Note d'actualité n°539 - Mars 2019.

Iran : La logique de l'affrontement est en marche

...par Alain Rodier

Selon les Occidentaux, les activités clandestines iraniennes sont en augmentation depuis ces dernières années. Le ministère du Renseignement et de la sécurité (VAJA, ex-VEVAK) et le Directorat du renseignement du Corps des Gardiens de la Révolution islamique– dont le bras armé à l’étranger est la force Al-Qods -, constituent l’épine dorsale du système de renseignement et d’action clandestine du régime iranien. Afin de ne pas apparaître trop directement, ces services utilisent fréquemment des intermédiaires dont le plus connu est le Hezbollah libanais. Le principal atout de cette organisation est l’importante diaspora libanaise établie de par le monde qui constitue un « vivier à agents ». Au sein de ce mouvement, il existe une pléthore de sous-groupes aux appellations diverses qui permettent de brouiller les pistes. Toutefois, une entité s’est particulièrement distinguée dans le passé : l’Organisation du jihad islamique (OJI) ou « Unité 910 ». Si l’OJI a souvent été utilisée au Liban dans les années 1980, elle serait aujourd’hui encore active.

Parallèlement, Téhéran soutient des mouvements palestiniens qui sont en opposition frontale avec Israël : le Hamas[1]et le Jihad islamique palestinien.

 

Un cas un peu ancien a été dévoilé à la presse en 2019 : celui de la défection de Monica Witt, une ancienne militaire du Bureau des Enquêtes Spéciales de l’Air Force (AFOSI) en Iran, en août 2013 .Le 9 juin 2018, le département de la Justice américain a dévoilé le nom de deux suspects américano-libanais – Ali Kourani et Samer El Debek – qui dépendraient de l’OJI. Ils ont été arrêtés pour « soutien à une organisation terroriste » et pour « participation à une formation militaire dispensée par une organisation terroriste ». Ni Kourani, ni El Debek ne sont accusés d’avoir voulu déclencher des attentats. Le premier semble avoir été un « agent d’infrastructure » dont la mission consistait essentiellement à monter des dossiers d’objectifs « au cas où ». El Debek semblait être un agent opérationnel. Ils se sont livrés d’eux-mêmes aux autorités car ils auraient tout simplement été « radiés des cadres » des services iraniens !

En août 2018, c’était au tour de deux Américains d’origine iranienne d’être arrêtés en Californie comme « agents d’une puissance étrangère » : Majid Ghorbani, 59 ans et Ahmadreza Mohammadi Doostdar 38 ans. Une enquête d’un an aurait démontré que ces ceux agents illégaux se renseignaient sur les mouvements d’opposition iraniens présents aux États-Unis ainsi que sur les intérêts israéliens.

Le 15 janvier 2019, le parquet général de Karlsruhe a annoncé l’arrestation de l’Allemand d’origine iranienne Abdul Hamid S., conseiller culturel et linguistique auprès de la Bundeswehr. Il est accusé d’avoir « transmis des informations à un service de renseignement iranien ». Selon Der Spiegel, Abdul Hamid S. travaillait depuis « plusieurs années » pour Téhéran et avait surtout accès à des renseignements portant sur l’engagement des forces allemandes en Afghanistan.

Plus globalement, l’Iran s’intéresse à ce qui se passe en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, en Cisjordanie, à Gaza et au Bahreïn. Dans ces pays, le renseignement et l’action sont conjointement employés. En revanche, dans les pays considérés comme hostiles (Israël, États-Unis, Union européenne, Turquie, Jordanie, etc.), c’est surtout le renseignement qui est de mise. Il serait difficile de croire que la Russie et la Chine ne sont pas aussi visées par les réseaux iraniens, mais sans doute via des actions d’’influence, lesquelles peuvent s’effectuer via les représentations diplomatiques et culturelles.

  

La défection d’une officier de renseignement de l’US Air Force en Iran

 

Monica Witt, une ancienne militaire du Bureau des Enquêtes Spéciales de l’Air Force (AFOSI) a fait défection en Iran en août 2013 emportant avec elle de nombreuses informations classifiées. Le cas n’a été rendu public que début 2019 lorsque l’acte d’accusation du département de la Justice d’août 2018 a été divulgué dans les médias. Quatre cyberactivistes iraniens, sans doute membres des pasdarans, sont également accusés d’avoir tenté d’entrer en contact avec d’anciens collègues de Monica Witt.

