SOMMAIRE
- Introduction
- La Défense : une obligation pour l’Etat, une nécessité pour la Nation.
- L’effort de défense doit être porté à la hauteur des besoins de la France.
- L’état du monde : un niveau de menace très élevé qui impose une vigilance extrême et
un outil militaire performant.
- Une autonomie stratégique revendiquée, assumée et effective.
- Dissuasion, projection extérieure et protection du territoire : quelle stratégie des
moyens ?
- Protection de la population sur le territoire national : un cadre général d’emploi de
l’armée à revoir en profondeur.
- Défense européenne et Défense nationale.
- Les militaires, hommes et femmes au service de la Nation, au coeur des enjeux de la
Défense. P
- Le système d’hommes, pilier de la performance opérationnelle sur l’ensemble des
fonctions stratégiques
- La poursuite de l’effort accordé à la condition du personnel : une aspiration légitime
et une reconnaissance attendue !
- Un modèle d’armée réellement complet qui résorbe les réductions temporaires de
capacités et qui comble les abandons capacitaires consentis au cours des précédentes
LPM.
- Réserve et lien armée-Nation.
- Défense et cohésion nationale : une contribution déterminante
- Une panoplie d’équipements de haute technologie, reposant sur une politique
ambitieuse de développement de l’industrie de défense.
Le dossier que vous propose le G2S est celui des attentes fortes de notre pays en matière de défense dans la perspective des échéances électorales de 2017. C’est le dossier des espoirs que notre association porte, et qu’elle souhaite retrouver dans les engagements que les candidats prendront en vue de ces échéances.
C’est le dossier d’une remontée en puissance attendue. Les termes en sont finalement assez simples :
« aggravation des menaces,
donc besoins croissants en matière de défense, de protection et de sécurité,
donc ressources en augmentation »
Ce pourrait être aussi le dossier de l’illustration d’un objectif budgétaire à hauteur de 2% du PIB. Ce chiffre n’est probablement qu’une étape, un palier intermédiaire, sur le chemin de la remise à niveau de l’outil de défense…
Il n’est en fait pas une fin en soi, mais un moyen : le moyen d’assurer à la défense les ressources qui lui sont nécessaire à court, moyen et long terme pour assurer sa mission au profit de la nation. N’inversons pas les termes de l’équation : ce n’est pas « que faire de plus avec 2% ? », mais « quel pourcentage pour faire face aux vrais besoins de la défense ? ».
Peut-on fixer un pourcentage objectif ?...
Il y a le chiffre « du devoir » : celui des ressources qu’on doit à la défense pour lui permettre de retrouver une pleine cohérence avec le rôle que le pays souhaite lui voir jouer sur la scène internationale ; il est probablement proche de 3%.
Il y a le chiffre « du pouvoir » : celui de l’effort que nos concitoyens peuvent consacrer à leur protection et à leur sécurité ; il est également de l’ordre de 3% ; en tout cas il a déjà par le passé été à cette hauteur.
Il y a enfin le chiffre « du vouloir » : il sera celui de la volonté politique de l’homme ou de la femme qui prendra en mains la destinée de notre pays ; il devra se matérialiser par un objectif, et par une pente de remontée pour l’atteindre. Nous comprendrions mal, dans le contexte du moment, que ce chiffre soit inférieur à 2% du PIB hors pension en 2025.
C’est finalement le dossier d’un gestionnaire avisé à qui l’on a confié le destin d’une communauté. Il sait qu’il doit périodiquement revoir ses dispositifs de protection et les adapter : mesurer les risques, prendre en compte les évolutions de la valeur du bien à protéger et évaluer les ressources que la cité peut consacrer à la prévoyance au sens large. C’est cette remise à niveau objective qui constitue l’attente majeure des membres du G2S pour 2017.
L’année 2016 aura été celle d’une inflexion positive de la politique de défense ; cette réorientation prise sous le coup de l’émotion et sous la pression de l’urgence sécuritaire doit maintenant être confirmée par une analyse plus exhaustive et fixée dans les textes, en particulier dans celui de la loi de programmation militaire à venir. Car elle doit désormais s’inscrire dans la durée.
Bonne lecture.
« La défense, c’est la première raison d’être de l’Etat… ! Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ».
Ces paroles fortes du général De Gaulle sont de portée universelle ; elles restent d’une pertinence de toutes les époques. L’obligation de l’Etat trouve sa source dans la nécessité pour toute nation d’assurer sa survie, subordonnée à la protection de sa population, de son territoire et de ses approches comme à celle de ses intérêts vitaux et stratégiques.
La France, oublieuse parfois des leçons de l’histoire, s’est endormie dans la paix factice de l’après-guerre froide, sous l’illusion de la disparition des motifs de guerre à ses frontières, de la construction d’une Europe toujours reportée et d’une Alliance atlantique qui ne tire sa force, en réalité, que par la volonté de puissance des Etats-Unis.
L’Etat a négligé depuis vingt ans son appareil militaire ; il se doit dans le monde d’aujourd’hui et encore plus de demain de renouer avec une volonté de puissance proportionnée à la situation particulière de la France dans le concert des nations.
La géographie reconnait notre pays comme puissance continentale vers son Est, maritime sur le reste de son pourtour et par ses possessions outre-mer. Son histoire millénaire comme nation lui vaut, par son parcours monarchique, impérial puis républicain un rôle singulier à la face du monde. Enfin, la civilisation à laquelle elle appartient et sa culture lui interdisent de régresser dans la hiérarchie des nations pour promouvoir un humanisme qui lui est propre. Cet héritage physique et moral lui impose de disposer d’un appareil militaire à la hauteur des défis qui se présentent désormais à notre nation.
L’armée qui est l’instrument par essence de sa défense et de sa sécurité générale s’est repliée récemment, par le fait de l’Etat, sur le seul objectif d’un corps expéditionnaire, sous couvert d’une dissuasion nucléaire à l’efficacité théorique, délaissant, comme la réalité des événements de 2015 et 2016 l’a montré, sa protection intérieure et sa défense aux frontières.
Telle est la finalité de ce dossier adressé aux candidats à la prochaine élection présidentielle : restaurer l’Etat dans ses responsabilités premières en redonnant à son armée les capacités et l’aptitude qu’appelle le phénomène d’une mondialisation sans guide, sans règles et sans fins autres que celles des profits particuliers au détriment du bien commun de l’humanité.
Selon les décisions des derniers Conseils de l’Alliance atlantique, la France et les autres Etats membres ont décidé de porter leur effort de défense à un minimum de 2 % de leur PIB. Si ce seuil vaut pour la majorité des partenaires de l’OTAN, il ne saurait être indépassable pour un pays comme le nôtre, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire, signataire de nombreux accords de défense avec des Etats tiers et promoteur d’une grande ambition pour une Europe de la défense, confronté, qui plus est, sur son propre territoire à une menace terroriste durablement installée. Ainsi, les besoins réels des armées requièrent-ils un effort progressif selon le schéma suivant : 2 % du PIB en 2018 - hors pensions - puis 2,5 % en 2020 et 3 % en 2025. Cet objectif - qui est celui que nous acceptions à la fin des années 80 - rendra à la France sa crédibilité sur la scène internationale et sur le plan militaire.
Dans l’absolu, le budget de la défense de la France devrait permettre aux armées d’accomplir leurs missions dans les meilleures conditions possibles de recrutement d’un effectif suffisant, de réalisation des équipements, d’entraînement et d’entretien. Ceci, au profit d’hommes et de femmes qui ont vocation à défendre la Nation et pour lesquels celle-ci manifesterait le souci constant de les voir servir et vivre quotidiennement dans un environnement social et matériel attractif. Néanmoins, la situation économique et la maîtrise de la dépense publique du pays restent autant de facteurs d’encadrement d’un effort de défense pour peu que les choix de l’exécutif - et leurs conséquences sur ce dernier - en soient expliqués en toute vérité à nos concitoyens.
Que recouvre exactement le périmètre de ce que l’on nomme « l’effort de défense » qui n’est pas stricto sensu le budget global attribué au ministère de la défense (le budget de la défense, plus simplement) ?
Depuis la réforme de l’organisation financière de l’Etat portée par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, le ministère de la défense est organisé autour de trois missions : (1) la mission « défense » qui recouvre, à proprement parler, le budget des armées et de ce qui concourt à l’accomplissement de leurs missions, (2) la mission « anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » et (3) la mission « recherche duale » qui est interministérielle.
Lorsque l’on parle de l’effort de défense, notamment en rapport à la ponction opérée sur la richesse nationale (pourcentage du PIB), il est communément admis qu’il n’a trait qu’aux crédits de la mission « défense ». Les dépenses liées à cette dernière ne représentent depuis quelques années déjà (en fait, depuis la chute du Mur de Berlin et les effets des « dividendes de la paix ») que 3,2 % de la dépense publique 1 sur un total d’environ 1 200 milliards d’euros - pensions de l’Etat comprises (fonctionnaires civils et militaires). Par rapport à la richesse nationale (PIB d’un peu plus de 2 100 Mds€), le budget de la mission « défense » se situe à hauteur de 1,8 % du PIB, pensions incluses (militaires et civils du ministère de la défense). Il convient d’ajouter que, seule, la mission « défense » fait l’objet de lois de programmation militaire (LPM) pluriannuelles qui sont décrites hors pensions.
En toute rigueur, cet effort de défense ne devrait pas inclure les dépenses de pension qui représentent une dette de l’Etat envers ses serviteurs et non une participation à la réalité des missions des armées ; autrement dit, il ne concerne que l’effort nécessaire pour le présent et l’avenir. Ainsi, la vérité objective sur l’effort de défense de la France le situe à hauteur de 1,45 % du PIB en 2016 ; il sera porté à 1,47 % en 2017 (prévision du projet de loi finances 2017 pour un pays qui se dit « en guerre » depuis 2015). Toute quantification, dans son rapport au PIB, qui comprend les pensions reste donc abusive, tout en constatant que, dans les faits, la part consacrée à la défense - aux armées, par conséquent - n’aura jamais été aussi faible depuis 1945.
L’effort de défense devrait, en toute logique, rester à l’écart des réductions budgétaires quelles qu’en soient les raisons évoquées (crise économique, accroissement/réduction de la dette publique, etc.), s’il traduisait de la part des gouvernements successifs des choix clairement assumés par une volonté d’assurer sans impasse la protection du pays et de sa population. Volonté qui, en l’état actuel, semble peu perceptible dans les faits. En fait, la répartition actuelle de la dépense publique est le reflet d’un choix interne au pays consistant à privilégier l’accompagnement social, et à accorder une moindre priorité à sa défense militaire et à sa sécurité générale.
Lors du Conseil de l’Alliance atlantique qui s’est tenu fin 2014, le seuil minimum des dépenses de défense a été fixé à 2 % des PIB des Etats membres (norme OTAN V2, hors pensions 2), comme un objectif à atteindre le plus rapidement possible. Et ceci, sans distinction entre les membres de l’OTAN alors que chaque nation poursuit en la matière des buts plus ou moins ambitieux qui lui sont propres. Et sachant également que bon nombre de partenaires européens de l’OTAN ont fait le choix de dépendre des Etats-Unis, via l’OTAN, pour leur propre défense.
En ce qui concerne la France, qui exprime des « ambitions » de puissance mondiale, à tout le moins régionale, un tel effort devrait se situer au minimum à hauteur de 2,5 % du PIB voire de 3 %. En effet, la France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ; elle entretient, à raison, une dissuasion nucléaire à deux composantes, considère qu’elle doit jouir d’une autonomie d’appréciation de situation, de décision et d’action (militaire) et qu’elle doit pouvoir conduire une coalition pour un conflit régional limité avec la capacité « d’entrée en premier » sur un théâtre d’opérations.
Ces exigences l’ont amené à développer l’ensemble des capacités militaires nécessaires, notamment dans le domaine nucléaire et spatial, ce qui n’est pas le cas de la grande majorité des membres de l’Union européenne, hormis le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, l’Allemagne 3 qui ne possède pas d’armement nucléaire. Rappelons aussi que la France a signé un certain nombre d’accords de défense avec des pays étrangers, principalement africains, accords qui l’obligent par conséquent.
Cependant, les réductions budgétaires et d’effectifs incessantes pratiquées ces vingt dernières années ont érodé globalement la cohérence de notre outil militaire en consentant des lacunes autour de quelques capacités, qu’elles soient considérées comme définitives ou temporaires.
Nos concitoyens attendent un discours de vérité sur les capacités du pays à se défendre et à assurer leur sécurité. Ils ont pu malheureusement constater depuis longtemps déjà les distorsions entre les discours et la réalité vécue par les armées sur le terrain. L’insuffisance des contrats opérationnels donnés aux armées 4, et donc celle des moyens comme des effectifs, apparaissent crûment et ont justifié les quelques mesures, encore modestes, décidées par le Président de la République en 2015 et 2016 dans le cadre d’actualisations de la LPM.
Il s’agit maintenant de porter cet effort à la hauteur des besoins réels des armées par un processus de remontée en puissance qui devrait s’imposer à tous les responsables politiques pour peu qu’ils en aient la volonté. Cette nécessité réclamerait que l’effort de défense – hors pensions – soit porté à hauteur de 2 % du PIB dès 2018 pour atteindre les 2,5 % en 2020 et les 3 % en 2025, effort déjà pratiqué dans le passé récent 5 et qui semble indispensable au regard du nécessaire remplacement, entre autres impératifs, des systèmes des deux composantes de la dissuasion nucléaire au cours de la prochaine décennie, sans pour autant provoquer un effet d’éviction sur les autres besoins des armées.
1) La dépense publique comprend le budget de l’Etat, environ 300 Mds€ hors charge de la dette et hors pensions, les budgets annexes et les dépenses à caractère social (ces dernières représentent à elles seules plus de 54 % de la dépense publique).
2) Il existe des débats d’experts sur le périmètre exact des normes V1 et V2 autour de la prise en compte on non des pensions et d’une force de police à statut militaire (en France, la gendarmerie nationale).
3) La part du PIB consacrée à l’effort de défense, hors pensions, est pour le Royaume-Uni de 2,5 % et pour l’Allemagne de 1,1 %. Cependant, en valeur, le budget de défense allemand est supérieur à celui de la France depuis 2015 et celui du RU le dépasse de plus de 10 milliards d’euros
4) Cf. les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et 2013.
5) Effort qui dépassa même les 6 % du PIB lors de la réalisation de « la force de frappe » nucléaire à la fin des années 60.
