Le narratif dominant dans les médias et les réseaux au pouvoir répète en boucle qu’une défaite de l’Ukraine serait aussi la défaite de la France et de
l’Europe. Pourtant, si l’on analyse de manière clinique les conséquences du conflit en Ukraine sous l’angle géopolitique, une victoire russe dans ce conflit offrira des avantages à la France, si
Paris sait s’en servir. C’est évidemment un scénario à long terme, car la crise actuelle mettra à minima plusieurs années avant d’être surmontée.
Une
victoire de l’Ukraine aurait définitivement acté la vassalisation à Washington des États européens de l’OTAN et de l’UE
L’opération militaire russe initiée en 2022 se poursuivra et aboutira inévitablement à la neutralisation de jure ou de facto de l’Ukraine,
c’est-à-dire à son renoncement à l’OTAN, condition minimale et nécessaire pour une sortie de crise. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et l’UE étant impossible depuis l’intervention militaire
russe, Moscou cherchera à pérenniser cette situation dans une nouvelle architecture de sécurité pour que le problème ne ressurgisse pas dans quelques années ou décennies. L’Union européenne et
ses États membres sont incapables de remplacer les États-Unis si Donald Trump baisse ou supprime l’aide de Washington à Kiev, au-delà d’une période limitée (quelques mois à une année ?). La
perspective de la victoire russe apparaît donc de plus en plus clairement malgré la propagande médiatique et politique qui continue d’affirmer le contraire. Elle provoque un sentiment de panique
en France et en Europe chez les politiques et les pseudo-experts qui nous annoncent la victoire de l’Ukraine depuis 2022.
Imaginons d’abord l’inverse, selon un scénario de géopolitique fiction. Une victoire de l’Ukraine serait avant tout une victoire des États-Unis contre la Russie.
Outre le prestige renforcé de Washington, son instrument l’OTAN et l’UE « otanisée » bénéficieraient d’une légitimité décuplée pour structurer l’Europe et l’Eurasie selon la vision
géopolitique unipolaire américaine. L’OTAN est un instrument offensif d’expansion des États-Unis sur le continent européen, de contrôle du Rimland[1] et de de fragmentation de l’Europe, qui maintient les Européens de l’Ouest dans un statut de périphérie géopolitique. Il faut rappeler que l’objectif géopolitique des
États-Unis est de fragmenter l’espace eurasien pour maintenir son hégémonie européenne et mondiale. D’où le sabotage de Nord Stream par Washington pour couper les liens énergétiques et
géopolitique entre l’Allemagne, la France et la Russie.
Avec l’adhésion de Kiev à l’OTAN et l’UE, facilitée par une défaite de la Russie, l’Ukraine, cheval de Troie de États-Unis, deviendrait un nouvel instrument de
contrôle de l’UE et l’OTAN par Washington. En effet, la suprématie géopolitique définitive des États-Unis en Europe – grâce à la prééminence d’un axe Washington/Londres/Varsovie/Kiev/Pays
nordiques/Pays baltes, auquel se raccrocheraient l’Allemagne et l’Italie, marginalisant définitivement la France – s’en trouverait facilité. La vision gaullienne d’un équilibre européen et la
possibilité de contrebalancer l’Europe américano-allemande serait rendue impossible. On assisterait à une américanisation sans limite du vieux contient – laquelle est déjà très avancée – qui
aliénerait définitivement la France, noyée dans le monde liquide de la puissance maritime américaine. Cela cristalliserait pour plusieurs décennies le statut de périphérie géopolitique de la
France et des autres nations européennes membres de l’OTAN et de l ’UE.
En effet, l’Europe deviendrait alors définitivement une portion de l’espace euro-atlantique sous hégémonie américaine, sans possibilité de marge de manœuvre car
bloquée par un arc de crise est-européen et une fracture avec la Russie, laquelle, affaiblie et dévalorisée, ne pourrait plus offrir d’alternative géopolitique à une vassalisation aux
États-Unis.
Washington imposerait dès lors ses priorités géopolitiques (Chine et Russie comme ennemis prioritaires), géostratégiques (contrôle total des questions de défense
par le complexe militaro-industriel américain), géoéconomiques (augmentation des exportations du gaz de schiste américain), culturelles et politiques
La place de la France dans un monde dominé par l’Amérique ne serait au mieux que celle d’une puissance réduite, non indépendante, bénéficiant d’une niche
géopolitique octroyée par Washington pour gérer une petite portion de territoire de l’espace euro-atlantique en opposition avec la Russie, sous couvert d’autonomie stratégie européenne, Elle ne
serait au pire, qu’un supplétif, qu’une colonie géopolitique appliquant intégralement les priorités géopolitiques des États-Unis comme la plupart des autres États européens de l’OTAN qui ne sont
pas souverains. Avec la présidence d’Emmanuel Macron, la France s’approche d’une telle situation.
