Opération SENTINELLE : Halte à la casse de l’Armée de Terre !

Par le Gal. Jean-Paul Thonier - Le 09/02/2016.


 

Jamais sans doute depuis la professionnalisation des Armées une opération n’aura été aussi préjudiciable pour l’Armée de Terre que l’actuelle opération SENTINELLE déclenchée dans la foulée des attentats du 13 novembre dernier et qui sauf invraisemblable sursaut de lucidité va se poursuivre.

 

Après ces attaques meurtrières, j’ai salué comme l’immense majorité des français, le recours à l’état d’urgence et le renforcement des mesures de sécurité. Le déploiement des forces armées et tout particulièrement de l’Armée de Terre répondait à une compréhensible logique d’urgence dans un contexte d’ubiquité du danger. Les menaces n’ont pas disparues mais l’urgence est devenue constance et la place de l’Armée n’est plus à patrouiller incongrument par six dans les lieux publics  FAMAS en sautoir et casque à la ceinture.

 

Je ne peux que constater qu’après chaque nouvel attentat, il a été demandé aux Armées de déployer toujours plus de militaires dans les grandes villes. Les forces armées ont vécu toutes les gradations du Plan VIGIPIRATE avant de passer au dispositif SENTINELLE.

VIGIPIRATE restait absorbable sans conséquence majeure pour la bonne santé opérationnelle de l’Armée de terre, SENTINELLE est destructrice.

 

SENTINELLE est destructrice parce cette opération "consomme" des femmes et des hommes qui devraient se former, s’entraîner ou se reposer avant un nouvel engagement. Rogner sur un de ces aspects consubstantiel au maintien en condition d’un soldat et à la capacité opérationnelle d’une unité, c’est scier le pied du tabouret. Quel que soit l’aspect sauvegardé ou sacrifié la bombe est à retardement avec des effets qui peuvent être dévastateurs. Sur le terrain d’abord où nos théâtres d’engagement notamment africain exigent un haut degré de préparation individuel et la maitrise de savoir-faire collectifs compliqués. Une faiblesse dans ce registre, c’est au mieux être incapable d’audace tactique et au pire accepter les pertes humaines. Sur le potentiel humain ensuite avec le non renouvellement du premier contrat ou le départ anticipé de jeunes cadres confrontés à l’impossibilité de conjuguer vie professionnelle et vie sociale ou familiale. Les chefs militaires et j’ai été de ceux-là,  ont toujours eu beaucoup de pudeur à insister sur la nécessité de garantir des phases de détente et de récupération et pourtant je sais aussi par expérience qu’elles conditionnent le bon moral d’une troupe, facteur multiplicateur d’efficacité ou à contrario élément fondateur du renoncement ou de la révolte.

 

SENTINELLE est aussi destructrice parce qu’elle renvoie à nos compatriotes une idée faussée de ce qu’est un soldat professionnel et ce que sont ses savoir-faire individuels et collectifs. En plagiant les modes d’action des forces de sécurité, défense statique des édifices ou présence mobile, ils sont réduits à un rôle de supplétifs avec qui plus est des équipements et un armement inadaptés. C’est utiliser une voiture de sport en refusant de passer la seconde vitesse. Dans un contexte sécuritaire dégradé avec des moyens adaptés et complémentaires à ceux des policiers et des gendarmes, les forces armées sont un recours et leur présence dissuasive est rassurante. Mais quand la vie a repris son cours normal et que ce sont les bouchons en direction des stations de sports d’hiver qui occupent la une de l’actualité, qu’apporte réellement ce déploiement ostensible de militaires au cœur de nos villes ? Hier, ces soldats étaient remerciés, aujourd’hui ils laissent indifférents, je crains que demain le quidam leur reproche de ne servir à rien. 

 

SENTINELLE est enfin et surtout un énorme piège pour l’Armée de Terre qui a obtenu en contrepartie de cette mission un arrêt temporaire de la déflation de ses effectifs et l’autorisation de recruter. Ce nécessaire ajustement au regard du contrat opérationnel défini par le Libre Blanc de 2013 et les engagements voulus par le Président de la République est aujourd’hui perçu par l’opinion publique, sous l’effet conjugué des médias et des portes paroles ministériels, comme un privilège qui place cette Armée en position d’obligé. C’est pour elle et ses chefs, le grand écart entre l’excellence que requiert l’engagement à l’extérieur et l’indispensable solidarité nationale. A tout prendre cette même Armée de Terre risque d’y perdre sa crédibilité.

 

Les centres de recrutement sont parait – ils submergés de demandes de recrutement. L’occurrence de la guerre attire le soldat. Faut-il s’en réjouir ? Faut-il y voir un précautionneux pressentiment ou une vraie résilience dont nos décideurs seraient bien aise de s’inspirer ? Pour ma part, sans exclure la nécessaire voire indispensable réflexion sur la continuité entre défense et sécurité : Garde nationale, réserve opérationnelle ou autre formule qui demandera des moyens, de l’argent et du temps, j’estime qu’aujourd’hui, la place des cadres et des soldats, aviateurs et marins de nos armées professionnelles est à l’instruction dans les cantonnements, en formation dans les écoles et centres spécialisés, à l’entrainement dans les camps de manœuvre ou à la mer, au repos pour profiter d’une aération auxquels ils ont droit ou en projection sur les exigeants théâtres d’opération mais certainement pas à arpenter dans ces conditions le bitume de nos cités.

 

 

Source : http://www.magistro.fr/index.php/template/lorem-ipsum/en-france/item/2566-operation-sentinelle


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