Note d'actualité n° 540 - Mars 2019

Les Etats-Unis se préparent à la guerre

...par Alain Rodier.

 

« Si vis pacem, para bellum » : si tu veux la paix, prépare la guerre. Cette locution latine dont l’origine n’est pas exactement connue est aujourd’hui particulièrement d’actualité. Il conviendrait toutefois d’en modifier le début en « si tu veux la Pax Americana… ».

 

En effet, les Américains sont plus que jamais déterminés à dominer politiquement et économiquement le monde. Cette ambition vise à satisfaire leurs intérêts à court et moyen termes – en vertu de l’argument en vogue à Washington « ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le monde »-, mais elle se fonde également sur une croyance profondément ancrée chez les élites américaines comme au sein de la population : tous sont convaincus de représenter le « Bien » sur terre et se sentent investis d’une mission civilisatrice globale. Logiquement, tous ceux qui s’opposent à leurs vues incarnent le « Mal absolu ». Ainsi, machiavélisme et messianisme sont les deux ressorts de la politique internationale des Etats-Unis.

 

Depuis la fin de la Guerre froide, Washington s’attache donc à la construction d’une société mondialisée répondant à ses critères et d’une politique qui justifie l’élimination de ceux qui sont tentés de lui faire obstacle.

 

Pour ne pas trop apparaître en première ligne, les Etats-Unis agissent souvent via des tiers – leurs services spéciaux, leurs multiples fondations et différentes ONG que le département d’État finance pour partie – en laissant croire à l’émergence de « mouvements spontanés » ça et là dans les pays dont ils souhaitent renverser les régimes. Cela a été le cas dans les Balkans (ex-Yougoslavie), en Europe de l’Est et dans le Caucase (révolutions de couleurs) puis au Maghreb au Proche-Orient et (printemps arabe).

 

Les Américains bénéficient aussi de l’appui inconditionnel de leurs alliés ouest-européens qui partagent avec eux les mêmes valeurs universelles. À noter que dans ce cadre, le Royaume-Uni s’est toujours comporté un peu comme le « premier de la classe ». C’est-à-dire que Londres a toujours été à la pointe du combat, faisant parfois preuve d’un zèle que d’aucuns pourraient juger d’excessif.

 

LES PREMIÈRES RÉSISTANCES À L’HÉGÉMONIE AMÉRICAINE

 

Pendant plus d’une décennie, Washington n’a rencontré aucune résistance car la Russie se trouvait embourbée dans ses problèmes (crise du régime, reconstruction) et était bien trop faible pour réagir.

 

Les premières réactions russes ont commencé en 2008 lors de la deuxième guerre de Géorgie – l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont été annexées de fait par Moscou -, puis en 2013 en Ukraine et surtout par la récupération de la Crimée en 2014. L’ours russe venait de se réveiller sous l’impulsion de Vladimir Poutine aussitôt désigné comme ennemi à abattre par Washington et comme représentant le « Mal absolu ».

 

La Chine, consciente de sa puissance croissante, a commencé aussi à s’affirmer, notamment en mer de Chine méridionale, par la construction d’îles artificielles et de bases navales sur quelques rochers inhabités. Depuis, elle développe également son projet de « Nouvelle route de la soie » (One Belt, One Road)qui doit la relier à l’Europe. Bien évidemment, Washington considère ce projet économique grandiose comme une menace à sa domination économique qu’il convient de combattre énergiquement.

 

Enfin, il y a longtemps que le régime des mollahs en Iran est l’ennemi à abattre. Pourtant, ce sont les Américains et les Britanniques qui leur ont permis de parvenir au pouvoir en 1979 en abandonnant le Shah Reza Pahlavi. Rappelons également qu’en dépit de l’aide apportée à Bagdad pendant la guerre très meurtrière avec l’Irak (1980-1988), les Etats-Unis et Israël soutinrent secrètement Téhéran car Saddam Hussein était alors jugé comme plus déstabilisateur pour la région, ce qui sera confirmé plus tard et conduira à son élimination. Mais depuis la fin de ce conflit, les hostilités sont déclarées entre Washington et Téhéran. Il faut reconnaître que les mollahs n’ont rien fait pour apaiser les tensions : prise d’otages durant 444 jours du personnel diplomatique américain en poste à Téhéran (1979-1980) ; attentats contre des US Marines à Beyrouth dans les années 1980 ; menaces répétées contre l’existence même de l’État hébreu ; et enfin actions de terrorisme d’État déclenchées de par le monde, d’abord contre les opposants du régime réfugiés à l’étranger, puis contre les intérêts occidentaux et israéliens.

