C'est une plaisanterie...!

...par le Gal. Bernard Messana - le 09/04/2017.

 

Il suffit parfois de peu de choses, - quelques mots justes au moment opportun, pour créer l’évènement. La journaliste Léa Salamé en eut l’inspiration le 14 Avril 2016, sur Antenne 2, face au Président de la République. Interloquée par des propos présidentiels qu’elle jugeait pour le moins surprenants, - le Président disait son total accord avec la Chancelière allemande en matière de politique d’immigration-, Léa Salamé se laissa aller à un commentaire stupéfait, « c’est une plaisanterie ? », que le Président, impavide, feignit d’ignorer. Mais le mal était fait. Les spectateurs, et ils étaient nombreux à cette heure de grande écoute, réalisaient que l’on pouvait dire au Chef de l’Etat, publiquement, sans nuances, qu’il mentait. Sans même qu’il prenne la peine de le nier, ou surtout qu’il le puisse, tant son mensonge était évident.

         

Avouons-le, c’est un peu, aujourd’hui, l’envie du soldat. Oui, ce soldat, pourtant réputé respectueux, obéissant et muet, a une furieuse envie de dire au politique qu’il ment, de façon  souvent éhontée. C’est ainsi que les plus hauts responsables nationaux déclarent la France « en guerre » et la soumettent d’ailleurs, très concrètement, à l’« état d’urgence ». Cela, le soldat le sait mieux que personne puisque cette guerre, c’est bien lui qui la fait, notamment au Sahel ou au Levant ; et cet état d‘urgence, il le vit, en arpentant casqué, armé, corseté dans son gilet pare-balles, les rues de nos cités. Il fait la guerre, mais il est conscient qu’il la fait mal, car les moyens de vaincre ne lui sont pas donnés. Il assure la sécurité, mais il l’assure mal car, sorte de paratonnerre, il attire la foudre sur lui, l’épargnant ainsi au citoyen.

 

Et le politique au pouvoir, ou aspirant à l’être, est responsable de cet état de fait :

         

Le politique au pouvoir, exemplaire lors de l’intervention Serval au Mali en 2013, en a organisé le prolongement avec l’opération Barkhane. Celle-ci, parfaitement conçue, n’a pourtant pas été dotée des moyens nécessaires pour en garantir le succès. C’est pourquoi, aujourd’hui, les 3 500 hommes engagés sur un champ d’action aussi vaste que l’Europe s’enlisent. Aussi, quand le politique, l’œil sombre, annonce que le combat sera très long, il omet de préciser que cela n’est pas dû à la pugnacité de l’adversaire. C’est d’abord la conséquence directe de l’insuffisance criante des moyens que nous lui opposons. Sur le sol national, quand 7 à 10 000 soldats, supplétifs de nos Forces de Police, se déploient dans nos villes, ils sont avant tout des cibles attirant les actions terroristes, les détournant ainsi des citoyens. Et la multiplicité de ces actions entreprises sans qu’on leur en consente les moyens et procédures appropriées accable nos Forces. N’ont-elles pas déjà été fortement amoindries par les méfaits d’une rationalisation technocratique qui les soumet, depuis dix ans, aux critères d’une financiarisation déshumanisée ? Leur capacité d’adaptation s’essouffle...

 

Quant aux politiques aspirant actuellement au pouvoir, ils ne sont pas en reste en matière de déni. Futurs « chefs des Armées », ils psalmodient un programme de Défense dont le « La » est un timide 2% de la richesse nationale. Sans qu’on en sache trop le contenu, ni les échéances. Et sachant que ce prétendu effort s’opérera sur un terrain lourdement miné par les promesses et engagements des prédécesseurs, ce qui en annulera irrémédiablement les effets. Mais, à vrai dire, il s’agit là de faits qui n’inquiètent pas véritablement le politique. Ce qu’il promet relève de la « poésie » comme le rappelait autrefois M. Rocard, réaliste et sincère, à propos des lois de programmation militaire. Le soldat, lui, obéit. Point.

         

 

Le plus haut responsable de la hiérarchie militaire, le chef d’état major des Armées, a aujourd’hui choisi de rompre le silence respectueux qui est de tradition dans ses fonctions. Il s’exprime, et ce n’est pas là l’habituel relâchement de hauts responsables retrouvant une certaine liberté de parole au moment de quitter leurs fonctions. Non, le CEMA fait un bilan grave, précis, et prospectif, qui révèle l’inanité de la plupart des discours sur la Défense des politiques : ceux qui vont partir, et pour qui, naturellement, tout va mieux, d’autant plus que leurs promesses n’engagent que leurs successeurs; ceux qui aspirent à l’emploi et, l’œil sévère et menaçant, annoncent déjà bilans stratégiques, et audits fonctionnels. Oubliant que les constats sont tous déjà faits, et qu’il suffit de les lire.