Les événements récents ainsi que les tendances lourdes conduisent à une aggravation de la menace, en termes de diversité, de proximité et de lien avec la sécurité sur le sol national. En matière de protection et de défense, c’est le défi du terrorisme armé d’origine islamiste qui doit focaliser toute notre énergie. Par voie de conséquence, les zones géographiques qui doivent être priorisées sont dans l’ordre d’importance : l’Arc Méditerranéen (dont le Levant), le Sahel, l’Afrique sub-saharienne et le Golfe arabo-persique
Dans le monde incertain tel qu’il va, s’il est une certitude, c’est qu’il bouge, et bouge toujours plus vite. Dans ce contexte mouvant, si l’on veut raisonner en termes de finalités avant de développer une stratégie de moyens et de ressources, la question primordiale qui se pose aux acteurs de la défense et de la sécurité est : « Quelle est la menace à prendre en compte ? »
Les attendus de cette réflexion peuvent se décliner selon trois axes :
- Une vision claire de la situation internationale, actuelle et en devenir ;
- La définition de critères de choix, articulés autour de nos intérêts, de nos impératifs et de nos possibilités ;
- L’établissement de priorités stratégiques.
Depuis le dernier Livre Blanc, certaines tendances se sont confirmées, d’autres se sont inversées. Dans les lignes qui suivent seront énumérées les évolutions sur le court terme, qui pour certaines sont déjà en cours, et les tendances de moyen terme qui préparent un avenir encore plus incertain.
A court terme : une menace caractérisée par sa gravité, sa probabilité d’occurrence croissante, son imprévisibilité, sa proximité et la diversité de ses modes d’action.
L’Arc méditerranéen (Maghreb, Machrek, Proche-Orient, Turquie) est la zone qui présente l’évolution la plus inquiétante, même si elle est assez inégale : à côté de pôles de stabilité relative (Algérie, Maroc, Egypte), d’autres secteurs sont devenus des « vides politiques » (Etats faillis ou défaillants) susceptibles de constituer un danger pour leur environnement (Libye), tandis que l’absence de solution à la question palestinienne crée une source permanente de conflit. L’évolution autoritaire du régime en Turquie conduit en outre à accentuer l’incertitude dans la zone. Cette région est marquée par deux phénomènes majeurs : la très forte pression migratoire et le terrorisme islamique, dont la manifestation la plus visible est l’irruption de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. La Méditerranée, au lieu d’être un lien entre les trois continents, est devenue une frontière qui doit être surveillée.
Le Moyen-Orient (péninsule arabique, Iran) reste au coeur des enjeux énergétiques mondiaux. La chute du prix du pétrole, voulue initialement par l’Arabie Saoudite et entretenue par la crise, a des répercussions dans le monde entier et particulièrement dans des pays fragiles ; elle constitue un facteur d’incertitude majeur. L’immobilisme politique face aux évolutions sociétales constitue un autre facteur d’instabilité, que DAECH s’est mis en situation d’exploiter : celui de miser sur la fracture sociale, en l’habillant d’oripeaux religieux qui ne sont que les révélateurs d’un rejet de l’évolution libérale de nos sociétés. Phénomène que DAECH a l’ambition d’exporter sur notre sol… Enfin, on ne saurait passer sous silence l’antagonisme séculaire entre chiites et sunnites qui accroît la rivalité entre les deux grandes puissances régionales et constitue un facteur supplémentaire d’instabilité au sein même des Etats de la région.
En Afrique sahélienne et sub-saharienne, la pression démographique, la faiblesse des économies et l’immobilisme politique poussent une jeunesse désoeuvrée à réclamer le changement. La zone est marquée par une double poussée : la progression de l’islam radical vers le sud et ses velléités d’expansion vers l’Europe via les flux migratoires. La présence historique de la France dans nombre d’Etats de cette zone la conduit à un soutien militaire contre le terrorisme et donc indirectement à un ciblage de la France par les Djihadistes.
Aux frontières orientales de l’Europe, on assiste à une réapparition de la pression militaire russe. Même si les pays d’Europe centrale, marqués par leur histoire récente se focalisent sur la menace venant de l’Est et sur la protection que l’OTAN peut apporter, il convient d’en relativiser le danger, car l’équilibre nucléaire va probablement continuer à jouer son rôle dissuasif. Si une agression directe ne semble donc pas envisageable, cette focalisation à l’Est distrait des ressources rares qui seraient bien utiles au Sud…
Sur le moyen terme : des tendances lourdes, démographiques, économiques, culturelles et politiques, qui induisent des aggravations des facteurs de crises ou de conflits.
En Afrique, la pression démographique est croissante, les économies restent mal assises, le développement est durement freiné par la chute des prix du pétrole et la mauvaise gouvernance continue à caractériser la majorité des Etats… Ce sont autant de facteurs d’instabilité durable.
La progression des BRICS, qui laissait espérer un relais de croissance et un modèle de développement nouveau, est en panne : le Brésil est en récession, la Russie résiste mieux, la Chine est au ralenti, la croissance est faible en Afrique du Sud, et l’Inde reste pénalisée par ses désordres sociétaux. L’espoir de voir ces pays devenir progressivement des pôles de stabilité régionaux s’estompe.
Au Moyen-Orient, l’évolution principale est le retour de l’antagonisme séculaire entre Perses et Arabes ; d’autant que le « jeu » pourrait être plus complexe si on y intègre d’éventuelles dérives de l’attitude T turque et l’éternelle question kurde. Le problème de l’accès aux ressources en eau va jouer un rôle croissant dans cette région.
Le rôle que voudront jouer les Etats Unis reste mal prévisible : après les échecs successifs en Irak et en Afghanistan, la politique américaine devrait logiquement évoluer vers le multilatéralisme ; toutefois les vieux réflexes de l’hyperpuissance sont toujours là et l’antagonisme entretenu envers la Russie ne laisse pas présager un horizon serein, avec la possible tentation d’instrumentaliser l’OTAN dans cette rivalité.
Enfin, l’augmentation des budgets de Défense, en particulier en Asie, n’est pas un signe positif pour la paix mondiale : les arsenaux militaires en cours de constitution dans certains pays finiront forcément par être utilisés pour nourrir les ambitions de leurs dirigeants.
Comment choisir « nos » menaces : les critères de choix d’engagement de la France.
Dans ce contexte marqué par l’incertitude et la diversité des menaces, il est illusoire pour une puissance moyenne comme la France de prétendre vouloir « tout traiter ». Il faut donc choisir les menaces dont on veut se prémunir, en raisonnant par rapport à nos intérêts et nos ressources, mais aussi en fonction de nos impératifs sur la scène internationale.
La France a en premier lieu des intérêts à préserver :
la protection du territoire et des Français, en particulier face à un terrorisme qui frappe désormais à l’intérieur, lui imposant de le traiter à sa source, à l’extérieur,
l’accès aux ressources énergétiques,
d’importantes communautés de Français partout dans le monde,
la francophonie…
Ensuite, la France a un certain nombre d’obligations à remplir, à divers titres :
membre permanent du Conseil de Sécurité, elle est une référence pour celui-ci par son implication dans la gestion des crises, notamment africaines,
membre de l’OTAN, elle a retrouvé un rôle et une place de poids au sein de l’Alliance,
membre fondateur de l’UE, elle assume un rôle moteur dans la construction européenne,
historiquement liée par des liens linguistiques et culturels avec de nombreux Etats africains, elle exerce encore une forte influence dans la région,
entretenant un dispositif sans équivalent des forces françaises stationnées en Afrique, elle reste le seul pays capable de réactions immédiates sur le continent,
assumant sur le territoire national la présence d’une forte population d’origine immigrée, elle ne peut rester à l’écart de certaines crises régionales.
Enfin, quelques critères de choix peuvent être énoncés pour limiter la liste des menaces à prendre en compte par la Défense, et éviter un éparpillement néfaste à l’efficacité, et inaccessible financièrement :
la proximité, la probabilité d’occurrence et la gravité de la menace,
la solidarité avec nos alliés,
le lien de la menace avec la sécurité sur le sol national6,
la faisabilité et l’utilité d’une action militaire éventuelle,
l’ampleur des ressources nécessaires.
Des priorités à conforter : terrorisme et Méditerranée.
Deux priorités semblent aujourd’hui émerger.
En matière de protection et de défense, c’est le défi du terrorisme armé d’origine islamiste qui doit focaliser toute notre énergie, sous ses diverses manifestations (attentats sur le sol national, déstabilisation au Sahel, actions ciblées en Afrique centrale et de l’Ouest, anarchie totale en Libye, tentative de proto-Etat en Syrie et en Irak…). Dans une moindre mesure, les autres enjeux à prendre en compte sont : la pression migratoire au sud de l’Europe, la faillite des Etats, et la résurgence d’une rivalité d’influence à l’est de l’Europe.
Les zones géographiques où l’on doit prioritairement envisager d’engager les forces armées françaises sont dans l’ordre d’importance : l’Arc Méditerranéen (dont le Levant), le Sahel, l’Afrique sub-saharienne, le Golfe arabo-persique.
Ces deux défis majeurs, le terrorisme islamique, y compris dans sa version armée la plus aboutie sur le modèle de DAECH, et la maîtrise de l’espace méditerranéen élargi, déterminent à eux deux les aptitudes et les capacités principales dont il faut chercher à doter nos forces armées.
Conclusion
Le constat est celui d’une aggravation de la menace, en termes de diversité, de proximité et de lien avec la sécurité sur le sol national. C’est aussi celui d’une plus grande incertitude : la menace devient de plus en plus imprévisible, et ses modes d’actions ont réintroduit le facteur de la surprise.
Le sentiment qui prévaut auprès de nos concitoyens est celui que cette menace n’est pas toujours prise en compte au niveau souhaité. Ils constatent trop souvent que, à défaut d’une vision sur le long terme et d’une réelle volonté de modifier des paramètres conduisant à une possible explosion, les gouvernements sont enclins à des réactions de court terme pilotées par l’émotion et par leurs agendas nationaux internes à connotation électorale. La focalisation sur « la dette » empêche de réfléchir aux missions régaliennes de l’Etat.
Les conflits armés étant l’horizon le plus probable qui lui soit offert, il appartient à la France de se donner les moyens nécessaires pour gagner la paix. « Si vis pacem para bellum ».
6 … la menace « intérieure » paraissant être de plus en plus une menace « importée ».
La France s’est dotée des moyens militaires qui lui permettent d’agir si nécessaire seule pour traiter les crises jusqu’à un certain niveau de gravité. Il est essentiel qu’elle pérennise cette aptitude et qu’elle conserve les capacités sur lesquelles repose cette aptitude : renseignement, commandement, projection de force, entrée en premier…
L’enjeu de l’autonomie stratégique est en fait celui de la maîtrise de notre destin collectif. Le général de Gaulle en avait rappelé les termes et les attendus :
« En ce qui concerne la Défense dans son ensemble, je tiens à vous dire qu'il faut que cette défense de la France soit française. […] Un pays comme la France, s'il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. S'il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu'il est depuis ses origines. Il serait en contradiction avec sa structure, avec l'estime qu'il a de lui-même, avec son âme. »
Concrètement, l’autonomie stratégique consiste à être en mesure de savoir (apprécier une situation), de décider (choisir entre plusieurs options dont on a analysé les attendus et les coûts) et d’agir militairement (engager des forces sur un théâtre d’opérations) sans que des contraintes extérieures, imposées par d’autres acteurs, ne soient susceptibles d’influencer nos choix ou de brider nos initiatives.
Cette autonomie, la France a su s’en doter au fil des années, et la conserver, malgré quelques impasses criantes. Il est essentiel qu’elle poursuive ses efforts en vue de l’améliorer. Car elle constitue pour l’exécutif, et singulièrement pour le président de la République, un outil unique à des fins de liberté et d’indépendance.
Elle repose d’abord (et avant tout) bien sûr sur un « système » de dissuasion complet, performant et entièrement autonome tant dans sa conception et son développement que dans sa mise en oeuvre.
Au plan plus général, elle s’appuie sur divers éléments qu’il est important de pérenniser :
- Une organisation du commandement des armées dont la souplesse, la réactivité et la solidité sont les gages d’un processus décisionnel pertinent et efficace ;
- Un ensemble de procédures de planification, d’appréciation de situation, de déclenchement des engagements et de conduite qui permettent de piloter très finement l’action militaire ;
- Une série de capacités, malheureusement incomplètes, qui autorisent la France à engager, si nécessaire, seule une opération militaire, sans dépendre de moyens fournis par ses partenaires.
Sur ce troisième volet, celui des capacités de l’autonomie stratégique, des efforts sont à consentir pour rétablir une pleine liberté d’action. Les principaux besoins à couvrir sont les suivants :
- Renseignement : la France dispose d’une panoplie de capteurs de très haut niveau, sur tout le spectre de l’intelligence de situation (image, sources électromagnétiques, renseignement humain…) ; le choix fait sur le spatial permet une couverture mondiale ; il conviendra d’assurer en temps utile le renouvellement de ces systèmes ; il sera également important de poursuivre l’effort sur le traitement des données et l’exploitation des informations, actions qui nécessitent de plus en plus de ressources.
- Commandement et transmissions : quel que soit le type d’opérations, nos forces armées disposent des moyens de commandement qui permettent d’en assurer le commandement et le contrôle 7 ; les SIC (systèmes d’information et de communications) afférents sont protégés, résilients, complémentaires et adaptés ; dans un environnement cyber de plus en contraint, ces capacités doivent évoluer en permanence, en particulier en termes de protection, de débits et de souplesse d’emploi.
- Projection : un des prérequis de l’autonomie stratégique consiste à être capable d’acheminer sans contraintes des moyens militaires sur un théâtre d’opération ; force est de reconnaître que les capacités de transport stratégique, aériennes en particulier, mais navales également, des forces armées françaises sont insuffisantes ; elles imposent trop souvent d’avoir recours aux moyens de nos alliés, et donc d’être en situation de dépendre de leur bon vouloir ; il est primordial de rectifier cette situation en dotant nos forces de moyens de transport stratégique en quantité et en qualité (emport, allonge) voulues.
- Entrée en premier : agir seul, face à un adversaire de « bon niveau » militaire, nécessite de pouvoir ouvrir un théâtre d’opération, ce qui devra se faire en y pénétrant en force dans la plupart des cas ; cette aptitude à l’entrée « en premier » repose sur diverses composantes capacitaires : action et feux dans la profondeur (forces spéciales, missiles de croisière), unités aéroportées, moyens amphibies, brouillage offensif, SEAD (suppression of enemy air defence)… Or une partie de ces équipements a été sacrifiée lors des arbitrages de programmation financière des années antérieures : il est important, si un effort de remontée en puissance doit être fait, de consacrer une part significative de cet effort à la résorption de ces réductions capacitaires trop inconsidérément consenties par les gouvernements successifs.
