De la droite, de la défense nationale et de la liberté d’expression des généraux

par le Gal. François Chauvancy - le 15/05/2016.


Le parti « Les Républicains » organisait sous forme de trois tables rondes une demi-journée de travail sur la défense. Elle était clôturée par un discours de Nicolas Sarkozy. Un certain nombre de généraux sont intervenus pour montrer l’état de la défense et exprimer à une exception près, des attentes essentiellement en terme de moyens, par armée et direction, bien loin de toute réflexion stratégique et donc politique. Cela me permettra d’aborder à nouveau leur liberté d’expression.

Une demi-journée de travail sur la défense

Il n’en reste pas moins surprenant que cette demi-journée, très bien organisée et animée notamment par le député Philippe Meunier mais aussi les députés Vitel et Fromion, soit difficile à « attribuer ». En effet, une interview du président Sarkozy le 9 mai (Cf. Le Figaro du 9 mai 2016), un discours de clôture  qui ressemble à un programme (Cf. Discours de clôture du 10 mai 2016), un dossier de fond important (Cf.Document d’orientation) constituent un ensemble cohérent mais était-ce le programme du parti dans ses grandes lignes ? Etait-il validé par tous les prétendants aux primaires ? Est-ce le programme du président du parti comme candidat à la présidence de la République ? Grand doute donc sur la place de ces travaux dans le cadre des prochaines présidentielles car qui engagent-ils ?

Que retirer cependant de cette demi-journée où le public était nombreux ? Sur la première table ronde, retenons le constat de l’insuffisance des effectifs et de leur entraînement en raison des opérations en cours, du budget consacré au maintien en condition des équipements, bien sûr un soutien inconditionnel à la dissuasion nucléaire. Les engagements budgétaires de la LPM réactualisée laissent planer les doutes sur leur faisabilité d’autant que cela concernera essentiellement le prochain gouvernement mais c’est de bonne guerre…

La parole maîtrisée des généraux (2S) était dans la norme habituelle : discours sur les moyens et non sur les finalités, que je résumerai ainsi  ce que nous avons est insuffisant » et « cela serait bien que cela soit mieux ». La prudence était de rigueur oubliant que l’état des armées aujourd’hui est en grande partie la conséquence des choix faits en 2008-2012, dont personne n’a fait le bilan … hormis le général Faugères (armée de terre).

Il a effectivement remis le débat au bon niveau. Avant de penser aux moyens, il faut penser à la stratégie et donc à la raison d’être des armées. Concernant les moyens et le fonctionnement des armées, il a rappelé clairement la désorganisation issue de la RGPP dont le président Sarkozy est quand même responsable, même s’il ne l’a pas nommé directement, de l’effet pervers de la mutualisation du soutien, de la civilianisation, des retards budgétaires et des programmes d’armement, de la gestion des parcs imposés à compter de 2008 vidant les régiments de leurs matériels avec leurs conséquences sur l’entraînement.

En particulier, il a souligné les effets négatifs de la destruction du principe « un chef », « une mission » des « moyens », en bref la fin de l’autorité hiérarchique capable de penser et de conduire l’action, la « découverte » aussi aujourd’hui qu’il fallait des hommes sur le terrain et donc une armée de terre de 100 000 hommes et non de 77 000 hommes.

La conclusion politique du député Meunier a été qu’il fallait rétablir la confiance avec les militaires et les industriels. En effet, et je ne suis pas certain, malgré l’ambiance décontractée de cette demi-journée que cela pourra être atteint si nous relisons l’ensemble des documents encadrant cette réflexion, sans oublier le passif avec l’ancien chef des armées.

La seconde table ronde concernait les industriels mais les journées défense du parti LR, ex-UMP ont toujours largement soutenu cette approche (4 000 entreprises, 160 000 emplois, 4e rang en exportation pour l’instant) beaucoup plus dimensionnante.

Sujet social finalement, la troisième table ronde était consacrée à la création d’un service militaire adapté en métropole à l’instar de ce qui se fait avec succès dans nos départements d’outremer. Bien sûr, le député Fromion a rappelé qu’il ne s’agissait pas d’ajouter des charges supplémentaires aux armées et cela sera étudié avec les militaires.

