Les armes légères utilisées lors des combats en Ukraine
Source : Stratpol - Le 27 novembre 2023 par Olivier CHAMBRIN Armes légères OTAN
Les affrontements en Ukraine ont vu la presse occidentale égrainer nombre « d’armes miracles » (Wunderwaffen dans
le texte), de « game
changers » et autres systèmes d‘armes supposés pouvoir renverser le cours de la guerre ou jouer un rôle stratégique[1]. Dans ce cadre, il ne peut évidemment s’agir que de moyens lourds (dans cet ordre d’apparition : drones turcs, missiles guidés antichars
occidentaux, artillerie de haute précision occidentale, chars occidentaux, missiles à longue portée occidentaux et indigènes, bientôt chasseurs bombardiers F16). Il faut y voir une
survivance du culte germanique (les Anglo-saxons entrent dans la catégorie, la doctrine et la pensée militaire US ayant été profondément pénétrée dans les années 60 et 70 par l’expérience
et la vision -biaisée- de la Wehrmacht dans
le combat contre les Soviétiques) de la technologie teintée d’hybris,
ainsi qu’une forme de « pensée magique »[2]. L’OTAN[3] est dominée par un complexe militaro industriel et des procédures juridiques et administratives qui font la part belle, via des marchés publics,
aux achats à des sociétés privées. Les deux facteurs précédents, conjugués avec le besoin d’exister budgétairement des militaires, poussent à une « gadgétisation » qui exagère
les effets réels des produits de haute technologie[4] et ignorent le double impératif de la masse et de la durée, fondamentaux dans une guerre industrielle.
Cependant, les combattants usent aussi d’armes légères et de petit calibre, ALPC, terme adopté dans les textes internationaux comme équivalent francophone
de la notion de small
arms.
Sur la base soviétique se sont développés deux paradigmes d’équipement différents
Lors de l’effondrement de l’URSS et malgré la création de la Communauté des Etats indépendants (CEI), l’entité kiévienne a récupéré la plupart des
attributions étatiques de la République Soviétique Fédérative d’Ukraine -dont ses frontières- en particulier les appareils de force, sécuritaires et militaires. Malgré l’existence sur son
sol d’une industrie d’armement (chars, aéronautique, munitions, missiles…) l’Ukraine post-1991 ne s’est pas doté d’un organe centralisé gouvernemental de procurement.
Outre un considérable arsenal hérité de l’URSS (pillé pour permettre des profits privés[5]) les forces de défense et de sécurité se sont appuyées sur une industrie de l’armement léger autochtone (notamment la firme FORT, en collaboration
avec Israël et d ‘autres pays tiers) et sur une ouverture aux produits étrangers. Ainsi, les matériels ne sont pas adoptés mais approuvés, ce qui permet une marge considérable
d’équipement personnel ou d’origine non-étatique ; dès 2015 et surtout 2016, le régime de Kiev a bénéficié de transferts d’équipements en même temps que de formation pour permettre à
son armée d’être OTANo-compatible.
Depuis 2022, pour contrer la SVO russe, les Etats du monde occidental en général (incluant Israel et la Corée du Sud) ont déversé un nombre considérable
d’armements légers qui complètent le patchwork ukrainien ; bien que les Brigades levées pour remplacer celles qui ont fondu sur le front soient plus ou moins standardisées autour des
moyens occidentaux qui ont remplacé le matériel initial, quasiment totalement détruit au combat, le suivi logistique de ces parcs hétérogènes est un véritable casse-tête. Concernant
l’armement léger cela pose surtout la question des munitions pour des calibres différents ; le maintien en condition per
se n’est pas réellement un problème au vu de la durée de vie limitée et des taux d’attrition constatés, qui postulent plutôt des rééquipements systématiques et successifs. De
plus, l’armement individuel a un caractère secondaire dans le cadre de cette guerre de haute intensité.