- Aptitude à durer seuls sur un théâtre ouvert : il faut disposer des moyens permettant, en autonome, de stabiliser une situation, dans l’attente du moment où on pourra transférer la responsabilité de la mission (coalition ad hoc ou force de l’ONU) ; il faut en particulier pouvoir mettre en oeuvre des unités de contrôle de zone et d’intervention, dotées de leurs propres appuis, mais aussi rester en mesure d’assurer la logistique opérationnelle des forces déployées dans les domaines les plus essentiels (transport, maintien en condition, soutien du combattant et soutien médical) ; ce qui suppose que ces fonctions de soutiens à finalité projetable conservent leur pleine vocation militaire…
- Réactivité : plusieurs opérations récentes l’ont rappelé, pour agir efficacement, il faut souvent être en mesure d’intervenir très vite, ce qui suppose de disposer de forces disponibles, prêtes à l’emploi, à proximité des zones d’engagement ; la France possède en la matière un dispositif de forces « prépositionnées » d’une grande pertinence ; il convient de le consolider et de le renforcer car il conditionne pour une large part notre capacité d’intervention.
L’autonomie stratégique a un prix : celui des capacités qui la permettent. Il est vital de continuer à investir dans ces capacités, et de rétablir celles qui font défaut, pour conserver à nos autorités politiques la liberté de choix et d’action qui seule est garante d’une pleine indépendance sur la scène internationale.
*
7) L’aptitude à un emploi autonome de nos SIC ne signifie pas qu’ils sont « fermés » : les besoins liés aux opérations en coalition et notre ambition de « nation-cadre » déterminent au contraire des spécifications importantes en matière d’interopérabilité.
L’Histoire de la France et sa géographie lui donnent des devoirs vis-à-vis de la Nation et à l’extérieur de ses frontières qui rendent prégnante une permanence des impératifs de défense et de sécurité. A côté d’une dissuasion nucléaire qui restera le coeur de son système de défense, la France doit remonter en puissance ses capacités conventionnelles pour être en mesure de faire face à l’évolution accélérée de la situation stratégique mondiale tout en conservant pour son armée la capacité simultanée de protéger sur son propre sol la population. En découle la double urgence d’une vision stratégique rénovée et de celle induite d’une stratégie des moyens, restaurée et plus conforme à la nouvelle donne mondiale et à nos propres besoins.
Les intérêts de la France comme la nécessité de sa défense en tant que nation l’ont conduite au cours de l’Histoire à développer une armée qui réponde à la vision stratégique qu’elle avait de ses adversaires et du contexte de ses alliances. Cette posture fut mise à mal avec la disparition du Pacte de Varsovie et celle, concomitante, de l’ennemi à ses frontières. Néanmoins, la finalité de l’armée ne saurait être mise en cause par une actualité contingente par définition, sans préjuger de l’avenir que nul ne connait.
La France se doit en conséquence de maintenir en état une institution et un appareil militaires qui soient adaptés aux défis et aux dangers d’un monde multipolaire, redevenu instable, où la guerre semble retrouver, en quelque région que l’on regarde, une nouvelle vigueur.
Organisée autour de cinq grandes fonctions stratégiques : (1) connaissance et anticipation, (2) dissuasion, (3) protection, (4) intervention et (5) prévention, l’armée constituée de ses trois composantes fondamentales : armée de terre, marine et armée de l’air et d’organes interarmées entend répondre, au plan stratégique, à la diversité des situations que peut engendrer le spectre varié des menaces actuelles ou prévisibles à moyen terme.
Dans cet ordre des choses, derrière une stratégie générale de sécurité qui demanderait à être redéfinie, s’impose une stratégie des moyens qui relève de la responsabilité gouvernementale et plus précisément du ministère de la Défense, même si les trois derniers Livres blancs sur la défense 8 s’essayèrent avec plus ou moins de bonheur à en définir le contenu par une somme de détails et de données chiffrées que les événements récents confondirent.
Le cœur du système de défense de la France repose sur la dissuasion nucléaire, même si l’ensemble des moyens militaires, y compris conventionnels, concourent à la fonction de dissuasion. La doctrine française en ce domaine reste fondée sur la présence des deux composantes nucléaires, océanique et aéroportée.
Propriété politique plus qu’intellectuelle du Président de la République, la doctrine de dissuasion, qui s’appuie sur cette dualité, ne peut être mise en cause à l’occasion d’élections présidentielles mais bien par le seul chef de l’exécutif, chef des armées, démocratiquement établi. Unique détenteur 9 du pouvoir de mettre en oeuvre le feu nucléaire, le Président de la République est garant de l’indépendance de la France et de la défense de ses intérêts vitaux, par le biais de la dissuasion, sorte d’assurance-vie de la nation. En découle la nécessité du maintien de sa crédibilité par le renouvellement régulier de ses constituants : porteurs, vecteurs, armes, systèmes de transmission et leur soutien adapté 10. La quantification des moyens 11 demeure la seule variable d’ajustement après que la France a consenti, dans les années ayant suivi la disparition de la menace soviétique, à supprimer la composante fixe des missiles sol-sol balistiques stratégiques (SSBS du plateau d’Albion) et celle mobile terrestre de théâtre 12 (missiles Pluton puis Hadès).
En deçà du seuil nucléaire, la France doit pouvoir participer à une défense conventionnelle, dite aujourd’hui de l’avant, hors de ses frontières, avec des moyens de projection et d’action en adéquation avec les menaces prévisibles dans l’aire régionale de nos intérêts, dans le respect de nos accords de défense et du volet militaire de nos alliances.
Concernant la stratégie des moyens, les Livres blancs successifs 13 se sont attachés à poser la définition de contrats opérationnels pour nos forces terrestres, navales et aériennes au risque d’être contredits dans le domaine matériel par l’évolution et le nombre des conflits, en dehors de toute analyse prospective des menaces qui soit fondée sur des données concrètes et objectives et non pas seulement dictée par la situation économique du moment ou par des priorités gouvernementales tout aussi contingentes.
En conséquence, il convient de rester prudent dans l’affichage de nos capacités vis-à-vis d’un ennemi futur et même de nos alliés, et de conserver au sein du ministère de la défense la responsabilité d’arrêter la nature et le volume des moyens nécessaires. Cela pourrait passer par la définition de « réservoirs de forces » - hommes et équipements - dans chacun des milieux physiques d’intervention, terre, mer et espace aérien, dimensionnés sur la base de scénarios d’engagement prospectifs qui permettraient d’arrêter des contrats opérationnels plus adaptés à l’évolution des menaces et des théâtres que la formule actuelle de contrats figés 14.
La réponse à cette problématique, dépendante de l’effort de défense consenti et du niveau des menaces, on l’a vu, incline davantage vers un équilibre à trouver entre l’assurance constituée par la dissuasion nucléaire et les capacités opérationnelles conventionnelles (classiques), d’une part, et la nature et le volume des forces à engager selon l’adversaire plus ou moins prévisible et le contexte de la crise ou de la guerre, d’autre part.
Ainsi, l’adaptation du modèle d’armée au contexte stratégique issu d’une situation mondiale préoccupante et aux évolutions souvent incertaines doit-elle permettre désormais une reconstitution urgente de capacités – hommes et matériels – en quantité suffisante et en qualité homogène au meilleur niveau de la technologie, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, compte tenu de l’héritage de vingt années de relâchement, voire de renoncement.
Du point de vue de l’efficacité opérationnelle, ces réservoirs de forces doivent autoriser, à court terme :
- pour les forces aéroterrestres, la projection dans le cadre d’une coalition d’une force d’au moins 30.000 h, ce qui suppose de posséder une force opérationnelle terrestre (FOT) de 100 000 h. (entretien dans la durée et relèves sur les théâtres, y compris et simultanément, le territoire national). Objectif à atteindre progressivement ;
- pour les forces aéronavales, la permanence d’une force aéronavale qui ne soit pas qu’à mi-temps et la disposition de moyens de combat de haute mer correspondant, en partie, à la superficie de nos zones économiques exclusives maritimes dispersées sur le globe ;
- pour les forces aériennes, la disposition de moyens de reconnaissance, de bombardement, d’appui au sol et de ravitaillement par air permettant des frappes stratégiques autonomes, d’une part, et l’appui de la force aéroterrestre projetée, d’autre part ; sans omettre des capacités de transport stratégique et de théâtre au profit de l’ensemble des forces ;
- pour les moyens interarmées, la capacité à anticiper, planifier, commander et soutenir les forces (systèmes de PC, soutien logistique, médical, pétrolier, munitions, etc.).
Cependant, en fonction de l’évolution du contexte mondial à moyen terme, il ne peut être exclu d’avoir à revenir au niveau des capacités détenues au terme de la professionnalisation en 2002 avec, par exemple, l’objectif d’une projection d’une force aéroterrestre de 50.000 h, ce qui impliquerait de remonter à nouveau les effectifs de la FOT vers 120 000 – 130 000 hommes (donnée du Livre blanc de 1994).
Concernant la protection du territoire national et de la population, qui est la première obligation de l’Etat - délaissée jusqu’aux événements récents - l’actualité remet le pouvoir exécutif devant ses responsabilités. Un tel sujet réclame qu’il soit développé dans une fiche qui lui soit propre.
8) De 1994 et, ceux de 2008 et 2013 (Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale)
9) Pour le cas où le PR serait empêché, des autorités de dévolution sont cependant désignées.
10) Y concoure également l’outil industriel national dont, première de ses branches, la direction des applications militaires du CEAE.
11) Nombre de SNLE à la mer, d’avions porteurs, de missiles ASMP-A et de têtes nucléaires.
12) Qualifiée successivement d’arme tactique puis préstratégique.
13) Du moins, les membres désignés constituant la Commission du Livre blanc, dont on peut remarquer leur irresponsabilité au sens juridique.
14) Cf. les LBDSN de 2008 et 2013.
Il était normal que les armées, et essentiellement l’armée de terre dont la mission première reste la protection des populations et du territoire, interviennent dans l’urgence à la survenue des attentats terroristes de 2015 et 2016. Cependant, leur installation permanente avec l’opération Sentinelle dans des tâches supplétives de celles des forces de l’ordre, au détriment de leurs autres missions de guerre et de leur entraînement ne saurait perdurer. L’engagement des unités militaires sur le territoire national doit être étudié autant dans ses aspects juridiques à reconsidérer au vu de l’évolution de la société civile que dans le concept d’emploi et les modes d’action qui ne peuvent être ceux des forces de l’ordre, notamment dans la perspective plausible désormais du dernier recours.
La mission première des armées reste bien la protection du territoire national et de la population.
L’intervention de l’armée sur le territoire national répond bien évidemment à cette mission prioritaire entre toutes. Si les événements de 2015 et 2016 ont justifié de mobiliser dans l’urgence et à grande échelle l’armée - essentiellement l’armée de terre, d’ailleurs - à la survenue des attentats et dans l’ignorance des suites possibles, il appartient maintenant au pouvoir exécutif de répondre, avec le concours de l’état-major des armées, de manière plus circonstanciée à de telles situations sur le territoire. Car, désormais, envisager le pire devient un devoir vis-à-vis de nos concitoyens, devoir qui a, au demeurant, toujours relevé d’une obligation de l’Etat 15 envers la nation. En effet, d’autres situations, de plus grande ampleur, relevant d’un contexte insurrectionnel - paralysie des services publics, grèves générales, affrontements entre « communautés » pouvant aller jusqu’à une guerre civile, etc. - appartiennent au champ d’un possible trop négligé jusqu’ici bien que finalement prévisible.
Déjà, marine et armée de l’air répondent dans leur milieu naturel, à des missions permanentes de protection du territoire au profit de la sauvegarde maritime et de la sûreté aérienne. L’armée de terre, de son côté, ne remplit plus de mission permanente sur le territoire national (au plan Vigipirate près, anormalement entretenu depuis 1995, pour une efficacité douteuse) depuis le transfert de la défense opérationnelle du territoire (DOT) à la gendarmerie avec la réforme Armées 2000 dans les années 90.
Dans ce contexte, l’opération Sentinelle déclenchée dans l’urgence sur la base du contrat défini par les derniers Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale a démontré, sinon l’impréparation des esprits au sein de la classe politique – peu réceptive aux attentes des chefs militaires sur un tel sujet au point d’inhiber la réflexion prospective en la matière - du moins l’inadaptation du cadre d’emploi des armées et de son dispositif juridique totalement dépassé. C’est le mérite de l’actuel chef d’état-major de l’armée de terre d’avoir replacé l’armée de terre sur cette mission prioritaire - dès sa prise de fonction et avant les attentats de janvier 2015 - et d’avoir relancé la réflexion doctrinale sur un emploi sur le territoire national. L’objectif reste bien, au-delà de la démonstration du peu d’efficacité militaire du dispositif Sentinelle et du caractère nuisible des perturbations qu’il induit au sein des armées dans le déroulement des missions extérieures et de l’entrainement opérationnel des unités, d’anticiper des formes d’intervention plus sévères pour des évènements autrement plus graves où les forces terrestres auraient à déployer des savoir-faire qu’elles sont les seules, par nature, à détenir.
Autrement dit, au-delà de l’émotion initiale et du légitime recours à l’armée dans l’urgence d’une situation dont les développements futurs nous étaient inconnus, l’entretien dans la durée de l’opération Sentinelle est-il pertinent militairement ? Cette dernière représente-telle la forme achevée et définitive d’intervention de l’armée sur le territoire national ?
Comme toujours, il faut revenir à la finalité des choses, avant d’en discuter les modalités de mise en oeuvre ou les moyens à y consacrer. Si l’on perçoit bien la portée politique de l’engagement de l’armée dans Sentinelle, il est difficile d’en discerner les buts militaires. Or, qui dit engagement de l’armée, impose de définir des objectifs militaires, sinon, qu’en est-il de son efficacité au regard de cette mission particulière ?
La finalité de l’armée, celle qui donne un sens à l’institution militaire, demeure bien de combattre un ennemi, celui qui menace l’intégrité du territoire ou la vie de la population. Dans le cas présent, il n’y a pas d’ennemi, seulement des criminels de droit commun, d’un nouveau genre, certes. Dès lors, sans ennemi et par conséquent sans objectifs militaires, cette opération est vouée, sur un plan strictement opérationnel, à une entreprise de figuration purement cosmétique. Dans de telles conditions peut-on laisser perdurer une opération sans buts comme sans résultats à apprécier, avec le risque réel de voir se banaliser une participation des forces terrestres dans un rôle de vigiles ?
On doit convaincre du côté des armées les responsables politiques, de la nécessité de formaliser une doctrine d’emploi des forces qui donne un « sens militaire » à ce type d’opération après plus de 18 mois d’engagement continu. Ce ne sont pas les rapports du SGDSN ou du ministère de la Défense - ceux rendus publics - qui peuvent en constituer les bases, car, par leur titre même, ils ne dissertent que sur les « conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population ». Si, dans ces documents, la mission est définie en termes très généraux, trop généraux : « protéger la population », ils ne contiennent aucun début d’expression d’une mission en termes militaires, avec des objectifs clairement arrêtés.
Quelles devraient être les conditions d’une action militaire efficace sur le territoire national ?
