« Cette colonie de vacances sans moniteur ne suffit pas alors qu’on a besoin d’un véritable sursaut »
...par le Gal. Christian Houdet - Le 21/10/2019.
Gabrial Attal, secrétaire d’État en charge de la Jeunesse, a annoncé qu’environ 30.000 jeunes participeraient, l’an prochain, à la deuxième édition du service
national universel (SNU). On en attendait 40.000. Réaction du général (2s) Christian Houdet.
Ils devaient être 40.000. Ils seront finalement 30.000 à suivre le
service national universel (SNU). Peut-on conclure à un succès modéré ?
C’est une bonne idée de motiver les jeunes, alors qu’on subit une véritable décohésion nationale. C’est une bonne idée d’élargir ce test à tous les départements en prenant des volontaires
provenant de toute la France.
Toutefois, cette montée en puissance n’est pas budgétisée. Et c’est là que le bât blesse. On prévoit 30 millions d’euros sur le projet de loi de finances au ministère de l’Éducation
nationale, alors que si on devait avoir l’argent pour 30.000 hommes et femmes, il en faudrait le double.
Les prévisions sont donc sous-évaluées. J’ai l’impression qu’on ne va pas aussi vite que prévu.
L’intégration de 800.000 jeunes au SNU avait été évaluée à 1,5 milliard. Tout le monde sait que cette enveloppe est largement sous-estimée. Je ne vois pas, donc, comment on pourra faire si,
dès à présent, on ne met pas les budgets sur la table. Je ne vois pas comment l’Éducation nationale va consacrer de l’argent sur cette affaire-là, alors qu’on ne lui en rajoute que très peu.
On a vu les uniformes et on en a eu l’idée générale, mais
concrètement, on a très peu d’éléments. À quoi ces jeunes seront-ils occupés et quelle sera la mission des encadrants ?
S’agissant de l’encadrement, l’armée de terre va être mise à contribution alors qu’elle est déjà suremployée, éreintée et sous-équipée, comme l’a dit le chef d’état-major des
armées.
En outre, cela fait renaître un petit courant antimilitariste. Cet aspect du SNU ne fait, en effet, pas l’unanimité parmi les syndicats et autres associations de jeunes. Avons-nous vraiment
besoin de faire renaître cette flamme antimilitariste au moment même où les soldats font beaucoup d’effort pour protéger le territoire national ?
Considérez-vous que le jeu n’en vaut pas la chandelle ?
Je ne dirai pas cela. C’est mieux que rien. Pour autant, on ne met pas le paquet prévu. Cette colonie de vacances sans moniteur ne suffit pas. On a besoin de quelque chose de
solide, dans un contexte de surchauffe d’une France qui s’archipélise et d’une insécurité qui augmente.
Ça ne suffit pas, il faut beaucoup plus.
De formation militaire, financière et diplomatique, s'appuie sur une trentaine d'années d'investigations en sciences sociales et
relations internationales.
Le Service National voire Universel d'évaluation des résultats de l'Education Nationale a d'abord fait parler de lui par l'évanouissement simultané de dizaines
de mineurs livrés sans encadrement compétent à des coups de chaleur collectifs. Plus récemment, ledit service bénévole a enfin atteint la célébrité grâce aux dizaines de milliers d'euros
dépensés par le gouvernement en communication publirédactionnelle diffusée par trois blogueurs plus ou moins professionnels dont les services ministériels envient l'audience.
Sur le fond, on ne peut pas être opposé à l'idée de faire évaluer massivement, et sinon universellement du moins au niveau modestement national, les résultats
du "grand service public unifié laïc d'enseignement" par ses jeunes usagers, plutôt que par quelques auditeurs seniors d'un grand cabinet d'études et de conseil. A condition qu'on les dote de
grilles d'analyse pertinentes, les jeunes récemment issus de l'enseignement secondaire doivent être capables d'apprécier leurs niveaux, et les taux dans leur classe d'âge, d'alphabétisme, de
formation, de développement physique et pratique sportive, d'employabilité, d'intégration sociale, de cohésion sociale et territoriale, de charité ou altruisme, d'acceptation et de pratique de la
mixité culturelle, sexuelle et raciale, de sentiment d'appartenance, de civisme, de nationalisme etc.
Compte tenu d'une part de l'importance de tous ces éléments pour la maintenance d'un minimum de cohésion et de valeur du tissu social (en clair pour la
solidité de la société), et d'autre part de l'ampleur, au moins en apparence, de l'échec général du système public d'éducation, on comprend que le gouvernement puisse estimer nécessaire, à ce
stade, de mobiliser toute une classe d'âge pendant plusieurs semaines pour évaluer les résultats de sa politique en la matière.
On peut cependant espérer que cette mobilisation sera unique et pas renouvelée chaque année, les résultats collectés en 2019 devant permettre de dresser un tableau
suffisamment exhaustif des défaillances. On ne croira évidemment pas qu'il puisse être donné un contenu réparateur, ni même palliatif, en quelques semaines à cet immense déficit d'éducation que
fera apparaître l'évaluation massive en cours.
Surtout, si les peuples de France étaient consultés, ils ne pourraient pas éviter de relever le coût extrêmement élevé de cette opération d'évaluation populaire,
qui ne pourrait être justifié que si le régime envisageait sérieusement d'en tirer des conclusions constructives d'une part pour remplacer sa politique de diversification (éloge et recherche
de la diversité) par une politique d'assimilation (développement de la similitude), et d'autre part pour reconstruire en profondeur un véritable système d'éducation nationale.
« SNU : la volonté de tenir la promesse du Président Macron risque de coûter très cher à la France »
...par le Gal. Vincent Desportes - Le 26/06/2019.
Le service national universel est maintenant en place un peu partout
sur le territoire. Que pensez-vous des premiers pas de ce service national ?
Ce sont les premiers. Il est donc beaucoup trop tôt pour en conclure quelque chose.
Pour l’instant, cette première étape n’a rassemblé que des personnes volontaires et prêtes à respecter les consignes qu’on allait leur donner, et la manière imposée de vivre
ensemble.
Au début, les choses paraîtront relativement faciles. En revanche, quand on passera à une phase d’application générale, il est probable que les difficultés seront d’une autre nature.
Certains élus, plutôt à gauche de l’échiquier, se sont émus de voir
des photos de jeunes en uniforme. Des sous-entendus ont été faits sur certains rappels de l’Histoire à propos du totalitarisme. Ces craintes sont-elles fondées ?
L’uniforme n’est rien en lui-même, sauf le rappel d’une appartenance à une entité. C’est facile de critiquer. Je ne suis pas surpris que certains voient là matière à critique. Je pense, au
contraire, que l’uniforme a de grandes vertus. Il permet, en particulier, de dépasser l’état social des différents participants pour les remettre dans leur simple humanité.
L’uniforme est une bonne chose. On voit d’ailleurs que, dans les entreprises, on revient aux marques d’appartenance. Le but est de recréer un sentiment d’appartenance à la nation. L’uniforme
peut être un outil utile dans ce sens.
Libération a sorti un reportage photo d’une journée du SNU dans un centre scout du nord de
la France. Avec un point de vue extérieur, on a un peu l’impression que cela ressemblerait à une sorte de camp scout laïc. Il recopierait certains aspects du scoutisme avec un caractère un
peu plus festif. Est-on sur une copie de structure qui existe déjà ?
Vous avez raison. Pour l’instant, l’affaire n’a pas trouvé ses marques précises. On est entre une affaire pseudo-militaire et une colonie de vacances. Le fait que ce soit dans un camp scout
n’est pas extrêmement surprenant. On n’a pas à tout réinventer. La façon dont les jeunes se retrouvent dans les colonies ou dans les camps scouts est très bien.
Aujourd’hui, cela ressemble davantage à une colonie qu’à un outil de véritable formation.
À ce stade, on peut se demander si, en France, nous n’avions pas déjà des outils existants.
Le service civique fonctionne bien en France. Il était probablement capable de rendre une grande partie des services qu’on attend du SNU.
On peut critiquer le SNU sur son coût d’opportunité. Les sommes d’argent importantes investies dans le SNU sont-elles bien là ?
Nous avions un certain nombre de structures, dont le service civique, qui aurait pu être réformé et agrandi. Il aurait probablement fourni des résultats au moins égaux, voire supérieurs.
Craignez-vous qu’on soit face à un coup de com’ onéreux ?
Je ne crois pas que ce soit un coup de com’. C’était un engagement du Président Macron. Il s’est retrouvé piégé par son engagement. On sait que cet engagement a, dès le début, déplu aux
militaires.
Il n’en reste pas moins le problème de la parcellisation. Certains appellent cela l’archipellisation de la France, comme le dit M. Fourquet. Il faut non seulement retarder ce mouvement
d’archipellisation, mais surtout le bloquer. L’idée de recréer du bien commun et de réinsérer les Français dans leur nation est une bonne idée. Je ne pense pas que ce soit une affaire de
com’.
Au moment de la campagne, c’était de la communication. Le Président Macron s’est ensuite trouvé piégé par cette affaire-là. Il l’avait annoncé sans vraiment avoir analysé toutes les
conséquences, et en particulier financières. Il délivre une de ses promesses. On verra jusqu’où on ira.
J’espère que la volonté de tenir la promesse ne coûtera pas très cher à la France par rapport à ce que cela apportera en termes de recréation du lien social.
...par le Col. Jean-Jacques Noirot - le 24/06/2019.
Revoilà le SNU, paré des vertus et de la morale républicaines. Or, la république est, semble-t-il, aux abois.
Sur une chaîne d’infos en continu, quatre éminents journalistes et commentateurs ont donné leur avis sur ce SNU expérimenté sur un échantillon de volontaires
disséminés dans toute la France. Sur les quatre protagonistes du studio, deux avaient fait leur service national du temps de la conscription. L’un d’eux l’a effectué dans le cadre de la
coopération. Cet honnête conscrit à la mode piston était un peu gêné de nous dévoiler ce secret dont il ne s’est jamais vanté. L’autre a été « trouffion » (c’est son terme) dans
les camps de Champagne. C’est là sa gloire. Il n’a retenu que trois choses de son passage sous les drapeaux : Il était le seul intellectuel du groupe (?), il n’y avait pas, en ces temps
d’horreurs, de brassage social associé aux treillis (ce qui n’est pas exact, par la simple diversification des plans d’abonnement) et enfin, c’est le plus savoureux, les officiers
étaient des bourgeois. Ravis de l’apprendre de la part d’un tailleur de croupière gauchisant.
Nous avons compris qu’avec ce duo de hauts lutteurs parfaitement au fait de la chose militaire, nous allions assister à une séance d’information de haut
niveau et découvrir enfin, sous l'éclairage de leur immense expérience, les vertus d’un SNU porté sur les fonts baptismaux par la miraculeuse volonté quasi pontificale d’un président
requinqué par des résultats électoraux savamment ripolinés.
Les arguments de surface ont été développés à l’envi par nos deux bouillants anciens combattants des tranchées universitaires. Ils n’ont rien eu à nous offrir que
de vaseuses considérations sur les bienfaits d’une mixité que notre société est incapable de produire au quotidien. Ils en ont rajouté sur l’apport inestimable qu’auront la montée
des couleurs et la Marseillaise chantée chaque matin en guise de préambule aux activités ultra motivantes proposées par des professionnels du dégourdissement. Au total, pour nos deux
chevaliers du quartier en libre-service, cette initiative n’est rien moins que judicieuse et adaptée, même si son coût et les moyens et infrastructures nécessaires à son organisation à grande
échelle pourraient poser problème, tout comme leur parait très incertaine son application, sans souffrir d’exception, à toute une classe d’âge. Pour faire court, ils trouvent
l’idée séduisante mais la mise en œuvre utopique. Et puis, 2026, c’est loin….
Les deux jeunes femmes journalistes, qui, elles, n’ont rien vécu de semblable, ont été les plus pointues dans l’analyse des questions soulevées par ce
SNU. Ce fut le plus surprenant, et finalement le plus réconfortant. Elles ont unanimement fait ressortir que ce recours à un service national n’était que la conséquence de la faillite de
notre système éducatif et de la déconfiture de la cellule familiale. Elles ont de plus souligné que les parents des actuelles et futures victimes de la promesse présidentielle étaient
complètement court-circuitées. Rappelons que ses enfants, convoqués sans possibilité de refuser d’obtempérer, sont et seront tous mineurs. Non sans malice, et s’appuyant sur les
premières images de la propagande gouvernementale, elles ont fait remarquer que pour un SNU se voulant non militaire, l’uniforme floqué, l’ordre prévalant dans les rassemblements, les
déplacements comme dans les cérémonies matinales rappelaient qu’il n’est de vertu éducative pour une vie en collectivité qu’inspirée d'un modèle militaire un tant soit peu rigoureux.
Effectivement, s’il y a une ombre portée dans cette construction artisanale, c’est celle des soldats. Nos deux astucieuses journalistes s’en sont tenues objectivement à ces aspects
suffisamment importants, dont elles ont développé, à raison, les conséquences. Par contraste avec les deux anciens appelés au banquet platonicien de la lutte armée, elles ont été largement
les plus pertinentes, les plus convaincantes, donc les meilleures.
Cependant, coincés dans l’obligation de rester dans la ligne du politiquement correct, bridés dans leur argumentation, ce quatuor d’inégale pertinence n’a pas
fait pression là où ça fait mal.
La jeunesse de France, pour ces analystes affligés de myopie, serait la même partout. Il n’y aurait aucune différence entre celle qui aime son pays parce qu’elle a
avec lui le lien sacré du sang à travers les âges, et celle qui l’indiffère, voire ne l’aime pas parce qu’elle est issue d’une autre culture, entretenue dans un milieu familial qui se refuse à
rejoindre le creuset de la collectivité nationale. Un jeune dealer des quartiers nord de Marseille, ayant depuis belle lurette déserté les bancs du collège pour s’adonner à son lucratif
trafic serait le même que celui qui travaille pour réussir grâce à ses diplômes ! Un jeune décervelé par une emprise familiale qui le pousse à la contestation et à la révolte violente serait
le même que celui dont les parents lui ont appris les règles de la politesse, de la bonne éducation, du savoir vivre et du savoir être. Tout le monde au SNU, connu ou inconnu des
services de police, bien ou mal élevé, droit ou tordu !
Surtout, les fureurs religieuses et leurs signes extérieurs n’ont pas été abordés. Les exigences musulmanes en matière d'alimentation ont été évacuées, la
discrimination homme-femme jamais évoquée. Les promoteurs du SNU moralisateur ont créé, à l’usage exclusif de nos oreilles de sourds et nos yeux de borgnes, une jeunesse surréaliste de bisounours
obéissants, prête en deux fois quinze jours à passer de la ténébreuse nonchalance calculée d’une adolescence gavée, impolie, irrévérencieuse et en mode internet continu à la lumière
écologique, patriotique et citoyenne éclairant des relations humaines épanouies et conviviales inondant d’un ineffable bonheur les lendemains radieux d’une France enchantée. On croit
rêver.
Le SNU est un révélateur de nos insuffisances, de nos abandons et de nos illusions.
Par les buts, discutables, qu’il prétend poursuivre, il est un aveu de faiblesse et un désaveu de nos pratiques courantes en matière d’éducation, de
relations humaines et de justice.
