A Jean-Claude Lafourcade, Jacques Hogard, Marin Gillier et tous les autres.
En France, on peut difficilement parler de certains sujets sans encourir les foudres des chiens de garde de la bien-pensance et de l’idéologie dominante. Les
dossiers sensibles sont connus : conflit israélo-palestinien, guerre civilo-globale de Syrie, et génocides rwandais. Déjà, oser parler de « génocides » au pluriel est prendre un
sérieux risque, tant les gardiens du temple ont érigé le « singulier » en totem hiératique de leur religion : du 7 avril 1994 au 17 juillet 1994, les « méchants » Hutu
ont massacré les « gentils » Tutsi. En définitive, la morale, c’est toujours assez simple !
Partant de là : circulez, il n’y a plus rien à comprendre puisqu’il s’agit maintenant de sentir, de croire et de célébrer le dictateur rwandais Paul Kagamé
comme un bienfaiteur de l’humanité. La boucle est bouclée !
Dans les tours de passe-passe successifs, qui ont érigé la tragédie rwandaise en véritable imposture historique, l’opération Turquoise de l’armée
française occupe une attention toute particulière, tant celle-ci a été l’objet de fantasmes, de désinformations et de propagandes mensongères.
Le 22 juin 1994, le Conseil de sécurité des Nations unies mandate – par la résolution 929 – le déploiement d’une force multinationale, sous commandement français au
Zaïre et au Rwanda afin de mettre en sécurité des milliers de réfugiés en danger. Or, depuis plus de vingt ans, journalistes, membres d’ONGs, chercheurs et, surtout le régime rwandais, accusent
la France d’avoir participé à la préparation, sinon à l’exécution du génocide. Comment une telle fantasmagorie a-t-elle pu s’imposer comme une vérité indiscutable, idéologiquement
dominante ?
DIX ANNEES DE RECHERCHE
Pour répondre à cette question, le livre de Charles Onana1 met en oeuvre le résultat de plus de dix années de recherche dans les archives du Conseil de sécurité, de l’Elysée, des ministères français de la Défense et
des Affaires étrangères, de l’administration américaine et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, ainsi que de nombreux témoignages de première main. Son livre déconstruit méthodiquement
l’une des plus grandes impostures idéologiques de notre histoire contemporaine. Il démontre ainsi que les dirigeants actuels du Rwanda, ont, pendant plus de deux mois, empêché l’intervention de
l’ONU, encourageant sciemment les massacres plutôt que l’arrêt des hostilités, afin de conquérir un pouvoir sans partage, avant de partir à la conquête des régions les plus riches du grand pays
voisin : le Zaïre, avec l’aide de l’Ouganda, des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et, dans une moindre mesure, de la Belgique.
Né le 18 février 1964, Charles Onana n’est pas un perdreau de l’année. Docteur en sciences politiques, ce chercheur franco-camerounais s’est fait connaître par ses
nombreuses enquêtes – effectuées dans la filiation de notre ami Pierre Péan (disparu l’été dernier) – sur l’Afrique des Grands Lacs, la Palestine de d’autres conflits armés. Son travail pionnier
sur l’histoire des tirailleurs africains de l’armée française pendant la Seconde guerre mondiale a fait date. Il a dirigé l’Organisation panafricaine des journalistes indépendants, au sein de
laquelle il a mené une enquête sur l’assassinat du journaliste burkinabé Norbert Zongo. On lui doit déjà une vingtaine d’ouvrages parmi lesquels : Ces tueurs tutsi au cœur de la
tragédie congolaise (préface de Cynthia McKinney) – Duboiris – 2009 ; Al-Bashir & Darfour : la contre-enquête – Duboiris – 2010 ; Côte
d’Ivoire : le coup d’État – Duboiris – 2011 (préface de Thabo Mbeki) ; Europe, Crimes et Censure au Congo – Duboiris – 2012 ; La France dans
la terreur rwandaise – Duboiris – 2014 ; et, Palestine, le malaise français – Duboiris – 2015.
Préfacée par le colonel Luc Marchal – ancien commandant des Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (secteur Kigali) -, ce premier
ouvrage scientifique consacré à la Mission Turquoise, commence par présenter ses sources et sa méthodologie. Après un rappel du contexte historico-politique, Charles Onana explique
comment l’attentat du 6 avril 1994 – contre l’avion transportant les deux présidents du Rwanda et du Burundi (Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira) – a déclenché la terrible
machinerie : « les massacres de civils ont effectivement commencé dans la capitale le 7 avril 1994 après l’annonce de l’assassinat du chef de l’Etat rwandais. Ils vont, par la suite,
s’étendre à tout le pays à l’initiative de tous les groupes armés et contre l’ensemble des populations rwandaises. Mais le mode de désignation des victimes ne se fera jamais sur des fondements
d’une enquête minutieuse et approfondie, mais plutôt à la hâte, dans la précipitation et l’affect du moment ».
LA CONQUÊTE DU POUVOIR
Au moment des massacres, beaucoup de journalistes rapportent que la Garde présidentielle et des éléments des FAR (Forces armées rwandaises) commettent des atrocités
contre des Tutsi et des Hutu. Certains, peu nombreux, témoignent également des actes criminels commis par les rebelles de l’APR/FPR (Armée patriotique rwandaise/Front patriotique rwandais) à la
même période. Parmi les rares journaux qui portent un regard attentif sur l’avancée du FPR, il y a le Libération du 19 mai 1994 (NDLR : cela ne va pas durer) qui évoque les
« sanglantes représailles de la guérilla rwandaise », avant d’ajouter : « contrairement à ce qu’ils ont toujours promis, les soldats du FPR auraient, eux-aussi commencé à se
livrer à des exactions contre les populations civiles qui n’ont pas réussi à fuir les combats ».
Charles Onana recentre aussitôt la question : « loin de la question purement ethnique qu’évoquent presque tous les journaux, c’est donc plutôt le
« partage du pouvoir » prévu dans les accords d’Arusha ou son non-partage qui semble être au cœur du problème. En d’autres termes, le FPR est-il disposé à partager le pouvoir avec les
Hutu du gouvernement intérimaire au moment où il se trouve en position de force sur le plan militaire ou préfère-t-il aller jusqu’au bout de sa domination ? ».
Le témoignage du représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Rwanda va dans le même sens : « considérant que la victoire était à sa portée, le
FPR s’est montré intraitable au cours des contacts informels avec les organisateurs de la réunion. Il a exigé la dissolution du gouvernement intérimaire et de la Garde présidentielle (…). Le
représentant spécial de l’ONU, le secrétaire général de l’OUA et la communauté internationale ont été accusés de n’avoir rien fait pour arrêter les massacres et donc d’être de mèche avec le
gouvernement intérimaire. Ces excès de langage ont précipité le départ d’Arusha de toutes les personnalités visées par le FPR, y compris les ambassadeurs occidentaux »2.
L’attitude du FPR dans les massacres de civils en 1994 reste le grand tabou. Nul n’a le droit d’en parler, y compris les dissidents de ce mouvement. Si l’image du
FPR est longtemps restée celle d’un « sympathique mouvement de libération nationale opposé à la dictature du président Habyarimana, ses positions et son comportement durant les massacres ont
fini par révéler son côté machiavélique et criminel », précise Charles Onana. Il reconstitue le plus rationnellement possible les contextes rwandais et français lors de la prise de décision
du lancement de l’opération Turquoise : contexte de « cohabitation » politique sur le plan intérieur et d’hostilité à l’extérieur. Clairement, alors le la premier
ministre – Edouard Balladur – envisage les enjeux de cette intervention du point de vue de la politique intérieure, François Mitterrand, lui, s’inscrit dans une perspective de politique
internationale et de géopolitique.
L’auteur de ces lignes se souvient avoir couvert le sommet de l’OUA (à l’époque l’Union africaine s’appelait encore « Organisation » de l’Union Africaine)
à Tunis du 13 au 15 juin 1994. La délégation française ne bruissait que de la grande affaire du sommet : Nelson Mandela lui-même n’avait cessé d’implorer François Mitterrand de faire quelque
chose pour tenter d’endiguer les massacres qui continuaient à ensanglanter la progression des réfugiés rwandais vers le Zaïre. L’ancien plus vieux prisonnier du monde – qui est président de
l’Afrique du Sud depuis un mois – estime, à juste titre que mettre sur pied une opération extérieure de l’ONU prendra des mois et que seule la France – et ses forces pré-positionnées en Afrique –
peuvent intervenir.
DU « GENOCIDE » A LA MISE EN ACCUSATION DETURQUOISE
L’appellation « génocide » ne s’est pas imposée spontanément, puisque ni les Nations unies, ni l’OUA, ni La Croix rouge internationale (CICR),
n’employaient ce qualificatif. Son usage, initié avec l’aide et le soutien de la délégation permanente de la République Tchèque et des Etats-Unis, rencontrait de nombreuses réticences à l’ONU.
C’est alors que les contacts de proximité entretenus par Colin Keating – ambassadeur de Nouvelle Zélande et président du Conseil de sécurité – avec le FPR, ont fait du premier, le relai officieux
du second au sein des Nations unies et de ses agences techniques.
La secrétaire d’Etat Madeleine Albright fera le reste et les Etats-Unis valident, sans la moindre réserve, et très officiellement la demande pressante du FPR de
retenir le terme « génocide » et de qualifier comme tel les massacres du Rwanda. Ce qualificatif est donc retenu sans examen ni enquête préalable. Sa validation ne sera jamais soumise à
l’avis des magistrats professionnels, ni à la consultation d’une quelconque juridiction internationale.
Charles Onana : « le ministre français de la Coopération Bernard Debré dira non sans un certain courage : deux génocides ont été commis, et la
première puissance du monde voudrait qu’il n’y en eût qu’un, parce que tel est son intérêt ». Ainsi était assuré le fondement conceptualo-émotionnel d’une reconstruction idéologique
« des » génocides rwandais et des attaques qui allaient suivre. Les premières accusations lancées contre l’opération Turquoise ne sont pas à l’initiative des journalistes ou des médias
français. C’est la presse américaine, qui la première, prend position et lance le bal ! Dès le mois d’avril 1994, peu de temps après l’attaque contre l’avion du président Habyarimana,
plusieurs quotidiens américains mettent ouvertement la France en cause. C’est notamment l’International Herald Tribune, diffusé dans près de 180 pays à travers le monde, qui publie le 14
avril un article à charge du « journaliste » Frank Smyth, intitulé « French money is behind the overarming of Rwanda » (L’argent français est derrière le surarmement du
Rwanda).
