord
Stream 1 et 2 par des unités des forces navales américano-norvégiennes, si ce n’est forcer l’obéissance de Berlin à l’injonction de renonciation définitive au gaz russe ;
l’impact de l’influence américaine au sein du mainstream des
media dans chacun des pays alliés. Dans de nombreux cas, le mainstream a
exercé des pressions formidables sur la politique du gouvernement de leur pays, sous la dictée discrète de l’Oncle Sam. Il n’est pas bon en politique d’avoir l’opinion portée à
l’incandescence face à soi. C’est par cet effet de bélier que Scholz a autorisé les livraisons de chars Léopard qu’il avait fermement refusées à Ramstein, et c’est pour la même raison que
Macron a battu en retraite après avoir eu l’outrecuidance de parler de garanties de sécurité à accorder aux Russes.
En tout état de cause, Biden ne pouvait se passer de ses alliés européens avant de déclencher sa guerre contre la Russie. Ses équipes ont fourni des efforts
considérables pour maintenir l’ordre dans le troupeau et le faire avancer quand il le fallait. Aujourd’hui il lui est demandé de patienter encore jusqu’à l’automne prochain, la limite ultime de
la contre-offensive printemps-été que Washington et Kiev s’apprêtent à lancer. Mais nous n’en sommes pas encore là. Avant de provoquer l’intervention de Moscou, il faut permettre au régime
supplétif de Kiev de supporter sans rompre le choc inouï de la guerre qui va arriver.
III – La mise en ordre de bataille du proxy ukrainien
Encore une fois, la guerre à venir va s’appuyer sur les réalisations américaines des huit années précédentes, obtenues sous l’impulsion initiale du vice-président
Biden, chargé par Obama des affaires ukrainiennes. Depuis le coup de 2014, le pouvoir ukrainien sous ombrelle américaine est solidement installé avec Pedro Porochenko comme président. Une armée nouvelle a été bâtie suite aux défaites
subies face aux autonomistes en 2014 et 2015. Elle a été initialement organisée, entrainée et encadrée par les américains. Elle puisera dans les énormes stocks d’armes hérités de l’Union
soviétique. Cette armée fera ses premiers pas dans la guerre civile larvée du Donbass. On lui a construit des fortifications dignes de la ligne Maginot sur deux axes, face aux territoires
autonomistes de Donetsk et Lougansk.
La question initiale porte sur les rapports entre l’Ukraine de Volodomir Zelensky et les Américains. Partenariat, vassalité, ni l’un ni l’autre ? Dans
ses racines, le régime de Kiev correspond parfaitement à la frontière civilisationnelle entre l’Ukraine orthodoxe à l’est et l’Ukraine uniate à l’ouest, décrite par Samuel Huntington dans son «
Choc des civilisations ». Il est repose sur un socle de nationalistes uniates issus de Galicie et de Volhynie, pleins d’un mépris confinant au racisme envers les populations orthodoxes de l’Est.
L’aventure de Biden ne réjouit cependant que les plus radicaux d’entre eux, où domine la geste nazie héritée de leurs ainés, et entretenue par la publication de Mémoires, de biographies, et
l’organisation de cérémonies rituelles. Zelensky les a brièvement affrontés au moment de la conférence de Paris de 2019, mais il a vite compris le rapport de forces imposé aux semi modérés comme
lui. Il a donc été embarqué dans l’aventure mais avec des doutes, on le verra.
L’alignement du régime de Zelensky sur les options de Biden repose sur le courant nationaliste, actif et organisé qui veut en découdre, et sur le mythe d’une
solution européenne aux échecs récurrent du pays dans tous les domaines. Il ne se réduit donc pas à l’emprise politique, économique et militaire de Washington. L’oncle Sam s’est réservé les
fonctions d’encadrement et de pilotage de la guerre, aux niveaux stratégiques et tactiques. Il a conscience qu’il doit octroyer une certaine autonomie à ses partenaires kiéviens pour qu’ils
continuent de rassembler et de motiver les ukrainiens envoyés au front. Cela signifie que malgré sa dépendance de son grand parrain, Zelensky a une certaine prise sur les évènements. Il sait
aussi exploiter son prestige dans l’opinion américaine pour le retourner parfois contre ses patrons quand ils ne livrent pas assez d’armes à ses yeux. Mais son impact sur le destin de la guerre
est quasiment nul.
Biden va se charger de la mise en ordre de bataille du régime et de l’armée de Kiev quelques jours à peine après être entré dans le bureau présidentiel. Il fixe
trois impératifs avant le fatidique mois de février 2022 :
Nettoyer toute opposition gênante au sein du monde politico-médiatique ukrainien,
Être en mesure de transférer légalement des armements modernes américains en fonction des besoins,
Intégrer techniquement les forces armées ukrainiennes dans le dispositif militaire de l’OTAN.
« En février 2021, suivant les recommandations du Conseil national de Sécurité et de Défense, [Zelensky] interdit trois chaînes de télévision accusées
d’être des organes de propagande en faveur de la Russie. Les médias concernés (112
Ukraine,
NewsOne et Zik) appartiennent au député prorusse Taras Kozak mais sont en réalité contrôlés par l’oligarque Victor Medvedtchouk, ami du président Vladimir
Poutine. Cette
décision intervient à la demande de l’administration américaine du nouveau président Joe
Biden dans un contexte de hausse des intentions de vote pour les candidats prorusses. En août suivant, Zelensky fait également fermer le site d’information strana.ua,
qualifiant ses journalistes de “propagandistes pro-russes”, et impose des sanctions contre plusieurs internautes. »
Pour le transfert d’armes, le 19 janvier 2022, plus d’un mois avant l’intervention russe, le Congrès adopte une loi pré-bail qui assure le financement d’envois d’armes en Ukraine.
Quant à l’intégration technique des forces ukrainiennes au sein de l’OTAN, elle atteint des niveaux impressionnants. Lors de la manœuvre américano-ukrainienne en Mer
Noire See
Breeze, juin/juillet 2021, réunissant 30 pays et 5.000 hommes. Elle est suivie de Rapid
Trident en septembre, sur le sol ukrainien, avec 6.000 hommes de 12 pays. Dans son discours
du 22 février 2022, deux jours avant le début de son intervention, Poutine dresse un tableau impressionnant de l’inclusion de
facto de l’Ukraine dans l’OTAN :
« Ces dernières années, des contingents militaires des pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien sous le prétexte
d’exercices. Le système de contrôle des troupes ukrainiennes a déjà été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut donner des ordres directs aux forces armées
ukrainiennes, même à leurs unités et escadrons séparés. »
« (….) le réseau d’aérodromes mis à niveau avec l’aide des États-Unis à Borispol, Ivano-Frankovsk, Chuguyev et Odessa, pour n’en citer que
quelques-uns, est capable de transférer des unités de l’armée en très peu de temps. L’espace aérien ukrainien est ouvert aux vols d’avions stratégiques et de reconnaissance américains, ainsi
qu’aux drones qui surveillent le territoire russe. »
« (…) Ensuite, notamment, l’article 17 de la Constitution de l’Ukraine stipule que le déploiement de bases militaires étrangères sur son territoire est
illégal. Or, il s’agit là d’une convention qui peut être facilement contournée. L’Ukraine accueille des missions d’entraînement de l’OTAN qui sont, en fait, des bases militaires étrangères. Ils
ont simplement appelé une base une mission …. »
La neutralité de l’Ukraine et son statut de non membre de l’OTAN sont déjà des paroles creuses ou comiques. La préparation de la guerre américaine contre la Russie
sur le sol ukrainien, est achevée au début de l’année 2022. Le régime de Kiev est prêt pour la guerre que désirait sa faction nationaliste/nazie et la Maison Blanche. Cela ne signifie pas que
face à la réalité de la boucherie qui se profilait, Volodomir Zelensky n’ait pas hésité, n’ait pas tenté de reporter le clash à plus tard, ni qu’une fois la guerre venue, il n’ait pas essayé d’y
mettre rapidement un terme. Mais il était entre des griffes trop puissantes pour lui.
IV – Le déclenchement des hostilités
En fait, la guerre est présente en Ukraine depuis le coup de février 2014. Dès le lendemain, la Rada avait interdit l’usage de la langue russe dans l’administration
et l’enseignement. Ce sera l’étincelle de la révolte de l’est ukrainien. Kiev répondra par l’envoi de l’armée et des milices néonazies financées par des oligarques, dont le fameux Ihor
Kolomoïsky qui inventera le groupe Azov. C’est une guerre civile entre Kiev et les autonomistes qui commence, même si Moscou, qui n’a jamais envoyé ni troupes ni d’armes lourdes, leur
apporte un parcimonieux soutien. Elle fera environ 14.000 morts dont les deux tiers selon des civils des zones autonomistes.
Biden, qui veut en découdre avec la Russie, a désespérément besoin de transformer cette guerre civile en guerre étrangère, et pour cela il faut que Moscou
franchisse le Rubicon et qu’il envoie des troupes en Ukraine. La manœuvre est simple : il suffit donner l’ordre à l’armée de Kiev de balayer les républiques russophones de l’est et de
reprendre la Crimée. Poutine entrera alors dans la danse pour deux motifs auxquels il ne peut pas se soustraire : protéger les Russes de souche de l’est et conserver la Crimée, porte
d’entrée bicentenaire de la Russie en Méditerranée.
Les deux tiers de l’armée ukrainienne sont concentrés depuis des semaines en posture offensive, aux abords des républiques autonomistes. Elle comprend des unités
d’infanterie, d’artillerie, de blindés et de génie. C’est Biden en personne qui déclenchera les hostilités, si l’on veut bien admettre que les Kiéviens ne sont pas assez fous pour provoquer
l’ours russe tout seuls.
A partir du 15 février, les bombardements des territoires de Donetsk et Lougansk par Kiev entament une courbe de progression rapide. Les
explosions sont dûment enregistrées par les observateurs de l’OSCE dont nul ne conteste l’objectivité. (Voir Osce
Crisis Group) Elles prennent de l’ampleur jour après jour. Le nombre de frappes mensuelles du temps de la guerre civile était de l’ordre de 500 avant la prise de fonctions de Biden. De
mars 2021 à janvier 2022, elles montent à 2.500 en moyenne, provoquant déjà des déplacements de population vers la Russie. Au mois de février 2022, elles vont dépasser les 8.000.
Le dos au mur, Poutine entame son intervention le 24 février, après lui avoir donné en deux un contenu légal. (Reconnaissance de l’indépendance des deux
républiques, signature d’un traité d’assistance, réponse aux demandes d’assistance prévue par l’art 51 de la charte de l’ONU). Puisque guerre il doit y avoir, le Kremlin ne se contentera pas
d’une campagne réactive. Il porte son effort simultanément sur plusieurs fronts, y compris sur Kiev, tout en alignant des effectifs si réduits qu’on ne peut pas détecter de bonne foi une
intention de conquête ou d’annexion.
Si le plan de Biden se déroule conformément aux prévisions, il se double d’un plan médiatique d’une envergue et d’une densité sans précédent dans l’histoire. Le but
est d’annihiler immédiatement toute opposition intérieure à la guerre et de conquérir les opinions en Occident où les media mainstream leurs
messages aux mêmes sources. Pour parvenir à une maitrise complète de l’information, des flux massifs et permanents de messages ad-hoc à très haute densité émotionnelle inondent les différents
segments de l’opinion. Pour bien faire l’Union européenne interdit tous les canaux d’information russes. Le choc de sidération par l’image, la vidéo, l’interview, le commentaire, sera d’une
violence telle que toute expression de doute, toute interrogation, toute observation critique, sera une preuve de culpabilité propre à briser d’un coup la carrière de son auteur. Les plateaux
télévisés réunissent jour après jour des participants strictement sur la même ligne, jusqu’à aujourd’hui. Quand Ségolène Royal faute, elle est mise à pied dans les 48 heurs par LCI. Olivier Todd
avoue qu’il a attendu près d’un an avant d’oser dire ce qu’il pense en public.
Ce verrouillage n’a pas été obtenu en se croisant les bras. Par exemple, une équipe de chercheurs de l’École de science mathématique de l’université australienne
d’Adélaïde, qui a eu accès aux bases de données de Twitter (elles peuvent être ouvertes aux chercheurs) durant les deux premières semaines de l’intervention russe, a pu étudier plus de 5 millions
de tweets émis dans cette période.. Ses
travaux publiés le 20 août 2022 montrent que sur les plus de 5 millions de tweets étudiés, 90.2 % provenaient de comptes pro-Ukraine, moins de 7 % de comptes étiquetés pro-russes, et que
ces tweets avaient été conçus pour « susciter la peur et un niveau élevé d’angoisse. »
Cette campagne antirusse provenait de fermes de robots utilisant de faux comptes Twitter automatisés (60 à 80% des tweets). Elle avait été menée à un rythme
intensif de 38.000 par heure le premier jour et 50.000 par heure le troisième jour, « comme si quelqu’un avait appuyé sur une interrupteur au début de la guerre » selon
Peter Cronau.
L’emprise sur les media est une banalité en temps de guerre. Le but est d’unir un pays derrière ses chefs et son armée. Ce qui fait la différence ici, c’est
l’ampleur des géographies couvertes par tous les types de véhicules. Les opinions de pays occidentaux hétérogènes par nature sont frappées par le même régime de transe émotionnelle. C’est ainsi
que le pouvoir médiatique passe des gouvernements locaux aux autorités de Washington qui utiliseront indirectement les opinions intérieures locales pour faire pression sur les dirigeants alliés
passifs ou récalcitrants. On connait les mésaventures de Scholz et de Macron avec leurs propres media. Ils ont tenté de se faire pardonner de leur relative réserve en dégarnissant un peu plus
leurs arsenaux de Léopard, de Marder, de Caesar, de Patriot et de Mamba.
Le plan Biden est habile. Poutine est entré en guerre, le changement de régime à Moscou est semble-t-il sur les rails, les alliés marchent au pas de peur d’être en
butte à leur propre opinion, ils s’auto-punissent un peu plus en adoptant des sanctions encore plus sévères que celles de Washington, et Kiev ne barguigne pas sur le sang ukrainien qu’il répand
pour aller au bout de ses obligations de supplétif.
V – Le sabotage des tentatives de cessation des hostilités
Biden tient bien entendu à ce que la guerre dure de façon à rendre irréversible la fracture entre la Russie et l’Europe de l’ouest et épuiser son potentiel
militaire. Mais
très vite, l’engrenage guerrier va s’enrayer car ni les Russes, ni les Ukrainiens n’ont vraiment le désir de s’entretuer pour le compte du parrain d’Outre-Atlantique qui n’a pas
engagé ses propres troupes dans le chaudron.
Ainsi, dès le lendemain de l’intervention russe Zelensky, en dirigeant responsable cette fois-ci, envoie des émissaires à Minsk pour parler avec les Russes. Il
demande à Naphtali Bennett, alors premier ministre d’Israël, de tenter une médiation en se rendant à Moscou. Dans son interview du 4 février 2023, ce
dernier révèle que: « [Zelensky]
était convaincu qu’il y avait une fenêtre réduite dans laquelle un accord pourrait être conclu pour mettre fin à la guerre …j’avais l’impression qu’ils voulaient tous les
deux [Zelensky
et Poutine] un
cessez-le-feu ». Du côté ukrainien, il avait réussi à obtenir une concession de Zelensky : revenir sur son intention de rejoindre l’Otan. Les discussions avancent, mais
l’Amérique et les Européens ne l’entendent pas de cette oreille. « Tout
ce que j’ai fait était coordonné avec les États-Unis, l’Allemagne et la France » poursuit
Bennett, signalant sans critiquer la volonté des Occidentaux de «
rompre les négociations… ils
ont bloqué le processus de négociation…».
En fait l’Europe et l’Amérique annoncent à l’Ukraine, en contrepartie à la poursuite de la guerre, des livraisons d’armes pour plusieurs centaines de millions de
dollars. A chaque inflexion de Kiev vers la discussion et le compromis, les Occidentaux étoufferont le risque de paix avec des « paquets » d’armements plus sophistiqués et de plus grand
pouvoir létal.
Biden a encore gagné, la guerre se poursuivra. Mais Zelensky, au pied du mur, a montré d’emblée qu’il se passerait bien d’une guerre avec la Russie, en prenant des
risques avec ses redoutables amis nationalistes et ses donneurs d’ordres de Washington.
Une seconde alerte intervient quelques semaines plus tard. Les discussions ouvertes à Minsk sont suivies des pourparlers d’Istanbul sous de patronage de Recep
Tayyip Erdogan. Encore une fois la négociation Ukraine – Russie est en passe d’aboutir : un projet d’accord est rédigé. Zelensky propose :
La neutralité de l’Ukraine avec des garanties internationales ; il n’adhérera pas à l’OTAN ;
L’engagement de ne pas tenter de reprendre la Crimée par la force et de faire des zones de Donetsk et Lougansk des « territoires
séparés » ;
Le refus de bases étrangères sur son territoire et le consentement de garants avant d’organiser des exercices militaires internationaux d’importance.
En échange, la Russie renoncera à la « dénazification » et acceptera l’adhésion de l’Ukraine à l’UE
Les anglo-saxons paniquent. Biden envoie Boris Johnson à Kiev pour refuser l’application de l’accord d’Istanbul sous peine de désaveu et de retrait de toute
assistance. Il est probable que Bojo a proféré des menaces directes sur sa personne, et qu’il a promis que les armes les plus modernes couleront à flot en cas de rupture. Encore une fois Zelensky
s’incline. Il a désormais compris à quel point ses marges de manœuvre sont limitées. Sa rhétorique va se modifier et il se posera désormais comme un jusqu’auboutiste, en phase avec les
nationalistes et les néonazis qui l’entourent.
Le coulage des deux tentatives de compromis mettent en pleine lumière la responsabilité du pouvoir américain dans le déclenchement de cette guerre féroce. Désormais
la voie est libre pour l’escalade que les néocons de Washington avaient planifiée. La guerre « jusqu’au
dernier ukrainien, » qui
coûte « peanuts » en regard de ses avantages, durera tant qu’ils le voudront.
A la fin de la première année de guerre, de la seconde année si l’on prend en compte l’année de préparation entamée avec le mandat de Biden, de la neuvième si l’on
inclut la guerre civile consécutive au coup de Maïdan dont les affrontements actuels ne sont que le prolongement, Biden a réalisé au moins deux objectifs de ses visées planétaires:
L’introduction d’une rupture profonde et durable entre l’Europe occidentale, en particulier l’Allemagne, et la Russie ;
Le ralentissement de la modernisation de la Russie et de son affirmation dans les affaires mondiales.
Surtout l’axe vertueux germano-russe est effectivement rompu, et Nord Stream 1 & 2 gisent au fond des eaux, une illustration des méthodes du suzerain Yankee à
l’endroit de ses vassaux indociles, aussi puissants soient-ils.
Le second volet de l’agenda planétaire américain sous Biden est de rompre aussi l’axe vertueux germano-chinois.
Biden n’y a jamais renoncé, malgré la mobilisation de son personnel de haut rang sur la guerre en Europe. Son action « anti germano-chinoise » s’est quand
même développée avec une grande vigueur dans deux grandes directions :
La dégradation des relations d’État à État avec la Chine. L’objectif est de créer une atmosphère irrespirable entre elle et les Occidentaux, très
défavorable à la poursuite du commerce et de multiples projets économiques et technologiques, en pariculier avec l’Allemagne. Les provocations se sont enchainées à un rythme soutenu, marquées
par les voyages de Nancy Pelosi et des membres du Congrès à Taïwan, la radicalisation de la mince faction indépendantiste taïwanaise, la multiplication des sanctions, la rupture brutale de la
coopération dans les hautes technologies, et les plans de livraison d’armes à Taïwan.
Les alliés de la zone indo-pacifique (Japon, Australie, Corée du sud, Philippines) sont incités à préparer une guerre présentée comme inévitable avec la Chine,
qui suivrait son attaque imaginaire de Taïwan. Les alliés sont fortement encouragés à réduire leurs liens économiques avec elle, et à adopter des programmes de réarmement massifs à l’exemple
du Japon tandis que Washington ouvre de nouvelles bases aux Philippines.
Après une année de tensions montantes avec la Chine, Washington est parvenue à crisper les relations de ses alliés du flanc est de l’Eurasie et d’Europe de l’ouest
avec l’Empire du Milieu. L’approvisionnement et les chaines logistiques des uns et des autres sont hautement interdépendantes. On ne bouscule pas la structure des échanges internationaux d’un
revers de manche. Les Américains vont peut-être prendre conscience de leurs limites et des conséquences de la fracturation du monde en blocs autonomes sur leur leur volonté illusoire d’hégémonie
mondiale. Car repasser d’un monde multipolaire de
facto à un monde unipolaire, c’est un peu comme faire rentrer le dentifrice dans son tube.
Biden n’a plus beaucoup de temps pour ériger sa propre statue et il semble vouloir prendre sa revanche sur les douloureuses avanies qu’il a subies comme
vice-président. Il s’est engagé dans des politiques trop brutales à l’encontre de trop d’adversaires et de partenaires pour que l’issue de ses prises de risque ne soit pas plus cuisante qu’il ne
l’imagine.
Il y a quelques mois, vous avez été plus d’un million de téléspectateurs à vous passionner pour ses analyses dans un entretien intitulé « Les États-Unis et le
piège de Thucydide »
Nikola Mirkovic, président de l’association Ouest-Est et diplômé de l’European Business School, est de nouveau l’invité de TVL pour la publication de son
nouvel ouvrage à succès : « Le chaos ukrainien –
Comment en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? »
La volonté de l’auteur est d’analyser les raisons de la guerre et de tenter de formuler des propositions de sortie de crise. Pour se faire, il procède à
plusieurs analyses implacables : l’histoire instable de l’Ukraine et sa situation de jeune nation sont plus labyrinthiques qu’on ne le croit. Et la guerre actuelle ne peut se comprendre
sans prendre en compte la stratégie du plus grand protagoniste de la crise : les États-Unis.
Nikola Mirkovic explique, exemples à l’appui, qu’animés par la crainte existentielle de voir apparaître un rival sur le territoire eurasiatique, les
États-Unis ont encouragé l’entrée des pays de l’ex-bloc soviétique dans l’OTAN malgré la promesse de ne pas avancer un « pouce vers l’Est ». L’auteur multiplie les informations et les
révélations sur Joe Biden et ses liens avec l’Ukraine, sur Georges Soros, sur Zelensky, un président moins chevalier blanc que vanté. L’auteur évoque enfin les moyens de sortir de ce
conflit pour retrouver la paix et pour que le peuple ukrainien qui souffre ne soit plus considéré comme la variable d’ajustement dans la stratégie de Washington d’affaiblissement de la
Russie.
On ne peut guère douter de l’efficacité d’une propagande quand ceux qui la critiquent semblent être eux-mêmes sous son emprise. Depuis le début de la guerre
en Ukraine en effet, il n’est pas rare de voir ceux qui se distancient peu ou prou de la désinformation médiatique antirusse se retrouver néanmoins aux côtés des contempteurs médiatiques
de la Russie pour affirmer que le 24 février 2022, cette dernière aurait violée la souveraineté de l’Ukraine. Si cette formule est ressassée comme une évidence, se pose pourtant la
question de savoir si à cette date l’Ukraine était effectivement un État souverain, autrement dit un État n’étant pas soumis au contrôle d’un autre État.
A l’aune de cette définition, disons d’emblée qu’il parait pour le moins fallacieux de classer l’Ukraine dans cette catégorie. Huit ans avant l’intervention
russe en Ukraine en février 2022, n’est-ce pas un putsch soutenu par une puissance étrangère, en l’occurrence les États-Unis, et exécuté par leurs alliés locaux, notamment ceux de la
mouvance de l’extrême droite la plus dure1 qui,
le 22 février 2014, évince le président élu démocratiquement, Viktor Ianoukovitch, considéré comme «pro
russe»2 ?
Un coup d’État non seulement sanglant mais ayant toute la perversité des massacres sous faux-drapeau.
Avant d’y revenir plus loin en détails, rappelons que le 20 février 2014 des snipers pro occidentaux ont tiré sur la foule des manifestants, eux-mêmes
pro-occidentaux, pour que la tuerie soit attribuée au gouvernement de V. Ianoukovitch et provoque le chaos, ce qui a permis à une équipe inféodée aux États-Unis de prendre le pouvoir. Ces
faits documentés et accablants sont souvent mal connus, y compris de ceux critiquant la présentation médiatique russophobe. Il s’impose donc d’y revenir, d’autant plus que les victimes se
comptent par centaines et qu’au mépris de toute déontologie de l’information, les entreprises médiatiques cachent soigneusement ces faits vieux de huit ans pour mieux se gargariser de
leur indignation sur le thème de la «souveraineté de
l’Ukraine violée par Poutine en février 2022». On peut supposer qu’elles auraient quelque difficulté à qualifier de «souverain» un
État occidental passé dans le giron russe à la suite d’un putsch sanglant ourdi par Moscou. Pour nos faiseurs d’opinion, il semble que la pratique du coup d’État est acceptable à Kiev
quand elle est occidentale mais serait criminelle à Londres, Paris ou Berlin si elle était le fait de la Russie.
Quant à ceux qui prétendent se distancier du discours médiatique russophobe, ils semblent, sur ce point de la « souveraineté de l’Ukraine »,
défier l’élémentaire logique. Alors qu’ils reconnaissent le plus souvent que Washington est effectivement impliqué dans le coup d’Etat de février 2014, ils refusent néanmoins d’admettre
que c’est à ce moment-là que la souveraineté de l’Ukraine a été non seulement violée mais mise à mort. Faut-il rappeler qu’un putsch fomenté par une puissance étrangère vise à vassaliser
un autre Etat, ce qui par définition met un terme à la souveraineté de ce dernier ? On peut supposer toutefois que, loin d’être une erreur d’analyse de la part de ceux qui
s’efforcent de se distancier de l’unanimisme antirusse, il s’agit plutôt d’une concession au récit médiatique. Crainte qui, encore une fois, donne la mesure du pouvoir d’intimidation
quasi totalitaire des entreprises médiatiques.
Nous défendrons donc ici la thèse qu’en réalité ce n’est pas en février 2022 avec l’ «Opération militaire
spéciale» de la Russie qu’est violée la souveraineté ukrainienne. Car lorsque les forces de la Fédération de Russie entrent en Ukraine cette souveraineté n’existe plus depuis
huit ans, soit, répétons-le, depuis le putsch organisé par les Etats-Unis et leurs alliés en février 2014. Dès lors, les rodomontades ultra nationalistes adoptées par les autorités issues
de ce putsch cachent mal qu’en fait cette souveraineté n’est plus qu’une fiction, et ce dans tous les domaines, qu’ils soient militaire, politique, géopolitique, économique et
juridique.
«Nous n’avons pas d’intérêts,
seulement des valeurs»
De la part
des médias mainstream, les
intérêts étasuniens en Ukraine sont l’objet de la même conspiration du silence que le putsch sanglant et pro-occidental fomenté à Kiev en 2014. Il est vrai que l’opiniâtreté avec laquelle
ils les ont systématiquement dissimulés n’est pas en soi un phénomène nouveau. On y a déjà assisté lors des interventions dirigées un peu partout sur la planète par les États-Unis. Il
s’agit à chaque fois d’évacuer de l’espace médiatique ce qui pourrait rattacher toute implication américaine, qu’elle soit directe ou pas, à de quelconques «intérêts». Ainsi est
aujourd’hui réactivé cet artifice de propagande bien connu selon lequel en Ukraine, comme en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie ou ailleurs, les États-Unis, et
au-delà les Occidentaux, n’auraient pas d’ «intérêts» mais seulement des «valeurs», ces dernières expliquant à elles seules l’interventionnisme occidental. Pour dénoncer ce formatage
aussi efficace que primaire, un ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, évoquait déjà, il y a près de 25 ans, une «opinion
westernisée »3.
Aujourd’hui, comme lors de chaque guerre occidentale, on assiste donc au recyclage de ce scénario inusable où les protagonistes sont invariablement le Bon,
le Méchant et la salutaire cavalerie otanienne pour assurer le triomphe définitif du Bien
Par définition réducteur et simpliste, ce manichéisme ne peut en effet prospérer sans expurger de la scène et du récit médiatiques tout ce qui pourrait
menacer l’univers mental dans lequel il s’agit d’enfermer l’opinion. A commencer par l’économie, l’histoire et la géopolitique, invariablement absentes des plateaux TV et autres supports.
Sans doute les entreprises médiatiques, avec leur condescendance méprisante habituelle, les jugent-elles d’un abord trop ardu et moins vendeur que leurs réductions binaires. D’où leur
préférence pour une psychologie low
cost consistant en une personnification outrancière, sinon obsessionnelle, de la Russie à travers Vladimir Poutine, personnage dont la malfaisance intrinsèque supposée suffirait
à justifier la vertueuse mobilisation de l’Occident contre la Russie. Il est vrai que la complexité fait fuir alors que le simplisme fait vendre.
Fort de ce principe bien connu des experts en «temps de cerveau
disponible», le bourrage de crâne transplante l’opinion dans un monde irréel d’où a été exclu tout ce qui participe de la conflictualité millénaire de la vie des États,
question complexe par excellence à laquelle la guerre en Ukraine n’échappe pas. Ainsi, tout est fait pour que l’opinion ignore que les conflits entre puissances, aujourd’hui comme hier,
s’articulent sur les conquêtes de marchés, l’appropriation des matières premières, le contrôle des ressources énergétiques et celui des voies permettant leur acheminement et autres
logiques monétaires… Autant de notions qui paraissent relever d’un idiome étranger pour ceux qui s’habituent à voir le monde à travers l’image fallacieuse qu’en livrent les
médias mainstream. Il
va se soi que les entreprises médiatiques ne voient aucune raison de s’encombrer de cette langue prétendument absconse quand, outre les habituelles motivations liées à l’appât du gain et
à l’obsession de l’audience, il s’agit pour elles de faire croire que les dirigeants occidentaux sont fondamentalement mus par ces fameuses «valeurs» dont ils aiment s’auréoler.
Dans pareil contexte, gare à ceux qui prétendent que la politique des Etats occidentaux n’est pas exactement ce qu’en disent leurs dirigeants et les
commentateurs qui les flattent. L’anathème de «complotisme» et ses variantes sont là pour exclure du cercle de la raison comme de celui de la morale les contrevenants à cette doxa aussi
rudimentaire que menaçante. Notons enfin que l’hypothèse du complot, interdite quand elle vise le camp du Bien, est en revanche recommandée quand il s’agit de pourfendre le camp du Mal…
Voilà, rapidement décrit, l’univers mental qui, du haut en bas de l’échelle de l’instruction, voire plus encore en haut qu’en bas, imprègne majoritairement l’opinion quant aux évènements
en Ukraine et permet d’obtenir le consentement des opinions occidentales aux expéditions et autres conquêtes des États-Unis et de leurs vassaux européens.
Objectifs et intérêts étasuniens en
Ukraine
Si, associé aux aventures extérieures des Occidentaux, la question des intérêts américains est taboue dans les rédactions mainstream, les
objectifs des États-Unis n’ont pourtant rien de secret. Absents de la scène médiatique, ils sont pourtant sur la place publique, y compris aux États-Unis où des fondations, des hommes
d’Etat et autres experts disent leur hantise de voir les États-Unis perdre le statut de puissance unipolaire auquel la disparition de l’URSS leur a permis d’accéder. Pour qui veut bien
examiner leurs analyses, il est facile de constater qu’elles sont dans la tradition millénaire de ce qui fait agir les grandes puissances, à commencer par leur volonté de le rester. A
ceci près que le statut de puissance unipolaire et planétaire des États-Unis est un fait unique dans l’histoire. Dès lors, pour ceux qui pensent la stratégie américaine, la question se
résume à ceci : comment empêcher l’émergence d’une ou de deux puissances rivales 4 ?
Pour les stratèges américains, cette émergence ne peut avoir lieu qu’en Eurasie, vaste espace continental où se concentrent la majeure partie des richesses, des territoires et des
populations de la planète. Sont visées bien sûr la Chine et la Russie, mais aussi l’Allemagne, qui pourrait rivaliser dangereusement avec les États-Unis si, forte de l’énergie bon marché
venue de Russie, elle développait avec cette dernière ses relations économiques. Comme l’écrit G. Friedman, responsable de la fondation américaine Stratfor, proche
des services secrets étasuniens : «L’intérêt le plus
important des États-Unis au cours des 100 dernières années, tant pendant la 1ère et
la 2ème Guerres
mondiales que pendant la Guerre froide, était de savoir comment les relations entre l’Allemagne et la Russie se développeraient, car si ces intérêts étaient entremêlés et associés, ce
serait la seule puissance au monde qui menacerait la primauté des États-Unis. Il est dans l’intérêt des États-Unis que cela ne se produise pas »5.
