***
Caroline Galactéros, géopolitologue, directrice de Planeting, enseignait l’éthique du conflit et les relations internationales contemporaines notamment, à l’École de Guerre et à HEC.
Caroline Galactéros, géopolitologue, directrice de Planeting, enseignait l’éthique du conflit et les relations internationales contemporaines notamment, à l’École de Guerre et à HEC.
« Le réel, c’est que l’Europe est en pleine déliquescence. Elle est en train de s’enfermer dans le piège d’une dépendance énergétique vis-à-vis des États-Unis bien plus redoutable que la dépendance au gaz russe. La bascule s’est opérée ».
C’est le milieu de l’été, il fait chaud et tout le monde se sent paresseux. Pourtant, nous devons continuer à bloguer sans relâche et faire de notre mieux pour nourrir le coucou qui vit sous votre chapeau. Et aujourd’hui, je vais écrire sur les Divines Sanctions qui ont été conçues pour enrichir la Russie, détruire l’Europe et distraire temporairement l’Amérique de son économie défaillante et de sa société folle à lier.
Il existe quelques théories sur l’origine de ces sanctions et la manière dont elles ont été imposées. La première théorie est qu’elles ont été rédigées à Washington et que, lorsque les Russes les ont découvertes, ils les ont adorées et ont lancé l’opération militaire spéciale dans l’ancienne Ukraine pour s’assurer qu’elles soient appliquées immédiatement, car ils étaient impatients d’en récolter les généreux bénéfices.
Selon une autre théorie, les sanctions ont été rédigées au Kremlin, ratifiées à Washington et approuvées par Biden lors du tête-à-tête entre Poutine et Biden à Genève. Ensuite, Biden et Poutine ont joué ensemble un théâtre d’ombres autour de l’Ukraine, qui a culminé avec le lancement de l’opération spéciale, une fois que Poutine a pu prétendre que Biden l’avait forcé à le faire et que Biden a pu dire que Poutine avait l’intention de le faire depuis le début et qu’il était temps d’imposer des sanctions, en poussant gentiment ses fidèles marionnettes européennes à pousser des hauts cris sur le mode « C’est la faute de Poutine ! », avant de s’ouvrir cérémonieusement les veines sur l’autel poutinien en détruisant impitoyablement leurs économies et en causant des dommages graves et irréparables à leurs électeurs.
Et cela nous amène à la question métaphysique de savoir qui dirige vraiment le monde ? Si vous pensez qu’il s’agit de l’État profond, de la mafia de Davos ou d’un autre clan de l’ombre, alors vous devriez peut-être lire un autre blog. Oui, tous ces groupes ont des plans infâmes mais, non, leurs plans ne se déroulent pas comme prévu et le présent, sans parler de l’avenir, ne ressemble en rien à ce qu’ils avaient imaginé. Si les Divines Sanctions ont été conçues pour estropier et mutiler les économies européennes tout en profitant grandement à la Russie (comme nous le montrerons), en distrayant brièvement les Américains de leur triste situation, il s’ensuit que c’est la Russie qui dirige le monde. Et qui dirige la Russie ? Vous pourriez dire que c’est Poutine qui dirige la Russie, mais Poutine vous suppliera qu’il n’est pas d’accord et dira que la Russie est dirigée directement par Dieu et qu’aucune autre réponse n’a de sens.
Il y a plusieurs façons de voir les choses. Si vous aimez l’idée de Dieu, vous pouvez être d’accord avec Poutine et penser que tout est l’œuvre de Dieu et que tout ce que Poutine a à faire est de pratiquer l’ancienne méthode taoïste de ne rien faire, ou action par l’inaction, appelée wúwéi (traditionnelle : 無為 ; simplifiée : 无为).
Métaphysiquement parlant, Poutine n’est alors que l’agent de Dieu pour diriger la Russie tandis que l’Occident, qu’il souhaite détruire, il le rend fou directement. Une autre façon de voir les choses, pour ceux qui n’aiment pas Dieu, est de dire que tout est l’œuvre de Poutine : que Poutine est un moteur principal surhumain derrière la plupart des affaires humaines. On peut alors se demander s’il s’agit d’une présence angélique ou satanique. Une position intermédiaire consiste à affirmer que Poutine est un dieu, mais cela soulève immédiatement la question suivante : qui d’autre fait partie de ce panthéon ? Biden, peut-être, ou Trump, le bouffon bavard, ou Ursula von der Leyen ?
À ce stade, je souhaite suspendre la discussion métaphysique, en déclarant pour mémoire que je préfère personnellement l’idée que la Russie est un pays improbable qui aurait cessé d’exister il y a des lustres s’il n’avait pas été créé directement par un Dieu juste et miséricordieux, et que Poutine n’est rien de plus que son fidèle serviteur. Mais ce n’est là que ma folle hypothèse ; n’hésitez pas à formuler la vôtre.
Il reste à exposer les effets salutaires et bénéfiques des Divines Sanctions (en ce qui concerne la Russie) et leurs effets de feu et de soufre sur la Sodome et Gomorrhe qu’est l’Union européenne contemporaine, sur lesquels je vais maintenant entrer en détail.
La première sanction, et la plus bénéfique, a été le gel (ou était-ce la confiscation ?) des réserves de devises étrangères appartenant à la banque centrale de Russie. Comme le terme « réserves » ne s’applique pas aux fonds qui peuvent être bloqués sur un coup de tête, cela a réduit à zéro la valeur du dollar américain et de l’euro en tant que monnaies de réserve, et de nombreux acteurs, qu’il s’agisse de gouvernements ou d’entreprises, russes ou étrangers, ont commencé à chercher d’autres endroits où placer leurs réserves, privant ainsi de sang neuf les campagnes d’impression monétaire en cours de la Réserve fédérale et de la BCE, tout en alimentant l’inflation en dollars et en euros.