Le SNU est le symbole du déni qui obsède les faux monnayeurs de la conscience collective. Il ne résoudra rien si notre système éducatif ne change pas (de
ce côté, il y a quand même une lueur d’espérance), si nos lois n’évoluent pas vers moins de candeur et plus de fermeté, si la République se contente sottement d’être l’apôtre rigide
d'une laïcité sans âme. Elle doit donner aux citoyens adultes ordinaires la possibilité de s'ériger partout et par toutes sortes de manières, auprès de la jeunesse, en premiers et libres
défenseurs des fondements démocratiques et des vertus de l'unité et de la cohésion nationale au lieu de les contraindre, par la loi, au silence apeuré des agneaux.
S’il en était ainsi, l’idée même d’un SNU, qui en aucune façon s’attaque aux maux qui nous dévorent, n’aurait pu effleurer un esprit républicain.
Ça y est, c’est parti, le nouveau Service national universel (SNU) est lancé. Il comprendra donc deux phases. La
première consistera, selon le jargon officiel «en une occasion de vie collective permettant à chaque jeune de créer
des liens nouveaux, d’apprendre une façon neuve de vivre en commun, et de développer sa culture d’engagement pour affermir sa place et son rôle au sein de la
société». En clair, il s’agit d’un internat de deux semaines vers l’âge
de 16 ans, suivi quelques mois plus tard d’un projet de groupe de deux semaines également. Dans une deuxième phase, chaque jeune sera encouragé à poursuivre volontairement une
période d’engagement d’au moins trois mois, dans un service public ou un organisme d’intérêt public.
Revenons sur la première phase. La ministre des Armées (pourquoi elle au fait ?) l’a décrite l’an dernier
comme «Une période, où les jeunes vivront ensemble, apprendront à se connaître, se comprendre, s’apprécier, quelles que
soient leurs origines, leurs croyances ou leurs orientations. Ce sera utile pour notre jeunesse». Cela ne vous rappelle rien?
Edmont Cottinet a créé la première colonie de vacances en 1880. Dans son esprit, ce centre collectif au grand air était destiné à
l’autonomisation des enfants et surtout à l’apprentissage du vivre-ensemble (ou parlait alors de fraternité). Cette idée a très vite été reprise par différentes communautés religieuses,
politiques ou même des entreprises, jusqu’à toucher des millions d’enfants dans les années 1950, puis de décliner en même temps que tous les groupes qui avaient des projets de
société.
Voici donc en 2019 qu’après avoir annoncé un service national obligatoire de plusieurs mois (avec une formation
militaire) pour les jeunes adultes, on a abouti à des colonies de vacances pour adolescents organisés par l’Etat. Pourquoi pas, mais commençons par admettre qu’il ne peut s’agir là d’un service
national, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas de service rendu à la nation. Les différentes formes de services, dont le militaire, consistaient, après une formation initiale à un
«retour sur investissement» de quelques mois, voire de plusieurs années dans le cadre des
réserves. Que cela ait pu constituer une «occasion de vivre ensemble» et contribuer à la
formation de la citoyenneté n’était qu’un effet induit de l’affaire, non son objet premier.
Ajoutons qu’à l’agonie du service national dans les années 1990, en même temps que celle des colonies de vacances,
le quart seulement d’une classe d’âge effectuait sa composante militaire. Les filles, sauf de rares volontaires, étaient exemptées et les fils des milieux aisés disposaient de nombreux biais pour
y surseoir ou effectuer un service dans des conditions plus confortables. Les bienfaits du «vivre ensemble» apparaissaient alors donc plutôt comme un impôt supplémentaire imposé aux garçons de la «France d’en
bas». On notera au passage que tous les actuels promoteurs et défenseurs des vertus du SNU, hommes et femmes et le président de la République en
premier lieu, auraient pu effectuer en leur temps le service national s’ils l’avaient voulu. Aucun ne l’a alors jugé digne de lui.
Le SNU n’apporte pas grand-chose à la nation dans sa phase obligatoire. La réunion «obligatoire et universelle» de mineurs à des fins d’apprentissage, que ce soit dans un collège ou en plein air,
n’est pas un service, mais un projet éducatif, ce qui relève donc pleinement du ministère de l’Éducation nationale (et en aucun par exemple des militaires ou alors pourquoi pas des juges, des
gardiens de prison, des préfets, des policiers, des chargés de mission de l’Élysée, etc.).
On cherche ensuite ce qui, durant ces quinze jours de vie collective, ce qui ne pourrait être appris au Lycée. On ne trouve que deux
choses. La Marseillaise, le respect au drapeau et l’uniforme d’abord, non que cela soit techniquement impossible de le faire au lycée, mais on comprend bien que cela y traumatiserait une partie
du corps enseignant, pas seulement lui d’ailleurs.
Au-delà de cette innovation, qui sera toujours subtilement discutée sur les réseaux sociaux, le cœur du projet de société est de faire dormir dans un dortoir et hors de chez eux des adolescents pendant quatorze jours. On est loin de la «levée en masse» de 1793 et il faudra quand même expliquer un minimum scientifiquement, par quel processus on
ressoudera la nation avec ce qui est plutôt un «coucher en masse». Ce qui pouvait créer de la
cohésion dans un régiment d’appelés, ce n’était pas le dortoir, mais les épreuves, les marches, les entraînements, le froid, bref des choses difficiles à faire ensemble pendant des mois. Il y a
peu de chances que l’on mette les futures classes de jeunes à l’épreuve et c'est tant mieux. Passons rapidement sur le projet découverte de
deux semaines qui suivra ce petit internat, guère différent des stages qui peuvent exister.
Si on ne voit pas très bien ce que tout cela apportera de nouveau, on voit bien en revanche ce que cela affaiblira, car
tout cela sera très cher. Il est question d’un budget annuel de 1,5 milliard d’euros pour la phase obligatoire du SNU, sans compter les dépenses d’infrastructure initiales. Et cet argent
sera forcément ponctionné quelque part, soit dans la poche des contribuables, soit dans les autres ministères. Comme cette dernière hypothèse est la plus probable, on peut déjà annoncer que les
services publics verront leurs moyens réduits par le SNU. On peut imaginer aussi que le bilan «cohésion sociale» ne sorte pas en positif de cet arbitrage.
Le service national universel pouvait être un vrai projet ambitieux et un vrai projet de société, mais en réalité, il
n’y avait sans doute que deux voies cohérentes. La première était le retour à une forme de service national élargi à l’ensemble du service public. Cela supposait de surmonter l’interdiction
juridique du travail forcé pour les adultes et bien sûr de traquer les inévitables resquilleurs, condition sine qua non de la justice de ce service. L’effort était considérable,
mais on peut imaginer qu’un renfort de 800000 jeunes aurait pu être utile à des services publics en grande difficulté.
La seconde consistait à s’appuyer sur l’existant. On fera remarquer combien la définition de la troisième phase du
SNU : «Un engagement de trois mois au moins, exclusivement volontaire, dans nos armées, nos forces de police, chez
nos pompiers, nos gendarmes, dans des collectivités ou encore dans les associations» ressemble étrangement à celle du Service civique un peu élargie. Or, chaque contrat, rémunéré, de
Service civique de 6 à 12 mois coûte moins du double de ce que coûteront les quinze jours d’internat de chaque jeune «rassemblée». On peut concevoir que le premier investissement public serait incomparablement plus utile et
rentable pour l’individu et la nation que le second. On pourrait évoquer aussi bien sûr les autres serviteurs volontaires, comme les pompiers ou les réservistes aux ministères
des Armées ou de l’Intérieur, et imaginer ce que l’on pourrait y faire avec 1,5 milliard d’euros;
Au final, on ne pouvait pas s’appuyer sur l’existant, car il fallait concrétiser à tout prix un engagement de campagne et on a
reculé devant l’ampleur de l’œuvre qui aurait été nécessaire pour revenir à un vrai Service national. On a donc préféré accoucher d’une très coûteuse souris qui sera très vite chassée de
tous les côtés.
Le Service national universel voulu par Macron démarre ce dimanche
Le 16/06/2019.
2000 jeunes de 15 ou 16 ans ont été sélectionnés dans 13 départements pour participer à cette session-tes du nouveau Service national universel,
censée durer 12 jours.
A partir de dimanche, et pour une dizaine de jours, 2.000
jeunes de 16 ans vont expérimenter la concrétisation d’un projet cher au chef de l’Etat : un Service national universel
(SNU), doté d’objectifs très ambitieux, et que devront accomplir à terme tous les jeunes.
Le SNU est une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Un secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer,
Gabriel Attal, a été nommé en octobre 2018 pour piloter ce projet.
Pour cette première édition, à échelle réduite, 2.000
volontaires de 15 ou 16 ans ont été sélectionnés – sur 4.000 candidats -, dont
50 en situation de handicap.
Ils ont été répartis sur 13
départements, un par région métropolitaine auxquels s’ajoute la Guyane, et seront
hébergés dans des "centres SNU" (internats, centres de vacances, Crous etc.). Et encadrés par 450 adultes.
Leurs frais de déplacement sont pris en charge par l’Etat. Aucun des volontaires n’effectue ce séjour SNU dans son département.
Lycéens, décrocheurs, apprentis…
Les jeunes sont des lycéens, des décrocheurs scolaires, des apprentis, des élèves en CAP. Après cette première phase en hébergement collectif,
ils devront
réaliser une mission d’intérêt général cet été ou durant l’année scolaire 2019–2020 : deux semaines, d’affilée ou pas, au sein d’une association, maison de
retraite, services de pompiers…
Quatre objectifs ont été rattachés au
SNU : "développer une culture de l’engagement" pour "accroître
la cohésion et la résilience de la nation", "garantir un brassage social et territorial de l’ensemble d’une classe d’âge", "renforcer l’orientation en amont et
l’accompagnement des jeunes dans la construction de leurs parcours personnel et professionnel" et enfin "valoriser les territoires et leur patrimoine culturel".
Ses opposants, dont les organisations étudiantes, y voient surtout un coût faramineux, alors
que l’enseignement supérieur par exemple crie misère. Et elles s’interrogent sur la réalité d’une meilleure "cohésion" de la nation par la grâce de deux semaines
passées en commun.
Uniforme et Marseillaise
"Nous partageons les constats du gouvernement sur le manque de mixité sociale mais nous pensons que le SNU n’est pas la bonne réponse", déclare
Orlane François, à la tête de la Fage, premier syndicat étudiant.
"Deux semaines en caserne, ça peut séduire une partie de la population, nostalgique du service militaire, mais pas les jeunes qui sont quand
même les premiers concernés".
Uniforme (bleu marine, deux cocardes), levée
des couleurs, chant de la Marseillaise à 8 heures, hébergement en maisonnée regroupées par cinq au sein d’une compagnie… Le SNU adopte un vocabulaire propre à
l’armée.
Le dispositif est appelé à se généraliser au fil
des ans à l’ensemble d’une classe d’âge,
soit 800.000 adolescents. L’an prochain, il sera étendu à 40.000 jeunes.
Le gouvernement n’a jamais donné de chiffre précis sur le budget total de ce dispositif. Le secrétaire d’Etat
Gabriel Attal évalue toutefois à 2.000 euros par jeune le coût des 12 jours passés en hébergement collectif, cette année. Rapporté à 800.000 personnes, le budget
serait donc, à terme, d’au moins 1,6 milliard d’euros par an.
Au programme de ces 12 jours : activités physiques en pleine nature, visites de sites, témoignages d’autres engagés, sensibilisation aux
valeurs de liberté, égalité et fraternité, connaissance des principaux services publics, module d’initiation au code de la route.
Avec pour fils rouges l’engagement
et le développement durable, selon le ministère de l’Education.
Les jeunes suivront également deux modules obligatoires, d’une journée chacun : "sécurité"
et "défense et mémoire". Et assisteront à quatre rendez-vous dans chaque centre SNU : le match de la Coupe du monde féminine de
foot France-Nigéria le 17 juin, la commémoration de l’Appel du 18 juin, la fête de la musique le 21 et la cérémonie de clôture le 28.
2000 € par jeune pour 12 jours...pour assister à un match de foot et à la fête de la musique...!
Vive les jolies colonies de vacances... <<C'est pas cher, c'est l'Etat qui paie...!>>
JMR
Le service national universel : le caprice d’un homme qui ne croit plus à la France
...par Philippe Kerlouan (écrivain) - le 17/01/2019.
Pour mettre en œuvre un projet aussi contesté que le service national universel, il fallait à Macron un fidèle, qui ne se pose pas trop de questions et applique à
la lettre ses directives. Gabriel Attal, le secrétaire d’État à la Jeunesse, semble être de cette trempe. S’il n’est pas sans talent, il n’est pas, non plus, sans ambitions : son parcours
témoigne qu’il a toutes les qualités pour intégrer ces « premiers de cordée » chers à notre Président. Si l’on ajoute sa proximité avec Benjamin Griveaux et Christophe Castaner,
également issus du Parti socialiste, on comprend que cette tâche lui ait été confiée.
Gabriel Attal a donc présenté, ce mercredi, les contours du futur SNU, qui entrera dans sa phase expérimentale, dans treize départements, à partir de juin 2019.
Dans un premier temps, il concernera environ 200 volontaires par département, avant de s’adresser à tous les jeunes de 16 ans. Le secrétaire d’État, dans un entretien au Point, revient sur certains de ses aspects.
Premier argument : « Le service national
universel est un engagement de campagne du président de la République. » Et alors ? Ce n’est pas faire injure à Emmanuel Macron que d’estimer que cet engagement n’a pas
beaucoup compté dans le vote de ses électeurs. La question est de savoir si c’est utile.
Second argument, plus solide : « Il répond à un
constat sans appel : la jeunesse manque d’un moment de mixité, de cohésion sociale et territoriale, autour des valeurs de la République. » Sans doute : encore faudrait-il
en analyser les causes et prouver que les modalités du SNU permettront d’y remédier.
On peut douter qu’une période d’engagement d’un mois, composée de deux semaines d’internat avec des activités citoyennes, et de deux semaines auprès d’une structure
d’intérêt général, suffiront à renforcer la cohésion sociale et l’adhésion aux valeurs de la République. Le temps est beaucoup trop restreint : si la cohésion sociale et territoriale pouvait
naître de quinze jours de vie commune, cela se saurait. Par souci d’égalité, « il n’y aura aucune
exception ». L’ensemble des situations particulières sera pris en compte pour « garantir la participation de tous » (handicap, jeunes travailleurs, jeunes
parents), « car il y en a, même à 16 ans ». C’est oublier qu’au temps
du service militaire obligatoire, il existait des exemptions ou des dispenses justifiées, elles n’étaient pas toutes dues au piston. Emmanuel Macron, qui faisait partie de la dernière classe
avant la mise en place de l’armée de métier, n’insista pas pour faire son service…
Quant aux « apprentis », il leur sera utile d’acquérir des « compétences transverses », comme « savoir travailler dans une dynamique collective » ou « prendre conscience de l’utilité d’être à l’heure ». Ce sont, certes, des qualités
nécessaires dans le monde du travail, mais s’il faut attendre ce mini-service pour apprendre à être à l’heure, cela risque d’être bien tard. Le retard et l’absentéisme ne se constatent pas
seulement chez les apprentis. Le ministère de l’Éducation nationale envisage, d’ailleurs, des mesures financières contre les familles dont les enfants sécheraient trop souvent
l’école.
