Note d'actualité n° 570 - Avril 2020.

YÉMEN : Les HOUTHIS sont-ils en train de gagner la guerre ?

...par Alain Rodier

Source : https://cf2r.org/actualite/yemen-les-houthis-sont-ils-en-train-de-gagner-la-guerre/

 

 

Le Yémen va rentrer dans sa sixième année de guerre généralisée. Le bilan est monstrueux pour les populations civiles (100 000 morts depuis mars 2015, date de l’intervention de l’Arabie saoudite). Ainsi, selon l’organisation humanitaire Norwegian Refugee Council (NRC), sur une population de 28 millions d’âmes, 20 millions ont besoin d’aide humanitaire, alimentaire et médicale et 6,7 millions sont sans abri… Sur ce sombre tableau plane désormais la menace du coronavirus à laquelle le pays est dans l’incapacité totale de faire face. Et pourtant, les guerres continuent – il y a plusieurs conflits dans la guerre du Yémen) –, pour le moment à l’avantage des rebelles houthis[1] et des anciens militaires yéménites qui sont leurs alliés. Les Houthis sont hostiles à l’Amérique, à Israël, à l’Arabie saoudite et aux pays qui ont rejoint la coalition dirigée par Riyad, aux Frères musulmans représentés par le parti Al-Islah, mais aussi aux mouvements salafistes-djihadistes – Al-Qaïda dans la péninsule arabique et la wilaya État islamique au Yémen. Emmenés par Abdul-Malik al-Houthi, ces rebelles sont essentiellement dotés d’armes d’infanterie mais disposent aussi de véhicules dont quelques chars et des blindés divers, d’armes anti-aériennes – dont des missiles anti-aériens à très courte portée Strela-2 –, de missiles et de drones. De forts soupçons pèsent sur l’Iran qui leur fournirait une aide matérielle et technique. Quelques instructeurs envoyés par Téhéran seraient même présents sur place mais, pour des raisons de discrétion, ils ne seraient vraisemblablement pas des Iraniens – peut-être des Irakiens et des membres du Hezbollah libanais. Toutefois, les forces gouvernementales et de la coalition n’ont jamais été en mesure de présenter aux médias un prisonnier d’une de ces nationalités. Certains des rebelles yéménites auraient par ailleurs reçu une instruction technique dans des camps irakiens et peut-être libanais. 

 

DES REBELLES À L’OFFENSIVE

 

Après deux mois de violents combats contre les forces gouvernementales et les tribus locales, en particulier les al-Shulan, soutenues par le parti Al-Islah, le 1er mars, les rebelles houthis ont pris de contrôle de la ville d’Al-Hazm, la capitale de la province (gouvernorat) d’Al-Jawf située au nord du pays. Depuis 2008, les Houthis étaient présents dans cette région semi-désertique où les populations étaient livrées à elles-mêmes étant délaissées par le pouvoir central. Ils y menaient des actions de harcèlement et de terreur de manière à évincer les chefs locaux. Depuis cinq ans, cette région vivait sous les bombardements de la coalition n’épargnant pas les populations civiles, provoquant un grand ressentiment au sein de ces dernières. Ainsi, au début de l’année, un bombardement avait tué 31 civils dont 19 enfants dans cette région. Le succès militaire des Houthis ne doit donc rien au hasard, car ils rencontrent peu de résistance de la part des milices locales et parce que les forces gouvernementales appuyées par l’Arabie saoudite sont totalement désorganisée et peu présentes dans cette zone excentrée ; d’ailleurs, deux brigades auraient refusé d’y être engagées. Les rares forces basées au centre de la province se sont donc repliées en catastrophe donnant l’impression d’une véritable déroute.

 

Or, Al-Jawf est un gouvernorat important en raison de sa position stratégique. Au nord, il s’étend sur 700 kilomètres le long de la frontière saoudienne ; au sud, il domine le gouvernorat central de Ma’rib. Les Houthis bénéficient désormais d’un chemin d’accès qui leur permet de le prendre en étau depuis le nord. Ma’rib constitue le bastion gouvernemental et le siège de la coalition. Accessoirement, cette région est riche en hydrocarbures.

