TOUT CE QUE L’ON VOUS CACHE SUR L’OPÉRATION TURQUE « SOURCE DE PAIX »
1/3 : La généalogie de la question kurde
...par Thierry Meyssan - le 15/10/2019.
Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.
Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).
La communauté internationale unanime
multiplie les condamnations de l’offensive militaire au Rojava et assiste impuissante à la fuite de dizaines de milliers de Kurdes, poursuivis par l’armée turque. Cependant nul n’intervient,
considérant qu’un massacre est peut-être la seule issue possible pour rétablir la paix, compte tenu de la situation inextricable créée par la France et des crimes contre l’humanité commis par les
combattants et les civils kurdes.
Des dizaines de milliers de civils kurdes fuient devant l’armée turque, abandonnant la terre qu’ils avaient conquise et dont ils
espéraient faire leur patrie.
Toutes les guerres impliquent un processus de simplification : il n’y a que deux camps sur un champ de bataille et chacun doit choisir le sien. Au
Moyen-Orient, où il existe une quantité invraisemblable de communautés et d’idéologies, ce processus est particulièrement terrifiant puisque qu’aucune des particularités de ces groupes ne trouve
plus à s’exprimer et que chacun doit s’allier à d’autres qu’il réprouve.
Lorsqu’une guerre touche à sa fin, chacun tente d’effacer les crimes qu’il a commis, volontairement ou non, et parfois de faire disparaître des alliés encombrants
qu’il souhaite oublier. Beaucoup tentent alors de reconstruire le passé pour se donner le beau rôle. C’est très exactement ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec l’opération turque
« Source de paix » à la frontière syrienne et les réactions invraisemblables qu’elle suscite.
Pour comprendre ce qui se passe, il ne suffit pas de savoir que tout le monde ment. Il faut aussi découvrir ce que chacun cache et l’accepter, même lorsque l’on
constate que ceux que l’on admirait jusque-là sont en réalité des salauds.
Généalogie du Problème
Si l’on croit la communication européenne, on pourrait penser que les méchants Turcs vont exterminer les gentils Kurdes que les sages Européens tentent de sauver
malgré les lâches États-Uniens. Or, aucune de ces quatre puissances ne joue le rôle qu’on lui attribue.
Il convient d’abord de resituer l’événement actuel dans le contexte de la « Guerre contre la Syrie », dont il n’est qu’une bataille, et dans celui du
« Remodelage du Moyen-Orient élargi », dont le conflit syrien n’est qu’une étape. À l’occasion des attentats du 11 septembre 2001, le secrétaire US à la Défense Donald Rumsfeld et son
nouveau directeur de la « Transformation de la force », l’amiral Arthur Cebrowski, adaptèrent la stratégie du Pentagone au capitalisme financier. Ils décidèrent de diviser le monde en
deux zones : l’une qui serait celle de la globalisation économique et l’autre qui serait vue comme une simple réserve de matières premières. Les armées US seraient chargées de supprimer les
structures étatiques dans cette seconde région du monde afin que nul ne puisse résister à cette nouvelle division du travail [1]. Elles commencèrent par le « Moyen-Orient
élargi ».
Il avait été prévu de détruire la République arabe syrienne, en 2003 (Syrian Accountability Act), après l’Afghanistan et l’Iraq, mais divers aléas ont repoussé
cette opération à 2011. Le plan d’attaque fut réorganisé au regard de l’expérience coloniale britannique dans cette région. Londres conseilla de ne pas détruire complètement les États, de
restaurer un État minimal en Iraq et de conserver des gouvernements fantoches capables d’administrer la vie quotidienne des peuples. Calqué sur la « Grande révolte arabe » de Lawrence
d’Arabie, qu’ils organisèrent en 1915, il s’agissait d’organiser un « Printemps arabe » qui place au pouvoir la Confrérie des Frères musulmans et non plus celle des Wahhabites [2].
On commença par renverser les régimes pro-Occidentaux de Tunisie et d’Égypte, puis on attaqua la Libye et la Syrie.
