« L'impérialisme humanitaire a fait de la Libye un cauchemar »
Source : ELUCID - par Chris Hedges - Le 24/10/2023.
L'intervention militaire de l'OTAN en Libye en 2011 – qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi – a laissé sur son passage un État en déliquescence,
désorganisé et criminel. Les conséquences catastrophiques de la récente inondation du port de Derna et de Benghazi font partie du très douloureux tribut que les Libyens semblent condamnés à
payer.
« Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ». Rappelez-vous ce sarcasme lancé par Hillary Clinton à la suite du
renversement, du lynchage et de l'assassinat de Mouammar Kadhafi, après sept mois de bombardements des États-Unis et de l'OTAN. Mais Kadhafi ne devait pas être le seul à mourir. La
Libye, qui était autrefois le pays le plus prospère et l'un des plus stables d'Afrique, un pays où les soins de santé et l'éducation étaient gratuits, où tous les citoyens avaient
droit à un logement, où l'électricité, l'eau et l'essence étaient subventionnées, qui connaissait le taux de mortalité infantile le plus bas et l'espérance de vie la plus élevée du
continent, et où le taux d'alphabétisation était l'un des plus élevés, s'est rapidement morcelée en factions belligérantes. Actuellement, deux régimes rivaux s'en disputent le
contrôle et le pays compte un vrai réseau de milices rebelles.
Dans le chaos qui a suivi l'intervention occidentale, le marché noir a été saturé d'armes
provenant des arsenaux du pays, et beaucoup d'entre elles ont été récupérées par des groupes tels que l'État islamique. La société civile, quant à elle, s'est retrouvée paralysée. Des
journalistes ont pu obtenir des images de migrants originaires du Nigeria, du Sénégal et de l'Érythrée qui étaient tabassés et vendus comme esclaves pour travailler dans les
champs ou sur les chantiers de construction. Les infrastructures libyennes, notamment les réseaux électriques, les aquifères, les champs pétroliers et les barrages, se sont délabrées.
Et lorsque les pluies diluviennes de la tempête Daniel – la crise climatique étant
un autre cadeau du monde industrialisé à l'Afrique – ont englouti deux barrages vétustes. Des murailles d'eau hautes de plus de six mètres ont déferlé, inondant le port de Derna et
Benghazi, causant la mort de 20 000 personnes et entraînant la disparition de
quelque 10 000 autres selon Abdulmenam Al-Gaiti, maire de Derna.
« Dans le pays, les mécanismes de gestion et de réponse aux catastrophes sont extrêmement morcelés et les infrastructures se détériorent, ce qui ne fait qu'exacerber
l'ampleur des défis à relever. La situation politique est un vecteur de risque », a déclaré le professeur Petteri Taalas, secrétaire général
de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Selon lui, « la majorité des pertes
humaines » auraient pu être évitées si « le service météorologique avait fonctionné normalement, ce qui aurait permis d'émettre les alertes nécessaires et de
procéder à l'évacuation de la population ».
Le changement de régime opéré par l'Occident au nom des droits de l'Homme, dans le cadre de la doctrine « Responsabilité de Protéger » (R2P), a détruit la Libye –
tout comme l'Irak – en tant que nation stable et homogène. Les victimes des récentes inondations doivent en réalité être associées aux dizaines de milliers de morts libyens dus à
notre « intervention humanitaire ». C'est cette dernière qui, en réduisant les structures étatiques à néant, a rendu impossible toute forme de secours en cas de catastrophe. Nous
portons la responsabilité des terribles souffrances endurées encore aujourd'hui par la Libye. Mais l'Occident a la fâcheuse habitude, après avoir détruit un État au nom de la
protection des populations persécutées, à oublier l'existence de ces mêmes populations.
Dans « La société ouverte et ses ennemis », Karl Poppermet en garde contre la théorie de l'utopie et les
transformations radicales de la société, presque toujours imposées par la force et menées par ceux qui croient détenir la vérité révélée. Ces techniciens dogmatiques de l'utopie se
livrent à la destruction complète des systèmes, des institutions et des structures sociales et culturelles dans l'objectif vain de mettre en œuvre leur vision. L'histoire regorge de
projets sociaux utopiques et meurtriers – les jacobins, les communistes, les fascistes et aujourd'hui, à
notre époque, les mondialistes ou les impérialistes néolibéraux.
Comme l'ont été l'Irak et l'Afghanistan, la Libye a été victime de la dérive des partisans de l'interventionnisme à visée humanitaire : Barack Obama, Hillary Clinton, Ben Rhodes,
Samantha Power ou encore Susan Rice. Les membres de l'administration Obama ont armé et soutenu une
rébellion dont ils pensaient qu'elle servirait les intérêts des États-Unis. Dans un récent message, Obama a exhorté les gens à soutenir les organismes d'aide pour soulager les
souffrances du peuple libyen, un appel qui a suscité une réaction négative, brutale
et compréhensible sur les réseaux sociaux.
Aucun bilan officiel n'a été dressé concernant les victimes directes et indirectes des violences qui ont eu lieu en Libye au cours des douze dernières années. Aucune enquête officielle sur le bilan civil des sept mois
de bombardements de l'OTAN malgré les réclamations d'Amnesty International. Mais le nombre total de personnes tuées et blessées s'élève probablement à plusieurs dizaines de milliers.
L'organisation Action on Armed Violencea enregistré plus de 8 500 morts et blessés dus à des
explosions en Libye entre 2011 et 2020, dont plus de 6 000 victimes civiles.
En 2020, une déclaration commune de sept agences de l'ONU indiquait
que « près de 400 000 Libyens ont été contraints de fuir depuis le début du conflit, dont près de la moitié au cours de la dernière année, suite à l'attaque de la capitale
[par les forces du maréchal Haftar] ». « L'économie libyenne a été malmenée par la guerre civile, la pandémie de Covid-19 et l'invasion de l'Ukraine par la
Russie », a indiqué la Banque mondiale dans un rapport d'avril 2023 :
« La fragilité du pays a des répercussions économiques et sociales considérables. [...] Le PIB par habitant a diminué de 50 % entre 2011 et 2020, alors qu'il aurait pu
augmenter de 68 % si l'économie avait suivi sa tendance d'avant le conflit. Cela veut dire qu'en Libye, le revenu par habitant aurait pu être 118 % plus élevé sans le
conflit. [...] La croissance économique en 2022 est restée faible et volatile en raison des perturbations dans la production pétrolière liées au conflit. »
Le rapport 2022 d'Amnesty International au sujet de la
Libye est également très sombre :
« Les milices, les groupes armés et les forces de sécurité ont continué de détenir arbitrairement des milliers de personnes. Des dizaines de manifestants, d'avocats, de
journalistes, d'opposants et de militants ont été arrêtés et soumis à la torture et à d'autres mauvais traitements, ils ont été victimes de disparitions forcées et ont été
contraints de faire des "aveux" devant les caméras. »
Amnesty décrit un pays au sein duquel les milices opèrent en toute impunité et où les atteintes aux droits humains, notamment les enlèvements et les violences sexuelles, sont monnaie
courante. L'organisation ajoute que « les garde-côtes libyens avec le soutien de l'UE et les milices de l'Autorité de
soutien à la stabilité ont intercepté des milliers de réfugiés et de migrants en mer et les ont placés de force en détention en Libye. Les migrants et les
réfugiés détenus ont été soumis à la torture, à des exécutions extrajudiciaires, à des violences sexuelles et au travail forcé ».