Cependant, autant revenir au rôle social de l’armée est une bonne idée (Cf. Mes billets du 10 mai 2015du 24 mai 2015, du 30 novembre 2014, du 1er décembre 2013, ma chronique dans le Monde.fr du 18 septembre 2011, Les armées peuvent-elles avoir un rôle social ?), autant la question de l’encadrement militaire se posera ainsi que celui des localisations après le bradage des casernes depuis huit ans ? Faudra-t-il choisir entre les opérations extérieures, la protection de la population sur le territoire national et faire de l’encadrement scolaire et professionnel ?

Nous pouvons nous inquiéter sur le rôle futur des armées. A travers les propos tenus, je comprendrai que les forces de police et de gendarmerie seront renforcées pour la sécurité intérieure et non forcément les forces militaires pour les limiter à l’action extérieure. Nous avons vu le résultat funeste en 2015 de ce cantonnement des militaires soit aux OPEX soit à l’encadrement de la jeunesse en déshérence.

Ce SMA métropolitain vise à répondre à l’échec du service civique (ce ne sont pas les jeunes les plus en difficulté qui en bénéficient, soit 17% des jeunes recrutés). L’objectif est donc d’utiliser les savoir-faire de l’armée pour récupérer les jeunes perdus, leur donner des repères, resocialiser les jeunes mais il faudra une loi pour incorporer 60 000 jeunes « décrocheurs » avec la préparation d’un projet professionnel.

Nicolas Sarkozy a en effet précisé le projet qui s’adressera « aux jeunes qui, le jour de leur 18 ans n’ayant pas d’emploi ou qui ne suivent pas de formation devront effectuer un service militaire adapté obligatoire d’un an. Ils pourront apprendre les règles de vie en commun, éventuellement passer leur permis de conduire, apprendre une langue »mais il précise, s’adressant « aux militaires qui nous écoutent », « le budget sera prélevé sur celui de l’Education nationale et non de la Défense ».

Dans cette dernière table ronde, s’ajoute aussi la conclusion de remilitariser les EPID qui ont été réorientés vers l’emploi et non vers la défense, avec un pilotage unique donné au ministère de la défense. Cependant, l’ancien ministre de la défense Gérard Longuet a rappelé justement que l’armée était avant tout faite pour combattre.

Des éclairages supplémentaires du président Sarkozy

Suite aux débats, le discours du président a donné quelques éclairages complémentaires. « Nous estimons que la défense nationale, ministère régalien par excellence, doit être la priorité et la mission première de l’État ». Cela paraît bien si ce bel objectif est maintenu durant le temps du quinquennat. Nous savons comme les éléments extérieurs peuvent peser sur un engagement de ce type et il n’est pas dit que celui-ci sera sanctuarisé.

Un état des lieux objectif et sans concession de l’outil de défense et des paramètres budgétaires sera fait avec dès 2017 une « revue stratégique » (comme aux Etats-Unis ?), qui se traduira par un audit précis humain, budgétaire et capacitaire de nos forces : « Le temps n’est plus aux «Livre blanc» et aux lois de programmation militaires sur 20 ans qui sont en général remises en cause par le gouvernement suivant ». Désormais une LPM doit couvrir le quinquennat concerné, ce qui est loin d’être stupide.

Concernant le budget, l’objectif est d’atteindre les 2% du PIB en 2025, hors pension, de le porter dans un premier temps à 1,85% du PIB, contre 1,5% aujourd’hui, soit 35 milliards d’euros en 2018 et 41 milliards en 2022.

S’agissant de l’Europe de la défense, la priorité sera donnée aux coopérations bilatérales renforcées efficaces, à géométrie variable avec nos alliés en fonction des enjeux.

De la liberté d’expression des militaires

Quant aux preuves d’amour comme nous les appelons dans la communauté militaire, hormis l’habituelle fierté d’avoir des forces militaires efficaces, la condition militaire qui comprend aussi leur place sociale n’a pas été abordée. En particulier, quelle écoute donnée aux généraux en fonction ? L’expérience des relations entre l’exécutif en place de 2007 à 2012 a montré que la notion d’exécutant, certes de haut niveau, était  la seule qui était comprise par l’ancien président de la République. La lecture des différents articles et des documents accompagnant cette journée défense du 10 mai montre que rien n’a changé.