Dans un premier temps, la Turquie, membre de l’Otan, refusa de participer à la guerre contre la Libye qui était son premier client et contre la Syrie avec laquelle
elle avait créé un marché commun. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, eut alors l’idée de faire d’une pierre deux coups. Il proposa à son homologue turc, Ahmet Davutoğlu,
de résoudre ensemble la question kurde en échange de l’entrée en guerre de la Turquie contre la Libye et contre la Syrie. Les deux hommes signèrent un Protocole secret qui prévoyait la création
d’un Kurdistan non pas dans les territoires kurdes de la Turquie, mais dans les territoires araméens et arabes de Syrie [3]. La Turquie, qui entretient d’excellentes relations avec le
gouvernement régional du Kurdistan iraquien, souhaitait la création d’un second Kurdistan, pensant mettre ainsi fin à l’indépendantisme kurde sur son propre sol. La France, qui avait recruté des
tribus kurdes en 1911 pour réprimer les nationalistes arabes, entendait enfin créer dans la région un Kurdistan-croupion comme les Britanniques étaient parvenus à créer une colonie juive en
Palestine. Français et Turcs obtinrent le soutien des Israéliens qui contrôlaient déjà le Kurdistan iraquien avec le clan Barzani, officiellement membre du Mossad.
En marron : le Kurdistan dessiné par la Commission King-Crane, validé par le président US Woodrow Wilson et adopté, en 1920,
par la conférence de Sèvres.
Les Kurdes sont un peuple nomade (c’est le sens exact du mot « kurde ») qui se déplaçait dans la vallée de l’Euphrate, en Iraq, en Syrie et en Turquie
actuelles. Organisé de manière non pas tribale, mais clanique, et réputé pour son courage, il créa de nombreuses dynasties qui régnèrent dans le monde arabe (dont celle de Saladin le Magnifique)
et perse, et fournit des supplétifs à diverses armées. Au début du XXème siècle, certain d’entre eux furent recrutés par les Ottomans pour massacrer les populations non-musulmanes de Turquie,
particulièrement les Arméniens. À cette occasion, ils se sédentarisèrent en Anatolie, tandis que les autres restèrent nomades. À la fin de la Première Guerre mondiale, le président états-unien
Woodrow Wilson, en application du paragraphe 12 de ses 14 points (buts de guerre), créa un Kurdistan sur les décombres de l’Empire ottoman. Pour en délimiter le territoire, il envoya sur place la
Commission King-Crane, alors que les Kurdes poursuivaient le massacre des Arméniens. Les experts déterminèrent une zone en Anatolie et mirent en garde Wilson contre les conséquences dévastatrices
d’une extension ou d’un déplacement de ce territoire. Mais l’Empire ottoman fut renversé de l’intérieur par Mustafa Kemal qui proclama la République et refusa la perte territoriale qu’imposait le
projet wilsonien. En définitive, le Kurdistan ne vit pas le jour.
Durant un siècle, les Kurdes turcs tentèrent de faire sécession de la Turquie. Dans les années 80, les marxistes-léninistes du PKK ouvrirent une véritable guerre
civile contre Ankara, très durement réprimée. Beaucoup se réfugièrent au Nord de la Syrie, sous la protection du président Hafez el-Assad. Lorsque leur leader Abdullah Öcallan fut arrêté par les
Israéliens et remis aux Turcs, ils abandonnèrent la lutte armée. À la fin de la Guerre froide, le PKK, n’étant plus financé par l’Union soviétique, fut pénétré par la CIA et muta. Il abandonna la
doctrine marxiste et devint anarchiste, il renonça à la lutte contre l’impérialisme et se mit au service de l’Otan. L’Alliance atlantique eut largement recours à ses opérations terroristes pour
contenir l’impulsivité de son membre turc.
Par ailleurs, en 1991, la communauté internationale livra une guerre à l’Iraq qui venait d’envahir le Koweït. À l’issue de cette guerre, les Occidentaux
encouragèrent les oppositions chiites et kurdes à se révolter contre le régime sunnite du président Saddam Hussein. Les États-Unis et le Royaume-Uni laissèrent massacrer
200 000 personnes, mais occupèrent une zone du pays qu’ils interdirent à l’armée iraquienne. Ils en chassèrent les habitants et y regroupèrent les Kurdes iraquiens. C’est cette zone qui
fut réintégrée à l’Iraq après la guerre de 2003 et devint le Kurdistan iraquien autour du clan Barzani.
La carte d’état-major du plan Rumsfeld/Cebrowski de « Remodelage du Moyen-Orient élargi ».
Source : “Blood borders - How a better Middle East would look”, Colonel Ralph Peters, Armed Forces Journal, June 2006.
