Parallèlement à la poursuite du conflit militaire dans l’est de l’Ukraine, la guerre médiatique continue de battre son plein et ceux qui en sont à l’origine – ainsi
que leurs relais, conscients ou inconscients – donnent de plus en plus dans la démesure, comme l’illustre la réaction mensongère et scandaleuse de représentants des forces pro-russes à la suite
de la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff, journaliste de BFM TV. Mais ce camp n’est pas le seul à
être dans l’outrance en matière de communication, Zelensky et son entourage excellent particulièrement en la matière.
Après l’adoption par l’Union européenne d’un « sixième train » de sanctions contre la Russie, le président ukrainien a déclaré « inacceptable » le délai qui été
nécessaire aux Européens afin de décréter l’embargo sur le pétrole russe. « Une cinquantaine de jours séparent le
sixième train du cinquième, c’est une situation qui n’est pas acceptable pour nous», s’est-il exclamé lors d’une
conférence de presse à Kiev, le 31 mai. Une nouvelle fois, alors qu’il a plongé son pays dans la guerre, tant par sa politique inconsidérée que pour avoir suivi les directives américaines,
Zelensky se permet encore de critiquer les Européens.
De même, le 4 juin, Dmytro Kouleba, le ministre des Affaires étrangères ukrainien a fustigé la France – qui pourtant livre des armes à Kiev – à la suite de la
déclaration d’Emmanuel Macron selon laquelle « il ne fallait pas humilier la Russie afin
de conserver une option diplomatique ». Zelensky lui-même a ouvertement critiqué les propos du président français, rétorquant « Humilier la Russie ? Cela fait huit
ans qu’ils nous tuent » (sic).
Cette attitude permanente de donneur de leçons et de réinterprétation de l’histoire des autorités ukrainiennes commence à exaspérer leurs soutiens et
l’opinion.
L’INDÉNIABLE RESPONSABILITÉ DE KIEV DANS LE
CONFLIT
Si la Russie est clairement l’agresseur dans ce conflit, ceux qui l’ont poussé à cette attaque sont sans conteste les
Etats-Unis, l’OTAN et le gouvernement Zelensky. Il est essentiel de ne jamais l’oublier. Si les dirigeant américains n’avaient pas renié les promesses faites à Moscou, si l’OTAN
ne s’était pas élargie sans cesse, si la France et l’Allemagne avaient été capables d’imposer à Kiev le respect des accords de Minsk et si Zelensky et sa clique n’avaient pas écoutés les conseils
funestes de leurs mentors américains, nous n’en serions pas là. S’il n’est pas question d’excuser la Russie, lui faire porter à elle seule la responsabilité de ce conflit est une présentation
fausse de la réalité, si ce n’est une désinformation délibérée.
Depuis 2014, Kiev a conduit une politique totalement condamnable l’égard des populations russophones du Donbass, auxquelles il a interdit l’usage de leur langue et
refusé toute autonomie au sein de l’Ukraine, multipliant à leur encontre brimades, embargos et bombardements sans que personne en Europe ne dénonce cette situation scandaleuse, au prétexte que
cela aurait été dans le sens des arguments de la Russie.
De même, les Occidentaux ont laissé Zelensky et les oligarques qui le sponsorisent – notamment Kolomoïski – financer les groupes néonazis et renforcer son armée
afin de reprendre par la force les régions autonomistes, rejetant toute démarche de conciliation. Pire, le 17 février dernier, Kiev s’est délibérément lancé dans une action militaire afin de
reconquérir les républiques de Donetsk et de Lougansk avec le soutien de l’OTAN, sachant pertinemment que Moscou ne pourrait rester sans réagir, déclenchant dès lors la crise actuelle.
S’il convient de reconnaître que le discours russe est excessif concernant la dénazification de l’Ukraine, il n’est cependant pas sans fondement. Individus et
unités aux valeurs extrémistes – « bataillons » Azov et Aïdar, partis Svoboda et Pravy Sektor, etc. – sont une réalité que l’Occident cherche à minimiser dans le cadre
de son soutien à Kiev, en dépit du fait que leurs exactionsdepuis 2014 sont avérées.
Les Européens sont donc devenus sans honte les alliés et les donateurs d’un régime protégeant et finançant des groupes néonazis alors que nous luttons dans chacun
de nos pays contre l’extrême-droite. Car ces extrémistes ukrainiens ce ne sont pas d’inoffensifs nationalistes comme on voudrait nous le faire croire. Leur discours est clairement antisémite et
leurs combattants arborent sur leur uniforme l’insigne de la tristement célèbre division Das Reich, composée en majorité
d’Ukrainiens, responsable des massacres d’Oradour sur Glane en 1944.
Relevons au passage le paradoxe le plus éclatant : Le soutien de l’Allemagne – notamment de sa très militante ministre des Affaires étrangères
Annalena Baerbock du parti Les Verts – au régime Zelensky alors même que celui-ci intègre jusqu’au plus haut niveau de son armée des partisans d’une idéologie née outre-Rhin et que l’on croyait
éradiquée depuis 1945. Mais nous ne sommes plus à une contradiction près…
Rappelons surtout que l’Ukraine a soutenu politiquement et par ses ventes d’armes le régime totalitaire et génocidaire d’Azerbaïdjan dans son opération militaire
contre les Arméniens du Haut-Karabakh en 2020, lesquels réclamaient leur indépendance après des décennies de persécutions. Kiev a même fêté la victoire de Bakou en pavoisant ses villes aux
couleurs de l’Azerbaïdjan alors même que ce pays a recouru à des milliers de djihadistes syriens au cours de ce conflit, lesquels ont commis de nombreuses atrocités sur les militaires et civils
Arméniens[1].