Faire de la Russie un ennemi va à l’encontre des intérêts géopolitiques de longue durée de la France, de l’Allemagne et de toutes les nations européennes. A la
différence de Washington et de Londres qui cherchent, en tant que puissances maritimes, à fragmenter l’Eurasie et à torpiller toute entente entre Paris, Berlin, Moscou et Pékin.
En Europe, les complexes militaro-industriels européens « otanisés », intégrés de manière hiérarchique au complexe militaro-industriel américains au sein
de l’OTAN poussent à cette vassalisation car ils cherchent à profiter des miettes accordées par Washington. Les réseaux globalistes au pouvoir en France, bénéficiaires et profiteurs de la
mondialisation néolibérale américaine, poussent aussi à cette aliénation géopolitique. Cette minorité détient aujourd’hui les leviers du pouvoir en France, dans l’UE et l’OTAN
Un monde multipolaire serait pourtant plus avantageux pour la France, car il lui donnerait, en tant que puissance d’équilibre une plus grande marge de manœuvre pour
regagner sa souveraineté et s’épanouir, notamment avec un pivot vers la Russie. La France n’est ni une superpuissance comme les États-Unis, ni un État-civilisation comme la Russie et la Chine.
Son positionnement comme puissance d’équilibre est dont la seule voie pour elle de ne pas sombrer dans l’obsolescence et la vassalisation. Le projet unipolaire occidentaliste sous la direction de
Washington a pour vocation d’établir une hiérarchie des civilisations, dans laquelle la France et les Européens ne sont en fin de compte qu’une sous-catégorie (cf. les alliances exclusives
AUKUS, et Five Eyes des
puissances maritimes anglo-saxonnes), tandis que le projet russe multipolaire, reposant sur l’Europe des nations et la diversité des civilisations, est en bien plus en phase avec le projet
géopolitique d’indépendance nationale promue par le général de Gaulle.
La
menace russe n’existe pas pour les Français et les Européens si les États membres de l’OTAN ne cherchent pas à menacer Moscou
On pourrait objecter qu’une victoire de la Russie aboutirait exactement à la même configuration, avec le renforcement de l’OTAN et son prolongement l’UE, pour faire
front contre une Russie renforcée par son succès en Ukraine et considérée comme une menace.
C’est pourtant un narratif atlantiste fallacieux qui invente une menace russe qui n’existe pas pour la France ni pour les
Européens. La Russie n’a aucun intérêt géopolitique à s’attaquer à un pays de l’OTAN. Son objectif est clair.
Elle exige l’arrêt de l’expansion de l’Alliance et refuse la présence d’infrastructures offensives à ses
frontières.
Quoi de plus normal pour une État souverain face à une alliance hostile. Comprendre une situation géopolitique, c’est avant tout rendre intelligible les rivalités
sur le territoire. La géographie est primordiale pour les perceptions de sécurité. Que feraient les États-Unis si Moscou ou Pékin installaient des bases militaires au Canada et au Mexique, où si
la Russie et la Chine cherchaient à disloquer le territoire des États-Unis, comme le font les réseaux néoconservateurs à Washington cherchant à fragmenter le monde russe et transformer la Russie
en une multitude d’États indépendants – mais vassalisés aux États-Unis –, sinon engager un conflit pour l’éviter ? En effet, sans élargissement de l’OTAN, et sans prolifération des
infrastructures militaires américaines en Ukraine et dans les ex-républiques de l’URSS, il n’y aurait pas de crainte d’encerclement géopolitique de la part de Moscou.
Une menace russe n’existe que dans la mesure où les États européens de l’OTAN et l’UE se positionnent comme alliés des États-Unis pour encercler la Russie
et l’affaiblir, en soutenant Kiev, devenant ainsi des cobelligérants.