Au début de la guerre contre la Syrie, le président Bachar el-Assad accorda la nationalité syrienne aux réfugiés politiques kurdes et à leurs enfants. Ils se mirent
immédiatement au service de Damas pour défendre le Nord du pays face aux jihadistes étrangers. Mais l’Otan réveilla le PKK turc et l’envoya mobiliser les Kurdes de Syrie et d’Iraq pour créer un
très Grand Kurdistan, tel que prévu par le Pentagone depuis 2001 et acté par la carte d’état-major divulguée par le colonel Ralph Peters en 2005.
La carte du « Remodelage du Moyen-Orient élargi » , modifiée après l’échec de la première guerre contre la
Syrie.
Source : “Imagining a Remapped Middle East”, Robin Wright, The New York Times Sunday Review, September 28, 2013.
Ce projet (visant à diviser la région sur des bases ethniques) ne correspondait pas du tout à celui du président Wilson en 1919 (visant à reconnaître le droit du
peuple kurde), ni à celui des Français (visant à récompenser des mercenaires). Il était bien trop vaste pour eux et ils ne pouvaient pas espérer le contrôler. Il enchantait par contre les
Israéliens qui y voyait un moyen de contenir la Syrie par l’arrière. Cependant, il s’avéra impossible à réaliser. L’USIP, un institut des « Cinq yeux » lié au Pentagone, proposa de le
modifier. Le Grand Kurdistan serait réduit au profit d’une extension du Sunnistan iraquien [4] qui serait confiée à une organisation jihadiste : le futur Daesh.
Les Kurdes du YPG, branche syrienne du PKK, tentèrent de créer un nouvel État, le Rojava, avec l’aide des forces US. Le Pentagone les utilisa pour cantonner les
jihadistes dans la zone qui leur avait été assignée. Il n’y eut jamais de combat théologique ou idéologique entre le YPG et Daesh, c’était juste une rivalité pour un territoire à partager sur les
décombres de l’Iraq et de la Syrie. Et d’ailleurs lorsque l’Émirat de Daesh s’effondra, le YPG aida les jihadistes à rejoindre les forces d’Al-Qaïda à Idleb en traversant leur
« Kurdistan ».
Les Kurdes iraquiens du clan Barzani participèrent quant à eux directement à la conquête de l’Iraq par Daesh. Selon le PKK, le fils du président et chef du
Renseignement du gouvernement régional kurde iraquien, Masrour « Jomaa » Barzani, assista à la réunion secrète de la CIA à Amman, le 1er juin 2014, qui planifia cette
opération [5]. Les Barzani ne livrèrent aucune bataille contre Daesh. Ils se contentèrent de faire respecter leur territoire et de les envoyer affronter les sunnites. Pire, ils laissèrent
Daesh réduire en esclavage des Kurdes non-musulmans, les Yézidis, lors de la bataille du Sinjar. Ceux qui furent sauvés, le furent par des combattants du PKK turc et du YPG syrien dépêchés sur
place.
Le 27 novembre 2017, les Barzani organisèrent —avec le seul soutien d’Israël— un référendum d’autodétermination au Kurdistan iraquien qu’ils perdirent malgré des
trucages évidents. Le monde arabe découvrit avec stupéfaction, le soir du scrutin, une marée de drapeaux israéliens à Erbil. Selon le magazine Israel-Kurd, le Premier ministre israélien,
Benjamin Netanyahu, s’était engagé à transférer 200 000 Kurdes israéliens, en cas de victoire référendaire, afin de protéger le nouvel État.
Pour jouir du droit à l’autodétermination, un peuple doit d’abord être uni, ce qui n’a jamais été le cas des Kurdes. Il doit ensuite habiter un territoire où il
soit majoritaire, ce qui n’était le cas qu’en Anatolie depuis le génocide des Arméniens, puis aussi au Nord de l’Iraq depuis le nettoyage ethnique de la zone de non-survol durant
l’après-« Tempête du désert », et enfin au Nord-Est de la Syrie depuis l’expulsion des Assyriens chrétiens et des Arabes. Leur reconnaître ce droit aujourd’hui, c’est valider des crimes
contre l’humanité.