Malgré les réticences de l’armée, qui estime qu’elle manque déjà de moyens pour ses missions de Défense, « les militaires seront présents dans le SNU ». On apprend aussi que la journée commencera
par le salut au drapeau et le chant de l’hymne national : « Ce moment de
communion républicaine est important. » Mais on peut douter que cette cérémonie, fût-elle répétée quinze fois, suffise à inculquer à tous les jeunes Français l’amour de leur
patrie. D’autant plus que le chef de l’État, plus mondialiste que patriote, ne leur en donne pas toujours l’exemple.
En avant doute ! Ou comment réinventer les colonies de vacances.
...par le Col. Michel Goya - le 06/08/2018
Le 27 juin dernier ont été dévoilés enfin les grands principes projet de Service national universel (SNU), aboutissement
d’un long processus de réflexion initié par une promesse de campagne aussi ambitieuse qu’hasardeuse. Ce SNU comprendra donc deux phases.
La première, dans le prolongement du parcours citoyen déjà existant, consistera, selon la présentation
officielle« en une occasion de vie collective permettant à chaque jeune de créer des liens nouveaux, d’apprendre une façon neuve de vivre en commun, et de développer sa culture
d’engagement pour affermir sa place et son rôle au sein de la société ». En clair, il s'agit d'un internat (en traduisant comme tel « l’occasion de vie
collective ») de deux semaines, vers l’âge de 16 ans, suivi quelques mois plus tard d’un projet de groupe de deux semaines également. Dans une deuxième phase, chaque jeune sera encouragé à poursuivre volontairement une période d’engagement d’au moins trois mois, dans un service public ou un
organisme d’intérêt public.
Revenons sur la première phase. La ministre des Armées la décrit comme « Une période, où les jeunes vivront
ensemble, apprendront à se connaître, se comprendre, s’apprécier, quelles que soient leurs origines, leurs croyances ou leurs orientations. Ce sera utile pour notre
jeunesse ».Cela ne vous rappelle rien ?
Les colonies de vacances ont été créées en France en 1880. La France de l’époque est un pays meurtri par la guerre et la
défaite. C’est aussi une société tendue. Après le développement industriel du milieu du siècle, le pays est entré dans un long cycle de stagnation économique qui double celui de la stagnation
démographique. Les tensions sociales se doublent de réactions identitaires tant dans les régions, qui réinventent leurs cultures que dans les classes populaires pénétrées par des vagues
d’émigration européennes. La République est fragile, laïc et religieux s’affrontent. En 1886, La France juive d’Edouard Drumont est un best-seller. En 1892, les Anarchistes commencent à multiplier les
attentats terroristes tandis que l’Allemagne reste menaçante.
Il apparaît alors nécessaire à beaucoup de souder la nation afin de la rendre plus forte. On ne dit qu’il faut
« faire France » car les gouvernants parlent un bon français mais l’idée est déjà bien là. On pourrait même dire que l’on veut
faire « République française » en organisant avec les lois Ferry,un système d’enseignement centralisé gratuit, laïque et obligatoire. Il s’agit bien d’éduquer mais aussi de former des
citoyens français, parlant la même langue et partageant les mêmes valeurs dont l’amour de la Patrie. Au bout du processus, le service militaire obligatoire et universel qui se met en place à la
même époque s’inscrit dans la même démarche de formation complète tout en constituant éventuellement la concrétisation ultime de l’acte citoyen : la mise en danger de sa vie pour protéger la
France.
C’est dans ce cadre qu’apparaissent aussi en France les colonies de vacances, sous l’impulsion d’Edmond Cottinet.
Dépassant les conceptions hygiénistes initiales (sortir les enfants des villes insalubres pour les amener au grand air chez de la campagne), Cottinet conçoit un centre collectif géré par un
personnel spécialisé et destiné à l’autonomisation des enfants et surtout l’apprentissage du vivre-ensemble (ou parle alors de fraternité). Cette idée est très vite reprise par les communautés de
la société civile. On voit donc fleurir des colonies catholiques, protestantes, juives, socialistes (les Faucons rouges), d’entreprises, etc. Le développement est exponentiel, touchant des
millions d’enfants dans les années 1950. Sur un projet proche mais plus ambitieux et un spectre d’âge plus large, le scoutisme connait un développement similaire au cours du
XXe siècle.
Ce grand projet de vie en groupe au grand air a ensuite décliné avec une accélération forte dans les années 1990, époque
où le service national partait lui-même en lambeaux avant de mourir. Les raisons de cette désaffection sont complexes, l’effacement des grandes institutions à « projet de société »,
religieuses ou politiques, y est sans doute pour beaucoup. A moins que ce ne soit l’effacement de tout projet de société qui soit en cause, projet autre bien sûr que l’atomisation en une
collection de consommateurs-électeurs isolés et régulés par le marché. On notera que statistiquement le reflux des « occasions de vie collective » a surtout touché la France
populaire et périphérique décrite par Christophe Guilluy, la même qui subissait les effets négatifs dans les années noires de la première mondialisation à la fin du
XIXe siècle.
Voici donc en 2018 qu’après avoir annoncé un service national obligatoire de plusieurs mois pour les jeunes adultes, on
aboutit à des colonies de vacances pour adolescents organisés par l’Etat. Pourquoi pas mais commençons par admettre qu’il ne peut s’agir là d’un service national, ne serait ce que parce qu'il n'y
a pas de service rendu à la nation. Les différentes formes de service national, dont le service militaire, consistaient, après une formation
initiale à un « retour sur investissement » de quelques mois, voire de plusieurs années dans le cadre des réserves, pour la nation. Que cela puisse constituer une « occasion de
vivre ensemble » et contribuer à la formation de la citoyenneté n'était que la partie secondaire, un effet induit en fait, de l'affaire. Ajoutons qu’à l’agonie du service national dans les
années 1990, le quart seulement d’une classe d’âge effectuait le service militaire. Les filles, sauf de rares volontaires, étaient exemptées et les fils des milieux aisés disposaient de nombreux
biais pour y surseoir ou effectuer un service dans des conditions plus confortables. Les bienfaits du « vivre ensemble » apparaissaient alors plutôt comme un impôt
supplémentaire imposé aux garçons des milieux défavorisés.
Le projet tel qu’il est présenté n’apporte pas grand-chose à la nation dans sa phase obligatoire. La réunion
« obligatoire et universelle » de mineurs à des fins d’apprentissage, que ce soit dans un collège ou en plein air, n’est pas un service mais un projet éducatif, ce qui relève donc du
ministère de l’Education nationale. A ce stade, on ne voit pas bien en effet pourquoi cela sortirait de ce ministère, à moins de sous-traiter une partie de la mission, comme pour les
colonies de vacances, à la société civile. En tous cas, il n'y aucun raison particulière, sinon qu'ils disciplinés, pas syndiqués, et souvent bon éducateurs, de détourner des militaires pour en
fournir l'encadrement. Sinon pourquoi pas des juges, des gardiens de prison, des préfets, des policiers, des chargés de missions de l'Elysée, etc.
Au passage, on est curieux de savoir le contenu de l’apprentissage durant ces quinze jours de vie collective, hors les
sempiternels « gestes qui sauvent» qui constituent, à ce jour, le seul élément concret
évoqué. Le secourisme, c’est bien mais qu’y aura-il d’autre qu’on ne puisse apprendre dans les murs d’un lycée (sachant que le secourisme peut s’y apprendre aussi). On voit bien qu’en réalité
c’est l’internat qui constitue une fin en soi (sinon rappelons cette évidence que les classes d’école, collège ou lycée constituent déjà des « occasions de vie collective »). Voici donc
enfin le cœur du projet de société après des mois de tergiversations : faire dormir ensemble et hors de chez eux des adolescents pendant quatorze jours. On est loin de la « levée en
masse » de 1793 et faudra quand même expliquer, un minimum scientifiquement, par quel processus on ressoudera la nation avec ce qui est plutôt un « coucher en masse ». Ce qui
soudait les appelés dans les régiments d’infanterie, ce n’était pas tellement l’internat mais au minimum le fait de travailler ensemble sur des projets et surtout les épreuves, les
marches, les entraînements, le froid, bref des choses difficiles à faire ensemble, sans même parler des opérations pour certains volontaires.
Il y a peu de chances que l’on mette les futures classes de jeunes à l’épreuve. En dehors de quelques amourettes, je
doute donc qu’il en sorte beaucoup de liens très forts ou en tout cas différents des cours de lycée. Passons sur la deuxième partie de la phase obligatoire, le projet collectif, dont on ne voit
pas à ce stade ce qui peut les différencier des stages qui sont déjà organisés, hormis que cela se fera à plusieurs.
Après cette phase dite « du rassemblement », il y aura celle de l’engagement : « Un
engagement de trois mois au moins, exclusivement volontaire, dans nos armées, nos forces de police, chez nos pompiers, nos gendarmes, dans des collectivités ou encore dans les associations. Cette
période sera, pour ceux qui le souhaitent, la dernière étape de ce SNU : une étape pour se dépasser et servir la France ». Ce qui est fou c’est que je croyais que cela existait
déjà. Je croyais en effet qu’il y avait déjà presque 200 000 pompiers volontaires, 80 000 réservistes aux ministères des Armées ou de l’Intérieur et surtout qu’il y avait déjà un
service volontaire civique avec 123 000 contrats en 2017. En fait, on ne voit absolument pas ce qui différencie cette « phase d’engagement » du service civique hormis un champ
d’application est plus large, incluant notamment la sécurité, et des contrats plus courts. On est alors effectivement dans le service mais la notion d’obligation a disparu.
Au final, l’idée d’un service national universel pouvait être un vrai projet ambitieux et un vrai projet de société. En
tant que tel, il aurait mérité un peu moins d’emballement personnel initial et un peu plus de consultations, au moins pour appréhender des enjeux qui dépassent largement ceux de la jeunesse. On
rappellera au passage qu’il ne serait venu à personne l’idée de « consulter les jeunes » avant de mettre en place le service militaire obligatoire. Quand ces jeunes se sont retrouvés en
position de choisir tout au long du XIXe siècle, c’est-à-dire lorsqu’ils tiraient un mauvais numéro, ils s’empressaient dans l’immense majorité des cas et s'ils le
pouvaient de se payer un remplaçant ou une exemption. Le service véritablement universel et obligatoire, c’est-à-dire comprenant des sanctions en cas de refus, a duré moins d’un siècle en
France. On notera qu’à l’exception évidente des militaires, la très grande majorité des personnalités qui parent actuellement le service obligatoire de grandes vertus, Président de la République
en tête, ont choisi de l’éviter d’une manière ou d’une autre lorsqu’ils étaient jeunes et qu'ils ou elles pouvaient encore le faire.
En réalité, il n’y avait sans doute que deux voies cohérentes.
La première était le retour à la une forme de service national élargi au service public. Les services publics sont en
grande difficulté, en particulier les ministères régaliens, l’engagement d’un an de 800 000 jeunes auraient permis de les renforcer à bas coût (pour rappel, le but du service militaire était
avant tout de disposer à budget constant de soldats en grand nombre). Cela supposait de surmonter l’interdiction juridique du travail forcé au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Cela
supposait aussi des investissements de plusieurs milliards d’euros par an. Cela impliquait enfin un effort de tous les instants pour lutter contre les resquilleurs qui n’auraient pas manqué
d’apparaître et maintenir le caractère obligatoire et universel (et donc juste) de l’affaire. L’effort était considérable, pas plus cependant que celui des débuts de la
IIIe République, mais il y aurait eu un retour considérable sur investissement pour le bien de la nation.
La seconde consistait à s’appuyer sur l’existant. Il est question d’un budget de 1,6 milliards d’euros pour la phase
obligatoire du SNU, c’est-à-dire pour héberger et encadrer pendant deux semaines une classe d’âge de 800 000 individus et ce chiffre ne comprend pas les dépenses d’infrastructure sans doute
nécessaire (faut-il rappeler la difficulté qu’il y a eu à loger quelques milliers de soldats de l’opération Sentinelle). Comme tout investissement et alors que les deniers publics sont très
comptés il faut imaginer aussi quel investissement on ne fait pas en faisant ce choix. Ce chiffre représente le quadruple de celui du Service civique, il est vrai en forte hausse. Chaque contrat,
rémunéré, de Service civique de 6 à 12 mois coûte ainsi moins du double de ce que coûteront les quinze jours d’internat de chaque jeune « rassemblée ». Etrangement, quelque chose
me dit que le premier investissement public est incomparablement plus utile et rentableque le second. Ce budget représente aussi dix
fois celui des 30 000 contrats de la réserve opérationnelle n°1 des armées. Autrement dit avec le budget de croisière du SNU on pourrait avoir des contrats de réservistes pour 40 % d’une
classe d’âge. On notera aussi que le Service militaire adapté ou volontaire ainsi que les Etablissements publics d'insertion de la défense (EPIDe) disposent 320 millions d’euros pour former, et
pas seulement professionnellement, chaque année plus de 10 000 jeunes. Avec 32 000 euros par an par individu et un taux d’insertion de 70 % c’est une réussite d’autant plus remarquable
qu’elle s’adresse souvent à des jeunes en grande difficulté. Autrement dit, avec ce budget prévu pour des colonies de vacances, on pouvait doubler toutes les possibilités d’engagement volontaire
au service de la nation. Là encore, le bénéfice tant collectif qu’individuel aurait été très important.
Au final, on ne pouvait pas s’appuyer sur l’existant car il fallait concrétiser à tout prix un engagement de campagne et on a reculé
devant l’ampleur de l’œuvre qui aurait été nécessaire pour revenir à un Service national « à l’ancienne ». On a donc choisi d’accoucher d’une très coûteuse souris en inventant des
colonies de vacances d’Etat.
...par le Gal. Dominique Mariotti - Promotion "Général Gilles" 1969/71
Il faut sans aucun doute se réjouir de voir soudain le politique regarder les armées avec plus d’attention et
s’engager à les soutenir, au moins financièrement. Il faut croire aussi que ce n’est pas une lubie passagère. L’horizon de ce siècle est lourd de menaces.
Mais il faut nous inquiéter de trop de sollicitude. Nous serions désormais les seuls à détenir et à savoir promouvoir
les vertus capitales dont la nation a besoin pour être et durer. Ce peut être flatteur, c’est en fait terrifiant ! Repenser au service militaire comme à une cure de vertu… Bien
des clercs de la politique ont dû trahir pour qu’on vienne à nouveau chercher les militaires ?
Pour beaucoup d’entre nous, qui avons passé des années à défendre nos unités contre un antimilitarisme militant, puis
contre un flagrant mépris dont nous avons si longtemps payé les dividendes, ce revirement incite à la méfiance. Et le premier réflexe est de se demander ce qui, derrière tout cela, peut bien
pousser le bourgeois à soudain nous sourire. La réponse est simple et cruelle : la peur. Car, contrairement à ce que disait le penseur à succès, l’histoire continue !
Ce penchant du politique pour l’autorité, la discipline et la force était à prévoir. Il y a deux raisons à cela :
l’évidence de la menace et la nature craintive d’une société dont la classe moyenne est devenue majoritaire. L’embourgeoisement est la tendance essentielle des démocraties bien établies. Alexis
de Tocqueville voyait déjà le culte du bien-être, dont il décrivait les effets très sensibles dans la société américaine du XIXe siècle comme prémices à toutes les tyrannies. La société française
d’aujourd’hui, enrichie par les Trente Glorieuses et affranchie de toute croyance, est prête à tous les abandons pour conserver ce bien-être convoité par tant d’autres. L’Histoire a déjà vu cela.