En premier lieu, l’intervention de l’armée doit revêtir un caractère exceptionnel. C’était le cas le 8 janvier 2015, cela ne l’est plus aujourd’hui. Le déploiement d’unités militaires doit manifester à « l’adversaire » un changement d’attitude à son égard, le franchissement d’une étape montrant la volonté politique de traiter la question par des voies différentes mais définitives. C’est le constat que les forces de l’ordre ne sont plus la réponse adéquate ou suffisante en l’état actuel, à une situation qui ne saurait perdurer. C’est bien l’objet du « dernier recours », car, après l’intervention de l’armée, il n’y a plus rien.
Au plan juridique, s’agissant dans les cas extrêmes - bien au-delà de la prévention d’actes terroristes16 - de rétablir le libre fonctionnement des pouvoirs publics et d’assurer la sécurité de la population dans un contexte insurrectionnel, hypothèse qu’il serait irresponsable d’écarter d’un revers de main, la mission dévolue aux armées - de terre principalement - ne peut plus relever du cadre étroit fixé aujourd’hui par l’état d’urgence, ni même par les autres états d’exception existant dans la panoplie constitutionnelle : état de siège et défense opérationnelle du territoire (DOT, confiée à la gendarmerie depuis la réforme Armées 2000)17
On voit bien qu’il reste à définir un nouveau cadre juridique pour une opération d’une nature inédite dans le contexte de la société civile d’aujourd’hui. L’état d’urgence - dans lequel nous sommes - est inopérant pour les armées. Si la DOT était adaptée à l’objectif de neutralisation des spetsnaz soviétiques sur le territoire, elle ne l’est plus dans la situation actuelle. Quant à l’état de siège qui date de 1849, il se montre suranné : transférer les pouvoirs de police à l’autorité militaire, mesure qui peut paraître encore souhaitable à certains, ce dont on peut douter sur le plan des principes, aurait un sens sur le terrain si l’effectif utilisable des armées - bien inférieur à celui des forces de l’ordre aujourd’hui, ne l’oublions pas - permettait une couverture générale de tout le territoire et une organisation appropriée du commandement.
Cette mission de protection du territoire national devra reposer sur des objectifs « militaires » à atteindre sur un adversaire désigné ; c’est déjà un premier défi pour le pouvoir exécutif. Elle sera bien évidemment placée sous commandement militaire et conduite selon des modes d’action arrêtés par les chefs militaires, discutés et approuvés en Conseil de défense. Elle sera assurée sous l’autorité du 1er ministre (c’est déjà le cas pour les mesures de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne), voire du chef des armées selon la gravité de la situation. Celle-ci pourrait imposer que les objectifs ne soient plus laissés à l’initiative des préfets, pas plus que la libre disposition des unités militaires, même localement, l’emploi de celles-ci étant nécessairement centralisé. Autrement dit, les modes de la réquisition ou de la demande de concours ne sont pas adaptés à des situations qui risquent de devenir paroxystiques. Bien entendu, il y aura une étroite coordination avec les forces de l’ordre et l’ensemble des services publics d’Etat, mais les missions, les objectifs, les modes opératoires, par nature, seront distincts… sinon, l’ambiguïté et la confusion des genres seraient préjudiciables à l’efficacité militaire recherchée. En particulier, la légitime défense ne peut plus apparaître comme la règle principale d’engagement des forces militaires.
En conclusion, il est grand temps de réfléchir entre les services du 1er ministre (SGDSN), les ministères de l’Intérieur et de la Défense avec le concours de l’état-major des armées à des scénarios réalistes, crédibles - qui devraient faire l’objet d’une planification « froide » bien avant l’apparition des troubles - et dont le sens militaire soit avéré après que l’objectif politique ait été clairement affiché. Un travail conceptuel important s’impose, sans perdre de vue la finalité de l’action militaire et le pragmatisme des solutions à retenir : travail au plan juridique pour définir un cadre légal adapté à l’intervention de l’armée sur le territoire national, travail au plan doctrinal concernant les armées pour définir un mode d’emploi des unités militaires répondant au contexte national et qui préserve leur spécificité et leurs caractères propres garants de leur efficacité, en les différenciant clairement du rôle tenu par les forces de l’ordre.
15 Cf. la Déclaration des droits de l’homme.
16 Qui relève, rappelons-le, dans un Etat de droit, du ministère de l’intérieur pour les actions de renseignement, des forces de l’ordre pour l’intervention et de la justice pour le traitement des criminels
17 On pourrait évoquer aussi l’article 16 de la Constitution dont la décision de sa mise en oeuvre appartient au seul Président de la République.
Après 70 ans de paix sur notre continent, la nouvelle nature des menaces implique pour les Etats européens d’adapter l’emploi de leurs forces armées dans un cadre devenu forcément multinational. Dans son fonctionnement actuel, l’Otan maintient les Européens dans une dépendance qui à terme, ne sert ni l’Europe ni les Etats-Unis. Pour reprendre la responsabilité de leur destin, ils doivent regrouper leurs forces dans l’UE en distinguant notamment ce qui doit être conduit au niveau européen et ce qui doit l’être au niveau national et d’en déduire les capacités pour le faire. Cela ne peut aboutir qu’en y associant les citoyens et les peuples.
Tandis que la défense était jusqu’à la fin de la 2ème guerre mondiale une prérogative exclusivement nationale, (qui n’excluait pas des alliances conjoncturelles entre Etats), le contexte sécuritaire de la fin des années 40 marqué par la vulnérabilité d’Etats européens exsangues et la menace soviétique, vit apparaître pour la première fois la notion de Défense européenne et même de Communauté Européenne de Défense. Depuis lors, tout en restant une prérogative nationale, l’essentiel de la Défense des nations européennes a été conçu au sein d’organisations multinationales : défense collective de leur territoire par l’Otan avec le soutien des Etats-Unis et depuis une quinzaine d’années, gestion de crises externes par l’Union Européenne. Bien que cette architecture ait permis à l’Europe de connaître la plus longue période de paix de son histoire (70 ans), des menaces d’une nouvelle nature apparues depuis le début des années 2000 et une déstabilisation de nombreux Etats à la périphérie de l’Europe imposent un réexamen des conditions d’une défense efficace des pays européens.
Cette révision passe notamment par une analyse de la dimension internationale de l’emploi des forces armées et par celle des perspectives offertes par les organisations multinationales européennes dans le nouveau contexte sécuritaire, étape indispensable pour mieux définir le rôle et les missions des forces armées nationales et les dimensionner en qualité et quantité.
Mieux appréhender la dimension internationale de l’emploi des forces armées dans le nouveau contexte sécuritaire.
Même si les affrontements armés directs entre grandes puissances, sont devenus improbables, conséquence du plafonnement de la guerre par la dissuasion nucléaire, les interventions des Etats forts contre des plus faibles (Etats-Unis en Irak, Russie en Géorgie et en Ukraine, France et Royaume-Uni en Libye...) demeurent d’actualité. De plus, comme le prouve l’augmentation sensible des dépenses de défense dans le monde (sauf en Europe) depuis le début du millénaire, la force militaire demeure un facteur central de la puissance, de la souveraineté et de la capacité d’influence des Etats au 21ème siècle.
Les interventions des 15 dernières années en Irak, en Afghanistan ou en Libye qui ont été des succès militaires, ont néanmoins conduit à des chaos politiques, rappelant, s’il était besoin, l’importance de lancer des actions militaires en cohérence avec des objectifs politiques clairs et réalistes.
La nature des nouvelles menaces provenant du terrorisme, des cyber-attaques, des Etats faillis ou d’agressions « hybrides », implique une adaptation de l’emploi des forces armées.
Face au terrorisme djihadiste dont la zone d’action est mondiale, une approche internationale est obligatoire. Une réflexion est donc nécessaire au niveau des Etats européens, de l’UE et de l’Otan pour optimiser les réponses militaires et la coopération des Etats en jouant notamment sur les complémentarités d’intérêts et de capacités. A l’intérieur des Etats le combat contre les terroristes est évidemment une responsabilité nationale qui implique une réflexion sur le rôle des forces armées, mais la confrontation idéologique utilisant notamment les réseaux sociaux, visant à fracturer la cohésion nationale et alimenter la guerre civile requiert également la solidarité des Etats partageant les mêmes valeurs.
Les autres sources de risques sécuritaires proviennent essentiellement des Etats faillis ou déstabilisés, terreau pour le terrorisme, où prolifèrent aussi le crime organisé, les trafics en tous genres et qui alimentent les flux migratoires massifs et incontrôlés. Sur ces théâtres, des interventions armées peuvent être nécessaires. Pour des raisons politiques (légitimité) et économiques (capacités et coûts) elles doivent être internationales surtout si elles doivent s’inscrire dans la durée, ce qui privilégie à priori les interventions dans le cadre de l’UE, de l’Otan ou en coalition
Le besoin pour les pays européens de concevoir leur défense dans un cadre international et européen résulte enfin de l’affaiblissement relatif de leur puissance par rapport aux grands Etats émergés ou émergents (Etats-Unis, Chine, Inde, Russie, Brésil…). Tous les experts s’accordent à reconnaître que dans le contexte actuel, la défense des pays européens ne peut plus être conçue seulement au niveau national. Hormis la France et le Royaume-Uni, aucun Etat européen ne saurait prendre l’initiative d’un engagement armé hors de ses frontières et les interventions en Libye et au Sahel ont clairement fait apparaître leurs limites. Il est peu probable que cette situation évolue favorablement dans les années à venir même en cas de redressement significatif de leurs budgets de défense. Les pays européens ne peuvent espérer atteindre la masse critique nécessaire qu’en unissant leurs forces, ce qui les conduit à réétudier les perspectives offertes par l’Otan et l’UE.
Exploiter les perspectives offertes par les organisations multinationales.
L’Otan est aujourd’hui la seule organisation capable d’assurer une défense collective crédible des pays européens, grâce à la garantie de sécurité américaine héritée du traité de Washington (1949). Mais cette garantie doit être reconsidérée dans le nouveau contexte sécuritaire, en tenant compte de l’évolution des priorités stratégiques des Etats-Unis, qui ne sont plus centrées sur l’Europe, comme l’a affirmé à plusieurs reprises le Président américain et comme l’a illustré la crise libyenne. Notre puissant allié demande au contraire aux Européens de prendre à leur charge une part plus importante du fardeau de leur sécurité. Le terrorisme et les migrations massives incontrôlées ne concernent pas de la même façon les Etats-Unis et l’Europe. Dans la relation avec la Russie, les intérêts américains ne sont pas de même nature que ceux des Européens, même s’ils se recouvrent partiellement. Il avait fallu attendre 4 ans pour que les Etats-Unis acceptent de s’engager en Bosnie dans les années 90
Il y a fort à parier qu’à l’avenir, la garantie de sécurité américaine accordée à l’Europe sera sélective (soutien pour contrer les tentatives d’expansion russe mais réserve en Méditerranée ou en Afrique et le prix à payer pour ce soutien sera d’autant plus élevé que les intérêts américains seront peu engagés).
Une capacité d’action autonome des Européens est donc indispensable. Or jusqu’ici, l’Otan s‘est montrée impuissante à faire émerger un pilier opérationnel européen en son sein tout en constituant un obstacle à plus d’intégration des capacités européennes dans l’UE (au prétexte spécieux de non-duplication). Il en est résulté une absence d’implication et une déresponsabilisation des pays européens pour la défense, qui s’est exprimée par les abandons budgétaires des années 2000, ainsi que des divisions entre eux en fonction de leurs relations bilatérales avec les Etats-Unis. L’intervention de 2011 en Libye a démontré les difficultés d’un leadership européen dans l’Otan.
Ces observations ne constituent pas un dénigrement de l’Alliance Atlantique qui demeure stratégiquement importante pour les deux côtés de l'Atlantique, à condition qu’elle n’entretienne pas les Européens dans une illusion de souveraineté nationale, qui masque en fait une dépendance totale à l’égard des Etats-Unis. Dans son fonctionnement actuel l’Otan maintient les Européens dans une marginalisation stratégique qui à terme, ne servira ni leur intérêt ni celui des Etats-Unis. Beaucoup de responsables américains en ont pris conscience et la future administration (quelle qu’elle soit) remettra sans doute les Européens en face de leurs responsabilités de sécurité. Mieux vaut s’y préparer.
En parallèle, les Européens doivent sortir de l’ambiguïté en ce qui concerne l’Europe de la Défense.
Il est logique que les pays européens qui développent et partagent des intérêts communs dans l’UE, les y défendent dans cette organisation. Dès 1993, l’objectif de créer une politique de défense et de sécurité commune devant conduire à une défense commune était inscrit dans le traité de Maastricht, mais les dispositions prises ensuite pour la mettre en oeuvre ont été marquées par les restrictions d’ambition, l’autocensure et l’ambiguïté. En fait, rien n’est à la mesure de l’UE dans ce qui est fait par elle dans le domaine de la défense et de la sécurité : limitation des missions à la gestion de crises hors d’Europe, plafonnement des effectifs, absence d’une chaine de commandement opérationnelle permanente, budget de l’AED insigne, rigidité du concept de « battlegroup 1500», recherche de défense insuffisamment financée, fragmentation des responsabilités entre le niveau communautaire et la PSDC etc…
Le renforcement des capacités autonomes européennes dans l’UE suppose que les pays européens acceptent de réassumer ensemble la responsabilité de leur défense. L’approche globale des questions de sécurité, image de marque de l’UE, ne saurait se satisfaire de demi-mesures.
Pour rendre crédible l’Europe de la défense, il faut notamment :
- Adopter une approche globale de la défense de l’Union Européenne. Les différences de taille, d’histoire et de géographie des Etats membres de l’UE induisent de très importantes différences d’intérêts et d’ambitions en politique extérieure et de sécurité, que renforcent des cultures diverses quant à l’emploi de la force militaire. Ces différences ne pourront être surmontées que par une approche globale de la sécurité de l’UE dans ses frontières actuelles, permettant à la fois de prendre en compte les besoins de tous les Etats-membres, d’élever leur niveau d’ambition à celui de l’enjeu de l’Union qu’ils ont construite et de créer les bases de leur solidarité. Cela devrait aussi les aider à sortir du dilemme de la souveraineté en rétablissant le lien entre souveraineté et puissance (qu’est-ce que la souveraineté sans la puissance ?), en clarifiant quelle part de souveraineté devrait être partagée au niveau européen et comment. Décider d’organiser sa défense au niveau européen est une expression de souveraineté, qui implique qu’une réflexion soit ouverte sur l’exercice d’un « leadership européen » dans la défense, incluant ce qui devrait ou pourrait être conduit en format communautaire et ce qui devrait être fait en intergouvernemental partiel ou total ? Le but à atteindre étant qu’au final, la défense de chaque Etat soit mieux assurée (coût/efficacité) au niveau européen qu’en national.
