SOMMAIRE -
Introduction -
-1. Qu’est-ce que la remontée en puissance ?
- 2. Les menaces à prendre en compte : l’état du monde
- 3. Les capacités opérationnelles à détenir, à renforcer ou à reconstituer
- 4. La problématique des ressources humaines : le cas de l’armée de terre
- 5. Les questions économiques : financiers et forgerons au cœur de la résurgence capacitaire
- 6. Quel accompagnement du processus par l’industrie ? Le cas des armements terrestres
Un désordre mondial grandissant au rythme d’une instabilité inquiétante, des réarmements militaires de régions entières du monde, localisées également sur le pourtour européen, des attaques terroristes aléatoires d’un islam extrémiste en Europe, tel est grossièrement brossé le contexte géopolitique et sécuritaire de notre planète qui témoigne le signal d’un réveil militaire généralisé. La nécessité se fait jour pour les Nations européennes d’avoir à se défendre d’agressions multiformes qu’elles soient prévisibles (comme le terrorisme) ou non, car, pouvant porter atteinte, en germe, à leurs intérêts vitaux. L’Europe prend avec difficulté la mesure de cette évolution générale, ayant choisi collectivement la voie du désarmement depuis la disparition du Pacte de Varsovie. Il n’est plus question d’exporter vers l’extérieur le modèle de paix construit par les pères fondateurs, mais de protéger les citoyens de l’Union vis-à-vis des menaces venant de l’extérieur ou se développant à ses frontières, voire même désormais se levant au cœur de ses cités. N’est-il pas étrange de considérer une Europe forte de plus de 500 millions d’habitants, affectée d’un PIB supérieur à celui des Etats-Unis, attendre encore tout de ces derniers pour assurer sa propre défense ? Alors que, d’un côté, notre « grand Allié » semble davantage accaparé par l’Asie, effaçant un tropisme européen de plus en plus évanescent et que, d’un autre côté, l’Europe de la défense se maintient dans une léthargie collective profonde, sans réaction politique d’ensemble de la part des Etats membres.
Jusqu’à quand faudra-t-il attendre une réaction salutaire à ce déni d’une réalité de jour en jour plus oppressante ?
Dans son document de synthèse, la conférence de Munich sur la sécurité, qui vient de se conclure, note à propos de la situation en Syrie : « pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, l’escalade de la violence entre des puissances majeures ne peut être rejetée comme un cauchemar irréaliste… » ! L’Europe - l’Union européenne - ne devrait-elle pas compter parmi les puissances majeures ? Or, tous moyens militaires disponibles réunis, celle-ci ne serait même pas en mesure d’opposer une force militaire (dont la France, avec son contrat opérationnel de seulement 15.000 h.et 45 avions de combat) équivalente à celle déployée par l’Etat islamique… La France, pour originale et apparemment préservée qu’elle fût de cette contagion européenne par une politique extérieure n’excluant pas le recours à la force militaire, s’est finalement alignée sur cette ligne générale, engageant une déflation et une réduction de son effort de défense et dégradant, de fait, son appareil militaire au-delà de toute raison, à contre-courant de la montée des périls. Cependant, les attaques terroristes contre la population française sur son propre territoire semblent avoir dessillé les yeux. Auparavant, la vérité impose de dire qu’il ne manquait pas, y compris au sein de la classe politique, d’avertissements, notamment des chefs militaires, mais ils n’étaient pas entendus. Les décisions arrêtées par le Président de la République en janvier puis en novembre 2015 en faveur des armées, indispensables en matière budgétaire et d’effectif, illustrent heureusement cette prise de conscience. Pour autant, la situation générale de nos armées ne peut se satisfaire de ces simples mesures a minima, prises sous le coup de l’urgence et de l’émotion. Leurs engagements sur des théâtres extérieurs qui ne devraient pas faiblir et leur implication - à contre-emploi, jusqu’à maintenant, faut-il le souligner1 - dans des tâches supplétives sur le territoire métropolitain, dénuées de toute manœuvre et d’effet militaires, les asphyxient chaque jour davantage au détriment de leur entrainement et de l’exécution de leurs missions opérationnelles complexes. Pour la première fois depuis longtemps, nos concitoyens réalisent que défense et sécurité nationale doivent demeurer au cœur des priorités de l’Etat. Elles représenteront un enjeu vital lors des débats autour de la prochaine élection présidentielle, car la Constitution de la France confie dans ces domaines un rôle éminent au Président de la République, chef des armées. L’heure est venue d’une réelle et énergique restauration de nos capacités opérationnelles pour faire face aujourd’hui et encore plus demain à des situations conflictuelles, sans doute insoupçonnées à ce jour, qu’un certain aveuglement confortable et consenti n’a pas pleinement permis d’analyser, ni de prévoir. La remontée en puissance de nos armées devient une impérieuse et urgente nécessité. Elle ne se produira que par une volonté politique, forte, énergique et entretenue dans la durée quelles que soient les majorités au pouvoir. Elle devra se manifester par une politique de défense claire et obstinée, guidée par une vision prospective sans tabous et davantage structurée, laquelle a fait cruellement défaut jusqu’ici. Enfin, elle s’appuiera sur une stratégie générale prenant en considération la dimension européenne souhaitable sans s’y subordonner, devant déboucher sur une stratégie des moyens enfin dégagée des contraintes parfois douteuses et des pusillanimités budgétaires récurrentes, mises en œuvre sous l’emprise de l’appareil technocratique prisonnier du court terme. Nos propos n’ont pas pour objet d’interférer avec les actions conduites de manière louable par le ministère de la défense depuis quelques mois au sein des armées, qu’il s’agisse des effectifs de l’armée de terre ou du renforcement des capacités interarmées de renseignement et des moyens de lutte cybernétique. Là n’est pas notre intention, notre réflexion portant exclusivement sur les moyen et long termes, comme le préconisait d’ailleurs le Livre blanc sur la défense de 1994, lorsqu’il évoquait à propos d’un scénario n° 6 (résurgence d’une menace majeure contre l’Europe occidentale) la nécessité de procéder à une « constitution de forces et un changement de format2 ». Hypothèse, par la suite, faiblement évoquée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 20083 et totalement absente de celui de 2013. Nous y sommes. La menace est avérée ; c’est bien ce qui dicte au Président de la République et au Premier ministre l’expression : « nous sommes en guerre », tout autant que l’insuffisance récemment démontrée de nos moyens. Nul besoin pour ce faire d’un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. La démonstration a été faite de leurs limites et de leur insuffisance dans la description des moyens des armées, alors même qu’ils décrivaient avec justesse les risques et menaces à venir. Rappelons que la définition de la politique de défense relève de la responsabilité gouvernementale, comme la politique extérieure dont elle découle en partie, et non de Commissions ad hoc, pour importantes qu’elles puissent apparaître, car elles sont exemptes par nature de toutes responsabilités de direction et de commandement. De son côté, et pour en finir avec la définition des vraies responsabilités, c’est bien le ministre de la défense, conseillé au premier rang par le chef d’état-major des armées4 , qui est en charge de la stratégie des moyens : formats, effectifs, équipements, immobilier, fonctionnement et entrainement des forces, etc. Bien entendu et fort concrètement, la remontée en puissance devra s’appuyer sur plusieurs lois de programmation militaire, un maximum de deux serait bien – soit douze années d’effort soutenu - dont l’exécutif aura pour priorité entre toutes d’imposer leur strict respect dans la durée et d’interdire l’annuelle et dévastatrice guérilla budgétaire avec Bercy. Enfin, la France, solidaire des nations européennes, aura l’ambition comme la nécessité d’entraîner à sa suite les autres membres de l’Union, car une remontée en puissance limitée à notre seul pays n’aurait pas grand sens au niveau stratégique. Plusieurs capacités opérationnelles demandent, en effet, à se renforcer mutuellement avec nos partenaires, à titre permanent et non pas selon la conjoncture en fonction de telle ou telle crise. Cependant, la décision de remontée en puissance ne saurait être subordonnée à un sursaut européen collectif ; elle doit même le prévenir pour le susciter et le promouvoir par l’exemple. L’ambition de ce dossier n’est pas, bien évidemment, de traiter un tel sujet, d’une grande difficulté, de manière exhaustive, mais de stimuler la réflexion la plus large possible, d’aider à la prise de décisions politiques et militaires et de proposer quelques pistes d’action assurément perfectibles. Il comporte une vision interarmées prononcée, même si certains chapitres (ressources humaines, BITD « terrestre ») ou quelques éléments de chapitre sont plus précis s’agissant des forces aéroterrestres plus particulièrement.
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1 Les conditions d’emploi des armées sur le territoire national font l’objet d’un document du SGDSN qui devrait être présenté au Parlement à la mi-mars, alors qu’il était attendu, à l’origine, en décembre dernier.
2 Cf. Livre blanc sur la défense de 1994 – pp. 96-97 et 113 – Edition La documentation française. 3 § « Capacité de montée en puissance », LBDSN de 2008 – page 64 – Edition Odile Jacob – La documentation française. 4 Et les trois autres grands subordonnés du ministre que sont le délégué général pour l’armement, le secrétaire général pour l’administration et le directeur général des relations internationales et de la stratégie.
Il s’agit, dans la durée (sur 5 à 20 ans) de mettre en adéquation nos moyens militaires avec les missions que le gouvernement peut leur assigner ou que l’évolution de la situation internationale prévisible appelle, non seulement aujourd’hui, mais sans doute encore davantage demain. Ce contexte général suppose un acte politique fort, de portée interministérielle, se traduisant par un effort financier justifié par « l’état de guerre », invoqué par ailleurs, demandant un accroissement notable de nos capacités opérationnelles (effectifs, unités de combat, programmes d’armement, infrastructures, etc.).
L’arrêt de la déflation des effectifs à leur bref étale de fin 2015, le renforcement de 11.000 hommes de la force opérationnelle terrestre sur 2015 et 2016 et le complément budgétaire de 3,8 Mds d’€ sur la fin de la loi de programmation en cours de 2016 à 2019, sont incontestablement des mesures positives. Mais, elles ne constituent en rien un ensemble cohérent signifiant une remontée en puissance, hormis pour l’armée de terre qui endosse en partie cette démarche. Ces mesures actent, en effet, l’arrêt du déclin des capacités des armées avec son accompagnement budgétaire, car elles proviennent du constat que les armées ne suffisaient plus aux tâches du moment. Or, une remontée en puissance s’adresse à l’avenir, même si la décision de son lancement relèverait de l’urgence immédiate. Elle prendra nécessairement plusieurs années de l’ordre de 5, 10, 15 ou 20 ans selon son niveau et elle devra s’attacher par une analyse prospective libre de préjugés à répondre aux défis du futur plus ou moins immédiat, en veillant à ce que, désormais, les moyens dévolus aux armées répondent enfin aux missions de défense du territoire, de protection des populations et à la préservation des « ambitions » et des intérêts stratégiques de la France. Son objet consiste bien à rétablir pleinement les capacités opérationnelles des armées, pour répondre à leur finalité spécifique : dissuader un adversaire multiple et déterminé et, si nécessaire, conduire des opérations de guerre. Ce rétablissement est appelé en priorité par la situation mondiale hors de nos frontières et à proximité de celles de l’Europe afin d’assurer la protection de nos territoires et de nos populations. A ce sujet, la constitution d’un potentiel militaire étant une entreprise qui s’inscrit sur une longue durée autant pour la réalisation d’effectifs formés et entrainés que pour la production industrielle des systèmes d’armes, l’« ennemi » à prendre en compte ne saurait se résumer au seul Etat islamique considéré comme l’horizon indépassable de la menace, ainsi que l’a rappelé le chef d’état-major des armées récemment. Il apparait ainsi que la remontée en puissance concerne en priorité les capacités des forces pour des opérations de haute intensité hors du territoire, ou pour la protection extérieure du pays et de ses intérêts vitaux. Reste la question de la protection immédiate du territoire national et de sa population. Elle dépend également de notre politique extérieure, elle-même intimement liée à la situation géopolitique mondiale. Les trois armées ne sont pas concernées au même degré et de la même manière par un tel sujet qui relève essentiellement des aptitudes de l’armée de terre. Pour cette dernière, il ne saurait être envisagé de constituer deux catégories distinctes de forces, solution qui conduirait à une armée à deux vitesses et se révélerait non seulement insupportable pour la cohésion d’une armée de métier, inadaptée pour un emploi opérationnel qui peut être massif, mais encore, insoutenable au plan budgétaire sauf à dégrader à nouveau ses capacités. En revanche, sur le sol national, si les armées - et l’armée de terre avant tout - ont eu à intervenir dans l’urgence et interviennent encore dans un cadre d’emploi qui reste toujours à préciser, notamment au plan juridique, la remontée en puissance leur permettra de répondre sur une plus grande échelle aux missions sécuritaires inopinées. En effet, acteurs privilégiés de l’urgence, les forces militaires peuvent intervenir sur l’ensemble du territoire s’il le fallait, en complément ou à la place des forces de police et, selon l’hypothèse la plus pessimiste, comme derniers recours. Pour autant, dans la durée, ces dernières missions doivent rester du ressort des forces de l’ordre et de sécurité - police et gendarmerie - qui devraient en conséquence bénéficier également de mesures de remontée en puissance, la situation nationale ayant manifestement démontré leur insuffisance pour les mêmes raisons que celles qui ont vu l’affaiblissement des armées. Pour être clair sur la nature de la remontée en puissance, celle-ci n’est pas un exercice de mobilisation d’effectifs, ni une simple action industrielle de réarmement. Il ne s’agit pas non plus de « refonder » les armées, ou de les transformer, encore moins de les restructurer (encore !), mais d’accroître leurs capacités déjà existantes pour la plupart, et d’en tirer parti pour les moderniser. L’objectif est bien de renforcer l’appareil militaire de la France après des décennies d’affaiblissement, plus ou moins insidieux, à partir de sa situation d’aujourd’hui qui heureusement bénéficie de nombreux atouts comme nous le verrons plus loin. Il s’agit donc, en premier lieu, d’un acte politique fort et constant dans le temps, de portée interministérielle dans son accomplissement qui doit mobiliser toutes les énergies de ceux qui devront y concourir. Les délais de cette remontée en puissance dépendent bien entendu du volume et de l’énergie que les gouvernements voudront lui donner. Ils dépendent aussi du degré de dégradation des capacités des armées qu’il faudra analyser et des ambitions ou des priorités - terme plus juste - de la France en matière de politique extérieure. Cette action, dont la durée devrait courir sur cinq à vingt ans, réalisera enfin l’adéquation des moyens militaires à la nature des opérations décidées par le gouvernement ou prévisibles à terme, ce qui n’est pas toujours le cas depuis bientôt vingt ans. En tout état de cause, il y a urgence à prendre une décision politique sur ce sujet, car la capacité de remontée en puissance dépendra essentiellement, en ce qui concerne les armées, du maintien en leur sein de ces cadres de haut niveau aujourd’hui disponibles, mais condamnés par l’actuelle politique des personnels et invités fermement par un champ de dispositions diverses à se reconvertir en milieu civil. Et, le mouvement inverse qui a profité au personnel civil de catégorie A recruté de manière généreuse depuis 2007, ne sera pas utile à nos formations militaires pour assurer cette restauration. La remontée en puissance aura un coût financier important nécessitant un arbitrage courageux des priorités gouvernementales. Faute de quoi, elle n’aura pas lieu. La situation mondiale réclame à l’évidence que la norme recommandée par l’OTAN à ses membres lors du Sommet de l’Alliance en 2014 et qui devrait être confirmée par celui de Varsovie en juillet 2016, soit ralliée au plus vite. Cette norme de mesure d’un effort de défense de 2 % du PIB pour l’ensemble des Etats membres est considérée comme le minimum en-deçà duquel nul n’aurait du descendre après la disparition du Pacte de Varsovie. Pour un pays comme la France - qui se voit un destin mondial, à tout le moins un rôle régional fort, et qui nourrit des ambitions légitimes en la matière - ce seuil minimum doit être dépassé s’il veut être cohérent avec ces dernières et, surtout, s’il répond à l’obligation morale et politique de donner à ses armées les moyens des missions qu’il leur commande. A cet égard, compte tenu d’une dissuasion nucléaire à deux composantes, d’un système complet de moyens spatiaux, d’une volonté de maîtriser l’entrée en premier sur un théâtre et de pouvoir diriger une coalition sur un théâtre régional, de la volonté affichée et réalisée à ce jour de posséder l’ensemble du spectre des capacités opérationnelles, la ponction sur la richesse nationale ne saurait être inférieure à 2,5 % voire 3 % du PIB. Rappelons que cet effort à 3 % était celui produit à la chute du Mur de Berlin ; il n’est en rien extravagant et personne ne le jugeait comme tel à l’époque. Il répondrait seulement à « l’état de guerre » dans lequel nous nous trouvons selon les termes mêmes du Président de la République et du Premier ministre.
