Note d'actualité n° 571 - Avril 2020.

Afrique : Le continent carrefour des drogues devient consommateur

...par Alain Rodier

Source : https://cf2r.org/actualite/afrique-le-continent-carrefour-des-drogues-devient-consommateur/

Depuis de nombreuses années, le continent africain est un carrefour pour tous les trafics de différentes drogues qui arrivent, pour la cocaïne, d’Amérique latine, via ses côtes occidentales et pour l’héroïne, provenant d’Afghanistan et du Triangle d’or (Extrême-Orient), via ses rivages orientaux. Les cargaisons de drogues sont ensuite acheminées vers le nord où elles rejoignent les chemins empruntés par le cannabis largement produit sur l’ensemble du continent – mais dont le pays producteur par excellence reste le Maroc – pour ensuite rejoindre la vieille Europe. Pour sa part, le khat (Catha edulis) est surtout consommé par les populations locales, particulièrement dans la Corne de l’Afrique et en Somalie (et au Yémen) car il est assez peu exporté. Il est néanmoins consommé par des migrants africains ayant rejoint le nord de l’Europe, la Grande-Bretagne ou les États-Unis d’où des saisies occasionnelles faites par différents services de douanes.

L’Institut d’études de sécurité (ISS) basé à Pretoria en Afrique du Sud, Interpol et l’Initiative globale contre le crime organisé transnational suivent ce phénomène inquiétant via le projet ENACT financé par l’Union européenne.

Le début des grands trafics date des années 1960 quand des Libanais ont exporté de l’héroïne vers les États-Unis via le Nigeria et le Ghana, lesquels sont alors devenus des pays en pointe dans ce type d’activité. Ce sont eux qui ont ensuite ouvert la route vers l’Europe, en convoyant surtout du cannabis au début, l’héroïne étant alors presque uniquement réservée au continent nord-américain. Puis la cocaïne produite en Amérique latine a commencé à affluer en Afrique car les trafiquants sud-américains souhaitaient varier les routes d’approvisionnement vers l’Europe en l’abordant non plus par l’ouest (route qui reste cependant toujours ouverte) mais aussi par le sud. Son afflux s’est considérablement accru à partir du milieu des années 2000. Ainsi, en 2007, 5,7 tonnes de cocaïne ont été saisies contre 2,5 tonnes l’année précédente. La Guinée Bissau, qui était le principal point d’entrée en Afrique, s’est transformée en narco-État. Cela n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui, particulièrement en raison des pressions internationale, en conséquence, ce pays traverse une crise politico-économique inquiétante.

Nouveau sujet d’inquiétude, les dernières données de l’Organisation des Nations Unies contre les Drogues et le Crime (ONUDC) tendent à démontrer qu’une proportion non négligeable de ces drogues qui transitent par l’Afrique est désormais consommée sur place. En dehors du cannabis et du khat, les produits stupéfiants désormais les plus appréciés sont la méthamphétamine, la méthaqualone (mandrax), le tramadol et diverses substances synthétiques. Ces produits sont surtout consommés en Afrique du Sud, au Nigeria, au Soudan, en Libye, au Cameroun, en République centrafricaine et au Tchad, mais ils connaissent aussi un succès croissant dans d’autres pays africains. Selon l’ONUDC, le nombre de consommateurs réguliers est estimé aujourd’hui à dix millions.

Même si leurs représentants savent rester discrets, l’Afrique est un véritable eldorado pour les Organisations criminelles transnationales (OCT) dont des mafias[1]. L’anarchie systémique, les frontières poreuses, la corruption institutionnalisée et les abondantes ressources naturelles constituent un terreau favorable au développement de leurs activités.

– Cosa Nostra, la célébrissime mafia sicilienne, est solidement implantée en Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Namibie, en République démocratique du Congo, en Angola et au Ghana.

– La ‘Ndrangheta calabraise écume pour sa part le Nigeria, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Maroc et l’Algérie.

– La Camorra napolitaine est également présente en Afrique de l’Ouest et en République centrafricaine.

Ces mafias italiennes – il ne manque que la Sacra Corona Unita des Pouilles – se livrent à tous les trafics possibles : drogues, pierres précieuses, êtres humains, médicaments…

Les cartels mexicains sont aussi bien présents, notamment ceux de Sinaloa et du Golfe. Mais ils semblent limiter leurs activités au trafic de cocaïne vers l’Europe via l’Afrique de l’Ouest. De manière à ne pas apparaître au grand jour, ils délèguent leurs activités à des bandes criminelles locales.

En dehors de ces organisations, des syndicats du crime africains se développent rapidement. Un des plus ancien est la « Confraternité nigériane de la hache noire » (Black Axe Confraternity) fondée en 1976 en tant qu’organisation estudiantine au sein de l’université de Bénin (UNIBEN). Ces organisations, parfois assimilées à des sectes, sont présentes en Afrique du Sud, au Kenya, aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Italie, aux Émirats arabes unis, en Malaisie, en Australie, à Hongkong et en Chine continentale. Leurs spécialités sont les fraudes, les escroqueries, le trafic de drogues, d’êtres humains et d’espèces protégées. Les fraudes via internet dont les Nigérians se sont fait une spécialité a fait surnommer ses auteurs les « Nigerian Yahoo Garçons ».

Les boss africains – pour reprendre l’expression mafieuse italienne – infiltrent la société civile, corrompent les politiciens et les fonctionnaires, mais aussi les tribus et les mouvements rebelles, et jusqu’aux islamistes radicaux, alors même que les activités à but lucratif sont haram – un péché -. La raison avancée est qu’il faut bien financer la guerre sainte…

 

 

 


[1] Les mafias sont des OCT qui ont des caractéristiques particulières : elles ne recrutent que dans leur communauté ; il existe des rites d’initiation ; la hiérarchie est pyramidale ; un règlement intérieur (parfois appelé « code d’honneur ») existe. Il y a des mafias italiennes, chinoises (les triades), japonaises (les Yakuzas), des ex-pays de l’Est (elles sont très souvent ethniques), albanaises, des groupes de Bikers… Par contre, les cartels sud-américains, les gangs de rues américains ne sont pas des mafias.  

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