L’autorisation donnée à l’Ukraine d’utiliser les missiles livrés par les Occidentaux pour frapper dans la profondeur du territoire russe, de facto renforce le statut de
belligérants des États qui en sont les fournisseurs (États-Unis, Royaume-Uni, France, voire Allemagne). Ils constituent une menace directe pour la Russie et aggravent le risque de conflit
frontal. S’il n’existe pas de menace d’invasion des États de l’OTAN par la Russie, une riposte au moyen de missiles hypersoniques n’est pas à exclure. Moscou n’est pas en conflit avec les nations
européennes, mais cherche à contrer l’expansion du système euro-atlantiste de l’hégémonie américaine en Europe, qui empiète sur les territoires du monde Russe.
De plus, en remportant la guerre en Ukraine, Moscou retrouverait son enveloppe géopolitique idéale qui est celle du monde russe dont les frontières ne seraient plus
menacées par Washington et l’OTAN. L’on aboutirait alors à une stabilisation du continent européen. La Russie, sans l’Ukraine dans l’OTAN, aurait des frontières plus sûres.
On pourrait ainsi envisager une réinitialisation des relations entre les Européens de l’Ouest et la Russie afin de promouvoir une espace de stabilité et de
prospérité eurasien et un rapprochement selon un axe France-Allemagne-Russie, coïncidant avec l’enveloppe de la civilisation européenne et permettant d’éviter un condominium américano-chinois.
Cela signifierait négocier une nouvelle architecture européenne de sécurité avec la Russie, mais sur un pied d’égalité géopolitique et sur le principe des intérêts communs européens – et non pas
occidentalistes – et l’acceptation de la diversité des civilisations. C’est la seule option qui fait sens du point de vue géopolitique.
Un tel rapprochement permettrait enfin de faire face aux menaces provenant de l’arc de crise au sud de l’Europe (menace islamiste sur le territoire français et
européen), sans se disperser sur deux fronts.
Les
intérêts géopolitiques de la France mieux défendus avec une victoire russe
Avec la perspective d’une victoire russe en Ukraine – doublée d’un présidence Trump éventuellement moins hostile à Moscou –, une alternative géopolitique à
l’enfermement euro-atlantiste émerge. La France paraît la mieux placée pour saisir cette opportunité une fois la question ukrainienne résolue. Elle pourrait alors se concentrer sur ses vraies
priorités géopolitiques : La menace existentielle à la nation posée par l’immigration, le terrorisme islamiste et les risques de conflits civils qui en découlent, mais aussi par
l’idéologie américaine, notamment le wokisme et « la société ouverte », dérives également combattues par la Russie, pilier oriental de la civilisation européenne, et aussi désormais par
Donald Trump.
Rappelons aussi que la rivalité géopolitique franco-allemande structure toujours le projet européen, Une victoire russe serait une bouffée d’oxygène pour la France
qui est aujourd’hui, enfermée dans un projet européen germano-américain qui conduit à sa dissolution inéluctable. Une alliance de revers, grâce à un rapprochement franco-russe est nécessaire pour
contrebalancer l’axe Washington-Berlin. L’objectif plus lointain serait de s’éloigner de cette Europe germano-américaine, afin de favoriser une configuration géopolitique idéale, selon l‘axe
Paris-Berlin-Moscou avec un prolongement vers Pékin. Cette option équilibrerait un axe Paris-Berlin-Washington, car la France, en tant que puissance d’équilibre, a vocation à se positionner au
centre de tous les espaces géopolitiques.
La
Russie, une menace pour l’ordre euro-atlantiste
La Russie n’est pas une menace pour la France mais pour l’ordre euro-atlantiste. Le discours fallacieux des institutions euro-atlantistes et des gouvernements
vassalisés évoquant une « menace russe existentielle » escamote les vrais enjeux. Existentielle pour qui ? Il n’y a pas de menace contre les intérêts vitaux de la France mais bien
contre l’ordre spatial euro-atlantiste dominé par Washington, qui ne vit que de sa confrontation avec Moscou (désignation de l’ennemi pour mobiliser les supplétifs et éviter toute
défection).
L’UE et l’OTAN ont été créées dans un ordre spatial et géopolitique différent de l’ordre multipolaire actuel, celui de la Guerre froide comme sous-ensemble de
l’Occident capitaliste, et ces organisations se sont maintenues sous l’ordre unipolaire américain. Elles se retrouvent aujourd’hui en difficulté et jouent leur survie face à un nouvel ordre
spatial multipolaire où les peuples et nations pourraient retrouver leur liberté vis-à-vis de la globalisation et de l’américanisation inéluctables. D’où la panique avec l’élection de Donald
Trump, qui pourrait remettre en cause cet édifice.