Cette question de la ponction sur la richesse nationale au profit d’un effort de défense pourrait paraître assez vaine au regard de la dépense publique qu’elle génère. Faut-il rappeler, une fois encore, que le budget de la défense ne représente que 3,2 % d’une dépense publique dépassant le montant de 1.200 milliards d’€5 . La part liée à celle de « l’ordre et la sécurité publics », 3,1 % ; celle attachée aux « services généraux des administrations publiques », 11,5 % et la part affectée à la « couverture des risques sociaux » (fonctions « protection sociale » et « santé ») atteint les 57,3 % de la dépense publique et, enfin, pour l’ « enseignement », 10,8 %. L’objet de ces remarques n’est pas d’opposer une dépense publique à une autre, mais de mettre en perspective l’obligation de l’Etat d’avoir à conduire des choix en fonction de priorités bien hiérarchisées, déterminées par la dangerosité des situations à venir. On objectera que la marge de manœuvre de l’Etat se situe sur son seul budget voisin de 310 milliards d’€ et non sur le reste conséquent de la dépense publique qui obéit aux exigences de la solidarité nationale. Mais, l’Etat se doit aussi de faire des choix éclairés. Enfin, cette entreprise de pleine restauration de capacités présentera aussi le double avantage de mettre en cohérence les discours tenus sur notre situation de pays « en guerre » avec les moyens accordés aux armées, et ces derniers en adéquation avec les missions qui leur sont affectées.
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5 Cf. Projet de loi de finances 2013. Rapport sur la dépense publique et son évolution. Ministère du budget.
Globalement, la multitude de menaces de court terme aux portes de l’Europe constituée par la déstabilisation de nombreux Etats à la suite du « printemps arabe » trouve ses racines dans une crise économique et une pression démographique sans précédent. Par ailleurs, le réarmement mondial en cours, partout ailleurs qu’en Europe, les rôles grandissants de la Russie et de la Chine notamment, la démographie africaine, se révèlent des facteurs de tensions à moyen ou long terme. Ces tendances lourdes démographiques, économiques et politiques conduisent globalement à des impasses. A défaut de vision sur le long terme pour modifier des paramètres conduisant à l’explosion, il convient de prendre les dispositions nécessaires pour faire face à des situations extrêmes.
Dans le monde incertain tel qu’il va, s’il est une certitude, c’est qu’il bouge et bouge toujours plus vite. Depuis le dernier Livre Blanc de 2013, certaines tendances se sont confirmées, d’autres se sont inversées, dans les lignes qui suivent seront énumérées les évolutions sur le court terme qui pour certaines sont déjà en cours et les tendances de moyen terme qui préparent un avenir encore plus incertain.
Sur le court terme : Au cours des cinq dernières années, des développements rapides se sont opérés sur des évolutions qui étaient déjà en cours. Après les « révolutions arabes », l’évolution politique de l’arc méditerranéen (Maghreb et Machrek) est très inégale. Autant le Maroc et l’Algérie sont restés stables (pour combien de temps?), autant le vide créé en Libye constitue une menace potentielle pour toute la région jusqu’au Sahel et une menace directe sur la Tunisie dont la sortie de crise est difficile. L’Egypte après une période révolutionnaire est revenue à une stabilité relative par la mise en place d’un régime autoritaire. En revanche l’absence de solution à la question palestinienne crée une source permanente de conflit qui peut à tout moment s’enflammer. Quant à la Syrie et l’Irak, l’irruption de l’Etat islamique est le révélateur d’une crise profonde du monde arabe. De plus l’action trouble de la Turquie dans ce conflit peut conduire à une confrontation directe avec la Russie redevenue acteur majeur en Syrie. Toute cette région reste donc hautement instable et sa proximité géographique avec l’Europe constitue pour cette dernière une menace directe y compris sur ses territoires aussi bien par la pression migratoire soudaine que par la menace terroriste comme les derniers attentats parisiens en ont été les révélateurs. La crise issue des printemps arabes a provoqué des vides sur le pourtour méditerranéen que l’Etat islamique exploite. Mais il ne faudrait pas voir DAECH uniquement comme la velléité de recréer un Etat disposant d’un territoire, il s’agit plus encore d’une idéologie qui a vocation à frapper partout où elle le peut. Ainsi, après la création du califat au Levant (Syrie et Irak), la menace se propage partout où des vides se sont créés (Libye, Nord Est du Nigeria, Niger..), elle s’arrête là où l’Etat résiste (Algérie, Maroc, Egypte..). Mieux, elle menace nos sociétés en misant sur la fracture sociale pour l’habiller d’oripeaux religieux qui ne sont que les révélateurs d’un rejet de l’évolution libérale de nos sociétés. La menace n’est donc plus seulement à l’extérieur mais à l’intérieur même du territoire national. Le risque est bien sûr de mobiliser majoritairement les forces de sécurité pour la protection des populations au détriment de la réduction des sanctuaires créés dans les vides. A la menace de groupes djihadistes identifiés s’ajoute la menace plus sournoise de l’éclatement de notre société en des communautés qui pourraient ne plus rien avoir de « nationales ».
En Afrique subsaharienne, la pression démographique et l’immobilisme politique poussent une jeunesse désœuvrée à réclamer le changement. Les budgets touchés par la crise pétrolière, réduisent la marge de manœuvre des Etats. Malgré des taux de croissance souvent supérieurs à 5%, la pression démographique rend ces progrès insensibles aux populations. Le radicalisme musulman (salafiste ou wahhabite), alimenté depuis de nombreuses années par les Etats du Golfe trouve là un terreau propre à alimenter les mécontentements dans des Etats à majorité ou à forte minorité musulmane (Niger, Mauritanie, Mali, Tchad, Nigeria, Sénégal, Burkina Faso, Cameroun, RCA..). La présence historique de la France dans beaucoup de ces Etats conduit à un soutien militaire contre le terrorisme (G5 Sahel) et donc indirectement à un ciblage de la France par les djihadistes (expatriés ou résidants sur le territoire français). A ces menaces politiques et militaires immédiates s’ajoute une menace économique de court terme. En effet, la chute du prix du pétrole voulue initialement par l’Arabie Saoudite a des répercussions dans le monde entier et particulièrement dans des pays fragiles où le pétrole est une source de revenus essentielle et dont les budgets sont très fortement impactés. Des budgets réduits limitent d’autant les politiques sociales, le développement et l’emploi. La production de gaz de schiste aux Etats Unis et le retour de l’Iran sur les marchés devraient rendre cette tendance pérenne et donc le danger de court terme peut s’installer dans la durée. La crise économique jointe à la crise politique et militaire dans une région au voisinage de l’Europe créée des menaces directes d’instabilité pour la France. Dans ce cadre, la France se trouve en première ligne pour quatre raisons : membre permanent du Conseil de Sécurité, elle est une référence pour celui-ci par son implication dans la gestion des crises africaines, historiquement liée à l’Afrique par des liens linguistiques et culturels, ses liens avec les Etats de la région sont exceptionnels, le dispositif sans équivalent des forces françaises stationnées en Afrique (Djibouti, Tchad, Burkina Faso, Niger, Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, République Centrafricaine, Gabon) conduit nécessairement la France à être le seul pays capable de réactions immédiates sur le continent, la présence sur le territoire national d’une forte population d’origine immigrée donne une résonance particulière aux crises régionales. Par ailleurs, la récente réaction européenne à la demande de la France de faire jouer l’article 42-7 (clause de défense mutuelle) démontre que, là encore, la France peut être un moteur pour la prise en compte de la menace par l’Union européenne. En effet, les menaces contre la France sont directement ou indirectement des menaces contre l’Europe. Globalement, la menace de court terme constituée par la déstabilisation de nombreux Etats à la suite du « printemps arabe » trouve ses racines dans une crise économique et une pression démographique sans précédent. L’éradication de la menace de DAECH par la reconquête du Califat au Levant ne sera qu’une première étape, celle de la destruction de sanctuaires. La reconstitution d’Etats répondant aux besoins des populations devra être l’objectif recherché pour reconstituer le terreau du développement qui empêchera le mal de croître. Cet objectif s’applique indifféremment aux Etats qu’ils soient situés au sud comme au nord de la Méditerranée.
Sur le moyen terme : Les racines des désordres actuels ne font pas l’objet pour l’instant d’une prise en compte sérieuse qui pourrait permettre une sortie de crise. En Afrique, la pression démographique croissante, avec des chiffres conduisant au doublement de la population des pays de l’Afrique subsaharienne en vingt ans est en elle-même un frein au développement. La baisse des prix du pétrole qui pourrait durer conduira à une limitation des budgets des Etats et constituera donc un autre frein au développement dans ces pays. La mauvaise gouvernance caractérisée par la volonté de nombreux chefs d’Etats (Rwanda, Burundi, Congo, RDC..) d’accaparer le pouvoir, les crises encore ouvertes (Somalie, RCA, Soudan, Mali..) ne permettent pas d’envisager un horizon serein. La progression des BRICS qui laissait espérer un relais de croissance et un modèle de développement nouveau est en panne. Le Brésil, entré en récession en 2015 est empêtré dans des problèmes de corruption et ne s’achemine pas vers une reprise de la croissance. En Russie, la baisse du prix du baril de pétrole et l’embargo imposé par les Occidentaux à la suite de la crise ukrainienne ont conduit l’économie vers la récession. De plus, le vieillissement démographique exclut toute possibilité d’une reprise rapide. Cependant, l’acteur russe doit faire l’objet d’une attention particulière en raison des conséquences à venir de son triple rôle actuel : comme facteur de crise en Europe de l’Est (Crimée, Ukraine), comme stabilisateur en Asie centrale (Caucase et autres pays sur ses frontières sud) et comme acteur grandissant dans la crise syrienne. Le ralentissement de la production en Chine marque la fin du mythe de « l’usine chinoise » et la volatilité des marchés financiers fait peser un réel danger sur une économie toujours en cours de restructuration. La croissance faible de l’Afrique du Sud démontre que la « nation arc en ciel » n’a jamais trouvé sa place dans les moteurs économiques mondiaux. La corruption endémique ne permet pas un changement notable. Seule l’Inde connait une croissance soutenue, c’est aussi l’économie qui bénéficie le plus de la baisse des prix des matières premières, mais les réformes engagées par le nouveau gouvernement conduisent à un raidissement de la société. En revanche, après l’accord sur le nucléaire négocié par les Etats Unis, le retour de l’Iran dans le concert des nations replace au centre du Moyen Orient l’antagonisme séculaire entre Perses et Arabes sous la forme d’une lutte sans merci entre Etats sunnites et shiisme. L’arrivée à la tête de la monarchie saoudienne du Roi Salmane et sa politique de « rajeunissement » avec le Prince Mohamed Ben Nayef pourraient pousser à la radicalisation et aggraver encore l’instabilité au Moyen Orient. L’évolution des Etats Unis après la présidence Obama est également un facteur d’inquiétude. En effet, après les échecs successifs en Irak et en Afghanistan, la politique américaine devrait logiquement évoluer vers le multilatéralisme. Toutefois les vieux réflexes de l’hyperpuissance sont toujours là et l’opposition entretenue envers la Russie, en particulier par le biais de l’OTAN, ne laisse pas présager un horizon serein. Les élections de la fin d’année 2016 sont à surveiller de près pour anticiper les évolutions des années à venir. Les budgets de défense, en augmentation constante en particulier en Asie où ils ont cette année, pour la première fois, dépassé les budgets européens (un tiers des budgets mondiaux), joints aux zones de friction en mer de Chine laissent envisager un avenir tumultueux. Sans oublier la Corée du Nord où ses dirigeants psychopathes détenteurs de missiles et d’armes nucléaires sont un facteur de déstabilisation peut-être même à court terme dans une région où la prolifération nucléaire n’est plus sous contrôle. Le budget de Défense russe avec une croissance de 21 % par an marque un retour d’une politique « impérialiste » qui accroît singulièrement les tensions avec les voisins immédiats. Au Moyen-Orient, l’augmentation rapide des budgets au moment où les crises se multiplient (Syrie, Irak, Yémen) ne peut qu’inciter au pessimisme.
Ainsi donc, les tendances lourdes démographiques, économiques et politiques conduisent globalement à des impasses. A défaut de vision sur le long terme pour modifier des paramètres conduisant à l’explosion, les gouvernements sont souvent enclins à des réactions de court terme pilotées par leurs agendas nationaux internes à connotation électorale. La guerre peut ainsi redevenir, pour certains, le seul moyen de résoudre leurs problèmes. « Si vis pacem para bellum ». Il appartient à la France de se préparer pour gagner la paix.
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Avertissement.
Ce chapitre ne prétend absolument pas se substituer à un travail d’état-major, encore une fois. Il repose sur l’expérience de ses auteurs et présente des options, peut-être critiquables sur tel ou tel point, mais non dénuées de fondement. Il présente essentiellement un caractère didactique et pédagogique.
Les analyses sur les menaces futures du Livre blanc de 1994 ont toutes été confirmées par la suite. A contrario de celles attachées aux moyens des armées, lesquels furent l’objet de réductions importantes lors du passage à l’armée de métier et bien plus encore depuis son terme. Or, la stratégie des moyens définie au sortir de la Guerre froide consentait encore des marges de manœuvre pour répondre à la surprise stratégique ou à l’accroissement des menaces, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. D’où la nécessité de combler certaines capacités lacunaires, d’en renforcer d’autres, en interarmées comme au sein de chaque armée et d’améliorer énergiquement la disponibilité des moyens existants. Sans exclure de cette remontée en puissance les réserves et les moyens d’environnement des forces, telles l’infrastructure ou la condition du personnel.
Ce chapitre sera éclairé par l’analyse stratégique de l’état du monde et par celle des menaces et des risques. C’est avant tout la tâche de la DGRIS du ministère de la défense, en liaison étroite avec l’EMA et la DGA. Au plan capacitaire, on peut considérer la remontée en puissance selon trois catégories6 : - la rupture capacitaire franche, qui correspond à une capacité quasi ou carrément inexistante (exemple : l’état actuel du transport aérien stratégique pour l’armée de l’air7 ), - le déficit capacitaire, où la capacité est présente mais à un seuil insuffisant, voire échantillonnaire (ex. : NRBC, drones, LRU, etc.), - la « gériatrie » capacitaire, qui traduit une capacité existante, mais aux moyens obsolètes ou affligés de nombreuses obsolescences technologiques. Parfois, ces deux dernières catégories, déficit et obsolescence, se cumulent sur une même capacité. C’est particulièrement le cas en France aux termes de plusieurs lois de programmation, déjà sous-évaluées au départ et de surcroît exécutées très partiellement. Concernant certaines des ruptures capacitaires, les interventions contemporaines des vingt dernières années ont montré que nos alliés pouvaient venir les combler en partie, selon leurs intérêts : - en transport aérien stratégique : Mali (Serval), RCA (Sangaris) et Afghanistan (FIAS) ; - en suppression des défenses aériennes adverses (SEAD) : Libye (USA) ; - en hélicoptères de transport lourd : Bosnie, Afghanistan… L’étude sur la remontée en puissance devra déterminer si cet état est durable et supportable, au regard de notre autonomie stratégique. On ne peut être assuré dans des conflits majeurs futurs du soutien des Etats-Unis ou de nos partenaires européens, comme ce fut le cas, exemplaire, au Mali en 2013.