Partant de là, les perroquets de la presse parisienne – en état permanent d’admiration transie et d’une dépendance intellectuelle quasi-coloniale vis-à-vis de la
presse américaine – prendront le relais d’un dossier savamment monté par l’ONG américaine Human Rights Watch, relayé en Belgique et en France par une très étrange officine nommée
« Survie » ; littéralement obsédée par la « Françafrique », partant du principe que, ni les Etats-Unis, ni le Royaume Uni, ni Israël ne savent où se trouve l’Afrique et
que seule, la France éternelle reste présente sur le Grand continent, cette « association » ne va cesser d’incriminer les autorités françaises et
l’opération Turquoise.
Dans cette filiation « journalistique » vont fleurir nombre d’« idiots utiles », de procureurs auto-proclamés, sinon de névrosés obsessionnels,
qui vont colporter l’imposture et en vire… Charles Onana : « en évoquant régulièrement et uniquement le soutien, au demeurant réel, de la France au régime rwandais « avant »
les massacres (jusqu’en 1993) et en ne mettant en lumière que l’action des troupes gouvernementales rwandaises dès le début et tout au long de la guerre civile internationale, sans décrire
parallèlement celle des rebelles, ni mentionner l’origine de leurs armements et de leurs soutiens, la presse française dans sa quasi-totalité a pris le parti d’écarter une part essentielle de la
réalité et de présenter les faits de façon partielle ou incomplète. Le traitement de l’information semble donc, dès le départ, à la fois déséquilibré et tronqué. Cette asymétrie va nécessairement
affecter l’intelligibilité du conflit et avoir des conséquences sur l’image de tous les acteurs de ce conflit ».
LA PEUR A CHANGE DE CAMP
Les plus violentes attaques contre l’opération Turquoise partent du quotidien L’Humanité, relayées par le Figaro qui
pilonne – depuis le début -, la cohabitation Mitterrand/Balladur. Dans ce contexte, Libération et L’Express rejoindront définitivement la catégorie des torchons,
tandis que Le Monde – renouant avec un anti-militarisme soixante-huitard pourtant passé de mode – se spécialisera dans un dénigrement systématique des armées françaises. Dans
certains cas, ce sont des officiers de l’opération Turquoise – eux-mêmes – qui étaient copieusement trainés dans la boue et personnellement calomniés, comme s’il s’agissait
d’établir une prétendue continuité avec la Guerre d’Algérie, afin de perpétrer mauvaise conscience et haine tenace envers une France restée « coloniale » par essence. Alors qu’il était
rédacteur en chef à RFI (Radio France Internationale), l’auteur de ces lignes a pu se rendre compte de la puissance de cette machinerie idéologique : les commissaires politiques de
l’association « Survie » appelaient directement des membres du « Service Afrique » de la rédaction, dont certains restaient en liaison permanente avec… l’ambassade d’Israël à
Paris.
En effet, l’autre grand trait de la mythologie « du » génocide rwandais, consistait à le comparer – stricto sensu – avec l’holocauste de
la Seconde guerre mondiale. Même si – en sciences historiques – comparaison rime rarement avec raison, on a vu soudainement ressurgir tous les porteurs d’eau de la cause israélienne, lançant même
des procès en diffamation à l’encontre des esprits libres qui ne se contentaient pas de la doxa dominante… Il ne faut pas l’oublier aussi : dans ce contexte d’un terrorisme intellectuel
effrayant, inviter l’enquêteur Pierre Péan était devenu un motif de licenciement !
Justement, c’est à des personnalités de cette envergure – et l’auteur du livre dont nous parlons en fait partie -, que nous devons un rétablissement progressif de
la vérité, notamment concernant l’opération Turquoise. A l’époque, l’auteur de ces lignes – reporter à la Télévision suisse romande (TSR) – s’est rendu, à plusieurs reprises, sur le
terrain de cette opération Turquoise si décriée, rapportant – de manière vécue – comment les soldats français s’étaient mis au service des réfugiés pour apporter soins, eau et
nourritures ; comment – à Goa – ils avaient enterré les morts victimes du choléra pour endiguer l’épidémie ; comment ils sauvèrent des milliers de réfugiés promis à une mort
certaine.
En rendant hommage à ces soldats – très jeunes pour la plupart, et qui étaient, alors le visage de la France -, je ne pouvais que me remémorer l’instance de Nelson
Mandela auprès de François Mitterrand pour « faire quelque chose ! ».
Oui, le livre de Charles Onana est « définitif », parce qu’à la lumière de multiples sources et témoignage indiscutables, non seulement il remet la vérité
historique à l’endroit (sans fermer le champ de la recherche), mais surtout il fait changer de camp la peur et l’indignité. Ce livre amène une conclusion imparable : du plus simple soldat,
jusqu’à ses plus hauts responsables militaires et politiques, l’opération Turquoise a sauvé – oui, sauvé ! – des milliers de vie. Du plus simple soldat, jusqu’à ses plus
hauts responsables, cette opération extérieure des armées françaises, mérite tout notre respect et notre admiration.
UNE QUESTION D’HONNEUR
Et si la peur a pu ainsi changer de camp et faire – qu’aujourd’hui – on puisse enfin rendre un hommage – ô combien mérité -, à tous hommes et femmes de
l’opération Turquoise, c’est aussi parce que son commandant – le général Jean-Claude Lafourcade – s’est inlassablement battu pour défendre l’honneur de la mission accomplie.
Lorsqu’il est nommé à la tête de l’opération en juin 1994, il est général de brigade, adjoint à la 11ème division parachutiste de Toulouse. Nommé Commandeur de la
Légion d’honneur en 2000, il sera successivement sous-chef d’état-major « opérations » de l’armée de terre, commandant supérieur des forces armées
de Nouvelle-Calédonie, puis Commandant de la Force d’action terrestre (CFAT) à Lille. Général de corps d’armée (4 étoiles), il est admis en deuxième section en
2003.
Comment un homme qui aurait démérité aurait-il pu faire une telle carrière ? Mais Jean-Claude Lafourcade va aussi présider l’Association
France-Turquoise, qui luttera pied à pied contre toutes les calomnies qui tenteront vainement de salir l’action de notre pays au Rwanda. Passé sous silence par la presse parisienne, son livre
– Opération Turquoise-Rwanda 1994 – écrit avec le journaliste Guillaume Riffaud, a déblayé la route. En janvier 2016, le général Lafourcade a été entendu comme témoin
assisté dans le cadre d’une information judiciaire pour « complicité de génocide et de crimes contre l’humanité » visant des militaires français. Ces procédures ont toutes tourné court,
ne l’empêchant pas de poursuivre ce combat si nécessaire pour rétablir l’« honneur » dans une époque qui en manque tant !
D’autres hommes d’honneur sont – ici – à la tâche : l’amiral Marin Gillier, dont la carrière a été marquée par un engagement dans les forces spéciales, en
particulier chez les nageurs de combat. L’apprentissage de l’arabe l’a conduit à mener des activités de contre-terrorisme et de lutte contre le radicalisme islamiste. Des fonctions de directeur
au Quai d’Orsay l’ont amené à poursuivre des actions de fond pour le renforcement de l’Etat de droit dans différents formats nationaux et multilatéraux. Ayant quitté l’uniforme, il a pris
quelques engagements au service des personnes : l’association Nazaréens au Cœur (NauC) qui accueille des familles ayant fui l’Irak et la Syrie à l’arrivée de Dae’ch et
– La Nuit du Handicap qui rassemble sur les places publiques, une fois par an, des passants, associations et institutions autour de personnes fragiles ou handicapées, afin de
partager un moment de convivialité et de fraternité.
Sur cette ligne d’horizon de l’honneur retrouvé, un troisième mousquetaire fait référence parmi bien d’autres : le colonel Jacques Hogard, qui fut commandant
du groupement de Légion Étrangère lors de l’opération Turquoise. En 2005, son témoignage sur sa participation à l’opération – Les larmes de
l’honneur, 60 jours dans la tourmente du Rwanda – parait aux éditions Hugo. Il soutient que le principal responsable de l’attentat du 6 avril 1994 au cours duquel sont morts les deux
présidents rwandais et burundais, est bien Paul Kagamé. Il accuse la secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright d’avoir retardé l’envoi d’une force internationale pour mettre fin
aux massacres. Le 13 mai 2009, avec un certain nombre d’autres anciens officiers de l’armée française ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994, il est distingué par un décret
du Président de la République et promu au grade d’officier de la Légion d’honneur. On lui doit aussi d’autres livres de vérité, dont : L’Europe est morte à Pristina –
Guerre au Kosovo (printemps-été 1999) – Editions Hugo et Compagnie, 2014.
C’est en cette si bonne compagnie que Charles Onana conclut son livre : « jusqu’à ce jour, les dirigeants politiques français, presque apathiques et
résignés, sont toujours peu enclins à défendre courageusement et efficacement leurs soldats et en particulier ceux de l’opération Turquoise face aux accusations ignominieuses et
diffamatoires dont ils n’ont cessé de faire l’objet. Une situation qui reste totalement impensable et inimaginable aux Etats-Unis, s’agissant des soldats américains ».
Le livre de Charles Onana, mais aussi les autres ouvrages cités feront des cadeaux de Noël intelligents.
Bon avant-fêtes donc, bonnne lecture et à la semaine prochaine.
Richard Labévière 16 décembre 2019
1Charles Onana : Rwanda, la vérité sur
l’Opération Turquoise – Quand les archives parlent. Editions L’Artilleur, octobre 2019. 2BOOH BOOH, J.H., Le Patron de Dallaire
parle. Editions Duboiris, janvier 2005.
Le 6 avril 2020, c’est une nouvelle fois à travers l’histoire fabriquée par le régime du général Kagamé que va être commémoré le 26e anniversaire du génocide du Rwanda. Une histoire dont les
trois principaux piliers ont pourtant été pulvérisés par l’historiographie. Ainsi :
1) Contrairement à ce qu’affirme cette histoire fabriquée, ce ne sont pas les « extrémistes hutu » qui ont abattu l’avion du président Habyarimana.
Le génocide du Rwanda ayant été déclenché par l’assassinat du président Habyarimana, l’impératif était donc de connaître les auteurs de ce crime. Or, les alliés du
général Kagamé, Etats-Unis et Grande-Bretagne, ont interdit au TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) dépendant du Conseil de Sécurité de l’ONU (Résolution
955 du 8 novembre 1994), de chercher à les identifier.
Quant à la justice française, seule à avoir enquêté sur cet attentat, elle s’est prudemment défaussée après 21 ans d’accumulation d’éléments semblant pourtant
désigner le camp du général Kagamé. Le 21 décembre 2018, suivant en cela les réquisitions du Parquet, elle a ainsi rendu un insolite non-lieu concernant les hauts cadres du général
Kagamé que le juge Bruguière accusait d’être les auteurs ou les commanditaires de l’attentat du 6 avril 1994. Insolite en effet car :
1) Les magistrats écartent la piste des « extrémistes hutu », innocentant ces derniers de toute responsabilité dans l’attentat qui
déclencha le génocide.