Le risque serait grand en effet pour les États-Unis de passer du statut de «puissance
globale» à un rôle modeste sinon accessoire en Eurasie. Y rester fait du contrôle de la tête de pont eurasienne qu’est l’Europe une nécessité absolue, perspective qui rend
indispensables le maintien et l’extension de l’OTAN aussi loin que possible vers l’Est. On comprend mieux l’acharnement, tant de l’administration D. Trump que de celle de J. Biden,
à empêcher la construction des gazoducs Nordstream 1 et 2, qui fournissaient à l’Allemagne une énergie russe bon marché. Sans oublier, bien sûr, que cette obstruction américaine avait
aussi pour but d’obliger l’Allemagne à acheter le gaz américain bien plus cher. Quant à l’acte de guerre antiallemand, voire antieuropéen, qu’est le dynamitagede ces deux gazoducs
par les Etats-Unis en septembre 2022, il confirme s’il en était besoin la réalité de cette stratégie américaine de rupture entre l’Allemagne et la Russie 6
Si l’Allemagne est perçue à Washington comme une puissance rivale potentielle, la Russie est en revanche l’ennemi désigné, statut qui, contrairement aux
ressassements médiatiques habituels, ne doit rien à son intervention en Ukraine de 2022, pas plus qu’à l’annexion de la Crimée en mars 2014. Son étendue gigantesque sur deux continents et
les richesses incommensurables de son sous-sol font inévitablement de la Russie une grande puissance, autrement dit un État rival avec lequel, sauf à envisager sa destruction, il faut
composer dans les affaires du monde. Un exercice pour lequel les États-Unis au fil de leur histoire n’ont guère montré d’aptitudes particulières. On sait par R. Gates, ancien chef de la
CIA puis du Pentagone, que juste après la disparition de l’URSS, on envisageait déjà en haut lieu à Washington de provoquer le démantèlement de la Russie. Peu après, Paul Wolfowitz,
secrétaire adjoint à la Défense entre 2001 et 2005 lors du mandat de Georges W. Bush ne dira pas autre chose quand il écrivait le 7 mars 1992 dans le New York
Times : «Notre premier
objectif est d’empêcher la réémergence d’un nouveau rival, sur le territoire de l’ex-Union soviétique ou ailleurs, qui représente une menace de l’ordre de celle que représentait autrefois
l’Union soviétique. (…) Alors que les
États-Unis soutiennent l’objectif de l’intégration européenne, nous devons chercher à empêcher l’émergence d’arrangements de sécurité qui pourraient affaiblir l’OTAN(…).7
L’enjeu ukrainien est ainsi au centre d’une rivalité de puissance entre la Russie et les États-Unis, ces derniers cherchant par tous les moyens, au-delà de
l’Ukraine, à affaiblir la Russie, notamment en sabotant les tentatives de cette dernière de créer un vaste espace unifié d’échanges économiques avec les ex-républiques soviétiques.
Stratégie occidentale qui parait d’autant plus agressive et indéfendable qu’elle est mise en œuvre au moment même où, de son côté, l’Europe a des objectifs d’intégration économique, voire
politique, non seulement de l’espace de l’Union européenne mais bien au-delà, de l’espace transatlantique avec les États-Unis et le Canada dans le cadre du TTIP ou du CETA8
On sait que lorsque des puissances ont pour politique d’empêcher à tout prix une autre puissance de faire ce qu’elles font elles-mêmes, elles contribuent
plus sûrement à la guerre qu’à la paix…
Affaiblir la Russie est en effet l’obsession des États-Unis et de leurs vassaux européens, tout particulièrement en Ukraine. Alors qu’il aurait été de
l’intérêt non seulement de la Russie, mais aussi de l’Europe en général, et plus encore des Ukrainiens, que l’Ukraine devienne un pont économique et pacifique entre l’Est et l’Ouest de
l’Europe, les États-Unis et l’Union européenne en ont décidé autrement. Pour affaiblir la Russie, ils ont opté pour la stratégie consistant à arrimer à tout prix l’Ukraine à l’Occident,
faisant de cette dernière un pion, ou plutôt une pièce des États-Unis en Eurasie, espace que Z. Brezinski appelait d’ailleurs Le grand
échiquier et où, selon lui, se jouait l’avenir des États-Unis comme «puissance
globale». Sauf qu’arrimer l’Ukraine à l’Occident pour nuire à la Russie ne pouvait que conduire l’Ukraine vers la
guerre.
On sait en effet que si cette stratégie convenait à l’Ouest ukrainien, traditionnellement antirusse et tourné vers l’Occident, elle ne pouvait convenir à
l’Est, traditionnellement russophile et russophone. Prendre possession de l’Ukraine nécessitant de s’allier à une partie de l’Ukraine contre une autre, la stratégie euro-atlantique ne
pouvait donc que conduire vers l’éclatement du pays et la guerre civile. D’autant plus sûrement qu’ayant besoin sur place de forces, voire d’hommes de mains, les États-Unis s’appuyaient
sur la nébuleuse néonazie, forte principalement en Ukraine occidentale, qui glorifie depuis longtemps les figures de nazis ukrainiens9.
Cette mouvance est même parvenue à obtenir l’accord complaisant des autorités gouvernementales pour procéder à la réhabilitation et glorification officielles de ces collaborateurs. Un
processus de révision complète de la 2ème Guerre
mondiale que les États-Unis ont couvert, y compris par leur vote à l’ONU, alors qu’il est notoire que les figures officiellement glorifiées par Kiev depuis 2010 avaient participé aux
exterminations génocidaires du IIIème Reich10.
L’Est de l’Ukraine ayant sur cette même période historique un regard totalement opposé à celui de l’Ouest, les États-Unis ont donc également contribué à une guerre des mémoires. Les
enjeux mémoriels s’ajoutant à ceux de la politique au présent, tout était donc en place, dès 2014, pour une guerre inexpiable.
*
Nous verrons plus loin en détails que cette extrême droite est plus précisément d’obédience néonazie. Voir plus bas les sections : Quand l’UE et Le
Monde voyaient, quand l’UE et Le Monde ne voient plus ; Les protégés de l’UE ; L’alliance occidentale avec le néonazisme.
Voir Pierrick Tillet, «Le coup d’Etat
ukrainien a bien été piloté par les Etats-Unis : la preuve», L’Obs, 25
janvier 2017. Voir «La
politique-système» des USA en Ukraine mis à nu», Le Club
Mediapart, 24 janvier 2015. Voir Jacques Baud, Opération
Z, Paris, Max Milo, 2022, p. 59.
Hubert Védrine, Les mondes de
François Mitterrand, Paris, Fayard, 1996, p. 602.
C’est le thème développé par l’Américain Zbignew Brezinski dans Le grand
échiquier. Unlivre que les atlantistes de tout poil n’aiment pas voir cité. A sa lecture, on comprend vite pourquoi. Il fait en effet apparaitre que les motivations géopolitiques
des Etats-Unis sont en contradiction flagrante avec la moraline pro américaine autour des ‘’valeurs’’ qui semble être l’ingrédient principal des analyses de plateau. Faut-il préciser
que si l’idiome géopolitique évoqué plus haut est une langue étrangère au journalisme atlantiste et par conséquent à l’opinion, il est une langue que maitrise parfaitement Z.
Brezinski, qui en fait même un outil indispensable à son analyse du monde. Une analyse dont le but avoué cyniquement est de perpétuer le règne planétaire des Etats-Unis en empêchant
qu’il soit menacé par des puissances rivales. Bien que publié en 1997, ce livre reste donc d’une brûlante actualité. Compte tenu du parcours éminent de Zbignew Brezinski, exclure
son Grand
Echiquier est un exercice difficile, même si ceux qui le tentent ne sont plus à ça près. Rappelons tout de même que Zbignew Brezinski a marqué la politique étrangère
étasunienne des années 70 jusqu’à sa mort en 2017. Il en fut même un personnage central. Chef du Conseil de Sécurité des Etats-Unis sous la présidence de Jimmy Carter (1976-1980), il
fut aussi conseiller de Georges W. Bush puis de Barak Obama. Bref, un personnage incontournable tant pour son action que par ses écrits. On a quelques raisons de penser que nos
experts atlantistes ne feraient pas la sourde oreille si un personnage central de la politique étrangère russe avait non moins cyniquement expliqué dans un ouvrage de son crû tout ce
qu’il convenait de faire pour perpétuer la puissance russe dans le monde, traitant sans détour ses alliés de vassaux, se comparant volontiers à l’Empire romain, empire que l’on sache
plutôt conquérant et impitoyable avec ses ennemis, et qui affirmerait sans vergogne que l’empire russe a une vocation planétaire et doit durer au moins une génération
supplémentaire…
Dès la nouvelle de leur dynamitage le 26 septembre 2022, la probabilité qu’il soit le fait des Russes paraissait extrêmement faible sinon nulle. Ne serait-ce que pour des
raisons géographiques basiques. En effet, en dehors de la Russie, la Mer baltique est une mer étroite et fermée dont les côtes sont presque exclusivement sous le contrôle de pays
appartenant au camp occidental : soit ils sont dans l’OTAN (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Allemagne et Danemark), soit sont en instance de l’être (la Suède et la
Finlande). Environnement très surveillé qui interdit les déplacements discrets ou secrets de navires russes indispensables pour procéder à un tel dynamitage. En dehors d’être un «lac
occidental», la Mer baltique a une autre caractéristique : ses fonds sont très hauts, la profondeur étant en moyenne de 55 mètres, ce qui rend d’autant plus facilement repérables
les éventuels déplacements de sous-marins russes par les moyens de surveillance. Alors que ces éléments rendent invraisemblable une action russe, ceux qui indiquent une action
américaine sont en revanche très nombreux. En dehors de l’hostilité publique du pouvoir américain à la construction de Nord Stream II, ajoutons la déclaration de Biden du 7 février
2022, où il revendiquait sa volonté d’y mettre un terme si la guerre en Ukraine éclatait. Le vétéran américain de la presse, Seymour Hersch est venu confirmer avec de nombreux
détails l’implication des services américains dans le dynamitage. Pour une information complète sur cette affaire, voir Michel Collon, Ukraine, la
guerre des images, Ed. Investig’action, 2023, p. 330-39.
New York
Times, 07-03-1992. Voir Jacques Baud, Ukraine entre
guerre et paix, Paris, Max Milo, 2023, p. 13.
TTIP ou TAFTA, est un projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les Etats-Unis en vue d’un grand marché transatlantique. Le CETA est son équivalent avec le
Canada.
Nous revenons plus bas sur cette question du néonazisme ukrainien, notamment dans les trois sections suivantes : Quand l’UE et Le
Monde voyaient, quand l’UE et Le Monde ne voient plus ; Les protégés de l’UE ;L’alliance
occidentale avec le néonazisme.
De 2005 à 2021, seuls les Etats-Unis et l’Ukraine s’opposent chaque année à une résolution de l’ONU condamnant toute glorification du nazisme. Proposée tous les ans par
la Russie, cette résolution obtient régulièrement une nette majorité, sauf les voix des deux Etats suscités, parfois rejoints par le Canada. En 2022, contrairement aux autres années,
la France ne s’est pas abstenue : aux côtés de tous les Etats de l’OTAN, sauf la Turquie, elle a voté avec l’Ukraine et les Etats-Unis contre la résolution. Voir Le
Figaro, 08-11-2022. Voir Jacques Baud, Opération
Z, Paris, Max Milo, 2022, p. 78. Ajoutons que la Russie n’est pas la seule à s’inquiéter de la résurgence du nazisme en Ukraine. En avril 2018, 50 députés américains
alertaient eux-mêmes leur gouvernement sur «la montée de la glorification des responsables de l’époque de l’Holocauste dans toute l’Europe». Voir The Times of
Israel, 25-04-2018 : «Congress members urge stand against Holocaust denial in Ukraine, Poland». Cité par Jacques Baud, Opération
Z, opus cité, p. 73
Qui a mis fin à la souveraineté de l’Ukraine ? (2)
Quand l’Union européenne menaçait
l’unité et la souveraineté de l’Ukraine
Mais les États-Unis n’ont pas été les seuls à la manœuvre.L’UE a de son côté parfaitement rempli son rôle de vassal zélé en relayant la stratégie de son
maitre1.
Comme le souhaitait Washington, elle a joué la carte de l’affaiblissement de la Russie et soufflé sur les braises du conflit interne à l’Ukraine, misant sur la victoire d’une partie de
l’Ukraine contre l’autre dans la perspective, redisons-le, de prendre le contrôle du pays. Quant aux projets économiques proposés par Bruxelles, nous y reviendrons plus loin, ils ne
pouvaient que transformer le pays en colonie euro-américaine. Pour la Commission européenne, la souveraineté de l’Ukraine était en effet une préoccupation pour le moins lointaine :
arrimer l’Ukraine à l’Occident, ce n’était pour elle rien d’autre que la gouverner depuis Bruxelles et/ou Washington.
Mais revenons d’abord brièvement sur le mouvement qualifié d’«Euromaïdan». On se rappelle qu’il commence à l’automne 2013 avec des manifestations dirigées
contre le gouvernement du président Viktor Ianoukovitch, démocratiquement élu en 2010. Elles sont pacifiques à leur début, voire bon enfant, et mettent en avant le thème de la lutte
contre la corruption, mal que le gouvernement en place était supposé incarner aux yeux des manifestants. La suite toutefois ne tardera pas à montrer qu’en Ukraine le mal en question est
endémique, n’épargnant le plus souvent ni les partis ni les gouvernements. Il n’est d’ailleurs nullement limité à l’Ukraine2.
A partir de décembre, lors de la fin des négociations entre l’Ukraine et l’Union européenne ces manifestations vont rapidement dégénérer. Le but avoué des
manifestants était d’obliger le gouvernement à accepter le plan de l’Union européenne visant à intégrer l’Ukraine dans «une zone avancée de
libre-échange» selon les termes de José Manuel Barroso, qui préside à ce moment-là la Commission de Bruxelles. A ceci près, il est important de le rappeler, que l’Ukraine est déjà
dans un espace économique commun avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Mais quand le 25 février 2013, José Manuel Barroso fait savoir que cette association Ukraine-Russie est
incompatible avec la proposition bruxelloise d’association, il devient évident que l’Union européenne veut mettre l’Ukraine en demeure de choisir son camp3.
Une décision particulièrement funeste dans le contexte ukrainien, marqué, nous l’avons vu, par de profondes divisions internes susceptibles de se transformer en guerre civile. Erreur de
la part de la Commission de Bruxelles ? On peut en douter, tant la stratégie européenne est en phase avec celle de Washington qui, pour prendre possession de l’Ukraine, envisage
sciemment une déstabilisation de plus en plus agressive du gouvernement légal en jetant une partie de l’Ukraine contre l’autre. Nombre d’Occidentaux, et non des moindres, font savoir que
la stratégie adoptée par Bruxelles est des plus dangereuses. Parmi eux, on remarquera notamment deux ex-chanceliers allemands, Helmut Schmidt et Gerhard Schröder, et un ex-président de la
République française, Valéry Giscard d’Estaing.
Pour Helmut Schmidt dans le Bild du
16-05-2014 : «Bruxelles s’impose
trop sur la scène de la politique mondiale(…). L’exemple le plus récent est la tentative de laCommission de l’UE
d’annexer l’Ukraine (…). Le risque que la situation s’aggrave, comme en 1914, augmente de jour en
jour».
Pour Gerhard Schröder dans Welt Am
Sonntag du11-05-2014 : «L’erreur fondamentale
a été la politique d’association de l’UE, qui a ignoré que l’Ukraine est un pays profondément divisé culturellement».
Enfin, sur Europe
1, le 11-05-2014, Valéry Giscard d’Estaing, répondant à Jean-Pierre Elkabach affirme que «les Américains ont
soutenu le désordre. Ils ont poussé au désordre en Ukraine pour affaiblir la Russie mais c’est un jeu très imprudent» 4.
Quant à Henry Kissinger, ex-conseiller du président Nixon, il critique lui aussi la stratégie américaine relayée par l’UE. Dans un article
du Washington
Post du 5 mars 2014, il conseille : «Bien trop souvent,
le problème ukrainien est présenté comme un rapport de force dans lequel l’Ukraine doit rejoindre l’Est ou l’Ouest. Mais si l’Ukraine veut survivre et prospérer, cela ne sera pas en
servant d’avant-poste pour l’un ou l’autre camp mais en servant de pont entre les deux. Toute tentative d’un côté de l’Ukraine de dominer l’autre mènerait à terme à une guerre civile ou à
une sécession. La sagesse devrait guider la politique des USA en Ukraine vers la recherche d’une coopération entre les deux camps. Nous devrions œuvrer pour la réconciliation, non pour la
domination d’un camp par l’autre». En conclusion, Henry Kissinger émet une mise en garde. Il faut parvenir à mettre en pratique une authentique politique de paix en Ukraine et ne pas
intégrer l’Ukraine dans l’OTAN. Sinon «la descente vers la
confrontation ne fera qu’accélère»5.
Enfin, citons l’interview de Jacques Attali du 4 juin 2014 sur Europe1, soit trois mois après l’annexion de la Crimée. Outre que lui aussi voit dans la
volonté d’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN «une immense erreur», il désapprouve la volonté occidentale d’isoler la Russie : «On ne peut
pas imaginer d’isoler la Russie. (…). Isoler la Russie est la pire des choses qu’ils peuvent accepter».
En Ukraine, l’UE c’est la
guerre
Avant d’examiner les menaces spécifiques que faisaient peser sur la souveraineté ukrainienne la «zone de libre-échange
avancée» que proposait l’UE, relevons qu’au-delà du cas ukrainien, ces menaces tenaient d’abord à la logique profonde de la construction européenne. De ce point de vue, les ambitions
européistes en Ukraine n’étaient pas sans ressembler à celles mises en œuvre dans les autres États de l’Union européenne, également mortifères pour leur souveraineté. Que l’on sache, les
80 000 pages d’«acquis
communautaires» ne vont pas dans le sens de l’autonomie de décision des États mais au contraire définissent autant d’abandons de souveraineté. On constate d’ailleurs que l’espace
politique et médiatique légitime invariablement cette construction du super-État bruxellois par la dénonciation des intérêts nationaux comme autant d’«égoïsmes». Quant
aux peuples, s’ils ont jusqu’à présent consenti à se voir imposer les «tables de la loi» de cette dictature juridique, c’est pour la seule raison qu’en UE, le concret de la
souveraineté s’échange contre des promesses, celles de la prospérité et de la paix. Sauf qu’en Ukraine, si les promesses étaient de la même eau, l’avenir défini par l’UE à ses habitants
ne pouvait être à court terme que la pauvreté et la guerre. Une guerre qui met désormais en danger l’ensemble du continent européen du fait de l’implication de l’UE dans un conflit voulu
avant tout par les États-Unis.
Face aux volontés de la technostructure bruxelloise, l’Ukraine parait aussi faible que les espoirs de prospérité y sont grands. D’abord parce qu’en 2014,
soit 23 ans après l’effondrement de l’URSS, le PIB par habitant restait très inférieur à ce qu’il était avant 19916.
Cette même année 2014, l’Ukraine connait une situation quasi catastrophique : proche du défaut de paiement, avec une récession de 2%, elle n’a plus que 19 milliards de réserves de
change alors qu’elle doit dans l’année en rembourser 7 à ses créanciers7.
L’Ukraine en est donc réduite à quémander un prêt au FMI que celui-ci, fidèle à lui-même, n’acceptait d’octroyer qu’en échange de privatisations massives, de coupes dans les budgets
sociaux et d’une augmentation du sextuple du prix du gaz, mesure qui aurait pénalisé les foyers déjà massivement en situation fragile. Car l’Ukraine était en 2014 le pays le plus pauvre
d’Europe, où le salaire minimum était de 100 euros/mois, soit plus bas de 30% de son équivalent en Chine8.
Dans ce contexte, l’ouverture du marché ukrainien aux produits occidentaux en échange de l’ouverture du marché européen aux produits ukrainiens ne pouvait être qu’un marché de dupes. Car
si les produits européens, très compétitifs, avaient toutes les chances de s’imposer en Ukraine, ce n’était nullement le cas de l’inverse, les produits ukrainiens n’ayant eux à peu près
aucune chance de s’imposer en UE.
Se pose également la question de savoir si la décision prise par l’UE d’ouvrir «à 98%» les
marchés ukrainien et européen, aurait été favorable aux autres Européens. A l’évidence non puisque les salaires européens auraient inévitablement été tirés vers le bas du fait de la
concurrence d’une importante main d’œuvre à bas coût ukrainienne. Ajoutons enfin que la limitation drastique des échanges de l’Ukraine avec la Russie, voulue par l’UE pour nuire à cette
dernière, ne pouvait que nuire à l’Ukraine elle-même puisqu’elle était, nous l’avons vu, dans une zone douanière issue de la CEI. Sans même évoquer les siècles de relations
d’interdépendance entre la Russie et l’Ukraine, rappelons qu’après soixante-dix ans de vie commune au sein de l’URSS, les économies russe et ukrainienne avaient évolué dans le sens de la
complémentarité et de l’interdépendance. Dans ces conditions, contraindre l’Ukraine à rompre d’un trait de plume les liens avec la Russie relevait de la vivisection. En offrant son marché
de près de 46 millions d’habitants, sa main-d’œuvre peu coûteuse et les richesses de son sol et de son sous-sol, l’avenir de l’Ukraine tel qu’il était défini par l’UE ressemblait à la
thérapie de choc connue par la Russie à partir de 1992. A moins qu’il fût celui d’une colonie contrainte d’échanger son marché contre ses matières premières et sa main-d’œuvre à bas coût,
sort guère différent.
Fondamentalement nuisible à l’Ukraine et aux Européens, le plan de l’UE était donc avant tout une machine de guerre à la fois économique et politique contre
la Russie. Ignorant délibérément que l’Ukraine était déjà dans une union douanière avec la Russie, le porte-parole de la Commission européenne, John Clancy jugera «inadmissible»
toute intervention russe dans le processus de négociations9.
Quant au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, il tancera lui aussi la Russie, lui rappelant que «le temps de la
souveraineté limitée en Europe est terminé»10. Bref,
pour l’UE, la Russie n’avait pas son mot à dire sur ce que pourrait représenter pour son marché intérieur l’ouverture à plus 98% des barrières douanières entre l’UE et l’Ukraine. Comme le
fait très justement remarquer Olivier Berruyer sur les-crises, une
comparaison simple pouvait pourtant permettre de comprendre la volonté russe d’être partie prenante dans la négociation.La situation de la Russie avec l’Ukraine était en effet comparable
à celle dans laquelle serait la France si, après avoir signé un accord de libre circulation des personnes avec l’Espagne, elle voyait cette dernière signer ensuite un accord de libre
circulation avec le Maroc11.
La France serait-elle concernée par ce changement, ou faudrait-il s’ingénier à dénoncer les interventions de la France comme un funeste reliquat de son histoire coloniale ?
La seule solution était donc d’envisager une négociation avec la Russie, ce que l’UE, comme ses maitres washingtoniens, ne voulait à aucun prix. Elle a
choisi, un quart de siècle après la chute du Mur, de dresser entre la Russie et l’Occident un nouveau Mur, l’hostilité à la Russie semblant être l’alpha et l’oméga de la stratégie
bruxelloise. Quelques voix s’élèvent alors pour dénoncer cette politique. Comme celle du sociologue Pino Arlacchi, par ailleurs député européen et ancien directeur de l’Office des Nations
Unies contre la drogue et le crime : «Cette intervention
européenne en Ukraine a été un désastre, car elle a divisé le pays. Il y a toute une partie antirusse du pays contre l’autre moitié, qui est pro-russe (…). J’ai insisté, et je continue à
le faire, avec mes autres collègues, sur l’idée que diviser un pays de cette manière n’est pas cohérent avec le message européen, n’est pas dans l’intérêt de l’Europe, et que nous
devrions développer une autre politique à l’égard de l’Est, fondée sur le dialogue et l’inclusion avec la Russie, plutôt que de se comporter comme si nous étions au pire moment de la
Guerre froide»12.
Même point de vue de la part de Alexander Rahr, expert allemand réputé de la Russie : «L’Occident ne peut
éviter de chercher une solution dans le cas de l’Ukraine avec, plutôt que contre la Russie» 13.
L’UE
n’ayant eu de cesse de réveiller l’esprit de Guerre froide, on ne s’étonnera pas de constater que «le temps de la souveraineté limitée», évoquée par José Manuel Barroso, n’a pas disparu
avec la Chute du Mur et celle de l’URSS. A ceci près qu’il n’est plus le fait de l’URSS mais de l’UE pour laquelle l’ensemble des prérogatives de l’État, à savoir le budget, le commerce
extérieur, les politiques économique et militaire ainsi que la politique étrangère doivent être sous le contrôle de Bruxelles. Un contrôle ressemblant d’autant plus à une main de fer que
l’État est faible, ce qui était ô combien le cas de l’Ukraine.Outre les drastiques «réformes» économiques semblables à celles du FMI que l’UE voulait voir appliquer en Ukraine, la «zone
de libre-échange avancée» obligeait l’Ukraine à augmenter ses dépenses militaires, à renoncer à son contrôle sur le commerce extérieur et à adopter la PESC, à savoir la politique
étrangère de l’UE.
Étonnant revirement de l’histoire : c’est finalement la Russie qui fait des propositions économiques allant dans le sens de la souveraineté de
l’Ukraine. Pour des raisons de fond qui tiennent à la nature de l’intégration économique eurasienne (Russie, Biélorussie, Kazakhstan) : celle-ci ne vise ni à établir une monnaie
unique, ni à former un parlement supranational. L’idée de créer un espace politique commun étant exclue, cela laisse plus d’autonomie, donc de souveraineté, aux États-membres.
En 2023, à l’heure où l’imaginaire atlantiste se plait à se représenter la guerre en cours en Ukraine comme l’affrontement «des autocraties
contre les démocraties», force est de constater, non sans ironie, que c’est finalement l’UE et pas la CEI qui impose aux peuples une nouvelle camisole.
Une seule solution, le
putsch
C’est finalement un choix souverain que fait le président Ianoukovitch lorsqu’il accepte en décembre 2013 les propositions russes, après qu’il ait renoncé à
signer l’accord avec l’UE à la fin du mois de novembre mais, il faut le préciser, sans pour autant avoir le même statut que les États se trouvant dans l’union douanière réunissant, outre
la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie. Sa décision est aisément compréhensible. L’Ukraine se voyait en effet proposer par la Russie un prêt de 15 milliards de dollars, alors que la
Commission de Bruxelles ne proposait que 610 millions d’euros en compensation du démantèlement de son industrie, somme qui apparait plus dérisoire encore quand on songe à l’urgence
financière dans laquelle se trouvait l’Ukraine. Quant à ce prêt russe, Vladimir Poutine précisait qu’il n’était «lié à aucune
condition, ni d’augmentation, ni de diminution, ni de gel des normes sociales, des pensions, des allocations et des salaires».A cela s’ajoutait une
baisse substantielle du prix du gaz russe de près de 33%14.
Avec la décision de Viktor Ianoukovitch, c’est donc par un échec que s’achevait cette phase de la stratégie occidentale. Pourtant, la conquête de l’Ukraine
restait l’objectif des Occidentaux. Sauf que l’importance des forces ukrainiennes opposées au basculement voulu par l’UE et les États-Unis rendait bien incertaine la réussite de leurs
projets dans un cadre de compétition démocratique normale. C’est en effet un président à la légitimité démocratique incontestable qui vient de prendre ces décisions contraires à celles
que souhaitait le camp euro-atlantiste et ses partisans ukrainiens. Rappelons aussi que même si le camp des pro-occidentaux était très actif dans un pays restant de toute façon
profondément divisé, le soutien d’une large proportion des Ukrainiens restait acquis à Ianoukovitch dans la période des négociations avec l’UE et après leur rupture. Un sondage occidental
fait début décembre 2013, soit après la décision de retrait de Ianoukovitch, est à cet égard éloquent : à la question «le président a-t-il
eu raison de na pas signer l’accord avec l’UE ?», 48% des Ukrainiens répondaient «oui», et 35% répondaient «non». Une nette majorité anticipait sur des conséquences négatives si
cet accord avait été signé15.
Enfin, d’autres sondages d’opinion font de Ianoukovitch le favori aux élections présidentielles devant avoir lieu en 201516.
Mais pour le camp occidental, il y a au moins aussi grave : la perspective de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, but ultime de la stratégie
euro-atlantiste, reste très minoritaire, voire impopulaire, en Ukraine. Citons le cas du président Iouchtchenko, élu en 2004 à la suite de la «révolution orange», farouche partisan de
cette intégration. Or, élu fin 2004, il ne termina son mandat qu’avec le score dérisoire de 5,45% lors du premier tour des élections présidentielles de janvier 2010. A ce même scrutin,
Viktor Ianoukovitch obtenait, lui, plus de 35% des voix, alors que les seuls candidats favorables à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, Iouchtchenko et Iatseniouk, n’obtenaient qu’un peu
plus de 12% à eux deux. Quant à Ioulia Timochenko, avec 25,05%, elle parvenait au second tour. Or, elle était à ce moment-là opposée à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN17.
Ainsi, en 2010, les deux candidats qui s’affrontaient au second tour étaient tous deux opposés à l’adhésion à l’OTAN18.
Enfin, nombre de sondages confirmaient le message des urnes, à savoir que les Ukrainiens étaient bien peu nombreux à souhaiter l’adhésion de leur pays à l’OTAN. En 2009, par exemple, un
sondage d’opinion confirmait le scrutin de janvier 2010 : seuls 12,5% des Ukrainiens en étaient partisans19.
Dans ces conditions, faire basculer l’Ukraine dans le giron occidental ne pouvait guère s’obtenir par des voies démocratiques. Le putsch était donc la seule option restant aux puissances
atlantistes et leurs soutiens ukrainiens. Quant aux forces nécessaires à ce putsch, elles furent puisées dans la nébuleuse des néo-nazis ukrainiens, ces derniers devenant même le fer de
lance de la prise du pouvoir.
Qui a mis fin à la souveraineté de l’Ukraine ? (3)
Mais revenons aux évènements tels qu’ils se déroulent à Kiev entre la fin novembre 2013 et le putsch du 20 février 2014. A Maïdan, les manifestations
redoublent en effet après le refus du président Ianoukovitch, de signer le plan de l’UE. Si ces manifestations ont un caractère massif incontestable, elles ne signifient pas pour
autant que la majorité des Ukrainiens les soutiennent, même si les médias occidentaux cherchent à en donner l’illusion. En fait, seuls 35% désapprouvent la décision de Ianoukovitch de
refuser le plan de l’UE. La forte mobilisation est en fait celle d’une partie de l’Ukraine, celle de l’Ouest, qui veut l’emporter contre l’autre, celle de l’Est. Quant à la décision
de V. Ianoukovitch de ne pas signer ce plan, contrairement aux dires médiatiques, elle n’était pas définitive. Il s’agissait pour lui de prendre le temps d’étudier un accord complexe
pour cerner les risques économiques du plan de l’UE pour l’Ukraine et évaluer les compensations européennes nécessaires pour le démantèlement des industries que le plan de l’UE aurait
inévitablement provoqué. Comme l’écrit justement Jean Géronimo dans L’Humanité du
7 février 2014: «Contrairement à
la rumeur médiatique, il ne s’agit pas d’un rejet de l’Europe mais d’une demande de reformulation de cet accord (qui est) politiquement non neutre et économiquement suicidaire pour
l’Ukraine»1.
Le président Ianoukovitch a-t-il souhaité obtenir à terme des concessions de l’UE qui auraient été plus avantageuses pour son pays ? C’est
probable. Mais on ne peut douter de la volonté de Viktor Ianoukovitch de rapprocher l’Ukraine de l’UE, sinon de l’intégrer. Quelques mois après avoir gagné les présidentielles en
janvier/février 2010, il le déclarait sans ambigüité : «(…) L’Ukraine est en
train de s’intégrer activement à l’Union européenne. Cette orientation stratégique est fixée dans mes déclarations répétées en tant que président de l’Ukraine. J’aimerais que tout le
monde s’en souvienne» 2.
Mais il est également incontestable que Ianoukovitch ne souhaitait pas que l’Ukraine rejoigne l’OTAN. En somme, Viktor Ianoukovitch, tout corrompu qu’il
était, voulait faire correspondre la neutralité de l’Ukraine sur le plan géostratégique à son équivalent sur le plan économique, à savoir transformer l’Ukraine en une passerelle entre
Russie et Europe occidentale, objectif dont nous avons vu qu’il était pour Kissinger lui-même le meilleur choix pour l’Ukraine. Ce projet, en rien «pro russe» ou «anti occidental»
était finalement bien adapté aux spécificités géographiques et historiques de l’Ukraine, terre entre deux destins, comme l’écrit justement Pierre Lorrain. En revanche, tout en voulant
s’intégrer à l’UE, Ianoukovitch n’était pas antirusse. Une orientation qui à l’évidence ne convenait pas au camp occidental.
En même temps que les manifestations anti gouvernementales, un défilé surréaliste commence à Kiev. Celui des personnalités politiques occidentales qui
viennent au nom de leur propre gouvernement apporter leur soutien aux manifestants anti Ianoukovitch. Spectacle étonnant que celui de ces orateurs occidentaux à Maïdan qui, en même
temps qu’ils dénoncent les «ingérences
russes», s’ingèrent eux-mêmes de manière si flagrante, sinon provocatrice, dans les affaires intérieures d’un autre État. Que le gouvernement ukrainien d’alors dispose d’une
légitimité démocratique incontestable ne semble donc pas outre mesure troubler ces politiciens. Car leur but est d’instrumentaliser la rue pour contraindre Ianoukovitch à revenir sur
son refus du plan de l’UE, voire obtenir sa destitution. Une noria de représentants de l’UE et des États-Unis fera le voyage à Kiev pour y rencontrer les chefs de l’opposition au nom
de leur propre gouvernement et tenir à Maïdan des discours à forte teneur démagogique, ceux qui flattent la foule en l’héroïsant. Ces effets rhétoriques, invariablement agrémentés
d’incantations autour des «valeurs européennes»
ne pouvaient qu’encourager les manifestants à poursuivre dans leurs objectifs maximalistes, voire insurrectionnels.
