Je voudrais essayer d'expliquer comment une secte minoritaire et fanatique de l'islam s'est imposée dans une grande partie de la péninsule arabique par l’alliance
entre la famille guerrière des Séoud et la prédication de retour aux sources de l’islam primitif du mystique Abdul Wahab, créant un état qui a pris le nom de son fondateur-seul exemple au monde-,
en bénéficiant des soutiens stratégiques des Britanniques, puis des Américains qui les entérinèrent avec le Pacte de février 1945 signé sur le croiseur Quincy entre Roosevelt et Ibn Séoud,
étendant son influence à toute la péninsule et même au-delà grâce à la richesse de son sous-sol. Aujourd’hui, désolant les fidèles sincères de l'islam qui voient leur religion diffamée par cette
vision blasphématoire enjoignant tous les musulmans de tuer ceux qui n’y adhèrent pas, cette idéologie archaïque a trouvé des soutiens et des alliés puissants qui l’exploitent à des fins
stratégiques, alimentant ainsi le terrorisme qui prend les différentes formes que nous connaissons aujourd’hui et que prétendent combattre des coalitions occidentales vertueuses.
La crise provoquée par cette vision inculte, haineuse et sommaire de l’islam sunnite entraîne en son sein des craquements et des divisions, et pourrait amener
les grands théologiens à vivifier les saintes bases de la foi sunnite pour l’adapter au monde moderne, en l’orientant vers l'avenir, à l'instar du chiisme tourné vers la prophétie et l’attente
d’un monde meilleur. Des voix s’élèvent en ce sens, depuis deux ans environ, venant de responsables sunnites religieux, comme à Kazan et Grozny en 2016, et de chefs politiques musulmans mais
laïques comme le Maréchal Sissi en Egypte. J’y reviendrai.
Historique
Le grand historien Jacques Benoist-Méchin a magistralement décrit les origines du monde arabe dans son livre : "Ibn Séoud, ou la naissance d’un royaume",
publié en 1955, deux ans après la mort du roi Ibn Séoud, pour lequel il ne tarit pas d’éloges justifiés sur ses qualités guerrières et politiques. Il explique comment les tribus arabes au VIIème
siècle attendaient un unificateur : ce fut Mahomet qui rassemblait les valeurs spirituelles, politiques et guerrières. L’expansion de l’islam fut alors fulgurante pendant les cent premières
années, arrêtée en 732 en Europe par Charles d’Héristal (dit Charles Martel en raison de son ardeur au combat) dans la région de Poitiers, mais non pas écrasée, puisque son influence y restera
sous différentes formes dans l’Europe méridionale. Mais la victoire de Charles Martel sur l’Emir Abderrahman auréola les Francs carolingiens d’un immense prestige pour avoir sauvé la chrétienté
d’Occident.
"La domination musulmane ne s’en étendait pas moins de Narbonne à Kachgar (au Turkestan chinois) et le Calife, cette image de la divinité sur terre, se trouvait à
la tête d’un empire plus vaste que ceux de Darius ou d’Alexandre le Grand."
Puis, à la fin du XVIIème siècle, le monde arabe qui avait montré tant de vertus guerrières exceptionnelles appuyées sur une foi ardente, s’était laissé aller au
confort des situations acquises et avait dégénéré, accommodant la pratique de l’islam à sa soif de satisfactions matérielles, et développant en son sein des rivalités parfois sanglantes.
"Les tribus vivaient dans l’attente de l’homme qui restaurerait leur foi et referait leur unité. Elles s’interrogeaient anxieusement, attendant un signe, un présage
et se demandaient si celui qui reprendrait en main leurs destinées serait, comme mille ans auparavant, un prophète ou un guerrier.
Ce fut un prophète : il s’appelait Mohammed-Ibn-Abdul Wahab."
Né à Azaïna, dans le Nedjd, en 1696, issu de la glorieuse tribu des Tenim, face à la dépravation morale de nombreuses tribus qui avaient perdu leur ancienne vigueur
guerrière et s’étaient amollies dans la luxure et la jouissance des biens terrestres, notamment au Yémen, "Il préconisa qu’il fallait restaurer la Loi dans son antique pureté. Abolissant d’un
geste mille ans d’histoire arabe, il revenait au point précis d’où était parti Mahomet.