 

Parallèlement, les Houthis progressent dans le district de Hanm situé à l’est de la capitale Sanaa. Cette offensive leur permet désormais de sécuriser tous les accès de la ville – qu’ils contrôlent depuis 2014 -, mais aussi et surtout, de contrôler la chaîne montagneuse qui domine la province de Marib, à l’ouest. La redoutable 312e brigade blindée et les forces houthis, placées dans la région sous les ordres du général Abdul Khaliq Badredin al-Houthi – le frère d’Abdul-Malik -, menacent cette province de leurs feux.

 

Les habitants de la province d’Al-Jawf étaient traditionnellement considérés par les populations urbaines comme des bandits violents, hostiles aux forces gouvernementales. Au milieu des années 2000, le président de l’époque, le général Abdullah Saleh, avait désigné la provinces d’Al-Jawf, mais aussi celles de Ma’rib et de Shabwah, comme l’« axe du mal », les accusant d’héberger des « terroristes ». Depuis la révolution de 2011, ces trois provinces ont accueilli plus de trois millions de déplacés, beaucoup fuyant les régions contrôlées par les Houthis. À n’en pas douter, les rebelles souhaitent à terme s’emparer de ces trois provinces qui coupent le Yémen en deux.

 

Dans le sud-est du pays, les Houthis exercent une forte pression sur les gouvernorats d’Al-Dali et d’Abyan, et à l’ouest, en direction du port d’Al-Hudaydah sur la mer Rouge dont ils ont abandonné le contrôle l’année dernière.

 

Au nord, les rebelles yéménites menacent directemen- l’Arabie saoudite en lançant des raids de missiles Zulkifar et de drones Sammad-3 – officillement fabriqués localement – qui auraient encore visé Riyad le 29 mars, alors que la population y est soumise à un couvre-feu en raison du coronavirus. Ils ont aussi revendiqué des attaques contre des « cibles économiques et militaires » situées dans les régions frontalières de Jizan, Najran et Asir. Il s’agissait des premiers bombardements depuis septembre 2019, date à laquelle les Houthis s’en étaient pris à des installations pétrolières saoudiennes[2]. Riyad a répliqué le 30 mars en bombardant Sanaa, tuant un civil et 70 chevaux purs-sangs arabes qui étaient parqués à l’École militaire. 

 

Si les rebelles n’ont aucun espoir de conquérir l’ensemble du pays – ils ne s’aventureront pas dans les provinces d’Aden, d’Hadramaout et d’Al-Mahran -, les forces gouvernementales, même appuyées par la coalition internationale, ne pourront pas non plus récupérer l’ouest du pays.

 

Il convient de rajouter à l’équation les indépendantistes du Conseil de transition du Sud (CTS) qui tiennent Aden avec l’assentiment des Émirats arabes unis (EAU), à la grande fureur du prince Mohamed Ben Salmane. Des tractations ont eu lieu à Oman, les EAU ont retiré leurs forces du Yémen tandis que le gouvernement Abd Rabbo Mansour Hadi a conclu un accord (dit « de Riyad ») avec le CTS…

 

Si les activistes d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) ont été sévèrement étrillés ces derniers temps par des frappes américaines – perdant même leur émir, aussitôt remplacé – ils sont toujours présents au centre du pays. Daech tente également d’y préserver une influence locale.

 

L’Arabie saoudite et les EAU ayant des agendas différents, les incohérences se sont multipliées dans la stratégie adoptée. Le président yéménite Hadi, réfugié en Arabie saoudite, et Riyad ne sont pas parvenus à unifier les différentes forces[3] pour combattre les Houthis. Les unités sur le terrain ne savent plus vraiment à qui obéir, car leurs généraux appartiennent à des obédiences différentes. Riyad, conscient qu’il ne peut engager d’importants effectifs terrestres dans les opérations, a bien tenté de négocier avec les Houthis mais cela place les diverses autorités gouvernementales yéménites en position délicate. Globalement, si Washington ne lui apportait pas son soutien, Riyad aurait déjà perdu la guerre au Yémen.

 

 

 

 

[1] Ils se réclament du zaïdisme, une minorité de l’islam chiite.

[2] De sérieux doutes subsistent sur le lieu de départ des missiles et des drones employées dans ces attaques, certains analystes parlant du sud de l’Irak et du sud-ouest de l’Iran.

[3] Notamment celles de Tarik Saleh, le neveu du défunt président Ali Abdullah Saleh qui s’oppose au président Hadi et au parti Al-Islah, et les différentes tribus.

 

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