Il est saisissant qu’une question simple ait de toute évidence échappé aux représentants de l’UE et des États-Unis défilant à Kiev en décembre
2013 : comment réagiraient-ils si, pour infléchir la politique étrangère d’un pays occidental, la Russie y envoyait ses ministres pour haranguer la foule, rencontrer des chefs de
l’opposition et déstabiliser un gouvernement démocratique que la Russie considérerait comme trop pro occidental ?
C’est ce que firent, sans état d’âme apparent, Guido Westerwelle, chef de la diplomatie allemande; Carl Bildt, ministre des affaires étrangères suédois,
Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission européenne, les sénateurs John Mac Cain et Chris Murphy au nom des États-Unis. Sans parler de Victoria Nuland, sous-secrétaire du
département d’État des États-Unis, qui s’affichait en train de distribuer boissons et nourriture aux manifestants de Maïdan3.
Sonder la psychologie de ces personnages n’est pas ici le propos. Mais on ne peut éviter de se demander ce qui peut permettre à des politiciens d’agir avec un tel sentiment
d’impunité. Le cynisme ? Ou l’arrogance suprême de ceux qui croient que tout leur est permis car se percevant comme intrinsèquement supérieurs? En tout cas, l’absolue bonne
conscience de ceux qui sont précisément en train de faire dans un pays étranger ce qu’ils interdiraient chez eux laisse pantois. La formule «je peux faire
chez vous ce que vous ne pouvez pas faire chez moi» pourrait résumer leur démarche politique en Ukraine. On sait que ce double standard, mortifère pour les relations entre
individus, a une conséquence inévitable dans les relations entre États : la guerre. Elle commencera en mars 2014, quelques semaines seulement après la prise du pouvoir par les
Occidentaux et leurs alliés ukrainiens le 22 février
2014.
Quand l’UE et Le Monde voyaient,
quand l’UE et Le Monde ne voient plus
Si, comme on peut le supposer, les «valeurs»
auxquelles se réfèrent les politiciens occidentaux sont celles de la tolérance, de la liberté d’opinion et de la démocratie, elles ne sont pas exactement celles de leurs alliés
locaux. Car le mouvement Maïdan a une face que les médias et les hommes politiques occidentaux s’emploient sans discontinuer à cacher depuis 2014, à savoir le rôle décisif de la
nébuleuse des organisations néonazies dans l’organisation des manifestations et la prise du pouvoir. Dans cette nébuleuse, on trouve principalement Pravy Sektor et Svoboda, deux
groupes idéologiquement très proches qui sont l’ossature du mouvement. Deux organisations dont les méthodes sont en tout point comparables à celles de leurs prédécesseurs nazis des
années trente en Allemagne. Tout aussi fanatiques et brutaux que les SA du NSDAP, leurs nervis provoquent des bagarres au Parlement, se rendent au domicile de certains députés pour
les menacer ou les frapper, parfois les battent en plein Parlement, font des descentes dans les locaux de médias pour brutaliser leurs responsables quand ils ne leurs sont pas assez
favorables, prennent possession de la rue munis de haches et de gourdins, érigent des barrages filtrants, attaquent munis d’armes à feu les forces de l’ordre, prennent d’assaut le
Parlement, les bâtiments administratifs et les sièges des partis auxquels ils sont hostiles, lynchant publiquement ou tuant parfois leurs membres 4.
Dans l’Ouest du pays, où elles règnent en maitres, leurs «comités de
vigilance» procèdent à une épuration systématique des éléments qu’ils jugent indésirables en les excluant des conseils municipaux, interdisent les partis de gauche et le parti
gouvernemental, le Parti des Régions, en intimidant et menaçant leurs membres, y compris leur famille, forçant au départ les récalcitrants. S’il est de bon ton d’opposer la violence
et l’idéologie de ces groupes au caractère pacifique des manifestants, il est non moins vrai que ces groupes n’ont rien d’un corps étranger au sein de ces mêmes manifestants, aussi
pacifiques soient-ils5.
Ces néonazis bénéficient même d’un certain prestige auprès d’eux, comme le soulignera Doug Sanders, de la publication canadienne Globe & Mail : «En dépit de leur
histoire d’intolérance extrême, Pravy Sektor a gagné l’admiration d’un nombre étonnamment élevé d’organisations reconnues» 6.
Un moment particulièrement révélateur de l’hypocrisie et de la duplicité occidentales est celui où Catherine Ashton vice-présidente de la Commission
européenne, s’affiche publiquement avec le chef du parti néo nazi, Oleh Tiagnybok de Svoboda, à côté desquels se trouvaient également deux autres chefs de l’opposition d’alors,
qui ne voyaient pas non plus d’inconvénient à ce compagnonnage7.
Ainsi adoubé par la vice-présidente de l’Union Européenne, un chef néo nazi était subitement métamorphosé en figure respectable du combat pour ces «valeurs
européennes» dont se gargarisaient avec elle les politiciens occidentaux. La ministre américaine Victoria Nuland et le vice-président Biden feront de même. Le 15 décembre 2013 on
verra le sénateur Mac Cain s’afficher avec le chef de Svoboda face aux manifestants de Maïdan et leur lancer un «L’Amérique est
avec vous» 8.
Ces fameuses «valeurs
européennes» paraissent décidément à géométrie variable, s’adaptant rapidement et avec une étonnante souplesse aux circonstances, quitte à changer du tout au tout. On peut le
vérifier en comparant ce que disaient du nazisme ukrainien certains médias mainstream et le Parlement européen avant la crise ukrainienne, avec la ligne qu’ils adoptèrent après. On
sait en effet qu’à partir de la fin 2013, ils firent passer systématiquement la question du nazisme en Ukraine pour un épouvantail agité par la propagande russe, voire pour une lubie
paranoïaque de Vladimir Poutine. Mais citons d’abord Le Monde qui, en 2012, avant ce changement, mais sans reprendre toutefois le terme de «nazi», titrait tout de même : «Les nationalistes
de Svoboda inquiètent les Juifs et les Russes» 9.
Plus étonnant encore, au regard de l’extrême indulgence, ou de l’ignorance feinte, dont font preuve depuis 2014 les institutions européennes sur la question du nazisme ukrainien,
citons cette déclaration du Parlement européen de décembre 2012. Cette année-là, il déclarait être inquiet «de la montée du sentiment nationaliste en Ukraine, qui s’est traduit par le
soutien apporté au parti Svoboda». Et rappelait «que les opinions
racistes, antisémites et xénophobes sont contraires aux valeurs et principes fondamentaux de l’Union européenne et, par conséquent, invite les partis démocratiques siégeant à la
Verkhovna Rada à ne pas s’associer avec ce parti, ni à approuver ou former de coalition avec ce dernier» 10.
Certes, là encore le terme de «nazi» n’est pas prononcé. Mais, force est de constater que la teneur de cette déclaration de 2012 du Parlement européen est pour le moins éloignée,
redisons-le, du silence de rigueur qu’observera ultérieurement la même assemblée sur la question du nazisme. En un an, les valeurs européennes semblent en tout cas avoir évolué
rapidement…
Les politiciens occidentaux ne voyant pas d’inconvénient à s’afficher avec les représentants de Svoboda, on ne peut guère s’étonner du fait qu’à
aucun moment ils ne désavouent l’alliance que les partis d’opposition ukrainiens dits «démocratiques» ont scellé avec ce parti néo nazi. C’est le cas en particulier de Patrie, le
parti de Ioulia Timochenko, figure de l’opposition invariablement choyée par les médias mainstream et dont les politiciens occidentaux ont même fait l’emblème de la démocratie
ukrainienne.
Les protégés de
l’UE
Si en 2012 Le
Monde et le Parlement européen alertaient sur Svoboda sans le qualifier de nazi, il reste que l’idéologie, l’origine, le folklore, la rhétorique, sans parler des pratiques
évoquées plus haut, sont bel et bien nazis. On sait que la figure tutélaire de Svoboda est Stepan Bandera, agent de l’Allemagne, nazi ukrainien notoire, dont les forces ont participé
directement à la Shoah aux côtés des forces allemandes. Significative encore une fois de l’évolution européenne sur ce sujet, citons encore cette déclaration de 2010 du Parlement
européen relative à Stepan Bandera. A la différence de celle citée plus haut, datant de 2012, il rattachait en 2010 clairement au nazisme le héros de l’actuel nationalisme ukrainien
au nazisme. Le Parlement européen déclarait en effet qu’il «regrettait
vivement la décision du président Iouchtchenko, d’accorder à titre posthume à Stepan Bandera, chef de l’organisation nationaliste ukrainienne OUN qui collabora avec l’Allemagne
national-socialiste, le titre de «héros national de l’Ukraine» 11.
Que ce personnage soit la référence commune de tous les partis ukrainiens de l’opposition pro occidentale laissera pourtant ultérieurement les Occidentaux de marbre dans la totalité
du spectre médiatique et politique. Signalons encore que l’emblème de Svoboda est la «Rune du Loup», qui était celui de la division SS Das Reich, celle qui a exterminé la population
d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Et qu’avant de s’appeler Svoboda en 2004, le nom de l’organisation était Parti national-social, dénomination qui laisse peu de doute sur ses
allégeances idéologiques. Quant aux responsables de Svoboda, évoquons d’abord son chef, Oleh Tiagnibok, coutumier des déclarations racistes en tout genre, notamment ses déclarations
contre «la
juiverie» 12.
Evoquons aussi Yuri Mykhalchyshy, par ailleurs député de Svoboda, connu pour avoir fondé en 2005 l’institut Joseph Goebbels13.
Un autre député de ce parti, Oleg Pankevitch, organise en juillet 2013 une cérémonie de ré-inhumation de SS tombés pendant la 2ème Guerre
mondiale dont on avait récemment trouvé les corps14.
Citons encore Irina Farion, «linguiste» de Svoboda, qui considère que les 14% d’Ukrainiens russophones sont des «dégénérés qui ne
méritent que la mort» 15.
Evoquons enfin les retraites au flambeau inspirées de leurs équivalents nazis dans l’Allemagne des années trente. Elles ont lieu régulièrement en Ukraine de l’Ouest en hommage à
Stepan Bandera et y participent des milliers de personnes16.
En particulier celle qui eut lieu à Kiev le 1er janvier
2014, où 15 000 torches furent allumées pour célébrer le 105ème anniversaire
de la naissance du chef nazi ukrainien. Si la manifestation renoue spectaculairement avec le décorum nazi, les Occidentaux intervenant après cette date n’en ont apparemment rien
su…
Six mois avant ce défilé néonazi, en juillet 2013, la nature de Svoboda n’avait toutefois pas échappé à un groupe de 30 députés de la Knesset, soit le
quart de l’Assemblée nationale israélienne. Ils s’inquiétaient alors du poids électoral croissant d’un parti qu’ils n’hésitaient pas, eux, à qualifier de néonazi. Ils s’inquiétaient
tout autant de la coopération des autres partis d’opposition avec Svoboda. Insistant sur l’imprégnation nazie d’une large partie de la classe politique ukrainienne, cette déclaration
officielle israélienne va totalement à rebours des propos lénifiants des médias occidentaux selon lesquels le nazisme ne serait en Ukraine qu’un phénomène marginal. Les députés de la
Knesset déclaraient en effet : «Cela fait plus de
6 mois que nous recevons des rapports alarmants sur la nouvelle tendance nationaliste en Ukraine agitée par le parti néo-nazi Svoboda (…). Nous sommes alertés des menaces et des
attaques calomnieuses lancées par les membres de ce parti contre les Juifs, les Russes et d’autres minorités. Ce sont des individus qui puisent leur inspiration dans les
nazis et glorifient ouvertement les meurtriers de masse des divisions SS ukrainiennes. Nous avons également été choqués par le fait que ce parti n’est pas du tout isolé, mais
jouit d’une pleine coopération avec les deux principaux partis de l’opposition en Ukraine [Ndt : Patrie et UDAR]. Malheureusement, ces partis n’ont absolument pas protesté contre
les actions et les déclarations de leur partenaire extrémiste, mais ils se sont même compromis par leur propre glorification publique de criminels de guerre nazis
ukrainiens» 17.
On ne saurait dire mieux que, contrairement à un argument fallacieux ressassé par la propagande occidentale, l’imprégnation nazie est loin de se limiter aux seuls résultats électoraux
de Svoboda.
Quant à celle qui était alors la vice-Premier ministre d’Israël, Tzipi Livni, elle tient un discours tout aussi catégorique sur Svoboda. En
janvier 2013, elle déclarait : «Je pense qu’un
phénomène comme le parti social nationaliste totalitaire Svoboda ne doit pas être négligé et laissé sans réponse de la communauté internationale. Vous noterez que même les partis les
plus radicaux en Europe ont refusé de coopérer avec Tiagnibok. Même le parti français d’extrême droite de Marine Le Pen. Même le parti hongrois Yobik. Dans le monde d’aujourd’hui, il
y a des règles de bienséance, des normes de la mémoire historique. Tiagnibok et son parti (Svoboda) ont violé ces règles. (…) Je préconise de prendre toutes les mesures possibles pour
supprimer les partis néonazis et leurs activités» 18.
Une déclaration qui mérite qu’on s’y attarde. Car en insistant sur le fait que l’ensemble de l’extrême droite européenne a coupé les ponts avec Svoboda,
Tzipi Livni met en évidence un fait dévastateur pour l’ordre européiste, à savoir que la classe politico-médiatique européenne a toutes les complaisances pour un parti que le FN
lui-même trouve infréquentable en raison de son extrémisme de droite. Un comble en effet : alors que cette classe politico-médiatique unanime appelle à chaque scrutin à contrer
le danger fasciste que représenterait le Front national et à l’urgence morale d’un cordon sanitaire autour de ce parti, elle est tout aussi unanime à trouver Svoboda fréquentable.
Cette classe ne voit donc aucun obstacle moral ou autre à ce que ce parti soit intégré dans une alliance avec des partis supposés représenter les «valeurs
européennes». Complaisance pour le moins compromettante, qui est celle de Laurent Fabius, qu’on sait par ailleurs très actif dans la lutte contre le Front national. Le 11 mars
2014, sur France Inter, non seulement il occulte totalement la nature néonazie de Svoboda mais il va jusqu’à contester catégoriquement que Svoboda soit d’extrême droite :
«Le
parti Svoboda est un parti plus à droite que les autres, [mais il n’est pas] d’extrême droite» 19.
Même propos au Monde, dont
les états de service dans la lutte contre le Front national sont assez semblables. Le 9 mai 2014, dans l’émission Arrêt sur image, le journaliste Piotr Smolnar, en charge au quotidien
de la crise ukrainienne, affirme tout aussi catégoriquement : «On ne peut pas
établir un signe d’égalité entre Svoboda et …et… le nazisme, c’est juste un mensonge» 20.
Voir les-crises,
Ukraine et Euromaïdan (5), Quand Washington s’emmêle.
Pierre Lorrain, Ukraine, une
histoire entre deux destins, opus cité, p. 582.
Voir
les-crises, La face
cachée de l’Euromaïdan (synthèse).
Les-crises, Euromaïdan
(6) Le coup d’Etat.
Idem. Sur le site les-crises,
voir également Les nazis et
l’Ukraine (8); Crise ukrainienne : Secteur Droit, c’est ça ; voir Ukraine et
Euromaïdan(9) avec notamment l’interview de Natalia Vitrenko, femme politique ukrainienne. Voir Ukraine et
Euromaïdan (6), le coup d’Etat. Voir également Ukraine et
Euromaïdan (2), les fascistes font monter la violence pro-européenne.
Les-crises,
idem.
Les-crises, Ukraine
et Euromaïdan (4), Les puissances occidentales soutiennent un coup d’Etat en Ukraine.
Idem. Le
Monde, 15-12-2013.
Le
Monde, 01-11-2012. Voir les-crises, Ukraine et
Euromaïdan (2), Les fascistes font monter la violence pro-européenne.
Les-crises, Ukraine :
la face cachée de l’Euromaïdan (synthèse)
Les-crises,Ukraine
et Euromaïdan (2), les fascistes font monter la violence pro-européenne.
Les-crises,
La face cachée de l’Euromaïdan (synthèse). Les nazis et l’Ukraine (8).
Les-crises Les nazis et
l’Ukraine (8).
Idem.
Idem.
Les-crises, les
nazis et l’Ukraine (8), résurgence néonazie depuis 1991, du SNPU au parti Svoboda.
Les-crises, La
face cachée de l’Euromaïdan (synthèse).
Idem.
Les-crises,
La face cachée d’Euromaïdan (synthèse).
Les-crises, Les
nazis et l’Ukraine (8).
Qui a mis fin à la souveraineté de l’Ukraine ? (4)
Il est donc clair que l’alliance scellée entre les Occidentaux et les néonazis ukrainiens va bien très au-delà de ce qu’on appelle généralement une
«alliance
objective», à savoir la situation où se trouvent parfois deux forces politiques ou étatiques qui, à un moment donné, peuvent avoir le même but sans pour autant s’être
concertées ou officiellement alliées. Avec le néonazisme ukrainien, le camp occidental a été bien plus loin que ce type d’alliance : il a fait de Svoboda un partenaire
fréquentable. Et, ce qui n’est guère moins déshonorant, il a menti sur sa nature pour rendre présentable auprès de l’opinion ce rapprochement avec un parti néonazi. Laurent Fabius est
à cet égard un cas d’école. Acte un, il a un entretien officiel avec le chef de ce parti, Oleh Tiagnibok, et ses alliés «démocrates
ukrainiens» ; acte deux, il prétend que Svoboda n’est pas d’extrême droite alors qu’il s’agit d’un parti néonazi. Politique de dédiabolisation sinon de réhabilitation d’un parti
néonazi à laquelle Catherine Ashton, parmi d’autres, a elle-même participé comme nous l’avons vu plus haut. L’Occident a donc très officiellement offert aux forces nazies ukrainiennes
cette récompense des plus précieuses en politique : une «respectabilité», autrement dit l’onction que représentent des entrevues officielles avec les grands du monde occidental
et une alliance avec des partis que l’Occident présente invariablement comme incarnant les «valeurs
européennes». Sans parler des ministères et postes sensibles sur les plans militaire et sécuritaire que le parti néonazi a obtenus une fois la victoire acquise, comme ce sera le
cas après le putsch du 20 février. Ajoutons qu’une «respectabilité», ça se traduit tout naturellement par un accroissement du pouvoir politique. Sauf que lorsqu’on offre la première,
on est nécessairement complice du deuxième. On nous accordera que lorsqu’un ou plusieurs États font ces faveurs à un mouvement politique, ils vont très au-delà de ce qu’on appelle une
«alliance objective».
Les objectifs occidentaux et ceux des néonazis ne sont pourtant pas exactement les mêmes.
Pour les politiciens occidentaux, il s’agit de faire main basse sur l’Ukraine, donc d’en finir avec sa souveraineté, en offrant le pays aux appétits de
leurs grandes entreprises dont ils ne sont que les fondés de pouvoir. Ce faisant, il s’agit également pour eux de transformer l’Ukraine en un porte-avion menaçant la Russie, objectif
qui, comme l’avons vu, participe de la stratégie américaine de rivalité avec la Russie que leurs vassaux Européens ont entérinée.
Quant aux nazis ukrainiens et nombre de leurs alliés, ils sont imprégnés de la mythologie nazie du peuple-race et voient dans l’alliance avec l’Occident
le meilleur moyen de réaliser leurs espoirs de «nation
racialement pure», quitte à lui livrer l’Ukraine clés en mains. L’objectif raciste de Svoboda et de ses semblables néonazis nécessite d’abord de souder les Ukrainiens autour d’un
fanatisme anti russe, car les Russes sont dans l’imaginaire des néonazis l’obstacle principal à l’homogénéité raciale dont ils rêvent1.
Pour ces derniers, les Russes ne sont qu’un peuple abâtardi parce que métissé avec des Asiatiques, autrement dit des «Asiates». Composer avec les Russes d’Ukraine dans la perspective
d’un projet national ukrainien contraindrait les néonazis à accepter une Ukraine multiethnique, multilinguistique, perspective qu’ils abhorrent pardessus tout. Mais ce racisme est
d’autant plus extrême, voire délirant, que l’identité linguistique, religieuse et historique des Ukrainiens est en réalité fondamentalement proche de celle des Russes, celle desuns se
confondant souvent avec celle des autres. La haine maladive de la Russie par les Ukrainiens de Kiev se substitue donc à des différences qui sont trop faibles pour fonder un
antagonisme. Comme dans le cas de l’antisémitisme, la haine est ici d’autant plus grande que les différences sont petites. Seule la haine peut permettre durablement de séparer par un
mur d’affects inexpiables les Russes des Ukrainiens. Un mur qu’ils s’emploieront à fabriquer de toute pièce avec un grand récit identitaire, quitte à ce qu’il soit de pure
fiction.2
C’est donc cette alliance entre néonazisme et États occidentaux, où chacun instrumentalise l’autre en même temps qu’il s’en fait le complice, qui est à
la manœuvre dans le putsch sanglant du 20 février 2014.
Le putsch de Kiev
Car c’est incontestablement un putsch qui a lieu le 20 février 2014. Toutes les caractéristiques en sont réunies : d’abord la violence pour
s’emparer illégalement du pouvoir et ensuite l’habillage juridique pour paraitre légitime après que la violence en a permis la conquête.
La violence d’abord. Elle monte inexorablement durant les semaines qui précèdent le putsch malgré les propositions de la fin janvier 2014 du
gouvernement de Ianoukovitch d’ouvrir son gouvernement à l’opposition et de nommer un premier ministre issu de ses rangs3.
Mais l’objectif étant précisément le renversement de Ianoukovitch, rien ne semble pouvoir arrêter la montée de la violence. Le 18 février, des groupes paramilitaires néonazis de Pravy
Sektor, plus extrémistes encore que Svoboda, tirent sur les forces de l’ordre et les affrontent dans de sanglantes batailles rangées et des combats de rue qui feront ce jour-là 13
morts dont 6 policiers. Sans surprise, la trêve qui sera proposée par les autorités est refusée par Pravy Sektor.4
Mais le 20 février, la violence atteint un niveau de violence inédit quand des tireurs embusqués, visant la foule et les policiers présents, tuent 86
personnes et en blessent environ 600. Ce massacre jouera un rôle décisif dans la prise du pouvoir par le parti néonazi Svoboda et ses alliés de OuDar et de Patrie. D’abord parce que
l’opposition ukrainienne et l’ensemble des médias occidentaux, profitant de l’indignation et de la sidération générale, s’empressent d’accuser le président Ianoukovitch, les uns comme
les autres espérant qu’ainsi discrédité et fragilisé, son maintien au pouvoir deviendrait impossible. Ils n’ont pourtant pas la moindre preuve, et pour cause, de ce qu’ils affirment.
La mise en accusation immédiate de V. Ianoukovitch, contribua dès le 21 février à la radicalisation des manifestants de Maïdan qui, même s’ils n’étaient que 20 000 à 30 000,
étaient maintenant en position de force pour exiger son départ immédiat inconditionnel et refuser encore une fois ses propositions et concessions.
Loin de se limiter à la rue, le massacre et la manipulation de l’indignation eut à la Rada, l’Assemblée nationale ukrainienne, des retombées non moins
décisives en faveur des putschistes. Car une soixantaine de députés du parti présidentiel, le Parti des Régions, quittèrent la majorité pour l’opposition putschiste, persuadés que
Ianoukovitch et sa police étaient responsables du massacre.
Cette défection n’était toutefois pas suffisante pour assurer la victoire du putsch. Les groupes néonazis eurent recours largement à la menace et à la
violence pour avoir raison des récalcitrants. Car le 20 février, le jour-même du massacre, les groupes Svoboda et de Pravy Sektor prennent d’assaut le Parlement et c’est
finalement sous la pression de deux mille manifestants de Svoboda et de Pravy Sektor que l’assemblée débattra de la destitution du président. À l’extérieur, un blindé les accompagne
et est organisé un «couloir de la
honte» pour les récalcitrants, notamment ceux du parti communiste et ceux du parti présidentiel suspectés de mal voter. À proximité se trouve un millier de pneus que les
manifestants menacent de faire brûler au cas où le résultat du vote parlementaire n’irait pas dans le sens souhaité par les putschistes.5
Au climat d’intimidations et de violence, succède un habillage juridique du putsch qui violera largement la constitution ukrainienne. Les conditions
dans lesquelles le président Ianoukovitch sera destitué paraissent elles-mêmes des plus douteuses. Alors que ce dernier avait dû fuir en raison des menaces que les putschistes
eux-mêmes faisaient peser sur sa vie et celle de sa famille, les députés le destituèrent au nom du fait qu’il aurait «quitté ses
fonctions de manière inconstitutionnelle». Pourtant, quelques jours après sa fuite, le président était réapparu et avait déclaré publiquement pour quelles raisons il avait été
contraint de s’enfuir. À aucun moment pourtant la Rada jugea utile de l’entendre et préféra faire comme s’il n’existait plus. Quant aux dispositions prévues par la constitution pour
le démettre, aucune ne sera respectée : ni la procédure de destitution, qui nécessitait une instruction de la Cour constitutionnelle, ni le nombre de députés, qui devaient être plus
de 75% à approuver sa destitution, quorum qui ne fut pas atteint6.
À l’évidence, les décisions de la Rada participaient ni plus ni moins d’un simulacre d’État de droit. Simulacre que politiciens et médias occidentaux, faut-il préciser, accompagnèrent
en l’approuvant à chacune de ses étapes.
Massacre sous faux
drapeau
Mais revenons sur l’évènement évoqué plus haut, celui ayant permis aux Occidentaux et à leurs alliés ukrainiens de conquérir le pouvoir et de mettre fin
à la souveraineté de l’Ukraine, à savoir le massacre de plusieurs centaines de personnes tuées et blessées le 20 février 2014 sur la place centrale de Kiev. On remarque tout d’abord
qu’à de très rares exceptions près, le bain de sang ayant accompagné le putsch de Maïdan a été totalement occulté par les médias occidentaux, la place qu’ils lui ont accordée sur le
moment se limitant à l’utilité momentanée qu’il présentait pour eux de chasser Ianoukovitch du pouvoir. Occultation ô combien révélatrice du fonctionnement médiatique. Qu’on
songe à l’ampleur du massacre, au cynisme de ceux qui l’ont voulu et organisé et à ce qu’il représente dans l’histoire récente de l’Ukraine, qu’il s’agisse de la prise du pouvoir à
Kiev, du basculement de l’Ukraine dans le giron occidental et de la guerre du Donbass qui s’ensuivit, pour ne pas parler de l’intervention russe de février 2022. Sans doute faut-il
voir dans l’occultation de ce fait majeur, totalement inexistant dans la conscience de l’opinion, un symptôme parmi d’autres de l’absence impressionnante de déontologie des
entreprises médiatiques qui, sous couvert d’«information», sont depuis longtemps devenues des machines vouées à la mobilisation de l’opinion sous la bannière atlantiste.
Etant attribué immédiatement à Ianoukovitch, le massacre, certes, profite indubitablement aux putschistes puisqu’il crée un climat politique et
émotionnel qui leur permet immédiatement de prendre le pouvoir. On objectera toutefois avec raison que si le crime profite aux putschistes, ils n’en sont pas pour autant les auteurs.
Sauf que juste après la prise du pouvoir, les éléments de preuve se sont accumulés pour désigner l’opposition et non pas Ianoukovitch. Éléments de preuve qui montrent
qu’indubitablement le massacre de Kiev est ce qu’on appelle un massacre sous faux-drapeau.
L’expression toutefois rend compte assez mal du cynisme et de la perversité de ce genre d’opération. Car il ne s’agit pas d’autre chose que de tuer les
siens pour faire croire à l’opinion intérieure et internationale qu’ils ont été tués par l’ennemi. Moyen criminel par lequel le méchant apparait plus méchant encore. Et plus les
victimes sont nombreuses, plus le méchant apparait méchant, alors qu’il n’est pas l’auteur du crime. On conviendra que ce type d’opération dépasse en cynisme et en infamie le tir sur
des civils désarmés par des forces de l’ordre. Si ce dernier cas, évidemment indéfendable, se caractérise par la brutalité, le massacre sous faux drapeau, tout aussi meurtrier, y
ajoute la perversité d’une double trahison : non seulement les auteurs du carnage tuent des innocents qui appartiennent à leur camp, mais les forces ou l’État qui le commettent
ont pour but, avant même de tromper l’opinion internationale, de tromper leur propre opinion publique. Un des exemples les plus célèbres de ce type d’opération est de provenance
nazie. Il s’agit de l’attaque de la station de radio allemande de Gleiwitz par des détenus allemands déguisés en soldats polonais pour faire croire à l’opinion allemande que le pays
était attaqué par la Pologne. C’est ainsi que sera justifiée, quelques heures après, l’attaque contre ce pays, agression qui marquera le début de la 2ème Guerre mondiale.
À l’âge médiatique en effet, ceux qui commettent un massacre sous faux drapeau ont le plus souvent une intention : créer une émotion telle que
l’intervention militaire qu’ils ourdissaient depuis longtemps devienne possible, voire exigée par une opinion manipulée. Ça a été le cas en ex-Yougoslavie où la technique du
massacre sous faux drapeau a été à plusieurs reprises, sinon systématiquement, utilisée par les autorités musulmanes de Sarajevo pour «internationaliser» la crise bosniaque, autrement
dit pour faire intervenir l’OTAN. Précisons que ces crimes bénéficient invariablement du soutien des médias occidentaux qui s’emploient sans compter à orchestrer l’animosité de
l’opinion contre les méchants du moment et exiger l’intervention salvatrice. Le duo complice que forment l’OTAN et les médias occidentaux justifie donc parfaitement qu’on parle de
«médias militarisés».
Si contrairement aux cas évoqués plus haut, l’intervention armée des Occidentaux n’était pas encore en février 2014 dans l’agenda des putschistes, la
mise sous contrôle des forces armées du pays par l’OTAN fut en revanche immédiate. On retrouve donc dans le massacre de Maïdan de 2014 les caractéristiques habituelles des massacres
sous faux drapeau, à commencer par les liens systémiques entre les médias occidentaux et l’OTAN, liens que ces carnages rendent particulièrement évidents. Comme en Bosnie, la prise de
possession du pays a été couverte par les incantations hypocrites sur les «valeurs», par la dénonciation mensongère de ceux qui en fait n’étaient pas les auteurs du massacre, puis par
l’occultation des auteurs réels, et enfin par la disparition du fait politique et historique que ce massacre représente. Sans doute une modeste «expérience par l’esprit» permettrait
de mieux saisir l’ampleur de la falsification médiatique relative au putsch et au massacre de Maïdan. Elle consisterait à garder le scénario du massacre de Kiev mais en changeant la
nationalité des protagonistes et le lieu où il s’est déroulé. Imaginons qu’un massacre équivalent à celui de Maïdan ait été perpétré à Paris sur la place de la Concorde par des tueurs
pro-russes contre des manifestants eux-mêmes pro russes. Le massacre ayant été suivi d’une prise de pouvoir par un gouvernement pro russe et du contrôle des médias, il est probable
que nombreux seraient les Français à être quelque peu étonnés, sinon sidérés, de voir les médias faire disparaitre le carnage et continuer de parler de la France comme d’un «État
souverain».
Le carnage de
Maïdan
Quant aux éléments de preuve évoqués plus haut, précisons qu’il s’agit de témoignages, d’une expertise médico-légale rapportée par un témoin difficile à
soupçonner, d’expertise balistique et de séquences vidéo. Tous impliquent l’opposition pro-occidentale.
Le premier témoignage relève de ces éléments de preuve difficiles à contester car provenant de la partie qui a le moins intérêt à en faire état. Il
vient en effet de l’UE. Il s’agit d’une conversation privée ayant été piratée mais néanmoins incontestable car authentifiée quelques jours après par l’un des interlocuteurs7.
Quant aux auteurs de ce piratage, ils semblent appartenir au SBU, les services de sécurité ukrainiens, qui étaient à ce moment-là encore sous le contrôle du gouvernement Ianoukovitch.
Diffusé dès mars 2014 sur internet, il s’agit d’un échange entre Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission européenne et Urmas Paët, ministre estonien des Affaires
étrangères, qui rend compte de sa visite à Kiev dans les jours qui suivent le massacre. Et il tient à Catherine Ashton ce propos dévastateur pour l’opposition ukrainienne et ses
soutiens occidentaux : «Ce qui était
troublant c’est que Olga (Il s’agit de Olga Bogomolets, chef d’hôpital) disait que toutes les preuves indiquent que les personnes qui ont été tuées, (…) aussi bien les policiers que
les gens dans la rue l’ont été par des snipers tuant les gens des deux camps. (…) Elle m’a montré des photos, en tant que médecin, elle dit (…) qu’il s’agit du même type de balle. Et
c’est vraiment troublant que la nouvelle coalition ne veuille pas faire une enquête là-dessus pour savoir ce qui s’est passé. Il y a de plus en plus le sentiment que derrière les
snipers, il n’y avait pas Ianoukovitch mais que c’était quelqu’un de la nouvelle coalition. Cela discrédite déjà la nouvelle coalition». Résumons : un témoin qui est un
ministre des Affaires étrangères de l’UE, a eu un contact direct avec la responsable de l’hôpital où les autopsies des victimes du massacre ont été faites ; ce témoin a vu les
photos prouvant que les tirs visaient à la fois les policiers et les manifestants et qui, constatant que les nouvelles autorités se refusent à toute enquête, suspecte fortement ces
dernières d’être les auteurs du crime.