Quant à l’effet du gel de ces actifs sur la Russie, on s’attendait à ce qu’il fasse s’effondrer le rouble russe, le faisant passer d’environ 70 pour un dollar à environ 200, comme le souhaitait ardemment Biden. Et, en effet, le rouble a d’abord chuté à 150 pour un dollar, mais il est ensuite remonté à 52 et montre depuis une nette tendance à se renforcer. En un peu plus d’un mois, l’inflation dans la zone rouble est tombée à zéro et les prix des produits importés ont commencé à baisser progressivement. Pourquoi cela s’est-il produit ?
Ce gel des avoirs n’a fait qu’interdire à la banque centrale russe de détenir des fonds en USD ou en EUR et de les déposer dans des banques américaines ou européennes. Tant pis pour ces banques et pour le dollar et l’euro en général, mais ces réserves étaient en fait inutiles au départ. Elles étaient nécessaires pour empêcher les attaques spéculatives sur le rouble (qui pouvaient très facilement être contrecarrées par d’autres moyens) et pour renforcer la cote de crédit de la Russie. La banque centrale russe était (et, dans une certaine mesure, l’est probablement encore) infestée de personnes dont le cerveau a été endommagé par l’exposition à la science occidentale de l’eek!-a-nomique [eek est le cris de la souris, NdA], selon laquelle les attaques spéculatives sur les monnaies nationales sont acceptables (demandez à George Soros) mais le contrôle des devises est mauvais. Mais aujourd’hui, les ailes de ces personnes ont été coupées et le bon sens prévaut.
En parlant de notation, les agences de notation occidentales ont commencé à annuler leurs notations pour la Russie… ce qui entrave l’accès de la Russie aux capitaux étrangers, pensez-vous ? Eh bien, pas vraiment, car la Russie est et a été pendant longtemps un exportateur net de capitaux et n’a aucun besoin de capitaux étrangers. Ajoutez à cela le fait que, l’euro et le dollar n’étant plus des monnaies de réserve (en ce qui concerne la Russie), les investisseurs étrangers ne sont plus les bienvenus en Russie (sauf s’ils viennent avec des roubles, qu’ils doivent d’abord gagner).
Une autre série de sanctions a été imposée sur les biens étrangers détenus par les oligarques russes : villas, yachts, comptes bancaires, etc. Il s’est agit d’une puissante campagne de lutte contre la corruption, qui a enlevé aux oligarques russes une grande partie de leur motivation à voler, puisque les gains mal acquis doivent désormais rester en Russie, qui est à ce stade plutôt favorable à la transparence financière (rappelez-vous que Mikhail Mishustin, fiscaliste et spécialiste du big data, est maintenant Premier ministre de la Russie). Boudés par les principaux centres mondiaux de blanchiment d’argent aux États-Unis, à Londres et en Suisse, de très nombreux oligarques russes ont été contraints de rapatrier précipitamment leur fortune et de chercher des moyens de l’investir dans l’économie russe, lui donnant ainsi un coup de fouet. Jusqu’à l’imposition de ces sanctions, la Russie laissait s’échapper environ 100 milliards de dollars par an vers des juridictions étrangères ; ce flux a été rapidement inversé et s’est maintenant arrêté.
Une autre série de sanctions a imposé un embargo sur les exportations russes de métaux, de bois, de charbon et de beaucoup d’autres produits. Cela a été très utile à la Russie, car ces sanctions ont empêché les hommes d’affaires russes de gagner des euros désormais inutiles. Ces matériaux peuvent maintenant être mieux utilisés en Russie même, en développant les industries russes, en investissant tous les capitaux qui ne fuient plus le pays.
Un cadeau spécial à la Russie a été le refus du Canada de renvoyer à la Russie une turbine à gaz Siemens qui lui avait été envoyée pour maintenance parce qu’elle tombait sous le coup des sanctions canadiennes. La Russie a désormais une excuse parfaitement valable pour limiter ses exportations de gaz naturel vers l’Allemagne via le gazoduc Nord Stream 1. Ce gaz peut être utilisé à meilleur escient sur le territoire national, notamment pour la production d’engrais (les engrais étant très demandés de nos jours et beaucoup plus faciles à transporter que le gaz naturel).
Le flot de sanctions a poussé un certain nombre de constructeurs automobiles européens à quitter précipitamment la Russie, perdant du même coup leurs investissements dans l’industrie automobile russe. Cela a permis à la Russie de renationaliser son industrie automobile, qui est maintenant en bien meilleur état qu’elle ne l’était lors de sa première privatisation, tout en ne payant presque rien pour cela. Au cours des années précédentes, de nombreux modèles d’automobiles étrangers, tels que Mercedes-Benz, ont été construits et vendus en Russie, tandis qu’une grande partie des bénéfices étaient versés à l’étranger ; ce n’est plus le cas ! Aujourd’hui, la Russie a une excellente longueur d’avance sur la reconstruction de son industrie automobile, tant pour les ventes intérieures que pour l’exportation, et ce grâce aux généreuses sanctions.