Business is Booming – @Mr.Fish
Les rapports de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (UNSMIL) ne sont pas moins catastrophiques. Des stocks d'armes
et de munitions – estimés entre 150 000 et 200 000 tonnes – ont été pillés en
Libye, et beaucoup ont fait l'objet d'un trafic vers les pays voisins. Au Mali, les armes en provenance de Libye ont alimenté l'insurrection dormante des Touaregs, déstabilisant le
pays. Cela a finalement conduit à un coup d'État militaire et à une insurrection djihadiste qui
a pris le dessus sur les Touaregs, ainsi qu'à une guerre de longue haleine entre le gouvernement malien et les djihadistes. Une situation qui a conduit à une nouvelle intervention militaire française entraînant le déplacement
de 400 000 personnes. Des armes et des munitions en provenance de Libye ont également été introduites dans d'autres régions du Sahel, notamment au Tchad, au Niger, au Nigeria et au
Burkina Faso.
La détresse et les massacres, qui se sont propagés à partir d'une Libye complètement démantelée, se sont déchaînés au nom de la démocratisation, de la construction de la nation, de la
promotion de l'État de droit et des droits humains. Pour justifier l'assaut, on a invoqué le fait que Kadhafi était sur le point de lancer une opération militaire visant à massacrer
des civils à Benghazi, où des forces rebelles avaient pris le pouvoir. Ce prétexte était tout aussi valable que l'accusation selon laquelle Saddam Hussein possédait des armes de
destruction massive, un autre exemple de construction sociale utopique qui a fait plus d'un million de morts parmi les Irakiens et chassé des millions d'autres de leurs foyers.
Mouammar Kadhafi – que j'ai interviewé pendant deux heures en
avril 1995 près des ruines de sa maison qui avait été bombardée par des avions de guerre américains en 1986 – et Saddam Hussein ont été pris pour cible non pas en raison de ce qu'ils
faisaient à leur propre peuple, bien qu'ils aient tous deux fait preuve d'une très grande brutalité. Ils ont été visés parce que leurs pays possédaient d'importantes réserves de
pétrole qui échappaient au contrôle de l'Occident. Les deux hommes avaient renégocié avec les producteurs de pétrole occidentaux des contrats plus avantageux pour leur pays et octroyé
des contrats pétroliers à la Chine et à la Russie. Kadhafi avait également permis à la flotte russe
d'accéder au port de Benghazi.
Les courriels d'Hillary Clinton – obtenus grâce au droit d'accès à l'information et publiés par WikiLeaks – révèlent également les
inquiétudes de la France concernant les efforts de Kadhafi pour « proposer aux pays africains francophones une alternative au franc français (CFA) ». Sidney
Blumenthal, conseiller de longue date de Clinton, a fait état de ses conversations avec des officiers de renseignement français quant aux mobiles du président Nicolas Sarkozy,
principal artisan de l'attaque contre la Libye. Blumenthal écrit que le président français souhaite « une
plus grande quantité du pétrole libyen », une influence française accrue dans la région, une amélioration de son image politique intérieure, une réaffirmation de la
puissance militaire française et la fin des tentatives de Kadhafi de supplanter l'influence française en « Afrique francophone ».
Nicolas Sarkozy – qui a été inculpé dans deux affaires distinctes de corruption et
d'infraction à la législation sur le financement des campagnes électorales – risque un procès historique en 2025 pour avoir été accusé
d'avoir reçu de Kadhafi des millions d'euros de contributions illégales et
secrètes à sa campagne, afin que celui-ci le soutienne dans sa course victorieuse à la présidence en 2007.
Tels étaient les véritables « crimes » en Libye. Mais les vrais crimes restent toujours cachés, masqués par une rhétorique fleurie sur la démocratie et les droits de l'Homme.
Le modèle américain, fondé sur l'esclavage, a commencé par une campagne génocidaire contre les Amérindiens, laquelle a été exportée aux Philippines et, plus tard, dans des pays comme
le Viêt Nam. Tout ce que nous nous racontons sur notre « libération » de l'Europe lors de la Seconde Guerre mondiale – « libération » que nous
instrumentalisations pour justifier notre « droit » à intervenir dans le monde entier – n'est que mensonge. C'est l'Union soviétique qui a détruit l'armée allemande
bien avant que nous ne débarquions en Normandie. Nous avons bombardé des villes en Allemagne et au Japon, tuant des centaines de milliers de civils.
La guerre dans le Pacifique Sud, où l'un de mes oncles a combattu, a été sauvage, marquée par un racisme forcené, des mutilations, des tortures et l'exécution systématique de
prisonniers. Les bombardements atomiques d'Hiroshima et de
Nagasaki ont été des crimes de guerre particulièrement odieux. Les États-Unis détruisent régulièrement les démocraties qui nationalisent les entreprises américaines et européennes,
comme au Chili, en Iran et au Guatemala, et les remplacent par des régimes militaires répressifs. Washington a soutenu les génocides au Guatemala et au Timor oriental. Les Américains s'adonnent à la guerre
préventive, véritable crime. En réalité, notre histoire ne nous permet guère de nous prévaloir de vertus américaines qui seraient sans équivalent.
Les cauchemars que nous avons orchestrés en Irak, en Afghanistan et en Libye sont banalisés ou passés sous silence par la presse, tandis que les résultats positifs en sont amplifiés
ou inventés. Et comme les États-Unis ne reconnaissent pas la Cour pénale internationale, il n'y a aucune chance pour qu'un dirigeant américain soit tenu pour responsable de ses
crimes.