- Analyser le besoin de défense de l’UE, considérée comme une entité physique et politique, dans un livre blanc européen. L’hétérogénéité des besoins de défense examinés au niveau national est un obstacle majeur à la coopération au niveau européen (intérêts différents, priorités et ambitions différentes). Il faut transformer la juxtaposition en union. Un livre blanc européen devrait lister les menaces et en préciser l’importance au niveau du continent, prévoir des modes d’action pour y faire face, et en déduire des principes de complémentarité et de solidarité entre les Etats pour agir en recherchant un partage équitable du fardeau sécuritaire. Un tel document pourrait servir de référence et faciliter une planification capacitaire au niveau européen et au niveau de chaque Etat en étudiant les voies d’une subsidiarité efficace entre le niveau européen et le niveau national. Il n’aurait naturellement pas vocation à se substituer aux livres blancs nationaux, mais en améliorerait la cohérence et favoriserait leur complémentarité. Il permettrait aussi de nourrir le débat sur le besoin de capacités européennes autonomes en associant cette réflexion à celle sur le rôle des Européens dans l’Otan.
- Impliquer les peuples en informant les citoyens et en les associant aux décisions. Comme le disait déjà le général de Gaulle, « l’Europe ne se fera pas sans les peuples ». Les citoyens européens doivent être associés aux décisions, et pour cela régulièrement informés sur les enjeux et les contraintes, les bénéfices et les limites d’une défense commune. Ils doivent être informés en particulier des restrictions d’ambitions et de capacités de la PSDC et de leurs justifications. Les discours européens sur la défense doivent éviter de créer des illusions démenties par la réalité (des paroles en dissonance avec les actes) comme l’ont illustré les déceptions créées par la faiblesse de la réponse européenne aux dernières crises (Mali, RCA, Moyen-Orient…). Il s’agit de faire naitre progressivement une conscience européenne en montrant que l’efficacité de l’UE ne peut résulter que de solidarités accrues, de coopérations renforcées et de plus d’intégration entre ses Etats-membres.
Au bilan, la multiplicité et la nouvelle nature des menaces, les nouveaux rapports de puissance et la détérioration de leur environnement sécuritaire rendent plus que jamais nécessaire et urgent pour les pays européens de regrouper leurs forces. Leur situation de dépendance des Etats Unis dans l’Otan les expose au risque de divergences d’intérêts avec ce pays, dont les priorités stratégiques évoluent. Sans remettre en cause l’Alliance Atlantique, ils doivent donc se doter de capacités autonomes. L’UE semble le cadre le plus approprié pour le faire à condition d’y adopter une conception globale de la défense en jouant sur la complémentarité entre les niveaux européen et national, permettant de distinguer notamment ce qui doit être conduit au niveau européen et ce qui doit l’être au niveau national et d’en déduire les capacités pour le faire. Mais surtout, il est vital que les citoyens et les peuples soient associés à ce projet et en comprennent le fonctionnement et les limites. La défense a besoin d’un niveau européen naturellement lié à l’évolution politique de l’Union Européenne, laquelle repose sur l’adhésion des peuples.
Une réflexion sur la problématique de la répartition des postes de responsabilité entre officiers et cadres civils dans la Défense et au sein du Ministère de la défense.
L’approche des dernières années visant à « recentrer les militaires sur leur coeur de métier », la seule conduite des opérations, laissant l’organisation de l’environnement des forces aux seuls cadres civils est à la source d’un malaise manifeste et de lourdes conséquences.
En effet, de façon paradoxale, les militaires se trouvent ainsi progressivement dessaisis des postes décisionnels au sein de leur propre institution (finances, relations extérieures, ressources humaines, communication…) où ils pourraient apporter toute leur expérience opérationnelle à l’appui de la finalité du Ministère : permettre à la France de mener à bien les opérations nécessaires.
Dans sa nature, la défense, ultime rempart du pays, doit pouvoir faire face à l’inattendu dans la gestion de crises, bien souvent imprévisibles dans leurs formes, leurs lieux et leurs occurrences. Aussi, pour garantir la flexibilité et la résilience indispensables à la capacité d’adaptation et d’endurance essentielles de notre organisation, il convient de bien mûrir cette approche de la répartition entre militaires et civils au sein de notre appareil de défense.
Aussi, les responsables militaires doivent irriguer, « es qualité », l’ensemble de l’appareil de défense (dont les fonctions de défense des autres ministères), dans une pragmatique complémentarité entre cadres militaires et civils.
Ainsi, lors de sa 92ème session, le conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) de novembre 2014, a fait part au Ministre de ses interrogations et préoccupations sur la civilianisation / démilitarisation du ministère de la défense.
Dans un appareil dont la finalité est de préparer et si nécessaire d’engager le combat en employant les armes, la « civilianisation » (c’est à dire l’augmentation du nombre et du niveau de responsabilité du personnel civil dans la défense), ne peut être un but en soi. Sa justification doit se fonder sur le rôle des armées, garant de la défense de la nation : or, l’aptitude du ministère de la défense à remplir son office repose sur la connaissance profonde, voire intime, par ses cadres, des exigences de l’engagement opérationnel, dont l’efficacité est le ressort essentiel.
Il s’agit, donc bien, d’établir et de faire vivre une judicieuse complémentarité des aptitudes des personnels militaires et civils pour assurer le meilleur fonctionnement du ministère et de ses impacts sur la condition militaire.
A cet effet, plusieurs points méritent d’être mis en exergue…
Le coût supposé supérieur du personnel militaire par rapport à celui de leurs homologues civils ?
Contrairement à ce qui avait prévalu en lançant cette réforme, il convient tout d’abord de noter que, si l’on prend en considération la variété et l’étendue des missions qui sont confiées au personnel militaire eu égard aux sujétions associées à la spécificité de son état, il coûte globalement moins cher que le personnel civil !
Ainsi, la prise en compte de ce seul critère inciterait à une militarisation accrue des effectifs du ministère de la défense…
A cela on doit ajouter qu’une approche uniquement financière masque le véritable enjeu en matière de ressources humaines : la bonne adéquation de la gestion à l’organisation et aux compétences. Le triple frein à la mobilité (statutaire, géographique et fonctionnel) du personnel civil, qui requiert le consentement des intéressés, et la très lente adéquation au besoin par le recrutement, se traduisent par un accroissement des distorsions entre l’organisation et la gestion, tant aux niveaux géographique que fonctionnel, quantitatif que qualitatif. Ainsi, un nombre croissant d’agents civils ne travaillent plus au bon endroit ou sur le bon poste, pendant que d’autres postes indispensables de personnels civils demeurent vacants.
Ainsi, un judicieux équilibre doit être trouvé !
Or on constate une situation contestable quant aux aspects « quantitatifs » et « fonctionnels ».
Sur le plan quantitatif, entre 2007 et 2015, globalement, un déséquilibre s’est creusé entre les officiers, dont le nombre a diminué de 10 %, quand celui du personnel civil de catégorie A augmentait de 40 % sur la même période... Ce lourd ratio réduit objectivement la ressource militaire indispensable pour assurer les engagements opérationnels actuels et préparer l’avenir. En effet, seuls des personnels militaires peuvent assurer les fonctions de commandement de haut niveau : la réduction de leur nombre de façon drastique dans ces fonctions ministérielles réduit leur vivier à un point qui est devenu critique.
A cela on doit ajouter, au titre de la cohérence des cursus des cadres militaires de haut potentiel l’intérêt de confier des postes en état-major de haut niveau à ces officiers. En effet, amalgamés à leurs homologues civils, ils apportent une précieuse expérience des opérations tout en y acquérant la mesure de ce niveau dans la finalité opérationnelle de l’institution. Cet équilibre de la répartition des postes entre officiers et leurs homologues civils conditionne donc l’accès, à terme, de ces officiers aux plus hauts niveaux de responsabilité au sein du ministère, tout en permettant de répondre aux exigences des opérations.
On peut, à ce propos, mentionner le Protocole Cazeneuve du 11 avril 2016, qui instaure au ministère de l’Intérieur, pour les policiers, un nouveau corps de « commissaires généraux » et, pour les gendarmes, l’augmentation du nombre des généraux de 120% sur 4 ans.
Sur un plan fonctionnel, une politique RH ne peut être fondée sur une simple clé de répartition entre militaires et civils qui ferait l’impasse de l’importance du nombre minimum de militaires projetables en opérations. Alors que les menaces se durcissent, la réversibilité soutenants-combattants reprend tout son sens. Aussi, fixer a priori, à un quart, le ratio des personnels civils (qui ne peuvent être employés en opérations), dans un ministère aux effectifs désormais très réduits, est-ce une proportion adéquate ?
L’application d’un ratio « indicatif » entre personnels militaires et civils ne peut être l’unique clé de lecture de l’équilibre RH global du ministère, et sur ce très sensible dossier, l’approche doit être prudente et pragmatique. Aussi, la décrue de la réduction des effectifs militaires décidée en 2015, et les départs massifs à la retraite du personnel civil dans les dix prochaines années vont permettre une révision de la politique RH du ministère dont l’équilibre doit permettre cette indispensable complémentarité entre militaires et civils.
Les évènements récents accroissent encore la nécessité de replacer le soldat au coeur de la politique RH ministérielle : si l’actuelle « génération du feu » ne perçoit pas de suffisantes perspectives d’accéder à des responsabilités (où ils sauront apporter toute leur expérience), le risque est conséquent de faire baisser l’attractivité du recrutement des cadres à haut potentiel indispensables.
Un nouveau modèle RH doit d’abord viser à répondre aux besoins des armées en tirant le maximum des qualités respectives des différentes catégories de personnels, tout en offrant ainsi, à tous, civils comme militaires les meilleures perspectives, sur le long terme, au service de notre défense.
En conclusion
La finalité du « ministère des armées » est l’engagement opérationnel ; tout doit y être subordonné. La place des militaires, à tous niveaux hiérarchiques, dans ce ministère est donc celle qui doit leur permettre d’être à l’appui des opérations sur la totalité de leur spectre.
Cette culture opérationnelle doit irriguer l’ensemble du ministère et certainement guider les choix de son organisation.
La solidité de leurs systèmes d’hommes reste au coeur de la crédibilité et de la performance opérationnelle des armées modernes qui revendiquent la maîtrise de toutes les fonctions stratégiques. Les engagements récents et la nature même des menaces ont en outre démontré l’importance retrouvée des effets de masse sur le terrain. Dans ce contexte, le modèle de ressources humaines des armées doit continuer à se construire sur la base de principes forts et pérennes (jeunesse, taux d’encadrement, pyramidage, cohérence entre organisation et besoins en compétences, formation, entraînement, soutiens…) ; il doit donc impérativement retrouver des marges de manoeuvres en termes d’effectifs pour garantir à la fois la réalisation du contrat opérationnel, la disponibilité immédiate des unités et la cohérence d’un réservoir de combattants aguerris, bien formés et bien entraînés
Dans les actions aéroterrestres, les effets tactiques durables sont le plus souvent obtenus par des soldats, engagés au contact, bien armés et équipés de systèmes d’armes modernes et de haute technologie. Mais sur le terrain, face à des adversaires déterminés et imprévisibles, les opérations Sentinelle et Barkhane montrent aussi que les « effets de masse» n’ont rien perdu de leurs vertus grâce à l’adaptabilité et la polyvalence des unités engagées. Ainsi, au-delà des problématiques budgétaires et d’équipements, la question du potentiel humain conditionne incontestablement la performance et la crédibilité d’un modèle d’armée.
La diversité, la complexité et la simultanéité des engagements actuels, illustrent en effet l’acuité revêtue par la question des effectifs, qui ne peut plus être traitée sous le seul prisme de la soutenabilité financière dès lors qu’il s’agit de répondre en quantité et en qualité aux ambitions du contrat opérationnel assigné aux armées.
Après des décennies de politiques déflationnistes 18, qui ont amené les armées à un niveau d’effectifs manifestement insuffisant au regard des menaces et des crises à affronter, la loi n°2015-917 du 28 juillet 2015 a enfin ramené la programmation des effectifs à un volume quantitatif plus cohérent avec le contrat opérationnel 19, même si de nombreuses lacunes demeurent, notamment dans l’environnement des forces, en raison de la poursuite des projets de rationalisation des soutiens.
L’armée française reste fondamentalement un système d’hommes. C’est encore l’une des seules armées occidentales à présenter un modèle complet et cohérent combinant toute la panoplie des capacités opérationnelles et des systèmes d’armes associés. Son capital humain est donc un enjeu stratégique qui résulte d’équilibres fragiles exigeant de la lisibilité et de la stabilité sur le long terme. Il faut en effet construire, dans la durée, un réservoir de capacités et de compétences tenant compte des fonctions opérationnelles à mettre en oeuvre, des scénarios d’évolution des organisations, de la démographie, des évolutions sociologiques, des métiers en tension ou en mutation20, de la rapidité des évolutions technologiques, des phénomènes de résilience ou d’obsolescence, des effets de seuils, des besoins en accompagnement et en formation, etc.
La richesse du modèle RH des armées est aujourd’hui le résultat d’un précieux héritage, forgé par l’expérience du combat. Il constitue un facteur déterminant de l’efficacité opérationnelle et de la performance collective par sa capacité à constituer et entretenir le vivier de soldats, de chefs et de cadres dirigeants dont les armées et la France ont un impérieux besoin pour affronter et surmonter les crises de l’Histoire et garantir les capacités régaliennes de la Nation.
Après des décennies de débats sur la civilianisation des fonctions de soutien et l’augmentation de la part de contractuels pour des motivations autant idéologiques qu’économiques, les engagements multiples dans les crises actuelles démontrent qu’il est vital de continuer à forger et entretenir un corps d’officiers de carrière couvrant l’ensemble des compétences nécessaires, sur toute la pyramide fonctionnelle et dans toutes les fonctions, y compris d’environnement. Un corps d’officiers parfaitement préparé à la diversité des missions, capable de discernement dans la complexité et d’esprit de décision dans l’incertitude, sachant s’adapter en permanence et très rapidement aux situations et aux adversaires, maîtrisant les doctrines nationales et alliées du combat terrestre et aéroterrestre en milieu urbain, dominant les nouvelles technologies, tout en ayant une conscience claire des enjeux politiques et stratégiques qui dépassent la simple mise en oeuvre de la force.
Sur le terrain, le large éventail des missions et des situations nécessite aussi dans toutes les fonctions de combat comme de soutien un corps de sous-officiers solide, regroupant experts de haut niveau et meneurs d’hommes compétents, aguerris et expérimentés, aptes à préparer et à conduire au combat un réservoir de combattants justement dimensionné, bien formé, bien entraîné, motivé, et fidélisé par des conditions de vie et d’exercice du métier à la hauteur des exigences et des risques affrontés.