Le modèle russe dispose d’une organisation plus structurée. Toutefois, le système des gouverneurs militaires a laissé subsister certaines disparités ;
lors de la seconde phase de la SVO, les dotations en armements légers n’ont pas toujours été optimales (armes parfois mal stockées et remises aux unités rouillées et en mauvais état), ni
les modalités de recrutement et de formation au début du rappel de 300 000 réservistes. Néanmoins, les flottes de l’armée fédérale, qui associent aussi des héritages soviétiques
(notamment des stocks de munitions qui ont permis d’obtenir la supériorité de feu), des moyens proprement « russes », et désormais des produits issus des enseignements des
affrontements (drones iraniens, missiles lourds nord-coréens, moyens thermiques chinois, nouveaux matériels russes) sont globalement plus cohérentes. Le hiatus entre les pratiques de Kiev
et de Moscou est particulièrement vrai concernant les armements légers.
Y a-t-il une utilité des armes blanches au combat ?
Au-delà de la propagande britanno-kievienne[6] relative à l’emploi des pelles de tranchée comme moyen de combat des troupes russes (un narratif qui vient peut-être de l’emploi de cet outil
dans les démonstrations des spestnatz),
il est intéressant de noter que le conflit a donné lieu à l’apparition sur le marché privé russe de plusieurs types de poignards de combat ; plutôt qu’une résurgence des pratiques et
des besoins des nettoyeurs de tranchée, on peut y voir une matérialisation de « l’esprit commando », au fondement personnel et mythique[7] (il est généralement autorisé de s’offrir et porter une lame personnelle, ce qui n’est pas vrai des armes à feu, du moins du côté de la
Fédération de Russie, car Kiev semble plus tolérante à cet égard). De même, les armes de poing sont très en faveur au sein des forces Otano-kiévienne, mais il s’agit d’une transposition
de la notion US de double dotation[8], qui bénéficie d’une offre locale importante (et souvent illicite), mais probablement pas d‘un véritable besoin opérationnel généralisé[9]. On observe le port de la deuxième arme assez fréquemment, qu’il s’agisse d’anciens TT33, de PM makarov, voire de Stechkine de l’ère soviétique, ou
bien de FORT, Glock et S&W 320 récents. Côté russe, les PM makarov coexistent avec le pistolet Grach réglementaire, et plus rarement des pistolets étrangers. Lorsque les Républiques
de Lougansk et de Donetsk se défendaient avec leurs milices avant qu’elles soient intégrées à l’armée russe, les dotations étaient souples et diversifiées. De même, la PMC Wagner (Частная
Военная Компания (ЧВК) «Вагнер») tolérait le port d’armes étrangères et d’armes de poing, et E. Prigojine affectionnait le PA Glock, mais l’armée fédérale reste plus rigide en la
matière.
On a pu observer des unités ayant mis baïonnette au canon, mais cela doit probablement s’interpréter comme un élément de facteur moral et/ou lié à la
conduite des prisonniers de guerre (c’est toujours une procédure enseignée dans l’armée française). Contrairement à ce que l’on a pu lire, il n’y a pas de tactique dans l’armée russe de
« vagues humaines » se ruant à l’assaut en rangs serrés ; sur le modèle des procédures définies par Wagner, à Soledar et Bakhmut, les procédures d’assaut russes, passent
par l’investissement des points d’appui ennemis par des groupes de 12 à 15 hommes, épaulés par des appuis collectifs et des drones, qui s’infiltrent et procèdent à une réduction des
résistance isolées. Les Ukrainiens tentent pour leur part des infiltrations appuyées par des blindés légers mais évitent aussi les concentrations qui se font broyer par l’artillerie et
l’appui aérien.
Dans les deux camps s’imposent la permanence et l’ubiquité de la famille Kalashnikov
Le fusil d’assaut, conçu pour un usage à portée relativement réduite (par rapport au fusil d’infanterie traditionnel) se prête bien aux affrontements en
milieu urbain ou dans des positions retranchées. Il n’est ni trop long, ni trop lourd, délivre une capacité de feu et une efficacité terminale satisfaisantes contre les personnels et les
protections. C’est pourquoi le fusil d’assaut est l’arme individuelle la plus répandue au sein des deux armées. Dans les deux camps se sont développées les mêmes tendances, emploi
d’optiques facilitant le tir réflexe[10], emploi fréquent de silencieux, emploi courant de dispositif lance-grenades associé au fusil (UBL, under
barrel launcher). Ces évolutions, initiées lors des conflits au Viet-Nam et en Afghanistan, se sont confirmées et généralisées avec ceux de Tchétchénie, d’Irak et d’Afghanistan.