Les défenseurs des droits de l'Homme sont devenus un rouage essentiel du projet impérial. Ils affirment que le renforcement de la puissance américaine est une véritable arme au
service du Bien. C'est la thèse du livre de Samantha Power « A Problem
from Hell : America and the Age of Genocide » (Un problème venu de l'enfer : l'Amérique à l'ère du génocide). Ils se font les champions de la doctrine R2P, adoptée à l'unanimité en 2005 lors du sommet
mondial des Nations unies. En vertu de celle-ci, les États sont tenus de garantir le respect des droits de l'Homme pour leurs citoyens. Lorsque ces droits sont violés, la souveraineté
est invalidée. Les forces extérieures sont autorisées à intervenir. Miguel d'Escoto Brockmann, ancien président de l'Assemblée générale des Nations unies, avait prévenu en 2009 que la responsabilité de protéger
pourrait être utilisée à mauvais escient « pour justifier des interventions arbitraires et sélectives contre les États les plus faibles ».
« Depuis la fin de la Guerre froide, l'idée des droits de l'Homme a été érigée en justification des interventions des principales puissances économiques et militaires du
monde, au premier rang desquelles les États-Unis, dans des pays vulnérables à leurs attaques », écrit Jean Bricmont dans Impérialisme humanitaire : Droits de
l'Homme, droit d'ingérence, droit du plus fort ? :
« Avant l'invasion américaine de l'Irak, [une] grande partie de la gauche était souvent complice de cette idéologie de l'intervention, découvrant de nouveaux “Hitler” au fur et à
mesure que la nécessité s'en faisait sentir, et dénonçant les arguments anti-guerre comme étant une forme de complaisance, sur le modèle de Munich en 1938 ».
La doctrine de l'intervention à des fins humanitaires est sélective. La compassion est accordée aux victimes « dignes », tandis que les victimes « indignes » sont ignorées. Une
intervention militaire est bénéfique dans le cas des Irakiens, des Afghans ou des Libyens, mais pas dans le cas des Palestiniens ou des Yéménites. Les droits humains sont censés être
sacro-saints lorsqu'il est question de Cuba, du Venezuela et de l'Iran, mais ils n'ont aucune importance dans nos colonies pénitentiaires offshore, dans la plus grande prison à ciel
ouvert du monde à Gaza, ou dans nos zones de guerre infestées de drones. La persécution des dissidents et des journalistes est un crime en Chine ou en Russie, mais pas lorsque les
cibles sont Julian Assange et Edward Snowden.
Les politiques sociales dogmatiques à caractère utopique sont toujours catastrophiques. Elles créent des vides de pouvoir qui augmentent la souffrance de ceux que les utopistes
prétendent protéger. La faillite morale de la classe libérale, que j'ai décrite dans La mort de l'élite progressiste, est totale. Les libéraux ont prostitué leurs
prétendues valeurs à l'Empire. Incapables d'assumer la responsabilité du carnage qu'ils infligent, ils réclament davantage de destruction et de mort pour sauver le monde.
Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges
Source : Scheerpost — 17/09/2023
Veille géopolitique hebdomadaire sur la Libye
...par Marc Adan Ourradour (Stagiaire chez Geopragma)
Des missions de déminage sont menées par les forces du GNA avec l’aide d’équipes spécialisées turques.
Exercice de l’aviation turque le long des côtes libyennes.
13/06
Le ministre de la défense turc a déclaré avoir mené des exercices militaires conjoints avec l’Italie.
14/06
Une rencontre avec des délégations russe et iranienne était prévue à Ankara par le gouvernement turc. Cette rencontre a été annulée au dernier moment sans que
la raison soit mentionnée.
L’Elysée qualifie l’interventionnisme turc d’inacceptable et affirme que « la France ne peut pas laisser faire. »
15/06
La Turquie et le GUN discutent de la possibilité pour les forces turques d’utiliser durablement la base aérienne d’Al Watiya ainsi que la base navale de
Misrata.
Le ministre des affaires étrangères turc déclare que la Russie et la Turquie se sont mises d’accord pour travailler à l’instauration d’un cessez-le-feu
durable.
Le ministre des affaires étrangères grec s’entretient avec son homologue français à Paris
16/06
Vidéoconférence entre Angela Merkel et Tayyip Erdogan. Le sujet de la Libye et du processus de paix dans le cadre des nations a été abordé.
17/06
Le MEAE dénonce le non-respect de l’embargo par la Turquie ainsi que « son comportement hostile à l’égard d’alliés de l’OTAN. »
18/06
L’ANL envoie des renforts à Syrte.
Un communiqué de presse du commandement des Etats-Unis pour l’Afrique met en évidence l’utilisation d’avion russe dans la région de Jufra et Syrte.
Le secrétaire général de l’OTAN, annonce l’ouverture d’une enquête suite aux incidents dénoncés par la France.
Analyse :
La semaine dernière a eu lieu un incident qualifié de « très grave » par la ministre des armées Florence Parly. Le bâtiment français, le Courbet a été illuminé à trois reprises avec des radars de
conduite de tir, par des frégates turques. Ces bâtiments de guerre escortaient un cargo turc, le Cirkin soupçonné de violer l’embargo sur les armes en Libye
décrété par le Conseil de sécurité. Il s’agit d’un acte hostile, une illumination radar consistant à prendre un navire pour cible ; c’est en quelque sorte la dernière étape avant le tir.
Toute la semaine la France a condamné l’incident et sous la pression de la France, l’OTAN a ouvert une enquête sur l’incident. Le ministère des Armées a rappelé que l’illumination radar est
considérée comme un acte hostile selon les règles d’engagement de l’OTAN. Si cet incident tend les relations entre Paris et Ankara, il remet également en question l’alliance transatlantique déjà
mise à mal à plusieurs reprises. En effet les bâtiments turcs utilisaient un indicatif OTAN et le ministère de l’intérieur a déclaré que la France « ne peut pas accepter qu’un allié se comporte de cette façon contre
un navire de l’Otan, sous commandement Otan, menant une mission de l’Otan. » A l’occasion des 70 ans de l’OTAN, le président Emmanuel Macron avait déclaré que l’OTAN était « en
état de mort cérébrale ». Beaucoup de commentateurs ont retenu cette phrase en omettant de rappeler que le président français avait déploré que sur certains théâtres d’opérations il
n’existât aucune coopération entre les pays membres. Alors à quoi sert l’OTAN ? Certes grâce à l’article 5, l’Alliance offre une puissance de dissuasion inégalée. Cependant depuis la fin de
l’Union soviétique, l’OTAN peine à redéfinir ses objectifs et sa raison d’être. Cette dissuasion doit-elle prendre forme dans le cadre d’une alliance qui compte 29 membres ? La taille de
l’Alliance rend difficile l’établissement d’une « ligne » qui s’accorde avec les intérêts de l’ensemble des pays membres. C’est d’ailleurs l’un des arguments en faveur de la
construction d’une véritable Europe de la défense. Si nous observons le conflit libyen on peut constater que l’on retrouve des membres de l’Alliance atlantique dans les deux camps, mais il est
aussi vrai que Paris et Rome ne partagent pas la même vision.