Le supérieur hiérarchique de Urmas Paët, à savoir le Premier ministre estonien, s’est empressé de contester les affirmations de son ministre des AE,
appartenance à l’UE oblige. Mais il reconnait que la conversation piratée était authentique, sans pour autant apporter le moindre élément allant à l’encontre de ceux évoqués par son
ministre des AE8.
Quant à Olga Bogolomets, le médecin qui était le contact direct de Urmas Paët, elle a été rapidement réduite au silence et refusera de confirmer les propos qu’elle avait tenus au
ministre des AE estonien. On comprend mieux sa prudente réserve quand on sait que la personne qui venait d’être nommée procureur et en charge de l’enquête appartenait à Svoboda, parti
néonazi évoqué plus haut dont on connait le traitement qu’il réservait aux magistrats tentant de rester impartiaux. La vidéo mise en ligne par Pierrick Tillet de L’Obs est
à cet égard éloquente : dans une séquence presque insoutenable, on voit le chef d’un groupe de nervis néonazis de Pravy Sektor en tenue paramilitaire brutaliser et humilier un
magistrat ukrainien9.
Au-delà du témoignage de Urmas Paët, d’autres éléments que nous allons évoquer confirment le sabotage de l’enquête par les nouvelles autorités de
Kiev.
Notamment un reportage de la chaine allemande ARD du
5 avril 2014, qui montre également l’implication des forces putschistes dans le carnage du 20 février10.
L’origine des tirs est prouvée par des témoignages et une expertise balistique : ils provenaient de l’hôtel Ukraina, qui était le QG de l’opposition. Une conversation enregistrée
ayant eu lieu entre des membres des forces de l’ordre de Ianoukovitch pendant le massacre établit également que ces dernières ne tiraient pas sur les civils en train de manifester.
Par ailleurs, un autre médecin de l’hôpital central de Kiev confirme que les tirs visaient à la fois les policiers présents et les manifestants anti-Ianoukovitch. Quant à la fiabilité
des magistrats arrivant aux manettes de l’institution judiciaire avec le nouveau pouvoir fin février 2014, et adoubé par l’UE, les personnes interrogées par la chaine allemande sont
éloquentes : tous se plaignent de l’obstruction des magistrats et du fait que les éléments de preuve permettant d’enquêter ont tous disparu, notamment les balles et les
douilles.11
L’obstruction du nouveau régime à toute enquête ne relève donc ni de la propagande ni de fumeuses spéculations «complotistes». À tel point que le
Conseil de l’Europe lui-même ira jusqu’à condamner en termes sévères les autorités et le pouvoir ukrainien auquel le Conseil reproche de n’avoir entrepris «aucune tentative
sérieuse de mener des enquêtes»12.
Louable intention de faire la lumière sur la tragédie, certes. Sauf que tout en constatant cette obstruction des nouvelles autorités kiéviennes, l’institution européenne a laissé
faire et s’est bien gardée de brandir de quelconques menaces de sanctions. À l’évidence, elles auraient fragilisé un pouvoir que l’UE a elle-même installé.
Une question mérite d’être posée : si une telle accumulation d’éléments de preuve désignait le pouvoir russe comme coupable d’un carnage, nos
médias en parleraient-ils un peu plus ? Sans doute, et ils auraient raison. Autant qu’ils ont tort aujourd’hui de ne rien en dire pour la seule raison de protéger un régime
«ami».
En tout cas, la volonté du pouvoir putschiste ukrainien de cacher la vérité, qui s’ajoute aux éléments de preuve cités plus haut, le désigne comme
l’auteur du carnage, au-delà de tout doute raisonnable, même si aucun jury, et pour cause, n’a pu statuer.
Les massacres sous faux drapeau ont leur logique, qui oblige leurs auteurs à aller jusqu’au bout de la perversité intrinsèque de leur opération. Une
fois le massacre commis, il faut s’emparer des victimes et les honorer comme si elles étaient tombées sous les balles de l’ennemi. Pendant plus d’un an, les quatre-vingt-six portraits
des personnes assassinées par les putschistes furent affichés à Maïdan pour illustrer la barbarie du régime précédent et parer de légitimité victimaire celui issu du putsch…
Sur la question du racisme officiel ukrainien, voir plus bas note 65
C’est le rôle d’Holodomor, qui présente fallacieusement la famine du début des années trente en Ukraine comme spécifiquement ukrainienne alors qu’elle a sévi partout en
URSS, notamment en Russie et au Kazakhstan. Autre aspect du mythe d’Holodomor : les responsables de cette famine sont supposés être «les Juifs». Dans ce mythe,
les Juifs, alliés des «Moskals» (terme russophobe désignant les Russes), sont coupables d’avoir voulu l’extermination des Ukrainiens. Ce crime ayant précédé la Shoah,
l’extermination des Juifs ukrainiens apparait comme une «réaction» à Holodomor. Ce qui permet de justifier la shoah en Ukraine.
Voir Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (6), le coup d’État». Voir
Pierre Lorrain, «L’Ukraine, une histoire entre deux destins», Paris, Bartillat, 2021, p. 596.
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (6), le coup d’État».
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (6)».
Voir Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (6), le coup d’État». Voir aussi Pierre Lorrain, «L’Ukraine, une histoire entre deux destins», opus cité, p. 597.
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (9), Oups, ce sont peut-être les « gentils» qui ont tué les manifestants».
Lucien Cerise, «Ukraine, la guerre hybride de l’OTAN», Culture &Racines, juin 2022, p. 169.
Les-crises, «Qui et responsable du carnage de Maïdan ?»
Pierre Lorrain évoque également l’absence d’enquête, émettant l’hypothèse que «la révélation de l’identité des tireurs risquerait de ternir l’image de l’Euromaïdan». Voir
«L’Ukraine, une histoire entre deux destins», Paris, Bartillat, 2021, p. 596.
Lucien Cerise, «Ukraine, la guerre hybride de l’OTAN», opus cité, p. 171. Voir Le Figaro, 31-03-2015, «Kiev accusé de saboter l’enquête sur les «crimes» de
Maïdan».
Qui a mis fin à la souveraineté de l’Ukraine ? (5)
Mais les putschistes n’ont pas agi seuls. À l’évidence, ils ont bénéficié de l’aide des
États-Unis. Certes, les éléments de preuve sont moins nombreux que les indices. Mais on a peu de raisons d’en douter quand George Friedman, responsable de la Stratfor,
agence américaine proche des milieux du renseignement citée plus haut, le dit sans détour : «La Russie définit
l’évènement qui a eu lieu au début de cette année (en février 2014) comme un coup d’État organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup d’État le plus flagrant de
l’Histoire».1
C’est également ce qu’affirmait en mars 2014 Pierrick Tillet, un journaliste de L’Obs,
hebdomadaire peu suspect de sympathies pro-russes ou anti-américaines, dans un article au titre éloquent : «Le coup d’État
ukrainien a bien été piloté par les États-Unis : La preuve»2.
Il se basait sur une conversation piratée et authentifiée entre deux décideurs américains, en l’occurrence Victoria Nuland, qui était à l’époque sous-secrétaire d’État pour l’Eurasie
au State Department, et Geoffrey Pyatt l’ambassadeur des États-Unis à Kiev. Si cette conversation est une preuve ou au moins un indice de l’implication américaine dans le putsch de
2014, elle jette aussi une lumière crue sur la manière qu’ont les États-Unis de percevoir la «souveraineté de
l’Ukraine».3
Pour comprendre cet échange stupéfiant, il faut rappeler que le 25 janvier 2014, le président Ianoukovitch, encore au pouvoir pour quelques semaines,
venait de proposer à l’opposition d’entrer dans son gouvernement, lui offrant même le poste de Premier ministre. Or, dans cet enregistrement, on entend la sous-secrétaire d’État et
l’ambassadeur américains choisir les chefs de l’opposition les plus aptes aux fonctions ministérielles, les désigner à leur poste, bref former eux-mêmes le futur gouvernement
ukrainien de cohabitation comme deux donneurs d’ordre certains d’être obéis. Cet échange pourrait évoquer celui qu’auraient un président et son premier ministre lorsqu’ils choisissent
ensemble leurs futurs ministres. À ce détail près que ce type d’échange a habituellement lieu entre des personnages politiques ayant non seulement la même nationalité mais aussi la
légitimité démocratique pour le faire. Il est plus rare de voir les représentants d’un État étranger choisir les ministres d’un autre État… Sauf bien sûr, dans les cas de pays occupés
et/ou ayant perdu toute souveraineté. Cette conversation prouve au moins une chose : que ce sont bel et bien les États-Unis qui sont les vrais maitres de l’Ukraine, la question
de sa «souveraineté» ne présentant pour eux pas le moindre intérêt.
Un autre détail de la conversation fit scandale. À un certain moment Victoria Nuland lance un «fuck the UE»
retentissant et révélateur de la considération qu’ont les États-Unis pour leurs vassaux européens, et de la subite animosité américaine dès que ces derniers se risquent timidement à
prendre une initiative propre. C’était le cas des Européens quelques jours avant, raison de la grossièreté de Victoria Nuland, qui sera finalement obligée de s’excuser publiquement
après que sa conversation avec Geoffrey Pyatt ait été mise en ligne.
Mais venons-en à ce que cette conversation était supposée prouver pour Pierrick Tillet de L’Obs : l’implication américaine directe des États-Unis dans
le putsch. Le journaliste s’appuie à juste titre sur le fait que les ministres choisis par Victoria Nuland et Geoffrey Pyatt le 25 janvier, soit avant le putsch ayant renversé
Ianoukovitch, sont les mêmes que ceux qui arrivèrent à la tête de l’Ukraine après. Notamment le premier ministre Iatseniouk, choisi le 25 janvier et qui arrive au pouvoir le 26
février. On peut considérer que cette chronologie, à défaut d’être une preuve, est en tout cas un indice fort dans cette direction. Et il s’ajoute aux autres indices évoqués plus
haut, ce qui ne permet guère de douter de l’implication des États-Unis dans le putsch et le massacre de Kiev.
La souveraineté perdue de
l’Ukraine
Si en février, Iatseniouk, est effectivement le premier ministre choisi par V. Nuland et G. Pyatt, d’autres personnages bénéficieront de leurs décisions
: ce sont les ministres néo nazis de Svoboda, dont les deux diplomates américains avaient dès janvier 2014 souhaité l’intégration dans un futur gouvernement. Ils sont en effet
largement récompensés : sur 19 ministères, 6 appartiennent à Svoboda ou à la mouvance néonazie4.
Et à des postes clés, par exemple au poste de vice-Premier ministre et à celui de ministre de la Défense. Mais on voit aussi que Andréi Parouby, cofondateur avec Tiagnibok de Svoboda,
qui a également dirigé les paramilitaires néonazis de Maïdan, accède au poste de secrétaire du Conseil national de Sécurité et de Défense, organisme pour le moins sensible puisqu’il
chapeaute les ministères de la Défense et l’armée elle-même.
Pourtant, malgré son curriculum vitae parfait de néonazi, il est officiellement affilié au parti Patrie, considéré comme un parti démocratique par un
Occident toujours unanime à en vanter les mérites, comme il le fait avec sa dirigeante, Ioulia Timochenko. On vérifie donc encore une fois l’inanité de l’argumentaire lénifiant sur
Svoboda repris à l’unisson par les médias, selon lesquels ce parti aurait une influence se limitant à ses scores électoraux. Car ce que montre clairement la composition du
gouvernement issu du putsch de février 2014, c’est que cette influence va en fait très au-delà : elle s’étend à l’ensemble des partis politiques, le nombre de ministres issu de
ses rangs est très supérieur à ce que le parti représente effectivement, et ses membres sont nommés à des postes décisifs. Bref, loin d’être marginalisé, ce parti néonazi est devenu
avec l’aide de la classe politico-médiatique occidentale, un acteur incontournable de la vie politique ukrainienne, de plus disposant de pouvoirs décisifs en matière militaire.
D’autres faits permettront de vérifier la soumission du nouveau régime issu du putsch aux intérêts occidentaux. Dès le putsch accompli, on verra d’abord
l’UE trouver miraculeusement les sommes pour l’Ukraine qu’elle prétendait ne pas avoir avant. Dès mars 2014 en effet, l’UE accepte de prêter 11 milliards d’euros alors qu’elle ne
proposait, on s’en souvient, que 600 millions d’euros au gouvernement de Ianoukovitch… «Abracadabra, un
vrai tour de magie» commente avec humour Olivier Berruyer.5
Un prêt qui ne pouvait que resserrer les liens de sujétion entre le gouvernement de Kiev et ses créditeurs bruxellois qui, sous forme politique et
économique, ne pouvaient manquer d’obtenir un rapide retour sur investissement. Avec un gouvernement fait d’ultralibéraux au service des intérêts des multinationales, de néonazis et
autres anti russes fanatiques, ce retour avait toutes les chances de se concrétiser. À eux-seuls d’ailleurs, les prêts accordés comme par miracle offraient la garantie que le nouveau
gouvernement se soumettrait à un pilotage direct depuis l’étranger, comme la conversation entre V. Nuland et G. Pyatt nous en donnait déjà l’avant-goût un mois avant le putsch. Le
régime instauré à Kiev en février 2014 était d’autant plus prêt à se soumettre aux Occidentaux et à leur renvoyer l’ascenseur qu’il était sûr de leur soutien pour se lancer sans délai
dans ce qui était à ses yeux le but cardinal : la croisade anti russe pour arriver à une Ukraine ethniquement pure.6
Dès mars 2014, le nouveau gouvernement entérine l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine que le président Ianoukovitch, fort de sa légitimité
démocratique, avait refusé en novembre 2013. Tous les produits européens peuvent désormais pénétrer le marché ukrainien.
Quant aux autres aspects de la prédation étrangère à partir de février 2014, nous nous limiterons ici à n’en donner que quelques exemples, ceux touchant
au sol et au sous-sol ukrainiens.
Le sous-sol d’abord. C’est dès le départ de Ianoukovitch que le régime confirme que l’Ukraine signera un contrat de partage de production avec un
consortium dirigé par Exxon Mobil sur l’exploitation du champ pétrolier et gazier Skifska, en mer Noire. Un projet de 10 à 12 milliards de dollars.
Le sol ensuite, soit en l’occurrence les fertiles terres agricoles à tchernoziom, richesse séculaire de l’Ukraine. Car aux mesures d’austérité voulues
par l’UE et le FMI en échange de prêts, s’ajoutent la privatisation des terres qu’après quelques réticences le nouveau régime acceptera. Selon la revue australienne, Australian
national review, en 2021, la superficie des terres possédées par 3 sociétés américaines correspondait à 28% de la totalité des terres ukrainiennes cultivées, soit une superficie
supérieure à la totalité des surfaces cultivées en Italie : 17 millions d’hectares en Ukraine contre 16,7 millions pour l’Italie7.
On peut supposer que les milliards de dollars octroyés à l’Ukraine depuis février 2022 pour son effort de guerre n’étant pas gratuits, la privatisation de nouvelles terres sera le
seul moyen pour Kiev de les rembourser, ce qui ne pourrait manquer d’augmenter la surface possédée par l’étranger.8
L’état de sujétion dans lequel se trouve l’Ukraine se vérifie de manière caricaturale avec une intervention directe du pouvoir américain sur la justice
ukrainienne. Mais cette fois-ci, ce n’est pas une conversation piratée puis authentifiée mais une vantardise publique de Joe Biden, qui en donne une idée.
On sait en effet par Joe Biden lui-même qu’en 2016, alors qu’il était encore vice-président des États-Unis, il a menacé le président Porochenko de ne
pas accorder à l’Ukraine un prêt d’un milliard de dollars s’il ne «virait» pas
immédiatement Viktor Chokine, le procureur général d’Ukraine. Le choix des termes de Biden mérite d’être relevé : «Je les ai
regardés et j’ai dit : «Je m’en vais dans six heures. Si le procureur n’est pas viré, vous n’aurez pas l’argent». Et bien, fils de pute, il s’est fait virer». S’agissant de
ce qu’il reprochait au procureur en question, Biden s’est toutefois montré plus prudent et n’en dira rien à l’assistance : en l’occurrence, le procureur «viré», Viktor Chokine, menait
une grande enquête anti corruption, notamment sur Burisma Holdings, société gazière dont un des membres du conseil d’administration n’était autre que … le fils du vice-président,
Hunter Biden.9
Maïdan, un putsch contre les
Ukrainiens
La politique du régime post Maïdan apparait donc au plus haut point paradoxale. Alors que sa rhétorique ultra nationaliste fait croire à un attachement
authentique et intransigeant à l’indépendance de l’Ukraine, la réalité de son action est tout autre. Derrière les fanfaronnades et autres hâbleries ultra nationalistes anti russes, le
régime conduit concrètement une politique consistant à accepter le contrôle tous azimuts des États-Unis et de l’UE sur les richesses, l’économie, la justice, l’armée et la politique
extérieure de l’Ukraine. Sujétion qui, nous le verrons, ne lui laissera aucune marge de manœuvre dans la guerre contre la
Russie.
Un paradoxe qui ne s’explique que par la russophobie intrinsèque du régime kiévien. C’est en effet pour mieux en finir avec sa minorité russe qu’il
s’est soumis aux États-Unis. Quant à la Russie, elle est d’abord détestée pour son soutien aux russophones d’Ukraine, mais aussi pour le contre-modèle qu’elle représente : un
espace multiethnique euro-asiatique, multiracial et multi religieux, soit le contraire même du projet mono ethnique de Kiev. En livrant l’Ukraine aux États-Unis, Kiev n’a finalement
qu’un but : obtenir de ces derniers le soutien nécessaire pour vaincre la Russie et mieux se débarrasser des russophones d’Ukraine10.
Ceux-ci étant aidés par une des deux premières puissances mondiales, la Russie, Kiev a donc impérativement besoin des États-Unis pour atteindre ses objectifs. De leur côté, les
États-Unis, n’ont pas envers la Russie et les russophones d’Ukraine les mêmes motivations éradicatrices. Sauf qu’ils contrôlent, manipulent, financent et arment ceux qui les ont, à
savoir Kiev. Leurs motivations propres tiennent essentiellement, nous l’avons vu, au maintien de leur statut de puissance unipolaire auquel la chute du Mur leur a permis d’accéder. Un
statut menacé par les puissances aspirant à un ordre multipolaire, principalement la Russie et la Chine. Pour Washington, la révolte des russophones du Donbass et de Crimée contre
Kiev provoquée par le putsch de 2014 était l’occasion d’un piège devant permettre d’entrainer la Russie dans une guerre qui, selon eux avait toutes chances de l’affaiblir, voire de la
faire disparaitre comme État unitaire11.
À ceci près que c’était aux Ukrainiens de payer le prix du sang pour assurer la victoire de cette stratégie.
En acceptant ce pacte, les ultra nationalistes ukrainiens livraient donc pieds et poings liés leur pays à l’hyperpuissance. Ce qui fait dire très
justement à Lucien Cerise, auteur de «Ukraine, La
guerre hybride de l’OTAN», que «si l’on doit
parler de révolution à propos de l’Euromaïdan, il s’agit dès lors d’une révolution anti ukrainienne»12.
Anti ukrainienne, en effet. D’abord parce que les nationalistes au pouvoir à Kiev se sont lancés dans une guerre contre une partie pour le moins importante des Ukrainiens, à savoir
les 7,5 millions de russophones, qu’au nom de la vision amputée qu’ils ont de leur peuple, ils se sont ingéniés à discriminer et à exclure dès leur arrivée au pouvoir.
C’est d’ailleurs dans cette direction belliciste que va la première décision officielle prise par les nouvelles autorités : dès le 23 février, soit le
lendemain même de la victoire du putsch, 252 députés de la Rada votent pour mettre fin au statut officiel de la langue russe13.
Après un putsch où les paramilitaires néonazis avaient joué un rôle décisif, ce vote de Kiev ne pouvait être interprété par les Ukrainiens du Donbass que comme une nouvelle
déclaration de guerre. Sans surprise, nos commentateurs médiatiques ont feint d’ignorer qu’un signal équivalent dans n’importe quel autre pays multilinguistique aurait suscité
l’indignation internationale et provoqué inévitablement des troubles internes, qu’il s’agisse de la Suisse, de la Belgique ou du Canada. Qu’on songe aux conséquences qu’aurait en
Belgique la suppression du français ou du flamand comme langue officielle. Mais nous avons vu que les doubles-standards, qui sont toujours l’envers d’une morale pervertie, amènent
systématiquement nos médias à considérer que ce qui est impossible en Occident est admissible ailleurs, notamment en Ukraine, quand les Russes en font les
frais.
Quant à répéter, comme on le fait dans les médias mainstream depuis 2022, que le texte de la loi votée en mars 2014 contre la langue russe n’a
finalement pas été signé par le nouveau président Tourtchynov, c’est oublier qu’en réalité elle a fini par être adoptée en 201814.
Et qu’elle a été appliquée dans les faits bien avant, et de la manière la plus radicale. Car juste après leur putsch, c’est la totalité de la population russophone du Donbass que les
nouvelles autorités ont exclue, la désignant publiquement comme ennemie et refusant tous les devoirs de base incombant à l’État vis-à-vis de ses propres citoyens15.
Kiev a ainsi transformé plusieurs millions d’Ukrainiens russophones en parias, leurs refusant retraites, allocations, aide économique, réseau bancaire, rétablissement des services
publics. Pour punir les Criméens, Kiev ira jusqu’à fermer le canal qui les approvisionnait en eau, au mépris des conventions internationales interdisant ce type de mesure dirigée
contre la population civile.
À celles-ci s’ajoutent les bombardements délibérés et indiscriminés sur les habitants du Donbass qui, de 2014 à 2022, ont fait des milliers de morts
dans leurs rangs : selon les chiffres de l’ONU pour la période allant de 2018 à 2022, 81,4% des victimes civiles étaient des habitants du Donbass16.
C’est peu dire que Kiev n’a guère cherché à conquérir les cœurs des Ukrainiens du Donbass, ni envoyé en leur direction le signe d’une quelconque «volonté de
vivre ensemble». Pas une seule fois, de 2014 à l’attaque russe de 2022, il n’a d’ailleurs accepté de rencontrer les responsables ukrainiens.
Le sens de ces mesures n’est guère difficile à déchiffrer : Kiev veut les territoires sans ceux qui y habitent. En clair, si Kiev réussissait à les
conquérir, leurs habitants seraient inévitablement chassés ou massacrés. Un objectif d’épuration ethnique que la classe politico-médiatique occidentale a entériné sans état d’âme,
quand ce n’était pas avec enthousiasme17.
En 2015, on a même vu un président, en l’occurrence Porochenko, élu après la victoire de Maïdan, proclamer que pour gagner la guerre contre les Ukrainiens du Donbass, il fallait
contraindre leurs enfants, autrement dit ses propres compatriotes, à vivre sous terre18.
Ce à quoi ils en étaient effectivement réduits du fait des bombardements décidés par lui-même et son armée. «Chez nous, les
enfants iront à l’école et dans les jardins d’enfants. Chez eux, ils se terreront dans les caves. C’est comme ça que nous gagnerons la guerre», disait Porochenko à Odessa le
14-11-201419.
Du jamais vu, ou entendu, en Europe depuis la fin du nazisme.
Si la population russophone, bombardée sans relâche et de manière indiscriminée de 2014 à 2022 a été traitée par Kiev avec cette haine vengeresse, la
population ukrainienne non russophone a-t-elle été mieux traitée, celle que les médias mainstream appellent «les
Ukrainiens» ? Certes, celle-ci a été glorifiée par la rhétorique ultra nationaliste du pouvoir kiévien. Elle paie pourtant un terrible tribut à l’hubris, sinon la folie, de ses
dirigeants, qui l’ont entrainée dans le piège mortel d’un conflit voulu tant par eux que par les États-Unis, et qu’ils pensaient gagner. Leur peuple, même au sens étroit qu’on lui
donne à Kiev, le paie aujourd’hui du prix inacceptable de centaines de milliers de morts et de blessés.
Oui, le putsch de Maïdan est donc bel et bien «anti
ukrainien». Surtout qu’on sait que la guerre qui allait sacrifier la paix en Ukraine et la vie de centaines de milliers de ses habitants est la conséquence d’un pacte entre Kiev
et les États-Unis. Ignoré le plus souvent de l’opinion, ce pacte n’était pourtant en rien secret. Les États-Unis en effet, ont fait miroiter au régime de Kiev l’intégration de
l’Ukraine dans l’OTAN en échange d’une guerre contre la Russie. Un marché qui ne pouvait que séduire Kiev, compte tenu de l’étrange combinaison d’hubris et de soumission volontaire
aux États-Unis qui caractérise les dirigeants ukrainiens ultra nationalistes.
«La politique-système des USA en Ukraine mise à nu», Le club Médiapart, 24-02-2015. Voir Jacques Baud, Opération Z,
Paris, Max Milo, 2022, p. 59.
Pierrick Tillet, «Le coup d’État ukrainien a bien été piloté par les États-Unis : la preuve», L’Obs, le 25-01-2017.
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (5), Quand Washington s’emmêle».
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (7), l’imposture du “gouvernement démocratique”».
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (8), On n’humilie pas la Russie en vain».
La Constitution ukrainienne comprend une phrase éloquente sur la conception racialiste et raciste qu’a de la nation le nationalisme ukrainien : «Préserver le
patrimoine génétique du peuple ukrainien est de la responsabilité de l’État». Il faut signaler à ce propos la levée de boucliers médiatiques qui eut lieu en octobre 2022, après
que François Asselineau y ait vu une formulation renouant avec le racisme du IIIème Reich. Les habituels thuriféraires médiatiques de Kiev ont argué du fait que l’article 16
en question n’évoquait rien d’autre que la catastrophe de Tchernobyl et ses conséquences sanitaires. L’article 16 se présente en effet comme suit : «Assurer la sécurité
écologique et maintenir l’équilibre écologique en Ukraine, surmonter les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl-une catastrophe d’ampleur mondiale-et préserver le patrimoine
génétique du peuple ukrainien relève de la responsabilité de l’État». Formulation pour le moins étrange ! Car si l’on sait que les peuples ont divers patrimoines, notamment
culturels et historiques, depuis quand les citoyens qui les composent ont-ils en commun un «patrimoine génétique» ? Les peuples auraient-ils des signatures génétiques
spécifiques, celles-ci devant être préservées ? C’est une chose de préserver l’intégrité génétique d’individus touchés par les radiations, c’en est une autre de «préserver le
patrimoine génétique» d’un peuple ! Le fait est que l’idée même d’un «patrimoine génétique national» est une idée renouant avec les thèses racialistes, dont celles du IIIe
Reich. Il faut tout le zèle des faiseurs d’opinions et consorts pour ne voir dans cette formulation constitutionnelle qu’un souci légitime de santé publique relatif aux dégâts
provoqués sur l’ADN par les radiations dues à l’explosion de Tchernobyl. Cette catastrophe est d’«ampleur mondiale», nous rappelle l’article 16. Il a en particulier touché la
Biélorussie dont la frontière et à quelques kilomètres de la centrale de Tchernobyl. Or, on peut facilement le vérifier, il n’y pas trace dans la constitution biélorusse d’un
quelconque «patrimoine génétique» à préserver. Et comment réagirait-on en France si un article de la constitution évoquait le «patrimoine génétique du peuple
français», même associé à des considérations écologiques ou autres ? La formulation suspecte de l’article 16 devient encore plus claire quand on la compare aux discours
d’hommes politiques ukrainiens. Par exemple au discours du ministre ukrainien de la culture en 2016 : «Lorsque nous parlons du fond génétique à Zaporijia et dans le
Donbass, ce sont des villes d’allogènes, il n’y a là-bas aucun fond génétique, ces villes ont été délibérément peuplées d’allogènes». À l’évidence, le ministre pense qu’«on»
(c’est-à-dire l’URSS) a voulu nuire au «patrimoine génétique du peuple ukrainien» en introduisant des populations génétiquement différentes. Son propos est donc parfaitement en
phase avec l’article 16. Si le ministre a toutefois du s’excuser, il reste que sa déclaration spontanée était révélatrice des conceptions racistes en vigueur à Kiev en matière
d’identité peuple ukrainien. https://www.lejournaldesarts.fr/derapage-du-ministre-ukrainien-de-la-culture-sur-le-patrimoine-genetique-des-ukrainiens Tout
aussi éloquentes sont les déclarations de Andriy Biletski, chef de la milice néonazie Azov : «Tout notre nationalisme n’est rien (…) s’il ne s’appuie pas sur le fondement du sang,
le fondement de la race. (…) Notre nature raciale est unique. (…) Si l’Ukraine est un paradis, c’est uniquement parce que notre Race en a fait un paradis». Voir Jacques Baud,
«Opération Z», Paris, Max Milo, 2022, p. 70.
Voir Alexandre Lemoine, «L’Ukraine risque de subir une privatisation de ses terres», reseauinternational.net, 01-06-2023. Voir Michel Collon, «Ukraine, la guerre des
images», Investig’action, 2023, p. 302-303.
Pierre Lorrain, «L’Ukraine, une histoire entre deux destins», Paris, Bartillat, 2021, p. 613-14.
Nous revenons en détail sur cette stratégie de Kiev dans la section : «Une guerre depuis longtemps prévue par Kiev et Washington».
Michel Collon, «Ukraine, la guerre des images», Investig’action, 2023, p. 262-63. Sur le thème de la «décolonisation de la Russie», comme moyen de détruire l’État
russe unitaire : Jacques Baud, «Opération Z», Paris, Max Milo, 2022, p. 24 et p. 37.
Lucien Cerise, «La guerre hybride de l’OTAN», Culture & Racines, juin 2022, p. 174.
Les-crises, «Ukraine et Euromaïdan (6), le coup d’État».
La loi Kivalov-Kolesnichenko, qui accordait un statut de langue régionale au russe, été déclarée inconstitutionnelle le 28 février 2018.
Jacques Baud, «Opération Z», Paris, Max Milo, 2022, p. 90-91.
Rappelons que lors du conflit yougoslave, la classe politico-médiatique, notamment Le Monde, a dans l’ensemble approuvé l’épuration ethnique des Serbes de Croatie d’août
1995. Au moment-même où la totalité de la population serbe de Krajina était chassée par les forces croates, le quotidien la justifiait en ces termes le 10-08-1995 :
«L’offensive victorieuse des Croates en Krajina est sans doute un pas important vers la paix».
https://factuel.afp.com/doc.afp.com.326C94Q.
Le passage particulièrement agressif du discours de Porochenko a été l’objet d’une polémique, les médias mainstream et pro Kiev affirmant que son sens avait été manipulé par des
pro russes, par définition mal intentionnés… Les mêmes n’hésitèrent pas à présenter l’ensemble du discours comme un … discours de paix. Ils ont feint de ne pas comprendre que même
si le discours de Porochenko est agrémenté de quelques phrases moins belliqueuses, il est au contraire un discours de guerre contre les «séparatistes». Une harangue publique est
aussi affaire de ton, et celui de Porochenko est sans ambiguïté. Il menaçait clairement les Ukrainiens du Donbass de continuer à vivre dans des conditions de guerre s’ils
suivaient les «séparatistes», comme si ces derniers n’avaient pas la moindre légitimité. Il semble que les Ukrainiens du Donbass ne se soient pas trompés sur sa signification.
Signalons, enfin, que contrairement aux stipulations des accords de Minsk, les autorités kiéviennes se sont toujours refusées à rencontrer les «séparatistes».
Une guerre depuis longtemps voulue par Kiev et Washington
Loin de toute spéculation dite «complotiste», c’est le conseiller et porte-parole du président Zelensky, Oleksei Arestovitch qui en donne le détail.
Remarquons que ses propos furent tenus trois ans avant l’entrée des forces russes en Ukraine, et quatre ans après les accords de Minsk. Voici ce qu’il
déclarait le 18 mars 2019, dans une interview à la chaine ukrainienne Apostrof TV :
«[…] Notre prix pour rejoindre l’OTAN est une grande guerre avec la Russie […]».
Anticipant sur la guerre avec la Russie, il déclarait encore : «Dans ce conflit, nous serons très activement
soutenus par l’Occident. Armes. Equipement. Assistance. De nouvelles sanctions contre la Russie. Très probablement, l’introduction d’un contingent de
l’OTAN. Une zone d’exclusion aérienne. […]. Autrement dit, nous ne la perdrons pas»1.