À Rome, on s’en remettait à celui dont les légions protégeaient l’empire contre les hordes effrayantes qui rôdaient à l’entour.
La peur des Français a plusieurs causes. Ils savent que la délinquance a transformé des quartiers
de leurs villes en zones de non-droit et que les campagnes sont l’objet d’une prédation itinérante contre laquelle ils n’ont pratiquement aucun recours. Ils sont témoins de rassemblements de
migrants et d’implantations de camps dont aucune décision politique ne semble venir à bout. Ils savent que le Moyen-Orient et les rives sud de la Méditerranée sont englués dans une violence
endémique. Ils savent que des courants religieux violents ont remis le Sahel à feu et à sang comme au temps des rezzous. Ils savent qu’une grande puissance surarmée peut déclencher une guerre sur
un mensonge et recommencer demain. Et ils constatent qu’on peut venir de n’importe où massacrer leurs enfants à Paris un soir de concert.
Mais la pire des choses est qu’ils ont peur d’eux-mêmes. Ils sont entrés sans précaution dans un monde dont il fallait
bannir toute forme d’autorité et tenir à distance l’idée de responsabilité. Le culte du bien-être est égoïste. La famille en a fait les frais. Ses exigences étaient trop
lourdes pour ceux qui ne voulaient que profiter de l’instant. Ils ont négligé leurs enfants et abandonné leurs vieux. Mal dans leur peau, ils cherchent
autour d’eux les hommes de bonne volonté comme des planches de salut. Le soldat en est un, tous les sondages le disent. Quitte à s’en débarrasser, plus tard, quand la trouille aura passé. L’homme
est ainsi fait. L’Histoire n’est pas finie.
Le soldat pourrait se réjouir de voir se tourner vers lui des regards d’espoir, d’autant plus qu’il sait accueillir
les plus jeunes et honorer comme il se doit les plus anciens des siens. La confiance qu’on lui porte est plutôt gratifiante, et d’aucuns y seront sensibles. Mais l’illusion est fugace. Il sait
très bien qu’on lui refile un fardeau dont personne ne veut et dont personne n’a voulu s’occuper depuis plus de trente ans. Sera-t-il dupe encore une fois ?
Ce que la famille n’est plus et ce que l’école ne sait plus faire, ce
que le politique n’a pas voulu nommer depuis si longtemps, sont-ils de bonnes raisons pour que le soldat reçoive la mission de reconstruire une société idéale ? Une société paisible qui mette
tout le monde à l’abri du malheur… ? Non seulement c’est impossible mais, en plus, c’est illusoire.
Les armées ont dû payer sur leur propre substance la fringale de bien-être que l’effondrement du Pacte de Varsovie
pouvait laisser croire. Les infrastructures militaires ont en grande partie disparu et l’encadrement est strictement mesuré au format des unités d’active subsistantes. Les stocks sont réduits et
l’intendance s’est adaptée à une armée de métier constamment déployée à l’extérieur et sur les théâtres d’opérations. Dans la situation actuelle des finances de l’État, peut-on imaginer
sereinement les efforts à consentir pour reconstruire un service militaire universel ? On s’est vite rendu compte que si cet effort devait être strictement militaire, l’affaire était impossible
tant au plan matériel qu’humain. Et si les armées ne sont pas en mesure de recréer un service militaire, qui peut entreprendre la mise sur pied de ce « service civique » dont on commence à
entendre parler ? Quelle serait la part du militaire dans cette affaire ? Certainement pas le rôle de direction ! Qui pourrait imaginer un seul instant (et sans rire !) des fonctionnaires sociaux
et des enseignants sous la tutelle d’un général d’armée ? On commence même à entendre que si ce service civique était universel et obligatoire, il ne serait
en rien contraignant… La confusion des genres s’ajoute aux illusions !
Le plus grave en tout cela est la simple idée du recours à l’armée pour
encadrer la jeunesse. Ce processus de formatage, développé dans les régimes totalitaires, n’a jamais conditionné la paix sociale dans la durée.La conscription est un pis-aller survenu
après la Révolution française et destiné à poursuivre par la guerre un messianisme politique qui ne faisait pas recette. Le service militaire universel et
obligatoire de la jeune République française, de l’Empire et d’après, n’a eu pour but que de disposer de forces armées. Les réfractaires ont toujours été poursuivis implacablement. Ce
n’est que beaucoup plus tard et pour contrer l’antimilitarisme militant qu’il a été paré de vertus éducatives et civiques, certes avérées, mais non-incluses dans sa mission
première.
Nous sentons bien que la nostalgie inavouée du bourgeois tourne autour dumaître
d’école d’autrefois, ce « hussard noir de la République » dont on savait l’autorité et le dévouement et qui tenait sa place éminente dans la société par sa compétence pédagogique, son
impartialité et son patriotisme. C’est vers lui qu’il faut revenir par un choix politique qui soit enfin digne de notre pays. Il faut le faire vite et avec détermination. De leur
côté, les bienfaits d’une structure familiale stable dans la société française mettront sans doute beaucoup plus de temps à réapparaître. Elles seront l’effet
d’un cycle long, comme l’histoire en dessine sous l’effet de menaces paroxysmiques.
Remettre l’école au cœur du projet est le grand dessein que tous doivent soutenir sans
réserve. La jeunesse de notre pays est notre unique trésor, la substance vitale de la nation. La sacrifier au bien-être, à la mode et aux intérêts du moment est indigne,
irresponsable et suicidaire. La refiler aux soldats pour ne pas la voir en face est lâche. Quand le maître aura retrouvé sa place, le soldat l’aidera, comme il l’a toujours fait, mais à sa place,
lui aussi. Le soldat n’est pas un professeur, un policier, une assistante sociale. Il monte la garde et part en guerre pour que chacun puisse accomplir en paix son devoir d’état.
...par le Col. Jean-Jacques Noirot - le 07/07/2018.
L'affaire (la chimère?) est lancée, du bout du micro et dans les recoins des éditoriaux. La durée, les lieux, le contenu, les
fournisseurs et les coûts sont aussi clairs qu'un tableau impressionniste en noir et blanc. Mais c'est parti !
En arrière toute, vers la félicité en carton pâte voulue par "Jupi-lune".
Revenons à la cause essentielle claironnée à qui mieux mieux depuis le début : ce SNUvaut parce que la société se fracture, le civisme s'est perdu dans la tourmente des droits sans devoirs, et le vivre
ensemble est une mélodie incantatoire que personne n'écoute plus. Tout cela résumé par le général chargé du dossier dans la formule lapidaire: "cohésion nationale, mixité sociale et
territoriale".
Cette doxa vaudrait pour "toutes les classes d'âge, filles et garçons réunis", ce qui éveille chez nombre de français une
grande perplexité. Cet universalisme, qui ne tient compte de rien s'agissant des personnes, est suspect à l'esprit le moins éveillé. Il rend opaque ce qui mériterait pourtant d'être
clairement défini : Qui a besoin d'un SNU ? C'est à dire qui refuse de rejoindre l'Univers National et qui aurait besoin qu'on l'y ramène ? Je vais donc me risquer à le
faire, après avoir déposé mon testament en lieu sûr et mis ma famille à l'abri des représailles des gardiens du temple du politiquement correct.
Si mes enfants avaient été en âge de subir ce SNU, je dois dire, et vous êtes nombreux dans mon cas, que cela ne leur aurait
servi à rien. Mes enfants étaient propres sur eux, polis, obéissants et respectueux, en un mot élevés et, ma foi, chahuteurs aussi à l'occasion. Une villégiature polymorphe d'un mois ne leur
aurait rien appris de plus au regard de l'éducation que mon épouse et moi leur avons donnée. Je préjuge que ces enfants là sont très majoritaires en France. Ils sont donc "hors cible" de ce
SNUborné dans ses désirs et systématique dans sa mise en oeuvre. Évitons de leur faire perdre du temps, à l'État
de perdre de l'argent, aux encadrants de se retrouver trop souvent confrontés à des jeunes qui, sur maints aspects des "enseignements" qu'ils auraient à leur dispenser, pourraient leur en
remontrer.
Tous les jeunes se valent, mais ils ne sont pas tous les mêmes.
Ainsi de tous ces jeunes-ou moins jeunes-"border-line" qui se sont affranchis du système scolaire, ont manifesté, à l'occasion
de cours d'Histoire ou de minutes de silence, leur hostilité aux valeurs patriotiques, voire aux principes démocratiques, affichent avec arrogance et agressivité leurs différences, sont
connus des services de police ou ont fait l'objet de condamnations. C'est à ces égarés, devenus nuisibles, et le savent, que pourrait être utile un service national de remise
en ordre. Les armées ne pourront pas échapper à une forte contribution. Elles sont la seule institution qui détienne les valeurs pérennes de la vie collective structurante. Les gisements
d'emplois propices à cet enseignement y sont nombreux, pour apprendre à bien se tenir. Et, dans le même temps, dégager nos valeureux soldats des tâches ménagères et environnementales peu
valorisantes qui nous attachent encore aux temps de Courteline. Avec un lever des couleurs et une marseillaise tous les matins aux aurores, avant les exaltantes corvées et mises à disposition
de la journée, il est hautement probable que les méninges des heureux élus vont entrer en surchauffe, pour le plus grand bien de la collectivité militaire et nationale. Bien évidemment, ce
sera un séjour à durée indéterminée, laissé à la discrétion du commandement. On ne passe pas du néantsocial au respect des autres, à la cohésion nationale autour des valeurs patriotiques, on ne fait pas découvrir la lumière du
monde à des esprits obtus et obscurcis, en un mois. On attendra sans impatience que d'eux mêmes les impétrants viennent poser les bonnes questions en sonnant à la porte de
l'encadrement. La rédemption sera alors "En Marche".
Si un très grand nombre d'enfants a suivi une scolarité honorable, d'autres sont de brillants élèves, dont le parcours
universitaire les destine aux hautes fonctions, tellement hautes qu'ils vont finir hors sol. Il s'agit des diplômés de Sciences-Po, de l'ENA, d'HEC, de l'ENM, des écoles de journalisme et
pourquoi pas de la prestigieuse École Polytechnique. J'en oublie.
À ces futurs hauts fonctionnaires de la nation, bientôt dépositaires d'importantes parcelles de pouvoir, et ces futurs cadres
dirigeants des entreprises du CAC 40, imprégnés de savoirs, un séjour en caserne aurait peu de sens, et un camping partagé serait une loufoquerie aux confins de l'idiotie.
En revanche, pour ces messieurs, quelques mois comme "manu" dans une entreprise de plomberie ou d'électricité, de maçonnerie ou
de carrelage, chez un boucher ou un marchand de fruits et légumes, un agriculteur, un marin pêcheur ou une fabrique de chaussures ou de chaudrons, voilà qui leur ouvrirait les yeux sur les
affres quotidiennes de ceux qui, en se levant chaque matin, doivent déjà plusieurs dizaines d'euros de charges et d'impôts à l'État sans avoir encaissé le premier centime de leur chiffre
d'affaire. Ils découvriraient des conditions de vie qu'ils ne soupçonnent même pas, des mentalités rugueuses d'hommes et de femmes s'épuisant à la tâche, dont ils auraient à partager les
moments heureux comme les inquiétudes du lendemain. Les mains pleines du cambouis dont sont remplis les milliers de métiers qui font avancer la France, il faut espérer que plus tard, du haut
de leur chaire directionnelle ou de leur impérium, ils écouteront plus attentivement qu'ils ne le font aujourd'hui les murmures du bon peuple.
Ainsi apparaissent les trois grandes fractions de notre universfrançais. La plus grande part, centrale, est constituée des citoyens ordinaires, qui élèvent correctement leurs enfants et
adolescents (on y trouve nombre de familles d'immigrés), vivent honnêtement du fruit de leur labeur sans pour autant être à l'abri des peines ou du chômage. Le SNU n'est pas fait pour elle,
puisqu'elle lui sert de modèle. Elle est la proie des deux autres, agressive ou hautaine, qui chacune à leur manière l'assaillent de turpitudes ou de contraintes, ciblant son porte monnaie,
jugé toujours trop épais, et son tranquille bien être, jugé prétentieux et provoquant. Sans doute le général chargé de la copie à rendre sur ce sujet descendu de l'Olympe ne pouvait-il faire
autrement, sous peine de haute trahison, qu'arpenter les sentiers délavés de la pensée quasi divine abondamment déversée dans les discours jupi-luniens. Dans sa tournée des popotes, il a
écouté consciencieusement, en bon soldat, ce qui ne peut lui être reproché, ceux à qui on lui avait dit être destiné massivement autant qu'indistinctement ce funeste autant qu'hasardeux
projet, pour recueillir leurs impressions.C'est, loin d'une bonne thérapie, demander à la jeunesse française quel
bâton elle choisit pour se faire battre.
C'est à ces deux extrémités de l'éventail de notre Univers National que devraient être consacrés utilementles milliards que l'on s'apprête à dilapider pour satisfaire la promesse électorale improvisée d'un candidat issu du sérail,
sans la certitude d'un résultat probant et durable, et surtout loin du bon sens.
À ce SNU, il était nécessaire et important de donner des cibles qui, pour le rendre utile, efficace et moins coûteux, en
restreignent l'étendue. En voilà deux, précises et répondant objectivement aux besoins de cohésion et de mixité. En découlent les propositions que j'ai imaginées pour qu'un Service National,
adapté à chacune d'elles, puisse renforcer la cohésion de la nation tout entière. Elles sont critiquables et il peut y en avoir d'autres....
En amont, des dispositions juridiques adaptées à cette entreprise salvatrice éloignée des lieux communs devront avoir été
prises pour en permettre la pleine efficacité. Il est d'ailleurs assez paradoxal que dans l'ébauche de la formule qui a cours aujourd'hui, cela n'ait pas été prévu. Ce préalable prend du
temps. Preuve, s'il en fallait une, de la totale impréparation de ce projet.
Dans toute cette triste et surprenante affaire, il manque le courage politique de dire "les choses". Nulle part je n'ai pu le
découvrir.
Service National : tout ça pour ça !
...par Romain Vincent - le 28/06/2018.
Quel bel exemple de démagogie ! Pendant une campagne électorale, il y a des promesses, un an et quelques mois plus tard on est rattrapé par la réalité et il n’y a plus rien. Le pire dans
l’histoire n’est peut être même pas de passer d’un service militaire à quelque chose qui ressemble à tout sauf à un service, mais plutôt qu’après tous ces mois de travaux, ceux qui sont en charge
de la question n’ont franchement pas avancé. Ce projet de service national universel a-t-il vraiment intéressé quelqu’un, puisque personne ne le défend ? Va pour deux fois deux semaines
d’enseignement civique qui ne seront même pas obligatoires.