L’horizon considéré est celui des vingt prochaines années. Le regard est porté essentiellement sur le cas de la France et les capacités sont évaluées dans une perspective d’autonomie nationale. En effet, une synergie européenne ne semble pas crédible militairement à cette échéance compte tenu de l’état d’évolution de la Défense européenne qui nous contraint à regarder l’avènement d’une « armée européenne », pour peu qu’elle soit souhaitable, comme une utopie dangereuse pour notre sécurité à cet horizon, car peu susceptible d’avancées courageuses. * Pour ceux qui ne rechignent pas à un examen critique, voire autocritique, il ne sera pas inutile de se référer au Livre blanc sur la défense de 1994, où tout, ou presque, avait été dit sur la nature et l’origine des menaces futures. La seule différence d’avec les temps présents, réside dans l’évolution de ces dernières qui se sont, soit durcies (Russie, Asie, etc.), soit amplifiées (cyber-attaques entre autres), soit concrétisées (terrorisme). Notamment, la description du scénario 6 ne paraît plus une hypothèse d’école… A l’appui du présent chapitre, nous aurons à cœur d’en rappeler les conclusions en matière de format des armées et de contrats opérationnels, sans crainte d’être démentis par ceux-là mêmes qui les ont rédigées : - « … les forces disponibles projetables de l’armée de terre devront représenter 120.000 à 130.0008 hommes. A partir de ce réservoir de forces, devront pouvoir être projetées en permanence deux à trois divisions, avec une combinaison de moyens lourds et légers, adaptée à chaque fois aux circonstances9 . Ces 120.000 à 130.000 hommes représentent huit à neuf divisions10 avec leurs soutiens…» - « … la capacité aéronavale devra autant que possible pouvoir être permanente… les forces navales devront comprendre une centaine de bâtiments… avec 65 à 70 bâtiments de haute mer dont une cinquantaine de combat11… ». - « …les forces aériennes devront représenter la valeur d’une vingtaine d’escadrons de combat… auxquels il convient d’ajouter les moyens de la défense aérienne du territoire et les escadrons nucléaires…. une vingtaine d’avions ravitailleurs et une centaine d’appareils de transport tactique et logistique12… ». Tout ceci, bien entendu, répondait de manière permanente aux scénarios envisagés selon une gravité de menaces inférieure à celle correspondant au scénario 6 extrême, nécessitant pour sa part une « (re)constitution de forces et un changement de format » 13 . On rappellera succinctement la décrue des contrats opérationnels affectés aux armées depuis leur professionnalisation, lorsqu’ils étaient quantifiés au rythme de la parution des Livres blancs ou des lois de programmation militaire : - LPM 1997-2002 : armée de terre, 50.000 h. ; armée de l’air, 100 avions de combat, - LBDSN de 2008 : armée de terre, 30.000 h. ; armée de l’air, 70 avions de combat, - LBDSN de 2013 : armée de terre, 15.000 h. ; armée de l’air, 45 avions de combat.
Avec des réductions homothétiques pour la marine, principalement sur sa flotte de combat. Ces décroissances entraînaient une réduction équivalente de la plupart des capacités opérationnelles, bien entendu. Une bonne mesure serait aujourd’hui de restaurer les formats d’armée atteints au terme de la professionnalisation en 2002, partant du principe - qui resterait à conforter - qu’une armée de métier construite sur ces nouvelles bases saurait répondre au défi d’un futur équivalent scénario 6, à la différence des données de base du LB de 1994, lequel s’adressait encore à une armée de conscription. * La seule menace terroriste sur le territoire national ne peut servir à dimensionner les formats et l’ensemble du domaine capacitaire des forces. Ce problème reste, redisons-le, du ressort des forces de sécurité, des moyens de renseignement et de la justice. A contrario, les armées, et principalement l’armée de terre, ne peuvent se désintéresser d’un scénario « noir » sur le territoire national, celui d’une forme de troubles graves, en plusieurs points simultanés du territoire national, excédant les capacités des forces de l’ordre et dans lequel l’armée représenterait le dernier recours pour restaurer les libertés et le fonctionnement des pouvoirs publics. Cette mission d’ultima ratio regum mobiliserait tous les moyens disponibles des forces et non pas le seul contrat opérationnel de 10.000 hommes actuellement défini pour la métropole. Ce n’est pas sur cette mission que peuvent se définir les capacités opérationnelles, comme la nature des équipements, mais bien sur celle qui verrait les armées affronter un adversaire plausible à un horizon de cinq à vingt ans selon les éléments du chapitre précédent. Cet ennemi potentiel peut prendre la forme d’armées de haute technologie, comme d’« armées de masse », nulle menace ne devant être écartée en ce domaine qui correspondrait à autant d’impasses ou de paris stratégiques. Il ne peut y avoir un traitement global des armées sur la question de la remontée en puissance, chacune d’elles présentant un cas particulier au regard de ce processus. De même, la situation initiale de chaque armée est assez variable avec des lacunes et des atouts qui leur sont propres. Un premier constat s’impose qui est celui de la particularité de l’armée française d’avoir préservé, en dépit des réductions récurrentes de capacités, l’existence de chaque fonction stratégique et d’avoir conservé un pied dans chaque capacité opérationnelle. Dès lors, la remontée en puissance consistera essentiellement à augmenter d’intensité les capacités existantes plus qu’à recréer des capacités qui auraient disparu ou qui n’ont jamais existé. Chaque armée - terre, mer, air - possède ainsi un certain nombre de prédispositions que le processus devra faire fructifier. Dans cette optique purement nationale à ce stade, il convient de ne pas négliger cependant d’éventuelles avancées entre nations européennes sur une telle reconstitution de capacités. La marine et l’armée de l’air se prêtent mieux que l’armée de terre à des mesures de mutualisation14 avec nos partenaires européens du fait même de leur milieu physique d’emploi qui ne connait pas des frontières aussi contraignantes que celles de la géographie terrestre. Par ailleurs, le phénomène de mutualisation est un handicap pour l’exercice de la souveraineté nationale ; or, l’armée de terre incarne historiquement, psychologiquement, sociétalement et substantiellement cette souveraineté et le sentiment national, car, avec ses hommes (et femmes) au contact direct de l’adversaire, elle en est la représentation charnelle. Elle est l’armée dont l’efficacité opérationnelle fondée sur la cohésion au combat reste la plus éloignée du schéma utopique d’une armée européenne. Il n’est pas inutile de le rappeler à ce stade.
31. Les forces (aéro)terrestres. Le cas des forces aéroterrestres est le plus complexe car l’armée de terre reste la plus difficile à appréhender et à connaître intimement, tant les idées reçues sont nombreuses à son encontre. Comme celle encore en usage sur les « gros bataillons » qui obèreraient les capacités d’investissement du ministère ! La situation actuelle devrait faire litière de ces fallacieux reproches puisque sa faiblesse numérique vient enfin d’être reconnue, par l’action de … onze terroristes, seulement. La problématique de l’armée de terre se situe d’abord autour de son format et donc de l’effectif capable de porter les armes. En opérations extérieures comme sur le territoire national, dans bien des cas et à l’inverse des autres armées plus techniques par nature, le rendement des forces terrestres peut être celui du nombre avant d’être celui de la technologie. Il en va ainsi dans des missions de contrôle de zone, d’espace et de populations, à défaut d’avoir à affronter un adversaire en bataillons constitués, cas de figure qui ne peut être cependant exclu à l’avenir. L’armée de terre doit ainsi reconstituer ses forces vives à partir de la re-création d’unités, voire de régiments complets dans des fonctions opérationnelles variées, notamment celles qui ne comportent plus qu’un échantillon de ces capacités (NRBC, défense sol-air, feux dans la profondeur15…) ou dans des proportions trop modestes (génie combat, aménagement du terrain, train). La question se pose également pour les armes de mêlée : cavalerie et arme blindée où le nombre de chars de bataille a été réduit à 200 (contre 388 chars Leclerc dans l’armée émiratie) et infanterie où le nombre de vingt régiments est inférieur à celui de l’armée suisse. L’atout des forces aéroterrestres tient au fait qu’elles détiennent encore des compétences dans la plupart des fonctions opérationnelles, même si celles du haut du spectre s’évaporent avec le départ organisé des colonels et des lieutenants-colonels engendré par la nouvelle politique du personnel militaire… Par exemple, en matière de défense aérienne, l’armée de terre n’a conservé de compétences qu’au sein de la fonction sol-air très courte portée (SATCP). La défense aérienne de courte portée (SACP) a été abandonnée autant par l’armée de terre que par l’armée de l’air (Roland et Crotale) et celle de moyenne portée (SAMP) a été dévolue à la seule armée de l’air. Une partie de ces capacités devrait, soit être confiée de nouveau à l’armée de terre, soit développée par l’armée de l’air à l’occasion de cette remontée en puissance, mais au profit exclusif de la couverture antiaérienne de forces terrestres projetées. Se pose ensuite la question du niveau de la restauration des effectifs. Nul ne peut dorénavant contester le fait que les réductions drastiques de formats étaient le fruit d’arbitrages budgétaires plutôt que stratégiques. Il faut donc considérer deux choses, qui d’ailleurs seront à prendre en compte avec le même poids pour les deux autres armées : - soit, l’analyse des effectifs et des volumes d’unités effectuée lors de la rédaction du Livre blanc sur la défense de 1994 était infondée dans des proportions alarmantes, alors que celle des menaces aura été sans cesse confortée comme l’ont montré les Livres blancs de 2008 et 2013 ; - soit, les décisions prises en conséquence des deux derniers LB étaient excessives dans la réduction des formats, des effectifs et, à terme, des capacités. Pour revenir à l’armée de terre, l’exercice se présenterait d’une manière simple dans l’absolu : recréer des régiments dans les domaines déficitaires ou lacunaires avec l’accompagnement proportionnel dans les soutiens, les écoles et les centres de formation. Le modèle « Au Contact » décidé par le chef d’étatmajor de l’armée de terre est conçu finalement en anticipation de cette reconstitution de moyens en réorganisant la force terrestre en divisions et en restaurant des éléments organiques divisionnaires (EOD).
Faut-il pour autant quantifier de nouveaux contrats opérationnels, exercice qui se condamne de luimême devant l’évolution actuelle et sans doute à venir des menaces ? Cependant, on ne peut faire l’économie d’un chiffrement de l’effectif nécessaire à l’armée de terre pour contrer, et les menaces en opérations extérieures d’une part, et le besoin dans l’urgence sur le territoire national d’autre part, qui serait certainement simultané à nos engagements hors du territoire national. D’un autre côté, pour ceux qui le contesteraient, il reste à faire la démonstration - autre que celle relevant d’une analyse budgétaire biaisée - de l’inadéquation des formats atteints au terme de la professionnalisation des armées. Ainsi, une force opérationnelle terrestre (FOT) de 100.000 hommes - soit deux fois et demie inférieure à l’effectif du corps des sapeurs-pompiers16 en France - apparait comme un minimum qu’on ne saurait qualifier d’extravagant pour un pays de 66 millions d’habitants. Dès lors, les forces terrestres seraient en mesure de constituer un corps de bataille crédible militairement du niveau d’un corps d’armée incluant des éléments organiques selon des références reconnues par nos Alliés autant que par un adversaire toujours possible à l’extérieur et, dans le même temps, de répondre à des troubles graves et multiples sur le territoire national sans obérer nos capacités d’engagements à l’extérieur17 . Il n’est pas incongru de penser que la moitié de la FOT devrait pouvoir être mobilisée dans des délais brefs, voire la totalité si la situation l’exigeait, à condition que la disponibilité des matériels remonte à un taux compatible avec ce scénario à un instant donné (un taux de 70 % à 80 % ne relève pas de l’utopie, il suffit d’y consacrer les crédits suffisants en régime permanent18). Les problèmes de disponibilité n’ont été, le plus souvent, que d’ordre financier et pourraient être améliorés également par une meilleure répartition de charges avec le monde industriel. Parallèlement, l’actuelle politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP) devrait être revue pour restaurer au sein des unités une présence des matériels quotidiennement utile pour l’instruction individuelle et l’entraînement élémentaire des unités. Cette reconstitution de forces appelle celle des moyens. Il parait raisonnable de se contenter des moyens lourds existants (chars Leclerc et VBCI notamment), avec seulement une meilleure disponibilité, et d’équiper les nouvelles unités avec des matériels en cours de production (SCORPION dans tous ses sous-ensembles, canon CAESAR, LRU19, hélicoptères Tigre et Caïman, véhicules logistiques, etc.) dont on reverra les cibles à la hausse. La technologie de pointe ne devrait s’inscrire que sur les systèmes d’information et de communications (SIC) et la précision des armes et des munitions. A priori, il n’y aurait pas de nouveaux matériels à développer si ce n’est la production d’un système de drones tactiques déjà très en retard20 . L’homothétie souhaitable, à la hausse cette fois, prendra des dimensions variables selon la fonction opérationnelle concernée (mêlée et appuis - dont les moyens de l’ALAT - soutiens, commandement). Il est une lacune capacitaire qui devra être comblée ex nihilo, celle du transport par hélicoptère lourd à l’échelle d’un théâtre. Les arbitrages de programmation ont toujours éconduit ce besoin pourtant avéré pour les forces terrestres21 et qui serait bien utile, par exemple, dans la bande sahélo-saharienne, en complément des avions de transport de l’armée de l’air et des hélicoptères de manœuvre Caïman et Cougar de l’ALAT.
Les structures de commandement semblent suffisantes : deux états-majors de réaction rapide - Lille et Strasbourg22 pour une composante terrestre de niveau corps d’armée et deux états-majors de division. Pour le reste, il restera à opter entre des brigades supplémentaires ou des brigades plus fournies en régiments. 32. Les forces navales. L’évolution de l’environnement maritime conduit également, pour contrer d’autres menaces, à réévaluer les moyens de la marine, qu’il s’agisse de la protection des approches maritimes et du littoral ou de celle de nos zones économiques exclusives dans le monde (lesquelles représentent la deuxième superficie mondiale après les Etats-Unis), ou du nombre de ses unités de combat tombées sous un seuil quantitatif inquiétant. Il semble également d’une évidence certaine que l’aéronautique navale - puisqu’elle est une composante indispensable - doit pouvoir assurer une disponibilité immédiate à la mer d’un porte-avions. Cette permanence aéronavale rend nécessaire la réalisation d’un second porte-avions, objectif reconnu par les Livres blancs successifs mais soumis aux restrictions budgétaires du passé. Il faudra discuter cependant du choix de la propulsion - nucléaire ou classique - comme de la plus-value discutable de l’emport de l’arme nucléaire qui a un coût non négligeable sur la conception du bâtiment. Dans le domaine de la flotte de surface, les zones d’intérêts français se situent à l’échelle mondiale, ce qui avait conduit le projet d’armée 2015 étudié en 2005 par les états-majors à retenir une cible de 21 frégates de 1er rang. Ce nombre ne parait pas excessif au regard de la montée en puissance notamment des marines asiatiques, chinoise en premier lieu, et de la nécessité de surveiller et de protéger nos voies de communications. La flotte sous-marine, pour sa part, a atteint le niveau du minimum admissible, tout comme les avions de reconnaissance Atlantique 2 revalorisés. Enfin, dans nos outre-mers, les bâtiments de surveillance (patrouilleurs maritimes) pourraient bénéficier d’un effort particulier à l’échelle de nos territoires et de leur éloignement de la métropole. Concernant les approches maritimes du territoire national, le problème doit être examiné dans un cadre européen, comme il peut l’être également pour la protection des voies de communication. Dans ces missions maritimes, les synergies entre nations européennes devraient jouer pleinement pour des renforcements mutuels au cas par cas, comme cela se pratique déjà pour bon nombre d’opérations navales, mais dans des crises restées jusqu’ici d’ampleur modeste. 33. Les forces aériennes. Le domaine aérien semble le moins dégradé à l’issue des dernières lois de programmation militaire, même si certaines de ses composantes exigent maintenant un effort de remplacement ou de modernisation. La remontée en puissance devra permettre de combler les lacunes en matière de transport stratégique et de moyens de destruction/neutralisation des défenses aériennes adverses (SEAD et brouilleurs offensifs) qui sont indispensables lors de l’entrée en premier sur un théâtre.
