Quelques commentaires accompagnant cette très belle page :
Alors que nous traversons une longue période de morosité, mêlée d'inquiétude pour nos descendants, dont nous ne discernons pas l'issue, voici, en pièce jointe,
un texte fort, pétri de lucidité et de sens de la mesure, que je partage volontiers avec vous, mes amis.
Bonne lecture et "A l'An que ven" comme on dit non loin d'ici, en provençal !
MB
Très sincèrement, ce texte d'un grand Ancien, le général d'aviation Salini, Corse, sur le mal des Français, sur leurs curieuses différences, mais sur leur
indéfectible attachement à une nation si particulière, sur l'amour de la France, terre de contrastes et de grandeur... mérite votre attention. Une très belle lettre d'amour à notre
pays.
H.R.
Beaucoup d’objectivité et de clairvoyance dans cette image de la France du général SALINI.
J’ai eu l’honneur et le plaisir d’être un an son chef de cabinet au Cdmt. de l’Air à Djibouti (TFAI) à une période troublée (prise d’otages, attentats... dans
les mois qui ont précédé l’indépendance du territoire) .
J’ai conservé une grande admiration pour ce CHEF.
Bonne année et amitiés à tou(te)s !
P. B.
Je ne suis pas sur les réseaux sociaux. Si ce texte vous plait vous êtes libre de le faire lire à vos relations. Avec ma signature : Jean Paul Salini,
général d'aviation.
Mais pas avec mon adresse, car je ne peux pas répondre à tout le monde. Merci.
La France n'a d'autre légitimité qu'historique. Notre capitale est Paris. Mais si l'Histoire avait été différente la France aurait été différente et notre
capitale aurait pu être à Toulouse, à Dijon ou à Aix la Chapelle. Aurait-ce été mieux? Aurait-ce été plus mal? Qui peut le dire? La France n'est qu'un produit que l'Histoire a élaboré lentement
dans ses cheminements obscurs.
Cette gestation s'est faite dans les larmes, dans les drames et dans le sang. Notre histoire n'est que bruit et fureur. Des millions de gens sont morts de mort
violente pour aboutir au résultat final. Tous, aussi bien ceux qui étaient pour, ceux qui étaient contre, et ceux qui ont été pris malgré eux dans ces querelles, ont contribué par leurs larmes,
par leurs souffrances, par leurs sacrifices et par leurs morts à la lente construction de la France. Nous nous sommes tant battus. Nous avons tant souffert. Nous-mêmes contre nous-mêmes. Des
torrents et des torrents de sang. Le sang! Le sang! Le sang! Ce ciment, que l'Histoire utilise, sans compter, pour édifier ses constructions.
Non! Notre histoire n'est pas toujours bien belle. Nous avons fait tout ce que peuvent inspirer le fanatisme, la folie, les convictions religieuses, les calculs
sordides. L'anéantissement total des Cathares! De braves gens inoffensifs, victimes de massacres sans nuance : "Tuez! Tuez! Dieu reconnaîtra les siens!". Lorsque ce fut fini, que le dernier
Cathare eut été brûlé, les tribunaux de l'Inquisition en France se retrouvèrent au chômage. Cette situation ne convenait pas à leur zèle. Ils déterrèrent alors les cadavres de ceux qui étaient
morts sans jugement pour les juger. Post mortem! Acharnements imbéciles! Vinrent ensuite les guerres de religion. La grande fête du sang, à Paris pour la Saint Barthélémy. Puis les Frondes
diverses. Les Camisards! La révocation de l'Edit de Nantes. La Révolution! La Vendée et la Bretagne. C'est le général Westermann, qui annonce triomphalement à la Convention :"Citoyens! La Vendée
n'est plus". C'est François Pierre Joseph Amey, qui alimentait les fours à pain avec des femmes et des enfants.(1) Et la guillotine. Toujours et encore la guillotine. Puis d'autres révolutions.
Celle de 1848. La Commune! Sursaut d'une population affamée, désespérée et humiliée, soutenue par les élucubrations d'une équipe d'intellectuels fumeux. Et j'allais oublier l'aventure récente de
la collaboration et de l'épuration. Sans compter toutes les petites révoltes locales. Celle des Canuts, celles des mineurs, celle des viticulteurs.
L'Histoire de France, ce n'est pas toujours très beau. Y compris dans ses aventures coloniales. La trainée sanglante de Dakar jusqu'au lac Tchad de la colonne Voulet Lemoine. Une voie balisée de
têtes coupées, disposées en pyramide. Les répressions en Algérie, en Nouvelle Calédonie, à Madagascar! Partout! J'arrête ! C'est assez!