…. Le guerrier cherchait une doctrine, le prédicateur cherchait une épée. Ils convinrent de mettre leurs forces en commun pour "accomplir la volonté divine et
rendre au peuple arabe son unité perdue".
Afin de sceller cet accord Abdul Wahab donna à Mohammed Ibn Séoud (Le grand-père d’Abdul Aziz Ibn Séoud) sa fille en mariage en 1749 et lui confia la direction
politique et militaire de l’entreprise.
A la lecture de ce livre plein d’enseignements, on comprend aussi que le Yémen, berceau des premières civilisations arabes, a dû être soumis par les Séoud au cours
des siècles car il représentait un contre-exemple existentiel, au point qu’Ibn Séoud aurait dit à ses héritiers :"Le bonheur du royaume réside dans le malheur de l’Yémen"
Benoist-Méchin détaille les épisodes qui ont amené la famille Séoud à dominer la péninsule par cette alliance de la doctrine inflexible et de l’intelligence
guerrière :
….
"Car ce Dieu, qui était bon et miséricordieux envers ceux qui lui obéissaient aveuglément, se montrait impitoyable à l’égard de ceux qui transgressaient sa Loi. Les
Wahabites se considéraient comme ses Elus, haussés par lui au-dessus du commun des mortels. Leur mission consistait à ramener tous les hommes sous son obédience, dussent-ils les y contraindre à
coups de rapière."
Aujourd’hui
Après ce rappel historique, il faut comprendre que le wahabisme connaît aujourd’hui des divergences d’interprétation qui ont amené ses adeptes à se disputer
sauvagement, entre les monarchistes et les antimonarchistes, comme l’explique l’islamologue Karim Ifrak dans une intervention érudite lors d’un colloque organisé en mars 2016 par l’Académie
de Géopolitique de Paris, divergences matérialisées par la prise de la Grande Mosquée de La Mecque en novembre 1979 par des wahabites mahdistes et donc takfiristes antimonarchistes. On sait que
l’ordre monarchiste a été rétabli par l’intervention du GIGN français.
Je cite Karim Ifrak :
"Le wahabisme est un mouvement fondamentaliste aux soubassements politico-religieux sur lesquels les Al Saoud ont forgé leur politique de légitimité religieuse. Il
repose sur une interprétation sommaire des Textes qui prône une pratique ritualiste la plus éloignée possible de l’islamisme. Victimes d’une vision idéaliste de l’islam, les adeptes du wahabisme
prêchent un retour vers ce dernier dans sa forme la plus originelle possible. S’estimant être les dignes héritiers du salaf (les pieux ancêtres), ils n’hésitent pas à taxer les autres musulmans
de déviants, voire dans le cas de certains, d’hérétiques. Aussi, à travers un prosélytisme soutenu financièrement et médiatiquement, le wahabisme ambitionne de ramener les non musulmans à se
convertir à l’islam et les musulmans à épouser leur cause."
Enfin, notons que la confrérie des Frères Musulmans, durement réprimée par Nasser dans les années 50 qui voyait en elle un obstacle fondamental à sa vision d’unité
panarabe, fut accueillie généreusement par l’Arabie en lutte contre son grand rival laïque, jusqu’au moment où elle commença à prêcher son islamisme antimonarchiste. Et nous connaissons les
rivalités qui en découlèrent entre Doha et Riyad, notamment dans leurs relations aux différents groupes armés, puis lorsque les Frères accédèrent démocratiquement au pouvoir au Caire en 2012 avec
Mohammed Morsi, en toute logique puisqu’ils étaient la seule formation politique restée organisée et soutenue financièrement de façon souterraine sous le régime de Moubarak.