Dans le domaine du transport aérien, qui bénéficie d’une certaine coordination d’emploi avec l’EATC23 l’armée de l’air a un besoin impératif de se voir livrer les avions A400M dont la cible mériterait d’être réévaluée à hauteur de son niveau d’origine, soit 62 appareils (cible ramenée à 50 en 1997 et relativement imprécise aujourd’hui). La question se posait d’acquérir des gros porteurs, jusqu’à ce que la chaîne de C-17 américains ait été arrêtée fin 2015. On peut penser qu’elle reste d’actualité, car elle conditionne notre autonomie stratégique tant vantée dans les discours. Les avions ravitailleurs participent aussi de l’urgence, tant ce programme a été reporté jusqu’à la commande de 2015. La cible devrait être revue à la hausse (à l’origine 14 avions contre 12 aujourd’hui dont 8 seulement sont commandés) dans le contexte de ce document. On peut regretter pour ces aéronefs l’abandon de la « porte cargo » pour des raisons économiques, lors des commandes de 2014 et 2015. En matière de détection et de commandement des opérations aériennes, les avions AWACS sont en cours de modernisation (2 livrés sur 4) pour une cible qui devrait satisfaire les hypothèses de remontée en puissance. A tout le moins, cette capacité se livre aisément à la coopération européenne voire otanienne. En matière d’aviation de combat, la cible actuelle de 225 aéronefs (Rafale, Mirage 2000 D modernisés) pourrait, à première vue, satisfaire le besoin à l’horizon des vingt ans, à condition que leur disponibilité opérationnelle retrouve un taux approprié (70 à 80 %) en régime permanent, supportée par des crédits à bonne hauteur (problème général de la maintenance). En revanche, l’armée de l’air devra restaurer un volume suffisant de pilotes et d’équipages pour honorer ses besoins opérationnels et satisfaire à la nécessité de leur entrainement et du maintien de leurs qualifications selon des normes plus exigeantes que celles d’aujourd’hui. Cette problématique s’applique également aux équipages d’hélicoptères, y compris ceux des deux autres armées (ALAT et aéronavale). L’armée de l’air est celle qui se prête le mieux à la synergie interalliée, particulièrement dans les domaines du transport, du ravitaillement par air et de la détection (AWACS), l’espace aérien étant le plus fluide et le plus partagé entre nations. La problématique du drone MALE est bien connue et il semble que plusieurs pays européens aient entrepris une coopération, à accélérer bien entendu, sur cette fonction essentielle de renseignement voir de l’action armée. Actuellement, notre dépendance des Américains n’est plus supportable dans le contexte qui prévaudra à l’avenir, si l’on veut rester cohérent avec nos ambitions et notre désir d’autonomie. 34. Les forces spéciales. Point fort des armées françaises, les forces spéciales sont actuellement renforcées dans leur composante « environnement » (commandement essentiellement et logistique). Bien que l’assiette du recrutement, notamment celui de l’armée de terre, s’élargisse sensiblement, il n’est pas sûr qu’il soit souhaitable d’accroitre l’effectif des forces spéciales pour, justement, conserver une grande qualité de recrutement. Au demeurant, si cette évolution était envisagée, un régiment tourné vers l’action pourrait renforcer le commandement des forces spéciales « terre », cette armée étant celle qui possède le plus grand vivier de recrutement pour en conserver la qualité, sachant aussi qu’elle demeure, là, dans son « cœur de métier ».
35. Les moyens interarmées (renseignement, états-majors, logistiques) et l’environnement des forces. La remontée en puissance devrait également concerner quelques capacités développées en interarmées. Certaines, au cœur des discours actuels (renseignement, capacités ISR, guerre électronique, cyberdéfense et cyber attaque) sont déjà prises en compte et méritent un réel effort mais qui n’ont pas à se développer homothétiquement aux autres besoins des armées. Au demeurant, il s’agit de fonctions moins coûteuses en personnel, mais bien plus en équipements spécifiques. Nous n’omettrons pas de mentionner les moyens spatiaux qui, eux aussi, ne répondent pas à une règle d’homothétie. De surcroît, le domaine spatial est le milieu type qui nécessite des coopérations européennes, que ce soit en matière de satellites de télécommunications, d’observation opto-optronique et radar, d’alerte avancée. Certaines coopérations sont en cours. Elles devront être stimulées et sans doute accélérées dans leur réalisation. L’accès à un système de géolocalisation indépendant du système GPS est en cours de production avec Galiléo. Enfin, le domaine des soutiens logistiques partiellement interarmisés depuis 2008 pour les structures intégrées de maintien en condition des matériels devront prendre en compte les nouveaux besoins quantitatifs de chaque composante d’armée. Les services interarmées – service de santé, service des essences, service du commissariat - prendront leur part de cette reconstitution de moyens et demanderont sans doute un rééquilibrage au profit des « milieux », terre, mer et air, alors que leur restructuration avait privilégié l’aspect « métier » de leur rôle, rééquilibrage non seulement en matière d’emploi mais aussi en organisation pour rester proches des unités soutenues. Les répercussions sur le fonctionnement du temps de paix sur le territoire seront à prendre en considération pour revenir peut- être à un plus grand degré de réappropriation par chacune des armées, notamment sous l’effet du facteur sécuritaire voire opérationnel, à partir de la situation actuelle des bases de défense exagérément interarmisées sous la tutelle du service du commissariat des armées. L’environnement des forces, pour sa part, demandera un réexamen à la hausse afin que les moyens de formation (écoles et centres), d’entrainement (infrastructures, camps de manœuvre, champs de tir, systèmes de simulation, etc.), de maintien en condition des matériels et de fonctionnement courant soient portés à la hauteur des nouveaux besoins des forces dans ces domaines, sans oublier la réserve, qui conditionnent leur préparation opérationnelle et leur efficacité en opérations. Enfin, toute la problématique des effectifs, quelle que soit la composante d’armée considérée, doit permettre de disposer des volumes de personnel suffisants pour assurer dans des conditions acceptables, les relèves sur les différents théâtres et la préparation opérationnelle des unités indispensable avant l’exécution de chaque mission. Ce qui n’est plus le cas actuellement, au moins pour les forces terrestres et aériennes. Cet aspect, à lui seul, renforce déjà la prégnance et l’urgence d’une remontée en puissance, toutes choses égales par ailleurs. 36. La dissuasion. Il est entendu que cette problématique de remontée en puissance concernait en priorité, pour ne pas dire en exclusivité, les moyens conventionnels ou classiques. La dissuasion reste avant tout un problème politique relevant d’une dialectique particulière, qui pour être toujours autant confidentielle, appartient au domaine réservé du chef de l’Etat. Elle pourrait être, nonobstant, l’objet d’une révision fondamentale, dans un cadre européen ou non, sans pour autant que son existence soit mise en cause dans le monde proliférant de demain. Un aménagement de son volume ne serait pas un péché contre son esprit comme celui de la révision à la baisse du rythme de remplacement des systèmes, mis à part les têtes nucléaires dont les dates de péremption sont impératives pour la crédibilité de leur fonctionnement. 37. La réserve et l’hypothèse d’une garde nationale. La « réserve », d’une manière générale, est avant tout un problème politique avant d’apparaître comme un besoin opérationnel. C’est bien, en effet, parce que les unités d’active sont estimées insuffisantes pour des « temps de guerre » que des « réserves « furent constituées. Mais, déjà du temps de la guerre froide, elles furent financièrement et matériellement négligées, mais toujours encensées, à juste titre. En effet, elles constituent une matérialisation concrète de ce lien armée-nation, qu’il semble plus urgent que jamais de consolider. Ainsi, s’agissant de la réserve opérationnelle, au-delà de son utilité évidente, elle mérite un effort en proportion des tâches que l’on veut lui affecter dans les mêmes conditions que l’armée d’active : ressources humaines, finances (dont les rémunérations), équipements, organismes de formation et d’entraînement, etc. Mais, il lui faut aussi un cadre juridique adapté – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui - de convocation ou de mobilisation, et des missions clairement définies qui doivent être un argument d’attractivité et de recrutement. Cette réserve militaire, dans sa composante opérationnelle (nous ne traiterons pas de la réserve citoyenne non concernée par une remontée en puissance) doit faire l’objet d’un examen critique. Elle aurait pu être un élément fondateur de la restauration en question. Mais, l’honnêteté commande de dire qu’en l’absence de la conscription et donc d’un service militaire obligatoire – qui reste le seul moyen de conduire une formation initiale valide et efficace - la réserve, sur ses bases actuelles, ne permettra jamais de fournir des unités opérationnelles capables d’actions guerrières hors du territoire national. Tout au plus des affectés individuels en états-majors auront leur place, mais il semble illusoire de croire que le pays aura la ressource pour faire plus, si l’effort se porte sur l’armée d’active. Le problème reste égal pour un emploi sur le territoire national (lutte anti-terroriste par exemple) pour les mêmes raisons. Le déséquilibre numérique actuel entre les différentes catégories - officiers, sous-officiers, hommes de troupes – reste un handicap dirimant pour la constitution d’unités homogènes et opérationnelles. Trop de cadres pour un déficit constant en hommes de troupe reste à ce jour un des problèmes de la réserve opérationnelle. Au-delà de cette réserve dite de 1er niveau dont on vient de voir les limites structurelles, il faudrait considérer le sujet de la réserve opérationnelle de 2ème niveau (RO2) qui n’existe à ce jour que sur le papier, et qui est constituée à partir des anciens personnels d’active, tenus à une disponibilité durant cinq années après leur départ de l’institution. Cette réserve n’est pas suivie administrativement (on ignore tout du devenir d’un soldat ou d’un cadre qui quitte l’armée) et cette situation curieuse24 interdit matériellement de la convoquer. En conséquence, elle souffre d’une absence totale d’entraînement et encore plus cruellement d’un manque absolu de moyens et d’équipements… Elle seule permettrait de recruter des unités équilibrées, initialement bien formées, ayant connu dans un passé récent un entraînement opérationnel et qui pourraient être remises à hauteur à moindre frais et dans des délais compatibles avec un emploi plus ou moins immédiat par un processus de mobilisation comme il en existait du temps de la guerre froide25 . Cette ressource militaire pourrait être rattachée à une sorte de défense opérationnelle du territoire (DOT dont le cadre juridique existe) et serait mise avantageusement pour emploi dans une certaine urgence, aux côtés d’unités d’active pour les renforcer localement, puis pour entretenir l’effort dans la durée si nécessaire. Un tel dispositif ne sera viable que si cette réserve est soutenue par l’armée de terre selon le principe éprouvé du binômage d’unités. Elle constituerait alors une sorte de « Garde nationale » à la Française, car il est vain, pour des raisons culturelles et financières, de croire possible d’importer une réplique de celle existant aux Etats-Unis (qui possède des chars de bataille et des avions de combat !). Enfin, il conviendra de donner à cette réserve opérationnelle revigorée pour ces missions sur le territoire, outre les équipements déjà évoqués, une doctrine d’emploi assortie d’un cadre juridique propre à l’armée de terre en général (qui est en cours de définition auprès du SGDSN). De même, se posera l’alternative, soit de « régionaliser » ces nouvelles unités de réserve pour leur recrutement et leur emploi, soit de les conserver de manière « centralisée » pour des emplois à la demande en fonction de la situation. * Avant de clore ce chapitre, on ne peut laisser dans l’ombre un aspect essentiel des capacités opérationnelles qui tient aux infrastructures, qu’elles soient de vie ou opérationnelles (entrainement, maintien en condition des matériels, lieux de stockages, dépôts de munition, de carburants, etc.). Il est certain que le recouvrement de casernements, de bases, de terrains d’exercice ou de camps de manœuvre (si c’était nécessaire au-delà de l’existant), après deux décennies d’aliénation, le plus souvent sans aucun retour financier, ni indemnisation du ministère, sera autant une question financière cruciale qu’un problème d’aménagement du territoire en raison de la tension sur le foncier. Il faudra en conséquence optimiser les infrastructures existantes, valoriser celles qui semblent encore aménageables sans préjudices, voire conquérir de nouveaux espaces en concertation avec les collectivités territoriales. Tout ceci méritera, comme dans tous les autres domaines, un engagement fort de l’Etat. Enfin, la condition militaire réclame, elle aussi, une « restauration », non seulement pour compenser les sujétions de l’état militaire, comme le précise la loi de 2005 portant statut général des militaires, mais aussi, tout simplement, pour s’aligner sans délai sur les grilles et les avancées dont bénéficie régulièrement la fonction publique civile, ce qui a rarement été le cas jusqu’ici où ce « rattrapage » ne s’opère que sous la pression et l’obstination des ministres en charge de la défense.
6 Selon l’excellente étude produite par l’IFRI : Guillaume Garnier, « Les chausse-trapes de la remontée en puissance, défis et écueils du redressement militaire », Focus stratégique, n° 52, mai 2014.
7 A moduler cependant avec l’arrivée de l’A400M.
8 On est loin des 66.000 puis 77.000 hommes de la force opérationnelle terrestre !
9 Livre blanc sur la défense – 1994- La documentation française. Page 119.
10 Une division interarmes devait inclure au minimum 3 brigades. L’armée de terre actuelle dispose de 6 brigades interarmes.
11 - ibid-page 119.
12 - Ibid, page 120.
13 - ibid- page 113.
14 Qui est la mise en commun de capacités ou de moyens entre plusieurs Etats membres. On ne parlera pas ici de partage capacitaire, car ce concept ne répond pas, par nature, à la problématique nationale de remontée en puissance.
15 L’artillerie française possède deux fois moins de canons que l’armée suisse !
16 Professionnels et volontaires réunis.
17 La démonstration a été faite de l’inadéquation aux menaces des contrats 15.000 en OPEX et 10.000 en OPINT, surtout lorsqu’ils sont mis en œuvre simultanément.
18 Et à condition, sans doute, de revenir pour une part sur la politique de gestion et d’emploi des parcs (PEGP) qui est un pis-aller imposé par les restrictions budgétaires.
19 Lance-roquette unique : doubler la dotation ? Un deuxième régiment ? Notons qu’il vient d’être déployé au Mali.
20 Dont le choix vient enfin d’être prononcé au bénéfice du système Patroller de SAGEM.
21 Rappelons que six nations européennes détiennent ce moyen : Grande-Bretagne (46 CH47-D), Allemagne (82 CH53), Italie (18 CH47-D), Pays-Bas (17 CH47-D), Espagne (17 CH47-D) et Grèce (15 CH47-D).
22 Même si multinational pour ce dernier et à une dose moindre pour celui de Lille, car, le contrat 50.000 h. concernera nécessairement un engagement des Etats européens.
23 European Air Transport Command installé à Eindhoven aux Pays-Bas.
24 Ce serait un rôle judicieux de la Direction du service national (DSN) qui a survécu à la suspension de la conscription…
25 Elle serait mobilisable sans délai sur un simple décret du Premier ministre, selon un décret paru en janvier 2016.
L’arrêt annoncé de la déflation et le renforcement de la force opérationnelle terrestre (FOT) exigent un effort significatif de recrutement et de formation qui mobilise toutes les capacités actuelles. Une véritable remontée en puissance implique une rupture méthodologique avec les politiques et processus RH imposés depuis des décennies par la LOLF et la RGPP. Elle nécessite un exercice de prospective et de planification stratégique du potentiel humain déduit des nouvelles ambitions capacitaires et suppose le passage d’une culture de gestion opérationnelle des effectifs sous contraintes à une culture de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEEC) libérée, au moins dans les phases de conception, du carcan comptable pesant sur les effectifs et les coûts.
41. 2015-2019 : Un ajustement d’opportunité qui suspend la dégradation capacitaire.
En matière de ressources humaines (RH), les conséquences de l’arrêt annoncé des déflations, à la suite des évènements tragiques de 2015, impliquent une inversion de tendance qui, à court terme, crée une «rémission d’opportunité» dont les effets sont analogues à une remontée en puissance au regard de la manœuvre des effectifs initialement prévue sur la période de la LPM 2014-2019. En effet, comme l’a souligné le chef d’état-major de l’armée de terre lors de son audition devant les parlementaires, les renforcements sont certes concentrés sur les unités de la FOT, mais le solde global ne sera finalement positif que de 1.300 hommes, dès lors que les décisions prises s’inscrivent dans une logique initiale très déflationniste26, accentuée par un «retaillage» des hauts de pyramides officiers et sous-officiers. De nombreux enseignements RH doivent néanmoins être tirés de cet épisode inédit, qui se caractérise par un effort ponctuel visant à répondre, dans l’urgence, aux objectifs capacitaires du modèle « Au contact » et aux engagements opérationnels de l’armée de Terre, en particulier les nouvelles missions induites par la posture de protection terrestre et le dispositif Sentinelle. Avec 103.000 militaires en 2019, l’armée de terre retrouve donc un format de la Force opérationnelle terrestre (FOT) sensiblement renforcé, à hauteur de 77.000 hommes dès 2017, au lieu des 66.000 qui avaient été entérinés à la suite des recommandations du LBDSN. En premier lieu, un renforcement en effectifs de cette ampleur sollicite d’abord la chaîne de recrutement. Avec un plan de recrutement pour 2016 à hauteur de 16.000 nouvelles recrues27, le défi est très ambitieux, mais globalement de même ampleur que celui fourni pendant les premières années de la professionnalisation. Ce type d’effort, relayé conjoncturellement par la communication positive des médias, est à la portée de la chaîne de recrutement dès lors qu’il est limité dans la durée, que tous les moyens humains, techniques ou financiers sont mobilisés, voire renforcés (communication/recrutement/sélection/formation) et que le sur-recrutement concerne majoritairement la catégorie des militaires du rang et des cadres de contact.