 

Aujourd’hui, depuis le rejet par le président Donald Trump de l’accord JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) portant sur le programme nucléaire iranien, les discours américains et israéliens sont de plus en plus belliqueux. Ainsi, la Conférence sur la sécurité au Moyen-Orient organisée par Washington à Varsovie à la mi-février 2019 a été très révélatrice. Parlant aux côtés du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré « vous ne pouvez assurer la stabilité au Moyen-Orient sans affronter l’Iran. Ce n’est juste pas possible ». Peu après, Netanyahou – qui prépare les prochaines élections d’avril en Israël dans des conditions difficiles – en a rajouté lors d’un discours devant les cadets de l’Académie navale israélienne à Haïfa : « L’Iran tente de contourner les sanctions qui lui sont imposées(NdA : principalement par les États-Unis) par le biais de la contrebande secrète de pétrole par la mer. À mesure que ces tentatives se multiplieront, la marine aura un rôle plus important à jouer pour bloquer ces actions iraniennes(…). J’appelle la communauté internationale à stopper, par tous les moyens, les tentatives de l’Iran de contourner les sanctions par la mer ». Il n’a par contre pas expliqué comment Israël agirait pour stopper les pétroliers iraniens sans risquer une escalade militaire. De plus, lors d’une visite officielle au Liban les 22 et 23 mars 2019, Mike Pompeo a appelé les Libanais « à se rebeller contre le Hezbollah ». Cette ingérence dans la politique intérieure de son pays semble avoir irrité le président Michel Aoun.

 

Pour le moment, les bombardements israéliens contre des objectifs iraniens et du Hezbollah libanais en Syrie n’ont pas provoqué de riposte car Téhéran semble avoir flairé le piège : offrir le prétexte aux États-Unis et à Israël de déclencher des frappes aériennes en Iran même. Mais, facteur aggravant, le président Bachar El-Assad aurait accordé, lors de sa visite à Téhéran le 25 février 2019, la gestion du port de Lattaquié à l’Iran à compter d’octobre de cette année. Ainsi, cet important port pourrait devenir le débouché du corridor reliant l’Iran à la Méditerranée. Israël va vraisemblablement prendre des mesures pour s’opposer à ce projet.

 

Pour préparer son offensive contre Téhéran, Washington multiplie les gestes en direction de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Qatar (actuellement en froid avec ses deux voisins), trois Etats désormais alliés d’Israël. L’Etat hébreu est bien sûr au centre de la politique américaine au Proche-Orient, Washington ayant reconnu Jérusalem comme capitale officielle de l’État hébreu et le plateau du Golan conquis en 1967 comme territoire israélien. Le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, qui était présenté comme un casus bellipar de nombreux observateurs, n’a provoqué que de molles protestations dans le monde arabo-musulman. Il est possible qu’il en soit de même pour le Golan. En effet, Israël est devenu un partenaire incontournable pour l’Arabie saoudite et les Émirat arabes unis afin de s’opposer à l’influence iranienne au Moyen-Orient.

 

L’intervention russe en Syrie gêne considérablement Washington dans sa stratégie. Aussi, les Américains dénoncent les prétendues opérations d’influence lancées par Moscou et les meurtres d’opposants. À ce sujet, le Royaume-Uni semble être le champ clos d’une guerre d’espions dans laquelle, bien sûr, le président Poutine joue le rôle du « méchant ». Mais les services de renseignement français commenceraient à douter, au moins pour partie, des accusations émises continuellement par leurs homologues américains concernant des cyberattaques commises par le GRU.

 

Aux États-Unis même, cette stratégie se voit contrariée suite à la publication du rapport du procureur spécial Robert Mueller qui, après deux ans d’enquêtes, a conclu à l’absence de preuves concernant une collusion entre l’équipe de Trump et la Russie lors de l’élection présidentielle de 2016. La communauté du renseignement américaine risque de se retrouver sur la sellette car elle clamait haut et fort qu’elle en détenait les preuves… sans jamais les produire ! C’est une aubaine pour Trump dans la perspective de sa campagne pour un second mandat. Toutefois, cela ne va pas changer l’attitude globale de Washington vis-à-vis de Moscou. Ainsi, le 6 mars 2019, le général Curtis Scaparrotti commandant suprême de l’OTAN, brandissait devant le Congrès une « menace d’agression russe » pour obtenir des crédits supplémentaires.