Parallèlement, une gamme d’armes complémentaires, collectives ou individuelles, a été développée pour pallier les carences ou limitations des fusils d’assaut.
Les deux camps recourent aux armes du système Kalashnikov, de fabrications et origines diverses:
Les Russes emploient naturellement des armes de fabrication russes (AK 12, AK 74 M), voire soviétiques (AKM, AKsU, AK74).
Les Kiéviens alignent un arsenal plus hétérogène ; on y trouve des armes de l’Ex-URSS, éventuellement produites en Ukraine (AKM, AKsU, AK 74), serbes
(M70 AB2), bulgares, roumaines (AIS et PM63), polonaises (KbK Tantal). Le calibre de choix est le 5,45×39 des AK74 et AK74M. Il offre une tension de trajectoire favorable en termes de
précision[11], facilite le contrôle des tirs en rafale, recule et pèse moins que le 7,62×39 qui reste toutefois employé par certaines unités, par disponibilité
ou par choix. La balistique terminale de cette cartouche est intéressante sur les protections comme casques ou gilets pare-balles grâce à son insert en acier, et l’effet lésionnel est
satisfaisant, notamment grâce à un effet de bascule dû au déplacement du centre de gravité lié au mouvement interne de l’insert vers le vide à la pointe de l’ogive. Dans des combats
d’infanterie jusqu’à 200 mètres, la capacité d’atteindre une silhouette humaine est bonne ; en moyenne ces armes offrent une précision de 3 à 5 MoA- minute
of angle – c’est-à-dire une dispersion de 9 à 15 cm à 100 mètres, c’est deux fois plus qu’un bon M4, mais cela suffit largement à toucher la cible.
Le cahier des charges exige de pouvoir toucher avec une gerbe une cible de la taille d’un véhicule léger ou d’une équipe de pièce à 500 mètres, ce qui est
optimiste mais faisable. Dans des véhicules, des abris ou des tranchées, cette arme offre une fiabilité reconnue, un encombrement acceptable, la capacité de tirer en automatique avec un
bon contrôle et à une cadence raisonnable ; on peut reprocher une flamme de bouche peu discrète et donc défavorable lors de combats positionnels. Dans le rôle pour lequel il est
conçu -ce n’est ni un fusil de précision, ni une mitrailleuse légère- le système Kalashnikov ne souffre d’aucune critique particulière[12]. Les combats ont eu lieu en ambiance urbaine, en espaces confinés, en espaces ouverts en rase-campagne, apparemment sans mettre en lumière des
déficiences ou des carences.
Evolutions, modernisations et extensions capacitaires
Il n’est pas question ici de se lancer dans un inventaire à la Prévert, tant les adaptations sont nombreuses et personnalisées. On peut en revanche noter
les tendances générales, de manière non exhaustive:
Les armes soviétiques d’origine sont désormais souvent modifiées. Ainsi, le couvre-culasse est souvent muni d’un rail Piccatinny Mil Std 1913, Weaver, ou
équivalent, qui permet de fixer des optiques. Outre la gamme des lunettes de tir à grossissement (NPZ et VOMZ russes, POSP, OBZOR, PO, ou modèles occidentaux, militaires ou civils) pour
lesquelles l’emploi du rail latéral d’origine est préférable -car plus stable que le couvre-culasse- on observe de nombreux viseurs reflex à point rouge non projeté ; en effet,
malgré le maintien d’appareil de visée métalliques, les armes modernes sont toutes configurées pour permettre l’emploi de ces aides à la visée.