Née en Afghanistan pour lutter contre les soviétiques, Al Qaïda a été la première structure rassemblant les djihadistes, financée par l’Arabie et le Pakistan, avec
le soutien des services américains qui considéraient alors Oussama Ben Laden comme leur allié. Après les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par des citoyens séoudiens, George W Bush décida
une opération militaire avec des bombardements massifs de l’Afghanistan qui, comme des experts dont le colonel René Cagnat l’avaient prédit, ne firent que détériorer la situation ; on sait
où nous en sommes 16 ans après dans ce malheureux pays. Les Etats-Unis ont ensuite envoyé leur armée en Irak en 2003 où, sous la main de fer de Saddam Hussein le terrorisme n’existait pas :
l’Irak a été détruit et le terrorisme d’inspiration wahabite y est devenu prospère. Regardons aussi la Libye où les EUA ont envoyé leurs alliés britannique et français faire le travail pour le
résultat catastrophique que nous connaissons aujourd’hui. Ils ont apporté leur soutien renseignement et logistique à l’opération et ont ensuite eu un ambassadeur lynché dans le chaos qu’on avait
créé.
Avec la guerre en Syrie, les djihadistes ont multiplié leurs organisations de lutte armée et leurs noms de guerre, en fonction de leurs affiliations et de leurs
financements mais tous s’inspirent du wahabisme et montrent la même cruauté. Au nom de l’islam, leur but est de renverser le régime laïque de Damas, but qui est la raison même du soutien qu’ils
ont trouvé à Riyad, Doha, Ankara, Washington, Paris ou Londres. DAESH, ou EI, Etat Islamique, n’est qu’une métastase du cancer d’Al Qaïda, en poursuit les mêmes objectifs au nom de la même
idéologie, mais il a la particularité d’être au départ irakien et d’avoir été sous contrôle des services américains depuis ses débuts en 2014, s’érigeant en rival inacceptable de sa matrice
créatrice.
On ne peut plus nous traiter de complotistes quand nous énonçons ces vérités puisque tout le monde a pu voir les vidéos authentiques où Hillary Clinton le dit, où
le sénateur John McCain rencontre le chef d’AL Nosra dans la région d’Alep en 2013, où le Ministre des Affaires Etrangères français félicite la même organisation pour "son bon boulot en
Syrie" ; et nous avons maintenant de nombreux témoignages qui attestent que John Kerry a semblé malheureux d’avouer, alors qu’il se croyait à huis clos, aux "révolutionnaires syriens" des
Etats-Unis qu’il avait tout fait pour renverser le pouvoir légal à Damas, même en formant et équipant ses propres "rebelles modérés" mais que c’était un échec, ceux-ci ayant rejoint avec armes et
bagages la nébuleuse terroriste. (1)
L’intervention militaire russe a cependant mis bas les masques, obligeant les Etats à dire clairement s’ils luttaient contre le terrorisme ou non. Erdogan, accusant
les Etats-Unis de vouloir le renverser par un coup d’état en juillet 2016, a changé radicalement de position pour s’aligner sur la Russie et en subit depuis les conséquences tragiques avec les
attentats meurtriers perpétrés sur son sol par DAESH. Mais l’hypocrisie qui a prévalu jusqu’ici du côté occidental n’est plus crédible ni acceptable, bien qu’on assiste à des manœuvres sordides
de l’administration américaine finissante pour empêcher de reconnaître que c’est Moscou qui dirige désormais les affaires dans l’ensemble du Moyen-Orient : Ankara en premier l’a compris mais
Riyad, Tel Aviv et les autres capitales savent aussi que leur sort dépend maintenant davantage des bonnes relations qu’elles auront avec Moscou, alliée de puissances importantes comme Téhéran et
Pékin et de la redoutable force militaire du Hezbollah libanais, ce qui intéresse directement Israël.