En second lieu, grâce à la réactivité des mesures RH spécifiques de l’armée de terre, plus particulièrement les leviers de la promotion interne28 et les règles de renouvellement des contrats, y compris après interruption de service, le renforcement des effectifs de la FOT représente même une vraie opportunité pour la valorisation des carrières des engagés volontaires (EVAT) et des sousofficiers. S’agissant des officiers, la flexibilité du recrutement d’officiers sous contrat (OSC) (40% du recrutement 2016), la capacité à moduler les règles de renouvellement de contrats et de durée des services, et la grande qualité du vivier de recrutement interne (EMIA, OAEA29 et rang) permettent également de répondre de manière quasi immédiate (moins de deux ans) au besoin d’encadrement de contact dans les forces. Enfin, ce changement de cap favorise le développement de la subsidiarité au niveau des formations en les impliquant plus directement dans la gestion des carrières de leurs soldats et dans la réalisation de leurs effectifs en contribuant, localement et régionalement, à la réalisation des plans de recrutement. Simultanément, le renforcement de la FOT mobilise toutes les capacités d’instruction, de formation et d’entraînement, car, l’augmentation brutale des flux d’entrée génère mécaniquement des pics d’incorporations par nature très délicats à gérer. Le système des Centres de formation initiale militaire (CFIM) démontre sa pertinence à cette occasion, mais l’ampleur des recrutements justifie cependant de nombreuses adaptations de circonstance qui ne sauraient se prolonger dans la durée. De même, les besoins en formation initiale des jeunes sergents et des officiers sous contrat (OSC) 30 peuvent très vite excéder les capacités d’encadrement permanent de l’Ecole nationale des sous-officiers d’active (ENSOA) ou des Ecoles d’officiers de Coëtquidan puis engorger les infrastructures spécialisées. La gestion de cette période de sur-incorporation implique donc des missions et des coûts supplémentaires, impactant directement le taux d’activités du Commandement des forces terrestres (CFT31), mais aussi de la SIMMT32 ou du Service du commissariat des armées (SCA), confrontés à la gestion à flux tendus des moyens humains, logistiques ou techniques (alimentation, habillement, armement individuel, équipements Félin, véhicules, etc.), sans occulter les tensions sur l’hébergement ou le soutien médical et administratif. Cette capacité d’adaptation et de réactivité constitue un atout, mais elle exige aussi une vigilance particulière en raison des risques de dégradation de la qualité de la ressource (baisse du taux de sélection), de saturation des capacités d’accueil (accroissement de l’attrition, démotivation…), des effets de seuil pour la qualité du recrutement OSC/encadrement, et des effets de masse sur l’attractivité des parcours d’engagés volontaires (durcissement des conditions d’avancement aux grades de caporal et caporal-chef). Les conséquences de ces pics de recrutement se répercutent également dans le temps, sur plusieurs années qui risquent d’affecter durablement le plan de charge des écoles de formation (ex. : examens de sous-officiers tels que BSAT, BSTAT, etc.). Au bilan, grâce à la flexibilité des politiques RH, à la capacité des CFIM, à la faculté d’adaptation du CFT et à la forte capacité d’intégration des unités, et sous réserve d’un accompagnement réactif et soutenu des chaînes de formation et soutien, le renforcement du potentiel humain des forces apparaît compatible, en quantité et en qualité, et sur le court terme (2019,) avec les objectifs structurels et capacitaires du projet « Au Contact » 33 dès lors que cette « remontée en puissance » est quasi exclusivement concentrée sur les capacités de combat de la FOT34 . 42. Un modèle RH fragilisé par la logique comptable de réduction des effectifs. Dans la problématique de remontée en puissance, l’aspect RH présente évidemment une dimension stratégique. Une inversion de tendance durable, après plus de 10 ans de gestion déflationniste, nécessitera alors un véritable exercice de « strategic workforce planning » 35 rompant avec la méthodologie habituelle Livre Blanc/LPM/LFI qui, de manière quasi institutionnalisée, a bridé la réflexion prospective sur l’organisation, la pyramide fonctionnelle, les emplois et les compétences dans le carcan technique et contraignant de réduction des effectifs et de maîtrise de la masse salariale (réduction de la dépense publique). La Gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC), est, par essence, une démarche itérative qui s’inscrit sur le temps long. Depuis le début de la professionnalisation en 1996, la logique quantitative de ressources l’a souvent emporté sur la logique qualitative des métiers et des compétences. Le processus d’adaptation au changement a le plus souvent été conduit en aveugle et en réaction aux contraintes plutôt que par référence à des besoins capacitaires ou à des « référentiels des effectifs en organisation (REO) » prévisionnels, fiables à 5 ans et déduits d’une réflexion capacitaire cohérente avec la perception des menaces et les impératifs de sécurité et d’indépendance de la nation. Ainsi, depuis des décennies, malgré la multiplication des opérations, malgré l’évolution protéiforme des menaces, malgré la complexité et la diversité des engagements, malgré l’internationalisation des conflits et leur cadre juridique contraignant, malgré le rôle croissant revendiqué dans les structures multinationales, malgré les besoins d’anticipation et de renseignement, malgré la révolution technologique et numérique qui exige toujours plus d’adaptation et de réactivité, la politique RH du ministère a presque toujours été guidée par une logique de réduction des effectifs, d’optimisation des organisations et de réduction des coûts. Pour réussir une véritable inversion de tendance, à l’instar des grandes entreprises qui s’inscrivent dans une dynamique de croissance offensive, il sera alors indispensable de changer les paradigmes qui ont guidé les prises de décision. En effet, la plupart des tentatives menées par les états-majors d’armée pour conduire un véritable exercice de GPEEC36, à l’occasion notamment des différents LBDSN ou des LPM successives, se sont souvent heurtées aux antagonismes internes au ministère, aux approches dogmatiques ou idéologiques et aux contraintes du court terme qui biaisaient l’objectivité de la démarche. Dès les premiers travaux de 2008, la pression des critères techniques induits par la LOLF37 (plafonds d’emplois, ETPE, PMEA, soutenabilité financière, maîtrise de la masse salariale, T2 et hors T2…), puis la pression structurelle de la révision générale des politiques publiques (RGPP), en particulier sur l’environnement et les soutiens, ont pollué la réflexion prospective pour répondre, en priorité, aux contraintes budgétaires immédiates et aux hypothèses financières de construction des LPM et LFI successives.
Ce carcan technique a alors dévoyé le processus, dès lors que les modèles, les maquettes ou les pyramides fonctionnelles qui en découlaient étaient modifiés et amputés chaque année au gré des hypothèses financières et des procédures interministérielles d’arbitrages, sans compter les effets néfastes des guerres d’influence entre les différentes armées. Les politiques RH des armées ont ainsi subi l’effet réducteur et déflationniste d’une volonté politique généralement guidée par des ratios, des règles homothétiques et, parfois, des certitudes dogmatiques, s’agissant notamment de la « civilianisation » ou du « contingentement » par grades imposé par le ministère du budget. La régulation des effectifs par les recrutements et l’avancement avait ainsi été envisagée, y compris par la pratique désastreuse du Stop and Go38, arrêt brutal des recrutements prôné par certains « experts » financiers du ministère, alors que la préservation des flux de recrutement est vitale pour une armée professionnelle qui se nourrit de la jeunesse pour son efficacité opérationnelle. La « remontée en puissance de la FOT » pour 2019 s’inscrit donc dans un contexte paradoxal. Ainsi, en juin 2014, avant les attentats de 2015 et après six années de déflations ininterrompues, le discours du directeur des ressources humaines du ministère (DRH-MD) devant les parlementaires pour la LFI 2015 est resté en parfaite cohérence avec la « manœuvre RH » programmée. Avec, de 2008 à 2018, une prévision initiale de suppression de 82.000 emplois civils et militaires, soit 25% du format des armées, la ligne directrice est apparue claire et inflexible : gains de productivité, rationalisation des soutiens, réduction de format, déflations ciblées sur l’encadrement (moins 6.100 cadres dont 5.800 officiers), réduction de 24 % de l’avancement des officiers, maintien du rythme (moins 1.000/an pour les officiers). L’objectif de « déflation dépyramidante » avec « auto-assurance » est au cœur du discours et l’atteinte des objectifs est saluée grâce au « succès » de la politique d’incitation au départ (PMID, PAGS39 , reclassement dans les fonctions publiques, aides à la reconversion) et par la volonté d’accroître à hauteur de 25% la proportion de personnel civil dans les armées tout en ramenant le pourcentage d’officiers de 16,75 % à 16 %. A cet égard, le taux d’encadrement de la FOT étant à peine supérieur à 10 % pour les officiers, l’on peut s’interroger sur la concomitance d’une réduction drastique des officiers dans l’armée de terre avec l’augmentation corrélative des cadres civils de catégorie A au sein du Secrétariat général pour l’administration (SGA) 40, réduisant d’autant les capacités de résilience en cas de crise grave sur le territoire national. Dans ce contexte, l’armée de terre peut, certes, se féliciter de l’arrêt de la déflation pour renforcer son réservoir de combattants au sein de la FOT, mais une politique volontariste de remontée en puissance, objet de ce dossier, impliquant la recréation d’unités, de régiments ou d’états-majors relèvera, pour la planification RH, d’un chantier d’une grande complexité, en particulier pour redéfinir les besoins sur l’ensemble de l’espace de gestion RH, en interarmées, en interministériel, en métropole, outremer et à l’international. 43 Planification prospective du potentiel humain : changer la méthode. Le succès d’une remontée en puissance corrélée à un nouveau modèle capacitaire ne peut être envisagé qu’en passant d’une logique de gestion prévisionnelle sous contrainte à une planification prospective stratégique libérée, au moins dans la phase de conception, du carcan de l’approche comptable par les effectifs et les coûts.
Dans une dynamique nouvelle de cette nature, il serait opportun que le ministère se nourrisse de l’expérience des grandes entreprises en reprise de croissance qui démontre depuis plusieurs années, spécialement chez les anglo-saxons, qu’une nouvelle méthodologie s’impose pour sortir de la crise et reprendre l’initiative : concentrer la réflexion stratégique sur le « talent management » et modéliser le réservoir de compétences et le capital humain en s’alignant avec un maximum d’anticipation sur les ambitions stratégiques de moyen/long terme. Le Strategic Workforce Planning, développé par tous par les grands cabinets de stratégie et de management des transformations (Deloitte, KPMG, PWC, Ernst&Young, Accenture, Bearing Point, Kurt Salmon, etc.) s’impose désormais dans l’univers des RH, en particulier au sein des groupes internationaux où les DRH sont devenus parties prenantes des comités stratégiques41. L’exercice prospectif, qui va bien au-delà des habituels exercices de GPEEC, permet de libérer la réflexion des contraintes comptables, de la tyrannie des tableaux de bord et autres indicateurs pour privilégier la recherche de performance, la créativité, l’agilité, la flexibilité, l’adéquation des compétences, de l’expérience et des qualifications (talents, key people, top management, people factor, human capital, etc.) dans une perspective de retour sur investissement sur le temps long (Time to Readiness : de 5 à 20 ans !). Cette méthodologie pragmatique accompagne désormais les grandes transformations en permettant à nouveau à la fonction « organisation » et à la fonction RH de raisonner « cohérence et performance » en anticipant tous les facteurs de changement susceptibles d’apporter au système d’hommes un avantage compétitif rapide et durable42, dans une logique de choix au meilleur coût et non plus au moindre coût. Elle présente en outre l’avantage de partir d’une analyse objective du potentiel humain existant, de ses forces, de ses faiblesses, de ses lacunes éventuelles au regard de la cible stratégique visée. Le diagnostic et l’analyse des écarts permettent ensuite d’élaborer, dans la durée, un plan de développement des compétences tenant compte des scénarios d’évolution des organisations, de la démographie, des évolutions sociologiques, des métiers en tension ou en mutation43, de la rapidité des évolutions technologiques, des phénomènes de résilience ou d’obsolescence, des effets de seuils, des besoins en accompagnement et en formation44, etc. Bien évidemment, il conviendra d’adapter ces processus innovants issus du monde civil au cas spécifique des armées dont la finalité reste bien tournée vers l’efficacité opérationnelle, d’une part, et aux particularismes propres à chacune d’entre elles ainsi qu’aux catégories de personnels : officiers, sous-officiers, soldats, d’autre part. Au regard des processus et politiques RH développées au cours des deux dernières LPM, certains choix devront donc être confirmés, infirmés ou ajustés dans une logique de cohérence, de performance et d’attractivité si les armées doivent rallier des objectifs capacitaires plus ambitieux. S’agissant de la cohérence, de nombreux volets doivent ainsi être remis à plat pour rétablir la nécessaire convergence entre le modèle cible en organisation (besoins par métiers et fonctions, pyramide fonctionnelle, taux d’encadrement) et le système d’hommes qui, dans toutes ses composantes, doit répondre aux ambitions capacitaires voulues. Dans ce cadre, il paraît également nécessaire de passer au crible la pyramide fonctionnelle par domaines de spécialité, par corps et par grades, aujourd’hui dégradée au plan qualitatif par les politiques de départs incités et les objectifs quantitatifs de déflation des grades supérieurs (adjudants-chefs, lieutenants colonels, colonels), malgré le souci des gestionnaires de maîtriser les flux de départ pour préserver la performance collective d’ensemble. Cette performance collective exige, pour sa part, des processus et des politiques RH qui ne peuvent reposer sur des critères de choix exclusivement financiers ou d’administration des ressources. Elle se fonde nécessairement sur des principes d’équilibre et de dynamique déduits des logiques de milieux, des missions, des capacités et des ambitions affichées (pyramides fonctionnelles et des grades, grands équilibres statutaires entre militaires et civils, équilibre « carrière/contrats », effets du critère « glissement-vieillesse-technicité (GVT) », flux interne/externe, besoins en recrutement direct, politique « brevetés/diplômés », besoins en spécialistes, compétences critiques, hauts potentiels, carrières plurielles, etc.). Dans cette logique, les organismes de formation, d’instruction, et d’entraînement jouent bien entendu un rôle essentiel pour atteindre le niveau de performance visé, en accompagnant ou en anticipant tous les changements susceptibles d’affecter les besoins capacitaires (capacité à former, réorienter, anticiper les évolutions des métiers et des qualifications en cours de carrière). Enfin, la pertinence et la robustesse d’un modèle RH de défense (mixant militaires et civils) exigent un haut niveau d’attractivité compte tenu du contexte ultra concurrentiel du recrutement (secteur privé, police, gendarmerie, autres armées, etc.), plus particulièrement pour les diplômés (BAC + 3 et au-delà) et pour les compétences stratégiques ou rares. De manière incontestable, les parcours professionnels et la nature même des missions demeurent les garants de l’efficacité opérationnelle, le ciment des forces morales et les piliers de la fidélisation. Plus encore qu’aujourd’hui, compte tenu de l’évolution sociologique de la ressource et de son environnement sociétal, les conditions d’exercice du métier, les justes compensations de ses sujétions, les niveaux de rémunérations et d’indemnités, les récompenses, devront traduire concrètement l’effort consenti au système de défense et à la valorisation du métier militaire (sans décrochage avec les forces de sécurité). Les corps statutaires (dont la place et le rôle des corps de spécialistes de type Corps technique et administratif (CTA) ou Commissariat des armées), les politiques d’avancement, les limites de durée des services, les règles de renouvellement des contrats, l’équilibre carrières courtes/carrières longues doivent ainsi se combiner dans un cadre clair, stable et lisible, gage d’attractivité et de motivation pour toutes les catégories de personnel. * Dans un débat très influencé par les enseignements de l’opération Sentinelle, l’aspect humain et les aspirations du soldat doivent éclairer les choix futurs en se gardant d’approches manichéennes susceptibles de rallumer les fractures internes d’une armée professionnelle à plusieurs vitesses, dont on imagine sans difficulté les effets délétères d’une spécialisation dans la nature des missions (OPINT, OPEX). De nombreuses options restent cependant ouvertes pour élargir le vivier de recrutement dès lors que la FOT arrive aux limites de ses capacités d’engagement. A cet égard, il sera intéressant de mesurer les conditions du renforcement des unités de réserve opérationnelle et d’en mesurer l’attractivité et la capacité à passer en 3 ans de 16.000 hommes à 24.000. D’autres options pourraient d’ailleurs être imaginées, dans une logique de réservoir, comme celle d’un service militaire obligatoire pour les candidats à l’ENA et à la fonction publique d’Etat (réservoir de 50.000 hommes potentiels)…
Au final, l’alignement de l’armée de terre sur son nouveau format 2019 constitue un excellent laboratoire pour dégager clairement toutes les conditions de réussite d’une véritable remontée en puissance. Le projet « Au Contact » offre à l’armée de terre l’opportunité de remettre en cohérence les besoins fonctionnels en organisation et le système d’hommes. Cependant, l’inertie spécifique à la constitution d’un réservoir de compétences aussi complexe qu’une force combattante exige une stratégie et des politiques RH dont les effets s’inscrivent dans la durée. Certains fondamentaux sont invariants en matière de RH et de management. Il est utile, parfois, de se souvenir que pour un avantage compétitif durable, « l’excellence a un coût » 45 . Ainsi, à plus long terme, il s’agit d’abord d’investir sur les chefs dont l’armée de terre aura besoin. L’enjeu humain est parfaitement clair. Il faut mettre à profit dès à présent l’opportunité d’anticiper le risque d’une crise majeure submergeant les capacités régaliennes de la Nation. Le contexte est favorable pour sélectionner, recruter puis ciseler un corps d’officiers d’élite de très hautes qualités : physique, morale et intellectuelle, longuement formé, parfaitement préparé à la diversité des missions, capable de discernement dans la complexité et d’esprit de décision dans l’incertitude, sachant s’adapter en permanence et très rapidement aux situations et aux adversaires, maîtrisant les doctrines nationales et alliées du combat terrestre et aéroterrestre en milieu urbain, dominant les nouvelles technologies, tout en ayant une conscience claire des enjeux politiques et stratégiques qui dépassent la simple mise en œuvre de la force. La richesse du modèle RH de l’armée de terre est aujourd’hui le résultat d’un précieux héritage, forgé par l’expérience du combat. Il constitue un facteur déterminant de l’efficacité opérationnelle mais aussi organique de l’armée de terre, par sa capacité à constituer et entretenir le vivier de soldats, de chefs et de cadres dirigeants dont les armées et la France ont un impérieux besoin pour affronter et surmonter les crises de l’Histoire.