Déclaration qui prouve, s’il en était besoin, qu’aucun accord n’a jamais été envisagé avec les populations du Donbass et qui confirme que cette guerre, qui
allait sacrifier l’ensemble des Ukrainiens, a bel et bien été voulue par Kiev et son tuteur américain plusieurs années avant l’attaque russe de février
2022. Cette attaque ne fera que révéler crûment cette dépendance.
En effet, si l’on juge de la souveraineté d’un État à sa capacité de décider de la paix ou de la guerre, force est de constater qu’une fois l’attaque russe
commencée, le régime kiévien n’avait en réalité aucune marge de manœuvre pour décider dans ces domaines cruciaux. S’étant lui-même lié les mains par ce
pacte avec un État considérablement plus puissant, le régime kiévien a montré qu’il était dans l’incapacité de décider de la paix avec la Russie après que
cette dernière ait attaqué l’Ukraine. Il en allait pourtant de ses intérêts vitaux, sauf que la guerre a agi comme un révélateur d’impuissance réelle. La
dépendance en temps de paix ne peut qu’être décuplée en période de guerre.
À cet égard est éloquente la longue interview de Naftali Bennett, politicien israélien qui, moins d’un mois après l’attaque russe du 24 février 2022, a
réussi à rapprocher les positions du gouvernement ukrainien de celles de la Russie. Naftali Bennett était Premier ministre d’Israël lors du début des
opérations militaires russes en Ukraine, et c’est à ce titre qu’il a été au centre des négociations entre V. Poutine et V. Zelensky dans le courant du mois
de mars 2022 alors que les hostilités avaient commencé. Or, ses déclarations montrent clairement qu’à ce moment-là, les gouvernements russe et ukrainien
étaient sur le point d’aboutir à un cessez-le-feu. V. Poutine acceptait de retirer de ses objectifs la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine,
et de son côté V. Zelensky acceptait de renoncer à l’OTAN. Il s’agissait en effet d’«énormes
concessions»
comme l’affirme l’homme politique israélien. Naftali Bennett ne laisse toutefois aucun doute sur le fait que ce sont les Occidentaux, principalement les
Britanniques qui ont empêché ces négociations d’aboutir2.
«Je pense qu’il y a eu une décision […] de l’Occident de continuer à frapper Poutine»
(2H59). Décision que l’ancien Premier ministre, en rien hostile aux Occidentaux, qualifie de «légitime». Ces derniers ont donc décidé «de choisir l’approche la plus agressive»
et ont «bloqué» l’accord en question. «Je pensais qu’ils avaient tort […] et qu’il y avait de bonnes chances de
parvenir à un cessez-le-feu s’ils ne l’avaient pas freiné»
(3H02).
Plusieurs sources iront dans le même sens que les propos de Naftali Bennett. D’abord la publication ukrainienne en ligne Ukrainska Pravda,
publication peu suspecte de sympathies pro russes, qui confirmera, le rôle capital de Boris Johnson dans l’échec des négociations : «Selon des sources proches de Zelensky, le Premier ministre du Royaume-Uni, qui est apparu dans la capitale (Kiev, n. d. l’a.),
quasiment à l’improviste, a apporté deux messages simples. Le premier est que Poutine est un criminel de guerre avec lequel aucune négociation n’est
possible ; le second est que même si l’Ukraine est prête à signer des accords sur les garanties avec Poutine, (le Royaume-Uni et les États-Unis) ne le sont
pas».
De son côté, Fiona Hill, l’ancienne responsable du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, admet elle aussi que V. Poutine et V. Zelensky étaient
très proches d’un accord : «Selon plusieurs anciens hauts responsables américains avec lesquels nous nous sommes
entretenus en avril 2022, les négociateurs russes et ukrainiens semblaient s’être provisoirement mis d’accord sur les grandes lignes d’un règlement
intermédiaire négocié : la Russie se retirait sur sa position du 23 février lorsqu’elle contrôlait une partie de la région du Donbass et toute la Crimée,
en échange l’Ukraine promettait de ne pas demander l’adhésion à l’OTAN […]».3
Après un mois de guerre, en mars 2022, le régime de Kiev se trouve donc empêché par ses tuteurs anglo-saxons de faire la paix, funeste illustration de ce
qu’est la réalité de la souveraineté ukrainienne. Si le pouvoir kiévien était trop faible en mars 2022 pour imposer ses vues aux principales puissances
otaniennes ne voulant en rien d’un cessez-le-feu, il avait toutefois jusque-là largement sacrifié l’intérêt des Ukrainiens eux-mêmes en faisant en sorte
que la guerre ait lieu dans tous les cas. Nous avons vu que le pouvoir nationaliste kiévien, dont l’hubris était en quelque sorte dopé par le soutien
américain, a été poussé à des décisions catastrophiques pour les Ukrainiens : faire la guerre pour le compte des États-Unis en échange du projet d’une
Ukraine «ethniquement pure».
C’est dans le cadre de cette stratégie belliciste énoncée par Arestovitch que Zelensky fait passer en mars 2021, soit un an l’avant l’attaque russe, un
décret de reconquête militaire du Donbass4.
Outre que ce décret bafoue une nouvelle fois les accords de Minsk, il trahit les espoirs que son propre électorat avait fondé sur sa candidature. Car, plus
encore que son prédécesseur Porochenko élu après le putsch de Maïdan, c’est avec un programme de paix qu’il avait pu remporter une très nette victoire aux
présidentielles de 2019. Pourtant, alors qu’à l’évidence une nette majorité d’Ukrainiens aspirait à la paix, Zelensky passe outre et multiplie peu après
les provocations. Après le décret de reconquête du Donbass et de la Crimée de mars 2021, il fait savoir début février 2022 qu’il ne se sent plus lié par le
Mémorandum de Budapest, accord qui interdisait notamment à l’Ukraine de développer des armes nucléaires. Une décision à l’évidence d’une extrême
gravité5.
Le 16 de ce même mois, alors que l’armée ukrainienne est massivement concentrée le long de la ligne de front du Donbass, commence une campagne de
bombardements massifs des forces ukrainiennes sur la région autonomiste, ce que les observateurs de l’OSCE constatent officiellement6.
Débutent alors dès cette date, donc avant l’attaque russe du 24 février, des évacuations de civils du Donbass en direction de la Russie7.
L’offensive terrestre prévue, le décret passé en mars 2021 par Zelensky, allait-elle avoir lieu à ce moment-là ? C’est le plus probable, même s’il est
encore trop tôt, en août 2023, pour l’affirmer avec une absolue certitude. On sait toutefois que d’intenses bombardements sont généralement le prélude à
une offensive terrestre. On sait aussi qu’en août 1995, l’offensive croate soutenue militairement par les États-Unis, qui avait pour but l’expulsion
massive de dizaines de milliers de Serbes de la Krajina, a commencé de cette manière.
Ce précédent, lui aussi, nourrit l’hypothèse d’une offensive ukrainienne en 2022, tant sont proches les situations croate et ukrainienne. Quoi qu’il en
soit, c’est à cette date du 16 février 2022 que commence la guerre et pas le 24 février suivant avec l’attaque des forces russes. La date du 16 février
2022 a pourtant été systématiquement évincée des comptes-rendus médiatiques, comme l’est celle du putsch du 20 février 2014, qui marque la véritable
origine de la guerre en Ukraine. Présentation médiatique totalement fallacieuse mais ayant atteint son but puisque l’écrasante majorité de l’opinion ignore
tout de cette chronologie. Le 21 février donc, la Russie reconnait officiellement les deux républiques du Donbass pendant que de son côté, Biden trompe
l’opinion mondiale en ne cessant d’alerter sur une prochaine attaque russe. En fait, la seule raison pour cette certitude de l’attaque russe, c’est qu’il
sait parfaitement que la Russie ne pourra faire autrement que de réagir à ce qui est en train de se passer : concentration de troupes ukrainiennes et
bombardements massifs sur le Donbass. L’intervention russe a donc bel et bien été délibérément provoquée. Risquons une question : les États-Unis se
seraient-ils dispensés d’intervenir si un pays frontalier politiquement et militairement hostile multipliait les provocations et les menaçait de se doter
de l’arme nucléaire ? Chacun ou presque connait la réponse… Quant à ceux qui auraient encore des doutes, rappelons que les États-Unis, pourtant protégés
par deux des plus grands océans de la planète, sont intervenus en Irak, à 10 000 kilomètres de leurs côtes, au nom de leur sécurité. Rappelons encore qu’à
ce titre, ils ont établi un vaste réseau de centaines de bases sur tous les continents. S’ils avaient été menacés à leurs frontières comme la Russie et les
russophones d’Ukraine l’étaient, il est peu probable qu’ils auraient attendu huit ans avant d’intervenir.
Médias en guerre
Mais sommes-nous dans une situation radicalement différente de l’Ukraine ? Quelle marge de manœuvre les Français, et au-delà, les Européens, ont-ils pour
décider de la guerre et de la paix ? Celle-ci parait bien étroite, balisée par la domination de médias qui s’emploient systématiquement à entrainer
l’opinion dans les croisades pseudo humanitaires des États-Unis. Pour nos médias, la paix n’est jamais une option quand les États-Unis choisissent la
guerre. Bellicistes et atlantistes, ils secondent invariablement leurs interventions, quand bien même elles se soldent à chaque fois par des dizaines ou
des centaines de milliers de morts. Soutien médiatique crucial sans lequel serait menacé le consentement indispensable aux interventions militaires des
États-Unis. Nous l’avons dit, le lien entre médias et OTAN est systémique.
Ce qui change avec la guerre en Ukraine, c’est d’abord que cette guerre voulue par les États-Unis menace d’entrainer l’Europe dans une guerre contre la
Russie, une des deux premières puissances nucléaires. Si cette situation est dangereuse en elle-même, on peut être plus inquiet encore quand on voit que
les décideurs de la classe politico-médiatique occidentale sont eux-mêmes imprégnés des poncifs du formatage belliciste, au point de croire aux mensonges
de leur propre
propagande.
Le mensonge toutefois ne suffit pas au bellicisme. Il a impérativement besoin d’un affect porteur : la haine. Car cette classe politico-médiatique, qui
prétend tirer sa légitimité de la lutte contre «les discours de haine»,
rend licite la xénophobie quand la Russie en est la cible. La russophobie est même devenue l’occasion d’une sorte de «concours de bonté», concours
paradoxal où montrer sa bonté intrinsèque consiste à faire bruyamment état de sa méchanceté antirusse. Ne voulant pas avoir l’air d’être en reste en
matière d’engagement anti russe, les russophobes font en effet montre d’une insolite disposition au zèle et à la lâcheté. On a donc vu des Russes frappés
d’interdits bancaires, sans autre raison que leur nationalité. On a vu des artistes russes sommés de prendre publiquement parti contre leur propre
gouvernement par des organisateurs de concerts occidentaux ne courant aucun risque. Et, autre prodige de l’inversion des valeurs en temps de guerre, on a
même interdit aux Russes handicapés de participer aux jeux paralympiques. Et comme si s’en prendre aux Russes vivants ne suffisait pas, on s’en est pris
aux Russes morts. Tant pis s’ils s’appelaient Dostoïevski ou Tchaïkovski, ils étaient devenus aussi indésirables que des suppôts de Poutine. Et, suprême
ironie qui en dit long sur l’état de l’opinion, la russophobie ambiante n’a pas épargné les animaux : la Fédération internationale féline a décidé de
bannir les chats russes de ses compétitions. Pourtant, on ne se rappelle pas que même après trois guerres franco-allemandes, dont deux mondiales, les
Français, pourtant à l’époque plus patriotes qu’aujourd’hui, aient interdit les bergers allemands, pas plus que Bach, Beethoven, Schiller et
Goethe…
Si ces excès russophobes ont baissé d’intensité depuis mars 2022, la propagande de guerre médiatique continue, couvrant ou justifiant bien pire. En Ukraine
par exemple, on élimine des millions de volumes d’œuvres russes sous prétexte d’en faire du papier recyclé… Mieux : une des personnes responsables de cette
destruction n’est autre que la directrice du… Centre ukrainien du livre, Mme Oleksandra Koval8.
S’agissant de Pouchkine et de Dostoïevski, elle justifie sans détour que leurs chef-œuvres disparaissent avec les autres : «C’est une littérature vraiment très nocive»,
précise-t-elle. Nos médias limiteront toutefois leur indignation à dénoncer ceux qui auraient le mauvais goût de comparer ces destructions aux autodafés du
IIIèmeReich…9
La russophobie étant générale et banalisée, il faut en entretenir la flamme. Pour y parvenir, l’assimilation de la Russie au nazisme est un carburant
efficace, et qui a fait ses preuves. Elle est donc des plus fréquentes. Sauf qu’il s’agit-là d’une des plus débilitantes assertions de la propagande de
guerre antirusse. Car la Fédération de Russie est probablement l’exemple le plus parfait du contraire de ce qu’était le IIIème Reich : un espace
euroasiatique largement métissé, où se côtoient orthodoxie, islam et judaïsme, avec 21 républiques autonomes, plus de cent nationalités et des dizaines de
langues ayant un statut officiel. De toute évidence, les propagandistes, y compris de «référence», n’ont pas pris la peine de lire les articles de
Wikipedia, site pourtant très atlantiste lui aussi…
La russophobie a ceci de particulier qu’elle agit avec virulence sur les esprits alors que l’ennemi russe n’occupe ni ne menace la France. Comment alors
instiller la haine de l’ennemi quand l’ennemi en question ne menace pas le sol national ? Par le fantasme et la manipulation des peurs. La Russie voudrait
conquérir toute l’Ukraine, ressasse-t-on. Mais peut-on s’emparer d’un pays plus grand que la France avec ce qu’étaient les effectifs de l’armée russe le 24
février 2022, soit environ 150 000 hommes, quand l’armée ukrainienne au même moment en comptait trois à quatre fois plus ? Rappelons qu’au Sud Vietnam,
dans les années soixante, les Américains avaient mobilisé plus de 500 000 hommes pour un territoire trois fois plus petit que l’Ukraine. Et qu’en mai/juin
1940, lors de la Bataille de France, les Allemands en avaient mobilisé plus de 3 millions. Dans cette foire aux chimères russophobes où les peurs
imaginaires sont l’alibi de la russophobie et de l’otanisation des esprits, la thèse d’une menace russe pesant sur la sécurité de la Pologne ou des États
baltes est aussi absurde que celle d’une volonté du pouvoir russe de reconstituer l’empire tsariste ou soviétique. L’expérience historique de la guerre en
Afghanistan, ou celle des pays occupés par l’URSS après la 2ème Guerre mondiale, en particulier en Hongrie, en Pologne ou en Tchécoslovaquie, est
suffisamment cuisante pour dissuader les dirigeants russes actuels de se lancer dans une quelconque occupation.
Rappelons encore que la Russie, contrairement aux États-Unis, est en matière de frontières une puissance conservatrice. Elle ne cherche nullement à
bouleverser l’ordre international en annexant les territoires où vivent des Russes. Si elle l’a finalement fait en Ukraine avec les quatre oblasts de l’Est
ukrainien, c’est huit ans après avoir joué la carte diplomatique avec les accords de Minsk et avoir laissé pendant ces huit années les Ukrainiens du
Donbass endurer les bombardements. Accords dont la France et l’Allemagne s’étaient porté garants, faut-il le rappeler, et qui prévoyaient une
fédéralisation de l’Ukraine. Or, ils ont été littéralement sabotés par Kiev et Washington. Rappelons notamment que Kiev, secondé par Washington, était vent
debout contre le projet de fédéralisation de l’Ukraine10.
Enfin, un autre fait, jamais cité, montre encore ce que vaut la thèse d’un expansionnisme russe menaçant : en 2015, c’est Moscou qui dissuade les
russophones du Donbass de s’emparer de la totalité du Donbass, notamment de Marioupol, ce qu’ils auraient aisément pu faire après avoir remporté la
bataille de Debaltsevo en février 2015.11
Bref, au vu de l’histoire récente et plus lointaine, la thèse d’un danger néo-impérial russe est à rattacher à l’imaginaire paranoïaque de la russophobie.
Un imaginaire que le monde médiatique s’emploie soigneusement à entretenir. Pour ce faire, on rappelle inlassablement cette phrase de V. Poutine selon
laquelle «la disparition de l’URSS était la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle».
Mais on oublie tout aussi invariablement de rappeler que cette assertion ne reflète pas une nostalgie d’empire mais faisait allusion aux 20 millions de
Russes qui se sont retrouvés hors des frontières de la Fédération de Russie à la suite du démantèlement de l’URSS. Une autre phrase de V. Poutine pourrait
apporter un démenti dénué d’ambigüité à la précédente : «Qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur, qui veut la
reconstituer n’a pas de tête».
À l’évidence gênante quand on veut manipuler les peurs et les haines russophobes, cette phrase est, elle, invariablement
occultée.
Un autre fait est oublié des médias, qui ne va guère dans le sens des fantasmes antirusses : le démantèlement du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique
a été décidé par les dirigeants soviétiques eux-mêmes. Or les dirigeants russes actuels savent fort bien que la volonté de maintenir une tutelle soviétique
sur des peuples qui n’en voulaient pas fait partie des causes de ce démantèlement. On ignore donc encore ce qui permet à nos faiseurs d’opinion d’affirmer
que 34 ans après la chute du Mur les dirigeants russes seraient prêts à reconstituer l’empire que la génération précédente a détruit. Bref, à part un
psychologisme low cost, lot des commentateurs médiatiques qui s’emploient à lire dans le marc de café des intentions, des sentiments, ou du ressentiment
poutiniens, les médias atlantistes n’ont pas grand-chose à présenter pour rendre crédible un danger d’expansionnisme russe.
Et quelle preuve plus éclatante de la russophobie que la «poutinophobie»
? Générale dans l’opinion, relevant le plus souvent de l’hystérie ou de la névrose collective, elle est un pur produit de fabrication des médias, lesquels,
il est vrai, font preuve d’une incontestable expertise, depuis longtemps vérifiée, lorsqu’il s’agit de faire haïr à l’unisson. Dans les salles de
rédactions des médias occidentaux, on semble croire que leur seul regard sur un chef d’État étranger suffit à donner le «la» de sa légitimité politique.
Arrogance chronique qui les pousse à ignorer en toute bonne conscience ce que peuvent penser de leur chef d’État les premiers concernés, à savoir les
Russes eux-mêmes.
Pour nos médias et la part de l’opinion qui les suit, le point de vue des Russes sur leur président n’a tout simplement pas d’existence. C’est ainsi que se
hissant à des sommets d’ubris et d’absurdité, médias et opinion se persuadent qu’ils sont les mieux placés pour dire qui doit être le bon président de la
Russie. Tenant dans le plus parfait mépris ce que peuvent penser les Russes de leur propre président, la «poutinophobie» est donc bel et bien un pur
produit russophobe. Or, faut-il le rappeler, les sondages, confirmant le vote des Russes, montrent un soutien tel à V. Poutine qu’il pourrait faire pâlir
d’envie n’importe quel chef d’État occidental. L’institut moscovite Levada, pro occidental et considéré comme agent de l’étranger par les autorités russes
en raison de son financement, évaluait la popularité de V. Poutine à environ 70% avant la guerre en Ukraine. Depuis, il s’élève à plus de 80%12.
Quant aux indices de popularité de Gorbatchev ou de Eltsine, déjà peu brillants lors de leur mandat, ils montrent que les deux anciens chefs d’État sont
aujourd’hui exécrés par les Russes alors que, on s’en souvient, ils étaient très appréciés des Occidentaux. De ces trente dernières années semble se
dégager une loi aussi simple que révélatrice : les Occidentaux adorent les chefs d’États russes que les Russes détestent, et ils détestent ceux que les
Russes aiment. Il est permis de penser que, jusqu’à nouvel ordre, c’est aux Russes d’avoir sur cette question le dernier mot, pas aux experts de plateau et
autres faiseurs d’opinion pour lesquels un bon président, russe ou autre, est un président dont l’Occident doit pouvoir tirer les ficelles.
Voir Jacques Baud, « Opération Z », Paris,
Max Milo, 2022, p. 192-94.
Cette longue interview était disponible en juillet sur le site de Solidarité et Progrès. J’ai mis entre parenthèses le moment précis où les
phrases ont été prononcées. Voir également, Michel Collon, « Ukraine, la guerre des images », Investig’action, 2023, p. 224.
Voir le site de Solidarité et Progrès.
Voir Jacques Baud, « Poutine, maître du jeu ? » Paris,
Max Milo, 2022, p. 180.
On fera remarquer que la fédéralisation est précisément le système adopté par nombre de pays d’Europe, à commencer par l’Allemagne, et qu’il est
lui-même adopté depuis des siècles par les États-Unis.
Voir Michel Collon, « Ukraine, la guerre des images », Investig’action, 2023, p. 75. Voir Jacques Baud, « Poutine maître du jeu », opus
cité, p. 168.
La russophobie : de quoi cette passion collective est-elle le nom ? Bellicisme à outrance, haine de l’Autre au nom du Bien, force du préjugé
officialisé, surenchères guerrières et bonne conscience inébranlable, indignation sélective derrière les bons sentiments : la russophobie, autant de passions mauvaises encore une
fois au rendez-vous de l’Histoire … comme en 14. À cette différence près que les postures haineuses d’aujourd’hui s’accompagnent d’une certitude : celle de ne pas avoir à payer
le prix du sang. Et, autre nouveauté, le discours belliciste se déploie tous azimuts, envahit les coins et les recoins de l’opinion, alors que le pays n’est pas occupé, ni menacé de
l’être, ni même officiellement en guerre. Étrange situation que cette mise en condition sans la menace qui la justifierait un tant soit peu. Étrange phénomène qu’une rhétorique de
guerre sans guerre directe. S’agit-il de solidarité au sens fort du terme ? Non, nous l’avons vu : qu’est-ce que la solidarité avec un pays en guerre, et avec lequel on
partage une commune aversion pour la Russie, quand il n’est pas question de payer le prix du sang ? Faudrait-il alors croire qu’il s’agit-il plutôt d’une solidarité à minima
consistant à aider le faible supposé, l’Ukraine, contre le fort supposé, la Russie ? C’est sans doute le cas. Sauf que s’il est louable en général d’aider le faible, est-il moral
d’encourager, mais de loin, quelqu’un à se battre jusqu’au bout, autrement dit jusqu’à la mort, alors qu’il n’a que très peu de chances de gagner ? Derrière la générosité de façade,
transparait finalement un encouragement mortifère à faire payer un prix insupportable à celui qu’on prétend aider, mais tout en restant soi-même protégé. Plus que jamais, c’est le
moment de rappeler que le jusqu’auboutisme des planqués a toujours été l’objet du mépris de ceux des tranchées.
Si encourager l’Ukraine à se battre jusqu’au dernier Ukrainien n’est guère moral, l’opinion y est pourtant encouragée par la satanisation médiatique de
la Russie. Explicitement ou de manière subliminale, un mot d’ordre manipulateur traverse le champ médiatique : «On-ne-négocie-pas-plus-avec-Poutine-qu’avec-Hitler»1.
Mot d’ordre mensonger et terrorisant, voire terroriste, qui tue dans l’œuf toute initiative individuelle ou collective visant à une solution de compromis. Surtout qu’il s’accompagne
de la psychose russophobe attribuant à V. Poutine, nous l’avons vu, des buts qu’il n’a pas. Or, la guerre s’arrêterait instantanément si la neutralité de l’Ukraine et le droit à
l’autodétermination des russophones de l’Est et de Crimée étaient acceptées par l’OTAN et Kiev. S’agirait-il d’objectifs frappés du sceau de l’impérialisme, en l’occurrence russe,
alors que nombre d’hommes d’États américains ont eux-mêmes dit qu’ils étaient légitimes ?2. Encourager
Kiev à faire la paix avec un ennemi qui n’a pas de revendications exorbitantes ni illégitimes épargnerait des vies par dizaines de milliers et aurait le mérite de concilier le
principe de réalité face aux forces en présence et le courage, celui d’affronter le consensus belliciste. Sans oublier que concilier courage et réalisme permettrait aussi d’introduire
ce qui manque cruellement aux va-t-en-guerre, à savoir la compassion l’égard des populations civiles et des soldats de l’armée qu’ils prétendent soutenir. Pour ne pas parler du tribut
payé par la partie russe.
Cette solution de compromis n’a toutefois pas l’heur de plaire aux entreprises médiatiques. «L’opinion, ça se
travaille» disait Jamie Shea, un ancien porte-parole de l’OTAN. Tout se passe comme si nos médias faisaient en sorte d’épargner à ceux qui vivent dans le confort ô combien
précieux de la paix les inconvénients moraux du bellicisme de salon. C’est ainsi que les faiseurs d’opinion ont, pendant plus d’un an, incité à croire à la victoire prochaine de
l’Ukraine en répercutant les communiqués triomphants de la propagande kiévienne qui, en effet, ont entre autres avantages, celui d’éviter à l’opinion les tourments de la mauvaise
conscience. Comme le dit Jacques Baud : «Si l’opinion
savait quel coût humain réel payent les Ukrainiens, ils demanderaient l’arrêt immédiat des hostilités». Raison pour laquelle il faut impérativement dissimuler ce coût
inacceptable payé par l’armée ukrainienne et ainsi entretenir, avec la bonne conscience, la mobilisation de l’opinion.
Quant à la question de savoir qui est le fort et qui est le faible, un effort rétrospectif peut aisément montrer que du 22 février 2014, date du putsch,
au 24 février 2022, les faibles étaient incontestablement les Russes du Donbass. Et, s’il est vrai qu’après le début de l’attaque russe ils étaient en meilleure posture, ils ont
continué à être l’objet de bombardements totalement gratuits du fait des forces ukrainiennes, leur but étant uniquement de terroriser la population civile. Et, loin d’être les
«forts» de la propagande médiatique, les Ukrainiens du Donbass et de Crimée restent sous la menace d’une épuration ethnique en cas de victoire ukraino-occidentale. Enfin, faisons
remarquer que 31 pays de l’OTAN, dont trois puissances nucléaires, aident Kiev contre la Russie, ce qui devrait pour le moins nuancer la vision d’un conflit où les Russes seraient les
«forts» et les Ukrainiens les «faibles». N’est-ce pas d’ailleurs en tant que «forts» que se sont perçus les pays de l’OTAN eux-mêmes, persuadés qu’ils étaient de mettre la Russie à
genoux tant militairement qu’économiquement ? C’est donc à coups de poncifs et d’émotions manipulées, de mensonges et d’occultations, que les médias mobilisent l’opinion,
dirigent sa solidarité, détournent et captent sa
générosité.
Monopole du discours légitime et
parti unique
Mais au-delà du bellicisme, ne sommes-nous pas face à une dérive totalitaire ? Certes, une dérive totalitaire, aussi inquiétante soit-elle, ce
n’est pas la même chose que le totalitarisme. Sauf qu’une dérive peut en être le prélude, même s’il est vrai qu’on n’interne pas, qu’on ne déporte pas, qu’on n’assassine pas. Une
incontestable et heureuse différence. Mais quel que soient les divers sens donnés au terme de «totalitaire», ils ont en commun la prise de possession intégrale des esprits, le refus
du débat démocratique et la diabolisation des dissidents, la manipulation des foules et leur fanatisation en vue de la guerre. Il s’applique donc parfaitement au formatage auquel
s’emploient les entreprises médiatiques depuis la guerre en Ukraine, même si leur russophobie était présente bien avant3.
Comment en effet ne pas s’alarmer quand ceux qui ne se reconnaissent pas dans le discours dominant ont peur, peur de le dire sur leur lieu de travail, à leurs amis ou en
famille ? Comment ne pas s’alarmer quand l’endoctrinement généralisé et les mensonges médiatiques visent également les enfants, devenus une masse politiquement
mobilisable4 ?
Comment ne pas s’alarmer quand tout discours de paix est non seulement interdit d’antenne mais proscrit à presque tous les niveaux de la vie publique ? Comment ne pas s’alarmer face à
cette mise au pas de masse, au fanatisme obligatoire, à la déréalisation collective, à l’obligation de penser conforme, à la psychiatrisation des opinions supposées illicites, aux
insultes envers les récalcitrants et à l’intimidation des hésitants ? De ce point de vue, le fait que cette dérive totalitaire n’est plus le fait de l’État ni change rien. La dérive
en question est aujourd’hui le fait d’une autre machine à formater l’opinion, le «quatrième pouvoir».
Pour imposer son «monopole du
discours légitime», le totalitarisme médiatique prospère sur deux impostures. D’abord celle de l’«expertise», qui impose le défilé rituel des vrais ou faux experts. Dûment
sélectionnés, ils sont là pour confirmer une ligne éditoriale qui est avant tout politique. Le statut de l’expertise, qui est supposée renvoyer à la neutralité technicienne,
entretient l’illusion d’une validation quasi scientifique de choix qui relèvent le plus souvent de la pure propagande. Défilé dont sont exclus, bien entendu, les experts qui
pourraient tout aussi «scientifiquement», valider un point de vue contradictoire. Pire, le défilé des experts officiels suggère fallacieusement qu’une expertise différente ne peut
même pas exister.
Tout par conséquent est fait pour empêcher que les citoyens puissent réfléchir par eux-mêmes à partir de données contradictoires. Les auditeurs,
téléspectateurs et lecteurs semblent être une masse qu’il faut sans relâche «travailler» et garder sous contrôle idéologique par un matraquage continuel. Informer, préoccupation
pour le moins lointaine, doit impérativement s’effacer devant le seul objectif qui vaille : mobiliser5.
L’autre imposture est celle de la morale. Là encore, la fausse morale a le même rôle que la fausse science de l’expertise : elle doit être
instrumentalisée pour imposer, redisons-le, ce «monopole du discours légitime». Depuis la guerre en Ukraine, se vérifie de manière caricaturale une dérive commencée bien avant, celle
de médias d’État ou privés, mais subventionnés, qui s’emparent de la morale pour légitimer fallacieusement leur idéologie atlantiste et européiste et exclure les opinions qui la
contredisent. Les passages à l’antenne de tel ou telle personnalité non conforme à la doxa n’y changent rien : le «la» est bel et bien donné par les journalistes/idéologues, qui
mettent en scène leur rôle de dépositaires du discours légitime. Car le système est si bien rôdé que le discours d’un invité à rebours de la ligne est toujours, quoi qu’il arrive,
supposé partisan, alors que celui des journalistes/idéologues de plateau passe d’office pour la voix de l’objectivité et de la raison. Atteignant des sommets de bonne conscience et de
complaisance, ils se sont persuadé que les idées auxquelles ils sont hostiles ne peuvent être qu’immorales et à ce titre n’ont pas droit de cité. Une sagesse ancienne incite à se
méfier de ceux qui, généralement peu économes en effets de manche, proclament que leurs choix politiques sont réductibles à des choix moraux. Qu’ils le croient, ou qu’ils feignent de
le croire, peu importe, on sait que chez eux la morale n’est le plus souvent que le cache-sexe de leurs opinions et un faux-fuyant pour s’éviter les risques du débat. Autant de
dérives qui sont celles des entreprises médiatiques, mais à un détail essentiel près : leur discours est le fait de personnes qui sont payées pour le tenir et qui, comme chacun
sait, ne le seraient plus du jour au lendemain si elles en tenaient un autre.
Pour entretenir la légende de leur haute valeur morale, ils font montre d’un incontestable savoir-faire, prenant bien soin, à tout propos, de mettre en
scène leur intrinsèque bonté, leur hauteur compassionnelle, leur capacité à s’apitoyer sur toute souffrance humaine, voire animale. En réalité, leur compassion est invariablement
sélective, toujours fonction de l’identité de la victime, jamais de sa souffrance réelle. La guerre en Ukraine, comme les guerres en Yougoslavie montrent à l’envi ce dont les victimes
sont l’objet : d’un tri draconien. Pas plus qu’il n’était question d’émouvoir un seul instant sur le sort des Serbes pendant les guerres en Yougoslavie, il n’est pas question
aujourd’hui d’attendrir l’opinion sur celui des russophones du Donbass bombardés. Pendant huit années, rappelons-le, ils l’ont été dans une indifférence médiatique générale. L’émotion
médiatiquement construite est impitoyablement conditionnée par les partis pris politiques et idéologiques. On peut être admiratif de ce succès tant il est impressionnant : malgré
un certain désamour de l’opinion, nos médias continuent de faire croire à leur magistère moral alors que, toute honte bue, ils ont systématisé depuis des décennies les méthodes du
mensonge et de l’occultation afin de fabriquer les consensus pro-guerre.
Moyen torve de protéger les options médiatiques et à faire croire à leur caractère incontestable, le recours à la pseudo science de l’expert ou
l’instrumentalisation de la morale servent donc avant tout à conjurer la menace du débat démocratique et à maintenir le degré d’ignorance indispensable pour entretenir le bellicisme
de l’opinion. Cynique ou hypocrite, en tout cas mensongère, la synthèse de la morale et de la politique qu’elles prétendent implicitement incarner sert de prétexte à entretenir
l’entre-soi idéologique et sociologique, et ostraciser ceux qui ne s’y reconnaissent pas, bref, à conserver leur pouvoir.
Vers le parti
unique ?