La proposition électorale d’Emmanuel Macron ne débouchera sur presque rien et il faut croire que tout le monde y trouvera satisfaction. Les militaires n’ont pas le coeur à former des jeunes,
encore moins les moyens, les jeunes n’ont pas envie qu’on les oblige à vivre avec des militaires ou qu’on les oblige tout court, l’État n’a pas envie de sortir tous les milliards nécessaires, qui
pourrait bien pousser en France pour défendre le projet original ? Qui pourrait bien encore se lever pour défendre un projet presque militariste ? Des personnes sans aucun pouvoir probablement.
Il est certain que si l’on parle de « militaire » aux décideurs de la capitale et que l’on parle d’efforts budgétaires aux armées, ainsi que d’obligation et de services à nos jeunes un
tel projet n’a pas lieu d’être et n’aurait même jamais du être mis sur la table.
Il y a donc des personnes qui ont été chargées de réfléchir pendant des mois à l’idée lancée par Macron, celle d’un Service National Universel qui imposerait à tous les jeunes français, à un
certain moment de leur vie, de rendre un service à la Nation, qu’il soit militaire ou non, et voilà ce qu’elles ont conclu : ils n’auront pas de service à rendre, il sera difficile de les
obliger, la question du national n’est pas pertinente (les jeunes étrangers scolarisés en France pourront y participer), et il n’y aura rien de militaire. En février dernier, nous
consacrions un billet pour expliquer que ce projet ne mènerait à rien (mais qui ne l’aurait pas prédit ?) et en cette fin de mois de juin nous voilà presque revenu à la fin
mars 2017 quand Macron, invité au micro d’Europe 1 parlait d’une durée d’un mois pour 600 000 jeunes.
Aujourd’hui on ne parle plus d’un mois mais de deux fois 12 jours, et on ne parle plus de 600 000 jeunes mais de 800 000. Comme cela s’est senti au fil des discussions sur le sujet, l’aspect
militaire s’est clairement estompé pour presque disparaitre. Un autre changement est celui de la classe d’âge, qui a probablement été modifieé pour des questions légales et d’organisation : le
« service » ne concerne plus les jeunes passés leurs 18 ans, mais à partir de 16 ans. Et sur la question légale, nous sommes toujours bloqués. Si l’an passé Jean-Jacques Bridey,
président de la Commission de Défense à l’Assemblée Nationale précisait qu’il était illégal d’obliger des majeurs à un service, il en est de même pour les mineurs (même si le SNU
s’inscrit dans la suite de l’école, celle-ci n’est obligatoire que jusqu’à 16 ans), le rapporteur du groupe de travail sur le Service national universel, le général Mélaouine expliquant
aujourd’hui, sans trop s’avancer, qu’une modification de la Constitution était à l’étude. L’an passé, Bridey expliquait lui, que même si la Constitution pouvait être modifiée, il pouvait très
bien y avoir un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour barrer la route à ce projet.
Bref, à quoi ressemble le SNU aujourd’hui ? Les militaires ne seront là que pour former ceux qui encadreront les jeunes. Les jeunes, eux, ne seront évidemment pas en uniforme, mais bien en
« tenue d’activité ». Puisqu’il n’y a pas suffisamment de casernes pour accueillir les 80 000 jeunes à chaque session, ni suffisamment de moyens, il faudra utiliser les
infrastructures existantes, comme les centres de vacances ou de pensionnats, a indiqué le général Mélaouine au micro d’Europe 1.
Et, que vont-ils faire, ces jeunes ? Voilà la réponse du Conseil des Ministres du mercredi 27 juin : « Le Service national universel est un projet de société qui a pour finalité de
favoriser la participation et l’engagement de chaque jeune dans la vie de la Nation, de valoriser la citoyenneté et le sentiment d’appartenance à une communauté rassemblée autour de ses valeurs,
de renforcer la cohésion sociale et de dynamiser le creuset républicain. » La première phase, celle qui nous intéresse ici, puisqu’elle est celle prévue pour être obligatoire
« constituera l’aboutissement du parcours citoyen débuté à l’école primaire et poursuivi au collège. » Vous avez compris quelque chose ? Si oui, vos éclaircissements sont
les bienvenus.
Selon les diverses informations que l’on peut trouver dans les médias français, on parlerait de « procéder à un bilan de santé permettant de disposer d’une vision globale sur une classe
d’âge. Les adolescents seront également soumis à un bilan scolaire pour déceler les cas d’illettrisme et de décrochage scolaire. Comme lors de l’actuelle journée défense et citoyenneté, les
gestes de premiers secours seront enseignés. Mais cet enseignement sera un peu plus relevé grâce à un nouvel atelier : les gestes à adopter en situation de crise ou de catastrophe
naturelle. » (Le Point) « La seconde période de douze jours sera consacrée à des stages, croit savoir Europe 1. Les jeunes auront le choix entre les cinq thématiques suivantes
: l’aide à la personne, l’environnement et le développement durable, la défense et la sécurité, la culture et le numérique ou le tutorat. »
Un dernier mot, puisque la question de l’obligation est loin d’être réglée au niveau légal (constitutionnel), le groupe de travail sur le SNU se concentre sur l’attractivité de celui-ci, alors il
faut imaginer que le Service ne sera pas trop contraignant sinon les jeunes ne seront pas contents… Aussi, pour s’assurer de l’approbation de nos jeunes sur le projet, une consultation sera
lancée à l’automne pour discuter avec les organisations de jeunesses sur les « moyens de recréer ce creuset républicain », a affirmé mardi sur RTL, le porte-parole de l’Élysée,
Benjamin Griveaux. Déjà qu’il n’y a plus grand chose dans ce projet, peut-être qu’il n’y aura bientôt plus rien du tout, ni même de projet.
Est-ce bien indispensable que les hommes politiques de niveau national aient une connaissance particulière de ce milieu à forte culture endogène que représente le métier des armes ?
Les dernières révélations sur le service national universel (SNU) ont essuyé de plein fouet tant le choc du refus des associations lycéennes que le dithyrambe des
porte-parole du pouvoir.
Ayant déjà présenté, sur ce site, des propositions sur le SNU, nous n’allons pas nous lancer dans une analyse exhaustive de ce projet dont la minceur de la présentation n’autorise pas
l’exégèse.
À brûle-pourpoint, nous dirons simplement qu’il semble ignorer deux principes majeurs de la stratégie : l’unité d’action et l’économie des forces, clés du succès et
de la pérennité.
Quelques journalistes se sont lancés dans l’évocation de l’histoire de la conscription française, dont la forme universelle ne remonte qu’à 1905. Mais aucun n’a pensé à
citer le slogan crié à l’époque : « Les curés, sac au dos ! » De ce jour, les séminaristes firent
leur service militaire et payèrent, eux aussi, leur lourd tribut aux grands carnages européens du siècle dernier.
La question que l’on peut se poser reste la suivante : que connaissaient du métier des armes tous ces hommes politiques qui envoyaient leurs concitoyens à la
mort ? C’est selon… Poincaré avait été chasseur à pied. Je n’ai trouvé aucune trace de service militaire chez le pacifiste Viviani, mais son ministre de la Guerre
était le saint-cyrien Messimy. Clemenceau, médecin, n’avait aucune heure de service à se reprocher, pourtant il gagna la guerre, mais perdit la paix. En 1939, Daladier
avait fait la guerre de 14, terminée comme capitaine d’infanterie avec la Légion d’honneur. Reynaud avait moins brillé. Puis Coty avait été sergent d’infanterie. Sous la
Ve, tous les présidents, sauf
l’actuel, ont fait un service militaire et les cinq premiers avaient fait la guerre.
Alors, est-ce bien indispensable que les hommes politiques de niveau national aient une connaissance particulière de ce milieu à forte culture endogène que représente le
métier des armes ? Napoléon avait dit : « Il n’est de pire faute que de ne pas connaître le métier que l’on
fait. » On pourrait dire, aujourd’hui, qu’« il n’est de pire faute que de ne pas connaître le métier que l’on fait faire ». Ce n’est pas tant pour
l’épreuve du passage par la « rude vie des camps » que pour la connaissance du milieu, de son fonctionnement, de ses motivations et de ses traditions qu’il
semble intéressant de faire effectuer un service militaire à ceux qui, demain, devront mener le pays.
Dans le projet que nous avons développé, nous souhaitions que les futures élites soient frottées à la chose militaire. Nous pensons donc qu’une année de service,
strictement militaire, doit aujourd’hui faire partie du cursus de formation des garçons et des filles issues des grandes écoles (ENA…).
Cette année commencerait, au sein des armées ou de la gendarmerie, par la formation de quatre mois des officiers sous contrat avant d’exercer une fonction de commandement,
à l’exclusion de tout autre poste marginal ou protégé avec, comme cri de ralliement : « Les énarques, sac au dos ! »
SNU : Service universel … Chronique annoncée de l’échec d’un coup marketing ?
...par le Gal. Jean-Philippe Houdinet - le 05/05/2018.
De « aux armes citoyens » à … rien
Le service militaire suspendu en 1996 n’était pas conçu pour « éduquer » les jeunes mais pour défendre la nation par les armes. Obligatoire initialement
que pour certains (le tirage au sort), il devient universel en 1905. Outre les savoir-faire minimaux du combat on va s’efforcer d’inculquer des valeurs comme celle du sacrifice au bénéfice de
l’intérêt commun dans l’esprit citoyens et défenseurs de la Patrie. En 1965, il devient national incluant en plus du service militaire, la coopération, l’aide technique dans les DOM-TOM, le
service scientifique à l’étranger…Le service à la nation ne passe donc plus par le seul service des armes mais par celui de l’État. L’ancien service s’est effondré rapidement en 1996. Le refus
d’engager des soldats appelés pendant la guerre du Golfe, la fin de l’URSS ont consacré qu’il n’y aurait plus d’engagement de conscrits.Personne n’a donc vraiment défendu le maintien d'un service
militaire malgré ses vertus supposées, les attentats islamistes de 1995 ou les troubles au « vivre ensemble » déjà largement constatés.
Le service universel au service de la nation ou rien
Le service était un impôt physique permettant de développer les fonctions régaliennes de l’État par un apport de temps de travail à « bas coût ». Remettre
en place un service ne peut donc se concevoir que pour soulager l’État et il n’est acceptable que s’il apporte plus qu’il ne retire de ressources à la nation. Le SNU ne pourra donc être
réellement utile qu’en engageant massivement les 800 000 jeunes d’une classe d’âge dans tous les services de l’État pas seulement en « éducation » qui est un investissement mais bien
par un travail utile et immédiat. Un service ne sera enfin profitable que s’il s’inscrit dans la durée, autrement dit avec une réserve que l’on pourra solliciter en cas de besoin. On aura alors
quelque chose d’acceptable pour les finances publiques. On pourra même, en plus, constater ensuite qu’effectivement cela entraîne quelques bienfaits pour la formation de nos jeunes citoyens. Il
n’empêche que ce service sera d'abord ressenti comme une charge et que beaucoup essaieront d’y échapper.
Le service universel … un projet présidentiel en pleine confusion
Comme pour un certain nombre de points de son « programme en marche » seul le président de la République, et
encore, sait ce qu’il a en tête. La cacophonie gouvernementale règne en particulier sur son caractère obligatoire donc contraignant. On évoque un parcours citoyen en trois étapes avec un
enseignement moral et civique renforcé ainsi qu'une semaine annuelle de la défense et de la citoyenneté (obligatoire) et une incitation à l'engagement dans des dispositifs éprouvés, service
civique, garde nationale, engagement associatif... Autrement dit, une forme de rattrapage du devoir d’éducation abandonné par ailleurs dans la société. Les parlementaires ont, eux, exprimé
d'importantes réserves tenant à la fois à son caractère obligatoire, l'importance des moyens matériels et humains à mobiliser pour encadrer toute une classe d'âge, aux doutes exprimés sur la
possibilité d'obtenir un résultat significatif au regard des objectifs affichés. Le président ajoute au chaos en proclamant que ce service n'est pas un service militaire, même s’il prévoit
l'ouverture à la chose militaire et qu’il souhaite qu'il puisse être obligatoire.
Le service universel … le mauvais traitement d’un bon diagnostic
Oui, la jeunesse est trop souvent en déficit d’éducation à la maison comme dans l’éducation nationale, oui le civisme et le patriotisme sont en chute libre, oui les
jeunes issus de l’immigration ont besoin d’être aidé dans leur démarche d’intégration mais le SNU sera une fausse bonne réponse s’il n’est pas obligatoire, d’une durée suffisante, douze mois pour
un service dans la défense, seize pour un service dans le milieu civil, si l’état n’y consacre pas un budget très lourd (encadrement, logement, alimentation, défraiement, habillement,
matériels, véhicules…) dilapidés à la suspension en 1996. Et si la France avait d’autres priorités au lieu de faire diversion comme l’a fait monsieur Hollande avec le mariage pour tous ?
COMMUNIQUÉ - SNU : Le Sénat veut protéger les moyens des armées.
Le 21/04/2018.
COMMUNIQUE de PRESSE
SNU : le Sénat veut protéger les moyens des armées
Mercredi 18 avril 2018
À quelques jours de la remise au Président de la République du rapport de la commission dirigée par le général Ménaouine sur le service national universel, la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a entendu une communication de M. Jean-Marie
Bockel(Union centriste - Haut-Rhin) et M. Jean-Marc Todeschini (Socialiste et Républicain - Moselle), anciens
ministres, sénateurs, rapporteurs sur le service national universel.
Le 18 mars 2017, le candidat Emmanuel Macron s’engageait à mettre en place "un service national de durée courte, obligatoire
et universel". La commission, dans son rapport "2% du PIB : les moyens de la défense nationale", alertait immédiatement
sur le coût très élevé - jusqu’à 30 milliards d’euros sur cinq ans – de ce projet. Or, depuis 13 mois, la situation est devenue de plus en plus confuse. Rien ne s’est déroulé comme prévu.
Pour reprendre en mains un pilotage quelque peu hasardeux, un comité restreint a été mis en place en début d’année, excluant tout débat de
société. "La difficulté à appréhender le projet tient sans doute à la superposition des objectifs mis en avant. Nous ne proposons pas de
définir ce que devrait être le SNU car c’est une réforme sociétale qui doit être largement débattue, mais nous souhaitons alerter sur les difficultés et contradictions du projet", a
déclaré M. Jean-Marc Todeschini.
Pour avancer, les rapporteurs soulignent l’intérêt de s’appuyer sur les dispositifs qui
existentet fonctionnent : notamment l’enseignement de défense, qu’il convient de renforcer, et les nombreuses modalités
d’engagement civil et militaire existantes. S’agissant de ces dispositifs, "le principe du volontariat nous semble essentiel", a souligné M.
Jean-Marie Bockel, "car il est un facteur majeur de succès de dispositifs exigeants en termes de disponibilité et d’engagement".
Reconnaissant qu’un temps de brassage social avec internat pourrait avoir des effets positifs, les rapporteurs en ont néanmoins souligné les
nombreuses difficultés matérielles, financières et juridiques. Au regard de l’article 34 de la Constitution : "S’il s’agit de savoir si le SNU a un objectif de "défense nationale", à notre sens la réponse à cette question est non". Dès lors, le Conseil d’État pourrait
juger qu’une réforme de la Constitution serait nécessaire.
Christian Cambon (Les Républicains - Val-de-Marne), président de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, a ajouté : "Plus personne ne comprend rien au projet de SNU ! Qui le souhaite vraiment ? Il
est temps pour ce projet d’atterrir, si possible sans écraser nos armées ! La commission déposera un amendement à la loi de programmation militaire, afin de garantir que le SNU
n’impactera en rien les moyens de notre défense nationale."