 

LES DÉPENSES MILITAIRES, UN INDICATEUR DÉNUÉ D’AMBIGÜITÉ

 

Afin d’avoir une vision objective de la réalité, il convient de ne pas s’en tenir aux seuls discours des uns et des autres. Il est indispensable de considérer les moyens que les acteurs consacrent à leur stratégie. Un bon indice est celui du budget de la défense. En 2018, les États-Unis y ont consacré 646,3 milliards de dollars[1], la Chine venant en seconde position, loin derrière, avec 168,2 milliards de dollars suivie par l’Arabie saoudite avec 82,9 milliards de dollars. La Russie arrive ensuite avec 63,1 milliards de dollars[2]. Ainsi, en 2018 comme au cours des années précédentes, les États-Unis ont dépensé dix fois plus pour leur défense que les Russes[3].

 

En dépit de ces chiffres, Washington continue de clamer que Moscou est une menace pour la sécurité internationale en raison de sa logique d’expansion… Ainsi, la récupération de la Crimée par Moscou a été présentée comme une agression alors que tous les observateurs avertis savaient que jamais la Russie n’abandonnerait la base militaire de Sébastopol considérée comme vitale pour sa sécurité. Les plus alarmistes en Europe vis-à-vis de la Russie sont la Pologne et les Etats Baltes qui ont historiquement, un très mauvais souvenir de l’occupation de leurs pays par l’URSS lors de la fin de Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide.

 

Un autre indicateur majeur est le renforcement progressif des forces américaines basées en Europe dans le cadre de l’OTAN ou d’accords bilatéraux. Ainsi, le 14 mars 2019, Washington a décidé de déployer six bombardiersStratofortressB-52H du 2nd Bomb Wingde Barksale (Louisiane) à Fairford (Royaume-Uni), une base aérienne habituée à les accueillir par le passé.

 

Le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire(FNI[4]) annulé par Donald Trump le 1ermars 2019 est également un acte d’une importance cruciale. Bien qu’il ait été avancé que cela représente une menace supplémentaire pour l’Europe, il convient de comprendre que Washington et Moscou étaient surtout inquiets de la montée en puissance de la Chine qui n’a jamais signé le traité FNI, ce qui lui donnait les mains libres. Il néanmoins vrai que cette nouvelle donne permet à l’OTAN et à la Russie de déployer des armements atomiques en Europe comme au temps de la Guerre froide[5]. Ainsi, depuis 2013, la Russie a installé dans l’enclave de Kaliningrad – officiellement « de manière provisoire » – des missiles sol-sol Iskander-Mqui peuvent menacer les Etats Baltes et la Pologne. Ce serait la réponse au déploiement des missiles SM-3 américains, théoriquement destinés à la défense antimissiles, mais qui pourraient être, selon le Kremlin, des « armes nucléaires déguisées ». Désormais, les « provocations » aériennes et maritimes et les attaques verbales sont redevenues monnaie courante entre l’Est et l’Ouest, comme au bon vieux temps de la Guerre froide.

 

LA NÉCESSITÉ D’UN « ENNEMI » POUR WASHINGTON

 

Il est clair que les Américains ont un besoin crucial de se trouver des ennemis à leur mesure pour garantir leur suprématie mondiale, surtout que celle-ci décline peu à peu. Les Européens n’ont qu’à bien se tenir car, en cas de divergences de vues avec Washington, la réaction américaine se traduirait aussitôt par des sanctions financières. Le commerce international se fait toujours en dollars et les Etats-Unis n’hésiteront pas à user de leur position dominante. Il convient de se remémorer l’amende record – 8,9 milliards de dollars – infligée en 2015 à BNP-Paribas pour avoir commercé avec l’Iran, en dépit des interdictions américaines et bien que la banque française ait respectée les lois européennes et internationales.

 

Dans cette perspective de « construction de l’ennemi », la Russie constitue l’ennemi idéal en raison de son opposition historique avec les Etats-Unis depuis la Révolution de 1917, même si l’idéologie communiste et la logique expansionniste de l’URSS ont disparu depuis 1991. Washington et Londres veulent continuer à faire croire au monde que Moscou est toujours une puissance agressive, ce qui à l’évidence est une erreur. Bien sûr, le Kremlin tient à conserver une influence sur les affaires du monde, mais la Russie n’a pour principal objectif que la défense de ses intérêts vitaux.