A suivre…
2. Le Kurdistan, imaginé par le colonialisme français (mercredi 16 octobre)
3. L’invasion turque du Rojava (jeudi 17 octobre)
Thierry Meyssan
[1] Cette stratégie a été évoquée la première fois par le colonel Ralph Peters dans "Stability, America’s Ennemy", Parameters 31-4
(revue de l’Armée de Terre US), Hiver 2001. Puis exposée plus clairement pour le grand public par l’assistant de l’amiral Cebrowski dans The Pentagon’s New Map,
Thomas P. M. Barnett, Putnam Publishing Group, 2004. Enfin, le colonel Peters a publié la carte que l’état-major US avait établie dans “Blood borders - How a
better Middle East would look”, Colonel Ralph Peters, Armed Forces Journal, June 2006.
[2] Un grand nombre de documents disponibles dès 2005 attestent de la préparation de cette opération par le MI6. Notamment les e-mails du Foreign
Office révélés par le lanceur d’alerte Derek Pasquill. Lire : Sous nos yeux. Du 11-Septembre à Donald Trump, Thierry Meyssan, Demi-Lune
(2017).
[3] L’existence de ce Protocole secret a été révélée à l’époque par la presse algérienne. Des diplomates syriens me l’ont décrit en détail.
Malheureusement, les archives qui en disposaient à Damas ont été précipitamment transférées lors d’une attaque jihadiste. Il n’est donc pas disponible pour le moment, mais
deviendra public lorsque ces archives auront été triées.
[5] « Yer : Amman, Tarih : 1, Konu : Musul », Akif Serhat, Özgür Gündem, 6 juillet 2014.
(2/3) Le Kurdistan, imaginé par le colonialisme français
Contrairement à une idée reçue,
le Rojava n’est pas un État pour le peuple kurde, mais un fantasme français de l’entre-deux guerres. Il s’agissait de créer un État croupion avec des Kurdes équivalent au Grand Israël qui était
envisagé avec des Juifs. Cet objectif colonial a été réactivé par les présidents Sarkozy, Hollande et Macron jusqu’au nettoyage ethnique de la région destinée à l’accueillir.
Une délégation kurde est reçue à l’Élysée par le président François Hollande et son ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, en présence de
Bernard-Henri Lévy, ordonnateur des désastres tunisien, égyptien et libyen.
Le Haut-commissaire français au Levant, le général Henri Gouraud, recrute avec l’aide des Turcs 900 hommes du clan kurde des Millis pour réprimer la rébellion
nationaliste arabe à Alep et Raqqa. Ces mercenaires combattront en tant que gendarmes français sous ce qui deviendra le drapeau de l’actuelle Armée syrienne libre
(Télégramme du 5 janvier 1921).
Source : Archives de l’armée de Terre française.
Le peuple kurde n’a jamais eu de rêve d’unification, à l’exception du projet du prince de Rewanduz. Au XIXème siècle, celui-ci s’inspirait de la conception
allemande de la Nation et entendait donc prioritairement unifier la langue. Encore aujourd’hui, il existe plusieurs langues, induisant une séparation très prononcée entre les clans kurmanjis,
soranis, zazakis, et guranis.
Selon des documents jusqu’ici inexploités et au sujet desquels l’intellectuel libanais Hassan Hamadé rédige actuellement un livre stupéfiant, le président du
Conseil des ministres français, Léon Blum, négocia en 1936 avec le chef de l’Agence juive, Chaim Wiezmann, et les Britanniques, la création d’un Grand État d’Israël de la Palestine à l’Euphrate,
incluant donc le Liban et la Syrie jusqu’alors sous mandat français. Ce projet capota en raison de la furieuse opposition du Haut-Commissaire français au Levant, le comte Damien de Martel. La
France —et probablement le Royaume-Uni— envisageaient à l’époque de créer un État kurde en Syrie à l’Est de l’Euphrate.
Le 4 février 1994, le président Mitterrand reçoit une délégation kurde de membres du PKK turc.
La question kurde redevint une priorité avec le président François Mitterrand. En pleine Guerre froide, son épouse, Danielle, devint la « mère des Kurdes [du
clan Barzani] ». Les 14 et 15 octobre 1989, elle organisa un colloque à Paris : « Les Kurdes : l’identité culturelle, le respect des droits de l’homme ». Elle joua un
rôle dans l’attribution mensongère de la mort des Kurdes du village d’Halabja durant la guerre Iraq-Iran à la cruauté du président Saddam Hussein alors que les rapports de l’US Army attestent
qu’au contraire le vent a déplacé des gaz iraniens durant une terrible bataille [1]. En 1992, elle participa à la création d’un gouvernement fantoche kurde dans la zone iraquienne occupée
par les Anglo-Saxons.