Les Russes alignent des produits occidentaux acquis avant les sanctions, de qualité militaire comme les AIMPOINT ou EOTech, voire ACOG[13] ou des produits commerciaux (FALKE, BURRIS, DOCTER et tant d’autres). Il existe également une production russe du 1P87, partie du système
Ratnik (le soldat du futur russe) pour lequel est adaptée le nouveau fusil kalashnikov AK 12. L’industrie russe a produit pour l’armée, la police, le tir sportif ou la chasse toute une
gamme d’optiques proches des Aimpoint civils et militaires, L3 EOTech et autres. Les modèles VOMZ, KOBRA ont été développés à partir des enseignements de la Tchétchénie. La Biélorussie
propose également des optiques appréciées (BELOMO dont les lunettes PSOP équipent les fusils Tigr dans le Donbass avec celles de NPZ), lunettes de grossissement adaptées aux différents
calibres russes ou occidentaux (en calibrant le compensateur de flèche), ou désignateurs réflexes.
Les soldats de Kiev et les volontaires internationaux sont dotés d’une riche collection de matériels de provenances diverses, on notera que les fusils
Diemaco canadiens sont équipés de la couteuse lunette ELCAN.
Evolution plus récente, les moyens d’observation nocturne et de visée comprennent désormais des dispositifs à repérage thermique couplés au réticule. Dans
les deux camps, ces moyens sont extrêmement efficaces et redoutés. La Russie a développé ses propres modèles, à base de composants chinois que les Ukrainiens jugent performants. De leur
côté ces derniers emploient non seulement des matériels occidentaux mais disposent d’une capacité de production locale (certaines usines ayant été délocalisées sur le territoire de L’UE
pour échapper aux frappes en profondeur). On notera que les deux camps recourent à un approvisionnement parallèle par le marché privé, les communautés de soutien fournissant les moyens
financiers de procéder à des achats d’équipements commerciaux, pour les deux parties.
Les témoignages et la veille photographique montrent que des AKM ou AK74 de base sont parfois munies de lunettes de visée à grossissement, bien que pas
reconnues pour leur grande précision, et alors que des armes spécifiquement orientées vers cet emploi sont distribuées. Appelées DMR pour designated
marksmen rifle par les US, il s’agit de fusils un peu plus précis que le fusil d’assaut standard qui apportent un peu d’allonge et d’appui, sans nécessiter la formation et le
coût d’équipement des armes de précision. Dans l’armée soviétique et la française, la doctrine confiait ce rôle au tireur d’élite du groupe de combat, qui pouvait de plus assurer
certaines missions spécifiques. Mais la mythologie du « sniper » à l’anglosaxonne n’était pas retenue (v. infra).
Le tir de combat avec une optique généralisé à tous les fantassins est donc une des évolutions majeures de l’armement individuel au XXIéme siècle, qui
impose des positions adaptées mais accélère considérablement la rapidité de la prise de visée et l’efficacité des tirs.[14] L’armée russe n’a pas systématisé la dotation à toutes ses formations mais elle est assurée pour les unités de mêlée.
Une autre tendance contemporaine à laquelle sacrifient les deux armées tient dans l’accessoirisation de l’arme individuelle : Lampe, désignateur laser
(qui projette un point visible à l’œil ou via un système de vision nocturne sur la cible), modifications ergonomiques, sont désormais considérées comme normales. Quoiqu’il existe
différentes versions de crosses repliables ou télescopiques sur les AK indigènes, on peut voir nombre d’AK modifiées avec une crosse « occidentalisée » de type M4 SOPMOD,
principe d’ailleurs intégré de série sur l’AK 12. L’emploi du silencieux semble également assez répandu. L’AKM disposait d’un réducteur de son en deux coquilles tirant une munition
subsonique en 7,62×39. Les Fusils en 5,45mm ainsi équipés sont évidemment moins bruyants, mais aussi plus difficile à repérer visuellement, grâce à la réduction de la flamme de
bouche et du blast (qui
soulève la poussière quand on tire couché, fait bouger branches et feuillage etc.) ; c’est un accessoires très utiles aux éclaireurs, mais aussi dans les espaces clos sur certains
terrains (Marioupol, Soledar…).