2) Ils énumèrent en revanche, et en détail, les nombreux éléments du dossier paraissant désigner à leurs yeux l’équipe du général Kagamé comme étant à
l’origine de cet attentat.
3) Mais, in
fine, les deux magistrats instructeurs prennent étrangement le contre-pied du déroulé de leur propre argumentation pour conclure que « L’accumulation (je
souligne) des
charges pesant sur les mis en examen (les membres du premier cercle du général Kagamé mis en examen par le juge Bruguière le 17 novembre 2006) (…)
ne peut pas constituer des charges graves et concordantes permettant de les renvoyer devant la cour d’assises ».
Utilisant la seule conclusion de ce singulier non-lieu en taisant soigneusement la liste des charges l’impliquant énumérées par les magistrats français,
le régime de Kigali affirme avec un singulier aplomb qu’il n’est donc pour rien dans l’attentat du 6 avril 1994. Cela lui permet de continuer à soutenir que ce furent les « extrémistes
hutu » qui commirent l’attentat alors que rien, ni dans le dossier de la justice française ainsi que nous venons de le voir, ni dans la monumentale masse de documentation étudiée par le
TPIR, ne conduit à cette piste. D’autant plus que, présenté par l’histoire fabriquée comme étant l’ « architecte du génocide », donc comme celui qui l’aurait déclenché en
faisant abattre l’avion du président Habyarimana, le colonel Bagosora a été totalement lavé de cette accusation par le TPIR :
« No allegation implicating the Accused (Bagosora) in the assassination of the President is to be found in the indictment, the Pre-Trial Brief or any other
Prosecution communication. Indeed, no actual evidence in support of that allegation was heard during the Prosecution case. » (TPIR- Decision on Request for Disclosure and Investigations
Concerning the Assassination of President Habyarimana (TC) 17 october 2006).
2) Contrairement à ce qu’affirme l’histoire fabriquée, le génocide n’était pas programmé.
Si le régime de Kigali continue à affirmer contre toute vérité que ce furent les « extrémistes hutu » qui commirent l’attentat du 6 avril 1994, c’est
parce que ce postulat couvre le cœur de leur mensonge historique qui est que ces mêmes « extrémistes hutu » ayant programmé le génocide, l’assassinat du président Habyarimana allait
leur permettre d’avoir les mains libres pour le déclencher.
Or, ces « extrémistes hutu » qui, comme nous l’avons vu, ne sont pas les auteurs de l’attentat qui coûta la vie au président Habyarimana, n’avaient pas
davantage programmé le génocide.
Ce point essentiel a été définitivement établi devant le TPIR dont le Procureur n’a pas été en mesure de prouver l’existence d’une entente antérieure au
6 avril 1994 en vue de planifier et d’exécuter le dit génocide, ce qui a naturellement conduit à l’acquittement des principaux accusés de ce chef d’accusation majeur. Pour plus de détails à ce
sujet on se reportera aux jugements dans les affaires Bagosora, Zigiranyirazo, Bizimungu, Ngirumpatse et Karemera que je présente dans Dix ans d’expertises devant le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda.
Dans ces conditions, comme le génocide du Rwanda n’était pas programmé, nous en revenons donc à la question essentielle qui est de savoir qui a tué le président
Habyarimana puisque ce meurtre fut l’élément déclencheur d’un génocide « improvisé » après le 6 avril 1994 par certains de ses partisans rendus hystériques par son assassinat.
3) Contrairement à ce qu’affirme l’histoire fabriquée, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, quand il reprit unilatéralement la guerre, le but du général Kagamé n’était pas de sauver des vies, mais
de conquérir militairement le pouvoir.
Toujours selon l’histoire fabriquée, le
général Kagamé fut contraint de violer le cessez-le-feu en vigueur afin de sauver les populations du génocide. Or, une fois encore devant le TPIR, il a été établi que :
– Cette offensive fut lancée dès l’annonce de la mort du président Habyarimana, donc plusieurs heures avant les premiers massacres.
– Cette offensive contre l’armée nationale rwandaise désemparée par la mort de son chef d’état-major tué dans l’explosion de l’avion présidentiel, et dont
l’armement avait été consigné par l’ONU dans le cadre du cessez-le-feu et des accords de paix, avait été minutieusement préparée depuis plusieurs semaines, les forces du général Kagamé
n’attendant qu’un signal pour marcher sur Kigali.
– Afin de provoquer le chaos, les forces du général Kagamé attaquèrent en priorité les casernements de la gendarmerie afin d’interdire à cette dernière de rétablir
la sécurité dans la ville de Kigali, ce qui était sa mission. Voilà pourquoi, dès le 7 avril, avant la vague des premiers massacres, le poste de gendarmerie hautement stratégique de Remera fut
pris d’assaut. Quant au camp Kami, principale emprise de la gendarmerie à Kigali, fixée dans sa défense, sa garnison fut donc dans l’incapacité d’intervenir dans la ville pour y mettre un terme aux
massacres.
Ces points fondamentaux réduisent à néant l’histoire officielle fabriquée par le régime du général Kagamé. Or, comme ils sont systématiquement ignorés
par les médias, c’est donc une fausse histoire du génocide du Rwanda qui sera une fois de plus commémorée le 6 avril 2020.
Les autorités françaises "ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent. L’alignement sur le pouvoir rwandais procède d’une volonté du
chef de l’État". La conclusion du rapport d’une commission d’historiens remis ce vendredi au président Macron est sans ambiguïté sur l’implication de son prédécesseur socialiste François
Mitterrand.
Car entre 1990 et 1994 la relation franco-rwandaise est avant tout celle d’un "coup de cœur" du président français pour son homologue rwandais, selon une note remise en 1993 à Michel Rocard,
ex-Premier ministre.
Régulièrement reçu à Paris par son homologue, Juvénal Habyarimana, le président hutu, a "l’oreille de l’Élysée", selon le rapport qui parle de "liens personnels" entre les deux hommes.
"À chaque fois qu’il vient à l’Élysée, il obtient l’appui du président", précise le rapport.
Mais au-delà de cette relation d’amitié, François Mitterrand voit le Rwanda comme le laboratoire de sa nouvelle politique africaine impulsée en 1990 par le discours de la Baule. À cette
occasion, il fait passer un message simple : la France soutiendra militairement les pays qui le souhaitent à condition qu’ils s’engagent sur la voie de la démocratie.
C’est ce deal "donnant-donnant" qui est passé avec Habyarimana, même si des voix discordantes alertaient sur les risques de passer un tel accord avec un régime déjà suspecté de commettre des
violences contre les Tutsis. "Le choix, cependant, est fait au plus haut niveau de l’État de la mettre en œuvre", indique encore le rapport Duclert.
Signaux d’alarme
En 1992, les signaux d’alarme quant au durcissement d’une partie du régime hutu s’accélèrent.
En février d’abord, après les massacres de Tutsis au Bugesera (sud-est), le renseignement militaire français signale le doute profond qu’il faut avoir face à une grande partie des
institutions rwandaises et parle de risque "d’extension des pogroms".
En août de la même année, l’état-major des armées craint "des incidents ethniques débouchant sur une chasse aux Tutsis".
Et en octobre, c’est une note de Jean-Marc de la Sablière, directeur des affaires africaines au Quai d’Orsay qui signale "les activités des extrémistes hutus" et leur "hostilité à ce qui
pourrait entamer les pouvoirs" du président. Mais à aucun moment la position de l’Élysée ne fléchit. "On peut se demander si, finalement, les décideurs français voulaient entendre une analyse
qui venait, au moins en partie, contredire la politique mise en œuvre au Rwanda", dénonce le rapport.
Mitterrand n’est pas seul
Mais Mitterrand ne prend pas ses décisions totalement seul. Autour de lui, quelques personnages clés, des fidèles comme le secrétaire général Hubert Védrine, et d’autres qui l’ont aidé à
orienter sa politique rwandaise, à commencer par son chef d’état-major particulier, le général Christian Quesnot.
Dans le rapport, où il est cité plus de 150 fois, Quesnot est présenté comme un soutien actif du président rwandais.
Sa lecture du conflit au Rwanda est purement ethniciste, soutient le rapport : hostile au FPR qu’il voit comme le parti des Tutsis soutenus par un pays étranger, l’Ouganda, et qui menace la
sécurité et le pouvoir en place au Rwanda.
Elle est partagée notamment par son adjoint, le général Jean-Pierre Huchon, et par le conseiller Afrique de l’Élysée, Bruno Delaye. Elle va largement influencer la politique française au
Rwanda.
Face aux attaques plus pressantes du FPR en 1993, Quesnot recommande par exemple le "renforcement de notre soutien à l’armée rwandaise". Une note approuvée par le chef de l’État avec la
mention "D’accord Urgent", écrite à la main.
L’aveuglement jusqu’au bout
La cohabitation à l’œuvre en France à partir du printemps 1993 ne changera pas grand-chose : les décisions continuent d’être prises dans ce cercle restreint autour du président.
Le 7 avril 1994, l’avion du président Habyarimana est abattu, point de départ d’un génocide de trois mois qui tuera 800 000 personnes selon l’Onu, principalement des Tutsis.
Deux mois après le début des massacres, Mitterrand utilise le mot "génocide perpétré par des Hutus", mais l’attribue non pas à quelque chose de systémique mais à la "folie qui s’est emparée
d’eux après l’assassinat de leur président".
"La France n’a aucune responsabilité dans ce drame", assure-t-il un mois plus tard.
Voir ou revoir l'émission "FACE A L'INFO" du 29 Mars 2021 :
Les commentaires du Gal. D. Delort - le 29/03/2021.
Cher camarade,
Le rapport Duclert a été rendu, il est remarquable et remarqué. Néanmoins après une première
lecture rapide je me suis fait quelques commentaires.
* Le Président de la République est-il responsable de la politique de la France vis-à-vis du Rwanda à cette époque ? La réponse est
Oui.
* Le président était-il illégitime à le faire ? La réponse est Non
* Le président a-t-il donné ou fait donner des ordres illégaux aux forces armées ? La réponse est Non
* Le but de la politique était-il de faciliter les négociations entre les parties pour une sortie de crise ? La réponse est Oui.
* Les militaires français ont-ils mené des actions illégales et contraires à l’Honneur ? La réponse est Non
Par ailleurs je n’ai pas trouvé la position des USA dans la tentative de gestion de crise. Peut-on examiner la position de la France sans aucun regard sur celles des autres pays liés indirectement à la crise ? Pour moi la réponse est Non
Je m’interroge sur la mise au même niveau dans l’analyse des instructions, ordres, notes , télégrammes, directives, rapports etc
.. Légalement ils n’ont pas tous la même valeur et historiquement aussi, me semble-t-il.