Le 31 octobre 2014, François Hollande raccompagne Recep Tayyip Erdoğan sur le perron de l’Élysée. Un autre invité vient de sortir discrètement par la petite porte,
le Kurde pro-Turcs Salih Muslim.
Lors de la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2011, Alain Juppé conclut un Protocole secret avec la Turquie pour la création d’un pseudo-Kurdistan. La Syrie ne
réagit pas. Puis, le 31 octobre 2014, le président François Hollande reçut officiellement au palais de l’Élysée le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan avec officieusement le co-président
du YPG, Salih Muslim, pour mettre au point le démembrement de la Syrie. Les combattants kurdes cessèrent de se reconnaître comme Syriens et débutèrent leur lutte pour leur propre patrie. La Syrie
cessa immédiatement de payer leurs salaires.
À l’issue de la bataille de Kobané, François Hollande change de camp et marque son soutien aux Kurdes, en recevant à l’Élysée, le 8 février 2015, une délégation
pro-US du YPG.
Cependant, quelques mois plus tard, le président Barack Obama rappelle la France à l’ordre. Ce n’est pas à Paris de négocier un pseudo-Kurdistan au regard de ses
vieux rêves coloniaux, mais au seul Pentagone, selon le plan ethnique Rumsfeld/Cebrowski. François Hollande se plie et reçoit une délégation kurde pro-US de combattantes d’Aïn al-Arab
(« Kobané » en allemand et non pas en langue kurde). La Turquie refuse quant à elle de se soumettre à Washington. C’est le début d’une longue divergence entre les membres de l’Alliance
atlantique. Considérant que le retournement français viole l’accord du 31 octobre 2014, les services secrets turcs organisent avec Daesh les attentats du 13
novembre 2015 contre la Franceet du 22 mars 2016 contre la Belgique, qui venait de s’aligner à son tour sur Washington [2]. Le président Erdoğan annoncera
sans équivoque les attentats contre la Belgique et sa presse les revendiquera. Enfin, Salih Muslim organise la conscription obligatoire des jeunes kurdes et édifie sa dictature, tandis qu’Ankara
émet un mandat d’arrêt contre lui.
Décret de kurdisation forcée du Nord de la Syrie. Ce document, rendu public par les victimes chrétiennes assyriennes, atteste du nettoyage ethnique perpétré par
les FDS, sous encadrement militaire US.
En octobre 2015, le Pentagone créé les Forces démocratiques syriennes (FDS), une unité de mercenaires kurdes turcs et syriens, incluant quelques arabes et
chrétiens, de manière à réaliser un nettoyage ethnique sans avoir à en prendre publiquement la responsabilité. Les FDS expulsent les familles arabes et chrétiennes assyriennes. Des combattants,
venus d’Iraq et de Turquie, s’installent dans leurs maisons et prennent possession de leurs terres. L’archevêque catholique syriaque d’Hassaké-Nisibi, Mgr. Jacques Behnan Hindo, attestera
plusieurs fois que des leaders kurdes ont évoqué devant lui un plan d’expulsion des chrétiens du « Rojava ». Les forces spéciales françaises assistent à ce crime contre l’humanité sans
broncher. Le 17 mars 2016, l’autonomie du « Rojava » (pseudo-Kurdistan en Syrie) est déclarée [3]. Craignant la jonction entre le PKK turc et le clan Barzani iraquien qui ouvrirait
la voie à la création d’un Grand Kurdistan, le gouvernement irakien envoie des armes au PKK afin de renverser les Barzanis. Il s’ensuit une série d’assassinat de dirigeants kurdes par des clans
opposés.
Fin 2016, le retrait partiel de l’armée russe suivi de la libération d’Alep par l’Armée arabe syrienne marquent le retournement définitif de la guerre. Ils
coïncident, en janvier 2017, avec l’arrivée à la Maison-Blanche du président Donald Trump, dont le programme électoral prévoit la fin de la stratégie Rumsfeld/Cebrowski, la fin du soutien massif
aux jihadistes et le retrait de l’Otan et des troupes US de Syrie. La France facilite le départ au Rojava de jeunes combattants anarchistes persuadés de défendre la cause kurde alors qu’ils se
battent pour l’Alliance atlantique [4]. De retour en France, ils s’avéreront aussi incontrôlables que les jeunes Français jihadistes. Ainsi, selon la DGSI (Renseignements intérieurs), c’est
un de ces combattants qui tentera d’abattre un hélicoptère de gendarmerie lors de l’évacuation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes [5].