La question géopolitique centrale est la suivante : La nouvelle administration Trump va-t-elle s’éloigner des doctrines géopolitiques anglo-saxonnes obnubilées
par le contrôle de l’Eurasie et sa fragmentation, en redéfinissant la place des États-Unis dans un monde multipolaire ? Rien n’indique pour le moment que la nouvelle administration va
abandonner cette posture géopolitique, mais ce n’est pas exclu à plus long terme.
L’Union européenne sans le projet d’unipolarité américaine ne peut plus s’épanouir, car elle n’a pas de stratégie géopolitique indépendante et est incapable de
concevoir une stratégie multipolaire. A l’avenir, ce sont de plus en plus les coalitions précaires et temporaires d’États nations et d’États-civilisations qui détermineront la configuration
géopolitique mondiale.
Donc l’UE ne peut pas survivre sans faire de la Russie un ennemi afin d’escamoter ses paradigmes obsolètes, et donc poursuivre la vassalisation à l’OTAN, sans qui,
elle ne pèse rien. Pour l’OTAN, l’UE lui est complémentaire comme outil pour élargir la zone d’influence euro-atlantiste, et le projet d’une Europe pilotée par Washington.
Avec la victoire russe en Ukraine, l’UE est en passe de perdre le monopole du discours sur l’Europe, face au modèle de l’Europe des nations dont les promoteurs
auront une influence en raison de la décrédibilisation de l’OTAN, qui vit de la guerre et ne peut plus s’élargir.
La victoire de la Russie n’est en réalité gênante que pour ceux qui ont positionné la France que comme un État vassalisé dans le continuum Washington/OTAN/UE,
entretenant l’illusion d’une autonomie stratégique européenne
L’intérêt des États-Unis est la poursuite de la
vassalisation de l’UE
Avec l’élection de Donald Trump, la place réservée à l’Europe ne change pas : C’est celle d’un Rimland, d’une périphérie géopolitique qui doit être capable
d’assurer sa défense, mais en se fournissant principalement auprès des États-Unis et en s’alignant sur leurs priorités géopolitiques. La Russie reste un adversaire contre qui les Européens
doivent faire front, afin de permettre à Washington de se concentrer contre la Chine. Donald Trump, qui défend « America First », n’aidera pas la
France à regagner sa souveraineté et son indépendance géopolitique,
L’intérêt des États-Unis, si Donald Trump réussit à les désengager du conflit ukrainien qu’ils ont provoqué et qu’ils ont
perdu, est de faire porter aux Européens le fardeau de leur politique de déstabilisation de la Russie, et leur transférer la responsabilité de l’endiguer, en gardant le contrôle de leur doctrine
géopolitique et en consacrant la division de l’Europe.
C’est le scénario rêvé des gouvernements atlantistes au pouvoir aujourd’hui et de leurs complexes militaro-industriels, car ils sont non seulement incapables d’une
réflexion géopolitique indépendante et opposés à toute remise en cause de leur statut de supplétifs vassalisés, qui exigerait de prendre plus de
responsabilités et d’oser penser par eux-mêmes. Il n’y a pas de dirigeants politiques capables d’agir de manière indépendante aujourd’hui dans l’UE, mis à part Victor Orban et
Robert Fico, quoi que dans les limites de l’appartenance de la Hongrie et de la Slovaquie à l’UE et l’OTAN. Pour espérer une évolution, les réseaux actuellement au pouvoir devraient être
remplacés.
Sans une inflexion des États européens vers une plus grande indépendance, seule une crise systémique profonde dans l’espace euro-atlantique est en mesure de
faire évoluer sa configuration.
*
En conclusion, si la France veut avoir une chance de retrouver une marge de manœuvre et effectuer un pivot vers la Russie, une victoire de Moscou est dans son
intérêt. Dans un tel scénario, le projet européen aurait plus de chance d’être réformé – les paradigmes géopolitiques de l’UE et de l’OTAN devenant obsolètes – pour se rapprocher de la vision
gaullienne d’une Europe des nations plus indépendantes des États-Unis.
Un autre scénario pourrait être la dérive inexorable vers une aggravation du conflit et, pire, une troisième guerre mondiale dirigée par Washington si Trump
décidait d’une escalade après son refus des exigences russes. L’Europe deviendrait le champ de bataille résultant de cette montée aux extrêmes potentiellement nucléaire, avec tout ce que cela
comporte.
[1] Frange maritime de l’Eurasie. Le contrôle de cet espace est d’une importance capitale dans le contrôle du Heartland, la masse continentale eurasiatique incarnée par la
Russie et la Chine.