Enfin quelques erreurs (mineures ?) se sont glissées, par exemple quand on parle du « FPR de Kagamé en octobre
1990 », alors que celui-ci était alors aux USA. Pas grave bien sûr, mais même des spécialistes commettent ce genre de choses.
Pourquoi d’ailleurs ne pas mentionner que les évolutions politiques et militaires du FPR, comme celles du gouvernement de transition, ne
sont pas présentées. Et les accords d’Arusha, clé de voute de ce qui devait être la sortie de crise ?
Je me permets d’encourager les historiens à poursuivre leurs travaux pour répondre à des questions majeures comme par exemple
celle-ci :
- Pourquoi l’ONU a-t-elle échoué totalement ?
- Pourquoi les USA et l’Ouganda ne sont -ils pas intervenus au nom du droit d’ingérence dès le mois d’avril, ou même mai, quand les massacres tournaient
manifestement au génocide ?
« La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. » conclut le rapport
Duclert.
La meilleure analyse des seuls textes français, sans contexte international, peut-elle fonder un jugement historique aussi grave ? Je ne le crois
pas.
C’est pour apporter une plus grande part de vérité que j’ai écrit mon témoignage, préfacé par l’amiral Jacques Lanxade, dans le livre
« Guerre au Rwanda, l’espoir brisé ».
Amicalement
Dominique Delort
INTERVENTION du Colonel Jacques HOGARD :
Retour sur la présence militaire française au Rwanda - Le 30/03/2021
Au micro d'Europe 1, le colonel Jacques Hogard, qui était présent au Rwanda en 1994, revient sur le rapport remis vendredi à Emmanuel Macron et qui dénonce le
rôle de la France dans le génocide des Tutsi. Il regrette l'impact des critiques sur les soldats engagés sur le terrain à l'époque. "Je me fais traiter de génocidaire sur les réseaux
sociaux", raconte-t-il.
C'est un rapport cinglant qu'ont remis vendredi plusieurs historiens à Emmanuel Macron. Selon ce
document, la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, menée par un président et son entourage "aveuglés idéologiquement", a été une "faillite" et porte des
responsabilités "accablantes" dans le génocide des Tutsi. Salué comme un "pas important vers une compréhension commune du rôle de la France" par Kigali, le
rapport "marque une avancée considérable" pour comprendre l'engagement français au Rwanda, a de son côté estimé le chef de l'Etat français.
Mais sur Europe 1, le colonel Jacques Hogard, qui commandait le groupement de l'opération Turquoise à l'été 1994, regrette que l'armée française doive
aujourd'hui faire face à des insultes quotidiennes.
"Une agression permanente"
"Je suis rentré extrêmement fier de la mission que j'avais remplie au Rwanda, mais très frustré parce qu'elle n'avait duré que deux mois et que la situation
n'était pas réglée et risquait de repartir de plus belle. C'est ce qu'il s'est passé", confie-t-il au micro d'Europe 1. "J'avais le sentiment d'avoir fait humainement un
travail extraordinaire avec mes hommes."
Aujourd'hui, le colonel déplore l'impact de ces accusations sur les soldats présents sur place à l'époque. "On a le sentiment d'être incompris",
regrette-t-il. "Je me fais traiter de génocidaire sur les réseaux sociaux, comme si je pouvais quelque chose au génocide. C'est insupportable. C'est une agression permanente, et je la
vis tous les jours de ma vie."
"C'est le passif, pour nous, militaires français, avec ce régime", conclut Jacques Hogard, "tout simplement parce qu'à une époque, le gouvernement
français faisait la guerre quand il était dans la rébellion".
Pour écouter l'intervention, cliquez sur le visuel ci-dessous
Invité : Colonel Jacques HOGARD
Radio : Europe1
Emission : EUROPE MATIN WEEK-END 6H-9H
Présentateur : Pierre de Vilno
Date : 27 mars 2021
Durée : 00:01:12
Communiqué du Général Jean Claude LAFOURCADE, Commandant de l’opération Turquoise - Le 01/04/2021.
Communiqué du général de Corps d'armée Jean Claude Lafourcade, ancien commandant de l'opération Turquoise, à propos du
rapport Duclert relatif à la politique et à l'engagement militaire de la France au Rwanda de 1990 à 1994.
Lille le 29 mars 2021
COMMUNIQUE
Le Professeur Vincent Duclert, Président de la commission d’historiens mise en place par le Président de la République vient de publier son rapport sur la
politique et l’engagement militaire de la France au Rwanda de 1990 à 1994.
Ce rapport rejette toute complicité de génocide. Il montre clairement que les militaires déployés au Rwanda ont rempli leur difficile mission dans le cadre des
ordres de la République et dans le respect de l’éthique opérationnelle et humanitaire.
Ce rapport est incontestable pour tout ce qui concerne l’engagement des soldats sur le terrain car réalisé par des chercheurs et des historiens qui se sont
essentiellement appuyés sur les archives politiques, diplomatiques et opérationnelles. J’ose espérer que les observateurs et les critiques prendront connaissance dans le détail du contenu des
actions menées par les militaires au Rwanda. Ce rapport montre sans ambiguïté la compétence professionnelle et les qualités humaines et morales de nos soldats confrontés à une situation
dramatique et extrêmement complexe.
Depuis plus de vingt ans ces soldats et leurs chefs, notamment ceux de l’opération Turquoise, ont été l’objet d’accusations infamantes et diffamatoires allant
jusqu’à la complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. Reposant sur des motivations idéologiques partisanes, ces accusations ont été complaisamment relayées par nombres
d’organes d’information faisant de ces évènements une lecture à sens unique et déséquilibrée en offrant peu la parole aux acteurs de terrain directement concernés.
Je n’ai pas à commenter l’aspect politique du rapport mais il fait le constat, que j’ai si souvent exprimé non sans fierté, que seule la France a eu le
courage d’intervenir pour arrêter le génocide après avoir essayé de rétablir la paix entre les belligérants avec les accords d’Arusha.
Ce rapport, enfin, donne acte pour l’Histoire de la loyauté et la générosité avec lesquelles les soldats que j’ai eu l’honneur de commander ont rempli leur
mission au Rwanda.
Général Jean Claude LAFOURCADE Commandant de l’opération Turquoise
RWANDA. Rapport DUCLERT : Lettre de Mme Florence PARLY au général Jean Claude LAFOURCADE - Le 02/04/2021.
Découvrez la lettre de Florence PARLY, ministre des Armées au général Jean Claude LAFOURCADE ancien commandant de l'opération
Turquoise suite à la remise du Rapport DUCLERT le 26 mars dernier.
Pour le livre ci-dessus, (mémoires du Gal. D. Delort) dernier sorti à ce jour, rendez-vous à la page "Lu pour vous" pour prendre connaissance de la présentation et des commentaires du Col. Michel
Goya.
Rwanda : Partiel et partial, le rapport Duclert
...par le Col. Jacques Hogard - Le 09/04/2021.
Le rapport « Duclert », commandé par le président de la République pour tenter de faire la lumière sur la responsabilité supposée de la France dans le génocide rwandais de 1994, fait couler
beaucoup d’encre depuis sa remise le 26 mars dernier à Emmanuel Macron par le Pr Vincent Duclert, patron de la commission de 14 historiens réunis depuis deux ans à cette occasion. Ce rapport très
fouillé et très volumineux est paradoxalement partiel, et partial.
Très sévère pour la France -qu’il exonère toutefois de « complicité de génocide » -, ce rapport accable le pouvoir en place à l’époque en
soulignant ce qui selon lui caractérise sa politique : un « aveuglement
continu » dans le soutien au « régime
raciste, corrompu et violent » alors au pouvoir au Rwanda, une « lecture
ethniciste alignée sur celle du pouvoir rwandais de l’époque héritée
d’un schéma colonial ».
Nonobstant les prises de position, dans l’ensemble très favorables, à l’encontre de ce rapport de 1 000 pages, j’ai quant à moi une position
dissonante :
Pour moi en effet, ce rapport très fouillé et très volumineux est paradoxalement partiel, et partial.
Un manque d’histoire longue
Partiel, car il ne se penche sur les relations franco-rwandaises et sur l’histoire du Rwanda que pour la période de 1990 à 1994.
Partiel parce qu’il marginalise l’importance du contexte historique du début des années 1990 : fin de la guerre froide et du monde bipolaire où
les rapports de force sont redistribués. Pendant la guerre froide, la France était « le gendarme de l’Afrique » et nos alliés américains la soutenaient alors. La donne
a par la suite subitement changé.
Et puis on ne peut faire abstraction de l’histoire contemporaine du Rwanda « moderne », de la chute de la monarchie, de l’avènement de la
république en même temps que de l’indépendance (1959/61). De même pour ce qui concerne les relations franco-rwandaises qui se formalisent à partir de 1975 au travers de la signature des accords de coopération
signés au nom de la France par Valéry Giscard d’Estaing.
De même pour la période dramatique qui s’ouvre fin 1994 et qui dure encore, impliquant toute la région des Grands Lacs.
Il me semble que l’on ne peut rien comprendre au génocide des Tutsis de 1994 si l’on occulte tout ce contexte et en particulier, les massacres des
Tutsis par les Hutus en 1959/60, le génocide des Hutus du Burundi par les Tutsis en 1976, les massacres des Hutus par les Tutsis du FPR entre 1990 et 1994 (qui provoquent l’afflux
d’un million de réfugiés devant Kigali durant cette période : des « gueux » qui seront massacrés par la suite par le FPR dans leur fuite éperdue vers et à travers le Zaïre
(1995/96/97…). Ces massacres durent encore. Tout ceci figure dans le Rapport Mapping de l’ONU (du moins dans sa version d’origine, non édulcorée), gardé en réalité sous le coude pour ne pas
offenser Kagamé.
Partiel aussi, car il n’évoque pratiquement pas les graves responsabilités de l’ONU, des USA et autres puissances impliquées (GB, Israël…).
Tandis que là, cette présentation partielle focalise sur la France seule. Qui a peut-être commis des erreurs d’appréciation. Mais pas au point d’être
ainsi accablée face à l’opinion publique mondiale, et notamment face au Rwanda de Kagamé, très largement responsable de la situation dramatique des Grands Lacs depuis 25 ans.
Alors que la France est la seule puissance à avoir tenté quelque chose pour enrayer ce processus sanglant.
Il n’y a qu’à en parler avec le Pr Denis Mukwege, Prix Nobel de
la Paix. Privilège qui m’a été donné une fois et que je n’oublierai pas, tant la lucidité, le courage et la haute stature morale de cet homme m’ont impressionné.
Partial, car nonobstant l’abandon du chef de « complicité de génocide », ce qui me parait le minimum, ce rapport accable la France à travers son
président de l’époque et certaines de ses personnalités politiques et militaires, soulignant en termes très durs leur cécité, leur aveuglement idéologique (complexe de Fachoda !) face
à un régime raciste, totalitaire et in fine génocidaire. Tout n’est pas faux peut-être dans cette vision. Mais elle est aisée après coup quand tout s’éclaire avec le recul du temps.