En juin 2017, le président Trump autorise une opération conjointe de l’Armée arabe syrienne (commandée par le président Bachar el-Assad) et des FDS (c’est-à-dire
des mercenaires kurdes pro-US) pour libérer Raqqa, la capitale de Daesh [6]. La guerre est finie, mais ni la France, ni l’Allemagne ne l’entendent ainsi.
Progressivement, le contrôle du YPG échappe aux États-Unis qui s’en désintéressent. L’organisation terroriste devient alors un jouet français, comme les Frères
musulmans sont une marionnette britannique.
Cette carte a été publiée par Anadolu Agency en janvier 2019. Elle fait apparaître 9 bases militaires françaises, dont 8 ont été déployées par le président
Emmanuel Macron.
La Turquie fait alors publier par son agence officielle, Anadolu Agency, la carte des bases militaires françaises au Rojava, dont le nombre est étendu sous la
présidence d’Emmanuel Macron à neuf. On ne connaissait jusque-là que celle de la cimenterie du groupe Lafarge. Ankara entend souligner que, contrairement à ses déclarations officielles et à la
différence des États-Unis, la France reste favorable à la partition de la Syrie.
Nous pouvons également révéler que, sollicitée par les services de Renseignement syriens pour récupérer ses jihadistes faits prisonniers, la France refusa de les
rapatrier pour les juger. Elle demanda qu’ils soient remis aux forces kurdes qui s’en occuperaient.
En février 2018, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à l’Onu, Vassily Nebenzia, révèle que les kurdes syriens viennent d’amnistier 120 leaders de Daesh et les
ont incorporés au YPG.
Dès septembre 2018, le président Trump prépare le retrait des troupes US de toute la Syrie [7]. L’abandon du « Rojava » est conditionné à la coupure
de la route iranienne qui pourrait traverser ce territoire pour rejoindre le Liban. Ce à quoi s’engagera le président Erdoğan en août. Les GI’s surpervisent alors la destruction des ouvrages
défensifs des Kurdes. Un accord est validé le 16 septembre par la Russie, la Turquie et l’Iran. Dès lors la fin de ce pseudo-Kurdistan est imminente. Ne comprenant absolument pas ce qui se passe,
la France est stupéfiée lorsque les troupes turques envahissent brutalement ce pseudo-État autonome et que fuit la population l’occupant illégalement.
Infatué de lui-même et totalement déconnecté de la réalité, Jean-Yves le Drian assure sur le plateau de France 2 que la France poursuit sans risques ses objectifs
en Syrie.
Invité du journal télévisé de France2, le 10 septembre, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian, tente de rassurer les Français sur les
conséquences de ce fiasco. Il assure que la France contrôle la situation : les jihadistes détenus au Rojava ne seront pas libérés, alors qu’il n’y a plus aucune institution sur place, mais
jugés dans ce territoire. Il poursuit en affirmant que le président Erdoğan menace la France dans le vide. Enfin, il refuse de répondre à une question sur la mission de l’armée française sur
place, en pleine débâcle.
Si l’on ignore le sort qui attend les jihadistes prisonniers aussi bien que celui des populations civiles qui ont volé cette terre, on est sans nouvelles du sort des soldats des neuf bases militaires françaises. Ils sont pris entre deux feux, entre l’armée turque que le président Hollande a
trahie et les Kurdes que le président Macron a abandonnés et qui ont fait à nouveau allégeance à la République arabe syrienne.
[2] Selon les experts anti-terroristes, ces attentats n’ont pas été effectués en recourant à un mode opératoire comparable à celui utilisé lors des
autres attentats revendiqués par Daesh, mais portent la trace d’une organisation militaire minutieuse, d’un acte de guerre perpétré par un État. « Le mobile des attentats de Paris et de Bruxelles », par Thierry
Meyssan, Réseau Voltaire, 28 mars 2016.
Si la communauté internationale
craint publiquement la brutalité de l’intervention turque au Nord de la Syrie, elle se félicite officieusement de cette intervention, seule et unique solution à un retour de la paix dans cette
région. La guerre contre la Syrie se termine par un crime de plus. Reste encore à déterminer le sort des mercenaires étrangers d’Idleb, des jihadistes enragés au cours de huit ans d’une guerre
particulièrement sauvage et cruelle.