Mais voilà que nous avions atteint l'âge adulte! Ou presque! La France que j'ai connue, libérée du fascisme et débarrassée de ses guerres coloniales, assurée de la
paix par la crainte qu'inspiraient les armes nucléaires, vaccinée contre les enthousiasmes guerriers par deux guerres mondiales, a connu une sorte de paix aussi bien intérieure qu'extérieure. Les
Français, mieux instruits, avaient fait des progrès en matière de tolérance et de civilisation. La France était un pays où il faisait bon vivre. Les mots liberté, égalité, fraternité quittaient
les frontons des bâtiments officiels pour se matérialiser dans la vie courante. La sécurité était assurée et les Français se passionnaient pour le combat des Chefs à peu près autant qu'aux
matches de rugby et avec la même passion, vive sans doute mais modérée dans ses résultats. Notre médecine, notre couverture sociale, les retraites des vieux travailleurs comptaient parmi les
meilleures au monde. On pouvait avoir et exprimer ses opinions sans aucun danger. On pouvait enfin espérer que nous serions vaccinés contre les excès imbéciles. Le niveau de vie général allait
s'améliorant. Tout le monde ou presque avait une auto. Et l'auto c'était la liberté, les vacances. Les Français étaient heureux. Mais, comme toujours lorsqu'on est heureux, ils ne le savaient
pas.
Et par-dessus tout cela nous avions un immense héritage. Les sacrifices de nos anciens, leurs souffrances, leurs efforts nous avaient laissé riches. Riches de
culture, riches de biens, riches d'innovations techniques, riches enfin d'une certaine façon de vivre, riches d'une certaine complicité de raisonnement, riches des rires partagés, riches de
souvenirs communs, riches en un mot, d'être français. Il n'y avait pas de raison pour remettre en cause ces richesses-là. Changer la France? Progresser! Oui! Mais changer! Et pourquoi faire? Et
pour aller où?
Mais voilà que les Corses ne sont pas contents. Voilà que les Bretons ne sont pas contents. Les premiers organisent des nuits bleues. Les autres brûlent le
Parlement de Bretagne. Les viticulteurs démolissent les stations de péage. Les banlieusards brûlent les autos. Les casseurs éclatent les vitrines. Des quartiers entiers échappent à l'autorité, à
l'ordre. Les rues ne sont plus sûres. La police n'ose plus faire appliquer une loi que la Justice elle-même ne respecte plus.
Cependant la faible densité démographique de la France attire sur notre sol des populations qui ignorent tout de notre culture et de nos coutumes. Elles apportent
avec elles leurs habitudes, leurs traditions, leurs querelles, leurs guerres étrangères. . Animées par un sectarisme religieux d'un autre âge, elles imposent leurs intolérances. Notre pays fait
un bond vers le passé. De bonnes âmes, inspirées de bonne intentions favorisent cette invasion cachée. D'autres la justifient au nom même de l'intérêt de la France. L'immigration est, parait-il,
une chance pour notre pays. Et c'est vrai! Oui! C'est vrai! C'est vrai lorsqu'il s'agit de personnes isolées ou de petits groupes. Celui-là qui vient chez nous et qui s'adapte est l'homme à la
double culture. Il en est d'autant plus riche et il nous enrichit. Ils sont nombreux, ces ex étrangers qui ont contribué de façon décisive au rayonnement de notre pays. Chaque nouveau venu est
une addition. Mais une grande masse c'est une invasion. Car ces grandes masses ne s'adaptent pas, ne s'intègrent pas. Elles vivent entre elles, à l'écart du reste du pays.
Et trop c'est trop! Trop de monde ne crée pas la qualité de la vie. Et la vraie richesse c'est peut-être la vacuité, l'espace, la faible densité! Est-ce qu'il
n'est pas plus agréable de vivre à Toulouse ou à Cannes qu'à Calcutta ou à Sao Paulo? Et les parts du gâteau ne sont-elles pas plus grosses lorsqu'on est moins nombreux à se les partager?
Entre temps les Français eux-mêmes se consacrent au pillage de notre pays. Les intérêts personnels priment l'intérêt général. Les hommes politiques donnent
l'exemple de la rapacité et de la malhonnêteté. On voit, on ne le croirait pas, un ministre du budget tromper le fisc. Les syndicats, sourds aux devoirs qui sont les leurs, défendent quoi qu'il
advienne les "avantages acquis" et leurs intérêts de corporation. La CGT a tué le port de Marseille où dorment, sous le soleil, des kilomètres de quais déserts. La Société Nationale Corse
Méditerranée est pillée et mise en perce par ses personnels. Elle survit, boiteuse, à grands renforts de subventions. La SNCF bat tous les records de grève et lorsqu'on prend le train on ne sait
ni quand on partira ni quand on arrivera.