 

 Mais on peut lire, et ne pas comprendre. Ou ne pas le vouloir.

 

 On peut sans doute exclure l’incompréhension, synonyme de sottise. Le politique, généralement, n’est point sot. On retiendra donc le déni.

         

On découvre alors que le soldat fait une erreur profonde. Il s’imagine que ce qu’il voit et pratique au quotidien doit à  tous s’imposer comme LA réalité. Le soldat en effet est « Au contact ». Il s’est posté, il manœuvre, il a ouvert le feu. Il veut vaincre. Le politique lui n’est qu’« En marche » vers un avenir mythique, et les escarmouches ne troublent en rien son élan. Il le marquera de quelques discours aux Invalides, et des décorations déposées sur des cercueils alignés. La « guerre » dans laquelle il engage le soldat n’est pour lui que « crise » dont l’issue aux contours encore incertains sera politique. Et l’engagement du soldat n’est qu’un élément de la gestion globale, une gesticulation. Son « succès » peut même être parfois contre-productif, quand l’ennemi apparent se révèle, dans le même temps « interlocuteur valable », faisant du « bon boulot ». « Au contact » dira le politique ironique au soldat, vous n’avez aucun recul, aucune perspective. Le stratège éclairé, c’est moi.

         

Dès lors on comprend que le problème essentiel, est celui de la communication. Le soldat parle d’absence de moyens, de budget insuffisant, de contrats opérationnels dépassés, s’imaginant qu’on lui demande toujours  de « gagner » des guerres. Or c’est là exceptionnel. Le politique se contente de vouloir rayonner partout,- l’autonomie stratégique -, et il y consacrera des moyens que le soldat, ne pouvant gagner nulle part, trouvera « juste insuffisants », mais que le politique trouvera, lui, suffisants pour ne point perdre…et durer.

 On peut alors vouloir rétablir la communication. Le soldat y aspire. Actuellement presque totalement absent du Ministère de la Défense, et devant les urgences qui se dessinent, il veut y retrouver la place nécessaire. M. Giscard d’Estaing l’avait compris en son temps en faisant du Général Bigeard un précieux secrétaire d’Etat à la Défense. Et bien d’autres postes mériteraient assurément d’être remilitarisés. Ainsi le politique, de plus en plus ignorant de la « chose » militaire, en retrouverait ou en découvrirait la spécificité. Mais le veut-il ?

 On peut en douter. Alors, il ne faut pas s’y tromper, le jour est proche où les Armées devenues totalement professionnelles,- ce que certains responsables n’ont pas encore véritablement réalisé-, se comporteront comme un service public en charge de la Défense, et recourront à la lutte corporatiste pour défendre la bonne exécution de ce service. Défendre aussi leurs soldes, et leur condition, et le reste… Comme les gendarmes en 2001, avec succès.

         

Le bilan dressé aujourd’hui par le CEMA, pourtant exemplaire, n’a pas été entendu. En désespoir de cause, et peut-être anxieux, ce haut responsable a choisi maintenant de s’adresser  directement aux soldats pour les prévenir que face au « brouillard de la guerre qui s’épaissit », revient « le temps du courage »; est-ce là dire qu’il faut se préparer à subir ? Vigny l’écrivait déjà : « Leur couronne est une couronne d’épines, et parmi ses pointes je ne pense pas qu’il en soit de plus douloureuse que celle de l’obéissance passive ». L’obéissance est un devoir, certes, mais quand la tempête s’annonce sans que les responsables de la Nation daignent concrètement s’en soucier, la désobéissance ne risque t’elle pas de devenir ardente tentation ?

         

L’esprit de la dissuasion a anesthésié nos responsables politiques, qui ne croient plus qu’à la non-guerre. Quant aux terroristes, essentiellement  Français, ils vivent dans ces zones de « non-droit » que nul responsable actuel, ou candidat à la présidence, n’envisage de reconquérir. D’autres, traîtres à leur Patrie, sont partis au pays de Cham, et l’on semble ne se préoccuper que d’organiser un retour que nul pourtant ne devrait espérer.

Alors le soldat s’interroge, car l’esprit de la dissuasion l’a définitivement quitté quand, « au contact », dans les « cinquante derniers mètres du fantassin », il a pu voir le blanc des yeux de son ennemi, et comprendre ce qui y était écrit. Il n’y a pas découvert l’ombre d’une plaisanterie.

 

 Bernard MESSANA

Officier général (2S) 

 

 Source : http://www.asafrance.fr/item/libre-opinion-du-general-2s-bernard-messana-c-est-une-plaisanterie.html

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