Jusqu’où faut- il aller ?

...par le Gal. Pierre Zammit - le 08/09/2017.

Jusqu’à ce jour, notre armée tenait et tient d’abord par la force morale de ceux qui y servent. Aujourd’hui, cette richesse humaine, cette force faiblit dangereusement. On ne verra pas les soldats manifester armés de banderoles, courir les plateaux de télévision et les antennes radio. Non, tout simplement, ils s’en vont ou sont de plus en plus prêts à partir. C’est ce que dit le rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM), remis au Président de la république le 6 septembre et qui a été rendu public vendredi dernier. Clignotant rouge.

 

D'après ce rapport, 62% des militaires de carrière interrogés n'hésitent pas à déclarer envisager de quitter l'institution pour changer d'activité, si l'occasion se présentait. La raison ? La conciliation entre vie privée et vie militaire pour 55% des sondés et les moyens de remplir les missions (53%).

Aux contraintes de la vie militaire jusque-là acceptées et supportées, est désormais venu s’ajouter le constat d’être oublié par la République et depuis peu le sentiment d’être méprisés par le politique. Ce constat est fondé au regard des faits. Ceux-ci sont têtus. Citons-en quelques-uns.

 

Suite aux coupes dans les effectifs depuis quinze ans, aujourd’hui il n’est pas rare qu’un soldat passe plus de 200 jours par an hors de sa famille. Les casernes - domicile des soldats engagés et lieu de travail pour tous -  ne sont plus entretenues faute de moyens. Dans l’armée de Terre le système de paiement des soldes « bugge » depuis 2011 (soldes non payées, ou pas complètement, trop perçus). La liste serait longue. Des épouses de militaires regroupées en association ont exprimé à voix haute cette exaspération. Jusqu’où faut-il aller ? 

 

Mais surtout, les soldats n’ont plus ni le temps, ni les moyens suffisants pour s’entraîner, ce qui veut dire baisse de capacité opérationnelle, ce qui veut dire peut-être mourir au combat parce que l’Etat leur a refusé des moyens. Tout ceci, les chefs d’état-major des trois armées, le chef d’état-major des Armées le disent depuis des années aux députés et aux sénateurs de la Commission de la défense. Ministre de la Défense, Premier ministre et président de la République savent. Pourtant, les budgets initiaux restent insuffisants. Ils continuent à être rognés en cours d’année par des subterfuges qui s’appellent, « gels », « reports » « transferts » ou « glissements » quand ce ne sont pas tout simplement des annulations de crédits. Alors, les soldats n’y croient plus. Ils ont toujours confiance en leurs chefs directs mais ils n’ont plus confiance dans l’Etat, eux qui n’aspirent qu’à servir la France. Alors, ils ne rengagent plus. Ils s’en vont, eux qui font la force de notre armée.

 

Dans l’honneur et la loyauté, « après avoir fait part de ses réserves à plusieurs reprises à huis clos en toute transparence et vérité »[1], le général d’armée Pierre de Villiers alors chef d’état-major des Armées a pris ses responsabilités en présentant sa démission au président de la République. Ceci ne s’était jamais produit sous la Vème République. Personne, aucun responsable politique ne peut plus ignorer la situation actuelle des forces armées, dire « je ne savais pas ». Dans une démocratie, quelle sonnette d’alarme plus forte que celle de la démission d’un chef d’état-major des Armées faut-il donc tirer pour qu’enfin les responsables politiques prennent leurs responsabilités face au premier devoir de l’Etat : la Défense ?

 

Pierre ZAMMIT

Officier général (2s)
Délégué de l’ASAF

 

Source : http://www.asafrance.fr/item/libre-opinion-dejusqu-ou-faut-il-aller.html

 

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