Et puis il y a l’embargo sur les avions Airbus et Boeing. Désormais, des centaines d’avions qui étaient loués à la Russie sont à la disposition de cette dernière pratiquement gratuitement (les locations sont désormais payées en roubles et les fonds déposés dans les banques russes), ce qui lui permet d’économiser quelque 10 milliards de dollars par an. Cette action a également permis d’accélérer le développement de la production nationale russe d’avions à réaction pour le transport de passagers et de marchandises.
Le dernier plan, évoqué lors de la dernière réunion du G7, consiste à bloquer les ventes d’or russe. Tout d’abord, ce serait stupide : les ventes de lingots d’or russes sont déjà bloquées depuis quelques mois. Deuxièmement, ce serait inutile : il existe de nombreuses autres façons de vendre de l’or au niveau international que d’utiliser les mécanismes des pseudo-marchés de Londres ou de New York. Troisièmement, cela rapprocherait le jour où le « gold fix » de Londres et le « marché de l’or papier » seront vidés de tout or physique et exposés pour la fraude qu’ils sont, permettant, pour la première fois depuis des décennies, l’affichage du prix véritable sur le marché des métaux précieux. À l’heure actuelle, le dollar américain est en train de gonfler alors que le prix de l’or reste lié à ce dernier, ce qui annule la principale fonction de l’or en tant que couverture contre l’inflation. Le blocage de l’or russe, qui représente 10% de la production annuelle mondiale, sur le marché de l’or occidental, contribue à rapprocher le jour où cette taxe sera enfin levée.
Dans l’ensemble, les sanctions anti-russes sont très bonnes et la Russie devrait en être reconnaissante. Mais il peut être utile de faire un petit zoom arrière et de souligner que, bien que la raison immédiate de ces sanctions soit l’opération militaire spéciale visant à démilitariser et à dénazifier l’Ukraine, la Russie a toujours été soumise à des sanctions, simplement pour avoir refusé de devenir une colonie occidentale. L’amendement Jackson-Vanick à la loi sur le commerce de 1974 a survécu à l’URSS, avant d’être remplacé par la loi Magnitsky de 2016. Les Russes sont pleinement conscients qu’ils resteront à jamais sous le coup des sanctions occidentales, quoi qu’ils fassent. La meilleure option, du point de vue des Russes, n’est pas d’éviter ou de contourner les sanctions, mais d’apprendre à les exploiter à leur avantage ; ce qu’ils ont fait.
Ensuite, il serait judicieux d’énoncer quelques faits évidents concernant l’opération spéciale. Premièrement, il ne s’agit pas d’une guerre, mais d’une action similaire à celle menée par la Russie contre ISIS en Syrie. Le contingent russe déployé en Ukraine est plutôt réduit, 150 à 200 000 soldats, composé de soldats professionnels, et non de conscrits ou de réservistes, et ne représente peut-être qu’un tiers ou un quart de l’armée professionnelle totale. Ces troupes font l’objet d’une rotation en Ukraine dans le cadre d’une sorte d’exercice d’entraînement.
Les objectifs de l’opération sont plutôt limités : démilitarisation et dénazification, c’est-à-dire enlever à l’Ukraine la capacité de constituer une menace militaire et éliminer physiquement tous les nazis russophobes endoctrinés par l’Occident. La démilitarisation se poursuit à un rythme soutenu : les capacités militaires de l’Ukraine sont détruites par des roquettes de précision, la plupart du temps avant qu’elles n’atteignent le front, et le jour où l’Ukraine ne disposera plus d’aucun équipement militaire est peut-être dans les deux semaines à venir. Les petites injections continues d’armes des pays de l’OTAN font reculer cette date, mais plus lentement qu’en temps réel. La dénazification se poursuit également à un rythme soutenu : Les bataillons nazis sont réduits à l’état de viande pourrie par l’artillerie russe.
Il y a de nombreux signes de dérive de la mission. Alors que l’objectif initial était de libérer uniquement les régions de Donetsk et de Lougansk, il
s’avère maintenant que Kherson, Zaporozhye et Kharkov sont également au menu, suivis de Nikolaev et d’Odessa. Ces régions russes, qui se sont retrouvées en grisé sur la carte politique
lorsque, après l’effondrement de l’URSS, des frontières administratives arbitraires au sein de l’URSS ont été mécaniquement transférées sur la carte politique, sont très désireuses de
rejoindre la Russie. On ne sait pas encore où ce processus s’arrêtera.
On ne sait pas non plus combien de temps il prendra. La Russie n’est pas pressée.
Tout d’abord, elle veut disposer de suffisamment de temps pour faire tourner l’ensemble de son armée professionnelle (plus quelques volontaires, qui sont admis à contrecœur et après avoir reçu une formation importante en Tchétchénie) sur le théâtre de guerre ukrainien, afin de leur donner l’occasion de s’entraîner à vaincre les forces de l’OTAN avec un minimum de pertes, même si elles sont largement inférieures en nombre. Ce savoir-faire est considéré comme très important. Cette méthode est similaire à celle utilisée par la Russie pour faire passer des troupes par la Syrie, de sorte que l’ensemble des forces aériennes et spatiales russes ont désormais une véritable expérience du champ de bataille.
Deuxièmement, la Russie veut bénéficier pleinement des sanctions tout en regardant l’Occident s’effondrer économiquement et politiquement en raison de l’inflation galopante, des pénuries d’énergie, des pénuries alimentaires et de toutes sortes d’autres afflictions que les sanctions anti-russes ont produites par effet boomerang. Mais surtout, aller plus vite ferait plus de victimes parmi les militaires russes, et c’est le contraire de ce que l’on souhaite.