Certains fusils sont munis du lance-grenade de 40 mm 6G21 dit GP-30 Obuvka, une évolution du Kastyor GP 25 des années 70. Il peut tirer la grenade VOG 25 ou
la version airbust VOG 25P, moins chargée en TNT mais qui explose en l’air après un rebond, ce qui est utile contre des personnels retranchés. En dotation normale dans le groupe de combat
russe à deux exemplaires, on le trouve aussi chez les Ukrainiens, montés sur AKM ou AK74. Il semble toutefois qu’en matière de tir individuel les soldats apprécient les lance-roquettes
jetables (RPG 18 et 22 encore disponibles, voire Borodash lance-flamme unique, pour ne pas consommer les RPG 27 et 28 destinés à détruire les chars modernes protégés par surblindages et
protection active) y compris sur des personnels abrités en abri ou bunker. Le lance-grenade automatique Plamya (AGS17)
et son évolution AGS 30 sont plébiscités, à la fois pour sa puissance de saturation et sa trajectoire courbe et sa masse raisonnable. C’est une arme qui peut être transporté en urgence et
déplacé par un servant seul (30 kg) et qui est employé notamment pour appuyer les mouvements des snipers amis et museler les snipers ennemis. Des équivalents Otaniens Mk19 de 40mm ont été
saisis et testés et un nouveau lanceur en 30mm apparaît.
Les adversaires alignent les mêmes équipements ou équivalents occidentaux, lance-grenades de 40 mm UBL divers (Eagle canadien, Module M 320 étatsunien, FORT
600, une pure copie du GL 06 de Brugger et Thomet qui est le Lanceur de balle de défense de la police française, ancien M203 US, module adapté au FN 2000, RGP 40 polonais inspiré du
lanceur à barillet MILKOR sud-africain…), lance-grenades automatiques Mk 19 et lance-roquette jetable. Bien que certains fusils livrés par l’OTAN disposent d’une capacité de tir de
grenades (FLG) il ne semble pas y avoir beaucoup d’occurrences de tir. Une vidéo de novembre 2023 près d’Avdivka montre un peloton de Kiev sortir une grenade antichar en entendant les
bruits de chenilles de chars russes, mais il préfère décrocher avec ses blessés sans combattre. Il est certain que les missiles guidés (Anti
tank guided missiles, ATGM) ont la part balle face aux blindés en mouvement ; ce fut le cas au détriment des Russes dans la première phase de la SVO, puis des Ukrainiens depuis
l’été 2023. Il est beaucoup plus périlleux et hasardeux de tenter une attaque face à plusieurs chars coordonnés avec une simple grenade à fusil, à une distance bien moindre (400M au
mieux, pour cinq à dix fois plus avec un ATGM).
Certains spécialistes de l’armée fédérale transportent un AK en plus d’une autre arme, lance-roquette ou fusil de précision. C’est peut-être pourquoi une
nouvelle arme est apparue récemment. Avec un gabarit et une masse réduite qui tiennent du PM, mais une cartouche intermédiaire, ces armes évoquent quelque peu les armes du programme
« Arme individuelle de défense/personal
defence weapon » de l’OTAN, c’est-à-dire le FN P90 en 5,7×28 et le HKM7 en 4,6×30.
Apports extérieurs aux parcs d’armes légères, l’éternelle rivalité M16/AK
L’arsenal de Kiev est très diversifié. Outre les AKM, AKMs, AKsU AK74 déjà évoqués, un certain nombre d’armes anciennes ont été sorties des arsenaux. Cela
n’est pas forcément mauvais ; Ainsi une mitrailleuse Maxim PM de 1910 à refroidissement par eau, approvisionnée et embusquée est capable de tirer quasiment sans jamais s’arrêter, en
saturant une zone et en interdisant tout mouvement, comme cela a été démontré pendant le premier conflit mondial. Un fusil Mosine-Nagant 1892 modifié pour tireur d’élite en 1930, reste
capable de tirs précis jusqu’à 800 mètres. La létalité intrinsèque d’armements vieux d’un siècle et plus n’a pas pour autant diminué. Naturellement, c’est leur intégration dans la
doctrine et les procédés de combat qui peut être sujette à caution. Quelques fusils-mitrailleurs Degtgtyarev DP 27 et quelques pistolets-mitrailleurs Shpagin PPSh 41 ou Sudaiev PPS 43 ont
été observés au début du conflit, mais il ne s’agissait que de pis-aller[15]. Des fusils antichars Simonov et Degtyarev ont également servi d’armes à longue portée, de manière marginale. Les unités des milices populaires ont
également souffert de manques et on a pu observer des carabines à répétition Mosine 1944 comme arme individuelle, ce qui en revanche constituait un évident sous-équipement.
