Texte hors norme

...par Roger Neusius - Le 09/07/2020.

9 juillet 2020. Un texte écrit sur un coin de table au hasard des mots qui m’ont rendu visite.
Pourquoi ces mots et dans cet ordre ? Je ne sais pas.
Un texte qu’il ne faut pas prendre au premier degré, ni à la légère, mais au sérieux…

Ouvrez le ban !

Il y a des moments comme ça où certaines images se mélangent. Celles que l’on voit et les autres qui peuplent nos souvenirs. Il en est de même avec la musique ou les paroles que l’on entend  sans être certain qu’elles proviennent du même endroit.
Un endroit, comme vous le savez, n’est qu’une approximation de l’espace et du temps…
Les évènements qui se succèdent au rythme de l’actualité bousculent nos convictions. Nous étions habitués à respecter certaines valeurs, elles sont remises en cause. Décriées même.
La gloire de nos pères en a pris un coup. La nôtre aussi…
L’heure n’est plus la même et on nous demande de bouger les aiguilles de nos pendules.
On se demande pourquoi.
Et je me demande pourquoi.  

J’habite devant une caserne de sapeurs pompiers et à moins de cinquante mètres d’une brigade de gendarmerie.
En face, flottent deux drapeaux tricolores. Celui des pompiers reste sur le mât en permanence. Souvent, il descend tout seul car la fixation laisse à désirer.
Il est mis en berne chaque fois qu’on apprend le décès accidentel d’un sapeur pompier.
Parfois, il le reste longtemps car on oublie de le remonter…
C’est une manie chez eux, d’oublier. Quand ils sortent pour une intervention, la sirène du véhicule fonctionne en permanence six fois sur dix. Je suppose que certains conducteurs ne savent pas comment l’arrêter. Il faut avouer qu’avec les projectiles qu’ils reçoivent de temps en temps ils ont de quoi être préoccupés.
Les gendarmes eux, respectent les procédures de lever et descente des couleurs tous les jours.
Souvent, c’est une jeune « gendarmette » qui est chargée de l’opération. Elle est toute seule. Personne pour assister à la cérémonie  qui est réduite à sa plus simple expression car il n’y en a pas.
Parfois, je regarde sa queue de cheval qui s’agite pendant l’opération.
Depuis trois mois, il n’y a plus de mat des couleurs en raison de travaux d’extension. Je ne sais pas s’il est prévu de le remettre. En tout cas les gendarmes ne mettent qu’exceptionnellement en route leur sirène. Pour ne pas effrayer les cambrioleurs… Surement.
En attendant, ils n’ont pas eu la possibilité de mettre le drapeau en berne suite au décès de la gendarme tuée par un délinquant le samedi 4 juillet dans le Lot-et-Garonne…
En dehors des gendarmes et des pompiers, nous avons aussi d’autres animations.
C’était hier ou un peu avant, je m’étais assis sur un banc pour écouter les merles.
Un instant, j’ai écouté ce qu’ils disaient et je n’ai pas compris. Vous savez les merles c’est comme les hommes politiques, il faut écouter longtemps pour les comprendre. Et puis souvent, ils vous font comprendre que vous n’avez rien compris. Il y a d’ailleurs beaucoup de gens comme ça.
Tenez, quand j’étais jeune, plus jeune oui, j’avais un supérieur qui s’étonnait que nous soyons étonnés alors qu’il n’y avait rien d’étonnant. Son étonnement égalait le nôtre mais c’était notre supérieur alors on s’étonnait moins. Le temps d’une chanson comme disait Serge…
Mais je ne sais pas pourquoi, une radio est venue remplacer mon concert de merles.
Là, j’ai compris. Les journalistes sont doués pour annoncer les mauvaises nouvelles et celles qui ne sont pas des informations.
J’ai compris que tout allait mal…
Les rues avaient des noms inadaptés, les morts devaient être rendus à leurs pays d’origine, le cirage noir serait bientôt interdit et les retraités priés de mourir chez eux. Il était même question de rendre la pyramide du Louvre à l’Egypte…  
Peut-être ai-je trop écouté… Curieusement, j’ai éprouvé le besoin de me lever et de marcher.
Ca fait du bien de marcher et j’avais besoin de me changer les idées.  
Au détour d’un petit pont, j’ai vu ce soldat assis appuyé sur son fusil. Il était fatigué.
En me regardant, il a souri.
Il avait un uniforme aux couleurs bizarres. Tout était bizarre avec lui. A ses pieds un sac avec une poignée rouge, dans son dos un sac avec des rabats et une sangle jaune équipée d’un mousqueton.