Ainsi, nous avons inconsidérément pris fait et cause pour un régime douteux, fort peu démocratique et violant sans vergogne le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes. Sous les injonctions de Zelensky, l’Europe s’est ainsi trouvée entraînée dans un conflit dont nous continuons à affirmer qu’il ne devait pas nous concerner compte-tenu de la part de
responsabilité du gouvernement de Kiev qui a sciemment joué avec le feu…
UNE
COMMUNICATION PARTICULIÈREMENT EXASPÉRANTE
Le 3 mars, le président ukrainien déclarait que si son pays était vaincu, « la Russie ira jusqu’au mur de Berlin ».
Il ne cessait par ailleurs de harceler Berlin avec ses demandes répétées de couper le gaz russe, exaspérant les dirigeants allemands.
13 mars, la Rada, le Parlement ukrainien postait sur son compte Twitter une vidéo-montage d’une quarantaine de secondes où Paris était victime d’un bombardement
dans lequel la Tour Eiffel était notamment prise comme cible et des avions russes survolaient la capitale française en semant la terreur parmi la population. Le clip se terminait par une annonce
de Zelensky déclarant « Si
nous tombons, vous tombez aussi ».
Le 14 mars, le président ukrainien déclarait que ce n’était qu’une question de temps avant que la Russie n’attaque l’OTAN. Dans une allocution vidéo, il avertissait
les membres de l’Alliance atlantique que Moscou était susceptible d’envahir leur territoire à tout moment, les exhortant à instaurer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de
l’Ukraine. « Si vous ne
fermez pas notre ciel, ce n’est qu’une question de temps avant que des missiles russes ne tombent sur votre territoire » affirmait-t-il sans rougir.
Depuis le début du conflit, la stratégie de Kiev, avec le soutien et les conseils des Etats-Unis, a été de faire culpabiliser l’Union européenne et de chercher à
l’impliquer davantage dans cette guerre, la plaçant aujourd’hui en situation de cobelligérance. L’argument principal de Zelensky est de faire croire que l’agression russe « n’est pas une guerre en Ukraine mais une
guerre en Europe » et que l’Ukraine est le « bouclier de l’Europe » face à
la Russie. Les Européens, dénués de toute vision objective, soutiennent ainsi, consciemment ou non, une stratégie américaine dont les effets sont pour eux
particulièrement négatifs, politiquement et économiquement.
Le président ukrainien, comédien de talent dirigé par des scénaristes jamais à court d’idées, persiste à s’habiller en costume militaire et à arborer une barbe de
plusieurs jours – alors que Kiev n’est plus en danger comme en témoignent les nombreux visiteurs de haut niveau qui s’y rendent en toute sûreté – et s’attache par tous les moyens à imposer
son point de vue à l’Occident et à dénoncer ceux qui n’y adhèrent pas.
Les communicants de Kiev et de Washington sont ainsi parvenus à installer dans l’opinion l’idée que tout ce que dit Zelensky est vrai, et que les déclarations de
Poutine et de Lavrov sont nécessairement mensongères. C’est là une vision manichéenne et fausse des choses qu’il importe de remettre en cause.
En conséquence, depuis trois mois toute analyse objective de ce conflit est devenue impossible. Le simple fait de proposer une lecture différente des événements de
celle que Kiev et Washington cherchent à imposer au monde occidental, d’avoir une appréciation lucide sur ce triste conflit – ce qui conduit inévitablement à un constat qui n’est pas du tout en
faveur de l’Ukraine sur le plan militaire – est insupportable pour Zelensky, ses sponsors et ses séides, qui accusent systématiquement ceux qui osent formuler un avis indépendant, ou ne
reprennent pas aveuglement et intégralement leur Story Telling, d’être des relais de la
propagande russe[2].
Heureusement, de plus en plus d’experts, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, se dressent contre cette version des faits en dépit de l’omerta médiatique qui règne,
et expriment l’exaspération croissante que suscite Zelensky par ses discours à tout-va jouant sur une émotion grossière, ses critiques régulières des Européens, ses oukases et ses appels à l’aide
alors même qu’il interdit à ses troupes de se replier face à l’armée russe.
UNE
OBSTINATION INCONSIDÉRÉE
De même, la politique jusqu’au-boutiste dont Kiev fait preuve – dont tout montre qu’elle est décidée à Washington avec le soutien des très pro-américains États
baltes[3] et surtout de la Pologne qui y trouve des avantages et rêve de récupérer une partie du territoire ukrainien – est tout à fait inefficace et dangereuse, car elle accroît
le risque d’un conflit majeur.
Pourtant, les Etats-Unis et l’OTAN poussent délibérément Zelensky dans cette voie funeste, l’encourageant à refuser toute négociation ou concession vis-à-vis de
Moscou, contribuant ainsi directement à prolonger un conflit que l’Ukraine ne peut gagner et qui accroit chaque jour le nombre de victimes civiles et militaires et la destruction du pays bien
davantage qu’il n’affaiblit la Russie.
C’est pourquoi, il est urgent de parvenir à une cessation rapide des hostilités et à un retour à la paix. Nous appelons à une négociation entre les diverses parties
(Ukrainiens, populations du Donbass, Russes) et à la prise en compte de leurs intérêts respectifs.