L’allié traditionnel de la Russie est l’hiver : chaque grande campagne militaire contre la Russie (et cet imbroglio ukrainien est très certainement une attaque occidentale consolidée contre la Russie, faisant écho à celles de Napoléon et d’Hitler) doit se terminer par la mort en masse de l’ennemi à cause des gelures et de l’exposition au froid. Par conséquent, cette campagne, sanctions et autres, doit s’éterniser jusqu’à l’hiver, date à laquelle les parties de l’ancienne Ukraine libérées par les Russes seront au chaud, bien nourries et éclairées, tandis que les autres parties de l’ancienne Ukraine contrôlées par les nazis et l’OTAN gèleront dans le noir, abandonnées par leurs alliés de l’OTAN qui seront occupés à compter leurs propres morts, qui sont morts dans leurs maisons par manque de chauffage. Le stockage souterrain de gaz naturel en Europe atteint à peine 50% à l’heure actuelle et il est peu probable que cette situation s’améliore, ce qui signifie que le gaz ne durera que jusqu’en décembre environ.
La dénazification prend également du temps. Elle se déroule comme suit. La partie ukrainienne, avec l’aide de ses conseillers de l’OTAN, endoctrine, entraîne, arme, équipe et envoie sur la ligne de front un flot continu de nazis – ukrainiens et mercenaires – que les Russes transforment en viande hachée à l’aide de l’artillerie et des roquettes. Ils ont plutôt bien réussi à les faire exploser à distance dans leurs centres d’entraînement en Ukraine occidentale, avec tout leur équipement. Quelques-uns ont été capturés et seront exécutés en temps voulu par un peloton d’exécution dans le Donbass, qui, contrairement à la Russie, n’a pas de moratoire permanent sur la peine capitale. Mais la dénazification à l’aide de l’artillerie est plus efficace que le jugement de cas par le système judiciaire de Donetsk.
Un autre exemple de mission secondaire est le fait que la Russie démilitarise et dénazifie non seulement l’Ukraine mais aussi l’OTAN et l’UE. L’OTAN envoie ses stocks d’armes pour que les Russes les détruisent à l’aide de roquettes et l’UE et les États-Unis envoient des mercenaires pour que les Russes les massacrent sur le front. Il ne devrait plus falloir beaucoup de temps pour que l’OTAN soit dépourvue de systèmes d’armes et que le nazisme ukrainien devienne nettement démodé et ne soit plus du tout le safari meurtrier de russes dont certains nazis rêvaient.
On parle beaucoup actuellement d’amener le régime de Kiev à la table des négociations, de faire un compromis sur le territoire déjà perdu au profit de la Russie et d’arrêter les combats. L’UE en a assez de la guerre et des sanctions boomerang et est favorable à une fin négociée rapide des hostilités, dit-on, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni encouragent le régime de Kiev et lui donnent de faux espoirs. Il est même question que la France et l’Allemagne donnent des garanties de sécurité à Zelensky, mais il n’y a pas de preneur pour une raison très simple : le dernier président légitime de l’Ukraine, avant le coup d’État, Yanukovich, avait reçu de telles garanties de sécurité et a dû fuir de peur d’être tué pendant que les nations garantes regardaient ailleurs, puis ont rapidement reconnu diplomatiquement le régime nazi imposé par les États-Unis qui l’a renversé.
Compte tenu de tout ce qui précède, on ne voit pas du tout pourquoi l’entité politique défunte, désormais presque totalement creuse, connue sous le nom de « l’Ukraine », devrait se voir accorder un quelconque prolongement de vie. On peut raisonnablement s’attendre à ce que la plupart des anciennes régions ukrainiennes rejoignent la Russie, tandis que quelques-unes des régions occidentales, qui faisaient partie de l’Autriche-Hongrie plutôt que de la Russie, seront laissées à la dérive en tant que zone défunte et largement dépeuplée, divisée en zones de préoccupation entre la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie, avec peut-être une petite enclave russe.
Grâce à l’opération spéciale, la population russe a déjà augmenté de 1% (en ne comptant que les personnes qui ont choisi de s’installer en Russie) et devrait gagner beaucoup plus, ainsi que des terres considérables (deux ou trois fois la taille de la France), dont une grande partie de terres arables fertiles dans une zone tempérée. Le fait que l’armée ukrainienne, tout en battant constamment en retraite, continue de bombarder les quartiers résidentiels qu’elle laisse derrière elle, les réduisant souvent à l’état de ruines, va certainement donner un coup de fouet à l’industrie russe de la construction. (Les Ukrainiens bombardent les quartiers civils d’abord parce qu’ils sont nazis et ensuite parce que l’armée russe riposte, tandis que les civils qu’ils bombardent souffrent et meurent). Dans l’ensemble, l’opération spéciale, associée aux sanctions, ouvre la voie à une poussée de croissance très saine pour l’économie russe.