Et puis surtout, cela procède – comme pour l’Algérie avec le rapport Stora – d’un esprit de repentance aussi obstiné que contre-productif, qui, je dois
le dire, ne me fait pas vibrer. C’est la France qui est ainsi humiliée à la face du monde et beaucoup d’amis africains depuis quelques jours me demandent quelle mouche a piqué Macron
pour s’auto-flageller ainsi ? « Vous êtes vraiment masos,
vous les Français ! » me disent un certain nombre de mes correspondants ! Ils n’ont pas tort.
Le pire est ce faisant que la France s’humilie devant un régime totalitaire et ethniciste auprès duquel son prédécesseur fait figure
d’ « enfant de Marie ».
Il faut s’attendre en conséquence à ce qu’un nouveau Rapport dans 20 ou 25 ans au plus tard (cela risque de venir beaucoup plus tôt) fustige à son tour
en termes plus sévères encore la cécité, l’aveuglement coupables de ceux qui auront ainsi cherché à plaire et complaire au début des années 2020 au calamiteux régime totalitaire du
général-président Kagamé !
Partial, car il ne fait guère preuve de rigueur historique en laissant entendre, par exemple, que l’attentat du 6 avril a été commis par les extrémistes
hutus, thèse à laquelle les gens sérieux ne croient pas, pas même les magistrats français qui ont conclu à un très diplomatique non-lieu, tout en écrivant que tout converge quand même
pour imputer au FPR cet événement déclencheur du génocide !…
Et d’ailleurs, c’est intéressant de noter qu’aussitôt que sont évoqués l’attentat et ses responsables, le rapport Duclert dit alors que « de toute
façon, ça n’a pas d’importance, le génocide aurait quand même eu lieu, avec ou sans attentat »!!.. Ce n’est évidemment ni l’avis de Carla Del
Ponte l’ancienne procureur du TPIR, ni celui d’historiens
ou de chercheurs éminents mais politiquement incorrects c’est vrai, tels Lugan, Onana ou autres ! Et il y a bien d’autres exemples du même bois.
Un manquement méthodologique
On peut aussi regretter la méthode : si un doctorant avait réalisé sa thèse sur le sujet, son directeur de thèse l’aurait obligé à multiplier les
sources. S’il ne l’avait pas fait, le jury l’aurait sanctionné et prié de revenir l’année prochaine. Ce n’est pourtant pas le cas ici. Fort dommage pour une commission
d’historiens.
De même, il n’y a aucune bibliographie, or le « jeu » de la recherche consiste à d’abord établir un état des lieux des connaissances sur le
sujet. De plus, il n’y a aucune archive orale, notamment des entretiens avec les participants à la décision et aux opérations. Fort dommage là encore.
En réalité, je pense que ce rapport qui juge le passé au filtre du présent, ce qu’un historien ne devrait jamais faire, est un rapport essentiellement
politique qui a pour seul but le rapprochement de notre pays avec le Rwanda (Mais précisément, le Rwanda de Kagamé !).
Ce n’est pas un rapport d’historiens, mais de militants qui veulent imposer leur version de l’Histoire.
La volonté d’imposer, par exemple, cette idée fausse et mensongère qu’un seul génocide a eu lieu dans cette région, n’est pas acceptable. Le double
génocide n’est pas une thèse, c’est une réalité, n’en déplaise à MM Duclert et Saint-Exupéry et c’est à mes yeux du véritable négationnisme que de l’ignorer.
Un génocide si atroce soit-il, ne doit pas en cacher un autre.
Ou alors c’est une tache indélébile dans la mémoire des hommes.
Une fois encore, il faut en parler avec le Dr Mukwege !
Enfin, il me semble que ce Rapport politique, partiel et partial, n’apportera rien de bon et de profitable aux relations franco-rwandaises ni
franco-africaines. Il ne fera qu’affaiblir la France et son image déjà bien malmenée sur ce continent où pourtant nous comptons paradoxalement tant d’amis, désorientés par ce qu’est
devenue aujourd’hui notre politique étrangère.
Paris, le 2 avril 2021
Rwabda - Commission Duclert
...par l'Amiral François Jourdier le 10/04/2021.
"Le rapport de la commission Duclert sur le Rwanda m’a inspiré quelques réflexions sur l’implication française dans les massacres d’une part, de la dérive
encore présente du pouvoir présidentiel d’autre part." F.J.
Le premier intérêt du rapport de la commission Duclert est d’exonérer les militaires
français de l’opération Turquoise de toute complicité avec les « génocidaires » mais d’établir qu’ils avaient agi pour sauver le plus de monde possible.
Le second intérêt est de mettre au jour une dérive de l’action présidentielle allant
jusqu’à mettre en place une chaine de décision parallèle agissant sans aucun contrôle.
Contexte historique
Il faut ensuite remarquer que ce rapport ne tient pas compte des recherches postérieures cherchant à rétablir la réalité des faits.
Le rapport Duclert affirme que la France est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux du régime.
Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a établi que les massacres n’avaient pas été prémédités mais déclenchés par l’attentat contre l’avion du
Président Habiarimana. Ceci peut justifier a posteriori le soutien apporté à un gouvernement élu même s’il s’avère que les votes se sont faits en fonction des ethnies, donnant le
pouvoir aux Hutus, les plus nombreux, et éliminant
les Tutsis, ethnie dominante, qui n’auront de cesse de reprendre le pouvoir et qui y sont parvenus.
La deuxième affirmation du rapport est que la DGSE insiste sur « la non-implication des forces du FPR (le Front patriotique rwandais, composé de Tutsis) dans
les évènements ». Quand on s’intéresse à l’attentat contre le Falcon 50 du Président Habiarimana, il est évident que le responsable en est le FPR de Kagamé dont le but est de reprendre
le pouvoir. Le TPIR n’a pas été autorisé à enquêter sur l’attentat, interdiction venant des Américains, mais tout montre, témoignages, circonstances de l’attentat, que l’auteur est le
FPR. D’ailleurs les Forces armées
rwandaises (FAR) ne disposaient pas des missiles russes Igla 2 utilisés, tandis que Kagamé pouvait librement puiser dans l’arsenal ougandais qui en détenait un
lot acheté aux Russes. Des recherches sérieuses sur l’attentat pour déterminer ses auteurs restent à faire.
Ces deux constatations diminuent la responsabilité des Hutus dans les massacres interethniques, ceux ci n’ayant pas participé à l’événement déclencheur.
Responsabilités du Président Mitterrand
Ce qui est intéressant dans ce rapport est l’étude de la chaine de décisions ayant mené de bout en bout la politique française au Rwanda de 1990 à 1994.
Le Président Mitterrand apparaît comme unique responsable de toutes les décisions s’étant affranchi de tout contrôle extérieur.
Le début de l’affaire se situe le 20 juin 1990 quand le Président Mitterrand, dans le cadre de la 16e conférence des chefs d’État d’Afrique et de France à La
Baule, dans son discours subordonne l’aide la France à la démocratisation.
Dés le 5 juillet 1990, le Président rwandais annonce un prochain changement de la Constitution pour donner naissance à une démocratie. Le 10 juin 1991
un amendement constitutionnel est voté légalisant le multipartisme. Le Rwanda devenait le laboratoire de la nouvelle politique de la France et pour le Président Mitterrand un
exemple, ce qui explique le soutien inconditionnel que recevra le Président rwandais.
Le Rwanda devient le pré carré non de la France mais du Président Mitterrand lui même. Le Rwanda est un exemple parfait du fonctionnement pyramidal de la
Ve République où, pour ce qui est de la politique étrangère et des interventions extérieures, le Président s’attribue un pouvoir direct hors de tout contrôle. Il en viendra même en
l’occurrence à s’appuyer sur une coterie comprenant l’EMP (état major particulier du Président de la République) mais aussi probablement son fils Jean-Christophe chef de la cellule
Afrique, qui « exerce un pouvoir direct et permanent sur l’engagement militaire français au Rwanda, jusque dans ses aspects matériels et opérationnels ». La confiscation du dossier
rwandais par le Président est allée jusqu’à un contournement des ministères et des administrations figurant normalement dans les chaines de prise de décision.
C’est ainsi qu’ont été décidés l’opération Noroît destinée à arrêter les offensives Tutsies à partir de l’Ouganda, la formation et l’armement de l’armée
rwandaise, puis après le début des massacres, l’opération Turquoise mettant les forces françaises dans une situation ingérable.
Comment une telle situation a-t-elle été possible ? Par une interprétation erronée de l’article 15 de la Constitution indiquant que le président de la
République est le chef des armées. Il n’est que de lire les souvenirs du général Bentégeat qui fut pendant sept ans à le chef de l’EMP pour le comprendre :
Le général Bentégeat définit ainsi lerôle de l’état-major particulier : « La tâche du chef de l’état-major particulier (CEMP) consiste à informer
et conseiller le président de la République qui est le chef des armées, sur les questions de défense et à vérifier que ses directives sont appliquées »
L’étude honnête des différents textes constitutionnels, treize depuis 1789, montre que ce titre honorifique signifie que le président de la République est au
sommet de la hiérarchie militaire, sans lui donner le moindre pouvoir d’engagement. Mitterrand y a vu un blanc seing l’autorisant à engager les armées selon son bon vouloir. Cela
définit un régime présidentiel autoritaire genre Second Empire.
Mitterrand au Rwanda, c’est Napoléon III au Mexique.
La dérive a continué
Le problème est que, depuis le Rwanda, la dérive a continué, il s’est constitué depuis un domaine réservé au Président comportant la Défense et les Affaires
étrangères qui n’a aucune justification. Le partage des responsabilités entre le Premier ministre et le Président en matière de défense est remis en cause ce qui en période de
cohabitation conduit à un pouvoir bicéphale où les deux têtes regardent d’un coté différent. Pourtant la Constitution est claire.
Article 20 :Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée...
Article 21 : Le Premier ministre dirige l'action
du gouvernement. Il est responsable de la défense nationale.
Se référant indûment à l’article 15, le chef des armées engage sans contrôle aucun, les forces armées dans des interventions non justifiées par les
intérêts de la France. C’est ainsi que nous sommes allés en Libye avec les résultats que l’on connaît et en Syrie dont nous ne sommes pas encore dégagés, sans aucune consultation du
Parlement. Il est vrai que l’article 35 de la Constitution « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. » était tombé en désuétude,
depuis il a été complété pour donner au Parlement un droit de regard qui étant a posteriori ne change pas grand chose.