Nous rappelons qu’il est une loi géopolitique que nul ne peut bafouer sans conséquence : Aucun État ne peut assurer sa
sécurité au détriment de son voisin, surtout quand celui est plus puissant. Les Etats-Unis l’ont toujours appliquée sans que personne ne trouve à y redire[4]. En l’ignorant, vraisemblablement trompés par les encouragements machiavéliques de Washington, Zelensky et son entourage se sont fourvoyés.
Nous maintenons que :
– Cette guerre n’aurait jamais dû avoir lieu si l’OTAN, organisation qui aurait dû être dissoute à la fin de la Guerre froide, n’avait pas violé les
promesses faites à Moscou et étendu son emprise jusqu’à ses frontières ;
– C’est une guerre que les Ukrainiens ne sont pas en mesure de gagner, en dépit du soutien financier, politique et matériel de l’Occident[5] ;
– L’obstination de Kiev ne fait qu’accroître les pertes civiles et militaires, les destructions du pays et les gains territoriaux de Moscou.
Malheureusement, force est de constater que la sortie de crise est aujourd’hui compromise car tous les Européens sont en situation de cobelligérance plus ou moins
prononcée qui ne leur permet pas de jouer les médiateurs. Surtout, les Américains n’ont aucun intérêt à voir ce conflit se terminer rapidement car il leur est profitable. Ils viennent d’ailleurs
de jeter encore de l’huile sur le feu en livrant à l’Ukraine quatre lance-roquettes M142 HIMARS à longue portée, capables d’atteindre le territoire russe[6]. Les Britanniques, tout aussi bellicistes, ont également annoncé le 6 juin qu’ils allaient livrer des lance-roquettes multiples M270 à Kiev.
*
Critiquer Zelensky et ses sponsors n’est pas ignorer les souffrances des populations civiles et des militaires ukrainiens car ce sont eux qui paient, chaque jour,
le prix de l’obstination de leurs dirigeants. Il convient toutefois de rappeler que la quasi-totalité des combats se déroule dans des zones à majorité ou à forte population russophone et non dans
l’ouest de l’Ukraine, dont les habitants ont pourtant fui massivement vers les pays voisins.
S’il est légitime que les Ukrainiens prennent les armes face à l’attaque russe et que les militaires se battent pour défendre leur patrie, cela l’était et le
demeure tout autant pour les populations du Donbass face à l’agression intolérable de Kiev et de ses unités néonazies depuis 2014.
Que Zelensky soit devenu un symbole politique pour une partie du peuple ukrainien est compréhensible. Mais ne perdons jamais de vue qu’il n’est qu’un acteur et le
porte-parole de quelques oligarques et des Américains, et que la guerre de communication qu’il anime ne saurait dissimuler ses responsabilités, ni la déroute croissante de l’armée
ukrainienne.
[1] La Turquie, principal soutien de Bakou, en a été reconnaissante envers Kiev, l’approvisionnant en retour largement en drones de combat.
[3] Ces trois États, qui ont eu certes à souffrir de la domination soviétique, comprennent à eux trois moins de 7 millions d’habitants (Estonie : 1,3
–Lettonie : 1,9 – Lituanie : 2,7), dont de nombreux russophones, c’est-à-dire qu’aucun d’entre eux n’a l’importance d’une région française. Or, avec la Pologne, ils orientent, dans ce
conflit, la politique de l’Union européenne.
[4] Cf. Cuba 1962. De plus, les Américains, qui clament haut et fort que n’importe quel État peut librement adhérer à l’organisation de sécurité de son choix, viennent de
menacer les Iles Salomon si celles-ci signaient un accord de coopération militaire avec Pékin.
[5] Les États de l’Union européenne ont, depuis le début du conflit, versé à l’Ukraine pour 500 milliards d’euros de matériels et équipements militaires et doivent
reconstituer leurs stocks (ce dont compte bien profiter l’industrie d’armement américaine). Ils ont également dépensé 200 milliards dans la mise en place de solutions d’approvisionnement
énergétique pour s’affranchir de leur dépendance du gaz et du pétrole russes, 17 milliards pour l’accueil des réfugiés et 9 milliards d’aide d’urgence à Kiev, soit près de 726 milliards d’euros
(https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-le-cout-eleve-de-l-autonomie-strategique-europeenne-20220529).
Député au Grand
Conseil du canton de Genève (Démocrate-chrétien). Ancien rédacteur-en-chef de la Tribune de Genève et fondateur du Club suisse de la presse.
Auteur du livre Russie-Occident. Une guerre de mille ans (à paraître le 8 septembre 2022).
Le député suisse et ancien rédacteur-en-chef de la Tribune de Genève, Guy
Mettan, dresse le portrait du saltimbanque qui joue le rôle de président de l’Ukraine. Il montre comment cet amuseur public s’est transformé en allié des bandéristes et installe pour eux une
dictature.
« Héros de la liberté », « Hero of Our Time »,
« Der Unbeugsame », « The Unlikely Ukrainian Hero Who Defied Putin and United the
World », « Zelensky, l’Ukraine dans le sang » : les médias et les dirigeants occidentaux ne savent plus quels superlatifs
utiliser pour chanter les louanges du président ukrainien, tant ils sont fascinés par la « stupéfiante résilience » du comédien
miraculeusement transformé en « chef de guerre » et en « sauveur de la
démocratie. »
Depuis trois mois, le chef d’État ukrainien fait la « une » des magazines, ouvre les téléjournaux, inaugure le Festival de Cannes, harangue les
parlements, félicite et admoneste ses collègues à la tête d’États dix fois plus puissants que lui avec un bonheur et un sens tactique qu’aucun acteur de cinéma ni aucun dirigeant politique
avant lui n’avait connus.