Au faîte de sa puissance, le pouvoir médiatique parait être devenu un ersatz de pouvoir ecclésiastique, pourvoyant au besoin de croyance d’une société
atomisée et en proie au vide religieux. D’où la croyance ombrageuse ou quasi fanatique qu’il suscite chez ceux qui tombent sous son influence. Il y a un demi-siècle, l’«honnête
homme» pensait qu’il était de son devoir de confronter les points de vue, de diversifier les sources pour comprendre le bruit du monde. Pas les adeptes contemporains du pouvoir
médiatique. Eux sont convaincus que la parole médiatique suffit pour connaitre le Juste et le Vrai. Ce pouvoir prescrit et proscrit, sépare le bon grain du Vrai et du Bien de l’ivraie
du Faux et du Mal, suscite et flatte un communautarisme médiatique bien-pensant au nom de «valeurs» dont il serait le détenteur et gardien. Sauf que la réalité du monde médiatique ne
ressemble guère à ce qu’il est supposé incarner. Car une entreprise médiatique est d’abord une entreprise économique, et le plus souvent assez peu sociale. Les «journalistes
vedettes» sont payés des sommes exorbitantes pendant que les autres sont nombreux à être en situation précaire. Mais du haut en bas de l’échelle, personne n’ignore, à la place
qui est la sienne, ce qu’il convient de dire et surtout de ne pas dire. Le plus souvent même, leurs employés sont suffisamment bien sélectionnés et formatés idéologiquement pour
n’avoir pas l’idée d’une quelconque initiative individuelle à rebours de la ligne. Ceux qui sont en haut de la hiérarchie n’y ont aucun intérêt : pourquoi tueraient-ils la poule
aux œufs d’or ? Quant à la «piétaille» journalistique précarisée, elle n’a aucune envie de pointer ou re-pointer au chômage. Lorsque l’information, qui est supposée avoir un
rapport privilégié à la vérité, à l’objectivité et par conséquent à l’honnêteté intellectuelle, est soumise à pareilles contraintes idéologiques et pécuniaires, nous ne sommes plus
exactement dans l’univers angélique de courageux défenseurs de «valeurs» mais plutôt dans un monde de corruption officialisée. La thèse éculée selon laquelle les médias seraient
«indépendants» et donc «objectifs» est donc à prendre avec toute l’ironie du monde. Ils dépendent de l’État, qui les subventionne, et du pouvoir économique et financier, qui les crée
et les contrôle. Une situation qui, on en conviendra, n’est guère favorable à l’«indépendance» et à l’«objectivité». Sans compter qu’elle est historiquement inédite.
Rappelons qu’en mars 1944, le programme du Conseil national de la Résistance recommandait solennellement que dans la France libérée un certain nombre de
mesures d’urgence soient prises pour «instaurer (…) un
ordre social plus juste». Pour y parvenir, il fallait que soit assurée «la liberté de la
presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères»6.
On nous accordera que ce n’est pas trahir l’esprit de ce texte que d’étendre aux médias d’aujourd’hui ce que le CNR voulait voir appliqué à la presse. Or, nous en sommes plus loin que
jamais : aujourd’hui, 80 ans après, les entreprises médiatiques sont organiquement liées à la fois à l’un et aux autres. Leur importance est telle aujourd’hui qu’elles sont
devenues un parti qui n’en a pas le nom. Un parti qui oblige les partis officiels à composer en permanence avec son pseudo magistère pontifiant et dictatorial. Comment expliquer
autrement que des chefs politiques, comme Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, qui avaient l’un et l’autre des positions équilibrées sur la question ukrainienne, en tout cas
différentes du consensus fabriqué des médias, soient devenus inaudibles ? La réponse n’est guère difficile : leur silence ne s’explique que par la peur de perdre les suffrages de
leurs électeurs, qui sont comme les autres massivement sous influence médiatique. Tout chef politique sortant des lignes définies par le parti de la guerre, celui des médias, serait
immédiatement sanctionné par lui et perdrait de son influence, quand il ne serait pas diabolisé et excommunié. Un risque que seuls des hommes politiques électoralement faibles peuvent
prendre. Avec le parti médiatique, les partis traditionnels deviennent accessoires. C’est un parti aux mains d’une oligarchie, qui échappe à tout contrôle démocratique, qui s’impose à
l’ensemble des partis politiques, qui façonne dans le sens du bellicisme l’opinion publique et dont dépend la politique étrangère de la France. C’est le premier «parti» de France,
détenu par moins de dix milliardaires7.
Il n’est pas loin d’être un nouveau genre de «parti unique».
L’homo
médiaticus
Quelles perspectives pour la paix ? Un constat réaliste n’incite pas à l’optimisme et rappelle que les espoirs de paix sont aussi minces que les
torts occidentaux sont considérables. Surtout que nos médias attisent sans discontinuer l’esprit belliqueux de l’opinion et persévèrent dans leur présentation quasi délirante du
conflit, notamment en soustrayant à la connaissance de l’opinion tout ce qui pourrait lui permettre non seulement de le comprendre mais d’envisager une perspective de paix. On
constate tous les jours les dégâts de cette propagande dès qu’on est confronté à un Occidental sous son influence. En faire le portrait-robot n’est en effet pas difficile : il est le
plus souvent viscéralement antirusse alors qu’il ignore tout des principales étapes du conflit et de sa genèse. Son point de vue se limite le plus souvent à quelques formules,
étonnamment identiques du bas en haut de l’échelle de l’instruction, et comme apprises par cœur. Invariablement convaincu que la passion antirusse tient lieu d’argument, toute
critique de l’information officielle des médias suscite le plus souvent son agressivité. Et l’on constate aussi invariablement que la guerre en Ukraine commence pour lui le 24 février
2022 et qu’il ne sait rien de ce qui s’est produit avant. Quant à ce qui s’est passé après, ce qu’il en sait se limite presque toujours à l’écoute des bulletins des chaines d’infos.
Il n’a par conséquent jamais entendu parler du putsch de Maïdan de février 2014, ni du massacre sous faux drapeau avec ses centaines de victimes, ni de la conversation piratée entre
Catherine Ashton et Urmas Paët révélant qui étaient les auteurs du bain de sang. Pas plus qu’il n’a entendu parler de la conversation entre les Américains V. Nuland et Pyatt décidant
de la composition du gouvernement de l’Ukraine, ni des décisions officielles de réhabilitations de nazis ukrainiens, ni du discours de Porochenko à Odessa vouant ses concitoyens du
Donbass et leurs enfants à vivre sous terre s’ils continuaient à soutenir les «séparatistes». Pour ce consommateur de médias, ces Ukrainiens du Donbass ne semblent d’ailleurs même pas
exister. Bref, il est probable que si des torts aussi accablants que ceux résumés ici avaient été le fait des Russes, cet Occidental en aurait été dûment informé par les entreprises
médiatiques…
Foulant aux pieds toute déontologie de l’information, notamment la Charte de Munich8,
les médias semblent n’avoir finalement pour rôle que d’alimenter l’hostilité publique à l’égard de la Russie et d’occulter tout ce qui pourrait l’atténuer. Un quelconque récapitulatif
un tant soit peu neutre des évènements est donc exclu. Rarement le mot de bourrage de crâne, inventé pendant la 1ère Guerre mondiale, a été autant d’actualité. La propagande a donc
atteint son but aussi bien, sinon mieux, qu’elle aurait pu le faire dans un contexte totalitaire : l’opinion n’est pas loin d’être possédée.
Pour entretenir la flamme russophobe, nos médias, du haut de leur prétendu anti nationalisme, dénoncent aujourd’hui un regain de nationalisme en Russie.
Il serait toutefois erroné d’interpréter ces postures comme relevant d’un anti nationalisme de principe. Car les mêmes médias flattent sans état d’âme ni vergogne le nationalisme
ukrainien, un nationalisme dont la virulence raciste est sans équivalent en Europe depuis la fin du IIIème Reich. Nous avons vu qu’il puise dans le passé nazi avec la glorification
officielle d’un collaborateur de la shoah, Stepan
Bandera. Personnage qui est loin d’être seul à bénéficier des honneurs officiels. Car dans plus de soixante villes ukrainiennes, des noms de rue, des plaques commémoratives, des
statues, des écoles rebaptisées, rendent hommage à d’autres activistes ukrainiens complices de l’extermination aux côtés des nazis9.
Aussi nombreux et accablants qu’ils soient, ces faits n’empêchent toutefois pas les médias d’ironiser en invoquant la sempiternelle «propagande russe» à propos de tout ce qui rappelle
l’allégeance actuelle des dirigeants kiéviens aux nazis ukrainiens du passé. Ils préfèrent présenter ce nationalisme comme une réaction légitime aux visées «néo
impériales» de la Russie, épouvantail systématiquement brandi pour alimenter les fantasmes russophobes.
Pour l’amalgame Hitler/Poutine, voir Michel Collon, «Ukraine, la guerre des images», Investig’action, 2023, p.26.
Nous avons montré dans un autre texte que la neutralité de l’Ukraine était vivement recommandée par nombre d’hommes d’État américains, de Georges Kennan à Kissinger, en
passant par Brezinski. Mais aussi par des diplomates, des universitaires et de ministres, notamment par Robert Gates, chef du Pentagone sous les présidences de Georges W. Bush et
de Barak Obama. Nous y reviendrons plus bas. Quant à la perte des territoires habités par des russophones, H. Kissinger l’a évoquée après le 24 février 2022 comme une
possibilité pour rétablir la paix. Il a toutefois changé de point de vue ultérieurement.
Prise de possession des esprits qui déborde largement la question ukrainienne. On le vérifie avec la question climatique ou les questions sociétales, qui ne sont pas plus
l’objet d’un quelconque débat contradictoire entre experts aux vues opposées ou simplement différentes.
Voir Michel Collon, «Ukraine, la guerre des images», Investig’action,2023, p. 288-89.
Sur ce rôle essentiel de la machine médiatique voir Maurice Pergnier, «Mots en guerre», Lausanne, l’âge d’homme, 2002.
Voir Michel Collon, «Ukraine, la guerre des images», Investig’action, 2023, p.411.
Cette excellente charte a été adoptée en 1971 par la Fédération européenne des journalistes. Comparer certains de ses articles à la pratique médiatique en ces temps de
guerre laisse quelque peu rêveur. Comme «ne pas supprimer des informations essentielles». Ou «Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du
propagandiste»… Voir Jacques Baud, «Poutine maître du jeu», Paris, Max Milo, 2022, p. 296-97.
Voir Tribune Juive, 16-02-2023. Voir Le Grand Soir, 21-12-2022 : https://www.legrandsoir.info/monuments-aux-collaborateurs-nazis-en-ukraine.
Le document donne «le tournis», pour reprendre les termes du Grand Soir, tant sont nombreuses les preuves de l’allégeance officielle de Kiev au nazisme sur le territoire qu’il
contrôle
Qui a mis fin à la souveraineté de l’Ukraine ? (8)
La fable médiatique d’une Russie par nature expansionniste est inséparable d’une autre, celle faisant des Ukrainiens un bloc uni derrière son
gouvernement. Une légende dont le succès doit beaucoup à l’impossibilité pour les Européens de vivre les passions nationales autrement que par procuration. Quoi qu’il en soit, le
mantra de l’«unité du peuple
ukrainien» arriverait à nous faire oublier que la guerre actuelle est aussi une guerre interne à l’Ukraine, sinon une guerre civile. Mais les médias n’en sont plus à ça près.
Rappelons que lors de la guerre en Bosnie, ils ont réussi à faire croire à l’unité et l’existence d’un «peuple
bosniaque» au moment-même où les trois communautés nationales de l’ex-république yougoslave étaient séparées par des haines inexpiables. Le peuple bosniaque n’était qu’une
invention médiatique, comme la suite, avec les accords de Dayton, l’a amplement prouvé. Il en est de même aujourd’hui avec le «peuple
ukrainien». A cet égard, les cartes électorales publiées après les diverses élections depuis une vingtaine d’années sont sans appel : elles montrent un pays profondément
divisé entre pro russes à l’Est et au Sud et pro occidentaux à l’Ouest1.
Précisons que les prorusses sont loin d’être minoritaires et confinés au seul Donbass, comme l’a montré la victoire à l’élection à la présidentielle de 2010 de Ianoukovitch, lui-même
supposé être pro russe. Qu’en est-il aujourd’hui ? Un institut américain a récemment analysé comment l’opinion ukrainienne réagirait en cas d’arrivée de troupes russes dans leur
ville. Les réponses ont de quoi surprendre les habitués de la thèse ressassée et mythologique de l’indéfectible «unité du peuple
ukrainien»2.
Une majorité d’Ukrainiens déclare en effet qu’elle ne quitterait pas son lieu d’habitation en cas d’arrivée des forces russes. Seule une très petite minorité, moins de 10% le plus
souvent, est disposée à les combattre ou à partir à l’étranger. Ajoutons encore que les nombreuses vidéos où l’on voit de jeunes Ukrainiens refuser d’être incorporés dans les forces
armées de Kiev ne vont elles-mêmes guère dans le sens de la thèse d’une mobilisation générale du «peuple
ukrainien» face à l’ennemi russe.
Trop imprégnés de leur propre propagande pour voir ce qu’est la réalité de l’Ukraine sous contrôle de Kiev, nos médias ne s’intéressent guère non plus à
ce que peuvent penser les Ukrainiens de l’Est et, au-delà, les russophones d’Ukraine, des ambitions ultra nationalistes de Kiev. Si ces Ukrainiens de l’Est n’ont quasiment aucune
existence médiatique, ils ont été considérés dès le putsch de février 2014 comme une population ennemie occupant indûment des terres ukrainiennes, voire comme une population
de bons à rien. Des gens qui «ne savent rien
faire», comme le disait haineusement en 2015 le président ukrainien Porochenko dans ce discours public évoqué plus haut, qui semblait renouer avec la thématique
des Untermenschen.
Alors qu’ils sont prompts par ailleurs à dénoncer les écarts aux «valeurs» dont ils seraient gardiens, nos médias restent imperturbables face à ces dérives xénophobes et
fascistes de Kiev, quand ils ne les justifient pas. Pourtant, un homme politique ukrainien avait dénoncé les excès de l’ukrainisation dont les russophones étaient victimes. Il prenait
même leur défense, critiquant les pressions et les injustices dont ils étaient l’objet depuis le putsch de 2014. Il s’appelait Volodymir Zelinski, mais c’était alors qu’il était
candidat à la présidentielle de 2019. Devenu président, il ne tardera pas à entonner les thématiques historiques du nationalisme ukrainien et incitera sans complexe les russophones à
quitter l’Ukraine.3
Quant à la poussée nationaliste en Russie, elle n’a pas besoin des récurrents poncifs russophobes pour être élucidée. Les dérives de nos médias
suffisent à la comprendre. Car sans le savoir ni le prévoir, ces derniers ont remporté deux victoires opposées en une seule bataille : alors que leur campagne avait pour but de
mobiliser l’opinion occidentale contre la Russie, leurs excès russophobes ont été tels qu’ils ont réussi avec autant d’efficacité à mobiliser les Russes contre l’Occident. Les médias
officiels russes n’auraient probablement pas pu mieux faire pour les convaincre de l’hostilité générale et quasi fanatique des Occidentaux à leur égard. Parmi ces contributeurs
efficaces, citons Bruno Lemaire, qui déclarait vouloir «l’effondrement de
l’économie russe». En quelques secondes, sa déclaration a sans doute plus fait pour souder les Russes derrière leur gouvernement que des mois de propagande officielle. La
réaction des Russes n’a donc rien de mystérieux ou d’enraciné dans un nationalisme ombrageux et congénital : chacun sait que vouloir l’effondrement économique d’un pays, c’est
déclarer la guerre à l’ensemble de sa population. Surtout que Bruno Lemaire ne se privait pas d’ajouter «…Le peuple russe
en paiera aussi les conséquences»4.
Que la population visée réagisse avec nationalisme ou patriotisme ne peut donc étonner que des journalistes incompétents à force d’être aveuglés par leur propre propagande. Ajoutons
qu’aucun Russe n’ignore que Bruno Lemaire a révélé tout haut ce qui était le plan concocté plus ou moins secrètement par tous les hommes d’État occidentaux. Nos médias, viscéralement
hostiles à l’idée de se mettre à la place des autres quand ils sont russes, n’ont apparemment pas songé à ce que serait la réaction générale d’un pays occidental si un président russe
déclarait vouloir son «effondrement économique».
Arguer de l’attaque russe du 24 février 2022 pour justifier les propos de Bruno Lemaire serait un piètre argument quand on se rappelle les conditions
dans lesquelles ont eu lieu, huit ans avant, le basculement de l’Ukraine dans le giron occidental avec, redisons-le, un putsch, le massacre de centaines d’Ukrainiens pro-occidentaux
pour le faire réussir, l’alliance avec la mouvance néo nazie, le sabotage délibéré d’un processus diplomatique par Kiev et Washington, le tout accompagné de l’assentiment passif des
Européens. Au-delà du cas de Bruno Lemaire, dont les propos ne sont qu’un cas parmi d’autres, on remarquera aussi que l’agressivité occidentale, marquée par les sanctions décidées
contre la Russie depuis 2014 et une suite de propos belliqueux, est inédite dans l’histoire européenne depuis presque près d’un siècle. Un exemple pourrait suffire pour s’en
convaincre : aucun responsable politique occidental n’a fait preuve d’une agressivité comparable après les diverses conquêtes nazies entre 1936 et 1940. On ne se souvient pas non
plus qu’une quelconque politique de sanctions à l’égard de l’Allemagne nazie fût adoptée par les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne. Force est par conséquent de conclure
ironiquement que, à s’en tenir aux discours et aux actions occidentales actuels, les tentatives faites ad
nauseam d’assimiler Poutine à Hitler sont quelque peu trompeuses. En réalité, pour l’Occident, Poutine est manifestement cent fois pire que Hitler ne l’a jamais été…
Cette virulence des Occidentaux envers la Russie a toutefois peu à voir avec les leçons qu’ils auraient tirées de la période ayant précédé la IIèmeGuerre
mondiale, qui les feraient être plus intransigeants avec Poutine qu’ils auraient dû l’être avec Hitler. Il suffit de voir leur bienveillance envers l’Ukraine, le seul État d’Europe
qui ait officiellement renoué avec l’histoire du IIIème Reich. Saluons donc ce tour de force : la classe politico-médiatique dénonce comme un nouvel Hitler le président d’un pays
dont l’histoire et la mémoire sont ancrées dans l’anti nazisme de la Grande Guerre patriotique, alors que dans le même temps, cette classe arme et finance un État dont les tenants
réhabilitent des figures ukrainiennes complices du IIIème Reich … Pour manier avec cette audace le double discours, il faut sans doute une réserve inégalée de bonne conscience. Il est
vrai que celle de notre classe politico-médiatique est inépuisable.
Le déclin
inexorable
Et sans doute en faut-il aussi pour conduire la politique de deux-poids-deux-mesures qui, en particulier à l’égard de la Russie, se résume à imposer à
l’autre ce qu’en aucun cas on ne voudrait se voir imposé. Les Occidentaux, en effet, trouvent normal que l’OTAN soit aux portes de la Russie alors qu’aucun d’eux n’accepterait de voir
une alliance militaire rivale installer ses missiles à ses frontières. Ils trouvent normal que les États-Unis interviennent à des milliers de kilomètres de leurs frontières au nom de
leur sécurité, mais s’insurgent quand la Russie se soucie de garantir la sienne à ses frontières. Ils trouvent normal d’intervenir à des milliers de kilomètres de leurs frontières
pour, prétendent-ils, faire respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais ce principe ne vaut plus rien quand il s’agit des populations de la Crimée et du Donbass. Quand
une politique aussi déraisonnable et belligène est le fait de l’ensemble des États occidentaux et de leur personnel politique, il parait difficile de ne pas voir un symptôme
inquiétant. Un symptôme qui rappelle le pire de l’histoire de l’Occident : le temps de l’arrogance et du mépris les plus absolus envers tout ce qui est supposé ne par lui
ressembler.
Toutefois, si les Occidentaux renouent aujourd’hui avec les pratiques et le discours de l’impérialisme d’antan, ils semblent ne pas voir que le
monde qu’ils prétendent encore contrôler a radicalement changé. La séculaire domination de l’Occident est en effet menacée. Son poids démographique et économique global a
considérablement diminué et est appelé à diminuer encore. Les continents qu’il avait subjugués s’en détachent, les progrès de l’instruction sur les continents que l’Occident avait
conquis sont tels que ses anciens subordonnés sont devenus des rivaux, y compris dans les domaines de la science et de la technologie. Avec ses progrès fulgurants, la Chine en est un
exemple particulièrement éloquent. Il faudrait au «bloc
élitaire» occidental de la lucidité pour faire face raisonnablement à ce nouvel ordre du monde en cours. Un monde où l’Occident aurait sa place, n’en déplaise aux professionnels
en manipulations des peurs. Mais à condition d’accepter que cette place ne peut plus être celle des siècles précédents. Sauf que cette lucidité est décidément absente de l’ensemble
des élites occidentales qui persistent à se penser et à se croire dans le monde d’avant.
Les changements tectoniques en cours ne semblent donc en rien atténuer l’hubris occidentale. Face à l’inexorabilité du déclin, les pratiques, la
rhétorique et les ambitions des Occidentaux témoignent d’un monde qui n’est plus. Ils continuent de se gargariser de leurs «valeurs» dont ils persistent à penser qu’elles sont par
définition supérieures. Difficile pourtant de régner culturellement quand les nouvelles valeurs occidentales, qui se veulent anti traditionnelles, sont à rebours de celles du reste du
monde. Avec ces fameuses «valeurs», nous sommes toutefois ici face à tout autre chose que les contraintes démographiques et économiques dont nous avons vu qu’elles viennent,
partiellement tout au moins, de l’extérieur. Nous sommes face à un acte volontaire endogène qui, loin d’assurer la domination de l’Occident, ne fait qu’en précipiter le déclin. À
l’évidence, en affichant leur nouvelle identité, les élites occidentales ne font que se couper du monde sur lequel elles veulent pourtant continuer de régner. Quand ceux qui
conduisent une politique précipitant le déclin sont dans une telle opposition à leur volonté de puissance, on doit en conclure qu’ils ne comprennent plus rien au monde dans lequel ils
vivent, ni même en quoi consiste la défense de leurs propres intérêts.
C’est encore ce déni qui les pousse à inventer un combat imaginaire, celui des «démocraties
contre les autocraties», comme pour battre le rappel des masses occidentales contre la Russie et ses alliés sous la bannière de l’OTAN et donner un semblant de légitimité à leur
volonté de domination.
La référence «aux
démocraties» menacées par les «autocraties»
trahit toutefois l’obstination à ne pas faire le bilan des changements ayant marqué les sociétés occidentales depuis plusieurs décennies. Car la thématique des «démocraties
contre les autocraties» fait référence à un modèle démocratique qui en réalité n’existe plus, le déclin global occidental étant aussi un déclin démocratique. En un demi-siècle,
les démocraties occidentales sont en effet devenues des oligarchies, castes peu exemplaires en matière de démocratie. Qu’on songe au vote de 2007 du Parlement français en faveur d’une
«constitution
européenne» qu’un référendum populaire avait pourtant rejeté deux ans plus tôt. Qu’on songe aussi au putsch judiciaire qui a permis à E. Macron de gagner l’élection
présidentielle de 2017. Qu’on songe encore à ces parodies de démocraties où les peuples européens sont obligés de voter sur les questions européennes jusqu’à ce qu’ils donnent la
bonne réponse, autrement dit celle voulue par Bruxelles et l’oligarchie. Qu’on songe au poids des lobbies, qui ont littéralement colonisé le pouvoir politique en Europe et aux
États-Unis. Enfin, ajoutons que dans un contexte où les États occidentaux soutiennent en Ukraine un régime renouant officiellement avec le IIIème Reich, les incantations
grandiloquentes autour du combat des «démocraties
contre les autocraties» et des prétendues «valeurs» paraissent aussi dérisoires qu’indécentes. Tout indique que l’Occident, confronté en Ukraine à l’impossibilité d’imposer
sa loi, fait en sorte de parer sous les oripeaux d’une prétendue «guerre
juste» sa volonté de faire durer sa domination.
Repli identitaire occidental sur
l’atlantisme, maladie sénile de l’Occident
Les «démocraties» paraissent décidément mal en point. Toutefois, si leurs élites semblent incapables de prendre consciemment en compte la menace d’un
déclin historique, elles la sentent. Alors qu’elles diabolisent la nation comme égoïsme collectif, elles réagissent elles-mêmes par un repli identitaire ethnocentrique, autrement dit
par un égoïsme ethnique qui, sous couvert d’«universel», ou de «démocratie» a essentiellement pour but le maintien du monde unipolaire, par définition occidental. Comble d’ironie,
alors que cet occidentalisme/atlantisme est aussi radical dans son arrogance et son mépris de l’Autre que les pires nationalismes, il s’évertue encore à s’auto définir en tant que
«communauté
internationale», comme pour mieux travestir le caractère ethnocentrique du monde unipolaire qu’il veut perpétuer. L’occidentalisme/atlantisme serait-il à l’Occident ce que le
nationalisme est à la nation ? À l’évidence pourtant, un ordre multipolaire serait sans aucun doute plus démocratique puisqu’il offrirait aux États faibles la possibilité de
jouer sur la concurrence de grandes puissances. Mais face à cette perspective de monde multipolaire, les élites occidentales se cabrent, réagissent par un atlantisme forcené et la
soumission aveugle aux volontés des États-Unis qui, eux, ne se gênent guère pour se définir comme la «nation
indispensable»5,
voire comme étant née sous le signe d’une «destinée
manifeste». La menace entrainant mécaniquement le resserrement du groupe, l’Occident fait corps derrière son parrain, qui est pourtant historiquement son rejeton. Il va pourtant
falloir que les Occidentaux apprennent les règles du savoir-vivre entre grandes puissances rivales, et éventuellement, mais ne rêvons pas trop, que les Européens prennent leur courage
à deux mains et enseignent à leur tuteur américain que le monde n’est pas ce qu’était leur Far West. Il est vrai que jusque-là, préférant le rôle de l’outlaw, ce
tuteur s’en est assez peu soucié…
Ces
«règles
de bienséances» n’ont pas été respectées, ô combien, en Ukraine par l’Occident. Nous avons vu comment les États-Unis et ses vassaux, faisant fi de la souveraineté et de l’unité
fragile de l’Ukraine, ont voulu pousser leur avantage par des méthodes criminelles et ont délibérément provoqué une guerre civile.
Quant à l’intégration dans l’OTAN de l’Ukraine, nombre d’Américains, et au plus haut niveau, l’avaient publiquement désavouée et avaient averti des
risques de guerre qu’elle recélait, que ce soient G. Kennan, concepteur de la stratégie américaine du containment de
l’URSS après la IIème Guerre mondiale, Z. Brezinski, ancien chef du conseil de sécurité de J. Carter, ou R. Gates, chef du Pentagone sous G. W. Bush et Obama. Deux autres
décideurs américains du plus haut niveau, Kissinger et Mac Namara avaient également mis en garde contre l’expansion de l’OTAN jusqu’à la frontière de la Russie. D’autres, hauts
fonctionnaires, universitaires ou diplomates, comme Jeffrey Sachs, John Meirsheimer, ou Jack Matlock ont fait de même. Rarement les risques de guerre liés à la politique d’un État
auront été anticipés si longtemps à l’avance et par autant de membres de l’élite de ce même État.6
Par conséquent, rien, absolument rien, à part l’hubris occidentale, n’empêchait que l’Ukraine ait, comme la Finlande ou l’Autriche l’ont eu après
guerre, un statut de neutralité. Rappelons que même sous Staline, l’URSS n’a pas empêché ces deux pays d’être capitalistes, démocratiques et dotés de forces armées conséquentes. Sauf
que les États-Unis et leurs vassaux se sont servi des préoccupations légitimes de sécurité des pays d’Europe de l’Est pour la seule raison de faire avancer l’OTAN vers la Russie.
Pire, alors qu’ils poussaient leurs pions en Europe, les États-Unis sortaient des accords de sécurité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire et du traité ABM sur les milles
anti balistiques. Ainsi, ils pouvaient se servir de l’OTAN pour mettre en danger la sécurité de la Russie en installant en Pologne et en Roumanie des armes jusque-là proscrites.
Faut-il préciser qu’à côté de cette volonté obsessionnelle d’affaiblir la Russie, ni la sécurité ni la souveraineté de l’Ukraine ne pesaient bien lourd ? En dépit des discours et
des effets de manches, les États-Unis et leurs vassaux aiment bien moins l’Ukraine qu’ils ne détestent la Russie. Quant à la sécurité de la Russie, il n’est pas besoin de remonter à
Napoléon pour s’apercevoir qu’elle est une préoccupation qui n’est pas moins légitime que les inquiétudes similaires des pays qui l’entourent. Rappelons qu’au XXe siècle, de 1917/18 à
1941, la Russie puis l’URSS ont subi trois invasions : deux étaient allemandes et une polonaise, sans parler de l’intervention de plusieurs dizaines d’autres États pendant la
guerre civile entre 1918 et 1922. Quant au cataclysme qu’a été l’invasion nazie, la pire invasion qu’ait subie le monde russe de toute son histoire, et la guerre la plus dévastatrice
de l’Histoire, il est suffisamment traumatisant pour que la Russie d’aujourd’hui se préoccupe légitimement de sa sécurité. Est-il simplement possible de bâtir un système de sécurité
collective en faisant comme si les seules questions de sécurité en Europe de l’Est se réduisaient à celles des pays limitrophes de la fédération de Russie ? Évidemment non, sauf, bien
sûr, si l’on veut prendre le risque d’une guerre avec elle. C’est pourtant ce crime qui sacrifie la paix qu’ont commis les États-Unis et leurs subordonnés européens avec leur putsch
de 2014 et la politique qui a suivi.
Il est rare de voir un conflit où les torts sont si inégalement répartis. Pour la seule raison que la puissance unipolaire et ses vassaux
s’acharnent à conserver leur statut, le monde est au bord de l’abime. Pour qu’il n’y tombe pas, il ne reste plus qu’à espérer un sursaut des peuples européens et
américain.
Voir les-crises, «Comprendre l’Ukraine (9), La politique depuis 1991». Voir Pierre Lorrain, «L’Ukraine, une histoire entre deux destins», Paris, Bartillat, 2021, p.545, p.559, p.568,
p. 572, p.577. Voir Michel Collon, «Ukraine, la guerre des mémoires», Investig’action, 2023, p.49
Sondage réalisé par le groupe sociologique Rating pour le compte de l’Institut républicain (IRI) basé aux États-Unis. Voir «Kiev et Odessa attendent l’arrivée de l’armée
russe», reseauinternational.net, 20-07-2023.
Voir Michel Collon, «Ukraine, la guerre des images», Investig’action, 2023, p. 124-25
Radio France, le 01-03-2022. Voir Jacques Baud, «Poutine maître du jeu ?» Paris, Max Milo, p. 258.
Formule de Madeleine Allbright, dont on se rappelle qu’en 1996, elle envisageait sans sourciller la mort de centaines de milliers d’enfants irakiens, https://www.youtube.com/watch?v=KIm68B_m8Lk
Voir Fabrice Garniron «Qui est le fou dans l’affaire ukrainienne ?», Le Nouveau conservateur, avril 2023
Le chef de l’OTAN admet ouvertement que la Russie a envahi l’Ukraine à cause de l’expansion de l’OTAN
Lors d’un discours prononcé jeudi devant la commission des affaires étrangères du Parlement européen, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a reconnu
clairement et à plusieurs reprises que Poutine avait pris la décision d’envahir l’Ukraine parce qu’il craignait l’expansionnisme de l’OTAN.
Ses commentaires, initialement signalés par le journaliste Thomas Fazi, se lisent comme suit :
Le contexte était le suivant : le président Poutine a déclaré à l’automne 2021, et a en fait envoyé un projet de traité qu’il voulait que l’OTAN
signe, qu’il promettait de ne plus élargir l’OTAN. C’est ce qu’il nous a envoyé. Il s’agissait d’une condition préalable pour ne pas envahir l’Ukraine. Bien entendu, nous ne
l’avons pas signé.
C’est le contraire qui s’est produit. Il voulait que nous signions cette promesse de ne jamais élargir l’OTAN. Il voulait que nous retirions nos
infrastructures militaires de tous les alliés qui ont rejoint l’OTAN depuis 1997, ce qui signifie que la moitié de l’OTAN, toute l’Europe centrale et orientale, nous devrions
retirer l’OTAN de cette partie de notre Alliance, en introduisant une sorte de B, ou d’adhésion de seconde classe. Nous avons rejeté cette proposition.
Il est donc entré en guerre pour empêcher l’OTAN, plus d’OTAN, de s’approcher de ses frontières.
M. Stoltenberg a fait ces remarques dans le cadre d’une jubilation générale concernant le fait que M. Poutine a envahi l’Ukraine pour empêcher
l’expansion de l’OTAN et que cette invasion a conduit la Suède et la Finlande à demander à rejoindre l’alliance. Il a déclaré que cela «démontre que
lorsque le président Poutine a envahi un pays européen pour empêcher l’expansion de l’OTAN, il a obtenu exactement l’inverse».
Les remarques de M. Stoltenberg auraient probablement été classées comme de la propagande russe par les «experts en désinformation» financés par les
ploutocrates et les «vérificateurs de faits» impériaux si elles avaient été prononcées en ligne par quelqu’un comme vous ou moi, mais parce qu’elles émanent du chef de l’OTAN dans le
cadre d’un discours contre le président russe, elles ont été autorisées à passer sans objection.
En réalité, Stoltenberg ne fait qu’énoncer un fait bien établi : contrairement à la version officielle occidentale, Poutine a envahi l’Ukraine non pas
parce qu’il est mauvais et qu’il déteste la liberté, mais parce qu’aucune grande puissance ne permet jamais à des menaces militaires étrangères de s’accumuler à ses frontières
– y compris les États-Unis. C’est pourquoi tant d’analystes et de responsables occidentaux ont passé des années à avertir que les actions de l’OTAN allaient provoquer une guerre, et pourtant, lorsque la guerre a éclaté, nous avons été assaillis par
un tsunami de propagande médiatique répétant sans cesse qu’il s’agissait d’une «invasion non provoquée».