D’autant que, après l’établissement du quinquennat présidentiel, les élections législatives suivent les présidentielles et que le
Parlement élu dans ces conditions est un Parlement croupion de députés godillots qui ne risquent pas d’aller contre les décisions présidentielles.
La dérive du pouvoir ne s’est pas arrêtée là, le Conseil de Défense prévu à l’article 15 de la Constitution pour s’occuper des questions de Défense a
été dévoyé pour s’occuper dans la plus grande discrétion des questions sanitaires, à l’insu du gouvernement et du parlement.
Régime autoritaire ?
En fait alors qu’il contrôle tous les pouvoirs le régime est faible et inefficace. Le règne du
Père Ubu.
Contre amiral (2s) François Jourdier
Membre du CRI (centre de réflexions interarmées).
Emmanuel Macron au Rwanda, un cas clinique de masochisme et de mensonge historique
...par Bernard Lugan - Le 27/05/2021.
Drapé dans les incohérences, les omissions et les mensonges du « rapport Duclert », le président Macron vient :
1) Contre l’état des connaissances historiques, de
reconnaître « la responsabilité » de la France dans le génocide du Rwanda. Un génocide effectué avec des machettes….arme jusque-là considérée comme
peu en usage en France…
2) De cautionner l’histoire du génocide écrite
par le régime du général Kagamé. Une histoire-propagande qui tient en trois points :
1) Le génocide était
prémédité. 2) La France a soutenu les génocidaires groupés autour du président
Habyarimana. 3) Le président Habyarimana a été assassiné par ces mêmes
génocidaires.
Or, ces trois
points ayant été définitivement balayés par les travaux du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda-ONU) consciencieusement ignorés par le « Rapport Duclert »,
en plus d’humilier la France, Emmanuel Macron laissera dans l’histoire l’image d’un Lyssenko de l’histoire. Il ne pourra en effet pas dire qu’il ne savait pas puisque la réfutation détaillée de
cette propagande historique a été faite dans mon livre « Rwanda un génocide en questions » publié au Rocher et réédité en 2021 et que je lui ai fait directement
parvenir à l’Elysée.
Emmanuel Macron est arrivé, le jeudi 27 mai, au Rwanda. Il a prononcé un discours très attendu au Mémorial Gisozi de Kigali, vingt-sept ans après le génocide de 1994.
Réaction du colonel Jacques Hogard, qui participa à l’opération Turquoise avec l’armée française au Rwanda.
La France a des responsabilités, mais n’est pas
complice. C’est un peu la synthèse du discours qu’Emmanuel Macron a prononcé aujourd’hui, à Kigali, capitale du Rwanda. On s’attendait à ce que le président de la République aille plus loin que ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy à l’époque. Qu’avez-vous pensé du discours présidentiel que vous avez écouté ?
J’ai trouvé que c’était un numéro de grand équilibriste. On sent bien qu’il a entendu un certain nombre de discours contraires, les discours de ceux qui
l’engageaient vivement à prononcer des excuses ou ceux, au contraire, qui lui conseillaient une certaine prudence. Nous sommes à un an des élections. Il a mal démarré avec l’armée française
avec la démission du général de Villiers. Ensuite, il y a eu l’affaire des tribunes qui ont un peu secoué l’actualité. Il fallait qu’il fasse très attention parce que les militaires, et en
particulier les anciens de l’opération Turquoise, étaient très vigilants. Il a donc eu une phrase très correcte sur ce plan-là en disant que nous n’avions pas à rougir de ce que nous avions
fait là-bas.
Depuis ce génocide atroce, la responsabilité de
la France est régulièrement mise en cause par le gouvernement de Paul Kagame, le président du Rwanda. Finalement, on ne parle à aucun moment des responsabilités du gouvernement rwandais. La
France est-elle condamnée à être la seule à faire amende honorable sur ce triste épisode ?
Vous avez raison de dire cela. Le régime de Paul Kagame est arrivé au pouvoir en 1994. Lui est devenu officiellement président avec tous les pouvoirs un peu
plus tard, en 2000. Dès 1994, il était déjà l’homme fort de ce régime. Ce régime est un régime totalitaire, dictatorial, qui a une responsabilité dans les drames qui ont suivi dans toute la
région des Grands Lacs depuis 1994. L’excellent Vincent Hervouet, sur Europe 1, a cité, la semaine dernière, que cinq millions de personnes étaient mortes. Ces morts ont été exterminés par les armées de Paul Kagame et d’autres milices plus ou moins subordonnées poursuivant des Rwandais hutus, et des centaines de milliers de Congolais exterminés dans des
conditions atroces. Le régime de Paul Kagame a mis la main sur des provinces orientales de la République démocratique du Congo dont elle exploite sans vergogne les richesses. C’est ainsi que
le Rwanda est exportateur de coltan, alors qu’il en n’a pas un gramme dans son sous-sol.
Bien sûr, la France a mené une politique. On peut rappeler les exemples de Yougoslavie et d’ailleurs, mais il y a, au Rwanda, une seule accusée, c’est la France. Or, c’est un génocide commis contre des
Rwandais par des Rwandais et ce génocide faisait suite à d’innombrables massacres commis par des Rwandais contre des Rwandais. Ce n’est pas fini et, aujourd’hui, c’est un régime implacable
qui s’est mis en place, instrumentalisant le génocide de 1994.
Pourquoi continuer à « se plier en
quatre » devant le gouvernement rwandais ?
Il y a un peu d’idéologie. L’exemple même de cette idéologie, c’est le rapport Duclert qui est tout sauf historien, mais plutôt politique, partiel et partial.
Il maintient les zones d’ombres très importantes pour créditer le reste d’affirmations qui sont, encore une fois, très contestables. Il y a aussi des raisons économiques. Le Rwanda a mis la
main sur des richesses colossales dont il prive la République démocratique du Congo alors qu’il en est le légitime propriétaire. Il y a aussi beaucoup d’arrangements économiques et
financiers. Le Rwanda, aujourd’hui, est un peu la Prusse de l’Afrique centrale. C’est un gouvernement autoritaire, pour ne pas dire totalitaire. Ce gouvernement sert une minorité du pays et maintient un régime de fer pour le
bénéfice d’une oligarchie assez réduite en nombre. Je pense que c’est cela, la vraie offensive diplomatique. Macron se donne un rôle pour l’Histoire, de l’homme qui aura reconnu sans
reconnaître, qui se sera repenti sans se repentir.
À mon sens, il y a des intérêts sonnants et trébuchants.
Face à cette « éclipse de l’Humanité », Emmanuel Macron a la distance que lui confère le privilège de la jeunesse : il était alors en classe de première. Mais il parle désormais
au nom de la France, se livrant à ce que Lionel Jospin qualifia un jour de « droit d’inventaire ».
C’est un exercice salutaire, car les nations se grandissent en endossant les pages noires de leur histoire. Certes, la repentance n’a pas bonne presse dans la France d’aujourd’hui, même
si quelques souvenirs de catéchisme nous en rappellent les vertus.
On trouvera bien, ici ou là, quelques nostalgiques de la Mitterrandie, qui semblent n’avoir « rien appris, ni rien oublié » selon le
mot de Talleyrand. Ils n’ont pas su saisir l’occasion offerte par Emmanuel Macron pour faire, enfin, leur aggiornamento et reconnaître leurs erreurs. Tant pis pour eux
: ils appartiennent déjà au passé.
Regardons plutôt l’avenir avec la grande question mémorielle qui bouche toujours l’horizon des prétendants à l’Elysée : celle de la colonisation et de la guerre d’Algérie – et de la réconciliation avec ce pays. Car, comme Emmanuel Macron l’a fait
habilement à Kigali, il faudra bien qu’un jour un Président français aille demander aux Algériens de « nous faire le don de nous pardonner ».
Réaction H. Védrine sur Radio J au discours d'E.Macron de Kigali sur le génocide du Rwanda
M Macron, c’est la Mitterrandie qui est responsable du génocide au Rwanda
...par Gabriel Collardey - Le 28/05/2021.
Emmanuel Macron s’est rendu au Rwanda afin de sceller la réconciliation entre nos deux pays. Il a chargé la France et reconnu la responsabilité de celle-ci dans le génocide.
C’est un contresens historique mis au service de la realpolitik, voire une soumission au président Kagame.
Le rapport Duclert, paru en mars dernier, reconnaissait la responsabilité de la France mais pointait particulièrement du doigt le président Mitterrand et ses conseillers. Le fait que
Macron occulte les responsabilités des hommes à la tête de l’État pose question. La France, en tant que nation, n’a pas de responsabilité. Mais l’État français, représenté
par le président Mitterrand a, lui, une responsabilité certaine. C’est une véritable honte de rendre la France responsable de cet événement atroce et d’en dédouaner François
Mitterrand et ses conseillers.
Rappelons simplement que Mitterrand savait ce qui se déroulait au Rwanda mais qu’il n’a pas voulu agir.
Rappelons que Mitterrand et ses conseillers ont soufflé sur les braises de la haine interethnique avant 1994.
Rappelons enfin que Mitterrand a méprisé son chef d’état-major et le parlement qui l’avaient alerté sur la situation et le pressaient d’agir. Il a géré cette
crise en vase clos avec quelques fidèles sans en rendre compte à personne. D’ailleurs, de nombreuses archives de ses conseillers et de ses fidèles sur la période n’ont jamais été retrouvées…
Quelle fâcheuse coïncidence !
Le coup de gueule de Charles Onana sur la repentance d'Emmanuel Macron au Rwanda
Le 28/05/2021.
Docteur en sciences politiques et
spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs et des conflits armés, auteur de "Enquêtes sur un attentat : Rwanda, 6 avril 1994" aux éditions L’Artilleur, Charles Onana était l'invité
d'André Bercoff le 28 mai 2021, au lendemain du discours d'Emmanuel
Le discours d’Emmanuel Macron à Kigali (Rwanda) fera date : il en restera l’image de la France, un genou à terre et le carnet de chèques à la main.
Retour en arrière
Dès les années 1980, à la tête d’un « Front patriotique rwandais » fabriqué de toute
pièce, Paul Kagame à partir de l’Ouganda voisin où il s’est installé, organise la déstabilisation du pouvoir en place au
Rwanda, suscitant de fait une première guerre civile et sa prise de contrôle d’une partie du pays.
Trois ans plus tard survient l’immonde boucherie qui a vu s’entretuer Hutus et Tutsi deux ethnies ancestralement installées au Rwanda, pays assez éloigné de la zone
d’influence française, mais lié au nôtre par un accord de coopération et d’assistance militaire depuis 1975. Paul Kagame prend le pouvoir, et ne lâchera plus jamais.
Revisiter l’Histoire
On doit reconnaitre à l’inamovible Président du Rwanda, Paul Kagamé, une ténacité à nulle autre pareille et une persistance absolue à vouloir revisiter
l’Histoire.