Comment ne pas tomber sous le charme de cet improbable Mr. Bean qui, après avoir conquis le public avec ses grimaces et ses extravagances (se promener nu
dans un magasin et mimer un pianiste jouant avec son sexe par exemple), a su en une nuit troquer ses pitreries et ses jeux de mots graveleux contre un T-shirt gris-vert, une barbe d’une
semaine et des mots pleins de gravité pour galvaniser ses troupes assaillies par le méchant ours russe ?
Depuis le 24 février, Volodymyr Zelensky a, sans conteste, administré la preuve qu’il était un artiste de la politique internationale aux talents exceptionnels.
Ceux qui avaient suivi sa carrière de comique n’ont pas été surpris car ils connaissaient son sens inné de l’improvisation, ses facultés mimétiques, son audace de jeu. La façon dont il a mené
campagne et terrassé en quelques semaines, entre le 31 décembre 2018 et le 21 avril 2019, des adversaires pourtant coriaces comme l’ancien président Porochenko, en mobilisant son équipe de
production et ses généreux donateurs oligarques, avait déjà prouvé l’ampleur de ses talents. Mais il restait à transformer l’essai. Ce qui est désormais fait.
TALENT POUR LE DOUBLE JEU
Cependant, comme c’est souvent le cas, la façade ressemble rarement aux coulisses. La lumière des projecteurs cache plus qu’elle ne montre. Et là, force est de
constater que le tableau est moins reluisant : tant ses réalisations de chef d’État que ses performances de défenseur de la démocratie laissent sérieusement à désirer.
Ce talent pour le double jeu, Zelensky va le montrer dès son élection. On rappelle qu’il a été élu avec le score canon de 73,2 % des voix en promettant de
mettre fin à la corruption, de mener l’Ukraine sur le chemin du progrès et de la civilisation, et surtout de faire la paix avec les russophones du Donbass. Aussitôt élu, il va trahir toutes
ses promesses avec un zèle si intempestif que sa cote de popularité tombera à 23 % en janvier 2022, au point de se faire distancer par ses deux principaux adversaires.
Dès mai 2019, pour satisfaire ses sponsors oligarques, le nouvel élu lance un programme massif de privatisation du sol portant sur 40 millions d’hectares
de bonnes terres agricoles sous prétexte que le moratoire sur la vente des terres aurait fait perdre des milliards de dollars au PIB du pays. Dans la foulée des programmes de « décommunisation » et de « dérussification » entamés depuis le coup d’État pro-états-unien de février
2014, il lance une vaste opération de privatisation des biens d’État, d’austérité budgétaire, de dérégulation des lois sur le travail et de démantèlement des syndicats, ce qui fâche une
majorité d’Ukrainiens qui n’avaient pas compris ce que leur candidat entendait par « progrès », « occidentalisation » et « normalisation » de l’économie ukrainienne. Dans un pays qui, en 2020,
affichait un revenu par habitant de 3 726 dollars contre 10 126 dollars pour l’adversaire russe, alors qu’en 1991 le revenu moyen de l’Ukraine dépassait celui de la
Russie, la comparaison n’est pas flatteuse. Et on comprend que les Ukrainiens n’aient pas applaudi cette énième réforme néolibérale.
Quant à la marche vers la civilisation, elle prendra la forme d’un autre décret qui, le 19 mai 2021, assure la domination de la langue ukrainienne et bannit le
russe dans toutes les sphères de la vie publique, administrations, écoles et commerces, à la grande satisfaction des nationalistes et à la stupéfaction des russophones du sud-est du
pays.
UN SPONSOR EN FUITE
En matière de corruption, le bilan n’est pas meilleur. En 2015, le Guardian estimait que l’Ukraine était le
pays le plus corrompu d’Europe. En 2021, Transparency International, une ONG occidentale basée à Berlin, classait l’Ukraine au 122e rang mondial de la corruption, tout près de la Russie
honnie (136e). Pas brillant pour un pays qui passe pour un parangon de vertu face aux barbares russes. La corruption est partout, dans les ministères, les administrations, les entreprises
publiques, le parlement, la police, et même dans la Haute Cour de Justice Anti-Corruption selon le Kyiv Post ! Il n’est pas rare de voir
des juges rouler en Porsche, observent les journaux.
Le principal sponsor de Zelensky, Ihor Kolomoïsky, résident à Genève où il possède des bureaux luxueux avec vue sur la rade, n’est pas le moindre de ces
oligarques qui profitent de la corruption ambiante : le 5 mars 2021, Anthony Blinken, qui ne pouvait sans doute pas faire autrement, annonçait que le département d’État avait bloqué ses
avoirs et l’avait banni des États-Unis en raison « d’une implication pour fait significatif de corruption ». Il est vrai qu’on accusait
Kolomoïsky d’avoir détourné 5,5 milliards de dollars de la banque publique Privatbank. Simple coïncidence, le bon Ihor était aussi le principal actionnaire du holding pétrolier Burisma
qui employait le fils de Joe Biden, Hunter, pour un modeste dédommagement de 50 000 dollars par mois, et qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du procureur du Delaware. Sage
précaution : Kolomoisky, devenu persona non grata en Israël et réfugié en Géorgie selon certains témoins, ne risque ainsi pas de venir
témoigner à la barre.