Cet incident nous interroge sur l’utilité et l’efficacité de la mission européenne IRINI qui vise à faire respecter l’embargo sur les armes en Libye. Que se
passera-t-il quand les navires de la mission se retrouveront face aux navires turcs ? La France doit-elle fermer les yeux au détriment du droit international et de son image afin d’éviter
une escalade dangereuse ? Dans sa dernière lettre du CEMAT, le général Burkhard avait écrit que « les conflits durs entre États restent […] possibles, voire probables. L’armée de Terre
doit plus que jamais être prête à produire d’emblée de la puissance militaire pour faire face à un péril inattendu. » La Turquie a montré sa capacité à intervenir dans un pays extérieur et à
renverser le cours d’un conflit. Elle a profité de son investissement dans les drones de dernière génération qui mettent à mal les systèmes anti-aériens russes en Libye. Alors que le monde entier
se réarme, cet incident survenu en méditerranée doit pousser la France à une réflexion sur ses alliances et sur ses capacités à s’engager dans des combats de haute intensité. La mise en place de
nouveaux matériels demande des dizaines d’années. Lorsque les premiers coups de feu seront tirés, il sera trop tard…
– Le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique publie des vidéos montrant la présence d’avions de chasse russes en Libye.
– Le Conseil de sécurité prolonge pour 12 mois l’autorisation d’inspection des navires en haute mer, afin de faire respecter l’embargo sur les armes.
06/06
– Le président Egyptien a réuni le maréchal Haftar et Aguilah Saleh au Caire pour annoncer une nouvelle initiative de paix.
– Le GUN lance l’opération ‟ Paths of Victory” qui a pour objectif la prise de Syrte et de Jufra.
07/06
– Les forces du GUN mènent des frappes aériennes sur Syrte.
– L’Egypte déploie des troupes proches de la frontière libyenne.
– Le ministre des Affaires étrangères grec déclare que les priorités pour résoudre la crise libyenne sont l’imposition d’un cessez-le-feu, le départ des mercenaires
étrangers et le désarmement des milices.
08/06
– Des convois du GUN arrivent dans la région de Syrte.
– Le chef du GUN, Fayez al-Sarraj rejette l’initiative égyptienne.
– Le ministre de la défense italien visite le quartier général de l’opération IRINI.
– Entretien téléphonique entre Vladimir Poutine et Abdel Fattah al-Sissi. La Russie soutient l’initiative égyptienne.
– Le conseil tribal d’Ubari (sud-ouest) fait allégeance au GUN.
– La Mission d’appui des Nations unies en Libye se félicite de la réouverture des champs pétroliers de Sharara.
09/06
– Déclaration commune des ministres des affaires étrangères français, italien et allemand. Ils appellent à un cessez-le-feu dans le cadre des pourparlers de la
Commission militaire mixte libyenne (5+5).
– L’ANL envoie des troupes à Awbari (Sud-Ouest).
– Entretien téléphonique entre les ministres des affaires étrangères égyptien et britannique.
– Le porte-parole de la présidence algérienne se félicite de l’initiative égyptienne.
10/06
– La mission d’appui des nations unies en Libye annonce avoir deux entretiens dans la cadre de la reprise des pourparlers. Un entretien avec une délégation de
l’ANL le 3 juin et un autre avec une délégation du GUN le 9 juin.
– Découverte de charniers dans la région de Tarhouna.
– Entretien téléphonique entre Donald Trump et le président égyptien.
-Entretien téléphonique entre Poutine et Erdogan. Il était question de la position des deux pays dans le conflit syrien et libyen.
– Le maréchal Haftar rencontre l’ambassadeur allemand au Caire.
11/06
– Des convois du GUN continuent d’arriver dans la région de Syrte.
– Le ministre des Affaires étrangères des Emirats Arabes Unis déclare que l’initiative égyptienne doit jouer un rôle central dans la résolution de la crise
libyenne.
Analyse :
Les forces du GUN poursuivent leur progression. Les villes de Tarhouna et de Bani Walid ont été abandonnées par l’ANL qui a définitivement quitté la région de
Tripoli. Malgré les appels de la Communauté internationale pour l’instauration d’un cessez-le-feu, les forces du GUN se dirigent vers Syrte. Cette ville est le prochain objectif pour le
gouvernement de Tripoli, Syrte représente un enjeu stratégique important car elle sépare l’est de l’ouest libyen. Une conquête rapide de la ville serait un signe fort de la supériorité des forces
du GUN. L’échec de la prise de Tripoli par l’ANL a permis la reprise des négociations dans la cadre de la Commission militaire 5 + 5. La Mission d’appui des Nations unies en Libye a rencontré
séparément une délégation de l’ANL et du GUN. Dans la région de Tarhouna, la découverte de charniers et de mines dans les habitations nous renseigne sur la violence des combats et le non-respect
du principe de distinction, mais les forces du GUN et de l’ANL étant composées d’une multitude de groupes armés il reste alors difficile d’identifier avec certitude les auteurs des exactions et
de déterminer les responsabilités.
Les dernières semaines nous ont montré que l’avancée des pourparlers était fortement liée à l’évolution de la situation sur le terrain. Depuis la chute de la
base stratégique d’Al Watiya, l’ANL a montré sa volonté de faire avancer les négociations en vue d’obtenir un cessez-le-feu. Ses récents revers placent le maréchal Haftar en situation délicate.
Le maréchal Haftar s’est rendu au Caire pour y rencontrer le président Egyptien Abdel Fattah al-Sissi. À la suite de cette rencontre l’Egypte a proposé une initiative de paix saluée par la
Communauté internationale à l’exception de la Turquie qui a déclaré que cette initiative était mort-née. Ce plan propose la mise en place d’un cessez-le-feu, la poursuite des négociations, le
désarmement des milices, le départ des supplétifs étrangers et la création d’un Conseil présidentiel élu. Il est possible que le maréchal Haftar soit lâché par ses soutiens extérieurs et beaucoup
de commentateurs affirment qu’il a perdu toute influence politique. Même en ce cas, l’ANL reste puissante et ses soutiens accepteront difficilement que les forces du GUN s’emparent de la
Cyrénaïque. Cette initiative ainsi que les récents mouvements de troupes à la frontière démontrent l’implication égyptienne dans la crise libyenne. Le Caire ne souhaite pas que le GUN s’empare de
la cyrénaïque, un tel scénario reviendrait à l’établissement d’un pouvoir proche des Frères musulmans aux frontières de l’Egypte. Ainsi il est peu probable que l’Egypte cesse son soutien à l’ANL
car celle-ci participe à la protection des intérêts égyptiens en Libye. Reste à connaître la nature et l’intensité de l’implication égyptienne qui pourrait bien rebattre les cartes et freiner
l’influence turque en Libye.