L’aide occidentale s’est matérialisée dans la distribution de nombreuses armes légères
On retrouve de nombreux clones d’AR15/M16. Les 5000 M4, M4A1 et FN M16A4 des FMS (foreign
military sales, une facilité du Département d’Etat US au profit des états vassaux, enfin alliés) côtoient 13 000 M16A4 déclassés de l’USMC et des Mk 18 CQBR block II ainsi que de
nombreuses fabrications commerciales (SIG MCX, Bushmaster X15, ADAMS Arms, H&K MR223 civils…). La firme française Verney Caron, reconnue pour ses armes de chasse et rachetée par la
société Cybergun, a lancé une gamme « Lebel » qui comprend un clone du M4. Cette arme, qui n’avait pas pu être présentée pour l’appel d’offre de remplacement du FAMAS pour
l’armée française, a été retenue pour équiper les forces spéciales marocaines. Un contrat-cadre signé avec la société d’État ukrainienne Ukrspecexport prévoit la fourniture de 10 000
fusils d’assaut (VCD15), 2 000 fusils de précision (VCD 10) et 400 lance-grenades. Le ministère de l’Intérieur a procédé à une évaluation discrète de cette arme qui a démontré une
excellente qualité, comparable aux bonnes itérations du M4 aux USA. Cette présence de l’arme d’E. Stoner s’explique puisqu’elle est emblématique de l’Occident et qu’elle a équipé nombre
des volontaires étrangers venus “tuer du russe” en Ukraine[16]. Les livraisons ont compris les excellents C7 et C8 canadiens de Diemaco/Colt Canada (qui conservent le soufflage direct du système AR 15 originel,
mais plus fiables que les versions US). Le fusil H&K 416 dans la version A2 (Dutch) a été donné par les Pays-Bas qui ont rééquipé leurs forces spéciales avec des modèles
A5[17]. Le tableau ci-après liste les livraisons d’armes dont s’est fait écho la presse. Il est incomplet, comme en témoigne l’observation des sources
ouvertes et les quantités ne sont pas vérifiées[18] (par convention, les armes collectives ont été retirées des listes).
Fusils d’assaut C8 Pistolets Glock Fusil de sniping Prairie gun Fusils de sniping lourd
21 000 600 40 78
Croatie
Fusils d’assaut FN FAL Fusils d’assaut Zastava M70
5000 35 000
Estonie
Fusils d’assaut M14 Pistolets
35 000 150
Le calibre 5,56×45 OTAN, malgré des polémiques plus ou moins artificielles, se compare au 5,45mm dans sa version à insert acier (M 855 ou M 855A1, SS 109)
avec des performances assez proches. La portée et la précision sont meilleures en théorie. Dans le vrai combat, ces aptitudes papier sont affectées par les conditions extérieures et
l’état du tireur et le différentiel entre les différents fusils d’assaut est finalement réduit. Alors que les faiblesses de certains matériels lourds occidentaux ont été rapidement
soulevées (obusiers M 777 non prévus pour un usage intensif, AMX 10 RC trop faiblement blindé…) il ne semble pas y avoir de récriminations sur la famille M16, y compris en matière de
fiabilité en environnement boueux. Cela rend hommage à 40 ans de modifications pour rendre cette arme fiable, mais s’explique aussi peut-être par la population concernée : Beaucoup
de mercenaires occidentaux rôdés à l’emploi de ces armes, des tireurs issus du sportif en Ukraine et ailleurs qui connaissent bien cette plate-forme et des unités spéciales qui prennent
soin de leur équipement.