Il est peut-être exagéré d’espérer que le régime de Kiev capitule un jour de manière honorable et franche. Il est plus probable que cet affreux régime s’effondre et se dissolve tout simplement. Dans l’acte final, le président Zelensky pourrait être appréhendé à un poste de contrôle frontalier, déguisé en travesti (talons aiguilles, robe en cuir noir, éventail et boa font déjà partie de son équipement comique) et présentant de faux documents. Mais cela peut prendre encore un certain temps. L’Occident continue d’alimenter le régime de Kiev en argent qu’il peut voler et en armes qu’il peut revendre à des groupes terroristes, la Russie continue de faire tourner ses soldats sur les champs de bataille de l’est de l’Ukraine tout en martelant lourdement le paysage, et l’hiver russe n’a pas encore dit son dernier mot.
source : Club Orlov
traduction Hervé, relu par Wayan, pour Le Saker Francophone
Cet article exprime le bref point de vue d’un citoyen français, non expert de la géopolitique, mais qui s’interroge sur le suivisme français de la politique étrangère des États-Unis, dont le conflit russo-ukrainien et le repositionnement géostratégique de l’OTAN autour de la Chine ont de quoi inquiéter sur le devenir de l’état du monde, à l’heure d’une convergence de crises sociales, économiques et environnementales, et de la destitution accélérée de l’Occident de sa suprématie mondiale après 500 ans de bons et loyaux services.
L’enjeu géostratégique que représente l’Ukraine dans l’échiquier politique mondial est capital. Par sa position de carrefour des civilisations turques, slaves et occidentales, par son importance dans l’histoire de la Russie et par ses différences culturelles internes, l’Ukraine est un outil exploité par les États-Unis depuis la chute de l’URSS dans leur quête de domination du monde. Premièrement, l’Ukraine sert à empêcher l’émergence d’une puissance eurasiatique unie, qui ferait contrepoids aux États-Unis et affaiblirait leur position. Deuxièmement, l’Ukraine par ce conflit fédère les pays d’Europe autour d’un ennemi commun et assoit la légitimité du parapluie militaire américain en Europe sous bannière de l’OTAN. Troisièmement, l’Ukraine est un moyen d’affaiblir durablement la Russie pour réduire son influence.
L’ingérence des États-Unis en Ukraine, active dès 2004 avec la révolution orange, s’est intensifiée en 2014 avec le renversement du gouvernement du président Ianoukovitch et l’instauration de dirigeants pro-occidentaux. Depuis 2014, la répression des populations russophones du Donbass par le régime de Kiev, le non-respect de l’application des accords de Minsk et le rapprochement progressif d’une Ukraine de plus en plus russophobe avec l’OTAN ont constitué une menace existentielle pour l’identité et la sécurité de la Russie. En laissant cette dérive s’installer, les occidentaux, dont la France, portent une responsabilité écrasante dans ce qui a suivi. Il est utile de rappeler que les vagues successives d’extension de l’OTAN à l’est ont été, depuis la chute de l’URSS, à l’encontre des garanties données à la Russie par les dirigeants occidentaux, de préserver un espace tampon aux frontières de la Russie pour sa sécurité. L’OTAN, dont l’objectif premier est de sécuriser la présence des États-Unis en Europe par la force militaire, est ainsi au cœur de la déstabilisation du continent.
Selon la chronologie considérée, l’offensive russe serait alors une riposte, l’aboutissement d’un processus de création de l’ennemi, face cachée d’un iceberg que les médias occidentaux se gardent bien de diffuser en ne publiant que certains faits. Cette instrumentalisation de l’Ukraine, en jouant sur les tableaux militaire et identitaire, a laissé la situation s’envenimer, afin d’acculer la Russie dans ses derniers retranchements, ce qui tôt ou tard devait la pousser à réagir. L’offensive russe, certes condamnable en vertu de la violation du droit international, permet de justifier le rôle de l’agresseur endossé par la Russie. Mais il est important de rappeler que l’opération spéciale a été déclenchée à la demande des régions séparatistes de Donetsk et de Lougansk, au lendemain de la reconnaissance de l’indépendance de ces États par la Russie. L’Ukraine pourrait-on dire n’est alors que le triste théâtre d’une guerre par procuration de l’OTAN à la Russie, et donc par construction, des États-Unis à la Russie.
La couverture médiatique en Occident de l’offensive russe en Ukraine est unanime et sans équivoque. Elle agite les peurs et proclame un retour spontané de la guerre en Europe après 70 ans de paix, étant alors totalement amnésique aux différentes interventions de l’OTAN en Yougoslavie dans les années 90, en violation du droit international. La couverture médiatique du conflit russo-ukrainien révèle une propagande acharnée, au service d’une oligarchie peu scrupuleuse. Le contrôle de l’information se fait par la censure les chaînes dissidentes (RT France, Spoutnik), ce qui réduit l’opposition, brident les capacités d’analyse et anéantissent la réflexion de fond. La réduction, l’exagération et la déformation des faits sont sans limites pour quiconque prend la peine de creuser un tant soit peu la complexité du sujet : folie d’un seul homme maléfique, prétention impériale de la Russie sur l’Europe et dans le même temps armée russe en carton incapable de parvenir à ses objectifs… Les contradictions et les raccourcis abondent et génèrent un hébétement institutionnalisé, par un travail méticuleux de l’image et de l’émotion. Tout ceci facilite en réalité l’acceptation par l’opinion publique d’un consentement préfabriqué.
Sur le plan politique et économique, les sanctions imposées à la Russie dans le but de l’isoler et de l’affaiblir pour mieux la soumettre semblent plutôt donner l’effet inverse d’isoler l’Occident du reste du monde, comme en témoigne la carte ci-dessous. Les sanctions économiques se traduisent en Europe par la montée du prix des carburants et des céréales. Avec le cours de l’euro en baisse et l’inflation en hausse, l’effet est double pour les produits d’importation. Et quand on connait les besoins de l’Europe en matières premières et l’importance de la Russie dans ces échanges, les trains de sanctions européennes ressemblent plus à de l’auto-flagellation qu’à des mesures de rétorsion efficaces quant à leur objectif initial et proclamé. Malgré cela, les États-Unis continuent d’attiser les braises, en poussant davantage l’Europe à sanctionner la Russie. Cette diplomatie de la canonnière a pour conséquence d’accélérer la réduction du pouvoir d’achat des Européens, de réduire la compétitivité de leurs entreprises et d’entrainer la déstabilisation des marchés mondiaux des produits de première nécessité. Les effets des sanctions s’ajoutent à un contexte économique délicat, concaténant les politiques économiques des années post-crise de 2008, l’évolution des marchés des matières premières et les répercussions de la pandémie sur l’économie-monde.