Révolutionnaire dans les années 80, il a endossé depuis le déguisement d’un redresseur de tort, qui dissimule sous sa cape de Zorro, l’uniforme du militaire/chef
des services secrets qu’il a toujours été.
On connait bien maintenant la psychologie du Président Macron, banquier d’affaires de son état et comédien à ses heures perdues, qui a fait du « en même
temps » sa marque de fabrique : dire un jour blanc et un autre jour noir et changer de pied quand le terrain devient hostile. Or l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui un terrain miné
pour la France, en grande partie à cause d’une politique erratique (ou pire une non-politique) menée sous les quinquennats de Nicolas Sarkozy, puis de François Hollande et dont notre actuel
Président a emboité les pas.
Tenter de s’ouvrir des portes en Afrique de l’Est où la mentalité colle mieux à la culture « davossienne » d’Emmanuel Macron est une belle esquive, à
l’heure où l’Afrique francophone lui tourne le dos et où la France y est mal menée.
Un effet d’aubaine donc pour deux personnalités qui se sont trouvées : Paul Kagame termine avec brio son entreprise de révision de l’histoire depuis 20 ans qui
tend à le dédouaner définitivement du génocide rwandais ;
Emmanuel Macron veut se désengluer d’un bourbier africain qui lui colle aux semelles en cherchant de nouvelles alliances sous domination anglo-saxonne.
Dont acte.
Mais de là à s’associer à la plus grande opération de désinformation de la fin du 20ème siècle, et à s’essuyer les pieds sur l’honneur de l’institution militaire, à lui
imputer une responsabilité de massacres suscités par d’autres, il y avait un fossé jamais franchi. Le Président de la République, chef des armées, l’a fait en toute connaissance de cause. Allant
même jusqu’à apporter une offrande de 500 millions d’euros, probablement au titre de dommages de guerre …
Cette affaire restera un cas d’école magistral d’une entreprise de désinformation totalement réussie.
Quelques filets de voix tentent de tempérer la doxa officielle martelée par des ONG, des rapports sortis opportunément pour balayer les jugements des tribunaux
internationaux, des influenceurs, toutes et tous dédiés à la cause.
La génocide rwandais de 1994 a constitué l’une des anciennes
manipulations étasuniennes en matière d’accusation de génocide et de nettoyage ethnique des autres, fomentée dans le but de justifier ses propres objectifs géopolitiques sur certaines régions.
L’administration étasunienne de Bill Clinton n’a rien fait pour empêcher le génocide du Rwanda, au cours duquel presque un million de civils Tutsi ont été brutalement exterminés en l’espace de 12
semaines, par des tueurs de masse Hutu, mais le carnage rwandais aurait facilement pu être évité si Washington l’avait décidé. Une chose semblable s’est produite par la suite en Bosnie au mois de
juin 1995 avec le massacre de Srebrenica, ou en juin 1999 au Kosovo (c’est-à-dire, dans la province autonome serbe du Sud, de Kosovo-Metochia), où des Albanais ethniques, soutenus par les États-Unis, ont
pratiqué un nettoyage ethnique sur les Serbes et autres non-Albanais vivant sur place.
Pourtant, le génocide rwandais de 1994 n’a pas été à sens unique (pas plus que le massacre de Srebrenica en 1995) ; il s’est agi d’une guerre civile présentant les
traits du génocide, mais qui ne démarra pas en 1994, mais en 1990, avec les actions d’une armée de réfugiés ethniques Tutsi, entraînée par les États-Unis, en provenance de l’Ouganda, pays voisin
également soutenu par les États-Unis. En bref, le Front patriotique rwandais (FPR) tutsi a envahi le Rwanda depuis l’Ouganda en 1990, et a durant 42 mois terrorisé le peuple Hutu, tuant et
violant des milliers de gens. Les Hutus ne se sont rendus coupables d’atrocités de masse qu’en 1994, après l’assassinat du président rwandais par les Tutsis, qui créa un vide politique dans le
pays. La terreur fomentée par le FPR s’est poursuivie cependant que l’administration Bill Clinton, dans les faits, a soutenu le génocide commis par le RPF contre les Hutus en empêchant une
intervention de l’ONU. Qui plus est, le FPR, dirigé par Paul Kagame, s’est rapidement mis à étendre ses tueries de masse soutenues par les États-Unis dans le Zaïre voisin, tuant des millions de
personnes en plus et garantissant l’exploitation par les États-Unis des ressources naturelles de la région, autrement en concurrence avec la Chine (la même chose s’est produite au Kosovo, où
suite à l’occupation par l’OTAN de la province au mois de juin 1999, toutes les ressources naturelles ont principalement été exploitées directement par les sociétés étasuniennes).
Le fait est que le génocide rwandais de 1994 fut constitué comme cadre pour que soit ensuite utilisée comme arme l’accusation de génocide lancée par Washington sur
la scène globale au cours des années et décennies qui ont suivi. Les Serbes ont été les premières victimes. Simplement, en de nombreuses occurrences, l’administration étasunienne et ses
marionnettes alliées dans le monde entier ont provoqué des massacres de masse sur une base ethnique, les massacres de masse pratiqués par leurs alliés restant couverts, et ceux de leurs ennemis
étant exposés à la lumière.
Après le Rwanda, cela s’est d’abord produit dans la ville bosniaque de Srebrenica au mois de juin 1995, où l’armée serbe, ainsi que des soldats paramilitaires de
Bosnie-Herzégovine ont exterminé, selon les sources de la CIA, environ 8200 individus de sexe masculin de Bosnie-Herzégovine, mais seulement ceux en âge de combattre (16-66). Cependant, le
véritable point de ce récit est que l’Occident omet en général de mentionner que la tuerie de masse n’a commencé qu’après que les forces militaires de Bosnie-Herzégovine, basées à Srebrenica, ont
massacré environ 3000 civils dans des villages voisins, avant d’essayer de s’enfuir de la ville de Srebrenica, pour se faire attaquer en représailles, ce qui servit de justification à la campagne
de bombardements de l’OTAN sur l’armée serbe de Bosnie, menée dans l’objectif de contraindre la partie serbe à signer un traité de paix à Sayton, traité prévoyant que les Serbes de
Bosnie-Herzégovine perdissent 20% de leurs territoires ethniques et historiques, au bénéfice de la fédération bosniaque-croate, intégrée à la Bosnie-Herzégovine.
Dans d’autres occurrences, l’administration étasunienne s’est contentée de mentir sur le génocide, comme nous l’avons vu dans le cas du Kosovo en 1999, où plusieurs
centaines de milliers d’Albanais avaient été supposément tués par l’armée yougoslave et les forces de police serbes. Cependant, de nombreuses investigations internationales indépendantes ont mis
au jour le fait qu’après l’agression par l’OTAN de la Yougoslavie, le bilan des morts est en réalité d’environ 3000, dont nombre ont été causées par l’Armée de Libération du Kosovo (UCK), un
groupe terroriste albanais soutenu par les États-Unis et relié à Al-Qaeda. Après la guerre de 1998-1999 au Kosovo, les membres de l’UCK ont directement trempé dans le nettoyage ethnique de masse
d’au moins 250 000 personnes, serbes, roms, monténégrins, turcs et juifs, lorsque l’administration Clinton implanta ce groupe au pouvoir pour tenir lieu de rempart à l’influence russe dans le
centre des Balkans.
Une brève histoire du Rwanda
Ce petit pays d’Afrique de l’Est (d’une superficie de 26 338 km², et une population estimée à 9 millions de personnes en 2000) fut créé en 1899 sur la région des
Grands Lacs du sub-Sahara, par les autorités impérialistes allemandes, pour constituer une colonie allemande à l’époque de la colonisation par l’Europe occidentale de l’Afrique ; le pays fut
intégré au territoire de l’Afrique orientale allemande (1885-1919). La fin de la première guerre mondiale, l’Allemagne fut départie de toutes ses colonies, et la Belgique prit possession du
Rwanda-Urundi (c’est-à-dire le Rwanda additionné du Burundi), par décision de la Société des Nations, d’abord sous forme d’un mandat, en 1912, puis comme territoire sous tutelle selon l’ONU en
1946. La région d’Afrique sub-saharienne des Grands Lacs est le berceau des peuples Hutu et Tutsi, qui en composent ensemble la plus grande partie de la population régionale, et qui dominent les
systèmes politiques du Rwanda et du Burundi. Au Rwanda, le pourcentage des travailleurs œuvrant dans le domaine de l’agriculture s’établit à 90% (à comparer aux taux des sociétés
post-industrielles, de 1% au Royaume-Uni, 5% au Japon, 0.7% aux États-Unis…) et le PIB par habitant est inférieur à 680 dollars étasuniens (en 2000).
Selon ladite « hypothèse hamitique« qui a constamment été répandue par les autorités coloniales allemandes et belges, le peuple primaire des Tutsis, éleveur de bétail, arriva
d’abord depuis le Nord, et constitua une race grande, flexible, intelligente et racialement supérieure au peuple hutu, composé de fermiers. Les Hutus étaient vus comme petits, trapus, négroïdes
et arriérés. Au vu de ces stéréotypes, les administrations coloniales et les dirigeants locaux indigènes sur lesquels celles-ci s’appuyèrent avaient une préférence pour l’aristocratie tutsie, qui
s’en sortait bien mieux socialement et économiquement que son homologue Hutu. Les Belges ont émis des cartes d’identité différentes aux Tutsis et aux Hutus, ce qui a sapé les contacts fluides
inter-communautés entre les deux peuples, et fait baisser les mariages mixtes et les amalgames économiques.
L’Afrique coloniale de l’entre deux guerres
Avant la colonisation, la distinction entre Hutus et Tutsis était davantage fondée sur la lignée que selon les origines ethniques. Le mariage, ou la bonne fortune,
pouvait changer la destination de vie d’un individu. Même si Tutsis et Hutus partageaient de nombreux traits, parmi lesquels la langue et les croyances religieuses, les différences entre eux
s’approfondirent du fait du système de gouvernement indirect colonial, passant par les élites tutsies locales. Les administrations coloniales allemande puis belge gouvernèrent au travers d’une
élite aristocratique Tutsi, propriétaire des terres (et constituant 9% de la population). En 1959, un soulèvement hutu, au cours duquel des milliers de Tutsis furent massacrés et quelque 150 000
autres s’enfuirent, donna un signe évident de la fin de l’hégémonie et de la monarchie tutsie. Les élections de 1961 ont été remportées par le parti politique de l’Hutu Emancipation Movement,
dont le dirigeant, Grégoire Kayibanda, devint le premier président une fois gagnée l’indépendance, en 1962. Depuis l’indépendance, ce sont les tueries fratricides entre Hutus et Tutsis qui ont
tant caractérisé l’histoire de la région des Grands Lacs, et ce jusqu’à nos jours. Selon les traditions orales des deux peuples, les récits de mauvais traitements et massacres perpétrés l’un à
l’autre ont marqué toute l’histoire de la région des Grands Lacs jusqu’à nos jours. Selon les traditions orales des deux peuples, les récits des mauvais traitements et massacres infligés à chaque
ethnie par l’autre sont racontés en chansons et en poésie, relatant les événements locaux ou lointains, lorsqu’un exil s’en est suivi, dans l’une ou l’autre des zones de la région des Grands
Lacs.