Dans deux mois, le groupe de travail mis en place par Emmanuel Macron fera connaître les pistes qu'il propose pour le service national universel.
Interview du contrôleur général Cailleteau.
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN GUISNEL
Publié le 03/03/2018 à 12:22 | Le Point.fr
Écrivons-le sans détour : à ce stade, personne ne comprend rien aux intentions du président de la République concernant
le service national universel, rendant les temps propices à un réexamen de la conscription, de ses objectifs
et de sa relation avec la nation. Les questions portent notamment sur la part des armées dans son organisation et sa conduite. Sur ces
incertitudes,
nous avons choisi d'interroger François Cailleteau. C'est un observateur attentif de la vie militaire. Ancien chef du
contrôle des Armées, il fut membre de plusieurs cabinets ministériels et a terminé sa carrière dans l'administration civile comme inspecteur général des Finances. Son regard aiguisé sur le monde de la défense, mais aussi sa connaissance intime des
plus profonds
rouages de l'État, l'ont conduit à écrire plusieurs ouvrages, dont La Conscription en France, mort et résurrection ?
(Économica, 2015).
Le Point.fr : Le président de la République affiche sa volonté de créer un service national universel, d'une
durée de trois à six mois. Comment cette initiative s'inscrit-elle dans l'histoire de la conscription ?
François Cailleteau : Une erreur fréquente est de donner à la conscription une valeur de construction du
patriotisme, alors que l'inverse a toujours prévalu. La conscription n'a été rendue possible que grâce à l'existence d'un sentiment national.
Elle est très liée à un état particulier de la société, quand les valeurs collectives sont jugées prioritaires par
rapport aux valeurs individuelles. C'est pour cette raison que la conscription n'a pas fonctionné au début du XIXe siècle, alors qu'elle a réussi à
la fin...
La loi Jourdan ne date-t-elle pas de 1798 ?
La loi Jourdan, qui n'intervient qu'à la fin du Directoire, et les textes qui la complètent, instaurent certes une
conscription. Elle n'est cependant pas universelle, puisqu'on recrute ce qui est nécessaire pour compléter les effectifs de l'armée : le service
étant de cinq ans, il s'agit d'une minorité de la classe d'âge, en prenant d'abord ceux nés à la fin de
l'année. Cette conscription n'est pas davantage obligatoire, puisque le remplacement est institué. Ce n'est pas un hasard si le service militaire pour
tous a ressurgi plus tard (1889 et 1905), en même temps que les lois autorisant les syndicats, la loi sur les
associations, l'impôt sur le revenu, etc. On voit aussi qu'à la
fin des années 1960 et au début des années des années 1970, quand les valeurs individuelles prennent le pas sur les
valeurs collectives, la conscription est rejetée.
Lors de sa « suspension » en 1996 – en réalité sa suppression –, elle ne réalisait certainement pas un brassage social de
tous les Français, réunis pour défendre la patrie. Non seulement les jeunes femmes n'y participaient pas, mais les jeunes gens étaient traités très différemment : certains dans des administrations civiles, d'autres dans les postes les plus variés au sein des
armées. Dans ces années, les armées n'étaient pas si bien considérées par la population ! Mais elles n'ont jamais été aussi populaires depuis qu'elles sont professionnalisées..
Qu'en est-il selon vous, plus de vingt ans après la fin du « service », supprimé en 1996 par le président Jacques
Chirac ?
À mes yeux, les jeunes générations n'ont plus guère envie d'être appelées sous les drapeaux et les militaires d'active
seraient navrés à l'idée de devoir prendre en charge une forme nouvelle de conscription. Quant aux citoyens d'aujourd'hui et
aux décideurs, qui parmi eux possède encore une expérience de la conscription ? Ni les femmes, ni les moins
de quarante ans, à tout le moins, ce qui fait une grande majorité de la population... Ce que personne ne comprend plus de nos jours, c'est
à quel point le fonctionnement de cette institution exigeait de la contrainte. Il fallait
obliger les conscrits à se rendre à la caserne. S'ils refusaient, on les arrêtait, ils étaient envoyés en prison pour
insoumission et ceux qui désertaient étaient sanctionnés par de lourdes peines. Pour faire régner un semblant de tranquillité,
il fallait disposer d'un encadrement nombreux : même dans ses meilleures époques, la conscription n'a
jamais été un long fleuve tranquille que les gens rejoignaient avec enthousiasme. Un service « obligatoire » exigerait donc, sans aucun doute, un
appareil répressif que nous ne possédons plus, qu'il faudrait recréer à une échelle énorme puisque l'on évoque des
contingents annuels de 600 000 à 800 000 personnes ! D'autant plus qu'il ne serait plus question des taux considérables d'exemptions médicales que nous connaissions à l'époque. Je pense que personne ne se rend compte de l'énormité de la tâche...
Car que ferons-nous si les gens ne rejoignent pas le service ou décident de le quitter avant terme
? Que ferons-nous si certains de ces jeunes arrivent avec de la drogue ? Si des jeunes hommes
agressent des jeunes femmes ?
Dans l'état actuel des faibles informations sur les intentions du président de la
République, comment percevez-vous ce futur service national ?
Je ne sais pas du tout ! Certains parlent de service civique, d'autres de service militaire. Mais si on veut former un
soldat utile à son pays, il doit d'abord recevoir une formation individuelle : entraînement physique, connaissance élémentaire des
armes, discipline. En trois mois, c'est possible d'avoir des jeunes qui savent marcher et tirer au fusil. Ce
n'est pas nul. Concernant la formation collective, c'est-à-dire la capacité à devenir un rouage dans un ensemble, notamment dans une unité
d'infanterie, plusieurs mois supplémentaires sont nécessaires. Mais à supposer qu'on veuille ainsi former les
gens, qu'en ferions-nous ? Des réservistes ? On ne va pas en former
800 000 par an ! Plus personne au monde ne possède d'armées de masse... Et l'armée française ne va pas dire qu'elle a
trop de matériels pour ses effectifs professionnels ! On n'est plus en 1914, quand chaque régiment d'infanterie comptait 3000 hommes et autant de fusils.
Quand le président parle de « cohésion nationale », le projet n'est pourtant pas si sot... Est-ce son éventuel
aspect militaire qui vous rebute ?
Certaines idées mériteraient certainement d'être mises en place : des stages dans les hôpitaux, les EHPAD ou autres
services sociaux, par exemple. Ce ne serait sans doute pas drôle, mais cela pourrait avoir du sens. Envoyer des jeunes bien
formés faire du soutien scolaire massif dans les banlieues, pourquoi pas ? Ça, ce serait du brassage
social... Les Allemands ont longtemps fonctionné ainsi, avec de très nombreux objecteurs de conscience effectuant de telles tâches. Mais franchement,
il ne faut pas les envoyer dans les armées... Sauf peut-être pour confier la mission Sentinelle à des
réservistes formés durant deux mois pour effectuer ensuite quatre
mois de patrouilles. Ce qui soulagerait les unités actives. Mais pas dans un tel volume ! Une telle mission ne pourrait
employer plus de 30 000 personnes par an.
Cela pourrait former une brique de ce service national. Où trouver les 95 autres ?
Et pourtant, le président de la République a confié le groupe de travail à un général, laissant ainsi entendre
que les armées auront un rôle important...
En un sens, je comprends qu'il y pense : les armées forment un corps social solide, discipliné et compétent. Les armées
peuvent fournir l'appareil administratif pour appeler, sélectionner et répartir. Mais elles ne possèdent pas les moyens
d'employer le gros de la classe d'âge. Et elles ne possèdent plus cette capacité répressive qui existait du
temps du service militaire. C'est un vrai problème car je ne pense pas qu'il soit possible de la remettre en place. Imaginez-vous envoyer aujourd'hui en
prison une personne refusant de faire le service universel ? On pourrait l'empêcher d'entrer dans la fonction
publique, mais ce n'est pas dirimant. Enfin, si l'on entrevoit les missions civiles que l'on pourrait offrir à nombre de jeunes gens, il est
difficile d'imaginer ce que l'on pourrait offrir à ceux mal intégrés et proches de la délinquance. Cette
population que la discipline militaire ou le renvoi discret dans le civil, par la réforme, permettaient de traiter au temps du service militaire.
Trop demander aux armées se traduirait par moins de capacités à remplir leurs
vraies missions
Lutter contre la déliquescence de la société par le service national universel ?
...par le Gal. François Chauvancy - le 25/02/2018.
Beau dimanche d’hiver qui surprend et affole les Français. Il va faire froid … comme toujours en cette saison et la France frémit. Heureusement le froid hivernal a
accompagné les jeux olympiques en Corée du sud. Qui aurait pu croire il y a quelques semaines que la trêve des jeux respectée depuis l’antiquité serait tout aussi respectée malgré les menaces de
la Corée du nord. Finalement, tout s’est bien passé. Reste à voir dans les prochaines semaines si le dictateur de la Corée du nord a eu une stratégie gagnante.
Rappeler la contribution permanente des armées à la fierté nationale
Il n’en reste pas moins que la France a été à la hauteur de ces jeux. Il est bon à cet égard de rappeler le poids de la communauté militaire dans le succès
français.
Comme l’a très bien fait le général Robinet (Cf. ASAF), cela peut être en revanche l’opportunité de souligner le peu
d’appétit des médias pour souligner cet apport de ces jeunes militaires, athlètes de haut niveau. Il rappelle à cet égard cette préface du lieutenant Fourcade, le plus grand médaillé français des
jeux olympiques d’hiver, à un ouvrage sur les troupes de montagne et dont nul ne rappelle son état militaire.
Les journalistes doivent faire preuve de respect et de discernement. Il semble en effet plus facile de rappeler qu’un tueur comme Nordahl Lelandais a été militaire,
pourtant il y a longtemps et exclu de l’armée, que de mettre à l’honneur les nombreux militaires ayant participé à ces jeux olympiques.
Il est vrai que, dans un billet précédent (Cf. Billet du 19 novembre 2017), je m’étais déjà plaint de cette
absence de respect par les journalistes par exemple en n’appelant pas par leur grade les officiers interviewés. A nouveau, il y a peu de temps sur RTL, Yves Calvi ignorait le grade de Karine
Lejeune, porte-parole de la gendarmerie et lieutenant-colonel. Sans doute pour établir une égalité qui n’a pas besoin pourtant d’être affirmée. En revanche, ignorer ces règles de politesse en dit
long sur une forme de dégradation de notre société et à travers ce manque de respect dans la forme porté à ceux qui incarnent l’autorité de l’Etat.
Nous en sommes d’ailleurs en partie responsables. Sur ce même billet, j’obtenais une réaction négative d’un ancien amiral « cinq étoiles », n’y voyant que
l’affirmation d’un ego alors qu’il s’agit d’abord de tenir son rang. Mais ma génération a subi cette génération d’officiers soucieux de ne pas se faire remarquer, de ne pas s‘exprimer et encore
moins de tenir leur rang…. Alors qu’il ne s’agit que de rappeler ni plus ni moins ce que nous sommes.
Cette dégradation de la société dénoncée par beaucoup se constate dans de nombreux d’autres domaines. Il a conduit à la recherche de solution. La dernière en date
est celle du service national universel (SNU).
Se référer au rapport parlementaire sur le SNU du 14 février 2018
Un rapport de 155 pages a été remis au Premier ministre pour proposer la mise en œuvre d’un SNU rénové, souvent évoquée par des candidats aux élections
présidentielles de 2017. Pourtant cela n’a pas semblé satisfaire grand monde mais peut-on éviter les oppositions en France ? A la décharge des contradicteurs, la cacophonie gouvernementale a
été impressionnante. De fait, la volonté politique s’exprimera à partir du 30 avril avec la remise du rapport sur le service national commandé par Emmanuel Macron à un groupe de travail.
Pour ma part, comme je l’avais écrit dans un billet précédent (Cf. Mon billet du 19 mars 2017) tout en y étant favorable sur le
principe, les difficultés me paraissaient telles que ce projet semblait irréalisable.
Ce que je remarque surtout est cette volonté d’éviter la contrainte et ne pas faire des citoyens-soldats à partir de ce service national universel. Pourtant peut-on
concevoir que l’esprit de défense ne soit que virtuel et qu’il ne prépare pas à défendre son pays y compris par les armes ? Tous sont cependant convaincus qu’il faut redonner du sens au
service national universel tel qu’il existe actuellement.
Les rapporteures Marianne Dubois (LR) et Emilie Guerel (LRM) prônent un parcours citoyen en trois étapes. Elles ont rappelé avec pertinence l’article L. 111-1 du code de la
défense : « Les citoyens concourent à la défense et à la cohésion de la
Nation. Ce devoir s’exerce notamment par l’accomplissement du service national universel. » avec néanmoins un raccourci bien osé pour tirer la conséquence de la suspension de la
conscription : « malgré la mention du devoir de concourir à la défense de la
Nation, le SNU n’a plus vocation à former des soldats : la défense de la Nation s’incarne avant tout par la contribution de chacun à la cohésion nationale ». Je pense qu’elles
se trompent mais ceci est une autre affaire.
Le rapport est très complet et, outre plusieurs scénarios, apporte des informations intéressantes. Alors que la loi du 10 mars 2010 a intégré le service civique au
service national. La réserve ne fait ainsi pas partie, en droit, du service national universel, alors même que ses membres « concourent à la défense et à la cohésion de la Nation ».Il en va de même s’agissant de la
réserve civique. Tout ceci montre qu’il faut remettre d’aplomb le SNU mais aussi rétablir la cohérence de l’ensemble.
De même, le projet de service national universel pourrait se heurter à un argument de constitutionnalité en raison de son caractère obligatoire et par certains
aspects à un rejet par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cela laisse rêveur sur l’état de déliquescence de notre société qui, juridiquement, pourrait ne pas imposer dans certains cas des
obligations au citoyen pour sa défense.
Le SNU, un projet cependant qui vaut la peine d’être soutenu
La solution privilégiée par les rapporteures est schématisée par ce diagramme.
Je n’en ai pas trouvé la trace dans la presse et cela est bien dommage. Cela aurait évité des commentaires parfois
inutiles.
La question du financement reste primordiale avec un coût de fonctionnement de 2,4 à 3 milliards d’euros par an, infrastructures comprises. Il ne s’agit pas d’une
dépense mais d’un investissement dans la jeunesse et dans la cohésion future de la Nation en favorisant son engagement sous des formes multiples, complémentaires mais organisées. Il n’en reste
pas moins la question du contenu du service national universel avec une question pour reprendre le colonel ® Goya : « est-ce un objectif de sécurité ou bien de vivre-ensemble ?
Veut-on former des militaires ou bien fabriquer des citoyens ? ». Pour ma part, je dirai qu’il s’agit de former des citoyens capables de défendre leur pays éventuellement par les armes
et ce n’est ni anodin, ni « ringard ».
Pour conclure, je pense que malgré les difficultés, il est temps d’imposer progressivement ce service national universel dès lors qu’il ne néglige pas le
développement de l’esprit de défense, y compris dans sa dimension militaire. Cela sera peut-être l’occasion de renforcer l’encadrement militaire comme je l’ai proposé au 20h de TF1 le 13 février
dans une interview, d’ailleurs frustrante par le peu d’éléments retenus sur la question du SNU.