C’est ce même Kolomoïsky, décidément incontournable dans cette Ukraine en route vers le progrès, qui a fait toute la carrière d’acteur de Zelensky et qu’on
retrouve impliqué dans l’affaire des Pandora Papers révélée par la presse en octobre 2021. Ces papiers ont révélé que depuis 2012, la
chaine de TV 1+1 appartenant au sulfureux oligarque avait versé pas moins de 40 millions de dollars à sa vedette Zelensky depuis 2012 et que ce dernier, peu avant d’être élu président et
avec l’aide de sa garde rapprochée de Kryvyi Rih – les deux frères Shefir, dont l’un est l’auteur des scénarios de Zelenski et l’autre le chef du Service de sécurité d’État (SBU), et le
producteur et propriétaire de leur société de production commune Kvartal 95 – avait prudemment transféré des sommes considérables sur des comptes offshore ouverts au nom de sa femme, tout en
acquérant trois appartements non déclarés à Londres pour la somme de 7,5 millions de dollars.
Ce goût du « serviteur du peuple » (c’est le nom de sa série télévisée et de son parti politique) pour le
confort non-prolétarien est confirmé par une photo brièvement apparue sur les réseaux sociaux et aussitôt effacée par les fact-checkers anti-complotistes, qui le montrait prenant ses aises dans un palace tropical à quelques dizaines de milliers de dollars la nuit alors qu’il
était censé passer ses vacances d’hiver dans une modeste station de ski des Carpates.
Cet art de l’optimisation fiscale et cette fréquentation assidue d’oligarques pour le moins controversés ne plaident donc pas en faveur d’un engagement
présidentiel inconditionnel contre la corruption. Pas plus que le fait d’avoir essayé de dégommer le président de la Cour constitutionnelle Oleksandr Tupytskyi, qui le gênait, et nommé
Premier ministre, après le départ de son prédécesseur Oleksyi Hontcharouk pour cause de scandale, un inconnu du nom de Denys Chmynal mais qui avait le mérite de diriger l’une des usines de
l’homme le plus riche du pays, Rinat Akhmetov, propriétaire de la fameuse usine Azovstal, ultime refuge des héroïques combattants de la liberté du bataillon Azov. Combattants qui arborent sur
leur bras, dans leur cou, dans leur dos ou sur leur poitrine des tatouages glorifiant le Wolfsangel de la division SS Das Reich, des phrases d’Adolf Hitler ou des croix gammées, comme on a pu le voir sur les innombrables vidéos diffusées par les Russes après leur
reddition.
OTAGE DES BATAILLONS AZOV
Car le rapprochement du flamboyant Volodymyr avec les représentants les plus extrêmes de la droite nationaliste ukrainienne n’est pas la moindre des étrangetés
du Dr. Zelensky. Cette complicité a aussitôt été niée avec la plus grande virulence par la presse occidentale, qui l’a jugée scandaleuse en raison des origines juives du président, subitement
redécouvertes. Comment un président juif pourrait-il sympathiser avec des néo-nazis, par ailleurs présentés comme une infime minorité de marginaux ? Il ne faudrait tout de même pas
donner du crédit à l’opération de « dénazification » menée par Vladimir Poutine…
Et pourtant les faits sont têtus et loin d’être anodins.
Il est certain qu’à titre personnel Zelensky n’a jamais été proche de l’idéologie néo-nazie ni même de l’extrême-droite nationaliste ukrainienne. Son ascendance
juive, même si elle est relativement lointaine et n’a jamais été revendiquée avant février 2022, exclut bien évidemment tout antisémitisme de sa part. Ce rapprochement ne trahit donc pas une
affinité mais relève de la banale raison d’État et d’un mélange bien compris de pragmatisme et d’instinct de survie physique et politique.
Il faut remonter à octobre 2019 pour comprendre la nature des relations entre Zelensky et l’extrême-droite. Et il faut comprendre que ces formations
d’extrême-droite, même si elles ne pèsent que 2 % de l’électorat, représentent tout de même près d’un million de personnes très motivées et bien organisées et qui se répartissent dans de
nombreux groupements et mouvements, dont le régiment Azov (cofondé et financé dès 2014 par Kolomoïsky, toujours lui !) n’est que le plus connu. Il faut lui ajouter les organisations
Aïdar, Dnipro, Safari, Svoboda, Pravy Sektor, C14 et Corps national pour être complet.
C14, baptisé ainsi en raison du nombre de mots de la phrase du néonazi américain David Lane (« We must secure the
existence of our people and a future for white children »), est l’un des moins connus à l’étranger mais les plus redoutés pour sa violence raciste en Ukraine. Tous ces groupements
ont été plus ou moins fondus dans l’armée et la garde nationale ukrainiennes à l’initiative de leur animateur, l’ancien ministre de l’Intérieur Arsen Avakov, qui a régné sans partage sur
l’appareil de sécurité ukrainien de 2014 à 2021. Ce sont eux que Zelensky appelle des « vétérans depuis l’automne 2019.