*Marc Adan Ourradour,
stagiaire chez Geopragma
Le 08/06/2020.
Les évènements de la semaine :
29/05
– L’ANL bombarde un camp militaire du GUN à Tadjourah (sud de Tripoli).
– Combats au sud de Tripoli (Ain Zara, Qasr Bin Ghashir).
– Le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth se dit inquiet du déploiement d’avions russes en Libye.
– Entretien téléphonique entre le commandant de l’AFRICOM et le ministre de la défense tunisien. Le dossier libyen a été abordé.
– Le ministre de l’énergie turc annonce que la Turquie va commencer à exploiter le gaz et le pétrole de l’est méditerranéen comme prévu dans l’accord avec le
GUN.
30/05
– Emmanuel Macron a eu un entretien avec son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi pour « un renforcement de la coordination » des deux pays afin
de trouver une issue au conflit libyen.
– L’ANL annonce avoir détruit des drones du GUN dans la région de Bani Walid.
31/05
– Entretien entre Jean-Yves Le Drian et M. Fayaz al-Sarraj chef du Gouvernement d’Union Nationale.
– Les forces du GUN continuent leur progression au sud de Tripoli et se dirigent vers l’aéroport international.
– Le porte-parole des forces du GUN demande aux forces de l’ANL présentes au sud de Tripoli, Tarhouna, Qasr bin Ghashir et Arban de déposer les armes.
01/05
– La mission d’appui des Nations unies en Libye se félicite de l’acceptation des deux parties pour reprendre les pourparlers en vue de l’instauration d’un
cessez-le-feu.
– Les forces de l’ANL ont repris la ville d’Al Assaba au sud de Gharyan.
– Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, la Turquie a transféré 400 nouveaux mercenaires depuis la Syrie.
02/05
– Offensives des forces du GUN au sud de Tripoli (Qasr Bin Ghashir, aéroport international).
– Frappes de drones sur des convois de l’ANL entre Bani Walid et Tarhouna.
– Les Etats-Unis mobilisent 6,5 millions de dollars afin de lutter contre le coronavirus en Libye.
03/05
– Les forces du GUN prennent possession de l’aéroport international.
– L’ANL mène des frappes aériennes aux alentours de Gharyan.
– Les forces du GUN avancent sur Tarhouna.
– Le maréchal Haftar se rend au Caire pour un entretien avec le ministre de la défense égyptien.
04/05
– Le chef du GUN Fayezal- Sarraj a eu un entretien avec Erdogan. Dans une conférence de presse, il invite la Turquie à participer à la reconstruction de la
Libye et affirme sa détermination à reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire.
– Le groupe Etat Islamique revendique une attaque sur les forces de l’ANL dans la localité de Taminhint.
– Les forces du GUN mènent des frappes aériennes sur Tarhouna.
– Le porte-parole des forces du GUN annonce la reprise de la totalité de Tripoli.
Analyse :
Il y a un peu plus d’un an débutait l’offensive de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) sur Tripoli. Le Maréchal Haftar contrôlait alors la majorité du territoire
libyen et souhaitait faire de cette offensive la dernière étape qui mettrait un terme à la deuxième guerre civile libyenne. Cette semaine pourrait marquer la fin de tout espoir de succès pour les
forces du Maréchal Haftar, même si la Russie pourrait poursuivre son soutien aérien à ses opérations par la mise à disposition des pilotes libyens de nouveaux chasseurs à partir de la Syrie. Pour
l’heure, après des mois d’âpres combats, le porte-parole des forces du Gouvernement d’Union Nationale (GUN) a annoncé la reprise de l’entièreté du district de Tripoli. Les derniers points de
résistance ont été la ville de Qasr Bin Ghashir et l’aéroport international. À la suite de ces revers, le porte-parole de l’ANL a été contraint d’annoncer le redéploiement de ses forces hors de
Tripoli. Il demande « que l’autre partie respecte un cessez-le-feu. En cas de non-respect, nous reprendrons nos opérations militaires et suspendrons notre participation aux négociations du
Commission militaire ». Ce sont aujourd’hui les forces du GUN qui ont l’initiative mais le maréchal Haftar reste maître d’une grande partie du territoire et possède des alliés puissants comme en
témoigne son déplacement au Caire.
C’est dans ce contexte que l’ONU a annoncé la reprise des négociations de la Commission
militaire (5+5) suspendue il y a plus de trois mois. Il ne s’agit pas uniquement d’une négociation entre la GUN et l’ANL, mais il faut prendre en compte les alliés, qui par leur poids pèsent sur
les négociations. Sans l’appui de la Turquie il est fort probable que Tripoli serait déjà tombée aux mains de l’ANL. Le Maréchal Haftar a lui profité du soutien de l’Egypte et des Emirats Arabes
Unis. Les puissances étrangères ont investi de l’argent et des moyens. Il est probable qu’elles ne se contenteront pas d’une demi-victoire (ou demi-défaite) qui ne leur permettrait pas de servir
leurs intérêts et détériorerait leur image de puissance.
Quid de la France ? Paris doit faire entendre sa voix et peser sur les négociations. Sa
responsabilité dans la déstabilisation de la Libye est première. Le pays est également un espace stratégique important pour elle. La Libye demeure un point de passage pour de nombreux migrants
souhaitant se rendre en Europe avec les risques de déstabilisation associés. Sur ce sujet, la Turquie est un « interlocuteur » de poids et son influence grandissante en Libye lui donne
un levier inquiétant sur la stabilité sécuritaire et culturelle de l’UE. De plus la présence de milices islamiques en Libye n’est pas un secret. La France — qui a subi des attentats en plein cœur
de Paris— ne peut que s’inquiéter de la montée en puissance de milices islamiques dans l’espace méditerranéen. Enfin dans le cadre de l’opération Barkhane, la France s’est engagée dans la lutte
contre les groupes terroristes présents dans la bande Sahélo-Saharienne et l’évolution du conflit libyen peut avoir des conséquences sur toute la région. Notre participation à l’opération
maritime européenne IRINI qui vise à faire respecter l’embargo sur les armes sans engagement direct dans les combats est une autre raison de conserver un regard sur la crise libyenne et doit
prendre conscience que tout espace d’influence abandonné sera mécaniquement récupéré pas une autre puissance régionale ou globale.