Tout laisse penser que le pragmatisme du Président élu Donald Trump, qui prendra ses fonctions le 20 janvier, lui fera prendre en compte cette nouvelle donne et
qu’il pourrait apporter son soutien au règlement russe de la guerre syrienne, par exemple en participant à la conférence d’Astana qui devrait initier la solution politique. C’est en effet au
Kazakhstan que doivent se dérouler les pourparlers entre le gouvernement syrien et son opposition entourés des puissances impliquées, pas à Genève ou à Vienne, ce qui est un signal fort du
déplacement du centre de gravité des affaires mondiales. Aujourd’hui, seule Moscou, du fait de ses alliances en Eurasie et en Asie, peut apporter à Ankara, Riyad, Tel Aviv des garanties de
sécurité, voire de survie politique. C’est donc la Russie qui peut faire cesser les financements et soutiens du terrorisme takfiriste, qu’ils soient étatiques ou paraétatiques.
Kazan et Grozny en 2016
En réaction au terrorisme takfiriste, par des jugements sommaires mais compréhensibles on a vu se développer un mouvement de rejet global de l’islam en Europe et
notamment en France où Daesh, affaibli sur le terrain organise ses attaques contre les "impies occidentaux". Il est vrai que la dénonciation de cette déviance criminelle qui a été faite par des
autorités religieuses sunnites a été peu audible dans les médias malheureusement.
Pourtant un sommet de l’OCI (Organisation de Coopération Islamique) à Kazan en mai 2016 avait affirmé que le terrorisme n’avait rien à voir avec l’islam, les
participants se contentant d’inciter à faire la différence entre le vrai islam et sa parodie. Mais surtout un évènement d’une extrême importance a eu lieu à Grozny du 25 au 27 août suivant où
deux cents savants sunnites du monde entier dont les Ulémas d’Al Azhar ont dénoncé sans ambages les organisations sunnites déviantes qui encouragent le terrorisme, les répertoriant toutes,
notamment le wahabisme, et ont émis une fatoua contre elles, distinguant l’islam véritable de l’erreur, et publié un communiqué appelant les autorités politiques à soutenir les instances
religieuses modérées.
L’évènement de Grozny, dont je donne ici les références pour plus de détails, restera un moment important dans l’histoire de l’islam moderne, de sa refondation et
de sa lutte contre le terrorisme. (2)
Le Maréchal SISSI : pour une révolution religieuse de l’Islam
Un autre élément important dans ce sens, dont on a curieusement peu entendu parler, est le discours que le Maréchal Sissi a prononcé devant les Ulémas de
l’Université Al Azhar du Caire le 28 décembre 2014.
Il a parlé sans ambages devant les plus hautes autorités religieuses de son pays, et donc du monde sunnite, les incitant clairement, avec une grande intelligence et
persuasion à prendre position pour que l’islam ne soit pas la religion assimilée au terrorisme. Ce qu’il a dit est tellement important que je vais vous en citer des extraits
significatifs :
Extraits du discours, le 28 décembre 2014, du Maréchal SISSI devant les Ulémas de l’Université Al Azhar du Caire (3)
Abd Al-Fatah Al-Sissi: "Nous avons parlé plus tôt de l’importance du discours religieux, et je voudrais répéter que nous ne faisons pas assez concernant le
véritable discours religieux. Le problème n’a jamais été notre foi. Il est peut-être lié à l’idéologie, une idéologie que nous sanctifions.
Je parle d’un discours religieux en accord avec son temps".
[…]
« Je m’adresse aux érudits religieux et prédicateurs. Nous devons considérer longuement et froidement la situation actuelle. Je
l’ai déjà dit plusieurs fois par le passé. Nous devons considérer longuement et froidement la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il est inconcevable qu’en
raison de l’idéologie que nous sanctifions, notre nation dans son ensemble soit source de préoccupations, de danger, de tueries et de destruction dans le monde entier. Il est inconcevable
que cette idéologie… Je ne parle pas de "religion" mais d’ "idéologie" – l’ensemble des idées et des textes que nous avons sanctifiés au cours des siècles, à tel point que les contester est
devenu très difficile. On en est arrivé au point que [cette idéologie] est devenue hostile au monde entier. Peut-on imaginer que 1,6 milliard [de musulmans] tuent
une population mondiale de 7 milliards pour pouvoir vivre [entre eux] ? C’est impensable.