 

Cela dit, les Américains ne semblent plus pouvoir agir tout à leur guise. Ils aboient beaucoup mais mordent moins. La situation au Venezuela – qui, comme toute l’Amérique latine, fait partie de la « zone réservée » de Washington -, aurait sans doute été réglée plus rapidement dans les années 1960-80. Par ailleurs, Kim Jung-un, le dirigeant de la Corée du Nord, vient d’infliger un véritable camouflet politique au président Donald Trump, au point que ce dernier semble « KO debout » dans cette affaire. Habituellement prompt à lancer de nouvelles sanctions contre l’Iran, la Russie et la Chine, il semble avoir renoncé à le faire avec la Corée du Nord vraisemblablement contre l’avis de son administration. Personne n’ose trop en rire car c’est la vie de milliers d’êtres humains qui est en jeu en cas de dérapages incontrôlés.

 

Les Kurdes syriens ont également perdu l’envie de rire car les 200 militaires américains qui vont rester à l’est de l’Euphrate[6], suite aux instructions de la Maison Blanche[7], semblent bien impuissants à calmer les velléités d’invasion turques. Il est possible que le seul salut des Kurdes syriens soit de se tourner vers le régime de Bachar El-Assad pour assurer leur sécurité avec l’appui plus ou moins marqué de Moscou qui, quoiqu’en dise la propagande officielle, reste en position fragile en Syrie. En effet, les approvisionnements du corps expéditionnaire russe sont à la merci de l’humeur des dirigeants des pays qui constituent des points de passage obligés : par les airs, l’Iran et l’Irak, et par la mer la Turquie.

 

*

 

Les États-Unis ne cessent de donner des leçons de morale. Or, l’histoire récente montre qu’ils sortent aussi très souvent de la légalité pour parvenir à leurs fins : écoutes généralisées ; opérations d’influence sur les élections étrangères, européennes en particulier ; appui officiel du Brexit ; actions clandestines dans les pays amis[8], intervention militaire sans mandat international (Irak, Syrie), etc. Plus amoral, ils n’hésitent pas à affamer des populations par des embargos dans le but de provoquer des révoltes intérieures. Les États-Unis ont eu recours à cette tactique en Irak pour faire tomber Saddam Hussein, ce qui ne leur a pas permis de faire l’économie d’une intervention militaire car il y a longtemps que l’on sait que les blocus sont contre-productifs. Toutefois ils sont en train de faire de même avec l’Iran et la Russie et semblent bien en train de faire monter les tensions internationales avec ces Etats, voire de se préparer à la guerre.

 

Que les Américains cherchent par tous les moyens à défendre leurs intérêts est parfaitement compréhensible, la politique n’étant pas une affaire de morale. Ce qui est plus difficile à comprendre, c’est que la plupart des dirigeants européens suive sans rechigner. Sans doute n’ont-ils pas le choix, car Washington possède d’immenses moyens de pression, particulièrement économiques.

 

 

 

[1] Et il convient d’ajouter que les dépenses qui relèvent de la guerre secrète et des opérations d’influence ne sont pas prises en compte.

[2] Le budget militaire de la France en 2018 est de 53,4 milliards de dollars, celui de la Grande Bretagne de 57,9 milliards et l’Allemagne de 47,7 milliards. Réunis, ces trois pays totalisent un budget de 155,2 milliards de dollars, soit bien plus du double de celui de la Russie !

[3] Il convient certes de nuancer quelque peu ces chiffres : les États-Unis ont des ambitions et des intérêts mondiaux alors que ceux des Russes ne sont « que » régionaux. Par ailleurs, le soldat russe et ses équipements et coûtent bien moins chers que ceux de leurs homologues occidentaux.

[4] Interdiction des missiles sol-sol pouvant être armés de têtes nucléaires ou classiques d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres.

[5] SS-20 à l’Est et Pershing IIà l’Ouest, de 1977 à 1987.

[6] 200 autres seront maintenus dans la région d’Al-Tanif à la frontière avec la Jordanie en soutien aux restes de l’Armée syrienne libre (ASL).

[7] Il serait maintenant question de laisser 1 000 hommes en Syrie. Si cela se vérifie, le retrait complet promis par Trump se réduit de jour en jour.

[8] La dernière aurait eu lieu à Madrid : pénétration avec violence dans la représentation diplomatique nord-coréenn. L’Information est pour le moment non recoupée donc à prendre avec toutes les précautions qui s’imposent. La presse américaine avance le nom d’un groupe d’opposants nord-coréens :« Défense civile Cheollima » (DCC), mais comme cela a été dit, des services américains avancent souvent masqués.

 

Source : https://www.cf2r.org/actualite/les-etats-unis-se-preparent-a-la-guerre/

 

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