*Marc Adan Ourradour,
stagiaire chez Geopragma
Le 31/05/2020.
Les événements de la semaine :
22/05
Les forces de l’ANL bombardent Gharyan et Al-Asaba (Sud de Tripoli).
Plusieurs offensives du GUN au sud de Tripoli. L’ANL cède du terrain.
Entretien téléphonique entre le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo et le premier ministre du GUN, Fayez al-Sarraj. Mike Pompeo a souligné
« l’opposition des Etats-Unis aux flux persistant d’armements et de munitions qui arrivent dans le pays. »
La mission d’appui des Nations Unies en Libye se déclare inquiète de l’augmentation de l’intensité des combats et rappelle aux parties leur devoir de respecter le
Droit International Humanitaire.
23/05
Des centaines de mercenaires russes quittent Tripoli et ont été vu à Bani Walid.
Le porte-parole du GUN demande aux populations civiles de rester éloignées des sites militaires de l’ANL.
Les forces du GUN continuent de gagner du terrain au sud de Tripoli et s’emparent du camp de Yarmouk.
Entretien téléphonique en Trump et Ergodan, le sujet de la Libye a été abordé.
24/05
Le Secrétaire général de la Ligue Arabe appelle à un cessez-le-feu en Libye.
Combats dans différentes localités du nord de Tarhounah.
Les forces de l’ANL mènent des frappes sur Gharyan.
25/05
La mission d’appui des Nations Unies en Libye condamne l’utilisation d’engins explosifs improvisés dans le conflit. Des victimes civiles sont à déplorer à Ain Zara
et dans la zone de Salahuddin (Tripoli).
L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés annonce avoir « raccompagné à Tripoli 315 réfugiés et migrants après les avoir interceptés/secourus en
mer ».
Entretien téléphonique entre le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.
L’Etat Islamique revendique un attentat sur les forces du maréchal Haftar à Taraghin.
26/05
Le commandant des forces américaines en Afrique, Stephen Townsend, affirme que des avions de chasse russes « sont arrivés en Libye depuis une base aérienne
russe après avoir transité en Syrie ».
Les forces du GUN continuent de lancer des offensives au sud de Tripoli.
27/05
Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déploré une « syrianisation » de la Libye.
Les mercenaires russes auraient quitté Bani Walid pour se diriger plus au sud.
28/05
Les combats se poursuivent au sud de Tripoli.
Le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a demandé devant le Conseil de sécurité une solution politique
inclusive et, à cette fin, l’arrêt des livraisons d’armes et la création d’un espace pour un véritable dialogue.
Analyse :
La semaine dernière tombait la base d’Al-Watiya, l’une des principales emprises du maréchal Haftar dans l’Ouest de la Libye. Ce revers a confirmé l’échec de
l’offensive finale sur Tripoli lancée il y a plus d’un an par l’Armée Nationale Lybienne (ANL) qui possédait alors l’initiative. Aujourd’hui la dynamique est tout autre, le Gouvernement d’Union
Nationale (GUN) peut compter sur des milices en provenance de Syrie et sur les redoutables drones turcs. Cette semaine les forces du GUN ont lancé de multiples offensives sur différents objectifs
au sud de Tripoli. La progression est relativement rapide et l’ANL est en train de perdre en quelques jours ce qu’elle a mis des mois à conquérir. Les troupes du maréchal Haftar doivent avoir le
moral au plus bas. Pour ne rien arranger à la situation les mercenaires russes combattant à leurs côtés se sont retirés de Tripoli et ont été vus à Bani Walid, 150 km plus au sud.
Ces récentes évolutions ne vont pas dans le sens d’une sortie de crise. L’ONU n’a toujours pas trouvé de médiateur pour succéder à Ghassan Salamé qui démissionna le
2 mars dernier. Il n’avait pas réussi à instaurer un réel cessez-le-feu. Que l’un des deux camps l’emporte et prenne la direction du pays tout entier, ou qu’une longue stabilisation du
front mène de facto à une partition du pays en fonction des alliances, il ne pourra y avoir de solution politique viable qu’à la condition que l’équilibre tribal soit restauré et que le fléau des
milices djihadistes soit éliminé. Les évolutions récentes du conflit libyen nous montrent que la situation peut changer rapidement avec par exemple le soutien ou l’intervention d’une puissance
étrangère. Le camp qui a l’avantage sur le terrain peut alors avoir intérêt à négocier tant qu’il est en position de force. L’accord trouvé devra pencher en sa faveur et il jouira de l’image du
camp qui a préservé les populations civiles en mettant un terme au conflit.
Cependant nous ne semblons pas nous diriger vers ce scénario et les forces du GUN vont continuer leurs offensives. Le prochain objectif majeur est la ville de
Tarhounah qui résiste encore. Il s’agit de la dernière place forte du maréchal Haftar au sud de Tripoli, ravitaillée par la route entre Tarhounah et Bani Walid. Cet axe est une cible stratégique
pour les forces du GUN et c’est le chemin que les mercenaires russes ont empreinté pour leur retraite. Mais la partie est loin d’être gagnée pour le GUN, les forces de l’est du pays restent
soutenues par les Emirats Arabes Unis et l’Egypte. Le déploiement d’avions russes de quatrième génération montre que Moscou souhaite rester dans la partie. Comme dans le conflit syrien la Russie
et la Turquie montrent leur puissance, leur capacité à intervenir et à défendre leurs intérêts ici divergents. Le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déploré une “syrianisation”
de la Libye. Souhaitons que la France y défende mieux ses intérêts qu’en Syrie… Perseverare diabolicum
*Marc Adan Ourradour, stagiaire chez Geopragma
Le 18/05/2020.
Synthèse des opérations militaires en Libye du 8 au 14 mai 2020
Le port principal de Tripoli a été bombardé alors que le personnel de l’OIM (UN Migration Agency) attendait le débarquement de 25 migrants interceptés en
mer.
L’aviation du GUN mène des frappes aériennes sur la base d’Al Watiya.
Le porte-parole de l’ANL déclare que ce sont les milices du GUN qui ont ciblé des ambassades. Il dénonce une manipulation, l’ANL n’a jamais pris pour cible une
ambassade ou un bâtiment d’une organisation internationales.
Combats au Sud de Tripoli.
La mission d’appui des Nations Unies en Libye condamne l’augmentation des bombardements sur Tripoli. Elle appelle les parties à respecter le droit international
humanitaire et notamment le principe de distinction.
09/05
Les forces de l’ANL ont bombardé des objectifs à Tripoli. L’aéroport Mitiga est particulièrement touché.
Le porte-parole des forces armées du GUN annonce une prochaine offensive sur la base d’Al Watiya.