Sur le plan militaire et du renseignement, les fournitures de matériels militaires par les occidentaux destinées à soutenir l’Ukraine fleurtent avec le statut de cobelligérant, et accroissent les risques d’escalade vers une guerre nucléaire dont l’Europe sera la ligne de front. Les États-Unis fournissent l’écrasante majorité de ces équipements, qui se chiffrent en dizaines de milliards de dollars, et l’engagement signé par Joe Biden en faveur de l’aide militaire américaine à l’Ukraine dépasse à ce jour le budget militaire annuel de la France (40Mds$). Cette prolongation du conflit va totalement à l’encontre d’une sortie de crise rapide. En alourdissant le nombre de morts, cette crise fait prospérer l’industrie de l’armement américaine et accroit la souffrance du peuple ukrainien. Pourquoi rien n’est fait pour hâter les discussions et trouver une issue diplomatique à ce conflit ? Est-ce que les européens ont conscience que leurs dirigeants fournissent des armes et forment militairement des milices ultra-nationalistes dirigées par un des gouvernements les plus corrompus de la planète ? A-t-on pris la peine de consulter les européens pour avoir leur aval sur ces financements mortifères, au lendemain d’une pandémie ayant déjà accrue considérablement les niveaux de dette ?
Cette guerre par procuration de l’OTAN à la Russie, à l’initiative des États-Unis, à cela de cynique qu’il est dans l’intérêt des États-Unis de la faire durer. Peu importe le nombre de victimes, les États-Unis ont déclaré qu’ils étaient prêts à se battre jusqu’au dernier ukrainien.
Ce conflit montre les effets délétères de la politique étrangère des États-Unis. Les vassaux européens se retrouvent aujourd’hui pris à leur propre piège. Après les technologies de la communication, c’est au tour des secteurs de la défense et de l’énergie de passer davantage sous pavillon américain. En coupant ses liens avec son voisin russe, l’Union européenne se prive, contre nature, des gigantesques gisements de ressources situés à la périphérie de son territoire. Les verrous mentaux contraignent l’Europe à revoir son approvisionnement en énergie, qu’elle payera très probablement plus cher tout en étant moins écologique. Sur le plan de la défense, en plus de profiter au complexe militaro-industriel des États-Unis, la légitimité de l’OTAN s’en trouve renforcée, au lendemain de l’adoption d’un agenda OTAN 2030 offensif et allergique à toute concurrence prétendue. Vu sous cet angle, il faut s’attendre à ce que l’Union européenne, ligne de front de l’influence américaine en Eurasie, serve de bouclier aux intérêts américains en plus de servir de débouché aux GAFAM et autres têtes de pont de l’impérialisme contemporain. Quand les Français sortiront de leur torpeur et verront qu’ils sont parmi les premiers à subir les conséquences des politiques guerrières de l’alliance euro-atlantiste dirigée contre leurs intérêts principalement par Washington ? Les effets sont très concrets dans plusieurs domaines, avec par exemple : les vagues d’immigration en provenance de pays déstabilisés en Afrique et au Moyen-Orient, les attentats terroristes sur le sol européen, les embargos américains contre une quarantaine de pays et leurs impacts sur les économies européennes, le conflit russo-ukrainien, le durcissement du jeu politique et la répression des contestataires, l’ingérence politique et diplomatique, les guerres de l’information… tout cela n’est pas vain, ni sain.
La volonté affichée des États-Unis de ne plus paraître comme le gendarme du monde les incitent à noyer en apparence leurs décisions dans un vaste ensemble de programmes et d’alliances, pour donner l’illusion d’un consensus au sein d’une communauté. Cette stratégie, pernicieuse, facilite la fragmentation d’un monde globalisé et la formation d’une communauté de blocs. Cela menace la stabilité et la paix dans le monde et vient s’ajouter à un arsenal croissant de vulnérabilités écologiques qui constituent, par essence, une menace existentielle pour un grand nombre d’espèces vivantes à commencer par l’espèce humaine.
Plus largement, les dirigeants occidentaux semblent aveuglés par leur égocentrisme et leur croyance en l’universalisme du standard occidental, dont les valeurs seraient prétendument supérieures à celles des autres civilisations. Ces croyances, en plus d’accélérer le déclin de l’Occident sur la scène mondiale, risquent de le plonger dans une violence exacerbée, par un excès de confiance envers lui-même et par une incompréhension grandissante entre les populations et leurs dirigeants. Les grands bénéficiaires de cette guerre ne sont donc ni la Russie ni les pays d’Europe, et encore moins l’Ukraine. Si les États-Unis grappillent quelques points en intensifiant leur bras de fer avec la Russie par le biais de l’OTAN et de l’Ukraine, ce conflit ne semble pas non plus leur apporter de victoire significative sur le long terme. En revanche, le rejet massif par les non-alignées des sanctions occidentales et leurs appels répétés à négocier une sortie de crise au lieu d’alimenter le conflit semblent profitent en réalité à d’autres pôles de puissances, comme la Chine et l’Inde. Mais en réalité, personne ne sort réellement gagnant de cette stratégie perdant-perdant.