*
26 moins 9.938 déflations prévues à l’origine.
27 + 6.000 par rapport au régime de croisière
28 C’est à dire le recrutement au sein des corps de troupe » : 1.400 sergents semi-directs et 900 issus du rang sur 3.600 recrutements de sousofficiers par an.
29 Officier d’active des écoles d’armes.
30 Sergents :+ 500 recrutements directs et semi directs , OSC : + 150.
31 Sur-encadrement, décentralisation dans les corps, missions temporaires de renfort en CFIM et en Ecoles, création d’annexes CFIM etc…
32 Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres.
33 Deux années minimum pour passer de la formation du soldat à l’entraînement du système d’hommes
34 33 unités élémentaires de mêlée (infanterie, cavalerie, génie combat) et densification/recréation de deux régiments (13ème DBLE au Larzac et 5ème RD à Mailly) par rapport au format cible initial.
35 SWP process : évaluation prospective du potentiel humain d’une entreprise.
36 Cf. guide méthodologique de GPEEC des services de l’Etat/DGAFP juin 2012.
37 Loi organique relative aux lois de finances de 2001.
38 « Cette stratégie économique de court-terme a concrètement conduit de nombreuses entreprises à rater de façon rédhibitoire les virages de l’innovation et de la reprise » : cf. Atelier de l’emploi. Serge Zimmerman, directeur Solutions Recrutement de ManpowerGroup
39 Pécule modulable d’incitation au départ et Pension afférente au grade supérieur
40 + 118 en 2015 ; + 410 en 2016 (source LFI).
Confronté à un environnement désormais hostile et agressif, redonnant ainsi au rapport de force militaire une place que l’on croyait anachronique, notre pays n’aura d’autre solution que d’augmenter la part de richesse nationale qu’il consacre aux moyens de sa défense. Pour cela, il faudra éviter de s’enliser dans un débat d’emblée biaisé autour de l’objectif des 2% du PIB, comme il faudra donner à la base industrielle de défense la capacité de garantir l’autonomie de nos engagements militaires avec la même réussite que constitue de longue date sa contribution aux moyens de la souveraineté stratégique.
Qu’on la nomme « remontée en puissance », « reconstitution des forces » ou « réveil militaire », selon la projection temporelle et l’amplitude que l’on choisit, toute mise au bon niveau des capacités des armées françaises ne peut se concevoir sans un effort économique réfléchi, mû par la volonté de lui consacrer les ressources financières et industrielles nécessaires. Il s’agit de ne plus faire de la contrainte budgétaire le point départ de toute réflexion sur les capacités comme cela fut le cas lors des Livres Blancs de 2008 et 2013. Il faut cependant se garder de tout discours alarmiste : l’effort dont on parle se mesure en milliards d’euros, et non en dizaines de milliards. Il est tout à fait compatible avec l’affichage d’autres priorités concourant à la sécurité et à la cohésion nationale, comme les services de sécurité, la justice, l’éducation et les services sociaux. Indépendamment de la courbe de croissance, il pourrait être supporté par des économies progressives dans les grands services publics, comme celles dégagées depuis vingt ans par les armées, dans le « mille-feuilles administratif » et dans les politiques publiques reconnues peu efficientes46 . L’effort capacitaire devrait également fournir l’occasion de redéfinir le cadre de la politique industrielle en matière de défense. Cette politique a été formalisée par le Livre Blanc de 2008. Elle fixe les limites de l’autonomie technologique et industrielle, en la cantonnant à quelques domaines stratégiques : la dissuasion dans tous ses volets opérationnels et technologiques, l’espace, l’aéronautique, les munitions complexes, le renseignement, la protection des données. Pour les autres domaines, notamment les matériels des forces terrestres et spéciales, les munitions, les drones, etc…, le recours au marché est considéré comme suffisant pour répondre aux besoins. Et ce d’autant que l’administration française s’est placée dans une mise en œuvre assez maximaliste de la directive « Défense » de l’Union Européenne. Effort budgétaire et renforcement d’une base industrielle de défense autonome sont donc des constituants incontournables de toute montée en puissance autre que ponctuelle et marginale. 51. Quel effort budgétaire ? Avant d’en évaluer les besoins financiers, la courbe possible de la mise à niveau capacitaire doit être partagée par tous.
Cette planification inclut les effectifs et les équipements, la préparation opérationnelle dans ses volets de compétences individuelles et d’entraînement collectif, la préservation du capital humain au travers des conditions de vie et de la condition du personnel, celle des équipements par le biais de l’entretien programmé. Les dépenses liées à l’infrastructure concourent par ailleurs à l’ensemble de ce spectre de moyens capacitaires. Même très volontaristes, les actions engagées n’échapperont pas aux goulets d’étranglement habituels du développement capacitaire : progressivité des recrutements et de la formation, mise en œuvre des processus d’expression des besoins en équipements, de contractualisation et de réalisation industrielle, durée des opérations d’infrastructure, etc… Son cadencement doit donc être bien expliqué, afin que sa projection budgétaire ne soit utilisée comme un repoussoir. Comment peut-on identifier les étapes de cet effort financier ? La première couvrira la fin de la LPM actuelle (2014-2019), dans sa version actualisée de l’été 2015. L’objectif de l’actualisation est de mettre un terme à la baisse continuelle des effectifs et d’enrayer le ralentissement permanent de la modernisation des équipements. C’est cette inversion de tendance que les responsables politiques et militaires désignent actuellement et précisément sous le terme de « remontée en puissance ». Le risque majeur de cette période tient alors à la question récurrente du financement des opérations, extérieures et désormais intérieures. Un pays « en guerre » et en état d’urgence prolongé doit se retenir de financer la guerre du jour par la dégradation de sa capacité à entreprendre celle du lendemain. Le ministère de la défense doit donc être mis à l’abri de l’incertitude qui marque aujourd’hui le financement des opérations, incertitude qui le conduit à rester prudent tout au long de chaque exécution budgétaire, avec les conséquences que l’on connaît sur le pilotage des recrutements et des avancements, les mesures de condition du personnel, la passation des marchés d’équipement et d’infrastructure. Pour parler clair, le ministère doit avoir d’emblée la garantie du financement interministériel de la part non budgétée du coût des opérations, et ne pas subir la guérilla permanente alimentée depuis l’est parisien. A beaucoup plus long terme, c’est la période post-2025 qui devrait constituer la zone d’effort d’un accroissement des capacités qui aurait été initié dans le proche avenir. Zone d’effort, car nous cumulerions alors, d’une part, le plein effet de l’augmentation quantitative de toutes les capacités énumérées par les articles précédents, d’autre part, le renouvellement qualitatif de capacités stratégiques débutant un nouveau cycle historique : composante navale de la dissuasion, modernisation de l’aviation de combat, évolution du groupe aéronaval. Mais cette zone d’effort n’aura de réalité et d’efficacité qu’à la condition que ses fondements soient assurés par la loi de programmation qui suivra celle en cours d’exécution. Qu’elle débute dès les prochaines échéances électorales passées, en 2018 - 2019, ou en 2020 comme prévu, cette LPM devra à la fois, assumer les décisions prises depuis 2012 en matière de lancement de programmes d’équipement et de restauration des effectifs, et financer les premiers compléments d’augmentation de nos capacités dans la mesure où les processus techniques en permettront le lancement rapide. Mais l’enjeu de ce moyen terme est bien de ne pas prendre de retard dans la réalisation des opérations d’armement dès à présent lancées et qui constituent le socle des capacités (mise sur pied des capacités cyber, systèmes de communication et de renseignement satellitaires, ravitaillement en vol, aviation de transport tactique, modernisation des forces terrestres au travers du programme SCORPION, renouvellement du parc de frégates avec le nouveau mix FREMM/FTI…).
Peut-on, sur la base de cette ébauche de planification, quantifier un effort financier à produire au cours de la prochaine décennie ? Un consensus national semble se former progressivement autour de l’objectif fixé au sein de l’OTAN : atteindre un niveau de dépenses de défense équivalent à 2 % du PIB47. Voilà qui augure de beaux débats dans notre pays, d’autant qu’il existe plusieurs façons de calculer « l’effort de défense ». S’il est indispensable pour réaliser et maintenir les moyens organisés par l’actuelle LPM, ce niveau de ressources ne garantit en rien qu’une mise à niveau capacitaire vigoureuse puisse y trouver un appui solide. Quels seront les termes du débat : Que met-on dans « les dépenses de défense » ? La seule mission « défense » au sens de la LOLF48 comme le bon sens y conduirait, ou la totalité du budget du ministère de la défense49. Faut-il comptabiliser la part « défense » du programme de recherche duale du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche50 ? Ira-t-on y inclure les budgets du service militaire adapté et celui de la coopération de défense, respectivement rattachés aux ministères des Outremer et des Affaires étrangères51 ? Parle-t-on de budget prévisionnel, ou de budget exécuté ? En France, la différence peut compter, du fait du mode de financement des opérations. D’une manière générale, les dépenses constatées sont souvent supérieures au budget voté. Faut-il inclure les pensions dans l’objectif ? La norme OTAN le permet bien, et les présentations se font fréquemment en deux versions, avec et sans pensions. Là encore, le bon sens voudrait que l’on raisonne « hors pensions ». D’une part, parce ce que la proportion des pensions diffère fortement d’un pays à l’autre, d’autre part, parce que les pensions ne sont en rien constitutives d’un effort pour le présent et l’avenir : les LPM n’ont jamais pris en considération l’agrégat « avec pensions ». Selon le choix que l’on fait, le débat peut se conclure, soit par le constat que l’objectif est quasiment atteint, voire déjà dépassé, soit par l’affichage d’une marche à franchir posant un réel problème politique. Ainsi, les statistiques du SIPRI affichent pour la France des dépenses atteignant 2,2 % du PIB en 201452 , tandis que l'Observatoire économique de la défense, organisme dépendant du ministère de la défense,retenait un ordre de grandeur de 2 % pour 201053. A l'opposé, la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale, dans son rapport consacré au MCO en OPEX, annonce une marche à franchir de 10 milliards d'euros 54, tandis que la présidente de la même commission, adoptant l'approche avec pensions, ne l'évalue qu'à 3 milliards, avec un niveau de dépenses (prévisionnelles) de 1,86 % du PIB à l'horizon 201955 . En fait, pour se placer réellement dans une logique d’emploi de la force (« faire la guerre, aujourd’hui ») et de développement capacitaire (« se préparer à faire la guerre, demain »), la mesure juste de « l’effort de défense » commande de retenir les budgets exécutés de la mission « défense », augmentés (très marginalement) de 5 % de la gendarmerie, hors pensions et, pour les statistiques pluriannuelles, en monnaie constante. Dans ce format, l’Annuaire statistique de la défense 2014-2015 retient bien une part de PIB de 1,46 % en 201456 . Mais la norme OTAN comporte une seconde prescription, qui complique encore le débat. Elle fixe que l’effort d’équipement doit représenter au moins 20 % des dépenses de défense. Dans le cas français, en prenant l’hypothèse que 2 % du PIB valent un peu plus de 42 milliards d’euros, l’effort d’équipement devrait être proche de 8,5 milliards. Or, l’agrégat « équipement » est financé actuellement à hauteur de 16 à 17 milliards57, tandis que le programme « équipement des forces », qui regroupe les programmes d’armement, se situe en moyenne entre 7 et 9 milliards annuels58. La France est donc très largement audelà de la norme. La dissuasion nucléaire, les programmes spatiaux, et la gamme complète des capacités que notre pays s’est attaché à maintenir, expliquent cette situation. On voit donc que l’affichage de l’objectif des 2 % ne règle en rien la question de l’effort d’accroissement de nos capacités, d'autant que c'est l'approche « avec pensions » qui semble être prise comme référence, y compris par le ministère de la défense59. Le franchissement de ce jalon sera surtout un signe politique fort, notamment dans le dialogue avec les alliés, au sein de l'OTAN et de l'Europe. Son ralliement progressif apportera au ministère de la défense les quelques milliards d’euro nécessaires pour assumer les décisions prises en 2015, concernant les effectifs et leur environnement, ce que les services officiels nomment « la remontée en puissance ». Son maintien sera sans doute juste suffisant pour supporter, d’ici la fin de la décennie, le coût des programmes d'armement en cours de réalisation. Mais il sera insuffisant pour faire face aux besoins d'une véritable mise à niveau capacitaire à partir de 2020, qui viendrait se superposer aux grands programmes de souveraineté dès à présent annoncés à cette échéance.Il est d’ailleurs un problème de fond auquel on ne trouve pas de réponse dans la littérature : pourquoi 2 % ? Il y maintenant plus de vingt ans, une explication m’avait été donnée selon laquelle dans une économie en croissance, se maintenir à 2 % du PIB permettrait au budget de la défense d’assumer le coût du progrès technologique général et le coût moyen de la main d’œuvre de qualité. Que vaut aujourd’hui cette explication ? Ne signifie-t-elle pas que 2 % n’est en rien le signe d’un effort, mais seulement celui de la préservation du pouvoir d’achat ? Si le rapport au PIB doit être la référence de l'effort, et en l'absence à ce jour de toute planification physique de l’augmentation de nos capacités, on peut estimer qu'une affectation de ressources à hauteur de 2,5 %, voire 3 %, du PIB, devrait être visée à l'horizon 2025 afin de donner à la défense l'espace budgétaire lui permettant de conduire un développement capacitaire plus ambitieux, ordonné, progressif et cohérent avec les menaces identifiées. Nous retrouverions alors le niveau qui était celui de la France à la fin de la guerre froide, lorsque le monde était, comme le siècle qui s'ouvre, incertain, dangereux et fondé sur les rapports de forces militaires. La motivation de cet effort de « réarmement » est bien la prise de conscience que le bien-être de nos concitoyens ne dépend plus uniquement de la liberté de circulation, de l'accès sans entrave à la consommation de masse de biens et de services et à des prestations sociales élaborées, mais repose également à nouveau sur une exigence de sécurité face des menaces globales durables60 . Cette exigence doit se traduire par un choix politique clair, qui sera le signe réel de l'effort de défense : accepter que les dépenses de défense augmentent à un rythme plus fort que la croissance du PIB. Ce serait la fin du dogme de l'asservissement à la contrainte budgétaire qui s'imprime dans les Livres Blancs et les LPM depuis une vingtaine d'années. Sous la Vème République, cette situation ne s'est réalisée que durant une courte période, pendant la décennie 1970, lorsque les objectifs d’équipement des LPM 1971-75 et 1977-82 ont été poursuivis en dépit du ralentissement économique consécutif au premier choc pétrolier et de l’effort supplémentaire décidé en 1974 pour réaliser le rattrapage en matière de condition militaire. Ces LPM ont fourni aux armées les équipements classiques qu'elles ont tant de mal à remplacer aujourd'hui61 . La Cour des Comptes s'invitera sans nul doute dans le débat pour souligner qu'avant d'augmenter les ressources de la défense, il convient d'en améliorer l'efficacité de la dépense. Peut-on encore restructurer ce ministère et les armées pour en réduire les coûts ? Ne faut-il pas s'accorder une fois pour toutes sur le fait que, comparés aux autres grandes armées occidentales, nos coûts salariaux et de soutiens individuels restent très maîtrisés, nos budgets de MCO sont modestes en regard de la valeur du capital à entretenir, à efficacité opérationnelle équivalente, nos processus intégrés de développement capacitaire permettent de conduire les programmes d'armement nationaux sans dérapages significatifs, tout en évitant les échecs retentissants que l'on constate chez certains de nos voisins. Ce dernier point nous renvoie à la question du renforcement de notre base industrielle de défense, élément clé de tout effort capacitaire.