Violents combats au Sud de Tripoli (Ain Zara, Abu Salim). L’ANL annonce avoir détruit un drone.
L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme a annoncé que le nombre de morts parmi les mercenaires syriens en Libye était passé à 268.
10/05
Le général Abdelkader Touhami, chef du renseignement lybien est décédé. Le GUN parle d’une crise cardiaque mais certains témoignent d’un possible enlèvement par
des milices tripolitaines.
Les combats continuent au sud de Tripoli.
Le ministère des affaires étrangères turc dénonce les bombardements sur Tripoli et menace l’ANL de représailles si cela continue.
Le porte-parole de l’ANL annonce la mort du chef de la milice (mercenaire) Second Legion qui combat pour le GUN.
11/05
Les ministres des Affaires étrangères de la Grèce, de l’Égypte, de Chypre, de la France et des Émirats Arabes Unis ont fait une déclaration commune. Ils
dénoncent « des activités illégales turques sur la zone économique exclusive chypriote ».
L’ANL a bombardé à l’aide de drones les positions des forces du GUN à Abu Grein.
Le porte-parole de l’ANL déclare qu’ils ont ciblé l’aéroport de Mitiga car c’est une menace pour la protection des populations civiles. Il s’étonne que la
mission d’appui des Nations Unies ne dénonce pas le fait qu’il s’agisse d’une base pour les drones turcs. Plus généralement il dénonce le silence de la communauté internationale vis-à-vis de
l’intervention turque.
Les forces du GUN bombardent la base d’Al Watiya et ses environs.
12/05
Les bombardements sur la base d’Al Watiya continuent.
Le ministre des affaires étrangères du GUN accuse les troupes du maréchal Haftar d’avoir ciblé l’ambassade turque ainsi que la résidence de l’ambassadeur
italien.
L’ANL bombarde des positions des forces du GUN à Abu Grein.
Déclaration du ministre des affaires étrangères du GUN, il dénonce la déclaration commune de la France, Chypre, Egypte et EAU et appelle ces puissances à ne pas
interférer dans le conflit libyen.
13/05
Frappe de drone sur des véhicules de l’ANL dans la région de Bani Walid
14/05
Déclaration commune de plusieurs ONG (OCHA, HCR, UNICEF, FNUAP, PAM, OMS) sur le dossier libyen. Elles s’inquiètent de la situation des migrants ainsi que d’une
possible escalade de l’épidémie de coronavirus.
Analyse :
Cette semaine, dans une déclaration commune, les ministres des Affaires étrangères de la Grèce, de l’Égypte, de Chypre, de la France et des Émirats Arabes Unis ont
dénoncé « des activités illégales turques sur la zone économique exclusive chypriote ». Cette déclaration fait suite à de nombreuses tentatives turques de mener des opérations de forage
dans la zone maritime de Chypre. En novembre dernier, Ankara et le GUN ont signé un accord visant à redéfinir les frontières maritimes. Si cet accord était appliqué, les Turcs pourraient
exploiter du gaz qui se trouve dans la zone économique exclusive chypriote. Ainsi les Turcs ont tout intérêt à ce que le GUN reste en place et gagne la guerre. Mais l’exploitation de ce gaz
serait illégale au regard de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer signée à Montego Bay en 1982. Cependant, si nous regardons les listes des signataires, nous ne trouverons pas
la Turquie. Le ministre turc des affaires étrangères dénonce une tentative déstabilisation régionale et souligne que la Turquie a le droit « de protéger ses intérêts légitimes fondés sur le
droit international, sous des prétextes injustes et illégaux, est inacceptable en toutes circonstances ». Nous pouvons observer que le Droit International est utilisé par les différents
parties pour soutenir des positions différentes. Les Etats dépensent beaucoup de moyens pour montrer qu’ils agissent selon le droit.
Sur le terrain, les forces du GUN continuent à mettre la pression sur la base d’Al
Watiya. La semaine dernière, de nombreux affrontements ont eu lieu sur l’axe entre Zuwarah et la base d’Al Watiya. Cette base constitue un objectif important pour les forces du GUN qui pendant un
an ont été contraintes de rester sur les zones côtières sans pouvoir descendre vers le Sud. Depuis l’intensification de l’aide turque, les forces du GUN ont lancé plusieurs offensives visant à
repousser les forces du maréchal Haftar vers le Sud. Ces offensives se heurtent à plusieurs points de résistance qui forment une ‟ligne de front”. La chute d’un de ces points permettrait aux
troupes du GUN d’avancer vers le sud et de pouvoir prendre à revers les troupes de l’ANL situées sur les autres points. Parmi ces points de résistance, nous avons la base d’Al Watiya, les zones
au Sud de Tripoli, Tarhounah et Abu Grein. Ces zones font l’objet de nombreux bombardements qui n’épargnent pas les populations civiles. Face à ce constat, les deux camps s’accusent de cibler des
objectifs non militaires. C’est en ce sens que la mission d’appui des Nations Unies pour la Libye a dénoncé l’augmentation des bombardements sur Tripoli. Elle appelle les parties à respecter le
Droit International Humanitaire et particulièrement le principe de distinction. Rappelons que ce principe impose aux belligérants de faire en tout temps la distinction entre la population civile
et les combattants ainsi qu’entre les biens civils et les objectifs militaires. Mais le conflit Libyen nous montre bien la difficulté à faire appliquer ce principe. Prenons l’exemple de
l’aéroport de Mitiga. D’un côté le GUN accuse les forces du maréchal Haftar de bombarder un bâtiment civil et de l’autre l’ANL affirme que cet aéroport est utilisé comme base pour les drones
turcs. Alors on invoquera le principe de précaution. Mais encore une fois, le coupable est-il le GUN qui posséderait une base militaire dans une zone peuplée, ou l’ANL qui bombarde des objectifs
situés dans cette même zone ? Ce que l’on peut dire c’est que ces bombardements ont bien lieu et qu’il est peu probable que chaque combattant ait un exemplaire du DIH dans ses poches.
Le GUN impose un couvre-feu pour dix jours dans les régions qu’ils contrôlent.
Bombardement
de la base d’Al Watiya par le GUN.
Le ministère
de la défense déclare « Nos avions de l’armée de l’air effectuent des entrainements en Méditerranée avec nos navires. »
Crash d’un
drone turc à 80 km sud-ouest de Bani Walid.
18/04
Les forces du GUN ont lancé une attaque sur Tarhounah, une des principales villes de l’ANL à l’ouest. Reprise de plusieurs villes, matériel et combattants capturés.
L’ANL lance
des roquettes sur Tripoli.