Le choix du modèle d’armée, en effectifs et en organisation, implique des engagements politiques forts face aux menaces identifiées pour permettre à la fonction « organisation » et à la fonction « RH » de raisonner « cohérence et performance » en anticipant tous les facteurs de changement susceptibles d’apporter au système d’hommes une supériorité opérationnelle durable, dans une logique de choix au meilleur coût et non plus au moindre coût.
Dans une armée moderne et de haute technologie, le réservoir d’hommes reste le pilier de sa crédibilité opérationnelle, politique et stratégique. Ainsi, au regard des contraintes et exigences du statut militaire, de la complexité des missions à maîtriser, de la très grande diversité des métiers et des missions, il convient d’apporter une attention toute particulière à la préservation des grands équilibres qui garantissent l’efficacité opérationnelle mais surtout la disponibilité immédiate, la force collective, le moral et la motivation des combattants :
- l’impératif de jeunesse tout d’abord, qui fonde l’aptitude des hommes aptes physiquement et psychologiquement au métier des armes, soigneusement sélectionnés, à se forger une âme et des capacités de soldat et de combattant,
- le taux d’encadrement, officiers et sous-officiers, garant de la cohésion et de la performance individuelle et collective jusqu’aux plus petits échelons d’emploi, et qui doit rester digne d’une armée professionnelle, crédible pour nos alliés,
- le pyramidage en corps et grades et les équilibres statutaires (carrière, contractuels, personnel civils, réservistes) qui doivent d’abord assurer la haute performance du modèle, dans toutes ses composantes (préparation de l’avenir, planification, conduite des opérations, formation, soutien, préparation opérationnelle, entraînement, administration, logistique etc…), mais aussi garantir l’attractivité des métiers et des parcours professionnels grâce à une promotion interne dynamique, indispensable pour fidéliser la ressource humaine et donc assurer la transmission de l’expérience opérationnelle engrangée depuis la professionnalisation,
- le volume des effectifs, enfin, qui doit permettre d’éviter l’atomisation des unités et l’usure du personnel. Seul un volume tenant compte des cycles de disponibilité ou d’indisponibilité du personnel (instruction initiale, élèves en école, congés pour longue maladie, blessés, reconversion…) permet en effet de faire face à toutes les hypothèses avec des forces immédiatement disponibles, tout en préservant les savoir-faire individuels et collectifs requis, notamment dans les périodes d’engagements soutenus (cycle de préparation opérationnelle/mise en condition pour la projection/ projection/ remise en condition/ instruction et entraînement).
Au regard des processus et politiques RH développés au cours des deux dernières LPM, certains choix doivent donc être confirmés/infirmés/ajustés dans une logique de cohérence et de performance.
Il faut ainsi rétablir la nécessaire convergence entre le modèle cible en organisation (besoins par métiers et fonctions, pyramide fonctionnelle, taux d’encadrement) et le système d’hommes qui, dans toutes ses composantes, doit répondre aux ambitions capacitaires voulues. Dans ce cadre, il est nécessaire de passer au crible la pyramide fonctionnelle par domaines de spécialité, par corps et par grades, aujourd’hui dégradée et affaiblie au plan qualitatif par les politiques de départs incités et les déflations massives de cadres dans les grades supérieurs (adjudants-chefs, lieutenants colonels, colonels) qui, par effets de levier, ont asséché les viviers de la promotion interne.
La performance collective exige, pour sa part, des processus et des politiques RH qui ne peuvent reposer sur des critères de choix exclusivement financiers ou d’administration des ressources. Elle se fonde nécessairement sur des principes d’équilibre et de dynamique déduits des logiques de milieux, des missions, des capacités et des ambitions affichées.
Dans cette logique, les organismes de formation, d’instruction, et d’entraînement jouent bien entendu un rôle essentiel pour atteindre le niveau de performance visé, en accompagnant ou en anticipant tous les changements susceptibles d’affecter les besoins capacitaires (capacité à entraîner, former, contrôler, élaborer des doctrines, anticiper les évolutions des métiers et des qualifications, concevoir de nouveaux équipements ou procédés tactiques, etc…). Ils mobilisent des personnels expérimentés et nombreux qui concourent à la performance d’ensemble mais ne peuvent assurer leurs missions dans des conditions acceptables en étant, constamment, soumis à la pression des économies d’effectifs. Dans ce domaine, les dysfonctionnements induits par la réforme des soutiens, les externalisations et la création des bases de défense, dans une logique de rationalisation poussée, devront être corrigés pour remédier à la dégradation du moral relevée par le HCECM mais surtout pour soulager les forces combattantes, trop souvent contraintes, au détriment de leur propre préparation opérationnelle, de suppléer sur de nombreuses missions des organismes de soutien manifestement sous-dimensionnés.
En conclusion, l’inertie spécifique à la constitution d’un réservoir de compétences individuelles et collectives aussi complexe qu’une force combattante exige une stratégie et des politiques dont les effets s’inscrivent avec constance et dans la durée. Il faut, pour garantir à la Nation le haut niveau de sécurité qu’elle revendique, reconnaître que les effets de masse produits par les effectifs militaires mobilisables sur le terrain sont aujourd’hui irremplaçables au regard de la réalité des menaces et des agressions. Certains fondamentaux sont invariants en matière de Ressources Humaines. Il est utile, parfois, de se souvenir que pour un avantage compétitif durable, « l’excellence a un coût » 21 .
18 « Dividendes de la paix », professionnalisation, RGPP : -80 000 programmés sur la seule période 2008-20018 et – 125 000 sur la décennie précédente
19 En particulier le contrat 10 000 hommes, dans la durée, au titre de la protection du Territoire National, mais une Force Opérationnelle Terrestre à 77 000 est à peine suffisante pour l’ensemble du spectre des missions à couvrir.
20 Aérocombat, programme SCORPION, imagerie, drones, MCO, MCO Aéronautique, technologies des Télécom, du numérique et de la sécurité informatique, logistique…
21 Cf. « Le coût de l’excellence » : Nicole Aubert (docteur ès sciences des organisations, chercheur, professeur à l’ESCP) et Vincent de Gaulejac (chercheur, sociologue, professeur à Paris VII) ; éditions du Seuil.
L’effort entrepris pour améliorer la condition du personnel doit être poursuivi : c’est une attente très vive des militaires de tous grades et de leurs familles.
Il doit s’articuler selon trois axes :
« bien vivre son métier », « bien vivre de son métier » et « bien vivre avec son métier ».
Une politique forte de condition du personnel constitue à leurs yeux une compensation légitime.
Elle traduit la nécessaire reconnaissance de la nation et de ses dirigeants au regard des spécificités et exigences du métier de soldat.
Les événements tragiques de 2015 et 2016 en France ont démontré avec éclat la réactivité des
armées pour s’engager sur le territoire national et assurer le niveau de sécurité exigé par le pays. La réalité quotidienne vécue par les soldats sur l’ensemble des théâtres d’engagement démontre, s’il en était encore besoin, toutes les exigences de la spécificité militaire, et notamment la discipline, la disponibilité, le don de soi et l’acceptation des sacrifices inhérents à un métier sans équivalent dans l’ensemble de la fonction publique.
Cette spécificité militaire est au coeur de l’efficacité opérationnelle des armées auxquelles elle
apporte toute sa crédibilité politique et stratégique. Face à une société civile qui supporte mal les
contraintes sur la vie personnelle au profit des droits individuels, les exigences de discipline et de
disponibilité font figure d’exception. Il appartient donc à la Nation et à ses élus de manifester la
reconnaissance due à leurs soldats en garantissant à cette spécificité militaire des compensations spécifiques, justes et méritées. Elle nécessite également d’écarter toute tentative de banalisation de l’état militaire en dépit des évolutions récentes (Associations Professionnelles Nationales Militaires, temps de travail, missions de garde statique, sédentarité du soutien, guerre à distance - drones, cyber, etc.).
La spécificité militaire est une réalité clairement affirmée dans le statut général des militaires de
2005 (cf. article premier22). Elle doit se traduire concrètement par la mise en oeuvre du plan
d’amélioration de la condition du personnel (PACP) présenté à l’occasion des rencontres 2020 par
le ministre de la défense (équité interministérielle avec la transposition du protocole Parcours
Professionnel Carrières, Rémunérations au personnel militaire, prise en compte de la suractivité,
amélioration des conditions de travail et aide à la famille). Pour autant, l’effort accordé à la
condition militaire, notamment sous l’impulsion du Haut Comité d’Evaluation de la Condition
Militaire, doit se poursuivre.
La reconnaissance attendue par les militaires et régulièrement rappelée au ministre lors des sessions du CSFM doit aller au-delà d’un équilibre simplement technique entre sujétions et compensations, longtemps attendu dans sa concrétisation (cf. 1er rapport du HCECM sur la condition militaire en 2007). Elle s’articule désormais selon 3 thématiques illustrant parfaitement les attentes du personnel : « bien vivre son métier », « bien vivre de son métier » et « bien vivre avec son métier ».
« Bien vivre son métier »
L’exercice du métier militaire doit continuer à se traduire par la réhabilitation de la vie au quartier.
Dans le contexte actuel de très forte activité, il convient de faciliter les possibilités de conduire en
garnison une part de la préparation opérationnelle mais aussi de poursuivre l’amélioration des
conditions de vie et de travail individuelles et collectives par des investissements renouvelés et
correctement financés. Cette amélioration des conditions de vie et de travail s’étend naturellement aux infrastructures Sentinelle parfois indignes pour nos soldats.
L’habillement, les équipements individuels et l’ergonomie du combattant (par exemple futur gilet
pare-balles SMB) figurent également parmi les préoccupations récurrentes des militaires déployés sur les différents théâtres.
Enfin, dans la perspective d’une pérennisation des missions sur le territoire national avec un niveau élevé de déploiement et d’engagement, une définition plus claire des missions et tâches assignées par rapport à celles des forces de sécurité intérieures (et une protection statutaire et juridique repensée au besoin), est également attendue par les unités participantes.
Sur un autre plan, les actes de reconnaissance immatérielle (visites d’autorités, présence plus
marquée dans les médias par exemple) sont largement plébiscités et espérés comme autant de signes de reconnaissance de la Nation et de ses dirigeants ; marques de considération susceptibles de limiter les risques déjà identifiés de démotivation et de dégradation du moral. Dans ce domaine, la place protocolaire accordée à la médaille nationale de reconnaissance des victimes du terrorisme, avant les croix de guerre, du combattant ou de la valeur militaire, a amplifié le sentiment de dévalorisation des titres de guerre pour faits de bravoure au combat.
« Bien vivre de son métier »
Alors que les grandes composantes de la rémunération des militaires n’ont pas significativement
évolué depuis les années 80, la rémunération des militaires sera l’un des principaux enjeux de la
prochaine LPM. Cette perception se voit confortée par le constat de l’obsolescence des indemnités actuelles, héritées du temps de la conscription, qui ne répondent plus aux exigences et aux attentes d’une armée professionnelle engagée sur de multiples fronts, extérieurs comme intérieurs.
Certes, ce sujet est déjà pris en considération par le PACP, en particulier dans ses volets « équité
ministérielle et suractivité ». Néanmoins, et au-delà de ces chantiers, le protocole gendarmerie23
impose désormais de conduire une réflexion rapide et approfondie sur la rénovation de la politique de rémunération des militaires, dans ses dimensions indiciaires et indemnitaires, visant dans un cadre interministériel à une meilleure adéquation entre le grade, les compétences et les
responsabilités tenues.
L’armée de terre, particulièrement concernée par le volume d’effectifs déployés sur et hors le
territoire national, défend notamment le projet intitulé « nouvelle politique de rémunération » qui
vise à garantir la performance du système d’hommes grâce à la valorisation personnalisée des
aptitudes et des compétences au travers de la reconnaissance d’une double spécificité du métier des armes :
d’une part par un ancrage à la fonction publique qui se traduit par une équivalence indiciaire
avec la fonction publique, afin de maintenir la place du militaire au sein de l’État :
o officiers à compter du grade de lieutenant-colonel équivalents à la catégorie A+ ;
o officiers du grade de sous-lieutenant à commandant équivalents à la catégorie A ;
o sous-officiers équivalents à la catégorie B ;
o militaires du rang équivalents à la catégorie C.
d’autre part, avec une meilleure prise en compte des sujétions propres à l’état militaire permise par la modernisation du système indemnitaire :
o une adaptation aux contraintes de la mobilité individuelle et familiale d’aujourd’hui ;
o une meilleure compensation des situations liées à l’absence et la sur-absence ;
o une compensation à la précarité des carrières ;
o une meilleure prise en compte de l’exposition aux risques professionnels.
« Bien vivre avec son métier »
La longue crise provoquée par l’échec et les dysfonctionnements du calculateur de solde LOUVOIS et son impact très négatif sur le moral a montré que les évolutions sociétales influencent considérablement la psychologie du personnel qui embrasse le métier militaire. Dans un contexte d’opérations soutenu, les risques encourus et les absences répétées pèsent à la fois sur le moral des soldats mais aussi sur leurs familles. Toutes les insatisfactions revêtent alors une sensibilité exacerbée, avec un impact fort sur le moral, l’absentéisme médical et, au final, la fidélisation.
Les attentes sont aujourd’hui extrêmement fortes envers le commandement militaire, en charge de la concertation et du moral des troupes, mais surtout des décideurs politiques et notamment du premier d’entre eux, le Président de la République, chef des armées.
L’environnement du métier militaire doit ainsi être toujours mieux pris en considération avec une attention soutenue à l’équilibre vie professionnelle - vie privée. Ainsi, l’accompagnement des familles doit désormais se concrétiser par des mesures générales d’action sociale justifiées par les contraintes spécifiques et le stress qui pèsent sur elles.
Certaines mesures, en projet ou déjà décidées, doivent donc être financées à juste niveau pour répondre aux enjeux identifiés :
- Revalorisation de la prestation de soutien en cas d’absence prolongée du domicile (PSAD), au bénéfice des familles de militaires absents.
- Rénovation et création de crèches et de foyers IGESA pour répondre à un besoin croissant généré par l’augmentation des couples de militaires
- Renforcement du soutien aux blessés, avec notamment une amélioration de la prise en compte des blessés psychiques puis de leur suivi au sein de leurs formations ou organismes de rattachement.
La poursuite de l’effort accordé à la condition du personnel doit être reconnue comme un impératif et non une contrainte, malgré les coûts induits. L’attente de reconnaissance qui en découle est d’autant plus légitime qu’elle résulte concrètement d’une spécificité militaire largement mobilisée et démontrée au quotidien. Spécificité militaire qu’il convient de réaffirmer avec conviction et fierté en toutes circonstances.
22 « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité,
loyalisme et neutralité. Les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération
de la Nation ».
23 Protocole pour la valorisation des carrières, des compétences et des métiers dans la gendarmerie nationale du 11 avril 2016.