On peut voir des fusils belges de la FN, vénérables FAL en 7,62×51 OTAN et FNC en calibre 5,56×45 OTAN, des CZ BREN 2 tchèques en 7,62×39[19] et en 5,56×45 OTAN, et même des H&K G36 allemands ; Leur provenance est incertaine, stocks de la Bundeswehr qui
doit se rééquiper avec un nouveau fusil d’assaut, stock espagnol ou lithuanien, ou production sous licence[20] ? Le G36 a souffert d’une campagne de presse[21] de discréditation, aucun fusil d’assaut ne peut être employé comme une mitrailleuse légère sans en pâtir, quelle que soit sa qualité ;
sur les questions de perte du zéro (Point
of impact shift) liée à la température et à la composition en polymère du châssis support du canon, les études décidées par la Bundeswehr n’ont pas apporté de réponse totalement
convaincante et définitive[22]. En tous cas le G36 est une arme particulièrement fiable et la notion de précision du tir reste extrêmement discutable en situation de combat. Lors
de la formation subie au Royaume Uni, on voit également des fusils bulgares Arsenal SR M9 en calibre 5,56×45 aux mains de soldats ukrainiens. Il ne s’agit pas d’armes fournies par Sofia,
ni de surplus du Pacte de Varsovie, mais donc d’achats récents. De semblables fusils avaient été acquis en masse par les USA pour équiper les forces irakiennes (la police afghane recevant
des AMD 65 Hongrois acquis de la même manière) et la France avait également commandé secrètement des fusils de ce type pour fournir les rebelles libyens. En l’espèce il s’agit très
certainement d’acquisition du MoD britannique en vue de disposer d’un parc d’armes de type Kalashnikov pour entrainer les forces ukrainiennes qui viennent se former par brigades
entières[23]. Le choix du calibre OTAN fait sens dans ce cadre et ces armes ne seront probablement pas expédiées en Ukraine.
L’Ukraine a choisi de maintenir les calibres soviétiques (9×18, 7,62×39, 5,45×39, 7,62x54R, 12,7×108) par nécessité, de s’ouvrir aux calibres OTAN (9×19,
5,56×45, 7,62×51, 12,7 x 99) et à d’autres calibres occidentaux (.338 Lapua magnum, .300 Winchester magnum). Nous excluons ici les armes collectives, mitrailleuses polyvalentes et
lourdes, ainsi que les armes de précision qui feront l’objet d’une étude séparée. A côté des fusils d’assaut, la catégorie que les Anglosaxons appellent « battle
rifle », notre « fusil de guerre » se caractérise par un plus gros calibre et une plus grande puissance. Les armes chambrées en calibre 7,62 OTAN se prêtent bien à un
emploi comme DMR (v. supra),
dans un rôle d’appui. Les forces russes ont développé un équivalent et une catégorie atypique avec les armes en calibre 9×39, AS val ou VSS et leurs nouvelles déclinaisons ASM et VSSM.
Ces armes plus légères et moins encombrantes sont adaptées au tir de précision avec silencieux (équivalent au .300 Whisper, peu ou prou) à distance réduite.
Cela nous amène au sujet des armes de sniper, éléments d’un système complet qui justifie une étude à part des matériels et des tactiques innovantes
développées dans le cadre de ces affrontements…
Ancien officier de l'Armée de Terre ayant servi comme analyste-renseignement en ambassade et dans la Police Nationale
[1] A part l’arme nucléaire, aucun système ne peut en réalité prétendre à jouer un rôle véritablement stratégique, quoique l’on ait pu dire ou écrire
sur le sujet à propos de l’artillerie de précision, par exemple. C’est l’erreur de fond des commentaires sur le rôle des blindés dans sa fameuse offensive ukrainienne.
[2] Les responsables occidentaux ont opéré une décorrélation de leur univers mental d’avec la réalité, favorisée par les techniques et les instruments
d’altération de la perception du Réel développées au sein de nos sociétés.