Le
porte-parole de l’ANL annonce avoir infligé de lourde perte sur l’axe Al-Hirah.
19/04
Bombardement du GUN à l’ouest de Sirte.
Destruction
d’un drone du GUN à Abu Grein
Des renforts
du GUN arrivent dans le district de Tarhounah..
20/04
Passage en force de la frontière tunisienne par des tunisiens qui travaillaient en Libye et étaient bloqué dans la zone frontalière.
Bombardement
du GUN sur Ain Sharshara au nord de Tarhounah.
L’ANL bombarde
un stock de munition à Zouara, combat au Sud d’Al jamil, un porte-parole annonce la reprise de la localité Al-Aqrabiyah.
21/04
Un porte-parole de l’ANL annonce la destruction d’un drone du GUN à Ain Sharshara.
Entretien
téléphonique entre Poutine et Erdogan.
Combats au sud
d’Al-Jumayl.
22/04
Tirs d’artillerie de l’ANL sur Tripoli.
Combats à Ain
Sharshara.
Le
porte-parole de l’ANL déclare que l’intervention turque devient une occupation de la capitale.
Entretien
téléphonique entre M. Poutine et Mme Merkel, le sujet de la Libye a était discuté.
23/04
L’ANL bombarde
des positions des forces du GUN à Abu Qurain et sur la route menant à Misrata.
Le ministre de
l’intérieur du GUN accuse le groupe Wagner d’utiliser des armes chimiques.
La mission des
Nations Unies pour la Libye appelle à cesser les combats à l’approche du début du Ramadan.
L’ANL annonce
avoir repoussé une offensive du GUN dans la zone d’Ain Zara et Casirma, les affrontements se poursuivent. Déclaration affirmant que la Turquie pourrait menacer l’Europe si elle s’emparait des
côtes libyennes.
L’ANL annonce
avoir capturé une quinzaine de combattants de nationalité syrienne.
Le GUN
bombarde les positions de l’ANL à Tarhounah.
Analyse :
Il y a un an débutait l’offensive du maréchal Haftar et de son Armée Nationale Libyenne (ANL) contre Tripoli, capitale du Gouvernement d’Union Nationale (GUN). Il profitait de son avantage —
militaire, alliances tribales, soutiens étrangers — pour étendre sa zone d’influence et tenter de conquérir l’ensemble du territoire libyen. La semaine dernière, le GUN a réussi, pour la première
fois depuis le début du siège de Tripoli, à lancer une contre-offensive qui s’est concrétisée par la reconquête de territoires à l’est de Tripoli (villes de Sabratha et Sorman). Cette semaine,
souhaitant garder l’initiative, le GUN a lancé une grande offensive dans le district de Tarhounah. Le GUN profite largement de l’aide turque qui a incontestablement modifié le rapport de forces.
D’une manière générale, nous pouvons remarquer que les attaques sont presque systématiquement précédées de bombardements aériens. Le contrôle et l’utilisation de l’espace aérien sont des enjeux
majeurs pour décider de l’issue du conflit. Cet espace stratégique permet aux troupes au sol de progresser. Loin de tout débat éthique, nous observons une systématisation de l’utilisation des
drones, que ce soit pour reconnaître ou pour bombarder une position. Alors que nous pourrions avoir l’image erronée d’un petit conflit statique, l’arsenal utilisé et les nombreux mouvements de
troupes nous démontrent le contraire. Il s’agit bien là d’une guerre opposant deux camps, qui contrôlent des territoires et des villes bien identifiés, et mènent des opérations planifiées
soutenues par du matériel moderne. Malgré la menace du COVID-19 qui pèse sur le pays, les combats continuent et les populations subissent les conséquences de la guerre. Il ne se passe pas une
semaine sans combats et tirs d’artillerie sur la capitale libyenne, en état de siège depuis plus d’un an. Il n’est pas nécessaire de comparer la situation d’aujourd’hui avec celle qui prévalait
sous Mouammar Kadhafi, mais on peut difficilement ne pas se pencher sur les mystérieuses raisons de l’intervention française en Libye. De son côté, la mission des Nations Unies pour la Libye
appelle à cesser les combats à l’approche du début du Ramadan. Énième tentative qui se soldera très probablement par un échec. Il faudrait adopter une stratégie « des petits pas » qui
commencerait par la nomination d’un médiateur impartial pour la Libye. Le post est vacant depuis la démission de M. Salamé survenue le 2 mars 2020.
Si le GUN lance des offensives, la guerre est très loin d’être gagnée. Le maréchal Haftar reste celui qui contrôle la plus grande partie du territoire. L’ALN tient ses positions au nord de
Tarhounah et lance même une offensive à l’Ouest dans la région de Zouara. L’ALN menace encore Tripoli et Abu Grein, ville stratégique située sur l’axe Syrte – Misrata. Ainsi malgré l’aide
d’Ankara, nous ne pouvons pas dire que nous assistions à un réel retournement de situation. Les prochaines semaines pourraient être décisives. Ankara continue en effet de transférer des
mercenaires de Syrie en Libye. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de 5 000 combattants auraient ainsi été transférés. Il ne s’agit pas d’une aide ponctuelle, mais bien
d’un désir de participer durablement au conflit. Nous nous retrouvons avec des pays de l’OTAN qui ne soutiennent pas les mêmes camps. Ankara peut se targuer de soutenir le camp reconnu par
« la communauté internationale », un camp très largement appuyé par des milices islamistes celles-là même qui tiennent sous leur contrôle le chef du GUN. Par ailleurs nous ne pouvons
que nous inquiéter de l’arrivée des mercenaires ; beaucoup d’entre eux appartiennent à des groupes radicaux. La Libye est avant tout un pays tribal et nous ne voyons pas comment ces tribus
pourraient voir d’un bon œil l’arrivée de mercenaires étrangers alors que la lutte s’intensifie pour l’affectation des ressources et richesses du pays. Sur le long terme, comment le GUN peut-il
espérer trouver enfin une légitimité autre que de papier. Le camp du maréchal Haftar possède également ses mercenaires. Le groupe russe Wagner combat aux côtés de l’ANL et ses liens avec le
pouvoir russe ne sont plus à démontrer. Moscou veille, comme en témoignent les échanges téléphoniques que M. Poutine a eu avec M. Erdogan et Mme Merkel. Vigilance assez logique
considérant les intérêts stratégiques russes sur ce territoire, mais qui évidemment déplait fortement à d’autres. On vient d’accuser le Groupe Wagner d’avoir utilisé des armes chimiques… Le
parallèle avec la Syrie est facile à faire. S’agit-il d’une tentative de déstabilisation des positions russes ou d’une accusation bien fondée ?