Pour conserver un modèle réellement complet, objectif revendiqué par tous les hauts responsables de la défense, il convient de consacrer un effort important visant à « combler les lacunes » : rétablir les capacités abandonnées, accélérer les cadences de livraisons, augmenter les quantités, améliorer la disponibilité…
Le discours officiel de nos autorités, qu’elles soient politiques ou militaires, le proclame haut et fort : notre modèle d’armée est resté complet. Le constat est à la fois vrai et biaisé.
Vrai car aucun domaine capacitaire global n’a été abandonné : la France demeure une des rares puissances au monde apte à mettre en oeuvre des forces terrestres, des forces spéciales, une aviation de combat, une marine de haute mer incluant un groupe aéronaval, une riche panoplie de capteurs de renseignement de niveaux tactique et stratégique, des postes de commandement interarmées et de composantes, des capacités de projection…
Biaisé car dans les faits, le modèle présente des RTC (réductions temporaires de capacités) nombreuses et très diverses. Or un modèle vraiment complet devrait non seulement couvrir tous les domaines capacitaires, mais au sein de chaque domaine préserver une panoplie complète, à bon niveau technique, en nombre suffisant et disponible.
Il y a d’abord des capacités manquantes, celles qu’on a abandonnées au cours des arbitrages des années précédentes, au fil des constructions des lois de programmation militaires successives. Il y a également celles qu’on a tellement retardées que, entre la fin de vie de la génération n et l’arrivée de la génération n+1, il peut y avoir plusieurs années de vide…
Il faut donc sans doute se disposer à relancer et / ou accélérer quelques programmes qui ont pu être sacrifiés faute de crédits ; par exemple : défense sol-air courte portée (GBAD : ground based air defence), hélicoptère de transport lourd, hélicoptère interarmées léger, brouillage offensif, OMEGA (localisation et datation bi-mode, à la fois sur les signaux GPS et Galiléo), alerte avancée (contribution française à la défense anti-missiles de l’OTAN)…
Il y a aussi des capacités aux performances présumées insuffisantes… Certains arbitrages financiers ont pu conduire les acteurs des programmes à vider en partie de leur substance les projets, en réduisant les exigences et les spécifications, et donc en altérant la réponse au besoin militaire. Dans d’autres cas, on a pu accepter de se contenter d’un système d’attente (un « gap-filler ») aux moindres performances comme pour le radar de surveillance terrestre.
Ces réductions de besoins ne constituent pas une nouveauté ; elles sont heureusement restées peu nombreuses ces dernières années, les arbitrages étant en général rendus au détriment de la quantité pour tenter de préserver la qualité. Il convient malgré tout d’identifier les quelques capacités dont le niveau technique ne permet pas de rivaliser efficacement avec les moyens d’un adversaire mieux équipé.
Il y a enfin des capacités trop peu nombreuses, celles dont les cibles en ligne et en parc ont été drastiquement réduites au gré des décisions budgétaires. Ces parcs en trop faible quantité sont connus : véhicules de transport logistique, petits véhicules protégés, appuis sol-sol et sol-air, stocks de munitions, moyens radio tactiques…
Quelques exemples emblématiques peuvent être relevés :
- La France ne dispose que d’un seul porte-avion ; elle n’a donc qu’une capacité aéronavale « à temps partiel », au gré des périodes d’entretien programmées du PA Charles de Gaulle ;
- Nous mettons en ligne 200 chars de bataille, quand nous en comptions encore 1500 à la fin des années 80 ;
- Le contrat opérationnel de l’armée de l’air n’autorise plus que la projection de 45 avions de chasse, ce qui permet un rythme de « sorties » de l’ordre de 60 missions quotidiennes…
Il y a aujourd’hui davantage de soldats à engager que d’équipements disponibles à leur donner. Ce qui impose une rotation des parcs délicate à mettre en oeuvre. Et ce qui repose sur une excellente disponibilité technique des matériels, malheureusement loin d’être acquise.
Cette question de la disponibilité des capacités est en fait celle du MCO (maintien en condition opérationnelle). Faute de crédits suffisants, le modèle finit par cesser d’être réellement complet quand les équipements cessent d’être employables en opérations. Le budget à consacrer au MCO doit pouvoir bénéficier d’une augmentation de l’ordre d’un milliard d’euros pour espérer retrouver un niveau de DTO (disponibilité technique opérationnelle) acceptable.
La question de la complétude du modèle doit enfin être bien analysée en termes d’équilibre entre fonctions stratégiques. Car le modèle doit permettre aux décideurs à la fois de savoir, d’analyser, de choisir entre différentes options, de décider et d’agir en toutes circonstances.
Il convient de rectifier une tendance assez récente qui supposerait, selon une logique plus politique que militaire, que le pouvoir sur la scène internationale réside davantage dans le savoir que dans l’agir… Cette dérive a pu nous entraîner vers des choix privilégiant exagérément l’intelligence (capteurs, SIC) au détriment du muscle (effecteurs, armement). Un choix qu’il a été d’autant plus aisé de faire, que cette logique était aussi celle de la moindre dépense…
Revenir à un modèle vraiment complet est l’objectif des années à venir, lié à celui de l’atteinte des 2% du PIB. Il doit s’articuler dans le temps selon deux échéances :
- A court terme, profiter des marchés existants et des programmes lancés pour augmenter les cibles d’équipements, accélérer leurs livraisons et améliorer leur maintien en condition ;
- Dans un second temps, à partir de 2020, lancer de nouveaux programmes pour résorber les capacités manquantes.
La détention d’un modèle d’armée complet doit rester un objectif clair et affiché de la politique de défense de la France : la couverture capacitaire complète est en effet seule garante d’une réelle autonomie stratégique. Et cet objectif doit se matérialiser mieux que cela n’est le cas actuellement dans la construction capacitaire et programmatique. La loi de programmation militaire à venir devra en particulier avoir pour ambition de résorber progressivement les réductions temporaires de capacités imposées au cours des exercices passés, pour aligner pleinement le discours sur la réalité
En dépit de déclarations entendues ici et là, la réserve militaire existe déjà et participe, dans la mesure de ses moyens, à la sécurité du territoire et à la protection de nos concitoyens. Pour autant, trois mesures urgentes seraient à prendre pour que le système actuel fonctionne pleinement : donner à la réserve les moyens budgétaires nécessaires à l'accomplissement de ses missions, instaurer, par voie législative, un certain nombre de contraintes à l'égard des employeurs, contraintes qui seraient compensées par un dédommagement équitable, décentraliser et simplifier la gestion et l'emploi des volontaires, ce qui permettrait une plus grande souplesse d'intervention sur l'ensemble du territoire national. D'autres mesures sont également envisageables, notamment l'élargissement de la réserve citoyenne et le renforcement de son rôle, ce qui permettrait de resserrer utilement les liens entre la nation et son armée, lien consubstantiels à la notion même de réserve
Les déclarations tonitruantes qui ont suivi les tragiques évènements de ces derniers mois ont remis à l’ordre du jour les concepts de réserve opérationnelle et de garde nationale. Pour autant, ces notions ne paraissent pas très claires dans l’esprit de certains commentateurs comme dans celui de nos dirigeants. Nombre d’entre eux, du reste, découvrent ce sujet qu’ils auraient eu tout loisir de traiter et de faire avancer lorsqu’ils étaient aux affaires !
Force est de constater que tout a déjà été dit et écrit concernant la réserve opérationnelle et son homologue, la garde nationale, depuis que la professionnalisation des armées a conduit à la disparition de la réserve de masse. Laquelle comptait, rappelons-le, plusieurs millions d’hommes au plus fort de la guerre froide. Lui a succédé, en 1999, une réserve dite "d’emploi", forte de seulement quelques dizaines de milliers d'hommes, mais supposée plus disponible et plus réactive. A l'expérience, il n'en fut rien. Il paraît donc inutile de décrire, une fois de plus, une architecture idéale pour cette réserve et de disserter sur les conditions de son emploi. En revanche, il semble indispensable de convaincre les futurs décideurs de la nécessité d'appliquer quelques principes simples sans lesquels toute nouvelle tentative de mettre sur pied une réserve efficace serait vouée à l'échec.
S'agissant de l'appellation d'abord : peu importe qu'il s'agisse d'une "garde nationale" ou d'une "réserve opérationnelle". La France n'aura jamais les moyens de s'offrir une garde nationale "à l'américaine" qui constitue, ne l'oublions pas, une véritable armée de l'intérieur disposant d'avions, d'hélicoptères, de chars, d'artillerie et d'une infanterie nombreuse, répartie sur l'ensemble du territoire. Pour des raisons culturelles, il est également hors de question de mettre sur pied une milice de citoyens en armes, pouvant, à toute heure du jour et de la nuit, faire face à une menace imprévue. Plus modestement, il faudra nous contenter du service de citoyens volontaires, prêts à consacrer de quelques jours à plusieurs semaines par an au service de la Nation (trop souvent en prélevant, aujourd'hui, ce temps sur leurs droits à congés). C'est le principe même de la réserve opérationnelle actuelle, laquelle pourrait fonctionner correctement si elle ne se heurtait à deux difficultés majeures : la disponibilité et le financement.
En matière de disponibilité, la loi du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense a subordonné au bon vouloir de l'employeur (au-delà de cinq jours et sur préavis d'un mois) la possibilité de faire appel aux réservistes. Il s'ensuit une politique compliquée de partenariat entre les employeurs et la Défense, politique qui a rapidement montré ses limites. Ainsi, à l'heure actuelle, alors que la France métropolitaine compte plus de 197 000 entreprises employant 10 salariés ou plus, seules 344 d'entre elles ont passé une convention avec le ministère. C'est dire la marginalité du système ! Le problème essentiel tient au dédommagement des entreprises qui acceptent de se séparer de leurs réservistes : non seulement, elles n'obtiennent aucune compensation, mais encore on les sollicite pour qu'elles versent un complément de salaire aux salariés dont la solde de réserve est inférieure à leur revenu habituel. Il est difficile, dans ces conditions, de faire appel à leur bonne volonté ! Il faut savoir, par ailleurs, qu'aucune mesure contraignante n'existe tant à l'égard des entreprises que des réservistes. En outre, certaines administrations et entreprises publiques donnent un fort mauvais exemple en mettant des entraves, voire en s'opposant, aux absences de leurs personnels réservistes. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus de manière simple et globale, c'est-à-dire par voie législative et donc autoritaire, nous ne pourrons disposer que d'une réserve cosmétique. Toute mesure en la matière aura bien évidemment un coût qu'il faudra assumer. Se posera alors la question essentielle du budget.
Malgré la lecture des chiffres officiels, la part réelle du budget consacrée à la réserve a toujours été difficile à identifier dans la mesure où les activités des réservistes sont totalement intégrées à celles des forces d’active. On peut toutefois se faire une idée de l'intérêt porté à cette réserve en observant l'évolution de son budget sur les dix dernières années. En 2003, il était prévu qu'il atteigne 315 millions d'euros en 2009. Dès 2004, la programmation n'était plus respectée et il était décidé de le stabiliser autour de 120 millions d'euros annuels (gendarmerie incluse). En 2011, on assiste à un nouveau décrochage : initialement prévu à 78 millions d'euros (hors gendarmerie), le budget passe à 74 millions en exécution. En 2012, il descend à 72 millions pour se maintenir globalement à ce niveau jusqu'en 2015. Confronté aux problèmes de sécurité que nous connaissons, le ministre de la Défense a annoncé, le 10 mars dernier, une augmentation de 77% sur quatre ans. Il devrait donc passer à 125 millions d'euros en 2018. Cet effort financier important est certes indispensable, mais, pour porter tous ses fruits, il devra s'accompagner d'une identification claire du budget Réserve dans le budget Défense, de sa sanctuarisation et du suivi rigoureux de son exécution.
En matière de réserve militaire, on ne saurait passer sous silence la réserve disponible ou réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO 2), constituée par les anciens militaires professionnels assujettis à un devoir de disponibilité cinq ans durant après la fin de leur service actif. Rappelables par décret pris en conseil des ministres, ils représentent aujourd'hui une force d'environ 120.000 hommes compétents et aguerris. Malheureusement, rien n'est prévu pour mettre sur pied un tel effectif. Une importante ressource humaine existe donc, mais, faute de suivi et de moyens, elle est inutilisable à brève échéance. C'est elle, pourtant, qui pourrait apporter un appui consistant aux forces d'active en cas de menace majeure. Il paraît donc urgent de procéder à une révision complète de la gestion, du maintien des compétences, des modalités de rappel et d'emploi de cette réserve tombée progressivement en déshérence.
Concernant l'emploi des réservistes, il faut savoir que 70% du budget solde de la réserve de l'armée de terre - premier employeur de réservistes, hors gendarmerie - sont détenus par le Commandement des forces terrestres (CFT) de Lille. On peut s'interroger sur la nécessité de concentrer entre les mains d'un seul commandement une part aussi importante de la ressource. Ne pourrait-on envisager une répartition plus équilibrée du budget et donc de l'emploi des réservistes au profit des commandements de zone de défense et de sécurité (ZDS)? Etant donné la nature des menaces, il semblerait judicieux de compléter la réserve opérationnelle actuelle par la création, dans chacune des sept ZDS, d'une réserve territoriale dont les effectifs seraient arrêtés par les états-majors régionaux (EMZDS). Ces réservistes seraient mis à la disposition du commandant de la ZDS pour faire face à une situation d'urgence. Dédiés à des missions simples de protection et de surveillance, ces "territoriaux" recevraient une formation élémentaire peu coûteuse et ne seraient astreints à aucune autre obligation qu'un entraînement périodique. Ils pourraient agir sous les ordres d'officiers de réserve, appuyés par des officiers d'active affectés aux états-majors de zone. La gestion, la formation et l'emploi de ces réservistes territoriaux seraient du ressort exclusif de la ZDS. Les conditions de leur rappel devraient être fixées par la loi et s'imposer à leurs employeurs.
Dernier volet de la réserve militaire, la réserve citoyenne s'est vue confier la mission délicate d'entretenir l'esprit de défense et de renforcer le lien entre la nation et son armée. On aurait pu croire qu'une telle mission mobiliserait une partie non négligeable de la communauté nationale. Il n'en est rien et les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2014, on ne comptait que 3 814 réservistes citoyens agréés par le ministère de la Défense. Ces résultats surprenants tiennent à une conception éminemment élitiste du rôle de réserviste citoyen : sollicités en raison de leur capacité (réelle ou supposée) de rayonnement, les candidats sont recrutés en fonction de leur cursus professionnel ou de leur notoriété. Sans méconnaître les services éminents rendus à la Défense par cette réserve citoyenne, il semble urgent d'élargir son recrutement à des catégories de citoyens moins favorisés, en particulier aux membres des associations patriotiques et d'anciens militaires.