Il aurait été très, très facile d’empêcher cette guerre horrible. Toutes les voies de sortie ont été empruntées pour nous amener là où nous en sommes
aujourd’hui. On a laissé passer toutes les chances d’éviter cette mort et cette misère inutiles, avant 2014 et chaque année depuis. La structure de pouvoir centralisée des États-Unis
a sciemment choisi cette guerre, et elle l’a fait pour promouvoir ses propres intérêts. Si les gens le comprenaient vraiment, profondément, tout l’empire occidental s’effondrerait.
C’est un comble de se faire traiter d’agent du Kremlin pour avoir dit que cette guerre a été provoquée par l’expansionnisme de l’OTAN et qu’elle sert
les intérêts des États-Unis, alors même que l’OTAN dit ouvertement que cette guerre a été provoquée par l’expansionnisme de l’OTAN et que les responsables américains continuent à dire ouvertement que cette guerre sert les intérêts des États-Unis.
La dernière entrée dans cette dernière catégorie a pris la forme d’un tweet du chef de la minorité sénatoriale, Mitch McConnell, qui a déclaré : «Se tenir aux
côtés de nos alliés contre l’agression russe n’est pas de la charité. En fait, c’est un investissement direct dans la reconstitution de l’arsenal américain avec des armes américaines
construites par des travailleurs américains. L’expansion de notre base industrielle de défense place l’Amérique dans une position plus forte pour concurrencer la Chine».
Lorsque les narratrices officielles autorisées reconnaissent ces faits, tout va bien, mais lorsque des êtres humains normaux le font, il s’agit de
désinformation de la part du Kremlin. En effet, lorsque les auteurs de récits autorisés le font, ils le font pour promouvoir les intérêts de l’empire américain en matière
d’information – pour expliquer aux Américains las de la guerre en quoi celle-ci profite à leur pays, ou pour se moquer de l’échec de Poutine à empêcher l’élargissement de l’OTAN –
alors que lorsque des personnes normales le font, c’est pour établir ce qui est vrai et factuel.
Tout cela se produit alors qu’une étude parrainée par l’UE et un groupe financé par l’oligarque américain Pierre Omidyar est diffusée par des médias de masse tels que le Washington
Post, selon laquelle Twitter, sous la direction d’Elon Musk, n’en fait pas assez pour censurer la «propagande russe» sur la plateforme. Cela mettrait Musk en infraction
avec la loi sur les services numériques de l’Union européenne, qui exige que les plateformes restreignent ce type de matériel.
Comme l’a fait remarquer Glenn Greenwald, la loi sur les services numériques définit la «propagande russe» de manière si large qu’elle inclut «l’alignement
idéologique sur l’État russe» dans la catégorie des matériels qui doivent être censurés, ce qui inclut les personnes qui «répètent comme
des perroquets les récits du Kremlin par le biais de contenus produits à l’origine ou en diffusant des récits alignés sur le Kremlin auprès de différents publics cibles et dans
différentes langues».
Toute personne qui s’exprime en ligne contre la politique étrangère américaine relative à la Russie est immédiatement accusée de «reprendre les récits
du Kremlin» par des apologistes de l’empire qui régurgitent sans réfléchir ce qu’on leur a dit de croire dans des médias comme le Washington
Post, qu’ils aient ou non quelque chose à voir avec le gouvernement russe. Je n’ai moi-même aucune affiliation ou interaction avec l’État russe, et pourtant je reçois tous les
jours en ligne un grand nombre de ces accusations, simplement parce que je critique la politique étrangère des États-Unis.
Si j’étais le secrétaire général de l’OTAN et que je me réjouissais publiquement de l’échec des efforts de Poutine pour stopper l’expansion de l’OTAN,
je pourrais reconnaître que l’expansion de l’OTAN a provoqué cette guerre après notre refus d’empêcher un conflit inutile. Mais le fait que je nuise aux intérêts de l’empire
occidental en matière d’information au lieu de les aider fait de moi un propagandiste russe.
Ce n’est pas parce que la définition de la «propagande russe» est erronée, mais parce qu’elle fonctionne exactement comme prévu. La volonté de
marginaliser et d’éliminer la «propagande russe» n’a jamais rien eu à voir avec la lutte contre les documents publiés par l’État russe (qui n’ont pratiquement aucune existence significative dans le monde occidental) ; cette volonté a toujours eu pour but d’étouffer l’opposition à la politique
étrangère des États-Unis.
Comme bien d’autres choses dans ce monde, lorsque l’on examine le comportement du pouvoir, il s’agit en fin de compte d’une question de contrôle
narratif. Les puissants comprennent que celui qui contrôle le récit dominant des événements mondiaux contrôle en fait le monde, car le véritable pouvoir ne consiste pas seulement à
contrôler ce qui se passe, mais aussi à contrôler ce que les gens pensent de ce qui se passe. C’est la véritable colle qui maintient l’empire centralisé des États-Unis, et le monde n’aura jamais une chance de connaître la paix tant que les
gens ne commenceront pas à en prendre conscience.
Au début de la guerre d’Ukraine, le président du Conseil européen Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, ont
affirmé dans deux tweets séparés (cf. La Croix 21/02/22) : “La reconnaissance des deux territoires séparatistes en Ukraine (Donetsk et Lougansk) est une violation flagrante du droit
international, de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et des accords de Minsk”. Ainsi donc le Kremlin aurait violé le droit international en s’apprêtant, à leur demande, à venir porter secours
aux habitants du Donbass bombardés par Kiev depuis huit ans : une vieille guerre civile oubliée en Europe. C’est une violation intolérable de la souveraineté des nations, décrypte de son côté la
TV mainstream en diffusant les images de l’attaque, le 24 février 2022, des forces russes en territoire ukrainien !… En envahissant l’Ukraine, Poutine a violé le droit international ! Et c’est
depuis le mantra de l’Occident, qu’il est devenu impossible d’analyser sérieusement. Mais la réalité ne se lit pas en noir et blanc et Poutine n’a pas attaqué un pays souverain ! Eh oui c’est
bien plus complexe…
Les deux têtes politiques de la Tour de Babel bruxelloise veulent ignorer qu’il y a eu en février 2014 un putsch lors des affrontements du Maïdan, organisé à Kiev
par la CIA, soutenu par l’UE, et perpétré avec les néonazis du Pravy Sektor, qui a mis fin aux 23 années d’indépendance de la jeune Ukraine. Serait-ce là une pratique conforme au droit
international !?!… Or c’est cela qui a déclenché la guerre civile ukrainienne, une partie de sa population contestant l’autorité centrale, illégitime à ses yeux, et brisant la souveraineté du
pays (un territoire, une nation, un État). Le conflit s’est conclu par les accords de Minsk II en 2015, qui ont gelé la situation. Mais ces accords ont été ensuite allègrement violés par
Kiev et ses alliés, alors quoi : le non-respect des accords de Minsk par Kiev, Paris et Berlin est-il lui aussi parfaitement conforme au droit international ?! Angela Merkel puis François Hollande, qui s’étaient portés garants de ces accords, ont avoué en décembre
2022 qu’ils n’avaient aucunement l’intention de les respecter mais seulement de donner du temps à l’Ukraine de s’armer davantage ; alors c’est quoi, au juste, le droit international ?
Reste que c’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine, répondra-t-on !… Oui, mais on peut le voir autrement : Kiev et le couple franco-allemand s’étant parjurés et
entendus avec l’Amérique pour gruger la Russie, cette dernière a dû agir pour faire respecter ces accords, dont elle aussi était garante ! Elle a d’ailleurs été forcée d’agir après
l’intensification des bombardements le 16 février 2022, prélude à l’invasion du Donbass par Kiev, pour se dégager de la corde que les Américains étaient en train de lui passer au cou : un
processus rampant d’encerclement nucléaire depuis plus de 20 ans…
Eh oui, Bill Clinton avait déjà enterré le “Partenariat pour la paix”, à l’époque de Eltsine, pour mieux pousser les anciens pays de l’EST vers l’OTAN, trahissant
ainsi la parole des Américains donnée à Gorbatchev ; puis George W. Bush avait carrément fomenté en sous-main des révolutions de couleur au début des années 2000 pour accélérer le processus ;
enfin avec le putsch du Maïdan Obama arrachait Kiev de l’orbite du monde russe ! Il devenait clair pour le Kremlin que les accords de Minsk n’étaient qu’un moyen habile pour faire entrer de force
l’Ukraine dans l’OTAN, puis les missiles US en Ukraine ! Les États-Unis pensaient-ils vraiment que la Russie allait se laisser encercler, puis dépecer en trois morceaux selon le projet Brzeziński
(Le Grand Échiquier, 2010 pp 258/259) !? Poutine a réagi face à l’impérialisme américain avec la même fermeté que Kennedy -qui avait mis en main le marché à Khrouchtchev : ou tu dégages tes
fusées de Cuba ou c’est la guerre nucléaire !- face à l’impérialisme soviétique lors de la crise de 62 ; c’est-à-dire comme un véritable homme d’État, de la stature des Churchill et autres De
Gaulle… À l’époque la guerre aurait éclaté avec les USA si Khrouchtchev avait été aussi stupide que Biden aujourd’hui ; aurait-on alors incriminé les Américains pour violation du droit
international ?!
Dans une conférence du 8 mai 2023 l’Américain Jeffrey Sachs, consultant économique auprès de multiples gouvernements et auprès du secrétaire général de l’ONU ,
rappelle que les USA ont toujours repoussé les plans de Poutine pour une architecture de sécurité et de paix en Europe (basés sur une Ukraine indépendante) et que ses deux derniers projets du 17
décembre 2021 ont été brutalement écartés par Biden en janvier 2022, l’Américain lui disant carrément : “it’s none of your business” (c’est pas vos oignons) !!!
Bref la sécurité nucléaire de Moscou ne serait pas l’affaire de Poutine… L’Américain, déjà à moitié gâteux, est totalement inconscient de ses responsabilités en
tant que chef de la 1ère puissance
mondiale. Son credo enfantin c’est : nous invitons qui nous voulons à entrer dans l’OTAN ! Bref, encercler la Russie avec des bases US déployées dans les pays de l’OTAN (25 en Allemagne), des
missiles déployés en Roumanie, en Pologne, etc., ça c’est bien puisque c’est conforme à la Pax Americana… Or c’est cela l’essentiel, dont évidemment le droit international ne dit strictement rien
vu que c’est de la géopolitique !
La réalité c’est que, loin d’avoir commencé la guerre en agressant l’Ukraine le 24 février 2022, la Russie a patienté 15 ans depuis le 1er avertissement
de Poutine à la 58ème Conférence
de sécurité de Munich le 10 février 2007, de prendre en compte les inquiétudes de la Russie. Comme je l’écris p 35 de mon dernier ouvrage “Dans la tête de l’Oncle Sam” : « au lieu de respecter la
promesse de Herbert W. Bush à Gorbatchev de ne pas s’étendre à l’Est, elle (l’OTAN) est passée de 16 à 30 membres et les anciens pays de l’Est, au lieu de former un tampon utile à la paix, sont à
présent couverts de bases militaires US hostiles à une Russie au budget Défense quinze fois moindre. » On est loin, avec ces réalités pesantes, des tartufferies de Charles Michel et Ursula von
der Leyen…
À présent revenons au droit : en février 22 Vladimir Poutine a invoqué le principe de défense collective de l’article 51 de la Charte de l’ONU pour porter secours
aux Républiques de Donetsk et Lougansk, après les avoir reconnues. Mais pour l’UE, le RU, et les USA, il n’y aurait jamais eu de guerre civile en Ukraine : eh oui, c’est l’armée russe au
contraire qui aurait envahi le Donbass en 2014 pour y fomenter une rébellion !… Un mensonge, dénoncé par les observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et
inventé par Porochenko pour demander de l’aide à l’Occident et masquer la débandade de l’armée ukrainienne, laquelle passait avec armes et bagages du côté des “rebelles” en 2014/15 ! Mais pour
les dirigeants occidentaux, l’ONU ayant refusé de les reconnaître, ces Républiques auto-proclamées sont toujours des territoires ukrainiens aux yeux du droit international, qui ne pourraient pas
demander de l’aide à la Russie ! Au contraire la Russie aurait attaqué en 2022, pour annexer toute l’Ukraine !! Et Kiev défendrait l’UE, ajoute Zelensky ! Ce négationnisme tranquille
renverse tout : c’est à l’Ukraine d’invoquer l’article 51 pour demander des armes à l’Occident !!… On n’en sort pas !
Mais le droit est par essence évolutif et si les guerres civiles ne sont pas du ressort du droit international en général, les Nations Unies ont étendu en 2005 leur
compétence aux conflits internes des pays (dans la mesure où ils risquent de mettre en péril la paix du monde) : d’où la possibilité d’envoyer des forces armées, de prendre des sanctions
économiques, de créer des tribunaux pénaux internationaux, etc. C’est “la responsabilité de protéger” intégrée au chapitre 7 de la Charte de l’ONU. Fort curieusement cette responsabilité de
protéger (dont les modalités ne sont pas bien définies) n’a jamais été mise en œuvre à l’occasion du génocide du Donbass par Kiev alors que les accords de Minsk II ont été reconnus par le Conseil
de sécurité de l’ONU (et donc par les USA et le RU) : résolution SC/2002 du 17 février 2015 !!! Pourquoi ? Le Donbass ne méritait-il pas d’être secouru, au moins en paroles ?!… En fait les républiques de Donetsk et de Lougansk ne sont même pas
séparatistes, mais bel et bien autonomistes et se battent pour leur vie et leur liberté face à un pouvoir policier mis en place par des barbouzes yankees !! Alors c’est quoi le droit
international ?…
Depuis le début de l’ONU ce n’est au mieux qu’une généreuse utopie, au pire hélas ce n’est qu’un sinistre paravent pour masquer les crimes de l’Occident, et le plus
souvent une simple affaire de parlote pour compter ses amis… Eh oui : Washington et Moscou peuvent en fait tous deux invoquer le droit international sur des positions opposées : voilà l’imbroglio
dans lequel cette question nous entraîne avec son juridisme étroit !
En réalité le droit international ne fait que masquer des rapports de forces. Le 2 mars 2022, la Résolution ES-11/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies exige
“un retrait immédiat des forces russes d’Ukraine” ; elle est effectivement adoptée par 141 voix contre 5, mais avec 35 abstentions d’un bloc de pays représentant la moitié de la population du
globe !! Bref elle est adoptée par les pays sous domination US, qu’elle soit politique, financière, militaire ou diplomatique… Au niveau international le droit, c’est un art oratoire à la
recherche d’une simple légitimité morale ; en effet sa légalité ne dispose, en l’absence d’une Communauté mondiale d’États politiquement Unis, d’aucun pouvoir coercitif !!!… Comment
l’indépendance des Républiques de Lougansk et Donetsk aurait-elle pu être actée par les alliés des USA, sans dénoncer le putsch US à Kiev lors du Maïdan, qu’elles combattent ?! Sans dénoncer la
volonté américaine d’installer un régime policier à sa botte en renversant le gouvernement démocratiquement élu de Ianoukovitch ?!
Comme disait le vieux La Fontaine : selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ! L’Ukraine, depuis le Maïdan,
n’est plus une démocratie, mais un État compradore et corrompu, dont la police, la justice, l’armée et les médias sont aux mains d’une clique néonazie qui partage le pouvoir avec des oligarques
et des politiques vendus aux Yankees, et qui a interdit toute opposition… Voilà quelles sont les “valeurs” que défend l’Occident à présent !! Poutine l’a déclaré ouvertement le 30 septembre 2022 : les dirigeants européens ne sont pas que des laquais mais des traîtres vis -à-vis de leurs
peuples. Eh oui : le putsch du Maïdan, c’est le chef d’œuvre des États-Unis qui vient couronner la vieille révolution orange de 2004, mais c’est aussi la plus grande faute de l’impérialisme
américain devenu hyper agressif avec son complexe militaro-industriel, et hyper vicieux avec le soft power idéologique de ses Fondations.
Sarkozy dans son interview du 16 août 2023 au Figaro, qui rappelle qu’il faut recréer nos liens avec Poutine et que l’Ukraine doit rester neutre, a donné un sacré
camouflet à l’équipe Macron ! Mais c’est lui aussi qui avait supprimé de la Constitution le crime de Haute trahison pouvant s’appliquer au chef de l’État. Dès que l’on creuse ça devient complexe,
glissant, et nauséabond…
Zelensky est élu triomphalement en avril 2019 pour faire la paix et Poutine avait négocié avec lui à la fin de l’année des élections au Donbass et un contrat
gazier. Mais 2 ans plus tard le jeune président ukrainien va tromper son peuple en choisissant le génocide du Donbass avec le soutien de Biden qui prend ses fonctions le 20/01/21. Effectivement,
le 16/02/2022 il mettra en œuvre sa “Plateforme Crimée” de 2020 : (reconquête militaire du Donbass et de la Crimée) multipliant par 30 les bombardements journaliers ! Poutine comprend que Biden
veut la guerre : les USA ont mis en œuvre le plan diabolique de la Rand Corporation de 2019 : “Extending Russia”, piège destiné à attirer la Russie dans une guerre d’attrition en utilisant les
pauvres Ukrainiens comme chair à canon pour affaiblir la puissance russe…
Trop tard pour reculer ! Déjà le 10 novembre 2021 Anthony Blinken avait signé avec son homologue Dmytro Kuleba un pacte de partenariat stratégique d’aide militaire
sans fin pour Kiev. Attendre que le Donbass soit envahi reviendrait à s’enfoncer encore plus dans le piège… Le chef du Kremlin se décide alors à reconnaître les deux Républiques de l’ancienne Novorossia créée par Catherine II au 18ème siècle
pour leur porter secours… Dès mars 2022 Kiev est vaincu et accepte un accord avec Moscou sous l’égide d’Istanbul. Mais Biden lui n’a que la guerre en tête (comme dans toute sa carrière). Il était
déjà en charge du dossier Ukraine du temps d’Obama, dont il était vice-président, et va réussir à faire capoter la paix avec la mascarade des “massacres de Boutcha” (cf. audioblog n°8/12/22), un
superbe montage de la CIA, tout comme les couveuses du Koweït, les armes de destruction massive de Saddam Hussein, etc.
Eh oui, les valeurs de la liberté, de la démocratie, et des droits de l’Homme sont dans cette affaire du côté de Moscou et l’agression de type fasciste, elle, est
carrément du côté américain, qui en a d’ailleurs pris l’habitude depuis 1991 avec l’écrasement de la Serbie, de l’Irak, de l’Afghanistan, du Yémen, etc… C’est difficile pour nous Occidentaux d’en
prendre conscience tant il s’agit d’un renversement total de perspectives : l’Oncle Sam, c’est dans notre mémoire le défenseur du monde libre, dont les boys sont venus mourir sur les plages de
Normandie… Mais le général Eisenhower, auquel nous serons éternellement reconnaissants d’avoir cédé aux instances du général de Gaulle et d’être venu délivrer Paris en août 44 avec la 2e DB tout
en fonçant sur Berlin, ce général Eisenhower, respectable homme d’État, qui fera deux mandats présidentiels de 1953 à 1961, mettra en garde ses concitoyens contre le pouvoir montant du complexe
militaro – industriel US, qui risquerait bien, disait-il, de rogner les libertés du peuple américain ! Une sacrée clairvoyance !…
Si l’URSS avait déployé toute l’horreur de sa civilisation totalitaire, de sa création en 1922 jusqu’à sa chute en 1991, maintenant les USA prennent le relais avec
le Pentagone, les FMN et les Fondations US : au lieu de supprimer l’OTAN devenue inutile, ils en font un instrument offensif de leur impérialisme… Aujourd’hui, où sont les hommes clairvoyants ? Alors que Poutine tente de raccommoder l’histoire dramatique des Soviets avec celle de la Russie éternelle, l’Occident n’a rien
compris, hélas, hélas, hélas !!! Tout au contraire les États-Unis d’Amérique auront trahi avec Bill Clinton l’espoir historique d’une ère de paix avec la Russie de Eltsine, pour tenter
d’installer ensuite leur hégémonie au moyen d’un tapis de bombes. Et à Washington les vieux lobbys antirusses de la guerre froide ont relancé à fond leur campagne de russophobie sur le thème : la
Fédération de Russie n’est qu’une nouvelle forme d’URSS ; ils iront plus loin encore avec Hillary Clinton en disant : Poutine = Hitler ! Et ça marche, tant le softpower US a réussi à nous
lessiver le cerveau !
Effectivement, les Yankees ont commencé par nous entraîner dans la guerre criminelle de Serbie en 1999, une opération menée sous l’égide de l’ONU sous prétexte
humanitaire et subtilement intitulée “Noble Enclume” : 78 jours de frappes aériennes non-stop contre les civils serbes pour arracher de force le territoire du Kosovo (où les Yankees installeront
la base militaire de Camp Bondsteel pour parfaire leur manœuvre d’encerclement de la Russie). Ensuite l’invasion de l’Irak en 2003, sous le fallacieux prétexte d’armes de destruction massive de
Saddam Hussein inventées par la CIA, et menée cette fois sans même demander l’avis de l’ONU par le criminel de guerre G.W. Bush (avec le concours de l’Espagne, de la GB et de l’Italie). Les
débats qui suivront tous ces épisodes dramatiques vont alors donner naissance en droit international au concept de “responsabilité de protéger”, tel que défini par une Commission internationale
puis entériné au sommet de l’ONU de septembre 2005. Il établit que ” les États souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres citoyens” et que, s’ils ne sont pas “disposés à le
faire ou n’en sont pas capables, cette responsabilité doit être assumée par l’ensemble de la communauté des États”, le cas échéant par le recours à la force !
Et l’on en revient aux accords de Minsk II, reconnus par l’ONU mais qui refuse de les appliquer, alors que cette responsabilité de protéger a été invoquée contre
Kadhafi pour la Libye en 2011 pour les prétendus massacres de Benghazi… Eh oui : nous avons nos bons et mauvais dictateurs !!! Les néonazis de Kiev sont de braves gens, mais al-Kadhafi pourtant
reçu en grande pompe à l’Élysée en 2007 par Sarkozy, et qui avait planté sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny (mais n’apportait-il pas 10 milliards € de contrats avec lui ?) était un
salaud qui méritait la mort ! Ainsi va le droit international !
Depuis Clinton, Bush junior et Obama, les USA ont bien changé !!! Après la violence pure des bombes, ils vont mettre en œuvre les “révolutions de couleurs”, selon
les enseignements peu connus en Europe du politologue US Gene Sharp, théoricien de la lutte non violente par la manipulation des foules. Bref : ils se coulent en dignes successeurs du KGB en
matière d’agitation/propagande et d’installation d’un climat révolutionnaire pour préparer un coup d’État tranquillement, ni vu ni connu… Mais aujourd’hui ça bouge : la fondation du milliardaire SOROS, l’exemple type du soft power US, se prépare à licencier 40% de ses effectifs ! La guerre
d’Ukraine a affaibli l’Occident, montré la réalité de l’impérialisme US, provoqué le repli de la zone dollar et la montée irrésistible des BRICS… Les peuples ne veulent pas des valeurs US de la
cancel culture, ni des dérives de Me too ou du mouvement LGBT, pas plus que celles de la théorie du genre et autres pseudo écologie vegan ! Ils ne sont pas idiots et savent qu’une voiture
électrique pollue autant qu’un modèle à essence, que les éoliennes ne tournent presque pas, que les Data Centers rejettent plus de CO2 que le transport aérien !
Les politiciens du progressisme bisounours, les bobos parisiens et les animateurs de plateaux TV sont seuls dans leur bulle, pitoyables agents d’influence qui
trouvent leurs éléments de langage dans le prêt-à-penser du soft power US, lequel les abreuve, avec ses centaines de Fondations financées par la CIA, le Pentagone, et le Secrétariat d’État aux
Affaires étrangères, d’analyses prêtes à l’emploi. Grande bagarre idéologique qui met aux prises non pas l’Occident face au monde, mais la morale populaire et celle des soi-disant élites ! C’est
ce bourrage de crâne du soft power US qui nous a si longtemps aveuglés. Il serait temps de se réveiller…
Pourquoi les médias racontent-ils autant de bêtises ? En fait ils nous endorment. Les journalistes seraient-ils payés pour mentir ? Non mais ils travaillent dans
l’instant et pour le buzz, en baignant dans un progressisme “politicorrect” par lequel ils ont réussi et qu’ils ont intériorisé. C’est une profession comme une autre ; ils recherchent
l’information et la présentent, l’analyse n’est pas de leur ressort. Pire : les grandes écoles par lesquelles passent nos élites transmettent forcément aussi leur idéologie. Que les directeurs
d’antenne soient attachés à leur ligne éditoriale c’est normal, et même si bien des gens de médias peuvent chercher surtout argent et carrière, à quelle cause seraient-ils vendus ?!! Qui définit
l’idéologie dominante, quel est le poids réel des propriétaires de chaînes sur le plan culturel, enfin et surtout comment pourraient-ils tout contrôler ?!…
Non, non ! Le complotisme est une stupidité. La vie réelle n’est pas un divertissement à la James Bond. C’est bien plus compliqué !!! En matière sociale, les luttes
d’intérêts, la quête du pouvoir, les contraintes politiques, etc., se mêlent aux combats idéologiques : les narratifs comme on dit aujourd’hui ! C’est beaucoup plus difficile à expliquer, mais
infiniment plus réaliste.
Sergueï Kolessnikow
Boris Johnson a été ramené en politique pour jouer le rôle de «bouc»
Vous avez été très nombreux à lire et diffuser le texte que Marianne avait traduit du russe sur l’interview de David Arahamiya, le chef de la faction
pro-présidentielle de la Verkhovna Rada d’Ukraine qui révèle ce que les lecteurs de ce blog n’ignoraient pas : à savoir que le régime ukrainien sur ordre de l’occident, avait torpillé
les négociations pour que «l’opération spéciale» ne dégénère pas en guerre. Voici la suite des révélations : la référence à Johnson comme celui qui aurait voulu cette guerre
abominable est encore un leurre. Le personnage est désormais totalement déconsidéré, déchu, tombé dans les poubelles de l’histoire, il est aisé d’en faire un bouc émissaire, mais
c’est Zelensky, même pas Joe Biden, un pitre qui devra porter le poids historique d’une telle décision et en tous les cas assumer malgré la tentative de son lieutenant, malgré la
comédie de l’OTAN telle qu’elle a lieu aujourd’hui le poids de cette tragédie. Ceux qui en Europe, ont soutenu ce grotesque criminel, ont paré de ses drapeaux et de ses symboles nazis
les frontons de nos mairies, voté la résolution 390, auraient intérêt à ne pas feindre une cécité de plus en plus indéfendable malgré la censure de nos médias. Le personnel
médiatico-politique français rejoindra Johnson et Zelensky dans les poubelles de l’histoire.
Danielle Bleitrach
*
par Iouri Mavashev
Le dernier Premier ministre de Sa Majesté Elizabeth II, Boris Johnson, n’est plus personne. Il n’est même pas membre de la Chambre des communes, dont il
a été exclu en raison de sa nomination en tant qu’intendant royal (une telle tradition existe dans la Grande-Bretagne aristocratique). Il est chroniqueur au Daily Mail,
un tabloïd que la Wikipedia anglophone ne reconnaît pas comme une source fiable.
Johnson n’est pas pauvre. Il utilise ses relations pour faire du lobbying. Il se prépare à devenir présentateur de télévision. Il fait de la publicité
pour des produits d’amaigrissement. Mais politiquement, il n’est personne.
Pourtant, une interview de David Arahamiya, le chef de la faction pro-présidentielle de la Verkhovna Rada d’Ukraine, a ramené Johnson à la une des
médias mondiaux. Rien que ça : c’est cet homme qui a convaincu le gouvernement ukrainien de s’engager dans une longue guerre avec la Russie. Cette aventure a coûté des centaines de
milliards d’euros à l’Europe, et on ne sait toujours pas combien elle coûtera à l’Ukraine elle-même. Mais elle est très coûteuse.
Et la faute en revient à Johnson, qui a téléphoné à Vladimir Zelensky à Kiev et lui a dit : «Allons à la
guerre». En fin de compte, la guerre n’a pas été à la hauteur des espérances, et les perspectives sont sombres, d’où la nécessité de trouver un bouc émissaire. Boris Johnson est
un candidat presque parfait.
Le seul problème, c’est que Arahamiya ne dit pas la vérité. Et il ne dit pas l’essentiel.
Il dit probablement la vérité sur les pourparlers eux-mêmes, sur les résultats provisoires, sur l’interruption de l’initiative de paix à cause de son
désir obsessionnel de «punir la Russie», parce qu’il n’a pas de place pour les mensonges. Les détails de ces pourparlers sont un secret de Polichinelle depuis au moins le début de
l’année 2023, et Arahamiya est loin d’être le premier à les divulguer.
Avant lui, l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett, le président biélorusse Alexandre Loukachenko, l’ancienne chef du bureau russe au
Conseil de sécurité des États-Unis Fiona Hill, l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder et le Premier ministre hongrois Viktor Orban l’ont fait. Tous ont servi de médiateurs
lors des réunions russo-ukrainiennes au Belarus et en Turquie, à l’exception de Orban, qui s’est appuyé sur les services de renseignement pour établir son compte rendu, et de Hill,
qui a été recrutée comme l’un des meilleurs spécialistes de la Russie aux États-Unis (on les appelait autrefois des «kremlinologues»).
Arahamiya est également un témoin direct de ce qui s’est passé en tant que négociateur du côté ukrainien. Mais ses déclarations actuelles n’ajoutent
rien à l’image que l’on peut se faire de son témoignage précédent. Y compris la partie où Johnson entre dans l’arène.
Beaucoup a déjà été dit sur le rôle particulièrement actif de la Grande-Bretagne dans l’alimentation du conflit en Ukraine. Johnson a été cité à
plusieurs reprises parmi les principaux confidents de Zelensky : après chaque conversation avec lui toutes les tentatives de négociation avec la Russie ont été interrompues. Le
président ukrainien a été persuadé d’opter pour le programme maximal : restituer le Donbass et la Crimée par la force, adhérer à l’OTAN et exiger des réparations de la part de la
Russie. Mais cela nécessitait une défaite militaire de la Russie, dont le soutien technique et financier était assumé par l’Occident.
Zelensky, un homme connu auparavant pour son cabaret KVN et des comédies de bas étage, a trouvé le plan réaliste. Il a dû sembler réaliste à Johnson,
qui ne comprend pas grand-chose à la stratégie militaire, mais qui est un Britannique typique dans son attitude méprisante, dédaigneuse et civilisatrice à l’égard de la Russie,
considérée comme une puissance arriérée et l’incarnation du mal absolu qu’est la tyrannie. Cette image, Johnson l’a entretenue en lui-même et l’a portée aux yeux du public pendant des
années, afin qu’il puisse véritablement empoigner l’épée comme un Anglais particulièrement dur à cuire.
Il y a un an encore, il s’en vantait personnellement. Il serait donc difficile de qualifier les aveux de Arahamiya de «dénonciation» du premier ministre
britannique.
Les motivations de Johnson sont également bien connues et extrêmement banales. Tout d’abord, il s’agit d’une démarche personnelle : détourner
l’attention du «partygate». Le scandale provoqué par sa participation aux fêtes organisées pendant la période de quarantaine lui a finalement coûté le poste de premier ministre et
même le siège de député, ce qui signifie que l’idée a échoué. Mais l’idée de déplacer l’attention sur l’Ukraine n’est plus une spéculation, mais une confession d’un technologue
politique proche de Johnson, Dominic Cummings, qui a raconté à la presse les tentatives du chef pour sauver sa carrière.
Il existe également un autre motif, géopolitique celui-là. Johnson possède une qualité qui est néfaste pour un politicien et qui nuit vraiment à
l’Europe, mais qui est extrêmement attrayante – il pense largement et magnifiquement. Le Brexit qu’il a promu était un pari osé, mais c’était aussi un geste audacieux – on ne peut
s’empêcher de l’admirer.
Boris voulait redonner à la Grande-Bretagne sa grandeur d’antan, et tant le Brexit que la confrontation avec Moscou étaient des méthodes pour y
parvenir. Les Britanniques étaient censés organiser et diriger leur propre alliance au sein de l’OTAN, en entraînant au moins les Polonais, les Baltes, les Roumains et les Ukrainiens
aux dépens de la base antirusse.
Londres n’avait évidemment pas l’intention de défier Washington – il s’agissait d’être le principal cerbère des Américains en Europe et partout
ailleurs. Cela semblait réaliste, mais Johnson a fait un mauvais calcul : la Grande-Bretagne n’a pas tenu le choc.
Il ne servirait à rien de se moquer, car c’est l’Occident tout entier, qui a fourni la «contre-offensive printemps-été des forces armées ukrainiennes»,
qui a échoué. Mais Londres n’a pas seulement échoué, elle a failli : la Grande-Bretagne a plongé dans une dépression économique et politique, causée par une surconsommation de fonds
et de forces.
Le Premier ministre de Sa Majesté est donc devenu un chroniqueur pour les médias véreux. Rien ne peut plus l’aider. Mais il sera difficile de faire plus
de mal à cet homme déchu.