Le 15 octobre 2016, le président Erdoğan annonce solennellement que son pays réalisera le serment national de Mustafa Kemal Atatürk. La Turquie, qui occupe déjà
militairement une partie de Chypre et de l’Iraq, revendique une partie de la Syrie et de la Grèce. Son armée se prépare.
En 2011, la Turquie a organisé comme on le lui demandait la migration de 3 millions de Syriens afin d’affaiblir le pays. Par la suite, elle a soutenu les
Frères musulmans et leurs groupes jihadistes, y compris Daesh. Elle a pillé au passage les machines-outils d’Alep et installé des usines de contrefaçon dans l’Émirat islamique.
Enivrée par ses victoires en Libye et en Syrie, la Turquie est devenue la Protectrice de la Confrérie des Frères musulmans, s’est rapprochée de l’Iran et a défié
l’Arabie saoudite. Elle a déployé des bases militaires tout autour du Royaume wahhabite au Qatar, au Koweït et au Soudan, puis a engagé des cabinets occidentaux de relations publique et détruit
l’image du prince Mohamed Ben Salmane, notamment avec l’affaire Kashoggi [1]. Progressivement, elle a envisagé d’étendre sa puissance et ambitionné de devenir le XIVème empire monghol.
Interprétant à tort cette évolution comme étant le fait du seul Recep Tayyip Erdoğan, la CIA tenta plusieurs fois de l’assassiner jusqu’à provoquer le coup d’État manqué de juillet 2016. Il
s’ensuivit trois années d’incertitudes qui se terminèrent en juillet 2019 lorsque le président Erdoğan décida de privilégier le nationalisme sur l’islamisme [2]. Aujourd’hui, la Turquie,
quoique toujours membre de l’Otan, transporte du gaz russe dans l’Union européenne et achète des S-400 à Moscou [3]. Elle veille sur ses minorités, y compris kurde, et n’exige plus d’être
musulman sunnite, mais uniquement loyal à sa Patrie.
Durant l’été, le président Donald Trump a fait savoir son intention de retirer ses troupes de toute la Syrie, à commencer par le Rojava (déjà formulée le 17
décembre 2018), à la condition expresse de couper la ligne de communication entre l’Iran et le Liban (ce qui est nouveau). La Turquie a souscrit à cet engagement en échange d’une occupation
militaire de la bande frontalière syrienne depuis laquelle l’artillerie terroriste pouvait la bombarder.
La Russie a fait savoir qu’elle ne soutenait pas les criminels contre l’humanité du YPG et accepterait une intervention turque si la population chrétienne
était autorisée à retourner sur sa terre. Ce à quoi la Turquie s’est engagée.
La Syrie a fait savoir qu’elle ne repousserait pas dans l’immédiat d’invasion turque si elle pouvait libérer un territoire équivalent dans le gouvernorat
d’idleb. Ce que la Turquie a accepté.
L’Iran a fait savoir que, même si elle réprouve une intervention turque, elle n’intervient qu’au profit des chiites et n’est pas intéressée par le sort du
Rojava. Ce que la Turquie a enregistré.
Le principe de la fin du Rojava a été acté lors des sommets Etats-Unis/Russie qui se sont tenus à Tel-Aviv et à Genève en juin et août 2019.
Plusieurs sommets internationaux ont été organisés pour examiner les conséquences de ces positions et déterminer des points subalternes (par exemple, le pétrole de
la bande frontalière syrienne ne sera pas exploité par l’armée turque, mais par une société états-unienne). Les premiers sommets ont réuni les conseillers de sécurité états-unien et russe. Les
seconds, les chefs d’État russe, turc et iranien.
Le 22 juillet 2019, la Turquie annonce la suspension de son accord migratoire avec l’Union européenne [4].
Le 3 août, le président Erdoğan nomme de nouveaux officiers supérieurs, dont des kurdes, et ordonne la préparation de l’invasion du
Rojava [5].
Il ordonne également à l’armée turque de se retirer devant l’armée arabe syrienne dans le gouvernorat d’Idleb, de sorte qu’elle puisse libérer un territoire
équivalent à celui qui allait être envahi à l’Est.
Le 23 août, le Pentagone ordonne le démantèlement des fortifications du YPG de manière à ce que l’armée turque puisse mener une offensive
éclair [6].