Les hommes politiques, ceux-là même qui sont censés nous diriger, se complaisent dans le combat des chefs, vieille coutume gauloise dont parlait déjà Jules César.
Aucun d'eux ne porte en tête une vision à long terme de la France. Ces nains infirmes s'occupent de tout sauf des deux missions principales qui sont de conserver le pays en paix et d'assurer la
survie et le développement de sa civilisation. Deux devoirs sacrés, mais qui se situent hélas, bien au-delà des prochaines échéances électorales.
Car nous marchons vers la guerre. Nous y sommes peut-être déjà. Les temps sont venus où les innocents vont payer pour les fautes des politiques. Du sang! Encore du
sang! Notre pays marche à reculons vers l'abîme. Il n'a pas réussi à assimiler les populations étrangères qui sont venus sur notre sol. Cela ne date pas d'hier. Cela dure depuis longtemps. Depuis
l'échec de l'implantation des Harkis sur notre territoire. Cette guerre, comme toujours, les hommes politiques, ces nains,(2) trop malins pour être intelligents, ne l'ont ni prévue, ni prise
en compte, ni même envisagée.
Racisme! Vous avez dit "racisme". Oh! Ce n'est pas bien! Ce n'est pas bien du tout. Mais ça existe. Ça fait partie de la réalité. Vous voulez nier la réalité? Cela
doit être pris en compte comme la pluie ou le soleil. On peut comme l'autruche se cacher la tête. Mais la réalité finit toujours par nous rattraper.
Il n'y a que peu d'exemples dans l'Histoire de cohabitations réussies entre des ethnies différentes. En général lorsque ça marche, c'est parce qu'il y a une ethnie
dominante qui contraint les participants à une tolérance réciproque. C'était le cas de l'empire des czars ou de l'empire turc. Ou bien c'est parce que des populations déracinées trouvaient un
vaste territoire à se partager. Elles abandonnaient alors leurs vieux réflexes pour jouir pleinement de leurs nouvelles richesses. C'est ce qui explique la réussite relative du melting pot
américain. Au détriment d'ailleurs des populations primitives. Le racisme latent des nouveaux arrivants s'était trouvé une victime et un ennemi communs.
La France a perdu de son pouvoir d'attirance. Elle ne séduit plus. Elle n'est plus la terre promise. Elle ne plait que par sa Sécurité Sociale ou son RSA. Ou parce
que les gens qui y
parviennent sont chassés de chez eux par la misère ou par la guerre. Ils viennent chez nous avec leurs traditions, leurs coutumes, leurs langues. Ils
apportent dans leurs bagages leurs griefs et leurs guerres. Des conflits, qui ne nous concernaient pas, deviennent nôtres. Ils n'ont pas l'intention de se soumettre à nos lois ni à nos
régimes politiques. Petit à petit la France perd son image, sa cohésion, son âme. Qu'est-ce que ce sera la France dans vingt ans. La Yougoslavie…
J'ai aimé la France. Il y a mille façons d'aimer la France. Et chacun a la sienne. De Gaulle, lui, s'était forgé une sorte d'abstraction. Il y
avait LA FRANCE. Un objet presque immatériel. . Il disait "La France" et il n'y avait plus de raisonnement possible. C'était plus l'expression de sa propre passion pour un objet abstrait et
qu'il s'était fabriqué que l'amour des choses véritables et terrestres. Et lorsqu'il avait proclamé "La France!", les Français (des veaux!) n'existaient plus. Ils étaient invités à se
prosterner devant. Ainsi d'ailleurs que le reste du monde! Mais qu'est-ce que c'est, La France, sans les Français?
Mon amour à moi est plus charnel. Il n'y a pas de France sans les Français. Ils constituent la France au même titre que ses paysages ou sa culture. Au cours des
siècles et des siècles, ils se sont constitué un faisceau d'habitudes, de traditions, de défauts, d'amours et de désaffections qui sont la France. Mon beau-frère, gauchisant et un peu
anarchiste, fait volontiers fi des amours franchouillardes mais il retrouve la France pendant les grandes messes du rugby à quinze. Il s'époumone alors :"Allez! La France!" Il la retrouve
aussi dans le fond d'un verre de Bourgueil ou dans une poésie de Rimbaud. Par sa curiosité d'esprit, par son amour des idées généreuses, par son culte de l'amitié il est français. Tout autant
que moi.