52. Une base industrielle de défense plus nationale ? Dans le passé, les « montées, remontées en puissance capacitaires, plus prosaïquement, les réarmements» n’ont pu être réalisés qu’en les couplant avec un effort significatif de capacité industrielle, sous des formes diverses : recours aux 48 heures de travail hebdomadaires dans l’industrie de défense à partir de 1938, restructuration de l’industrie aéronautique au sortir de la Seconde guerre mondiale, organisation de la filière nucléaire, etc. Aujourd’hui, à une époque où l’industrie est majoritairement sortie du domaine public, tout effort de production de défense doit s’attacher à conforter une politique alliant maîtrise et robustesse de la base industrielle de défense. C’est dans les Livres Blancs élaborés depuis la fin de la guerre froide que l’on peut mesurer l’affaiblissement de la maîtrise par la France de sa base industrielle de défense. Le Livre Blanc de 1994 limitait d’emblée les domaines dans lesquels la France devait « rester pleinement compétente », au nucléaire et à son environnement, tandis que certains domaines stratégiques devaient rester maîtrisés, sans pour autant exclure les coopérations. Tous les autres domaines pouvaient « être partagés avec d’autres pays européens » 62 . C’est le Livre Blanc de 2008 qui détailla la vision de la politique industrielle, par la théorie des trois cercles : maîtrise nationale pour les technologies et les capacités relatives aux équipements nécessaires aux domaines de souveraineté, interdépendance européenne pour la majorité des acquisitions, recours au marché mondial dès lors que la sécurité d’approvisionnement n’est pas en jeu63 . Le Livre Blanc de 2013 est beaucoup plus succinct sur le sujet, se contentant de rappeler l’importance de l’autonomie stratégique et insistant sur la coopération européenne et l’enjeu de l’exportation64 . Au bilan de ces orientations, la capacité de concevoir, fabriquer et soutenir les équipements nécessaires aux domaines de souveraineté a été globalement maintenue. Elle sous-tend toujours les décisions politiques relatives aux industries du nucléaire et de l’espace. En revanche, les différents axes de coopération ou d’interdépendance européennes n’ont pas porté les fruits attendus, même si des rapprochements industriels ont été engagés, de plus en plus pour faciliter l’accès aux marchés d’exportation. Enfin, le recours au marché mondial a montré ses limites : volatilité des relations interétatiques, risque sur la qualité des produits, incompréhension grandissante face au « made out of France ». Garantir la maîtrise de notre BITD nécessite de protéger l’existant et d’investir dans des filières de résilience. L’Etat doit conserver la capacité de contrôler les industries concourant aux grandes capacités de souveraineté. L’intégration de ces filières dans l’économie de marché et la dispersion de leur capital ne doivent pas être des obstacles insurmontables. L’action récente de l’Etat dans la réorganisation de la filière nucléaire ou la restructuration industrielle de l’accès à l’espace montre que cet impératif est bien présent dans l’esprit des responsables publics concernés.
Cependant, toute réflexion sur l’augmentation de nos capacités opérationnelles doit s’accompagner d’une réflexion sur la sécurité des approvisionnements à long terme dans tous les domaines capacitaires. Il en découlera un inventaire des filières industrielles dont l’Etat français ne maîtrise plus, ou seulement partiellement, l’existence, la réactivité, l’accès libre, etc. On a souvent parlé de la filière des drones ; on peut citer celle des armements et munitions de petit calibre, voire plus généralement des munitions, sans lesquelles les systèmes d’armes ne servent à rien65 ! Plus prosaïquement, la capacité de « soutien de l’homme » 66 constitue une filière critique compte tenu de la durée, de la diversité et la violence des opérations. Il en va de même du « soutien santé » 67, dont la filière industrielle est de plus en plus fragile, notamment pour les approvisionnements les plus performants. Elle est pourtant l’exemple même de filière de résilience face à l’exigence de garantie de survie au combat, tant pour le moral des combattants que pour l’acceptabilité sociale des interventions militaires. Sans renoncer, ni à la coopération lorsqu’elle ne complique pas à l’excès la conduite des programmes et l’organisation industrielle, ni au recours au marché mondial dans la mesure où la liberté d’action nationale est préservée, il faudra veiller à identifier les filières de résilience, celles qui permettent de répondre sans entrave à des besoins urgents ou à un engagement soutenu et durable68 . Cette base industrielle de défense la plus autonome possible passe par le maintien de l’effort en matière de recherche de défense. Il n’est pas lieu ici de faire l’inventaire des processus et des ressources qui structurent les démarches « S&T » (Science, Recherche, Technologie et Innovation » de défense)69 et « R&D ». Leur objectif premier reste cependant de maintenir le niveau d’excellence technologique des domaines rattachés à l’autonomie stratégique et aux systèmes de défense complexes. Ne faut-il pas également que cette démarche soit l’instrument du maintien ou de la résurgence de filières industrielles nationales moins technologiques, mais tout aussi cruciales pour un pays « en guerre ». On sait que dans ces secteurs, l’obstacle principal à la « relocalisation » est le prix de revient du « made in France » 70 . L’effort de soutien ne serait-il pas alors d’aider les entrepreneurs nationaux potentiels à développer des processus industriels de nature à ramener l’écart de coût de fabrication à un niveau acceptable ? Ne pourrait-il pas également s’orienter vers le desserrement des contraintes de conception et de qualification qui rendent l’accès aux marchés de défense si compliqué pour bon nombre de nos ETI et PME ? Sur le long terme, la disponibilité d’une BITD nationale repose sur son niveau de robustesse dont l’acteur public porte une part de responsabilité. La BITD tire une partie de sa robustesse de sa compacité, et du lien durable avec son client national. La compacité de la BITD est aujourd’hui en butte à deux évolutions entamées il y une vingtaine d’années. D’une part, les fins quasiment contemporaines de la guerre froide et du modèle « arsenal » ont donné naissance à plusieurs grandes entreprises duales dont la défense n’est plus qu’un des volets de leur modèle économique, et dont une part croissante du chiffre d’affaires se fait hors de France. Ces entreprises ont d’ailleurs tendance à se recentrer sur les domaines spécialisés les plus rentables. D’autre part, l’irruption massive des technologies de l’information, tant dans les besoins militaires nouveaux que dans les solutions répondant à des besoins plus anciens, a ouvert la porte des marchés de défense à de nouveaux acteurs industriels, souvent positionnés sur des secteurs technologiques étroits. Un mouvement similaire est né du développement des services associés aux systèmes d’armes ou à leur mise en œuvre. La BITD s’est ainsi diversifiée. Elle est en outre devenue plus volatile sous l’effet de l’ouverture systématique à la concurrence, y compris parfois étrangère : le métier d’industriel « dans la » (et non « de ») défense est devenu beaucoup plus risqué…, avec à la clé, également, des risques pour le client national de voir des abandons ou des pertes de compétences dans les domaines ne relevant pas de la « souveraineté » ou de l’excellence technologique, domaines bien protégés comme nous l’avons vu précédemment. Il serait donc envisageable de fonder la robustesse de la BITD sur un resserrement de son organisation, en premier lieu pour éviter tous les doublons, en second lieu pour redonner leur place à de grands acteurs industriels polyvalents, durablement liés à l’Etat, capables d’assumer la longueur des cycles de renouvellement des équipements et mieux armés pour aller chercher le lissage de leurs revenus sur les marchés d’exportation, y compris au travers de leur relation avec l’Etat français71 . Cette approche n’est pas incompatible avec la poursuite de l’effort de rapprochement entre industriels européens, à condition que ces nouveaux ensembles puissent tout autant, rester des contributeurs disponibles pour les besoins nationaux, et n’avoir pas de contraintes insurmontables dans l’accès aux marchés d’exportation hors d’Europe. C’est un enjeu fort de la coopération entre Etats et entre industriels au moment où de nouveaux rapprochements prennent naissance, notamment par-dessus le Rhin. La robustesse de l’industrie de défense passe également par l’élargissement de la demande « produits » de la part du client national. Les cycles de production des plateformes sont désormais trop espacés, pour des quantités trop limitées, parfois avec des niveaux de technologie peu compatibles avec la demande à l’export, pour assurer aux fabricants de systèmes un niveau d’activités industrielles cohérentes et des revenus attractifs. La dualité de certaines sociétés n’enlève rien à cette problématique, leur structuration juridique et financière imposant à chacune de leur composante de produire leur propre rentabilité. C’est donc vers l’extension de leur domaine d’intervention que l’Etat doit aller, au travers des activités de services, de formation, etc… C’est un débat plus complexe en France que chez certains de nos voisins. Il doit être instruit avec prudence, notamment pour prendre en considération une culture et des savoir-faire opérationnels qui font leur preuve régulièrement. Mais il doit être également replacé dans cette vision de disponibilité à long terme d’une base industrielle capable de « concevoir, fabriquer et soutenir » les capacités opérationnelles d’un pays qui fonde sa politique de défense et de sécurité sur l’autonomie stratégique et la capacité d’intervention tactique loin de ses frontières, avec le maximum d’autonomie. Dans un tout autre domaine, les investissements d’infrastructure constituent un aspect particulier de l’effort de défense, mais également de ce que l’on pourrait qualifier de base industrielle pour la défense. Ils s’élèvent bon an, mal an à un milliard d’euro, non compris les loyers de l’opération Balard qui permettent de lisser dans le temps cette dépense exceptionnelle (le cycle de renouvellement du bâtiment principal du ministère étant supérieur au siècle !). En termes physiques, ce milliard couvre de grandes opérations d’infrastructure liées à des programmes d’armement et à des activités spécialisées (hôpitaux, centres d’essai, simulation de dissuasion, modernisation des dépôts de munitions), à l’aménagement et l’amélioration des infrastructures d’instruction et d’entraînement, à la construction de casernements et de logements, désormais principalement au sein d’implantations déjà existantes72. Ils couvrent également toutes les opérations d’entretien profond ou courant, et les travaux sur les réseaux divers du ministère73 . En termes industriels, ces opérations d’infrastructure font appel à l’ensemble du tissu spécialisé du BTP, des grandes entreprises nationales aux artisans locaux, sur l’ensemble du territoire métropolitain et outremer, voire parfois sur les théâtres d’opérations. On parle donc de plusieurs centaines de chantiers simultanés, représentant chacun un enjeu opérationnel fort pour son bénéficiaire étatique et un enjeu économique fort pour le fournisseur, en général soumis à une concurrence sévère et à des aléas techniques importants. Les investissements d’infrastructure devront donc faire l’objet d’une attention soutenue. Parce qu’ils confortent l’ensemble du développement capacitaire et de la disponibilité opérationnelle, leur niveau ne doit pas être la variable d’ajustement qu’elle a été systématiquement depuis une dizaine d’années. Parce qu’ils sont pour la plupart attribués à des entreprises locales à l’équilibre souvent fragile, leur conduite par les services étatiques ne doit pas aggraver cette fragilité, mais préserver la disponibilité de ce tissu de compétences territorialisées. Pour finir avec l’économie de défense, n’oublions pas également que dans une période où la croissance du PIB pourrait être durablement faible, les dépenses de défense et les emplois qui en découlent ne peuvent que contribuer à la stimuler. Dans la mesure où les menaces sont bien là, il n’est pas immoral d’avancer cet argument. * Les réflexions qui précèdent sur l’industrie de défense en France, sont sous-tendues par une bonne dose d’optimisme. La France est un des rares pays en Europe à avoir bâti une vraie politique industrielle de défense. Elle est même sans doute le seul. La vision des intérêts à long terme et les instruments de sa mise en œuvre existent et sont entretenus. Le processus de programmation militaire s’y place au premier rang. Une prospective à plus long terme, comme l’était le Plan Prospectif à 30 ans, pourrait s’y joindre à nouveau afin de mieux orienter les axes de développement de l’industrie. Cependant, c’est bien la question de l’effort financier qui sera au cœur des débats sur une « résurgence capacitaire », celle dont on parle aujourd’hui dans la communauté de défense, portée par l’actualisation de la LPM 2014-2019, celle plus ambitieuse qu’appelle de ses vœux le présent dossier. Il ne fait aucun doute que seul un effort significatif, dépassant la simple progression de la création de richesse nationale, permettra de mettre en adéquation les capacités militaires de la France et les exigences de sa politique de défense et de sécurité nationale face à l’environnement hostile et agressif auquel est désormais durablement confrontée notre société démocratique et pacifique.
*
46 La relecture des rapports de la Cour des Comptes et des études de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) éclairera le champ des possibilités d’économies.
47 Sommet de l’OTAN de 2014, à Newport : 2% à l’horizon 2025. « Il existe deux normes OTAN : la norme V1, qui inclut la totalité des crédits de la gendarmerie ; et la norme V2, qui ne prend en compte que 5 % des dépenses de la gendarmerie, censés correspondre à l'activité militaire de celle-ci. La norme V1 comme la norme V2 peuvent être exprimées avec ou sans les dépenses de pensions » (Avis n°548 de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées du Sénat, du 8 juillet 2009, relatif à la programmation militaire 2009-2014). C’est la norme V2 qui est utilisée le plus couramment. Il faut noter que dans certains documents, comme l’Annuaire statistique de la défense 2014-2015, les V1-V2 sont présentées comme différentiant « avec » et « hors » pensions.
48 Loi organique relative aux lois de finances
49 Le budget du ministère de la défense regroupe deux missions au sens de la LOLF : mission « défense » (32,1 milliards en 2016, hors pensions qui représentent un peu moins de 8 milliards) et mission « anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » (2,5 milliards en 2016). Seule la mission « défense » fait l’objet de la programmation militaire pluriannuelle.
50 En 2016, le ministère de la défense contribue à hauteur de 180 millions au programme 191 « recherche duale (civile et militaire) ».
51 Une approche de cette nature a, un temps, tenté le gouvernement britannique, afin d’afficher rapidement un net dépassement des 2% du PIB…
52 SIPRI Military Expenditure Data Base – NATO members from 1949-2014. Commentaires de la Banque Mondiale : « Les données sur les dépenses militaires du SIPRI sont dérivées de la définition de l'OTAN qui englobe toutes les dépenses courantes et en capital pour les forces armées, notamment les forces du maintien de la paix, les ministères de la défense et autres agences gouvernementales participant à des projets de défense, les forces paramilitaires si elles sont jugées comme étant formées et équipées pour assurer des opérations militaires et les activités dans l'espace militaire. De telles dépenses comprennent les dépenses engagées pour le personnel civil et militaire, notamment les pensions de retraite du personnel militaire et les services sociaux pour le personnel, l'exploitation et la maintenance, l'approvisionnement, la recherche et le développement et l'aide militaire (dans les dépenses militaires du pays donateur). Sont exclues de ces dépenses, la défense civile et les dépenses attribuables à des activités militaires précédentes, telles que les prestations des vétérans, la démobilisation, la conversion et la destruction d'armes. Cette définition ne peut toutefois pas être appliquée à tous les pays étant donné qu'il faudrait que beaucoup plus d'information détaillée soit rendue disponible au sujet de ce qui est inclus dans les budgets militaires et dans les dépenses militaires hors budget. (Par exemple, les budgets militaires peuvent couvrir ou non la défense civile, les réserves et forces auxiliaires, la police et les forces paramilitaires, les forces à double mission comme la police militaire et civile, les subventions militaires en nature, les pensions pour le personnel militaire et les cotisations à la sécurité sociale versées par une partie du gouvernement à une autre.) » Pour la France, les données sont “avec pensions” et en budget exécuté, donc après financement des opérations extérieures.