En effet, citoyenne ou opérationnelle, la réserve a, de toute évidence, un rôle éminent à jouer dans la restauration de la cohésion nationale et le renforcement de l'esprit de défense. Il n'est, pour s'en convaincre, qu'à voir l'afflux de volontaires ayant suivi les attentats de novembre et de juillet. Habituée, ces vingt dernières années, à vivre dans un environnement propice à l'individualisme, la société française a pris brutalement conscience des nouveaux périls auxquels elle est exposée et de la nécessité de leur apporter une réponse collective. L'engagement dans l'une des deux réserves permet tout à la fois de se rendre utile à la société, de retrouver le goût de l'action en commun et de resserrer le lien armée-nation largement distendu depuis la suspension du service militaire. D'autres dispositifs, à la charnière des mondes civil et militaire, comme le Service militaire adapté (SMA) et le Service militaire volontaire (SMV) remplissent la même fonction et contribuent efficacement au renforcement d'une cohésion nationale souvent malmenée.
En conclusion, le développement et le succès de la réserve militaire se heurtent à des obstacles bien connus que seule une volonté politique clairement affichée permettra de surmonter. Il s'agit pour l'essentiel :
de consacrer à la réserve un budget cohérent avec l'importance des missions qui lui sont confiées,
de modifier, par voie législative, les conditions de disponibilité, d'appel et d'emploi des réservistes, ainsi que les obligations faites aux employeurs,
d'assurer aux employeurs des compensations à la mesure des contraintes qui leur sont imposées,
de compléter la réserve opérationnelle actuelle par la création d'une branche "territoriale", incluant nos forces de souveraineté, dont l'emploi serait décentralisé,
d'organiser le suivi, le maintien des compétences, les conditions de rappel et d'emploi de la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO 2),
d'ouvrir largement la réserve citoyenne à de nouvelles catégories de citoyens, en particulier par le biais des associations.
Bien d'autres sujets mériteraient d'être développés comme l’allègement des procédures administratives d'engagement dans la réserve ou les compensations tant financières que promotionnelles à accorder aux réservistes opérationnels, mais ils sortiraient du cadre de cette synthèse. Il n'en demeure pas moins qu'au moment où le pays est confronté à de graves problèmes de sécurité, il serait dommageable de ne pas exploiter les ressources offertes par la réserve et de ne pas lui permettre de remplir pleinement sa double vocation : la protection du territoire et le développement du lien entre la nation et son armée. Les efforts demandés en matière d'effectifs, d'organisation et de finances paraissent bien modestes en regard des résultats à en attendre.
Le sujet de la cohésion nationale est devenu existentiel pour notre pays. La défense a un certain nombre de savoir-faire, de compétences et de structures à proposer pour cet effort d’envergure. Mais cette contribution ne doit pas la conduire à se détourner de sa mission principale, ni à y consacrer une part trop importante de ses ressources (effectifs et crédits).
Dans le contexte des événements que notre pays a connu depuis plus d’un an sur son propre sol, le thème de la cohésion nationale est redevenu un sujet politique majeur. Les armées se sont investies depuis toujours dans cet effort : leur contribution est reconnue, mais elle a un coût qu’on ne saurait ignorer.
Qu’est-ce que la cohésion nationale ? Et que vise-t-on en cherchant à la promouvoir ?
C’est fondamentalement l’état d’une société au sein de laquelle s’instaure un sentiment d’appartenance, dépassant les clivages, le communautarisme et la diversité. C’est ce qui fait que chaque individu est disposé à s’impliquer au service du bien commun. La cohésion, à ce stade, suppose un minimum d’adhésion au mode de vie et à la culture de notre pays, avec pour objectif de construire un « vivre ensemble » apaisé.
On devine qu’un des bénéfices attendus d’un tel équilibre restauré serait de limiter les tensions entre communautés, en particulier celles liées au radicalisme islamiste ou aux flux massifs d’immigrants. Et si ces tensions se réduisent, on espère que la violence physique qui les accompagne trop souvent pourra être jugulée…
Les forces armées ont historiquement été un creuset de cohésion nationale : on l’appelait patriotisme, et le service national (on disait le service « militaire »…) en était l’instrument.
La cohésion est d’ailleurs un souci natif pour les militaires : elle est d’une part un impératif opérationnel, qui a pour noms esprit de corps ou fraternité d’armes ; elle est aussi la réponse à un besoin de légitimité à l’action militaire.
Il n’est donc pas étonnant que les armées aient de longue date été en première ligne de cet effort pour une meilleure cohésion nationale. Elles mettent en oeuvre aujourd’hui un certain nombre de dispositifs originaux dont l’impact social est reconnu :
- Outre-mer, le SMA (service militaire adapté) permet de donner un avenir meilleur (parfois même de socialiser) à des jeunes en recherche d’un destin plus digne et d’une place dans la société. Ce dispositif particulièrement efficace doit être pérennisé et bénéficier de ressources préservées.
- Sur le sol métropolitain, et sur le modèle du SMA, un SMV (service militaire volontaire) vient de voir le jour. Il est trop tôt pour tirer le bilan de cette expérience ; il faudra être vigilant sur divers aspects de ce dispositif avant d’en proposer une extension forcenée : ce qu’on pratique aux Antilles ou à la Réunion n’est pas forcément transposable dans nos banlieues où la sociologie n’est pas identique ; aucune augmentation du périmètre de la mission ne pourra se faire sans un accroissement des moyens.
- Dans un registre proche, les EPIDE (établissements pour l’insertion dans l’emploi) ont montré tout le bénéfice que l’on peut tirer de l’investissement d’anciens militaires dans un dispositif d’aide aux populations « en seconde chance ».
- La garde nationale en gestation a vocation à reprendre et à donner de l’ampleur à la structure de la réserve. Un réserviste est un homme généreux et engagé : c’est lui qui fait de la réserve un instrument de cohésion ; vouloir généraliser le dispositif est donc une idée séduisante. Pour autant, il faut se garder d’un excès d’optimisme : le simple fait de changer de nom ne suffira pas à donner le souffle nécessaire à la future GN ; il faudra en priorité lever les obstacles majeurs qui freinent aujourd’hui l’élan réserviste, à commencer par les contraintes administratives et les charges qui pèsent sur les employeurs.
- L’engagement des armées sur le théâtre national au sein de l’opération Sentinelle constitue une autre forme de contribution à la cohésion nationale : c’est la démonstration que des Français, sous l’uniforme, et sans considération d’appartenance, s’engagent et s’exposent pour la protection de leurs concitoyens. Mais attention : cette bonne image n’est pas à l’abri d’une dégradation que l’usure et l’habitude pourront générer au fil du temps…
- Toujours sur notre sol, et depuis longtemps déjà, diverses situations de catastrophes naturelles, ont permis de ponctuellement mettre en valeur le rôle des forces armées et singulièrement celui des unités permanentes de la sécurité civile ; avec les sapeurs-pompiers de Paris et les marins-pompiers de Marseille, ces unités à vocation civile composées de militaires donnent régulièrement l’exemple d’une action efficace et désintéressée.
- La participation active des unités militaires aux cérémonies du 14 juillet, toujours appréciée des Français, est une autre source de cohésion très forte ; elle suscite une ferveur populaire qui permet de gommer bien des différences.
- En lien avec la défense, il paraît utile de rappeler le rôle joué par les associations patriotiques, très souvent d’inspiration militaire ; de par leur statut, leur objet et la diversité de leurs membres, elles ont vocation à constituer des relais de la cohésion nationale.
Dans un registre plus pédagogique, les activités des trinômes académiques, qui visent à développer l’esprit de défense, constituent une forme de partenariat intéressante à plus d’un titre.
- On pourrait même évoquer la Légion étrangère… Elle apporte une double preuve : celle que la France attire encore des étrangers en quête d’une vie meilleure ; et celle qu’un modèle de l’intégration par l’effort reste viable (même s’il n’est qu’en partie transposable). La fierté qu’elle inspire aux Français est unanime de ce point de vue.
De toute évidence ces dispositifs ont du sens au regard de la construction de la cohésion nationale. Ils méritent donc de continuer à être soutenus activement.
Mais alors, si la défense apparaît comme étant le « champion » de la cohésion nationale, la tentation vient naturellement d’en faire l’acteur principal. Ce qui serait une erreur :
- D’abord, et même si les armées ont des savoir-faire (exposés ci-dessus), leur destination première reste le combat, la protection par les armes de leurs compatriotes, en priorité contre des ennemis extérieurs déclarés. Si on leur demande de consacrer une part trop significative de leur effort à l’objectif de cohésion, ce sera au détriment de leur valeur guerrière… Cela a été dit, les moyens que la défense devra consacrer à cette mission devront venir en addition de ceux nécessaire à la tenue des contrats opérationnels.
- Ensuite, d’autres acteurs ont une part importante à jouer, à commencer par l’éducation nationale et la justice. Il ne faut pas laisser le sentiment s’installer que la défense a vocation à pallier les carences de ceux qui, en amont, auraient dû insuffler davantage de civisme et de cohésion à notre jeunesse ; et encore moins laisser la défense devenir mécaniquement le passage obligé du remède à la situation d’échec. On finirait par altérer l’efficacité de notre outil militaire si on décidait de baser son recrutement trop exclusivement sur les laissés pour compte de la société.
- Enfin, si l’on souhaite faire de l’enjeu de cohésion nationale une priorité du quinquennat à venir, c’est au plus haut niveau du gouvernement, en dans un cadre interministériel, qu’il faut agir. Ce sujet ne doit pas être porté par les seules armées au motif qu’elles ont des capacités à faire-valoir.
Le sujet de la cohésion nationale est en passe de devenir un défi politique majeur. La défense a une place importante à tenir dans le dispositif à mettre en place, car elle dispose de compétences reconnues. Mais on ne doit pas en venir à faire de cette contribution sa mission principale, ni lui consacrer ses ressources propres dont le pays a besoin prioritairement pour sa protection et sa sécurité.
Le choix de la haute technologie doit être confirmé ; elle est à la fois une condition de l’efficacité opérationnelle, un enjeu de souveraineté, et le moteur d’une industrie de défense performante et rentable. Cet effort doit se matérialiser dans les crédits consacrés à la R&D (recherche et développement) de défense.
Pour les armées modernes, la haute technologie ne saurait être optionnelle : elle est désormais partie intégrante du besoin militaire car c’est grâce à elle que nos forces peuvent « faire la différence » sur le terrain. La haute technologie c’est un avantage opérationnel pris sur l’adversaire en matière de puissance, de portée, de vitesse, de précision, de réactivité, de souplesse, de maîtrise, de protection, de connectivité et de connaissance. En termes capacitaires, cet avantage est le fruit de la constante amélioration des technologies des systèmes de défense.
Conserver cet avantage constitue un défi permanent. Défi de R&D (recherche et développement) pour conserver un temps d’avance sur un ennemi qui cherche de son côté à combler son retard. Défi d’imagination et d’innovation face à des adversaires qui pourront vouloir contourner notre avance technologique via des procédés ou des modes d’action « nivelants »… Défi de l’anticipation pour ne pas se laisser surprendre par les ruptures technologiques à venir que l’on aurait été incapable d’envisager à temps.
Ce triple défi repose sur un effort important en matière de prospective, d’études, de préparation de l’avenir et de recherche, fondamentale ou appliquée. La France dispose dans ce domaine d’atouts importants : une politique volontaire, articulée autour d’un dispositif étatique performant et d’une BITD (base industrielle technologique de défense) dynamique, et soutenue par un investissement financier conséquent. Cet effort doit non seulement être entretenu dans la durée mais probablement amplifié : un engagement budgétaire de l’ordre d’un milliard d’euros (il est de 700 millions aujourd’hui) permettrait sans doute de couvrir l’ensemble des secteurs technologiques valant d’être soutenus, alors que le dispositif actuel de R&D doit, faute de crédits suffisants, se concentrer sur des domaines sélectionnés.
Cet effort technologique doit également avoir pour ambition de répondre à un fort besoin de souveraineté touchant quelques thèmes majeurs de notre défense, pour lesquels aucune dépendance vis-à-vis des technologies étrangères ne peut être admise. La dissuasion est bien sûr au premier rang de ces enjeux ; mais le renseignement, la maîtrise de l’information, l’espace ou la cyber-défense sont également des sujets dont la sensibilité exige que les technologies afférentes soient maîtrisées par notre industrie nationale.
Sur ces différents domaines, le maintien de l’activité des bureaux d’étude par le biais de crédits d’études est seul garant du maintien de la compétence industrielle au niveau voulu.
L’effort technologique doit aussi continuer à s’inscrire dans une logique de conservation de nos domaines d’excellence : espace, missiles, aéronautique de combat, nucléaire, systèmes complexes. Il peut en outre concerner quelques « niches » techniques particulièrement sensibles, par exemple l’acoustique sous-marine ou les munitions intelligentes… Des choix doivent donc continuer à être faits pour « porter » les sujets identifiés comme des relais de l’excellence industrielle nationale.
Faut-il pour autant accepter de sacrifier les autres domaines ? L’expérience montre qu’une filière non soutenue (les armes de petit calibre par exemple), avec de bonnes raisons pour le faire (le marché mondial propose une offre très variée), peut finir par être abandonnée (l’arme individuelle future (AIF) sera achetée à l’étranger, faute de constructeur français)…
La question devra donc être clairement posée et tranchée de savoir s’il faut continuer cette politique « élitiste », ou au contraire, grâce à des crédits supplémentaires, chercher à couvrir de manière plus équilibrée l’ensemble du spectre capacitaire…
Enfin, la maîtrise des enjeux technologiques de défense présente un fort intérêt économique. Ils sont d’abord une source stable et importante d’emploi à haute valeur ajoutée ; ils constituent d’autre part un puissant vecteur pour l’export.
L’effort technologique consacré à la défense est en fait un investissement rentable pour l’économie de la France. Il doit donc aussi être appréhendé comme tel et cesser d’être considéré comme un fardeau financier susceptible de servir de variable d’ajustement budgétaire en période vaches maigres…
L’objectif de la haute technologie bien maîtrisée doit continuer à porter la défense. Elle est tout à la fois un outil de supériorité opérationnelle, et donc d’efficacité militaire, un enjeu de souveraineté, un vecteur de l’excellence industrielle française et un apport économique avéré. Elle repose sur le constat finalement très simple qu’on ne peut avoir d’ambitions internationales, donc militaires, sans les assumer au plan capacitaire, donc industriel.
La politique en vigueur depuis de nombreuses années a bien compris et accompagné ces enjeux ; il reste à mieux la structurer, l’équilibrer et la soutenir financièrement. L’objectif primordial est de relever le niveau des crédits d’études de défense à hauteur des enjeux, des ambitions et des objectifs.
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M. BERTHE (samedi, 15 octobre 2016 17:31)
Bonjour,
si je comprend bien le budget des forces armees est de plus en plus bas. Pour quelle raison les gouvernements ont fermes les manufactures de fabrications d'armes militaires. Le ministere
des Armees a commande des armes de fabrication allemande ( ARMEE, POLICE,)