Dès lors qu’il y a une volonté politique du président de la République (Cf. Lire dans Valeurs actuelles, « service national, enjeu national »), qu’il y a aussi un
besoin de réarmer moralement notre société compte tenu d’un avenir incertain, les questions budgétaires en particulier ne devront pas être une entrave et le projet tel qu’il est présenté, sans
doute amendé à compter du 30 avril, pourra avoir une influence positive sur notre société.
Petite histoire et perspectives du service militaire ou national
ITW du Col. M. Goya pour "La voix du Nord" - le 23/02/2018
Michel Goya est historien et ancien colonel des troupes de marine de l’armée de terre. Pour lui, le projet de service national universel inverse à tort le processus de la conscription
« impôt du temps » donné à l’Etat (photo archives La Voix du Nord de jeunes de l'EPIDE de Cambrai, ancien centre du service militaire). En attendant le groupe d'experts du
gouvernement qui rendra ses conclusions en avril, « on se retrouve avec un bébé un peu mal né qui peut être un cadeau empoisonné pour le gouvernement », selon Michel Goya.
- Quel est le rapport au service militaire ou national en France ? « A partir de la Guerre de
cent ans et de la création de l'Etat moderne, en échange de l’impôt, l’Etat se débrouille en payant des professionnels. Sous la Révolution française en revanche, car la patrie est en danger,
c’est le retour du modèle romain, du citoyen égal soldat, de la conscription impôt du temps. Au lieu de donner de l’argent, on donne du temps et éventuellement, on y laisse sa peau. Face aux
réticences, on met en place le tirage au sort, dont la bourgeoisie s’exempte. Les soldats sont des paysans qui ne peuvent pas y échapper et qui deviennent des pros. »
- Pourquoi le service devient-il obligatoire en 1905 sous la IIIe République ?
« La menace est à nos frontières et c’est quand même pratique des soldats pas chers et nombreux. Pour la première fois, on ne peut plus y échapper et ce
système va perdurer jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie. Avec une innovation en 1965, le service n’est plus forcément militaire, il devient national. On élargit le spectre avec la coopération
et d’autres dispositifs. Avec l’évolution des matériels et le principe de ne plus envoyer d’appelés hors du territoire métropolitain, on a moins besoin d’effectifs. L’armée a du mal à absorber
une classe d’âge d’environ 400 000 hommes. »
- Pourquoi le service est-il mort à petit feu en 1997 ?
« Arrive l’inattendu, la fin du Pacte de Varsovie et de l’ennemi à nos frontières. Le modèle d’armée ne tient plus la route. Pendant la guerre du Golfe de
1991, on ne peut envoyer que 15 000 soldats pros. Et surtout, la motivation première du service, qui est la défense de la Nation, s’est délitée avec une multitude d’exemptions, de
détournements et une anomalie, l’absence des filles. Même parmi ceux qui le faisaient, il existait un étagement assez social. Moi qui fus lieutenant dans un régiment d’infanterie, je n’avais pas
beaucoup de « Bac + » dans ma section. Il n’y avait donc plus de motivation, une inadéquation avec l’emploi réel, des inégalités, tout cela a fait que le service a été suspendu et que
personne ne l’a alors défendu. »
- Que craignez-vous dans le futur service national universel ?
« Je reproche au projet de privilégier l’aspect socio-éducatif à la finalité du service qui est d’être efficient et rentable pour la Nation. Le service
militaire permettait de renforcer la Défense, là, on peut imaginer que 800 000 jeunes investissent les services de l’Etat et des associations qui manquent de moyens pour donner un coup de
main et acquérir une compétence. Les bases du futur service sont floues. Je crains que l’on crée une immense usine à gaz très complexe à gérer et très coûteuse qui se fera forcément au détriment
d’autres services publics.
Quand on parle d’un service universel obligatoire pour des adultes, les problèmes se multiplient. Que se passe-t-il si on refuse de le faire ? Si cela ne coûte
rien, cela ne durera pas et ça deviendra un système volontaire. Ce n’est jamais évoqué dans les discours. Avant, un service civil durait le double du militaire. Les objecteurs de conscience
pouvaient aller en prison. S’il n’y a pas de contraintes, il ne peut pas être obligatoire. »
- L’idée est tout de même de raviver la cohésion nationale…
« C’est une idée à la mode, sortie d'on ne sait où durant la campagne, un coup électoral sans réelle réflexion de fond. Du coup, on se retrouve avec un bébé un peu
mal né qui peut être un cadeau empoisonné pour le gouvernement. »
"Sur le service national, le débat a été escamoté"
Le 20/02/2018.
OPINION - Christian Cambon, sénateur LR du Val-de-Marne et président de la commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, estime que le Parlement n'a pas été suffisamment écouté sur le service national obligatoire.
Le 18 mars 2017, le futur président de la République proposait, dans un discours de campagne électorale, la mise en place d'un service national obligatoire et universel (SNU). Cette proposition,
inattendue, peu préparée, voire précipitée, répondait à un objectif estimable : donner un contenu concret à l'engagement au service de la Nation, répondre à la quête de sens d'une jeunesse
désorientée, en mal de repères, et renforcer la résilience de notre communauté nationale face aux défis du présent et de l'avenir.
C'est un sujet majeur pour notre pays et pour notre jeunesse. Il touchera chaque jeune, chaque famille. Sur un enjeu de cette taille, on est en droit d'attendre un riche débat d'idées. Or, où en
est-on, près d'un an plus tard, sur la méthode et sur le fond?
Sur la méthode, d'abord. Elle ne manque pas d'inquiéter. Après plusieurs mois de flottement, chacun est comme figé en apesanteur, suspendu à la parole présidentielle, qui vient dessiner, par
déclarations successives, ce que devrait être le futur SNU. Du côté du gouvernement, des ministres se contredisent, créant la cacophonie. Quant au Parlement, il est tout simplement mis de côté,
si ce n'est court-circuité, le Président prenant la parole à la veille de la présentation d'un rapport parlementaire sur le sujet pour en contredire les conclusions! La commission de haut niveau,
annoncée en octobre, qui devait permettre une forme de concertation, laisse place à un groupe de travail restreint, ne comprenant pas de parlementaires, lesquels se voient par ailleurs refuser la
communication du rapport administratif commandé par le Premier ministre, dont les conclusions gênent, semble-t-il, l'exécutif.
Le service national universel est un projet majeur du quinquennat, qui mérite un vrai débat national, et ne saurait être réglé par des experts en petit comité
Pourtant, sur un tel sujet de société, le Parlement devrait être au centre du débat. Deux députées, Marianne Dubois (LR) et Emilie Guerel (LREM), ont effectué un travail de fond, réaliste, que je
salue, examinant de nombreuses options. Or la publication de leur rapport, d'abord reportée – sous quelles pressions? – puis avancée, est rendue peu audible, en raison des déclarations
concomitantes du président de la République…
Tout cela n'est pas sérieux. Le service national universel est un projet majeur du quinquennat, qui mérite un vrai débat national, et ne saurait être réglé par des experts en petit
comité. Un projet de cette ampleur n'aboutira pas seul contre tous : contre les ministres, contre le Parlement, contre la jeunesse elle-même qui a voix au chapitre! Continuer à mettre les
difficultés d'organisation et de financement – colossales – sous le tapis n'est pas digne de notre démocratie.
La cacophonie n'est pas le débat. Or le débat est indispensable : un débat parlementaire, puisque c'est au Parlement qu'il reviendra de légiférer, in fine, et un débat de société, puisque ce
projet concernera tous nos concitoyens.
La cohésion nationale, les valeurs de l'engagement et du "service" sont au cœur de l'ADN des armées : elles auront donc nécessairement un rôle à jouer
Sur le fond, ensuite. On marche sur la tête en mettant en avant la question des moyens plutôt que celle de la finalité! Un rapport du Sénat a, dès le mois de mai dernier, mis en évidence le
danger mortel pour nos armées si elles devaient porter le poids d'un projet dont l'objectif premier ne relève pas de la défense. Halte à la nostalgie du service militaire! Non seulement les
moyens des armées ont fondu, mais surtout, les arguments pour la professionnalisation des armées, à l'initiative du président Jacques Chirac, n'ont rien perdu de leur bien-fondé. Le Sénat a été
entendu sur ce point : le président de la République a confirmé que le SNU ne serait ni militaire, ni financé par les armées. Il s'agira, vraisemblablement, d'un service de type civique. Le Sénat
veillera à ce que son financement n'ampute pas des budgets de défense déjà dimensionnés au plus juste.
Pour autant, la cohésion nationale, les valeurs de l'engagement et du "service" sont au cœur de l'ADN des armées : elles auront donc nécessairement un rôle à jouer, à côté d'autres partenaires.
La contribution qui leur sera demandée devra être réaliste, soutenable, permettre la consolidation du lien armée-nation et la diffusion de l'esprit de défense, qui sont producteurs de lien
social. C'est à la définition de la nature, de l'ampleur et des modalités de cette contribution des armées au projet de SNU que la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat
travaille, en vue de préconisations à paraître au printemps.
Le Sénat espère contribuer ainsi à nourrir un vrai débat de société, à la hauteur des enjeux du service national universel.
Le service militaire obligatoire est une fausse bonne idée
...par le Gal. Vincent Desportes - le 19/02/2018
La semaine dernière, le ministre des Armées Florence Parly a affirmé que le service militaire, engagement de campagne d’Emmanuel Macron, « ne serait probablement pas obligatoire ». Mais, dimanche, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a déclaré de son côté qu’il était favorable à un service
obligatoire. Et mardi matin, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, annonçait que ce service « sera universel, il concernera toute la classe
d’âge et il sera obligatoire ». Le général (2s) Vincent Desportes analyse, pour Boulevard Voltaire, cet apparent imbroglio au sommet de l’État et donne son point de vue sur ce projet
de service.
Général Desportes, nous assistons à un petit imbroglio au sommet de l’État à propos du service national universel (SNU). Le
Président Macron souhaite que cette mesure soit appliquée. La ministre des Armées Florence Parly a déclaré qu’il n’y aurait aucune obligation à faire ce service. Gérard Collomb, quant à lui, a
l’air de dire l’inverse. Quelle est votre position ?
Deux écoles s’affrontent, l’école de l’idéologie avec le ministre de l’Intérieur et celle du réalisme avec celle de madame Parly. D’un côté, le ministre des
Armées connaît désormais la situation de délabrement de l’armée française et sa difficulté à remonter en puissance. Elle a bien compris que ce projet serait – à tort, et quoi qu’on en dise –
porté par les armées. Elle pense que ce n’est pas la priorité de la défense qui doit d’abord se rétablir et se restaurer pour être à la hauteur des enjeux. De l’autre, le ministre de l’Intérieur
a un problème de cohésion sociale. C’est son problème. Il pense, même si je ne suis pas très sûr qu’il ait raison, que le SNU pourrait être le bon outil de reconstruction de la collectivité et de
la socialisation des jeunes Français. Au fond, chacun des deux intervenants parle du siège de son ministère. L’un a un problème de défense à régler et l’autre à un problème de socialisation et de
refondation de la société française.
Ce débat intervient alors même que le budget de la défense est devenu un sujet primordial dans l’actualité. Selon vous, les
armées peuvent-elles supporter cet effort ?
Les propos officiels ont été clairs. Il faudra plusieurs milliards par an pour financer ce projet. Ce budget ne devrait pas être pris sur le budget de défense, et
c’est le moins qu’on puisse espérer. La défense est encore très loin d’avoir les budgets nécessaires à sa remise en état. Mais ce projet pèsera sur les armées d’une façon ou d’une autre. Comme
d’habitude, le ministère le plus discipliné donnera le plus. C’est donc le ministère des armées. On aura beaucoup plus de facilité à demander aux militaires de venir encadrer des jeunes qu’à
l’Éducation nationale ou à la Santé.
Un nombre considérable de cadres sera donc concerné. Dans une affaire comme celle-ci, il faut un cadre pour quatre jeunes. On ne peut pas imaginer qu’il faille
moins de dix à quinze mille cadres pour encadrer ce service. Si on enlève dix à quinze mille cadres à l’armée française qui est déjà surengagée, et par ailleurs la moins encadrée d’Europe, cela
va porter un coup difficile aux armées.
Selon vous, ce service national universel pourrait-il être un bon outil pour rénover une cohésion sociale effectivement bien
mise à mal ?
Je pense que c’est une fausse bonne idée. Il y a bien un problème de cohésion nationale. Et il y a bien un problème d’illettrisme, de santé, etc. Le service
national a rempli ce rôle il y a plus de vingt ans maintenant. On pense à tort qu’il serait capable de le remplir aujourd’hui. Je ne le pense pas. Le problème n’est pas un problème militaire. Les
cadres militaires ne seront pas forcément le mieux à même de régler le problème. Tous les militaires sont des éducateurs par profession et sont, de fait, mieux placés que d’autres pour faire
cela. Mais est-ce bien à eux de le faire ? Si c’est à eux de le faire et s’ils sont les mieux placés, ils régleront un problème qui n’est pas le leur et cela fera du tort aux capacités de défense
française. Je ne pense pas que l’idée d’un service militaire soit une bonne idée. Cette idée a été lancée sans que la finalité du projet soit vraiment établie. Puisque l’objectif est encore
débattu, on a bien du mal à savoir ce qu’on en attend vraiment et comment on va le faire.
Service national universel : Macron en marche forcée
Le 19/02/2018.
Le chef de l'État veut remettre sur les rails son projet de service obligatoire, qui était un engagement de campagne. Jusqu'à présent, la confusion règne...
À part le président de la République – et encore ! –, personne ne sait vraiment ce qu'il a en tête s'agissant du service national universel (SNU). Ainsi, les
dix derniers jours ont été marqués par une incroyable cacophonie. La ministre des Armées Florence Parly a ouvert le bal en déclarant le 9 février que le futur SNU « n'aura
probablement pas un caractère obligatoire, au sens où les gendarmes viendraient rechercher le réfractaire, mais ce sera un service qu'on cherchera à rendre attractif pour les jeunes afin qu'ils
soient incités à le réaliser, à la fois pour eux-mêmes, pour ce qu'ils y apprendront et aussi pour ce qu'ils pourront donner aux autres ». Déclaration logique dans la bouche d'une ministre
qui sait à quel point ce projet crispe les armées.
Deux jours plus tard, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb est désigné volontaire pour corriger le
tir de sa collègue : « En indiquant pas obligatoire, la ministre a voulu dire pas
punitif : elle n'a pas remis en cause sa vocation universelle, c'est-à-dire ayant vocation à concerner tous les jeunes. » Obligatoire, donc…
Dans le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le SNU, présenté avec une
semaine d'avance le 14 février et dont Le Monde a publié la veille les conclusions, les députées Marianne Dubois (LR) et Émilie Guérel (LREM) proposent un service étalé
dans le temps, sous la forme d'un « parcours citoyen en trois étapes », franchies entre 11 et 25 ans. Tout d'abord, au sein du collège,
entre 11 et 16 ans, « un enseignement moral et civique renforcé » ainsi qu'« une semaine annuelle de la défense et de la citoyenneté (obligatoire) ».
