Fronde des policiers : une crise de régime en vue ?

par le Gal. François Chauvancy - le 23/10/2016.


 

La fronde des policiers peut largement interpeller le citoyen. Elle devrait aussi interpeller la classe politique.

 

En effet, il y a quinze ans, les gendarmes étaient dans la rue et les policiers portaient un jugement sévère sur cet acte illégal, les militaires des autres armées aussi, au point d’émettre des propos velléitaires d’intervention des forces armées rapportés dans la presse par un certain capitaine de gendarmerie Matelly, aujourd’hui lieutenant-colonel à la retraite et membre actif de la liberté d’association. Au moins, les forces de police n’ont pas essayé à l’époque d’arrêter les manifestations de gendarmes qui n’avaient pas encore rejoint le ministère de l’Intérieur. Cependant, il ne s’agissait que d’obtenir une amélioration de la condition militaire, à cette époque indécente aussi bien pour les gendarmes que pour les autres militaires.

 

Aujourd’hui, les policiers sont dans la rue car ils sont épuisés. Il est vrai qu’ils ignoraient la guerre sur le territoire national. Il ne s’agit pas en effet que de leur condition « policière », avancement, primes, effectifs, moyens, bien qu’il ne faille pas oublier ces forces de CRS se mettant en arrêt maladie pour obtenir des avancées concernant leurs conditions de travail. Depuis des mois, la menace salafiste djihadiste a pesé sur leurs conditions de travail sans que la criminalité ne s’en trouve réduite par ailleurs et ne soit moins violente. A se demander s’il n’y a pas aussi un lien entre les deux menaces si l’on compare les profils de nos terroristes qui ont souvent un lien étroit avec la délinquance. Au moins, les forces de gendarmerie n’ont pas été appelées à intervenir contre les policiers et l’armée n’a pas exprimé une volonté à restaurer l’ordre républicain.

Que penser de ces événements ? Le régime est-il en crise ? Ces mouvements ne sont-ils pas le résultat d’une instrumentalisation de l’extrême-droite, argument favori des gouvernements pour justifier leur incapacité à obtenir une fidélité à toute épreuve des forces de sécurité, qu’elles soient policières ou militaires ?

 

Sur ce dernier point, et cela n’est pas valable que pour le domaine de la sécurité, le citoyen attend que l’Etat le protège, que la victime ne devienne pas la coupable, que le délinquant ou le terrorisme soient mis hors d’état de nuire durablement. En bref, que les forces de sécurité protègent, que la justice condamne, que le délinquant et que le terroriste sachent qu’ils seront sanctionnés sévèrement et l’extrême-droite ne pourra pas capitaliser sur ce profond mécontentement.

 

Malgré les chiffres annoncés par les syndicats de la magistrature, comment comprendre que la justice soit perçue comme n’étant ni dissuasive ni condamnant avec sévérité, donc efficace ? Comment ne pas comprendre alors que des délinquants osent agresser les forces de sécurité au point de tenter de les tuer ? Faut-il protéger les policiers par l’Armée ? D’ailleurs si les armées exprimaient aussi leur ras-le-bol, comment cela est entendu parfois, qui protégera les gouvernements en place ? Elles aussi sont fortement sollicitées, et bien plus que les policiers, entre les opérations extérieures et les opérations intérieures soit parfois plus de 200 jours d’absence par an de leurs casernes !

 

Disons-le franchement. Les gouvernements ont failli avec tous leurs artifices de communication pour appeler au renforcement de l’autorité de l’Etat ou sa restauration. Malgré une constitution qui permet de gouverner, des lois nombreuses mais finalement avec des effets limités, constatons le choix permanent d’affaiblir l’autorité de l’Etat par des textes atténués en fonction des pressions, des textes alourdissant les procédures au nom de la justice et des droits de l’homme, un manque de courage finalement en ne donnant pas le pouvoir de sanctionner rapidement et efficacement. Dans ce contexte, comment protéger le citoyen quand tout individu peut faire reculer l’Etat, ne pas tenir compte des lois et le faire savoir ?

 

La conception par nos politiques de la notion de la victime doit aussi être reconsidérée. Hier, utiliser le mot de « victimes » pour nos soldats morts au combat en 2008 dans l’embuscade d’Uzbin (Afghanistan), aujourd’hui créer une décoration pour les victimes protocolairement placée avant les actes de courage des soldats au feu, comment voulez-vous que les pensées soient claires notamment lorsque des policiers se voient rejeter des demandes de récompenses comme pour l’église Saint-Etienne du Rouvray avec peut-être une remarque ? Ils n’ont fait que leur travail et je n’y ai pas vu un quelconque acte d’héroïsme justifiant une récompense extraordinaire, ce qui ne veut pas dire exclure tout témoignage de satisfaction.

 

La société est aussi responsable. Rappelons-nous aussi ces établissements scolaires refusant la présence de policiers quand l’Etat le proposait pour faciliter la gestion de la sécurité. La société doit aussi évoluer et je crois que c’est le cas aujourd’hui. La perception d’une insécurité grandissante et finalement la peur qui s’installe font tomber les derniers blocages idéologiques d’une société permissive.

 

La question qui se pose aujourd’hui est l’aptitude de nos gouvernants à faire basculer notre corpus juridique vers une plus grande protection de la société et non vers celle de l’individu nuisible. Certes, d’aucuns diront que nous nous dirigeons vers un Etat plus autoritaire. Je rétorquerai que l’Etat doit être respecté pour être efficace afin de remplir sa première mission de protecteur des citoyens dans leur quotidien, y compris contre la volonté des composantes plus libertaires de la société.

 

Le XXIe siècle s’annonce beaucoup moins pacifique que nous pourrions le croire. L’Etat a encore plus besoin aujourd’hui qu’hier de forces de sécurité fiables, plus nombreuses aussi bien dans la police, la gendarmerie et les armées. Celles-ci doivent avoir confiance dans les gouvernants. Ce n’est plus ou presque plus le cas depuis longtemps. Je l’avais évoqué dans plusieurs articles depuis quinze ans dans l’hypothèse d’un appel à l’Armée pour protéger les institutions en cas de péril intérieur. Je n’évoquais pas la menace islamiste mais simplement une révolte contre le pouvoir, en bref une guerre civile si ces révoltes n’étaient pas maîtrisées par les forces de sécurité intérieure. Aujourd’hui, nous pourrions aussi évoquer la défaillance potentielle de celles-ci et l’intervention des armées comme demandée par les syndicats de police en 2005.

 

Et nous y sommes. La classe politique doit montrer qu’elle sait faire face et que les forces de sécurité peuvent lui faire confiance, y compris lorsqu’il y a une bavure. Si je me réfère à ces images de manifestations violentes sur le territoire national, comment accepter l’absence d’arrestations ou tardives devant des attaques par cocktails Molotov sur les forces de l’ordre en Corse récemment ou dans nos villes lors du débat sur la loi sur le travail, les nombreux blessés parmi les forces de l’ordre ? Les témoignages abondent sur les ordres de ne pas intervenir. Celui qui fait acte de violence contre les forces de sécurité doit savoir qu’il prend des risques comme celui qui ne se dissocie pas de cette action.

 

Quand le politique laisse la méfiance s’installer, les forces de sécurité contestées, agressées, peu protégées juridiquement, l’Etat est en crise. Les gouvernants seront bien seuls si la tension et les actes de violence augmentent sans réaction efficace et déterminée, une réaction inévitable qui sera d’autant plus forte que la prise de décision aura été tardive.

 


Partager : 

Écrire commentaire

Commentaires: 0