France/Israël : de la soumission considérée comme une politique étrangère

Par Bruno Guigue - le 20/05/2016.



Bruno Guigue est un haut fonctionnaire, essayiste et politologue français né à Toulouse en 1962.

Ancien élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA.

Professeur de philosophie et chargé de cours en relations internationales dans l’enseignement supérieur.

Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, l’invisible remords de l’Occident (L’Harmattan, 2002).


Chaudement recommandé par le CRIF, Manuel Valls est parti en Israël présenter ses hommages à la maison-mère en vue d’une conférence internationale à laquelle personne ne croit. Nouvelle illustration de cette triste réalité : la France, où la bénédiction d’une officine communautaire vaut accréditation diplomatique, a renoncé à faire entendre une voix indépendante. On lui prêtait autrefois une oreille attentive parce qu’elle refusait toute allégeance et conservait un certain crédit. On ne l’entend plus aujourd’hui, non parce qu’on ne veut plus l’entendre, mais parce qu’elle n’a plus rien à dire.

Depuis dix ans, ses dirigeants ont jeté aux orties ses meilleures traditions diplomatiques. Ils ont renoncé à toute ambition fondée sur le respect de la souveraineté nationale et le dialogue des peuples. Au contraire, ils ont fait le choix d’une allégeance à l’occupant israélien qui les a conduits à justifier l’injustifiable lors de la sanglante répression sioniste à Gaza. Face à la violence de l’occupant, le gouvernement français a accusé la résistance de l’avoir provoquée. D’une indulgence à toute épreuve pour les crimes sionistes, il a rendu les Palestiniens responsables des horreurs dont ils étaient victimes, oubliant que c’est la violence structurelle de l’occupation qui génère la résistance armée et non l’inverse.

A Tel Aviv, Manuel Valls va pouvoir fièrement présenter son bilan. Non seulement l’inversion entre la victime et le bourreau résume la politique française, mais le procédé est aussi à usage interne. Exigé par la Kommandantur sioniste, l’ordre règne dans l’hexagone. L’assimilation frauduleuse entre antisémitisme et antisionisme est désormais une doctrine officielle, enseignée dans les écoles de la République. La justice française, servile, criminalise Boycott-Désinvestissement-Sanctions, campagne pacifique lancée à l’initiative de la société civile palestinienne. Des rassemblements populaires en faveur de la Palestine sont régulièrement interdits dans certaines villes ; le président français a tenu des propos équivoques lors de la cérémonie en hommage à Stéphane Hessel ; des journalistes, des fonctionnaires, des citoyens sont sanctionnés ou intimidés. Tout, dans la politique gouvernementale, stigmatise la solidarité avec un peuple opprimé et conforte l’allégeance faite à ses oppresseurs.

Or ce climat délétère est l’expression d’un profond renoncement, d’une démission collective. Conduite par des dirigeants sans culture, la France, au Proche-Orient, poursuit deux objectifs qui sont à rebours de sa vocation politique et historique. Elle devrait dialoguer avec les pays du sud en refusant toute subordination à la puissance dominante. Elle devrait contribuer à rétablir l’équilibre au profit d’un peuple sous occupation, légitimant la résistance palestinienne et révoquant l’impunité israélienne. Elle n’a fait, au contraire, que conforter son allégeance à Israël et déstabiliser la résistance régionale à l’hégémonie des USA, parrains d’Israël. Au lieu de desserrer l’étau de l’atlantisme, elle l’a serré davantage. Au lieu de parler le langage de la raison, elle a épousé les thèses sionistes les plus pernicieuses. François Hollande a béni la répression israélienne à Gaza, il a fait inscrire le Hezbollah sur la liste européenne des organisations terroristes et il a livré des armes à une rébellion syrienne manipulée par l’OTAN et les pétromonarchies. Cette soumission aux intérêts atlantistes et sionistes, notre pays la paie aujourd’hui d’un discrédit dont il ne se relèvera pas de sitôt.

On mesure à peine la régression historique que représente ce renoncement national. Avec Jacques Chirac, Paris maintenait le cap d’une promotion du droit international qui lui servit brillamment de fil conducteur dans l’affaire irakienne. La France ne pesait guère sur le cours des choses, certes, dans un conflit soumis à l’influence néfaste du protecteur américain d’Israël. Mais cette difficulté n’empêchait pas les dirigeants français de faire entendre une voix indépendante. Et lorsque Jacques Chirac admonesta publiquement un policier israélien devant le Saint-Sépulcre à Jérusalem, la symbolique des mots pallia un instant l’impuissance des actes. Héritière du gaullisme, cette politique affirmait au moins l’illégitimité du recours unilatéral à la force. Au nom du droit des peuples à l’autodétermination, elle privilégiait les solutions négociées. La voix de la France était entendue, à défaut d’être écoutée, parce que la France était souveraine.

Lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967, le général de Gaulle résuma ainsi le problème qui devait empoisonner le Proche-Orient : « Israël organise, dans les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’il qualifie de terrorisme ». Avec François Hollande, on est loin de ce franc-parler qui fit la réputation de la France gaullienne. On lui préfère désormais la novlangue de l’impérialisme humanitaire pour justifier la guerre contre une Syrie rétive à l’hégémonie occidentale. En préférant Kouchner à De Gaulle, les dirigeants français ont fait allégeance aux maîtres du monde. L’alibi des droits de l’homme fournit à leur cynisme une couverture idéale pour émouvoir le bon peuple. Mais ils oublient aussitôt ces considérations humanitaires quand il s’agit de la Palestine martyrisée par leurs amis. La Palestine restera comme un vivant remords de leurs compromissions. Et l’histoire retiendra qu’ils ont fait de la soumission à ses bourreaux leur politique étrangère.


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