Sur la tête un casque ce qui semblait normal pour un soldat.
J’étais pressé de rentrer chez moi mais je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander :
Vous attendez quelqu’un ?
Assis, là sur ce rebord de pont, il devait attendre quelqu’un. Certainement.
Oui, j’attends, me répondit-il gentiment.
En regardant autour de moi j’ai vu qu’il n’y avait personne.
Vous attendez qui ?
Mais la grise voyons !
Le temps était gris, j’ai pensé qu’il plaisantait.
Les jeunes aujourd’hui, on a du mal à les suivre…
Un salut encourageant et j’ai repris ma promenade.
En traversant le parc j’ai aperçu un banc.
Il était occupé.
Le petit vieux avait étendu ses jambes. Il se sentait bien.
Je lui ai ramassé sa béquille qui trainait par terre et il m’a lancé :
Vous voyez on a arrêté les allemands !
Les allemands ?
Je me suis demandé ce qu’il entendait par là. Les allemands faisaient beaucoup de publicité avec une voiture du peuple la VW mais avec notre Renault Scénic on était quand même pas mal.
Cet homme prétendait avoir arrêté les allemands…
Et son sourire m’a persuadé qu’il en était convaincu.
On était plus forts mais ils étaient plus nombreux, m’a-t-il lancé en voyant mon regard incrédule.
Ils avaient plus de chars, lui ai-je-répondu pour lui faire plaisir.
Mais mon brave Monsieur, vous n’y êtes pas du tout.
Il avait l’air sincère, je me suis demandé de quoi il parlait.
Il a pris sa béquille et d’un air menaçant a murmuré :
Vous êtes de la cinquième colonne ?
Son œil interrogateur ne me laissait pas le choix. J’ai applaudi des deux mains.
Il m’a lancé sa béquille.
Avec les vieux, c’est comme avec les jeunes on a du mal à les suivre…
J’ai poursuivi ma route…
Quelques mètres plus loin, un monument aux morts attendait ses fleurs.
Je l’ai regardé.
Quelques mauvaises herbes le rendaient plus sympathique et une vigne vierge s’épanouissait du côté de la liste des morts de la grande guerre.  Peut-être pour les cacher…
Appuyée sur la grille qui limitait l’emplacement destiné aux gerbes de fleurs se tenait une jeune femme en tenue de sport. Elle faisait des élongations en respirant très fort.
Ce n’était pas un emplacement destiné à faire des assouplissements mais peu importe.
Visiblement intéressé, le poilu en granit qui surplombait la scène regardait le spectacle sans broncher. Lui aussi avait arrêté les allemands…
Je me suis arrêté pile.
Un escargot s’était mis en travers de mon chemin. J’ai fait un écart et dépassé ce monument qui aurait mérité mieux qu’une station de jogging. Mais aller expliquer çà à des gens qui s’étirent pour avancer.
Avec les femmes c’est comme avec les escargots, c’est aussi compliqué qu’avec les petits vieux ou les grands gamins…
Au passage pour piétons, j’ai pris mon air piéton le plus sérieusement possible. Une voiture immatriculée dans le 95 est passée sans ralentir. J’aime les parisiens. Le plus souvent, ils sont très intelligents et même sympathiques. Celui-là devait être pressé.
Ici, on a le temps. On regarde les parisiens passer car on a du mal à les suivre.
Il n’y avait plus de voitures alors j’ai traversé.
Le trottoir aux pavés défoncés n’était pas agréable. C’est en voulant le quitter que je suis passé devant un mur sur lequel se trouvait une plaque. «  Ici fut fusillé Gérard Dulerme par les hordes nazis. Le 27 octobre 1944 ».
Et soudain, j’ai entendu chanter.

Il y a des pays
Où les gens au creux des lits
Font des rêves.
Ici, nous, vois-tu
Nous on marche et on nous tue
Nous on crève ...


Ce chant venait de l’arrière du mur.
Un portail en fer à moitié fermé laissait voir l’intérieur d’une cour. Un gamin en tricycle essayait d’avancer péniblement dans le gravier.  
Je n’ai pas eu la possibilité de l’interroger. Quelqu’un a crié « Gérard ! » et une main est venue refermer le portail. Le silence est revenu.
Elle avait raison cette main, il ne faut pas laisser chanter une chanson pareille à des enfants…

Vous voyez, tout va bien même si la gloire de nos pères en a pris un coup.
L’heure n’est plus la même mais tout va bien.
On nous demande de bouger les aiguilles de nos pendules.
On se demande pourquoi.

Je ne me demande plus pourquoi…

Fermez le ban !

Source : https://www.parachutistes-militaires.org/t1657-ouvrez-le-ban#4608

 

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