Je prononce ces mots ici, à Al-Azhar, devant des prédicateurs et des érudits. Puisse Allah être témoin au Jour du Jugement de la sincérité de vos
intentions, concernant ce que je vous dis aujourd’hui. Vous ne pouvez y voir clair en étant enfermés [dans cette idéologie]. Vous devez en émerger pour voir les choses
de l’extérieur, pour vous rapprocher d’une idéologie réellement éclairée. Vous devez vous y opposer avec détermination".
[…]
"Je le répète : Nous devons révolutionner notre religion.
Honorable imam (le grand cheikh d’Al-Azhar), vous êtes responsable devant Allah. Le monde entier est suspendu à vos lèvres, car la nation islamique entière est
déchirée, détruite, et court à sa perte. Nous sommes ceux qui la menons à sa perte".
Fin de citation.
On sait le prix que paie l’Egypte dans sa lutte contre le terrorisme et on comprend que le Président égyptien qui a aidé avec l’armée les millions d’Egyptiens qui
s’étaient rassemblés dans les rues pour se débarrasser des islamistes de Morsi en juin 2013, excédés par seulement un an de gabegie gouvernementale, se rapproche désormais de la Russie, de
la Syrie, et même de l’Iran pour combattre le même ennemi. Les terroristes du Sinaï, d’Alexandrie ou du Caire sont les mêmes que ceux d’Irak, de Syrie, du Liban et d’Europe, car si les Ouïgours,
les Tchétchènes, les Afghans ou les Séoudiens ont des origines ethniques et nationales différentes, ils ont les mêmes buts et mêmes procédures.
Il me semble que sous la direction éclairée du Président Sissi, l’Egypte est appelée à jouer un rôle essentiel dans les réformes de l’islam qui s’imposent au plan
politique, et même un rôle dans les équilibres stratégiques au Moyen-Orient.
Conclusion
Le wahabisme a engendré le terrorisme qui a pu se développer grâce aux soutiens qu’il a trouvé auprès de nombreuses puissances l’utilisant à des fins stratégiques,
portant atteinte à la réputation de l’islam du fait des amalgames que certains se sont empressés de faire. Peut-être la réforme qu’il commence à provoquer au sein des fidèles du Coran,
théologique et politique, sera-t-elle un bien pour un mal. Il est sûr que cette doctrine tournée vers le passé ne peut franchir les obstacles du monde moderne et qu’elle doit entraîner chez les
théologiens sunnites, comme les y a invité le Président Al Sissi, un "aggiornamento" salutaire de la vraie religion pour supprimer à l’intérieur de son corpus les ferments de divisions que
le terrorisme takfiriste a révélé et cristallisé.
Je ne suis pas théologien et n’ai donc aucune autorité pour en dire davantage, mais en tant que géopoliticien j’ai l’habitude obstinée de lire les signes qui
éclairent les rapports entre les nations, les sociétés et les cultures, et il me semble indispensable que l’islam sunnite procède à cet "aggiornamento" pour remédier aux ferments de discorde que
l’apparition du takfirisme islamiste a montré au sein de la communauté musulmane.
Je citerai d’ailleurs un théologien orthodoxe de grande culture des autres religions, Jean-François Colosimo, qui dans son livre "Les hommes en trop", (Ceux-ci
étant les chrétiens d’Orient) écrit :
C’est la Constitution iranienne qui prévoit des postes de députés pour les chrétiens, les juifs, les zoroastriens, et c’est la saoudienne qui assimile la
manifestation d’une quelconque forme de liberté religieuse, hors la Sunna, à une profanation passible de la peine capitale. (…) A la différence de la clôture sunnite sur le Coran, la Loi et la
répétition, le chiisme représente un islam de la prophétie, de la médiation et de l’interprétation. Parce que pensée du milieu entre Dieu et l’homme, le visible et l’invisible, l’apparent et le
secret, la théologie chiite rouvre l’histoire à l’attente d’une délivrance incarnée. »
Le Mufti sunnite de la République Arabe Syrienne, Mohammed-Badreddine Hassoun me disait en octobre dernier à Damas que comme le Christ l’avait dit aux Pharisiens
"Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu", la loi religieuse doit être une loi d’adhésion à l’amour prôné par le Créateur, quand la loi de l’Etat est nécessairement une loi
de contrainte pour permettre de vivre ensemble harmonieusement.