Quelques mois après son élection, le jeune président se rend en effet dans le Donbass pour tenter de réaliser sa promesse électorale et faire appliquer les
accords de Minsk signés par son prédécesseur. Les forces d’extrême-droite, qui pilonnent les villes des Donetsk et Lougansk depuis 2014 au prix de dix mille morts, l’accueillent avec la plus
grande circonspection car ils se méfient de ce président « pacifiste ». Ils mènent une campagne sans pitié contre la paix sous le slogan
« Pas de capitulation ». Sur une vidéo, on voit un Zelensky blême les implorer : « Je suis
le président de ce pays. J’ai 41 ans. Je ne suis pas un loser. Je viens vers vous et vous dis : retirez les armes. » La vidéo est lâchée sur les réseaux sociaux et Zelensky
devient aussitôt la cible d’une campagne haineuse. C’en sera fait de ses velléités de paix et d’application des accords de Minsk.
Peu après cet incident, un retrait mineur des forces extrémistes a lieu, puis les bombardements reprennent de plus belle.
CROISADE NATIONALISTE
Le problème est que non seulement Zelensky a cédé à leur chantage mais qu’il les rejoint dans leur croisade nationaliste. Après son expédition ratée, en
novembre 2019, il reçoit plusieurs leaders de l’extrême-droite, dont Yehven Taras, le chef du C14, tandis que son Premier ministre s’affiche aux côtés d’Andryi Medvedko, une figure néo-nazie
soupçonnée de meurtre. Il soutient aussi le footballeur Zolzulya contre les fans espagnols qui l’accusent d’être un nazi à cause de son soutien proclamé à Stepan Bandera, le leader
nationaliste qui a collaboré avec l’Allemagne nazie pendant la guerre (et avec la CIA après la guerre) et participé à l’Holocauste des Juifs.
La collaboration avec les radicaux nationalistes est bien installée. En novembre de l’an dernier, Zelensky nomme l’ultra-nationaliste de Pravy Sektor Dmytro
Yarosh conseiller spécial du commandant en chef de l’armée ukrainienne et, depuis février 2022, chef de l’Armée des volontaires qui fait régner la terreur à l’arrière. Au même moment, il
nomme Oleksander Poklad, surnommé « l’étrangleur » en raison de son goût pour la torture, chef du contre-espionnage du SBU. En décembre,
deux mois avant la guerre, c’est au tour d’un autre chef de Pravy Sektor, le commandant Dmytro Kotsuybaylo, d’être récompensé par le titre de « Héros de l’Ukraine » tandis que, une semaine après le début des hostilités, Zelensky fait remplacer le gouverneur régional d’Odessa par Maksym Marchenko,
commandant du bataillon ultranationaliste Aïdar, celui-là même auprès duquel Bernard-Henri Lévy se fera une gloire de défiler.
Désir d’amadouer l’extrême-droite en lui confiant des postes ? Ultra-patriotisme partagé ? Ou simple convergence d’intérêt entre une droite
néolibérale atlantiste et pro-occidentale et une extrême droite nationaliste qui rêve de casser du Russe et de « mener les races blanches du monde
dans une croisade finale contre les Untermenschen guidés par les Sémites », selon les mots de l’ancien député Andryi Biletsky,
chef du Corps national ? On ne sait trop, aucun journaliste ne s’étant hasardé à poser la question à Zelensky.
Ce qui ne fait aucun doute en revanche, c’est la dérive de plus en plus autoritaire, voire criminelle, du régime ukrainien. À tel point que ses zélotes
devraient y réfléchir à deux fois avant de proposer leur idole au prix Nobel de la Paix. Car, pendant que les médias regardent ailleurs, c’est une vraie campagne d’intimidation, de
kidnappings et d’exécutions que subissent les élus locaux et nationaux soupçonnés d’être des agents russes ou de connivence avec l’ennemi parce qu’ils veulent éviter une escalade du
conflit.
« Un traitre de moins en Ukraine ! On l’a retrouvé tué et il a été jugé par le tribunal du
peuple ! » C’est ainsi que le conseiller du ministre de l’Intérieur, Anton Gerashenko, a annoncé sur son compte Telegram le meurtre de Volodymyr Strok, maire et ancien député de
la petite ville de Kremnina. Soupçonné d’avoir collaboré avec les Russes, il a été enlevé puis torturé avant d’être exécuté. Le 7 mars, c’est au tour du maire de Gostomel d’être tué parce
qu’il avait voulu négocier un corridor humanitaire avec les militaires russes. Le 24 mars, c’est le maire de Kupyansk qui demande à Zelensky de relâcher sa fille enlevée par les séides du
SBU. Au même moment, un des négociateurs ukrainiens est retrouvé mort après avoir été accusé de trahison par les médias nationalistes. Pas moins de onze maires sont portés disparus à ce jour,
y compris dans des régions jamais occupées par les Russes…
PARTIS D’OPPOSITION INTERDITS
Mais la répression ne s’arrête pas là. Elle frappe les médias critiques, qui ont tous été fermés, et les partis d’opposition, qui ont tous été dissous.