Les exemples de manipulations des règles internationales et l’emploi du double standard par les occidentaux sont légions et bien rodées auprès de nombreux pays en ayant fait les frais au cours des dernières décennies. Les messages de paix et de démocratie de l’Occident sont des prétextes servant à masquer auprès des caméras et de l’opinion publique le visage de fond des visées impériales. L’ordre mondial défini par l’Occident et pour l’Occident, maintient depuis toujours un rapport de force continu et défavorable aux politiques souveraines qui refusent de se soumettre. Cette vision toxique des relations internationales ne peut que déboucher sur un conflit. Pour que cela change, il est nécessaire que l’Occident change de regard et d’attitude, d’abord envers lui-même. En aidant à redéfinir un système international plus adapté et plus perméable aux différences culturelles et aux conditions du moment, en s’engageant à se conformer aux standards internationaux, en étant moins arrogant, plus humble et en reconnaissant les erreurs du passé… l’Occident serait d’abord plus cohérent aux yeux du monde, ce qui semble un passage nécessaire pour se muter en acteur pour plus de paix dans le monde. Si cette élévation des consciences avait lieu, les sommes d’argent faramineuses investies dans la guerre pourraient alors être réorientées dans des politiques de développement plus vertueuses, permettant de lutter contre la pauvreté et les inégalités qui au fond sapent la cohésion des sociétés et les conduisent à l’effondrement. Mais cette vision d’un système plus juste et plus cohérent est contraire à un système basé sur la concentration du pouvoir, qui s’évertue à accroitre le contrôle des richesses de la planète par une élite.
Avec le projet des nouvelles routes de la Soie annoncé en 2013, la Chine se positionne comme un acteur de premier plan dans la revitalisation de l’espace eurasiatique et dans la restructuration de l’ordre mondial, qui depuis la chute de l’URSS en 1991 voit les États-Unis régner en maître sur le monde. Ce gigantesque projet de partenariats d’échanges, comprenant 65 pays à ces débuts, voit le développement massif d’infrastructures terrestres et maritimes abonder jusqu’à la périphérie du continent. Le projet des nouvelles routes de la Soie, rebaptisé « initiative ceinture et route » en 2017, prend le contre-pied de tout le déroulé géostratégique du monde anglo-américain depuis le début du XXe siècle et dévoile le Grand Jeu du XXIe siècle que sera la rivalité entre la Chine et les États-Unis.
Lorsque la Chine était l’atelier du monde, l’Occident s’en contentait et cela arrangeait bien ses entreprises et ses consommateurs. Maintenant que la Chine rivalise avec l’Occident sur des produits qualitatifs de haute technologie, des voix s’élèvent pour dénoncer des règles du jeu truquées au profit des Chinois. Cette hypocrisie sans vergogne témoigne à nouveau du double standard de l’Occident. Après la Chine, ce sera probablement au tour de l’Inde d’être la cible des États-Unis dès lors qu’elle commencera à faire de l’ombre sur le plan technologique et économique et qu’elle décidera d’opter pour sa propre voie.
Cette réhabilitation à l’initiative de la Chine des voies d’échanges ayant ponctué l’histoire des civilisations sur l’ensemble Afro-eurasiatique est perçue comme une menace à l’hégémonie des États-Unis. Ces derniers entendent faire feu de tout bois pour contrer l’expansion de la Chine et mettre à mal ses projets de développement. Le pivot asiatique décidé sous Obama, la guerre commerciale sous Trump et les premières tentatives de Biden d’enrôler l’Europe contre la Chine témoignent du consensus bipartisan qui règne au sein des élites politiques américaines sur la priorité absolue que constitue pour eux la menace chinoise. Mais le développement de la Chine étant déjà trop avancé, les États-Unis ne peuvent pas prendre le risque de lancer seuls leur offensive, ils ont besoin d’alliés pour jouer les premières lignes et créer un consensus leur permettant de mieux légitimer leurs actions.
La stratégie de l’endiguement, menée à l’époque de la guerre froide pour contenir l’URSS, est reconduite avec vigueur contre la Chine pour l’encercler et asphyxier son développement. L’alliance militaire AUKUS, formée dernièrement par les États-Unis, s’appuie sur l’Australie pour la prolifération d’armes nucléaires et de technologies militaires américaines en Asie-pacifique, ce qui accroit considérablement les tensions dans la région et génère une course à l’armement. L’agenda OTAN 2030, élargi le périmètre d’action de l’organisation et en modifie son fonctionnement, dans le but faciliter l’entraînement des européens dans la guerre des États-Unis contre la Chine. En plus de faire tout leur possible pour semer la discorde dans la région, les États-Unis s’ingèrent dans les affaires intérieures chinoises, comme la question taïwanaise et la répression du terrorisme au sein des populations Ouïghours au Xinjiang.