Certes, dans l’article du Figaro (Cf. article du 9 mai), le président Sarkozy défend le général Soubelet et les conditions dans lesquelles il s’est exprimé : « Il a fait ses déclarations à la suite d’une audition devant une commission parlementaire. Attendait-on qu’il mente à la représentation nationale? Il a dit la vérité (…) » tout en précisant qu’il aurait préféré « qu’il ne soit pas obligé de publier un livre ». La question est de savoir si lui, en fonction, comment aurait-il réagi ?

Cela me conduit directement à cet article de Nathalie Guibert sur la liberté d’expression des généraux paru dans le Monde du 14 mai « Dans l’armée, le silence est de rigueur » (Cf. Le Monde du 14 mai 2016). Je ne suis pas d’accord avec sa conclusion « L’armée de 2016, professionnelle, profondément républicaine, restera muette pour longtemps »dès lors qu’il ne s’agit que de s’exprimer dans un média national. J’ajouterai que les noms cités se sont exprimés publiquement bien plus tard que d’autres militaires à l’époque en activité… Je pourrai lui en faire un historique. S’il ne s’agit que de débattre de la liberté d’expression et non d’idées nouvelles, de stratégie, de nouvelles options militaires, effectivement, on peut se limiter à ce regret.

Nathalie Guibert a cependant en partie raison sur les réflexions constructives qui existent au sein de l’institution militaire. Théoriquement, si les militaires étaient effectivement respectés lorsqu’ils s’expriment y compris dans le domaine stratégique, la liberté d’expression sur la place publique se justifierait beaucoup moins sauf pour informer les citoyens (Cf. Mon billet du 8 mai 2016 sur la liberté d’expression des militaires). Ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’affaiblissement de la hiérarchie militaire par rapport au pouvoir politique fait qu’elle n’est le plus souvent que dans une posture de soumission quelle que soit la solution retenue, « le militaire obéira de toute façon ».

Certes, le dialogue interne existe avec le politique… quand cela va dans son sens ce qui n’a pas forcément un lien avec l’intérêt général. Si les généraux ne sont pas en situation d’indépendance de parole, suffisamment respectés et donc écoutés, la solution retenue n’ira pas dans le sens de l’intérêt du pays qui doit dépasser les intérêts d’un parti au pouvoir et de son idéologie qu’elle soit libérale ou socialiste.

Ainsi, le gouvernement actuel a retiré du CEMA de nombreuses attributions : le domaine des relations internationales, le contrôle de ses effectifs. Il a imposé la civilianisation. Les militaires n’ont pu que se soumettre et accepter cet affaiblissement de leur pouvoir qui passe par celui de leurs responsabilités au sein de leur propre ministère. En remontant dans le temps, cette tendance n’a fait que s’accroître. Je serai curieux de voir si le prochain président saura redonner l’autorité légitime et les responsabilités de leur niveau aux généraux qui commandent les armées ou va-t-on remplacer les énarques installés par d’autres d’une autre sensibilité…

Concernant la liberté d’expression, il est enfin satisfaisant d’entendre  sur RTL le 12 mai 2016 Alain Juppé regretter ses paroles contre la liberté d’expression des militaires. Cela a été long à venir mais la réaction justement publique des généraux n’a-t-elle pas permis cette modération des propos, certes bien loin des excuses attendues. Je ne pense pas qu’Alain Juppé ait changé d’état d’esprit vis à vis de la liberté d’expression des militaires mais au moins un geste a été fait publiquement.

Cependant, ce qui changera sans doute dans le futur est l’introduction possible des généraux en activité au sein des APNM (Cf. Mon billet sur les associations professionnelles nationales de militaires du 12 décembre 2014) que personne n’évoque. Théoriquement les généraux en activité pourront en faire partie… Ce nouveau type d’échanges pourra amener une autre forme de liberté d’expression. Quelles seront alors les réactions de la hiérarchie militaire, du pouvoir politique ? Je n’ai rien lu qui puisse exclure cette situation sauf sans doute les moyens de pression indirects pour que cela n’arrive pas : avancement, mutation… Je serai curieux de voir comment cette évolution sera gérée par le futur pouvoir politique.


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