Johnson a tous les atouts pour être perçu comme un anti-héros dont la stupidité a coûté cher à tout un continent. Cependant, pour penser que l’appel
d’un Anglais aux cheveux hirsutes à Kiev a réellement résolu la question sacramentelle de la guerre et de la paix, il faut être soi-même Anglais, ou quelqu’un qui pense dans les
catégories du XIXe siècle.
Ce n’est plus la Grande-Bretagne qui a longtemps régné sur les mers. Même Zelensky, avec son passé de comédien, n’était pas assez fou pour se fier à une
promesse de soutien de la part de Londres.
Par conséquent, le rôle décisif dans le fait que le projet de traité de paix paraphé entre la Russie et l’Ukraine a été, selon les termes de Vladimir
Poutine, «jeté dans les
poubelles de l’histoire» n’appartient pas à la Grande-Bretagne, mais aux États-Unis d’Amérique.
Ils sont pour Kiev le principal sponsor, le principal arsenal, le principal lobbyiste politique. C’était le cas en janvier 2022, et en avril. C’est
encore le cas aujourd’hui.
Ce sont les États-Unis qui bénéficient directement du conflit sur le plan économique et qui ont intérêt à ce qu’il se poursuive (contrairement à
l’Europe qui n’a subi que des pertes). Et les États-Unis ne sont pas gouvernés par Boris Johnson, qui a tout pour avoir une image de méchant : le caractère, l’image, le mobile, mais
pas la capacité réelle de commettre des atrocités à grande échelle. Il a les bras sont courts.
Joe Biden, en revanche, a malheureusement le bras long. Sa principale différence avec Johnson est qu’il ne s’est pas encore enterré en tant qu’homme
politique ; au contraire, il envisage sérieusement de se faire réélire président des États-Unis pour un nouveau mandat de quatre ans.
La nouvelle selon laquelle l’équipe de Biden a été le principal instigateur de la guerre et a canalisé des milliards de dollars dans un trou noir
assombrirait encore la campagne.
Mais il est également possible de croire qu’un Anglais aux cheveux hirsutes est à blâmer. Ce même Johnson, qui est détesté à la Commission européenne, à
Paris et dans son propre pays. En Ukraine, il a été piégé avec succès et beaucoup de choses peuvent maintenant lui être reprochées.
Les révélations de Arahamiya ressemblent à première vue à un pur non-sens – l’histoire d’un imbécile bien-pensant qui raconte comment une bonne affaire
a été gâchée à cause de la cupidité. Il s’agit également d’une tentative de protéger le véritable commanditaire du régime de Kiev en l’imputant à un Britannique exalté qui a déjà été
jeté dans les poubelles de l’histoire.
Il n’y a pas de retour possible de ce dépotoir, mais il n’y a rien à réclamer non plus. Le président Zelensky ne s’en tirera pas à si bon compte.
Le principal responsable de la mort de l’initiative de paix russe au printemps 2022 n’est même pas Biden, mais lui et lui seul. L’avenir nous
dira qui, des Ukrainiens ou des Russes, aura le temps de le lui demander plus tôt. Il semble que ce ne soit pas aussi loin qu’il le pensait.
Au cours des deux dernières années, presque toutes les références dans les médias américains à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 ont
été précédées du mot obligatoire : «non provoqué».
Le public était censé accepter qu’il s’agissait de la première guerre de l’histoire sans antécédents historiques ni motifs économiques, la première
guerre entièrement fondée sur la psychologie d’un seul homme, le président russe Vladimir Poutine.
Cependant, le week-end du deuxième anniversaire de la guerre, le New York
Times a publié un long article révélant que l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022 a été provoquée par une campagne systématique et généralisée d’agression des
services de renseignement militaires des États-Unis.
L’article détaille les opérations de longue date de la Central Intelligence Agency (CIA) en Ukraine, au cours desquelles l’agence a parrainé et
développé l’agence de renseignement militaire ukrainienne HUR, l’utilisant comme une arme d’espionnage, d’assassinats et d’autres provocations dirigées contre la Russie pendant plus
d’une décennie.
Le Times écrit
:
«Vers la fin de
l’année 2021, selon un haut responsable européen, M. Poutine se demandait s’il devait lancer son invasion à grande échelle lorsqu’il a rencontré le chef de l’un des principaux
services d’espionnage russes, qui lui a dit que la CIA, en collaboration avec le Royaume-Uni, Le MI6 contrôlait l’Ukraine et en faisait une tête de pont pour les opérations contre
Moscou».
Le rapport du
Times démontre que cette évaluation des services de renseignement russes était absolument vraie. Pendant plus d’une décennie, la CIA a constitué, entraîné et armé les
services de renseignement et les forces paramilitaires ukrainiennes qui se livraient à des assassinats et à d’autres provocations contre les forces pro-russes dans l’est de l’Ukraine,
contre les forces russes en Crimée et de l’autre côté de la frontière russe.
Dans un passage critique, le Times écrit
:
«Alors que le
partenariat s’approfondissait après 2016, les Ukrainiens se sont montrés impatients face à ce qu’ils considéraient comme une prudence excessive de Washington et ont commencé à
organiser des assassinats et d’autres opérations meurtrières, qui violaient les conditions que la Maison-Blanche pensait que les Ukrainiens avaient acceptées. Furieux, les
responsables de Washington ont menacé de mettre fin à leur soutien, mais ils ne l’ont jamais fait».
En d’autres termes, les forces paramilitaires ukrainiennes armées, financées et dirigées par les États-Unis et l’OTAN assassinaient systématiquement les
forces favorables à des relations plus étroites avec la Russie.
Le récit du journal commence avec le coup d’État du Maïdan en février 2014, lorsque les forces de droite et néo-nazies soutenues par les États-Unis et
l’Union européenne ont renversé un président pro-russe et installé un régime pro-impérialiste dirigé par le milliardaire Petro Porochenko.
Ce coup d’État était le point culminant de deux décennies d’avancées impérialistes dans l’ancien bloc soviétique, avec l’expansion de l’OTAN pour
inclure pratiquement toute l’Europe de l’Est, en violation des promesses faites aux dirigeants de l’ex-Union soviétique. Le Times reste
silencieux sur cette histoire antérieure, ainsi que sur le rôle de la CIA dans les événements du Maïdan.
Le Maïdan a préparé le terrain pour une escalade massive de l’intervention de la CIA, comme le détaille le rapport du
Times. L’agence de renseignement a joué un rôle central en attisant le conflit entre l’Ukraine et la Russie, d’abord sous la forme d’une guerre de faible intensité contre
les séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine, puis sous la forme d’une guerre à grande échelle après l’invasion russe en février 2022. Trois administrations américaines ont été
impliqués : d’abord Obama, puis Trump et maintenant Biden.
Selon le récit du Times,
les opérations de la CIA comprenaient non seulement un espionnage généralisé, mais aussi une aide à des provocations directes telles que l’assassinat de politiciens pro-russes dans
l’est de l’Ukraine et des attaques paramilitaires contre les forces russes en Crimée.
Le Times a
rapporté qu’une unité ukrainienne, la Cinquième Direction, avait été chargée de mener des assassinats, dont un en 2016. Le Times écrit
:
«Une mystérieuse
explosion dans la ville de Donetsk occupée par la Russie, dans l’est de l’Ukraine, a détruit un ascenseur transportant un haut commandant séparatiste russe nommé Arsen Pavlov, connu
sous son nom de guerre, Motorola.
La CIA a vite
appris que les assassins étaient des membres du Cinquième Directoire, le groupe d’espionnage qui avait reçu une formation de la CIA. Les services de renseignement intérieurs
ukrainiens ont même distribué des écussons commémoratifs aux personnes impliquées, chacun portant le mot «Lift», le terme britannique désignant un ascenseur».
Le rapport décrit une autre opération de ce type :
«Une équipe
d’agents ukrainiens a installé un lance-roquettes sans pilote à tir d’épaule dans un bâtiment des territoires occupés. C’était juste en face du bureau d’un commandant rebelle
nommé Mikhaïl Tolstykh, mieux connu sous le nom de Givi. À l’aide d’une gâchette à distance, ils ont tiré avec le lanceur dès que Givi est entré dans son bureau, le tuant, selon
des responsables américains et ukrainiens».
Depuis le déclenchement d’une guerre à grande échelle, le HUR ukrainien a étendu ses opérations d’assassinat à l’ensemble du territoire russe, y compris
l’assassinat de Daria Dugina, une éminente polémiste pro-Poutine des médias russes, ainsi que de responsables gouvernementaux et militaires russes.
La CIA a trouvé ses alliés ukrainiens très utiles pour collecter de grandes quantités de données sur les activités militaires et de renseignement
russes, à tel point que le HUR lui-même n’a pas pu les traiter et a dû transmettre les données brutes au siège de la CIA à Langley, en Virginie, pour analyse. Un rapport
antérieur, moins détaillé, sur cette collaboration en matière de renseignement, paru dans le Washington
Post, citait l’estimation d’un responsable du renseignement ukrainien selon laquelle «250 000 à 300 000» messages militaires et de renseignement russes étaient collectés chaque
jour. Ces données ne concernaient pas seulement l’Ukraine mais concernaient les activités des services de renseignement russes dans le monde entier.
Bien avant l’invasion russe, la CIA cherchait à élargir son attaque contre Moscou.
Le Times rapporte
:
«La relation [avec
le HUR ukrainien] a été si fructueuse que la CIA a voulu la reproduire avec d’autres services de renseignement européens qui partageaient l’objectif de contrer la Russie.
Le chef de la
Russia House, le département de la CIA supervisant les opérations contre la Russie, a organisé une réunion secrète à La Haye. Là-bas, des représentants de la CIA, du MI6
britannique, du HUR, des services néerlandais (un allié essentiel du renseignement) et d’autres agences ont convenu de commencer à mettre en commun davantage de leurs renseignements
sur la Russie.
Le résultat fut
une coalition secrète contre la Russie – et les Ukrainiens en furent des membres essentiels».
Toutes ces activités se sont produites bien avant l’invasion russe de février 2022. Le déclenchement d’une guerre à grande échelle a conduit à un
engagement encore plus direct de la CIA en Ukraine. Les agents de la CIA étaient les seuls Américains à ne pas être concernés par l’évacuation initiale du personnel du
gouvernement américain d’Ukraine, se dirigeant uniquement vers l’ouest de l’Ukraine. Ils informaient continuellement les Ukrainiens des plans militaires russes, y compris des
détails précis des opérations au fur et à mesure de leur déroulement.
Selon le Times :
«En quelques
semaines, la CIA était revenue à Kiev et l’agence avait envoyé de nombreux nouveaux officiers pour aider les Ukrainiens. Un haut responsable américain a déclaré à propos de la
présence importante de la CIA : «Est-ce qu’ils appuient sur la gâchette ? Non. Aident-ils au ciblage ? Absolument».
Certains
officiers de la CIA ont été déployés dans des bases ukrainiennes. Ils ont examiné des listes de cibles russes potentielles que les Ukrainiens s’apprêtaient à frapper, comparant
les informations dont disposaient les Ukrainiens avec les services de renseignement américains pour s’assurer de leur exactitude».
En d’autres termes, la CIA contribuait à diriger la guerre, faisant du gouvernement américain un participant à part entière, un co-belligérant dans une
guerre avec la Russie, dotée de l’arme nucléaire, malgré l’affirmation de Biden selon laquelle les États-Unis n’aidaient l’Ukraine que de loin. Et tout cela sans que le peuple
américain ait le moindre mot à dire.
Le compte-rendu du
Times constitue également un réquisitoire involontaire contre les médias américains, puisqu’il écrit : «Les détails de ce
partenariat en matière de renseignement, dont beaucoup sont divulgués par le New York Times pour la première fois, sont un secret jalousement gardé depuis une
décennie». Cet aveu signifie que ces secrets étaient «étroitement gardés» par le Times lui-même. Comme
l’a fait observer l’ancien rédacteur en chef Bill Keller, la liberté de la presse signifie la liberté de ne
pas publier, et «c’est une liberté
que nous exerçons avec une certaine régularité». En particulier, pourrions-nous ajouter, lorsqu’il s’agit des crimes de l’impérialisme américain.
L’ article du
Times n’est pas tant une révélation qu’une divulgation contrôlée d’informations. Le «journal officiel» américain rapporte que les deux auteurs de l’article, Adam Entous
et Michael Schwirtz, ont mené «plus de 200
entretiens» avec «des responsables
actuels et anciens en Ukraine, ailleurs en Europe et aux États-Unis». Cette activité aurait difficilement pu avoir lieu sans la connaissance, la permission, voire
l’encouragement de la CIA, ainsi que du régime Zelensky et des services de renseignement ukrainiens.
Pendant ce temps, un véritable journaliste, Julian Assange, attend la décision sur son dernier appel contre son extradition vers les États-Unis, où il
risque 175 ans de prison, voire la peine de mort. Le crime d’Assange et de WikiLeaks, qu’Assange a fondé, est de n’avoir pas obéi aux règles du journalisme bourgeois et de ne pas
avoir demandé l’autorisation des autorités du renseignement militaire avant de publier leurs révélations sur les crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan, les efforts du
département d’État américain pour subvertir et manipuler les gouvernements, et les activités d’espionnage de la CIA et de la National Security Agency.
La révélation d’une décennie d’opérations de la CIA en Ukraine – clairement à la demande de l’agence elle-même – semble être liée au conflit en cours au
sein de l’élite dirigeante américaine sur la politique à adopter dans cette guerre, à la suite de la débâcle subie par la CIA et le régime Zelensky lors de l’offensive de l’année
dernière, qui a peu gagné et a subi des pertes colossales. Les républicains du Congrès ont bloqué toute nouvelle aide militaire et financière à l’Ukraine, déclarant en fait que
les États-Unis doivent réduire leurs pertes dans ce pays et se concentrer sur leur principal ennemi, la Chine.
En faisant état du contrôle virtuel du régime ukrainien par l’appareil de renseignement militaire américain, le Times cherche
à faire pression sur les républicains pour qu’ils soutiennent le financement de la guerre. Il prétend que cet argent ne va pas à un gouvernement étranger, dans une guerre
étrangère, à des milliers de kilomètres des frontières américaines, mais à un sous-traitant de l’impérialisme américain, menant une guerre américaine dans laquelle le personnel
américain est profondément et directement engagé.
Ce faisant, le Times a
révélé que sa propre couverture de la guerre en Ukraine au cours des deux dernières années n’était rien d’autre que de la propagande de guerre, visant à utiliser un récit frauduleux
pour inciter le public américain à soutenir une guerre d’agression impérialiste prédatrice visant à soumettre et démanteler la Russie.
Comment une région de paix est devenue une ligne de front américaine
par Glenn
Diesen
La militarisation de la Scandinavie compromettra gravement la sécurité de la région et suscitera de nouveaux conflits, car la Russie sera contrainte de
répondre à ce qui pourrait devenir une menace existentielle. La Norvège a décidé d’accueillir au moins 12 bases militaires américaines sur son sol, tandis que la Finlande et la Suède lui
emboîtent le pas en transférant le contrôle souverain sur certaines parties de leur territoire après leur récente adhésion à l’OTAN. Des infrastructures seront construites pour amener
plus rapidement les troupes américaines aux frontières russes, tandis que la mer Baltique et l’Arctique seront convertis en mers de l’OTAN.
Alors que la Scandinavie passe d’une région de paix à une ligne de front américaine, on pourrait s’attendre à davantage de débats sur ce changement
historique. Pourtant, les élites politico-médiatiques sont déjà parvenues à un consensus selon lequel l’élargissement de l’OTAN renforce notre sécurité grâce à une force militaire et à
une dissuasion accrues. Plus d’armes se traduit rarement par plus de paix, même si c’est la logique de la paix hégémonique dans laquelle cette génération de politiciens s’est
engagée.
Le point de départ de la politique de sécurité est la concurrence en matière de sécurité. Si le renforcement de la sécurité d’un pays A diminue la sécurité
d’un pays B, ce dernier sera probablement contraint de renforcer sa sécurité d’une manière qui réduira celle du pays A. La concurrence en matière de sécurité peut être atténuée en
dissuadant l’adversaire sans provoquer de réponse, ce qui est idéalement organisé par le biais d’une architecture de sécurité inclusive.
La capacité de la Scandinavie à être une région de paix repose sur la maîtrise de l’équilibre dissuasion/réassurance. La Finlande et la Suède étaient des
États neutres et constituaient une partie importante de la ceinture d’États neutres du nord au sud de l’Europe pendant la guerre froide, ce qui a contribué à réduire les tensions. La
Norvège était membre de l’OTAN mais s’imposait des restrictions en n’accueillant pas de bases militaires étrangères sur son sol et en limitant les activités militaires des alliés dans la
région arctique. Le bon sens voulait que la sécurité soit assurée en dissuadant les Soviétiques sans les provoquer. Ce bon sens a disparu depuis longtemps.
La
Scandinavie, région clé pour la sécurité russe
Depuis la désintégration de la Russie kiévienne au XIIIe siècle et la perte de la présence russe sur le fleuve Dniepr, le manque d’accès fiable aux
mers du monde a constitué un défi majeur pour la Russie en matière de sécurité. En outre, le développement économique dépend également d’un accès fiable aux mers, qui sont les artères du
commerce international. De même, les puissances hégémoniques ont toujours été tenues de dominer les mers, tandis que la Russie peut être contenue, affaiblie et vaincue en limitant son
accès.
La Suède était initialement une grande puissance de ce type. Aux XVIe, XVIIe, et XVIIIe siècles, la Suède a cherché à restreindre l’accès de la Russie à la
mer Baltique, tout en essayant d’empiéter sur le territoire de la Russie, La Suède a cherché à restreindre l’accès de la Russie à la mer Baltique, tout en essayant d’empiéter sur le port
arctique russe d’Arkhangelsk. Au cours de la «période de troubles» (Смута), l’occupation suédoise de la Russie a entraîné la mort d’environ un tiers de la population russe. Le conflit
s’est terminé par le traité de Stolbova en 1617, qui prévoyait des concessions territoriales russes coupant l’accès de la Russie à la mer Baltique. L’isolement de la Russie dura jusqu’à
l’époque de Pierre le Grand, qui finit par vaincre la Suède lors de la Grande Guerre du Nord en 1721. Cette guerre a mis fin à l’ère de la Suède en tant que grande puissance, tandis que
la Russie est devenue une grande puissance et une puissance européenne grâce à son accès illimité à la mer Baltique.
Cela explique la réponse féroce de la Russie au coup d’État soutenu par l’Occident en Ukraine en 2014, la Russie ayant réagi en s’emparant de la Crimée de
peur de perdre sa flotte stratégique de la mer Noire à Sébastopol, au profit de l’OTAN1.
Le sabotage par les États-Unis de l’accord de Minsk (2015-2022) et de l’accord de paix d’Istanbul (2022) était également motivé par l’objectif d’armer l’Ukraine pour qu’elle reprenne la
Crimée et fasse de Sébastopol une base navale de l’OTAN. Le secrétaire général adjoint de l’OTAN a reconnu en juillet 2022 que la guerre en Ukraine avait surtout pour objet le contrôle de
la mer Noire.
La Pologne et les États baltes ont également commencé à parler de la mer Baltique comme d’une «mer de l’OTAN»2.
Le Financial
Times affirme que «le Danemark pourrait
empêcher les pétroliers russes d’atteindre les marchés» dans le cadre des sanctions3. Un
colonel de l’OTAN a également affirmé que l’enclave russe de Kaliningrad serait soumise à une pression beaucoup plus forte et deviendrait un «problème» pour la Russie : «L’ascension de la
Finlande et celle, prochaine, de la Suède vont totalement changer la configuration de la région de la mer Baltique. La Russie verra Kaliningrad encerclée».4
L’adhésion de la Suède à l’OTAN menace désormais d’inverser l’issue de la Grande Guerre du Nord de 1721, ce qui, par voie de conséquence, détruirait les
fondements de la sécurité russe. La bataille de Poltova est reconnue comme la bataille la plus importante et la plus décisive de la Grande Guerre du Nord, qui s’est soldée par la défaite
de la Suède. Les vidéos montrant les victimes suédoises de la récente attaque de missiles russes sur Poltova sont donc très symboliques de la militarisation de la Scandinavie ;
L’attaque américaine contre Nord Stream a démontré à quel point le contrôle de la mer Baltique est important pour couper la connectivité économique entre la
Russie et l’Allemagne. Les États-Unis ont tenté de blâmer les Ukrainiens pour l’attaque, suggérant que «la CIA a averti le
bureau de Zelensky d’arrêter l’opération»5. L’aveu
de la connaissance de l’attaque avant qu’elle ne se produise est néanmoins intéressant car les États-Unis et l’OTAN ont blâmé la Russie pour l’attaque et l’ont utilisée comme une raison
pour intensifier le contrôle naval sur la mer Baltique et l’escalade de la guerre d’Ukraine. Ils admettent ainsi que les États-Unis ont menti à leur propre public et au monde entier, et
qu’ils ont utilisé ce mensonge pour intensifier leur guerre contre la Russie. L’attaque démontre également que les Américains traiteront les Européens comme des mandataires, tout comme
ils ont utilisé les Ukrainiens, tandis que les Européens ne défendront pas leurs intérêts et accepteront silencieusement qu’un allié détruise leurs propres infrastructures énergétiques
vitales. Cette révélation a également démontré que ceux que nous appelons généreusement les journalistes ne posent aucune question critique et ne discutent pas de la réalité objective si
elle remet en cause le récit de la guerre.
La Finlande était peut-être la plus grande réussite de la neutralité, mais elle a été transformée en la plus longue ligne de front de l’OTAN contre la
Russie. La Finlande n’était pas menacée, mais son expansion a été présentée comme un coup porté à Poutine en tant qu’objectif à part entière. Il est prévisible que des déploiements
militaires étrangers apparaîtront bientôt dans le nord de la Finlande pour menacer la flotte russe du nord à Arkhangelsk. Le prétexte sera très probablement la crainte que la Russie
veuille s’emparer d’une partie de la Laponie au nord de la Finlande. Cela n’aura aucun sens, mais les médias obéissants susciteront la peur nécessaire.
La militarisation de la Norvège s’est faite progressivement. Au départ, les troupes américaines étaient stationnées en Norvège par rotation, ce qui
permettait au gouvernement d’affirmer qu’elles n’étaient pas déployées en permanence. En 2021, la Norvège et les États-Unis se sont mis d’accord sur quelques bases militaires, mais les
ont appelées «zones dédiées», car la Norvège n’autorise officiellement pas les bases étrangères sur son sol. Les États-Unis ont le contrôle total et la juridiction sur ces territoires et
les médias américains les considèrent comme des bases militaires qui permettront aux États-Unis d’affronter la Russie dans l’Arctique, mais les élites politico-médiatiques norvégiennes
doivent continuer à les qualifier de «zones dédiées» et à nier qu’elles aient un quelconque objectif offensif. La grenouille bouillonne lentement, croyant avoir des intérêts identiques à
ceux de ses maîtres de Washington.
Ignorer
la compétition sécuritaire dans l’interprétation de la guerre d’Ukraine
L’invasion de l’Ukraine par la Russie est citée comme la principale raison pour laquelle la Finlande et la Suède ont dû abandonner leur neutralité et
rejoindre l’OTAN. Cette logique est logique si l’on ne tient pas compte de la concurrence en matière de sécurité, car les actions de la Russie se produisent alors dans le vide. Les
discussions acceptables sur la guerre d’Ukraine sont limitées par le postulat selon lequel l’invasion de la Russie n’a pas été provoquée, et tout effort visant à élargir le débat en
abordant le rôle de l’OTAN peut être étouffé par des accusations de «légitimer» l’invasion de la Russie.
Wikileaks6 a
également révélé que les Allemands pensaient que l’expansion de l’OTAN pourrait «briser le pays» 7. William
Burns, ambassadeur américain à Moscou et actuel directeur de la CIA, a averti que «l’entrée de l’Ukraine
dans l’OTAN est la plus brillante de toutes les lignes rouges pour l’élite russe»8. Burns
a mis en garde contre les conséquences :
«Non seulement la
Russie perçoit un encerclement et des efforts visant à saper l’influence de la Russie dans la région, mais elle craint également des conséquences imprévisibles et incontrôlées qui
affecteraient sérieusement ses intérêts en matière de sécurité… La Russie craint particulièrement que les fortes divisions en Ukraine sur l’adhésion à l’OTAN, avec une grande partie de la
communauté ethnique russe opposée à l’adhésion, ne conduisent à une scission majeure, impliquant la violence ou, au pire, la guerre civile. Dans cette éventualité, la Russie devrait
décider d’intervenir ou non, une décision à laquelle elle ne veut pas être confrontée».9
Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l’OTAN en 2008, a reconnu que l’OTAN aurait dû respecter les lignes rouges de la Russie et n’aurait donc pas dû
promettre l’adhésion à l’Ukraine et à la Géorgie en 200810.
L’ancien secrétaire américain à la défense et directeur de la CIA, Robert Gates, a également reconnu l’erreur : «Essayer d’intégrer la
Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN était vraiment exagéré»11. Même
le soutien à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN était motivé par des intentions douteuses. Fin mars 2008, une semaine avant le sommet de l’OTAN à Bucarest où l’Ukraine s’est vue
promettre une adhésion future, Tony Blair a expliqué aux dirigeants politiques américains comment ils devaient gérer la Russie. Selon Tony Blair, la stratégie «devrait consister à
rendre la Russie «un peu désespérée» par nos activités dans les zones limitrophes de ce que la Russie considère comme sa sphère d’intérêt et le long de ses frontières réelles. Il fallait
montrer à la Russie de la fermeté et semer des graines de confusion».12
En septembre 2023, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a affirmé avec jubilation que les actions de la Russie visant à empêcher l’expansion
de l’OTAN se traduiraient désormais par une plus grande expansion de l’OTAN :
«Le président Poutine
a déclaré à l’automne 2021, et a en fait envoyé un projet de traité qu’il voulait que l’OTAN signe, qu’il ne promettait plus d’élargissement de l’OTAN. C’est ce qu’il nous a envoyé. Et
c’était une condition préalable pour ne pas envahir l’Ukraine. Bien entendu, nous ne l’avons pas signé. C’est le contraire qui s’est produit. Il voulait que nous signions cette promesse
de ne jamais élargir l’OTAN… Nous l’avons rejetée. Il est donc entré en guerre pour empêcher l’OTAN, plus d’OTAN, de s’approcher de ses frontières. Il a obtenu exactement le contraire. Il
a obtenu une plus grande présence de l’OTAN dans la partie orientale de l’Alliance et il a également vu que la Finlande a déjà rejoint l’Alliance et que la Suède sera bientôt un membre à
part entière».13
Stoltenberg n’a pas précisé pourquoi il pensait que l’expansion de l’OTAN renforcerait la sécurité si l’expansion de l’OTAN était la cause de la guerre.
Cependant, l’OTAN insiste également sur le fait que l’Ukraine doit faire partie de l’OTAN car la Russie n’oserait pas attaquer un pays de l’OTAN, tout en affirmant que la Russie doit être
stoppée en Ukraine car elle attaquera ensuite les pays de l’OTAN. Tout comme la reconnaissance de la concurrence en matière de sécurité, la logique est également absente.
L’aveuglement par le
fondamentalisme idéologique
La reconnaissance par la Scandinavie de la concurrence en matière de sécurité a souffert de ce que l’on appelle dans la littérature le «fondamentalisme
idéologique». Les acteurs sont considérés comme bons ou mauvais sur la base d’identités politiques attribuées par l’idéologie. Le fondamentalisme idéologique réduit la capacité à
reconnaître que ses propres politiques et actions peuvent constituer une menace pour les autres, car sa propre identité politique est considérée comme indiscutablement positive et
dissociée de tout comportement menaçant. On ne comprend pas pourquoi la Russie se sentirait menacée par l’expansion de l’OTAN, même après la Yougoslavie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye,
la Syrie, le Yémen et la guerre par procuration en Ukraine. L’OTAN n’est qu’une «alliance défensive», alors qu’elle bombarde des pays qui ne l’ont jamais menacée. Le fondamentalisme
idéologique s’explique le mieux par la réaction du président Reagan à l’exercice militaire Able Archer, organisé par l’OTAN en 1983, qui a failli déclencher une guerre nucléaire.
Convaincu que les États-Unis étaient une force du bien qui combattait un empire maléfique, Reagan était déconcerté que les Soviétiques ne voient pas les choses de la même manière :
«Trois années m’ont
appris quelque chose de surprenant sur les Russes : De nombreuses personnes au sommet de la hiérarchie soviétique avaient véritablement peur de l’Amérique et des Américains… J’ai toujours
pensé que, d’après nos actes, il devait être clair pour tout le monde que les Américains étaient un peuple moral qui, depuis la naissance de notre nation, avait toujours utilisé son
pouvoir uniquement comme une force du bien dans le monde».14
Pris au piège de la mentalité tribale du «nous» contre «eux», les Scandinaves exagèrent ce que «nous» avons en commun et rejettent tout point commun avec
«eux». Ils partent du principe que les États-Unis partagent les intérêts de la Scandinavie et qu’ils y établissent une présence militaire désintéressée pour assurer leur sécurité. Les
États-Unis ont une stratégie de sécurité basée sur l’hégémonie, qui dépend de l’affaiblissement de tous les rivaux émergents. La stratégie de sécurité américaine de 2002 associe
explicitement la sécurité nationale à la domination mondiale, l’objectif de «dissuader la concurrence militaire future» devant être atteint en renforçant «la puissance inégalée
des forces armées américaines et leur présence avancée»15. Alors
que la Scandinavie a intérêt à maintenir des frontières pacifiques avec la Russie, les États-Unis ont défini leurs intérêts dans la déstabilisation des frontières russes16. Les
alliances en temps de paix reposent sur la perpétuation des conflits plutôt que sur leur résolution, car le conflit garantit la loyauté du protectorat et l’endiguement de l’adversaire.
Dans son célèbre ouvrage sur la manière de faire progresser et de perpétuer l’hégémonie mondiale des États-Unis, Brzezinski a écrit que les États-Unis devaient «empêcher la collusion
et maintenir la dépendance en matière de sécurité parmi les vassaux, afin de garder les tributaires souples et protégés, et d’empêcher les barbares de s’unir».17
Un manque
d’imagination politique pour dépasser la politique des blocs
Les Scandinaves dépendent des États-Unis pour leur sécurité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et ils n’ont tout simplement pas l’imagination
politique pour d’autres accords de sécurité. Si cela a fonctionné à l’époque, pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas aujourd’hui ? Comme la concurrence en matière de sécurité n’est plus
une considération, les Scandinaves négligent commodément le fait que l’OTAN était un acteur du statu quo pendant la Guerre froide, alors qu’après la Guerre froide, elle est devenue un
acteur révisionniste en s’étendant et en attaquant d’autres pays dans le cadre de ce que l’OTAN appelle des opérations «hors zone».
Il a été affirmé que «grâce à nos visiteurs
de haut niveau»18,
la Norvège avait commencé à «poursuivre
discrètement les travaux au sein de l’OTAN sur la défense antimissile et à critiquer publiquement la Russie pour ses déclarations provocatrices»19. Selon
l’ambassadeur américain Whitney, la Norvège doit «s’adapter aux
réalités actuelles» car elle aura «du mal à défendre sa
position si la question devient celle de la solidarité de l’alliance»20. Suite
à la volte-face norvégienne sur la défense antimissile, le Parlement norvégien a déclaré qu’«il est important pour
la cohésion politique de l’alliance de ne pas laisser l’opposition, peut-être surtout celle de la Russie, entraver les progrès et les solutions réalisables»21.
La logique, la sécurité et l’intérêt personnel ont été abandonnés avec succès avec l’exigence de faire preuve de loyauté envers le groupe.
Le monde subit une fois de plus des changements spectaculaires en passant d’un ordre mondial unipolaire à un ordre mondial multipolaire. Les États-Unis
déplaceront de plus en plus leur attention, leurs ressources et leurs priorités vers l’Asie, ce qui modifiera les relations transatlantiques. Les États-Unis pourront offrir moins aux
Européens, mais ils exigeront plus de loyauté en termes d’économie et de sécurité. Les Européens devront rompre leurs liens économiques avec les rivaux américains, ce qui se traduit déjà
par une diminution de la prospérité et une dépendance accrue à l’égard des États-Unis. Les États-Unis attendront également des Européens qu’ils militarisent la concurrence économique avec
la Chine, et l’OTAN est déjà devenue le véhicule le plus évident à cette fin. Au lieu de s’adapter à la multipolarité en diversifiant leurs liens et en recherchant les opportunités
offertes par la montée en puissance de l’Asie, les Européens font le contraire en se subordonnant davantage aux États-Unis dans l’espoir d’accroître la valeur de l’OTAN.
La Scandinavie était une région de paix qui tentait d’atténuer la concurrence en matière de sécurité après la Seconde Guerre mondiale. Alors que la
Scandinavie abandonne sa souveraineté aux États-Unis pour se protéger d’une menace imaginaire, la région sera transformée en une ligne de front qui préparera le terrain pour une Grande
Guerre du Nord 2.0. La seule certitude est que lorsque la Russie réagira à ces provocations, nous scanderons tous à l’unisson «sans provocation» et ferons quelque obscure référence à la
démocratie.
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