Le Rwanda est jouxté à l’Ouest par la République Démocratique du Congo (le Zaïre entre 1971 et 1997) et le lac Kivu, au Nord par l’Ouganda, à l’Est par la Tanzanie,
et au Sud par le Burundi.
En 1961, le Rwanda (connu sous le nom de « terre des mille collines ») s’est constitué en
république, et est devenu indépendant en 1962. Néanmoins, pour un État indépendant, le Rwanda s’est trouvé confronté à des turbulences politiques exceptionnelles et incessantes. L’administration
coloniale, avait imposé une forme d’autorité politique qui, bien que faible au départ, a produit des tensions et des conflits. Bien que l’État indépendant du Rwanda suive les frontières
coloniales d’une structure socio-spatiale pré-existante, fondée en lien essentiel avec les propriétaires fonciers, le processus de colonisation (1899-1961) a imposé un modèle d’État-nation visant
à solidifier les relations sociales fluides de la région, et amener les peuples du pays à se conformer aux structures coloniales, ainsi, plus ambitieusement, qu’à répondre aux besoins de l’État
colonisateur.
L’aspect le plus saillant de la colonisation pratiquée par l’Europe occidentale au Rwanda est devenu la distinction formalisée entre trois catégories tribales
agrégées (comme les nommaient les Allemands et les Belges) : les Twas, les Tutsis et les Hutus. La politique d’État colonial d’Europe occidentale formula ces identités ethno-tribales comme
irrévocables, et politiquement teintées. Par conséquent, les élites et idéologies tribales répandues durant la période de décolonisation se sont sensiblement ethnicisées. Le premier président
rwandais, Georges Kayibanda, était l’un des dirigeants du parti PARMEHUTU, qui promulguait des circonscriptions électorales ethniques et marginalisait les autres. Depuis 1962, la dominance des
Hutus a contraint de grands nombres de Tutsis à l’exil, suivi par de fréquentes attaques menées par des rebelles tutsis depuis le Burundi voisin, ce qui a débouché sur la dissolution de l’union
économique et monétaire entre les deux pays en 1964. En 1973, un coup d’État militaire sanglant a porté au pouvoir Juvénal Habyarimana (1937−1994), ce qui du point de vue de la politique des
pouvoirs ethniques était la même chose. L’homme était un Hutu modéré, qui essaya de porter une réconciliation entre les tribus hutues et tutsies au Rwanda. Mais cette mission se compliqua du fait
de l’extrême pauvreté du pays, et d’une incapacité croissante du système agricole à subvenir aux besoins d’une population en croissance rapide, le pays étant déjà devenu le plus dense d’Afrique.
En 1975, le MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement), le parti de Juvénal Habyarimana, s’auto-déclara unique organisation politique autorisée. Juvénal Habyarimana fut réélu
aux élections présidentielles de 1978, 1983 et 1988.
Une compétition de plus en plus importante pour l’accès à des ressources rares, augmentée par des traditions agricoles rivales entre les Tutsis, éleveurs de bétail
et les Hutus, fermiers, fit augmenter les ressentiments ressentis par les Hutus à l’égard de la domination tutsie remontant à un siècle. Le souvenir des massacres de 1959, pratiqués par des
Hutus, augmentèrent ce phénomène. Au mois d’octobre 1990, le Front Patriotique rwandais (FPR), composé de rebelles tutsis en exil depuis 1959, envahit le Nord du Rwanda. Les armées belge et
française contribuèrent à les arrêter, pendant que l’Organisation de l’Union Africaine négociait. Un accord de paix, promu par l’ONU, fut atteint en 1993, selon lequel Juvénal Habyarimana annonça
également la démocratisation du pays. En 1991, une nouvelle constitution autorisa les partis d’opposition, mais le FPR tutsi refusa d’y entrer. En 1992, un gouvernement de coalition fut constitué
avant une élection générale, mais les tensions inter-tribales hutus-tutsis persistèrent.
Ce fut l’assassinat de Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994 (son avion s’est écrasé) qui déclencha une guerre civile, qui engendra le génocide ayant causé la mort
d’un million de personnes en quelques semaines, de manière très brutale, surtout du fait de l’armée hutue. Le génocide rwandais de 1994 n’est possiblement dépassé, dans toute l’histoire du monde,
que par le massacre des Serbes dans l’État Indépendant de Croatie, et que par celui des Juifs, au cours de l’Holocauste, durant la seconde guerre mondiale. Cependant, de nombreux chercheurs
avancent que le génocide rwandais de 1994 n’a pas été le résultat d’une seule cause, ni le résultat d’une inimitié simple ou innée. Si l’on suit cette approche, ce sont plutôt les identités
ethniques et leur politisation qui ont constitué l’impulsion d’une stratégie de survie menée au niveau de l’État. L’insurrection menée par le FPR — le Front Patriotique Rwandais — qui avait
commencé en 1990 a créé une instabilité et une menace pour le régime, jusqu’à la fonction de Juvénal Habyarimana. Le Rwanda souffrait en parallèle d’une crise économique au début des années 1990
(durant la guerre civile en ex-Yougoslavie), fondée sur une crise de la dette et un prix d’exportation du café en chute. En 2000, le FMI et la Banque Mondiale ont annulé plus de 70% des dettes
étrangères du Rwanda.
Néanmoins, plusieurs autres facteurs ont également contribué au génocide de 1994 ; ils apportent les principales explications aux massacres systématiques qui ont
commencé à Kigali, la capitale, et se sont répandus sur l’ensemble du territoire du Rwanda. Le FPR tutsi prit le contrôle de la capitale le 4 juillet 1994, et sur presque tout le pays deux
semaines plus tard, lorsqu’il déclara la fin de ses activités militaires. La crainte de représailles menées par le FPR en pleine avancée amené à la fuite de plus de trois millions de réfugiés,
principalement hutus 1 vers les pays voisins (le Rwanda comptait à l’époque quelque 7,2 millions d’habitants), constituant la « crise de réfugiés » en Afrique de
l’Est.2 Environ 100 000 Hutus ont été tués par des Tutsis (principalement par des membres du FPR). Néanmoins, des questions difficiles restent
au sujet de la faiblesse des réponses de la communauté internationale au génocide, dont en premier chef les États-Unis, qui à l’époque constituaient la seule superpuissance mondiale.
Un accord de paix en vue de mettre fin à la guerre civile au Rwanda avait déjà été négocié à Arusha (le 4 août 1993), stipulant que des représentants hutus et
tutsis créeraient un parlement transnational avec un exécutif partageant le pouvoir. En 2000, Paul Kagame devint président, et l’année qui suivit, des élections locales furent organisées pour la
première fois depuis la guerre civile. Malgré un retour progressif à une stabilité politique, la réconciliation a été gênée par le destin de 120 000 prisonniers, accusés d’avoir commis des
crimes de guerre et des atrocités en 1994. Mais, même après l’accord de paix d’Arusha en 1993, les milices hutues ont utilisé leurs bases de la République Démocratique du Congo voisine pour
attaquer des bases de l’armée au Rwanda, en grande partie contrôlées par les Tutsis. Il s’en est suivi que l’armée rwandaise s’est trouvée engagée dans des opérations militaires dans la
République Démocratique du Congo voisine, ce qui a épuisé les fonds publics de l’un des pays les plus pauvres du monde. Néanmoins, à la fin des années 90, c’est environ un million de réfugiés qui
sont rentrés au Rwanda, et l’ONU a établi un tribunal international afin de poursuivre les criminels de guerre responsables du génocide de 1994. Il faut mentionner que la majorité des habitants
du Rwanda sont des Catholiques romains (65%), suivis par des adeptes de la religion traditionnelle (17%), des Protestants (9%), et des Musulmans (9%).
Au cours des 40 années d’histoire du Rwanda ayant précédé 1994, les relations entre Tutsis et Hutus avaient davantage connu la paix que les conflits. Mais la
majorité hutue au pouvoir au Rwanda avait bien compris les dangers qu’une armée dominée par les Tutsis peut provoquer pour la population hutue, du moins depuis la perspective historique de la
belligérance post-coloniale des Tutsis contre les Hutus dans le Burundi voisin. Outre ces craintes, quelque 300 000 réfugiés hutus apeurés avaient fui au Rwanda depuis le Burundi, durant des
attaques menées par les forces armées tutsies en 1993, qui avaient suivi plusieurs soulèvements hutus.
La convention de l’ONU de 1951, traitant du Statut des Réfugiés (amendée par un Protocole de 1967), définit un réfugié comme toute personne qui, en réponse
à une crainte bien fondée de se voir persécutée pour des raisons de race, de religion, de nationalité, de membre d’un groupe social particulier, ou d’opinion politique, se trouve hors du
pays de sa nationalité et est incapable ou, du fait de ces craintes, ne veut pas se mettre sous la protection de ce pays ; ou qui, ne disposant pas de nationalité et se trouvant hors de
son pays de résidence habituelle en résultat de tels événements, est incapable, ou du fait de ces craintes, ne veut pas y retourner. La convention de 1969 régissant les Aspects
Spécifiques des Problèmes de Réfugiés en Afrique étend la définition de réfugié également à qui, par suite d’agression ou d’occupation depuis l’extérieur, de domination étrangère ou
d’événements perturbant sérieusement l’ordre public dans une partie ou dans l’ensemble de son pays d’origine ou de nationalité, se trouve contraint de quitter son lieu de résidence
habituelle afin de chercher refuge en un autre lieu hors de son pays d’origine ou de nationalité.
Une « crise de réfugiés » est une situation
de besoin humanitaire aigu, lorsqu’un conflit a engendré un grand nombre de personnes déplacées de force en une brève période de temps. L’élément de crise peut faire référence aux
difficultés de pays voisins pour héberger un grand nombre de réfugiés, mais peut également faire référence à des difficultés exacerbées pour assurer une protection du fait de la réticence
d’autres États à héberger des réfugiés ou à financer des camps de réfugiés. Une « crise de réfugiés » peut également
faire référence à une situation où un vaste nombre de réfugiés pénètrent dans un pays ou une région illégalement, aidés, par exemple, par des passeurs. Les réfugiés des principales crises
humanitaires se concentrent dans les pays en développement au bord des régions connaissant les conflits, pas dans les États européens, même si certains de ces pays ont dû gérer de grands
nombres de réfugiés en un bref intervalle de temps.