Le 31 août, en soutien à l’armée arabe syrienne, le Pentagone bombarde une réunion de dirigeants d’Al-Qaïda à Idleb, grâce à des
renseignement turcs [7].
Le 18 septembre, le président Trump change de conseiller de Sécurité et nomme Robert O’Brien. Cet homme discret connaît bien le président
Erdoğan avec qui il a réglé les conséquences du coup d’État manqué de juillet 2016 [8].
Le 1er octobre, le président Erdoğan annonce l’imminente relocation de 2 millions de réfugiés syriens sur le territoire du
Rojava [9].
Le 5 octobre, les États-Unis demandent aux membres de la Coalition internationale de récupérer leurs ressortissants jihadistes prisonniers au
Rojava. Le Royaume-Uni demande leur transfert en Iraq, tandis que la France et l’Allemagne refusent [10].
Le 6 octobre, les États-Unis déclarent ne plus être responsables des jihadistes prisonniers au Rojava qui va passer sous responsabilité
turque.
Le 7 octobre, les Forces spéciales US amorcent leur retrait du Rojava.
Le 9 octobre, l’armée turque —notamment commandée par des officiers kurdes— et des miliciens turkmènes ayant récupéré le drapeau de l’Armée
syrienne libre envahissent la bande de territoire syrienne de 32 kilomètres de profondeur occupée par le YPG.
L’opération « Source de paix » est parfaitement légale en droit international si elle se limite à la bande frontalière de 32 kilomètres et si elle ne
donne pas lieu à une occupation turque indéfinie [11]. C’est pourquoi, l’armée turque a recours à des milices turkmènes syriennes pour pourchasser le YPG dans le reste du Rojava.
Réunion de coordination de l’opération Source de paix, dans le bunker de commandement du palais blanc, à Ankara.
La presse internationale, qui n’a pas suivi les événement sur le terrain et s’est contentée des déclarations officielles contradictoires de ces derniers mois, est
stupéfaite. Tous les États à l’unisson dénoncent l’opération turque, y compris les États-Unis, la Russie, Israël, l’Iran et la Syrie, bien qu’ils l’aient tous
négociée et validée. Ceux qui menacent la Turquie doivent réfléchir à la possible migration de leurs ressortissants jihadistes aguerris d’Idleb.
Le Conseil de sécurité se réunit en urgence à la demande du président Macron et de la chancelière Merkel. Pour éviter de montrer que personne ne s’oppose
véritablement à l’intervention turque, pas même la France, la séance se déroule à huis clos et ne fait pas l’objet d’une déclaration du président du Conseil.
Il est peu probable que la Syrie, exsangue, puisse récupérer dans l’immédiat cette bande de territoire, alors que l’Iraq n’a pas réussi à libérer Baachiqa
(110 km de profondeur) et que l’Union européenne elle-même n’a pas réussi à libérer le tiers de Chypre, occupé depuis 1974.
Le 11 octobre, Jens Stoltenberg vient apporter à la Turquie la bénédiction de l’Otan.
Malgré les demandes de la France et de l’Allemagne, le Conseil atlantique ne se réunit pas.
Le 11 octobre, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, vient à Ankara s’assurer que l’opération fonctionne. Il célèbre la grandeur de la
Turquie, cloue ainsi le bec des Allemands et des Français [12].
Le 13 octobre, en pleine débâcle, la direction du YPG est modifiée. Sur les conseils russes, les dirigeants kurdes, qui sont en négociation depuis
toujours avec la République arabe syrienne, viennent lui faire allégeance sur la base russe d’Hmeimim [13]. Cependant certains membres de la direction du YPG contestent le renoncement au
Rojava.
Le 14 octobre, le président Donald Trump prend des sanctions contre la Turquie. Elles sont purement symboliques et permettent à Ankara de
poursuivre son attaque sans prendre garde aux critiques [14].
Le président Donald Trump a ainsi réussi à mettre fin à la question du Rojava.
L’armée russe a investi les bases US, abandonnées par les GI’s, manifestant la place que Moscou occupe désormais dans la région en remplacement de
Washington.
La Syrie, tout en dénonçant l’intervention turque a libéré un quart de son territoire.
La Turquie règle la question du terrorisme kurde et envisage de régler celle des réfugiés syriens.
La tentation sera grande pour elle de ne pas s’arrêter là.