53 ECODEF n°57, décembre 2011, comparaison des efforts de défense de la France et du Royaume-Uni.
54 Rapport de la mission d’information conduite par M Alain MARTY et Mme Marie RECALDE, enregistré le 9 décembre 2015 : « D’après les dernières données disponibles, la France consacrait, en 2014, 1,46% de son PIB aux dépenses de défense hors pensions. (…) En prenant pour base le PIB constaté en 2014, soit 2132,4 milliards d’euro, un effort de défense porté à 2% atteindrait alors 42,65 milliards, soit une dizaine de milliards de plus que les ressources actuellement consacrées à la défense ».
55 Intervention de Mme Patricia ADAM lors du diner-débat organisé par l’association Démocraties, le 26 janvier 2016, sur le thème de « La remontée en puissance de notre outil de défense ».
56 p.77, en citant comme source le mémorandum statistique de l’OTAN de décembre 2014. 57 « Les crédits de paiement consacrés aux équipements couvrent, pour les domaines des armements classiques et de la dissuasion, les études, le développement et la production des armements, les investissements d’infrastructure et l’entretien programmé du personnel et du matériel. Ils s’élèvent à près de 17 milliards d’euro en 2016 ». Document DICOD sur le projet de loi de finances 2016 du ministère de la défense, septembre 2015.
58 Programme 146, co-piloté par le chef d’état-major des armées et le délégué général pour l’armement.
59 Le budget de la défense voté pour 2016, avec pensions et en comptabilisant la participation au programme de recherche duale (présentation retenue dans le document DICOD pour le projet de loi de finances), s’élève 42,6 milliards d’euro de crédits de paiement (en incluant l’amendement de 100 millions supplémentaires voté en seconde lecture).
60 Voir « La stratégie de défense française à un tournant », leçon inaugurale de la chaire « Grands enjeux stratégiques » de l’université Panthéon-Sorbonne, prononcée le 18 janvier 2016 par Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la défense (Revue Défense Nationale, février 2016).
61 Pendant la décennie 1960, les dépenses d’équipement ont progressé beaucoup plus vite que le PIB, mais au sein d’un budget de la défense qui restait sous cette évolution de la richesse nationale.
62 Livre Blanc sur la Défense, 1994. La Documentation Française, pp. 152-154.
63 Le Livre Blanc. La Documentation Française, Odile Jacob 2008, pp.264-265.
64 Livre Blanc, Défense et sécurité nationale, 2013. La Documentation Française, pp. 140-141.
65 Alors que l’incertitude qui marque désormais la nature, le contexte et l’intensité des engagements rend extrêmement difficile la détermination des stocks de précaution à financer et entretenir.
66 Terme qui regroupe l‘habillement, les équipements de vie en campagne, les effets de protection, etc….
67 Qui intègre la protection contre les agents chimiques et bactériologiques.
68 Voir le débat autour de l’acquisition de bombes d’avions auprès d’une société italienne sous contrôle capitalistique allemand, dans le cadre des opérations aériennes en cours…
69 Document de la DGA « orientation de la S&T, 2014-2019 » : « La S&T de défense désigne l’ensemble des recherches et études appliquées rattachées à un besoin militaire prévisible en matière d’armement contribuant à constituer, entretenir ou développer la base industrielle de défense ainsi que l’expertise technique étatique nécessaires à la réalisation des opérations d’armement ». Sur cette période, la S&T représente un peu plus d’un milliard d’euro par an.
70 C’est la motivation de l’approvisionnement à l’étranger des munitions de petit calibre.
71 C’est sans doute une des raisons qui conduisent l’actuel délégué général pour l’armement à déclarer « ou bien les fabricants de satellites Airbus et Thales s’allient, ou ils risquent de passer à la trappe » (interview à l’Usine Nouvelle, publié sur internet le 2 février 2016).
72 C’est notamment le cas pour l’accueil des nouvelles unités constituées dans la plupart des régiments de l’armée de Terre au titre de la remontée en puissance des effectifs de la force opérationnelle terrestre. Il faut noter qu’à l’issue de plusieurs décennies de restructurations et d’aliénations, les armées ne disposent plus de casernes « en réserve » en bon état.
73 Dont le support physique des réseaux de télécommunications et informatique.
La remontée en puissance est un effort capacitaire global qui doit viser à gommer les renoncements consentis les années antérieures sous la pression budgétaire. Cet effort représente un défi et un enjeu pour l’industrie de défense. Elle y est globalement bien préparée : elle a conservé la maîtrise des savoir-faire technologiques et des outils de production permettant de rehausser l’ensemble des équipements de nos armées. L’industrie terrestre est en particulier convaincue qu’elle peut utilement accompagner l’armée de terre dans sa remontée en puissance. A condition que les crédits à consacrer à un tel effort soient effectivement mis en place.
Le monde industriel est très attentif : la formule « remontée en puissance » ne lui a pas échappé. Il sait ce qu’elle peut signifier en termes d’efforts capacitaires, financiers ou programmatiques. Et il est globalement confiant sur son aptitude à relever le défi. A condition que les crédits à consacrer à un tel effort soient effectivement mis en place… La situation du domaine terrestre est assez emblématique de cet état de fait ; mais elle est aussi singulière à maints égards. L’armée de terre va être la principale bénéficiaire de l’augmentation des effectifs ; elle est aussi celle qui continue à évaluer sa force en hommes et non en équipements… On peut donc légitimement se poser les questions, d’une part de l’accompagnement capacitaire dont elle va réellement avoir besoin pour remonter en puissance, d’autre part de la faisabilité de cet accompagnement. 61. Le constat de l’industrie : la remontée en puissance nécessite des mesures conservatoires. On ne remonte pas en puissance sans l’avoir anticipé. Reconstituer sa force militaire, c’est en premier lieu affaire de quantité : il faut augmenter les effectifs et les parcs de matériels. Il faut donc que l’industrie de défense conserve une aptitude à recompléter rapidement les équipements existants. Une telle capacité impose de nombreuses mesures conservatoires : - conserver des chaînes de montage, - conserver les savoir-faire « production », - suivre les équipements en service dans les forces pour : o traiter leurs obsolescences, o assurer leur maintenance corrective, adaptative, évolutive, - conserver les fournisseurs et les sous-traitants, - éventuellement constituer des parcs d’attente « sous cocon », - constituer des stocks de rechanges… La remontée en puissance peut aussi être affaire de qualité : elle consiste alors à mettre en place de nouveaux systèmes d’armes dans les forces pour leur conférer une meilleure capacité opérationnelle. C’est le second défi de l’industrie : celui de l’aptitude à renouveler rapidement la gamme d’équipements.
Là encore, des prérequis sont nécessaires : - conserver les bureaux d’étude et les chercheurs, - assurer une veille technologique, - conserver les savoir-faire « développement », - développer des prototypes ou des démonstrateurs, - être capable de produire très vite des matériels développés et restés « en attente », - disposer d’une liste actualisée de possibles acquisitions sur étagère, éventuellement à l’étranger… Ces mesures conservatoires avaient-elles été prises en France pour le domaine industriel terrestre ? Permettent-elles aujourd’hui de répondre aux besoins d’une armée de terre qui cherche à reconstituer sa force ? On peut être raisonnablement optimiste sur ces deux questions. 62. Les atouts de l’industrie : grâce aux efforts consentis par la défense pour une « BITD forte », et même si le domaine terrestre paraît moins « soutenu », les prérequis industriels à une remontée en puissance sont en place. Les investissements de défense, en France, sont demeurés importants tout au long de la période écoulée, en dépit des restrictions budgétaires. Ils ont permis de globalement préserver une base industrielle et technologique de défense performante et réactive. Ces investissements sont de natures très diverses : - les crédits « recherche et technologie » de toutes formes ont permis à l’industrie de rester à la pointe de la haute technologie ; - le soutien apporté à l’export a mis les industriels en situation favorable, et les productions se succédant au profit de plusieurs clients, les chaines de montage sont demeurées actives, tandis que des améliorations ont pu être apportées aux matériels ; - des contrats de maintien en condition opérationnelle « élargis », relevant désormais davantage d’un soutien en service global que d’une seule maintenance, ont permis de faire évoluer les équipements. Le domaine terrestre a-t-il pour autant bénéficié à plein de ces efforts ? On peut en douter… Car la politique industrielle de la défense a clairement choisi ses priorités : le nucléaire, l’aéronautique, l’espace et, dans une moindre mesure, les missiles et les systèmes d’information et de communication. A part le volet des munitions intelligentes, le terrestre ne figure pas dans cette liste ; peu de crédits d’études amont lui sont annuellement consacrés. Cette situation pourrait être lourde de conséquences car elle est d’une moindre autonomie, d’une plus forte dépendance de fournisseurs étrangers. Elle est en fait celle d’un risque calculé, consistant à ne soutenir que ce qui est considéré comme « stratégique », pour abandonner ce qui peut aujourd’hui être acquis sans difficulté sur le marché mondial, ou ce qui peut se nourrir de l’export. Et, de fait, l’industrie terrestre est loin d’être démunie face aux enjeux du moment : elle paraît en effet disposer dans son catalogue « produits » et dans ses cartons à dessins de l’ensemble des équipements nécessaires à une force terrestre « remontée en puissance ». En catalogue, elle propose une série de systèmes récents, modernes et performants, dont une bonne part est encore en production : Tigre, Caïman, VBCI, Caesar, Félin… Dans les cartons, des programmes majeurs sont en développement, dans le renseignement en particulier. Et puis, il y a Scorpion. C’est un enjeu de modernisation de la force terrestre qui tombe à point nommé : au moment où cette dernière cherche à retrouver de la vigueur pour faire face à une situation devenue plus menaçante, elle a la chance de pouvoir compter sur l’arrivée imminente d’une capacité totalement revue qui va lui conférer vitesse, souplesse, protection, précision, réactivité, aptitude au mode collaboratif.
Globalement, l’industrie terrestre se trouve donc en situation favorable : on est en droit de penser qu’elle va pouvoir répondre aux sollicitations de l’armée de terre pour accompagner utilement et efficacement sa remontée en puissance. Sous réserve que quelques mesures d’accompagnement soient identifiées et mises en œuvre assez vite. 63. Objectifs et mesures à prendre : quelques lacunes à combler, des parcs à gonfler, sans chercher à tout prix la haute technologie en vue de la haute intensité L’ambition d’un modèle vraiment complet. Il y a d’abord des capacités manquantes, celles qu’on a abandonnées au cours des arbitrages des années précédentes, au fil des constructions des lois de programmation militaires (LPM) successives. En dépit du discours sur le « modèle complet », force est de constater que, si aucun domaine capacitaire n’a été totalement abandonné, plusieurs domaines ont été partiellement vidés de leur substance. Il faut donc sans doute se disposer à relancer quelques programmes qui ont pu être sacrifiés faute de crédits ; par exemple : défense sol-air courte portée, hélicoptère de transport lourd, SEAD (supression of enemy air defence), brouillage offensif, feux dans la profondeur… Ou rétablir quelques projets pour lesquels on a accepté de se contenter d’un « gap-filler » aux moindres performances comme le radar de surveillance terrestre. Ou encore avancer certains programmes décalés dans le temps, qui imposent de faire durer l’existant au-delà du supportable ; c’est le cas de HIL (hélicoptère interarmées léger) destiné à remplacer une flotte hétéroclite d’aéronefs vieillissants des trois armées. Faire de la R&T à bon niveau A défaut de faire redémarrer ces grands programmes, il faut, a minima, impérativement relancer des études de manière à retrouver au moment voulu la liberté de choix. La DGA a évalué le seuil raisonnable d’un effort budgétaire en matière d’études amont à hauteur d’un milliard d’euros ; on est resté plafonné à sept cents millions d’euros depuis plus de dix ans. La barre du milliard d’€ doit constituer l’objectif à atteindre d’une défense qui doit durablement remonter en puissance. Augmenter encore le niveau technologique ? Il semble aux dires de certains qu’il puisse y avoir des capacités aux performances jugées insuffisantes… Mais en est-on si sûr ? L’existant est d’un bon niveau, on l’a dit ; et la force Scorpion à venir sera très performante : aptitude au combat collaboratif, intégration poussée, info-valorisation… Il n’y a objectivement pas besoin d’en faire plus pour le moment. L’industrie aurait sans doute tort de vouloir profiter de la situation pour pousser à la surenchère technologique, dont on sait qu’elle peut se révéler exagérément coûteuse. Les forces terrestres veulent raisonner leur remontée en force principalement en termes de quantité et de complétude du spectre capacitaire. Ce qu’il faut en revanche, pour éviter à moyen terme une « redescente en puissance », c’est lancer des études sur un certain nombre de sujets dont on pressent qu’ils conditionneront la puissance d’une force terrestre de demain : capacités cyber du champ de bataille, robotique, soldat « augmenté », armes à énergie dirigée… C’est dans ce registre que l’industrie doit s’inscrire comme une force de proposition et se mettre en situation d’éclairer l’avenir. Revoir les cibles d’équipements du Livre blanc. Il ne sert à rien d’augmenter les effectifs si on n’est pas capable de les équiper : un soldat sans arme, sans communications et sans véhicule est un soldat inutile. Il y a ainsi des capacités trop peu nombreuses, celles dont les cibles en ligne et en parc ont été drastiquement réduites au gré des arbitrages financiers. Ces parcs en trop faible quantité sont connus : véhicules de transport, petits véhicules protégés, armement léger, stocks de munitions, moyens radio…
L’opération Sentinelle a d’ailleurs très vite mis en lumière ces déficits ; des achats en urgence ont dû être lancés. C’est bien dans le bas de gamme que l’effort doit être pour le moment consenti, car l’urgence est sur le théâtre national, dans un contexte où la haute technologie est un moindre besoin. Augmenter la disponibilité La question de la quantité disponible repose aussi sur les moyens alloués au maintien en condition opérationnelle. Le MCO avait été en partie sacrifié lors de la LPM précédente ; l’effort qui lui a finalement été consenti dans la LPM en cours n’a que partiellement comblé le déficit. Le phénomène est particulièrement criant pour les aéronefs. La remontée en puissance doit donc également pouvoir s’appuyer sur une augmentation significative des ressources (financières et humaines) allouées à l’entretien programmé des matériels (EPM). Les seuils de la disponibilité technique opérationnelle (DTO) doivent être atteints en permanence, et pas uniquement sur les théâtres d’opérations. L’industrie a naturellement vocation à prendre part à cet effort auquel elle se prépare activement, en particulier en renforçant et en diversifiant son offre de services. Pas d’effort capacitaire sans effort budgétaire. Cet effort capacitaire global (manques comblés, parcs augmentés, disponibilité améliorée) dépendra des moyens qui lui seront consentis. Des investissements et des crédits sont bien sûr attendus en conséquence : ils permettront de financer les études destinées à préparer l’avenir, d’acheter des compléments de parcs, de relancer certains programmes. Le politique ne doit pas croire que la remontée en puissance peut se contenter d’un discours fort et s’exonérer d’un investissement financier adapté. La volonté seule ne suffira pas ; elle doit être accompagnée d’engagements économiques déterminés… et non remis en cause. L’atteinte de la barre des 2 % du PIB, question largement exposée par ailleurs dans ce dossier, apparaît bien comme la condition sine qua non de l’effort à accomplir. La « menace » de la dissuasion… Un risque pointé du doigt par plusieurs observateurs est celui d’un effet d’éviction (ou de captation de ressources) dû aux forts besoins à venir de la dissuasion. Ce risque est réel : le renouvellement de la composante océanique et la modernisation de la composante aérienne vont générer de forts besoins d’étude et de développement dans la décennie à venir. Une tentation pourrait être celle de ponctionner les crédits destinés au « conventionnel » pour abonder ceux de la dissuasion, « sous enveloppe ». Une vigilance s’impose donc : conserver un équilibre raisonnable pour ménager le seuil de crédibilité de notre force de frappe sans altérer celui de nos moyens conventionnels. Une remontée en puissance ne peut se concevoir sans un effort capacitaire de grande ampleur, destiné à gommer les renoncements consentis les années antérieures sous la pression budgétaire. Le mérite des arbitrages des LPM passées est d’avoir su limiter ces renoncements de manière à conserver non seulement un modèle « quasi-complet », mais une base industrielle elle aussi « complète », c’est à dire qui maîtrise les savoir-faire technologiques et les outils de production permettant de rehausser l’ensemble des capacités de nos armées. Aujourd’hui l’industrie du domaine terrestre est convaincue qu’elle peut utilement accompagner l’armée de terre dans ce grand défi qui est celui de la remontée en puissance. Elle sait que l’effort sera long, qu’il nécessitera détermination et investissement. Elle est disposée à relever ce défi et paraît en situation d’y faire face pour gagner. A condition que l’effort que la nation souhaite consacrer à la remontée en puissance de sa défense soit réel et durable.
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