[3] Principalement les USA où la production militaire a été depuis longtemps totalement confiée à des sociétés, aucun arsenal d’Etat n’existant plus,
un modèle repris en Europe et notamment en France. On rappellera ici le discours prémonitoire du président Eisenhower et la volonté du général de Gaulle d’ancrer la souveraineté nationale
dans les travaux d’entités étatiques, dans la ligne des efforts de réarmement du pays après 1945.
[4] Il ne s’agit pas ici de les nier ou de prétendre que les technologies sont sans effet, mais hors du cadre des conflits expéditionnaires il apparaît
que leur rendement réel est bien plus médiocre que ce qui a été affirmé.
[5] Le film « Lord of war » en donne une version romancée mais pas fondamentalement fausse.
[6] Les médias Us s’avèrent plus fiables, curieusement.
[7] La démarche n’est pas sans rappeler le développement d’une industrie de firmes privées, nourrie par les interventions en Afghanistan et en Irak
pour les Etatsuniens
[8] Les puristes remarqueront que l’idiosyncrasie attachée aux armes de la famille AR 15 correspond à une vision de personnels habitués à la
manipulation d’un pistolet, alors que l’ergonomie des Kalashnikov correspond davantage à un public d’utilisateurs de fusil.
[9] Toutefois, des snipers ukrainiens ont été vus avec des pistolets russes Grach, probablement saisi au combat, ces spécialistes semblant être
systématiquement armés d’une arme de poing, ce qui a du sens. On note également les quantités importantes d’armes de poing fournies aux forces de Kiev (v. tableau infra)
[10] Le montage latéral soviétique (codé N) côtoie de plus en plus le système de rail Piccatiny d’ailleurs de série sur l’AK 12
[11] La balle de la munition de 7,62×39 connaît une flèche importante qui réduit sa portée utile
[12] C’est souvent le cas : sauf armes souffrant réellement d’un vice de conception ou de fabrication, ce qui est désormais très rare, les
utilisateurs au combat sont finalement moins critiques et exigeants que les experts sur banc ou les détenteurs administratifs qui ne font pas la guerre, avec des attentes plus
raisonnables
[13] Lors de l’intervention russe en Syrie, les formateurs de Moscou étant dotés de telles optiques, souvent des EOtech XPS, ils ont décidé que leurs
stagiaires syriens qui réussiraient les qualifications se verraient offert le même dispositif car il paraissait non éthique de les envoyer au combat sans être à parité avec leurs
instructeurs.
[14] Cela a été mis en évidence lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan, avec des Retours d’expérience massifs et recoupés
[15] En mai 2023 en marge des combats pour Soledar, Wagner sest emparé dun vaste dé^pot souterrain datant de l’époque soviétique, où furent filmées
des armes anciennes, Maxim M1910, Mosine 1891, PPSh 41 et des Thomson M1 du prêt-bail.
[16] Dont l’enthousiasme semble un peu douché par les réalités de la guerre industrielle, comme l’a confessé un Brit au Times « war here isn’t
like telley » : La guerre ici ce n’est pas comme à la télévision)
[17] Pour mémoire, le HK416 F qui équipe l’armée française est une version spécifique.
[18] Les sources officielles ont tendance à livrer des blocs d’équipement et des montants financiers mais rarement le détail des armes ; de plus,
les sites comme Oryx sont notoirement partiaux, comme Bellingcat, officine des services du MI 6 britannique.
[19] Pour l’anecdote, arme sélectionnée par le GIGN français, pour son calibre 7,62 kalashnikov associé à une ergonomie occidentale
[20] La piste lithuanienne semble la plus probable puisque Vilnius entraine officiellement les militaires ukrainiens
[21] Avec l’aval de l’ex-ministre de la Défense, Ursula Vd Leyen, impliquée dans des affaires liées aux marchés et catapultée à la tête de la
Commission européenne où elle a pu négocier des contrats surprenants et toujours secrets avec Pfizer.
[22] Le sujet est hors cadre de cette étude sur les matériels déployés en Ukraine
[23] Ce sont ces troupes fraiches qui devaient porter l’offensive d’été de Kiev et ont quasiment entièrement disparues dans la fournaise.