Pour moi, la France, c'est d'abord un pays, des gens, une culture, des habitudes communes, une langue et une histoire. Ce n'est pas un élément tout seul, un mot
tout seul, une chose toute seule, mais une conjonction de phénomènes, un faisceau de sentiments qui se sent plus qu'il ne se définit. Pour moi la France je l'aime autant dans un camembert que
dans une chanson. Je la retrouve au fond d'un verre et dans la beauté d'une femme. Et je la retrouve aussi bien dans le Mont Saint Michel que dans le désert des Agriates. Il y a mille façons
d'être Français. Il y a des tas de types dont je ne partage absolument pas les idées et qui sont aussi français que moi et que je reconnais comme tels.
Nous avons tant souffert! Nous avons tant saigné! Nous avons tant aimé! Nous avons tant donné! Nous avons tant haï! L'Histoire, notre Histoire nous a fabriqués
tous différents mais tous semblables. Le Breton comme le Ch'ti. Elle a fabriqué ce mélange mystérieux que l'on appelle le peuple français. Il est composé de gens de toutes les races et de
toutes les religions. Mais cet ensemble est (était) homogène, dans ses habitudes, dans son art, dans ses réactions et même dans ses contradictions.
Je suis un vieil homme. J'ai connu l'époque du fascisme, de l'occupation étrangère, de la guerre. J'ai connu la France malheureuse de ce temps-là. Qu'elle était
belle dans sa détresse ! En 1938, lors de la visite à Bastia de je ne sais plus quel ministre, j'ai prononcé à haute voix, avec tout le reste de la population, le serment de Bastia.
C'était un peu grandiloquent mais l'ambiance s'y prêtait. Le fascisme était à la porte et Mussolini affichait son intention d'annexer la Corse. Alors, comme les autres, j'ai répété à voix
haute la formule simple que nous envoyaient les hauts parleurs:
"Sur nos tombes et sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français".
Les autres, sans doute, ont oublié. Mais, pour un jeune garçon de neuf ans, un serment ne s'oublie pas facilement. D'autant que c'est dans ma vie le seul que
j’aie jamais prononcé. Alors j'ai accompli la première partie de ce programme et j'ai vécu français. Il me reste maintenant à remplir la deuxième partie et, selon toute probabilité, cela ne
tardera guère.
Je suis un vieil homme. Au fond de ma tasse de café vide il reste encore quelques grains de sucre. Je les traque avec minutie du bout de ma cuillère. Je déguste
avec plaisir ces infimes atomes de saveur. Et ils fondent, trop vite hélas! sous ma langue. Mais ils sont bons.
Ainsi de ma vie! J'ai vidé la coupe et il ne me reste plus que des plaisirs dérisoires. Mais ces gouttes de miel sont bonnes et j'en profite pleinement. Je
regarde le soir la descente sanglante du soleil et je rêve, car l'ouest a toujours été ma direction préférée. Je vais faire la sieste près d'un torrent et le murmure éternel de l'eau me
susurre que, même après mon départ, les choses continueront d'être belles. Je contemple la flèche d'une cathédrale et j'admire sa course incessante à travers les nuages pressés par le vent.
Je respire une fleur. J'apprécie le roulis des hanches d'une femme, qui claudique, gracieuse, sur des talons trop hauts. Toutes ces choses sont bien. Je vis encore. J'ai eu de la chance. La
plupart de mes camarades sont morts, jeunes, d'une façon brutale. La mort les emportait. Elle procède avec moi de façon plus subtile. Elle m'entoure, m'enveloppe. Je ne la vois pas avancer,
mais je l'aperçois autour de moi, qui chemine. Elle n'est pas pressée. Moi non plus. Et cela ne me tracasse pas trop.
Mais je suis gros d'une inquiétude. Si nous ne parvenons pas à franciser toutes ces populations étrangères, que va-t-il advenir de tout ce que j'ai aimé? De
toutes ces richesses que nous ont laissées nos anciens. De toute notre civilisation, de nos amours, de nos écrits, de nos chansons, de nos idéaux, de nos croyances?
De nos rêves?
Qui comprendra encore dans vingt ans une chanson de Brassens?
Jean Paul Salini
Général d'aviation
(1) Amey fait allumer des fours et lorsqu'ils sont bien chauffés, il y jette les femmes et les enfants. Nous lui avons fait des représentations ; il
nous a répondu que c'était ainsi que la République voulait faire cuire son pain. (Rapport de l'officier de police Gannet. Nantes. Janvier 1794).
Il est à noter que le même Amey fit par la suite une belle carrière. Nommé baron d'Empire en 1808, il est fait chevalier de l'ordre de Saint Louis en 1815, par
Louis XVIII. Son nom est gravé sur l'Arc de Triomphe de l'Etoile. Il n'y a pas de justice!!!
(2) Appréciation injuste, généralisation hâtive, exagération évidente. Mais ça me fait du bien de le dire. Donc je le laisse!!!
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