En février 2021, Zelensky fait fermer trois chaînes d’opposition jugées pro-russes et censées appartenir à l’oligarque Viktor Medvedchuk, NewsOne, Zik et 112
Ukraine. Le département d’État salue cet attentat contre la liberté de la presse en déclarant que les États-Unis soutiennent les efforts ukrainiens pour contrer l’influence maligne de la
Russie… En janvier 2022, un mois avant la guerre, c’est au tour de la chaine Nash d’être fermée. Après le début de la guerre, le régime fait la chasse aux journalistes, blogueurs et
commentateurs de gauche. Début avril, deux chaînes de droite sont également touchées. Channel 5 et Pryamiy. Un décret présidentiel oblige toutes les chaines à diffuser un seul et unique son
de cloche, pro-gouvernemental bien sûr. Récemment la chasse aux sorcières s’est même étendue au blogueur critique le plus populaire du pays, le Navalny ukrainien, Anatoliy Shariy, qui été
arrêté le 4 mai dernier par les autorités espagnoles à la demande de la police politique ukrainienne. Des attaques contre la presse au moins équivalentes à celles de l’autocrate Poutine, mais
dont on n’a jamais entendu parler dans les médias occidentaux…
La purge a été encore plus sévère pour les partis politiques. Elle a décimé les principaux opposants de Zelensky. Au printemps 2021, le domicile du principal
d’entre eux, Medvedchuk, réputé proche de Poutine, est saccagé et son propriétaire placé en résidence surveillée. Le 12 avril dernier, le député oligarque a été interné de force dans un lieu
tenu secret, visiblement drogué, privé de visites avant d’être exhibé à la TV et proposé en échange de la libération des défenseurs d’Azovstal, au mépris de toutes les conventions de Genève.
Ses avocats, menacés, ont dû renoncer à le défendre au profit d’un proche des services.
En décembre dernier, c’est Petro Porochenko, qui remontait dans les sondages, qui a été accusé de trahison. Le 20 décembre 2021 à 15 h 07, on pouvait
lire sur le site officiel du SBU qu’il était suspect d’avoir commis des crimes de trahison et de soutien à des activités terroristes. L’ancien président, qui était pourtant un antirusse
forcené, se voyait reprocher « d’avoir rendu l’Ukraine énergétiquement dépendante de la Russie et des leaders des pseudo-Républiques sous contrôle
russe. »
Le 3 mars dernier, ce sont les activistes de la Gauche Lizvizia qui subissent un raid du SBU et sont emprisonnés par douzaines. Puis le 19 mars, la répression
frappe l’ensemble de la gauche ukrainienne. Par décret, onze partis de gauche sont interdits, soit le Parti pour la vie, l’Opposition de gauche, le Parti socialiste progressiste d’Ukraine, le
Parti socialiste d’Ukraine, l’Union des forces de gauche, les Socialistes, le Parti Sharyi, Les Nôtres, le Bloc d’opposition, le Bloc Volodymyr Saldo.
D’autres activistes, blogueurs et défenseurs des droits de l’Homme sont arrêtés et torturés, le journaliste Yan Taksyur, l’activiste Elena Brezhnaya, le boxeur
de MMA Maxim Ryndovskiy ou encore l’avocate Elena Viacheslavova, dont le père était mort carbonisé dans le pogrom du 2 mai 2014 à la Maison des syndicats d’Odessa.
Pour compléter cette liste, on mentionnera encore ces hommes et ces femmes déshabillés et fouettés en public par les nationalistes dans les rues de Kiev, ces
prisonniers russes battus et dont on tirait dans les jambes avant de les exécuter, ce soldat à qui on avait percé un œil avant de le tuer, ces membres de la Légion géorgienne qui ont exécuté
des prisonniers russes dans un village près de Kiev tandis que leur chef se vantait de ne jamais faire de prisonnier. Sur la chaine Ukraine 24, c’est le chef du service médical de l’armée qui
indique avoir donné l’ordre « de castrer tous les hommes russes parce qu’ils sont des sous-hommes pires que des cafards. » Enfin, l’Ukraine
recourt massivement à la technologie de reconnaissance faciale de la société Clearview afin d’identifier les morts russes et de diffuser leurs photos sur les réseaux sociaux russes en les
tournant en ridicule…
UN ACTEUR À OSCARISER
On pourrait multiplier les exemples, tant sont nombreuses les citations et les vidéos d’atrocités commises par les troupes du défenseur de la démocratie et des
droits humains qui préside aux destinées de l’Ukraine. Mais ce serait fastidieux et contre-productif auprès d’une opinion publique convaincue que ces comportements barbares sont uniquement
dus aux Russes.
C’est pourquoi aucune ONG ne s’en alarme, le Conseil de l’Europe reste coi, le Tribunal pénal international n’enquête pas, les organisations de défense de la
liberté de la presse restent muettes. Ils n’ont pas bien écouté ce que le gentil Volodymyr leur avait déclaré lors d’une visite à Butcha début avril : « Si nous ne trouvons pas une porte de sortie civilisée, vous connaissez nos gens, ils trouveront une issue non-civilisée. »
Le problème de l’Ukraine est que son président, bon gré ou mal gré, a cédé son pouvoir aux extrémistes sur le plan intérieur et aux militaires de l’Otan sur le
plan extérieur pour s’adonner au plaisir d’être adulé par les foules du monde entier. N’est-ce pas lui qui déclarait à un journaliste français, le 5 mars dernier, dix jours après l’invasion
russe : « Aujourd’hui, ma vie est belle. Je crois que je suis désiré. Je sens que c’est le sens le plus important de ma vie : être
désiré. Sentir que vous n’êtes pas banalement en train de respirer, marcher et manger quelque chose. Vous vivez ! ».
On vous l’a dit : Zelenski est un grand acteur. Comme son prédécesseur qui avait incarné le Dr. Jekill & Mr. Hide en 1932, il mérite de gagner
l’Oscar du meilleur rôle masculin de la décennie. Mais quand il devra s’atteler à la tâche de reconstruire son pays dévasté par une guerre qu’il aurait pu éviter en 2019, le retour à la
réalité risque d’être difficile.
Ukraine. Volodymyr Zelensky piégé par les Pandora Papers - Le 07/10/2021.