Tout est fait, comme dans le cas de l’Ukraine, pour exacerber les tensions et attirer la Chine dans un piège infernal qui déstabilisera la région Asie-pacifique, au grand dam des pays de la région pour servir les intérêts des États-Unis. Mais la Chine garde en mémoire les traumatismes du siècle de l’humiliation et prépare sa défense. Le renforcement militaire chinois est semble-t-il destiné à se prémunir des risques d’actions offensives venant de l’extérieur, mais ce développement militaire défensif est exploité par l’Occident pour justifier la menace chinoise et créer l’ennemi chinois, par le biais d’argumentaires médiatiques et idéologiques falsifiés, diabolisant les agissements et les politiques chinoises. Si cette menace est réelle, alors comment expliquer qu’il n’y ait pas de stratégie d’endiguement des États-Unis par la Chine, ni de bases militaires chinoises aux frontières des États-Unis, ni d’alliance militaire dirigée par la Chine contre les États-Unis ? Soyons lucides, il suffit de comparer les budgets de défense des États-Unis et de la Chine ainsi que leur nombre de bases militaires en dehors de leurs frontières et leur implantation géographique pour comprendre qui mène l’offensive à l’égard de l’autre. En réalité, c’est la guerre hors limite à laquelle nous préparent les États-Unis, conduits par leur paranoïa et leur peur de perdre leur hégémonie basée sur la conquête, alors que les chinois eux, préfèrent le développement économique au développement militaire, et le voient semble-t-il plutôt comme un moyen de parvenir à un idéal de société socialiste en harmonie sur elle-même.
Dans cette lutte à mort, le processus d’endoctrinement se répète une énième fois, destiné à infuser la menace chinoise dans les imaginaires et à coaliser les États voyous dans une nouvelle guerre qui a tout d’une prophétie auto-réalisatrice. Gardons en tête que le Graal pour les États-Unis serait de faire chuter le parti communiste chinois, pour vaincre les forces qui unissent la Chine, détruire l’émergence de toute puissance rivale de taille significative et abaisser le garde-fou faisant obstacle à la vampirisation du gigantesque marché chinois par les multinationales américaines. La guerre se joue ainsi sur tous les fronts : médiatique, politique, idéologique, militaire, économique.
Ces acrobaties mortifères présentent deux issues opposées l’une de l’autre, ainsi qu’une multitude d’entre-deux bien difficile à évaluer : le risque de voir le monde sombrer dans une guerre de blocs avec l’Europe soumise plus que jamais aux États-Unis, ou le risque pour les États-Unis de voir suffisamment gonfler le rang des non-alignés et de perdre significativement en influence. Pour privilégier la première option, il faut que les États-Unis trouvent les moyens de convaincre leurs « alliés » que la Chine représente une menace réelle pour leurs intérêts. Mais la stratégie américaine de guerre par procuration, largement démasquée et critiquée, est aussi sa principale faiblesse. Les États-Unis, s’ils sont incontestablement très puissants sur les plans militaire et économique, voient progressivement leur autorité leur échapper, le refus du règne américain dans le monde étant de plus en plus un dénominateur commun sur lequel un nombre important de pays s’accordent. Pour s’engager sur la deuxième voie, il faudra à la France et aux pays européens un regain considérable de courage et de lucidité, pour que ces pays osent s’affirmer et tracer leur propre voie en fonction de leurs intérêts respectifs, qui sont sur de nombreux points différents de ceux des États-Unis. Cela est loin d’être impossible, et permettrait à la France de sortir du déni de réalité qui figure actuellement au sein de l’élite dirigeante. Chaque jour qui passe témoignent des effets pervers de cette soumission sur les intérêts des Français. Oser se repositionner sur l’échiquier géopolitique mondial par des choix souverains et éclairés demande un travail et un courage énorme de la part des élites françaises, une volonté de fer qui malheureusement semble les avoir délaissés.
Conclusion : Favoriser l’émergence d’un monde multipolaire en s’émancipant des États-Unis ou se laisser entraîner dans un conflit généralisé contraire aux intérêts des Français ?
Choisir entre la pilule bleue et la pilule rouge. La vision de l’ordre impérial imposé par l’Occident au nom de valeurs universelles, avec ses croisades militaires, économiques et technocratiques maquillées est en perte de vitesse et n’est plus adaptée au monde d’aujourd’hui. La crise ukrainienne semble accélérer ce processus de basculement. Le centre de gravité se déplace vers l’est, avec l’affirmation des puissances asiatiques et le développement de nouveaux marchés entre les pays du monde : Asie, Afrique, Amérique latine. Le nouveau monde s’organise sans les occidentaux pourrait-on dire, qui boudent son avènement et s’enferment dans un déni de réalité. L’Occident perd en influence sur tous les continents, et la fin de sa suprématie après 500 ans de mission civilisatrice est sans aucun doute déjà à l’œuvre et résulte mécaniquement de la renaissance d’un monde multipolaire et de la redéfinition de l’ordre mondial. Cependant, le risque est réel que cette transition qui apparait au grand jour accule l’égo blessé des dominants et les conduisent à engendrer dans leur déclin davantage de souffrances et de conflits. Mais l’espoir persiste aussi de voir apparaitre un monde plus juste, et cela passera inéluctablement par le rééquilibrage des forces et des réformes du système international : monnaie, diplomatie, droit, etc… et la France devrait se saisir de cette opportunité pour tracer sa propre voie en fonction de ses intérêts. Au temps des crises existentielles auxquelles les humains sont confrontés, la France doit oser se regarder en face, humblement et justement, se recentrer sur ces intérêts propres, et veiller à préserver le développement et la stabilité du monde multipolaire en émergence.
Mathieu Bazaud, citoyen français inquiet de l’alignement géopolitique de la France sur la politique étrangère américaine.
Alain Juillet reçoit Caroline Galactéros, fondatrice et présidente du Think-tank Géopragma, pour parler de l'échec des différents projets franco-allemand dans le domaine de la Défense.