Toutes les religions ont cherché dans leurs exégèses à trouver un médiateur entre le Créateur et les créatures : Les bouddhistes et hindouistes ont trouvé le
sage Bouddha ou la réincarnation, les Juifs attendent toujours le Messie qui sauvera Israël, les chrétiens ont le Christ incarné universel dont le retour pour "que son règne arrive" est hors de
l’espace temporel, les musulmans chiites tournés vers l’avenir attendent le retour de l’Imam caché et de son règne d’harmonie ; les sunnites sincères doivent montrer clairement que le
Paradis qu’ils espèrent pieusement, décrit par le Prophète dans le Coran, ne peut être atteint avec les idéologies blasphématoires et criminelles qui inspirent le terrorisme.
Toutes les religions ont connu des différences d’interprétation des textes saints, des réformes, des schismes. C’est la tâche du clergé et de ses dirigeants érudits
de maintenir ses ouailles dans le droit chemin. L’avantage de l’Eglise catholique romaine à laquelle j’appartiens vient de son organisation hiérarchique fidèle au Pape. Mais elle n’est pas
exempte pour autant de menaces et je conclurai en laissant la parole au philosophe italien Giorgio Agamben qui, réfléchissant sur la signification du temps, au sens du chronos grec,
dans une magnifique conférence de Carême à Notre Dame de Paris en 2009 a conclu en forme d’avertissement solennel qui vaut à mon sens pour toutes les religions :
"L’état de crise et d’exception permanente que les gouvernements du monde proclament aujourd’hui est bien la parodie sécularisée de l’ajournement perpétuel du
Jugement dernier dans l’histoire de l’Eglise. A l’éclipse de l’expérience messianique de l’accomplissement de la loi et du temps, correspond une hypertrophie inouïe du droit, qui prétend
légiférer sur tout, mais qui trahit par un excès de légalité la perte de toute légitimité véritable. Je le dis ici et maintenant en mesurant mes mots : aujourd’hui il n’y a plus sur terre
aucun pouvoir légitime et les puissants du monde sont tous eux-mêmes convaincus d’illégitimité. La judiciarisation et l’économisation intégrale des rapports humains, la confusion entre ce que
nous pouvons croire, espérer, aimer et ce que nous sommes tenus de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire, marque non seulement la crise du droit et des Etats, mais aussi et surtout
celle de l’Eglise.
Car l’Eglise ne peut vivre qu’en se tenant, en tant qu’institution, en relation immédiate avec la fin de l’Eglise. Et - il ne faut pas l’oublier - en théologie
chrétienne, il n’y a qu’une seule institution qui ne connaîtra pas de fin et de désœuvrement : c’est l’enfer. Là on voit bien, il me semble, que le modèle de la politique d’aujourd’hui qui
prétend à une économie infinie du monde, est proprement infernale. Et si l’Eglise brise sa relation originelle avec la paroikia (paroisse, séjour temporaire sur terre), elle ne peut que
se perdre dans le temps.
Voilà pourquoi la question que je suis venu poser ici, sans avoir bien sûr pour le faire aucune autorité si ce n’est une habitude obstinée à lire les signes du
temps, se résume en celle-ci : L’Eglise se décidera-t-elle à saisir sa chance historique et à renouer avec sa vocation messianique ? Car le risque est qu’elle soit elle-même entraînée
dans la ruine qui menace tous les gouvernements et toutes les institutions de la terre."
(1) http://www.voltairenet.org/article194918.html
(2) Qui sont les sunnites ? Polémique autour d’un congrès et de deux documents
(3) 06 février 2015 Actualités, DéclarationsFraternité d'Abraham. Discours du Maréchal Sissi du 28 décembre 2014 Al Azhar
(4) AFRIQUE/EGYPTE - Prise de position de la Maison de la Fatwa à propos de la légitimité de la construction d’églises chrétiennes sur le territoire d’un Etat
islamique
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