Les révélations se multiplient autour du président ukrainien sur de nombreuses affaires commerciales via des sociétés offshore. Elles débouchent sur une crise politique pour le dirigeant, qui
avait promis de combattre ces maux lors de son élection en 2019.
L’ex-acteur a donné à son parti le titre de la série dans laquelle il jouait un incorruptible. Sergei Supinsky/AFP
Une semaine de tous les dangers. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky essuie une véritable tempête médiatique et politique. Les révélations sorties dans le cadre des Pandora
Papers depuis lundi le visent directement. Cette enquête, menée par plus de 600 journalistes de 117 pays qui ont étudié 11,9 millions de dossiers confidentiels, pointe
comment s’organise l’évasion fiscale.
En Ukraine, c’est le site d’investigation de Slidstvo.info qui, en participant au Consortium international des journalistes d’investigation (Icij), a sorti plusieurs documents
impliquant le président Zelensky dans des tractations commerciales secrètes. L’un d’eux pointe ainsi l’achat par des compagnies offshore (une entreprise enregistrée à l’étranger),
appartenant à sa société de production Kvartal 95, « de trois appartements dans le centre de la capitale britannique (…) pour une somme
d’environ 7,5 millions de dollars », atteste Slidstvo.info. Les journalistes ont réussi à retrouver leur localisation
exacte. Les deux premiers appartiennent à l’entreprise de Serhiy Shefir, premier assistant du chef de l’État. L’un, acquis pour 3 millions de dollars en 2018, est situé dans une
maison appelée Chalfont Court, en face du bâtiment 221B Baker Street. Le second se trouve dans l’immeuble Clarence Gate Gardens juste à côté. Le dernier, détenu par le copropriétaire
de Kvartal 95, Andriy Yakovlev, se situe à quelques mètres du palais de Westminster.
Cette affaire est éclairante sur le cercle proche de Volodymyr Zelensky, issue de sa société de production Kvartal 95 qui se trouve au cœur du scandale. Elle est derrière un vaste
réseau tentaculaire d’entreprises enregistrées à l’étranger pour cacher leur activité et détenues en copropriété par son groupe d’amis. Tous sont issus soit de la ville natale de
Zelensky, Kryvyï Rih, dans le sud, ou de sa société de production. « Il s’agit de Serhiy Shefir, qui a produit les émissions à succès de
Zelensky, et le frère aîné de Shefir, Borys, qui a écrit les scripts. Un autre membre du consortium est Ivan Bakanov, un ami d’enfance. Bakanov était directeur général du studio de
production et le réalisateur, producteur et copropriétaire de Kvartal 95, Andriy Yakovlev », raconte Slidstvo.info.
Ce partenariat autour de la société de production apparaît quand Volodymyr Zelensky est acteur, humoriste et comédien et pas encore dirigeant. Il s’est servi d’une de ses séries les
plus populaires, Serviteur du peuple, où il tenait le rôle d’un enseignant indigné par la corruption de son pays qui devient président.
En 2019, Zelensky reprend le nom de la série pour en faire une formation politique et se faire élire avec 73 % des voix sur un programme sans concession : la lutte contre les
inégalités, mettre fin au système oligarchique et à la corruption. « Même si ces révélations ne nous surprennent plus. Nous sommes extrêmement
déçus. Durant la campagne, Zelensky avait incarné un espoir de changement. Il s’en est pris à l’ancienne génération dirigeante impliquée dans de nombreux scandales, critiquant son
prédécesseur Petro Porochenko, sur le fait de cacher des actifs à l’étranger, ou de ne pas assez combattre la corruption », rappelle Xenia, la quarantaine qui avait
participé aux mobilisations massives de 2013 et 2014 sur la place Maïdan.
Deux autres crises : le Donbass et Nord Stream 2
À Kiev, un mécontentement général prend forme. Et cette colère populaire à l’égard du président pourrait bien grandir dans les jours qui viennent. Car Slidstvo.info promet encore de
nombreuses révélations sur Zelensky et d’autres responsables ukrainiens. Pour Lena, une retraitée de 65 ans, habitant dans les environs de Kiev, ce scandale « n’apporte rien de nouveau. Tous les dirigeants ont été impliqués dans une affaire depuis l’indépendance. Mais il choque de nombreuses personnes qui voient
leur retraite, leur salaire ne jamais augmenter, à la différence des prix, de la TVA, de l’énergie. Et à chaque fois les mêmes dirigeants nous promettent de sortir le pays de la crise
économique et sociale et que chacun devra faire des efforts. Après deux révolutions (2004 et 2013-2014 – NDLR), on n’y croit plus.
Et c’est le plus dangereux et regrettable ».
Deux autres crises émergent actuellement pour le chef de l’État : le Donbass et Nord Stream 2. Depuis plusieurs jours, la situation dans la région de l’est de l’Ukraine apparaît
préoccupante. Les violations répétées du cessez-le-feu ont fait plusieurs morts. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a d’ailleurs quitté la zone frontalière de
la Russie, la mission n’ayant pas été renouvelée par Moscou. La paix dans la région, pour un conflit qui a causé la mort de 13 000 personnes, devait être l’autre priorité fixée
par le président ukrainien pour son mandat. Elle est au point mort alors qu’un autre échec diplomatique semble se dessiner : la mise en marche du gazoduc reliant la Russie à
l’Allemagne. Elle apparaît inéluctable dans les prochains mois, le processus de remplissage ayant débuté.