À 16 ans « un rite de passage » se substituerait à l'actuelle Journée de défense et de citoyenneté (JDC), soit durant une semaine en internat pendant les vacances scolaires,
soit pendant une semaine dans le monde associatif. Et finalement, entre 16 et 25 ans serait prévue « une incitation à l'engagement, facultative, dans des dispositifs
éprouvés : service civique, garde nationale, engagement associatif... » Mais les parlementaires estiment avoir travaillé dans de très mauvaises conditions ! Et elles sont
furieuses…
« Mépris du Parlement »
Le rapport des deux parlementaires ne plaisant pas à l'Élysée, tout a été fait pour les gêner. Matignon a même
refusé de leur communiquer le texte d'un autre rapport commandé en septembre à cinq inspections générales (administration, armées, finances, éducation, jeunesse et sports), qui se sont montrées
très hostiles au SNU, à en croire les extraits publiés par Les
Échosle 4 février. Selon le journal, la conclusion du document est assassine : « Les positions exprimées à ce jour sur le service universel d'un mois font
ressortir d'importantes réserves tenant à la fois au caractère obligatoire de ce service, à l'importance des moyens matériels et humains à mobiliser pour accueillir et encadrer toute une classe
d'âge, pendant plusieurs semaines, aux doutes exprimés sur la possibilité d'entretenir un résultat significatif, en un mois, au regard des objectifs affichés. » Furieuse, la députée Marianne
Dubois a lancé en public à Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense de l'Assemblée : « On nous a mis des bâtons dans les roues. Il y a d'abord eu le fameux rapport
inter-inspections (…) dont nous n'avons pas pu lire la moindre ligne. Il ne s'agit pas d'un mépris de l'opposition, puisque vous l'aviez vous-même demandé, monsieur le président, sans plus de
succès. Il s'agit donc globalement d'un mépris du Parlement. »
Reçu dans la soirée du 13 février par l'Association de la presse
présidentielle, Emmanuel Macron est monté au créneau pour défendre son
projet en plaisantant sur les réticences perceptibles dans l'ensemble des administrations civiles et militaires : « Je n'ai pas le sentiment qu'on ait voulu donner dans la
clarté. » Et d'ajouter : « Ce service n'est pas un service militaire, même si j'ai souhaité qu'on puisse y prévoir l'ouverture à la chose militaire, c'est pour cela qu'il est
national, et il est universel parce que je souhaite qu'il puisse être obligatoire. Sa forme pourra aussi être civique. L'idée n'est pas que ça dure un an, je pense qu'aujourd'hui, c'est autour du
trimestre que les gens sont en train de réfléchir (...). La partie obligatoire elle-même n'est pas encore finalisée, mais je pense que ce sera entre trois et six mois. » Tout en récusant
l'idée d'un « service militaire à l'ancienne où il faut loger des gens pendant un temps donné loin de leur famille », le président a poursuivi : « cela aura un coût, je ne
pense pas qu'il soit prohibitif », avant de conclure : « en termes de cohésion nationale, ça sera un vrai élément de transformation ».
Un général à la tête de la commission
Promis depuis quelques semaines, le groupe de travail chargé de mettre en musique le projet d'Emmanuel Macron a été dévoilé le 16 février et réuni le même
jour à l'Élysée. Que l'on ne s'y trompe pas : ce groupe de sept personnes aura pour fonction de donner au président des arguments sur un projet irréalisable à ce jour, si l'on ne tient
compte que des éléments rendus publics par Emmanuel Macron. À ce stade, rassembler entre 600 000 et 800 000 jeunes d'une classe d'âge, pour une période obligatoire de 3 trois
à 6 mois et pour un coût « non prohibitif », c'est dans le meilleur des cas une gageure…
Laissant penser que les armées seront beaucoup plus impliquées que ce qui avait été annoncé jusqu'à présent, la présidence du groupe de travail a été confiée au
général de brigade (bientôt général de division) Daniel Ménaouine, qui fut notamment chef d'état-major de la Minusma au Mali. Nommé le 1er septembre dernier général « adjoint
cohérence » du général commandant des forces terrestres, il a été affecté le 14 février comme chargé de mission au secrétariat général pour l'administration. À ses côtés siégeront
six personnes aux profils originaux, qui vont devoir définir les contours de l'usine à gaz :
- Juliette Méadel, ancienne secrétaire d'État à l'Aide aux victimes (de février 2016 à mai 2017),
fervent soutien d'un service civique obligatoire, idée reprise dans le programme de Manuel Valls pour la primaire socialiste ;
- Kléber Arhoul, préfet, est depuis octobre 2015 le coordinateur national pour l'accueil des
migrants en France ;
- Emmanuelle Pérès est depuis 2011 déléguée générale de la Fédération de la formation
professionnelle ;
- Guy Lavocat, passé par l'école de management de Saint-Cyr, explique sur le site de son
entreprise avoir contribué à la création d'une école spécialisée dans les ressources humaines pour l'armée afghane et au projet de création d'une école de Saint-Cyr au Qatar.
- Marion Chapulut est présidente de CitizenCorps, une association fondée en 2015 qui veut
« permettre aux adolescents de prendre confiance en eux et en leur capacité à changer les choses », en « mêlant approches éducatives hors des murs de l'école et pratiques ludiques,
sportives et artistiques » pour proposer « une approche inspirante et nouvelle à la jeune génération
Dans les débats en cours sur le « nouveau service national », on oublie souvent un paramètre essentiel : l’ancien
service universel et obligatoire n’a jamais été conçu pour « faire du bien aux jeunes » mais pour servir la nation toute entière. Les citoyens romains ne se réunissaient pas en légions
ou les soldats de la 1ère République en demi-brigades pour « créer du lien », « apprendre le vivre ensemble » ou « se brasser » mais bien pour défendre la
cité ou la Patrie en danger. Ce n’est que secondairement, en France sous la IIIe République, que l’on s’est préoccupé de donner plus de « contenu » à ce temps
obligatoire passé sous les armes.
N’oublions pas que jusqu’à la loi de 1905 le service n’a été obligatoire que pour certains, concrètement des hommes tirés au sort qui
ne pouvaient s’en exempter en payant. Ces « mauvais numéros » venaient de la « France d’en bas », ils étaient peu éduqués et par principe peu motivés pour faire une carrière
militaire de trois à sept ans selon les époques. On considérait donc qu’on ne pouvait en faire « quelque chose » qu’en les « dressant » (le terme est d’époque) longuement et
en les surveillant constamment. Ce n’était pas sans vertu. On ne va pas ensemble au combat sans un minimum de confiance en soi, de cohésion et d’esprit de corps. Les troupes de
semi-professionnels du Second Empire se sont souvent battues avec un grand courage mais ce n’était pas suffisant.
Les choses commencent à changer à la fin du siècle. Par obligation tactique d'abord : les armes modernes font que le soldat, qui est
principalement un fantassin, se retrouve de plus en plus isolé sur le champ de bataille. Il faut donc qu’il ait en lui une motivation forte pour combattre alors qu’il n’est plus forcément
surveillé. Outre les vertus minimales de tout soldat on va donc s’efforcer de lui inculquer des valeurs comme celle du sacrifice au bénéfice de l’intérêt commun. On appellera cela les
« baïonnettes intelligentes ». C’est une obligation stratégique ensuite. La Prusse et ses
alliés, aux armées organisées selon le principe du service obligatoire, ont écrasé l’armée du Second Empire en un seul mois de 1870. Face à cette menace extérieure la Patrie était en danger mortel en permanence, et il n’était d’autre solution que de « mobiliser en
masse ». C’est ainsi que l’on est arrivé au service universel et obligatoire en 1905, avec cette correspondance entre citoyens d’alors (sans les femmes et les
militaires, à qui le droit de vote est enlevé jusqu'en 1945) et défenseurs de la Patrie.
On s'est trouvé ainsi avec un système qui combinait les avantages du système antique citoyen = défenseur, c’est-à-dire principalement
la masse à bas coût, et du système professionnel avec une force permanente d’active constituée de soldats qui effectuent deux (puis trois à partir de 1913) ans de service, durée jugée (largement
à tort mais c’est un héritage de l’époque du dressage) minimale pour former un combattant acceptable. Avec réticence, la République a reconstitué aussi une force conséquente de professionnels
pour les affaires lointaines, à la place des conscrits qui y mouraient de maladies (15 000 lors de l’expédition de Madagascar en 1894) et là où ils étaient moins susceptibles de fomenter un
coup d’Etat (mais on les fera revenir en France pour mourir quand même). Au total, la France disposait en 1914 d’une armée permanente de plus de 700 000 hommes et d’au moins quatre millions
de réservistes. Le conscrit était là pour servir la nation et, parce que c’est indissociable, il était formé aussi à la citoyenneté et au « faire France » (ce qu’on appellait
« patriotisme » à l’époque).
Il ne faut pas imaginer que tout cela s’est imposé facilement, ni que cela a réussi parfaitement. C’est plutôt l’antimilitarisme qui
s'est développé à l’époque de la mise en place du service universel d’autant plus que celui-ci coïncidait avec l’emploi des forces armées dans des missions de sécurité intérieure (il est vrai
surtout des missions de répression). Des gens qui pouvaient publier vivaient désormais dans les casernes et y ont décrit un univers entre celui prôné par le capitaine Lyautey dans son « rôle
social de l’officier » et celui du soldat « juste milieu entre l’homme et la chose ». Pour autant la chose était globalement acceptée, et de plus en plus avec le temps, car il y
avait une menace majeure à nos frontières. Le mal était considéré comme nécessaire.
Faisons un petit bond dans le temps. En 1965, innovation majeure, la notion de service est élargie et celui-ci devient
« national », incluant le service militaire mais aussi désormais la coopération, l’aide technique dans les DOM-TOM, puis dans la gendarmerie, la police nationale et la
sécurité civile. Autrement dit, la notion de service à la nation ne passe plus par le seul service des armes mais par celui de l’Etat, potentiellement dans toutes ses composantes. Il faut surtout
noter que l’on a commencé à déconnecter ainsi la notion de service de celle de réponse à une menace militaire.
Dans les faits, cet élargissement existe aussi parce que la composante « capital » des armées prend le dessus sur le
« travail » et qu’on ne sait plus très bien dans les corps de troupe quoi faire de 400 000 jeunes hommes. On cherche donc des formes de substitution jusqu’à même un étrange service
national en entreprises privées. Il est vrai que le service militaire n’est pas non plus extraordinairement populaire à l’époque (les armes c’est mal, le patriotisme c’est ringard, on a autre
chose à faire, etc.) et beaucoup, dont des défenseurs actuels du SNU, s’efforcent d’y échapper ou tout au moins d’en effectuer un le moins pénible possible. Quand on s’aperçoit qu’un impôt n’est plus universel car
beaucoup y échappent par l’évasion, l’acceptation (et la productivité) de cet impôt s’effondre. Pour empêcher cette évasion, il n’y a guère d’autre solution que la « possibilité du
gendarme », pour paraphraser Florence Parly, qui semble l’exclure du nouveau projet. S’il n’y a pas de gendarme, il y aura forcément des resquilleurs en nombre croissant jusqu’au moment où
celui qui paiera encore cet impôt se verra comme un « pigeon ». Obligation implique donc coercition, ce qui là encore n’apparaît guère dans les débats en cours. Que risquera
concrètement celui qui refusera d’effectuer ce nouveau service ? Fera-t-il de la prison alors qu’il refuse un travail forcé ? Devra-t-il payer une amende comme à l’époque du tirage au
sort ?
L’ancien service s’est effondré avec une étonnante rapidité avec la fin de la guerre froide. Le refus d’engager des soldats appelés
pendant la guerre du Golfe a consacré la jurisprudence Madagascar (malgré les progrès de la médecine tropicale). La fin de l’URSS a consacré de la même façon qu’il n’y aurait pas d’engagement de
conscrits aux frontières avant longtemps (mais combien de temps ?). Dans ces conditions, personne n’a vraiment défendu le maintien d'un service militaire devenue peu utile malgré ses vertus
supposées et les attentats islamistes de 1995 ou les troubles au « vivre ensemble » déjà largement constatés.
On notera au passage que si la raison première du service militaire avait disparu, celle des autres formes de service national
perdurait quand même, puisque l'action de l’Etat est permanente. Ces autres formes se sont pourtant évanouies également. Bien entendu avec la fin de la forme active de service a disparu aussi
celle de réserve, celle-ci étant réduite en volume de plus de 98 %. Ce déballonnement rapide a montré combien tous les discours sur les valeurs étaient finalement faibles devant le désir
d’échapper à la charge du service et celui de faire des petites économies sur le service public. A cette époque notre élite de « premiers de cordée » était plutôt la première sur le
drap noué qui permettait de s'échapper de la prison.
Voilà donc revenu l’idée de service universel (dont on rappellera qu’il a été présenté initialement comme « militaire »).
Fort bien mais pour quoi faire ? Rappelons encore une fois que le service a été conçu comme un moyen permettant de développer les ressources de l’Etat, non pas par une taxe supplémentaire
mais par un don de temps de travail (et parfois un don de vie). Remettre en place un service ne peut donc se concevoir que pour aider l’Etat dans ses missions premières. Or, il se trouve
effectivement qu’il en a bien besoin. L’effort consacré à ces missions premières, les quatre ministères régaliens, est passé de 4,5 % du PIB au moment de la suspension du service à 2,8 %
aujourd’hui. Il n’y a pas de lien mais considérons que pour le même effort (faible, n’en déplaise aux pourfendeurs de l’affreuse dépense publique), le maintien du service national aurait
peut-être permis de faire plus. En d’autres termes, le service universel n’est acceptable que s’il apporte plus à la nation qu’il ne lui retire de ressources.
Ces ressources nécessaires, et qui manqueront donc directement à l’Etat ou indirectement par tout ce que les appelés ne créeront pas
pendant leur service, peuvent difficilement être anticipées précisément mais elles se chiffrent en milliards d’euros. Il faut donc que le bénéfice pour la nation, encore moins mesurable, aille
au-delà de cet investissement énorme. Le SNU ne peut être utile qu’en engageant massivement les 800 000 jeunes d’une classe d’âge dans tous les services de l’Etat ou les associations
d’utilité publique. Il ne peut être utile que si on y dépasse le stade de l’apprentissage, qui est un investissement (et donc un affaiblissement momentanée) de la structure d’accueil, pour celui
du retour de cet investissement par un travail utile et immédiat mais aussi potentiel et futur. Un service ne sera utile enfin à la nation que s’il est aussi rentable sur la durée, autrement dit
avec une réserve que l’on pourra solliciter en cas de besoin, sur le modèle des pompiers volontaires par exemple ou des, désormais rares, réserves militaires.
On aura alors, et seulement alors, quelque chose d’à la fois utile pour la nation et d’acceptable pour les finances publiques (à
condition de dépasser le bout du nez budgétaire). On s’apercevra ensuite qu’effectivement cela entraîne quelques bienfaits pour la formation de nos citoyens. On s’apercevra aussi que si le moi
narratif de beaucoup enjolivera les choses quelques années plus tard, ce service sera d'abord ressenti comme une charge et que beaucoup essaieront d’y échapper. Si rien n’est prévu pour dissuader
cette tentation, rien n’empêchera le délitement du système.
A partir du moment où il est obligatoire un service est forcément un « mal nécessaire ». Il ne peut être légitime et donc
durable que tant que le « nécessaire » l’emporte sur le « mal ».
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