Monica Witt s’engage dans l’US Air Force en 1997. Elle quitte le service en 2008 mais continue pendant deux ans à travailler comme consultante pour le Pentagone. Ce n’est qu’après avoir quitté la Défense qu’elle se rend en février 2012 en Iran à une conférence intitulée « Hollywoodism et le cinéma » organisée par la New Horizon Organisation, qui serait une couverture de la force Al-Qods des pasdarans. Cette société organiserait des « conférences internationales » dans deux buts : repérer dans le public des cibles potentielles intéressantes et se livrer à une propagande, antisémite, complotiste et négationniste qui vilipende les États-Unis et Israël. En dehors de vidéos où Witt apparaît critiquant les États-Unis, l’une d’entre elles montre sa conversion à l’islam.

Le 25 juin 2012, le FBI l’avertit que les Iraniens pourraient tenter de la recruter. Déjà convaincue de sa démarche politico-religieuse, elle ne donne pas suite. Witt aurait vraisemblablement alors été mise en contact avec une journaliste américano-iranienne (désignée « Individu A » dans l’acte d’accusation) résidant en Iran qui effectuait un reportage aux États-Unis.

Witt retourne en février 2013 à Téhéran pour participer à la même conférence qu’en 2012 mais s’impatiente auprès de son contact (« l’individu A ») car les Iraniens semblent rester sourds à ses appels du pied. Elle aurait menacé de se tourner vers WikiLeaks ou la Russie. Elle décide de rejoindre Téhéran le 28 août 2013 où elle est enfin accueillie par les Iraniens. À partir de décembre 2014, les cyberactivistes évoqués ci-dessus auraient commencé à lancer des manoeuvres de pénétration informatique ciblant des ex-collègues de Witt.

Plus inquiétant, les autorités occidentales craignent que les Iraniens n’aient repris les missions d’élimination physique d’opposants installés à l’étranger comme cela a été le cas après la révolution de 1979.L’organisation la plus visible est l’OMPI (l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien ou Mujahedeen El-Khalq/MEK) reconnue un temps comme « terroriste » par l’Union européénne et les Etats-Unis, mais revenue en grâce aux yeux de Bruxelles en 2009 et de Washington en 2012. Il faut reconnaître que c’est l’OMPI qui a permis aux Occidentaux de découvrir en 2002 une partie importante du programme nucléaire clandestin iranien.

Début 2018, deux opérationnels des pasdarans ont été expulsés d’Albanie alors qu’ils effectuaient des repérages dans ce pays où l’OMPI bénéficie depuis peu d’un important camp d’entrainement paramilitaire à Manëz, près de la capitale Tirana. Suite à cette affaire, l’ambassadeur d’Iran et un de ses adjoints ont été à leur tour expulsés à la grande satisfaction de Washington.

Le 30 juin 2018, un attentat contre le rassemblement annuel de l’OMPI qui se tenait à Villepinte aurait été déjoué. À la suite de renseignements fournis par le Mossad, un couple belgo-iranien – Amir et Nasimeh S., âgés d’une trentaine d’années – a été appréhendé par la police belge à Woluwe-Saint-Pierre, dans la banlieue bruxelloise. 500 grammes d’explosif TATP et un dispositif de mise à feu ont été découverts dans deux paquets séparés dans leur voiture. Assadollah Assadi, un diplomate iranien en poste à l’ambassade d’Iran à Vienne (Autriche), soupçonné d’avoir été en contact avec ce couple, a également été arrêté en Allemagne.

L’Iran est aussi accusé par les Pays-Bas d’être derrière l’assassinat de Ali Motamed en 2015, à Almere. De sa vraie identité Mohammad Reza Kolahi Samadi, il aurait appartenu à l’OMPI et aurait été l’instigateur de l’attentat terroriste ayant eu lieu en 1981 en Iran contre le siège du Parti de la République islamique à Téhéran, qui fit 79 morts. En 2017, Ahmad Molla Nissi, le secrétaire général de l’ASMLA (le Mouvement de lutte arabe pour la libération de l’Ahwaz[2]) a été assassiné à la Haye. Suite à ces deux affaires, deux diplomates iraniens sont expulsés des Pays-Bas en juin 2018.

Un projet d’assassinat de trois militants de l’ASMLA aurait aussi été déjoué à Ringsted, dans la région de Copenhague, en septembre 2018. Un Norvégien d’origine iranienne a été surpris en train de photographier le domicile du chef de l’ASMLA. Arrêté dans la ville suédoise de Gothenbourg, il a été extradé vers le Danemark.

Theresa May a apporté son soutien au Danemark lors d’une rencontre à Oslo où elle a comparé cette tentative d’assassinat à celle ayant visé, en mars 2018 à Salisbury (Royaume-Uni), Sergueï et Youlia Skripal. Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a également félicité le Danemark d’avoir arrêté « un assassin du régime iranien ».

 

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