La France: Théâtre de la guerre froide Algéro-Marocaine

par Romain Dewaele le 18/04/2016.



Titulaire d'un Master en Histoire à Grenoble II

Actuellement étudiant en master Relations Internationales à l'IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques)

Auditeur du 90eme séminaire-jeune de l'IHEDN (Institut des Hautes Études de la Défense Nationale)

Membre du comité Moyen-Orient de l'ANAJ-IHEDN


«Dans un système à trois puissances, il faut être l’une des deux» Bismarck

En France, 1,3 millions de personnes sont franco-marocaines contre presque 2 millions pour les franco-algériens. Au-delà des questions démographiques, la France en tant qu’ancienne puissance coloniale est diplomatiquement tiraillée dans ses choix de politique étrangère au Maghreb. En miroir, le Maroc et l’Algérie scrute minutieusement la scène diplomatique française. Sahara occidental, islam de France, diasporas, anti-terrorisme…La France est le théâtre de la lutte intestine entre le Maroc et l’Algérie.

Le 10 avril dernier, le Premier ministre, Manuel Valls s’est rendu en Algérie, un an jour pour jour après sa visite au Maroc. Hasard du calendrier ou claire allusion, la France se trouve depuis plusieurs années  au centre de la guerre froide algéro-marocaine. En effet, si la droite française est plutôt proche du Maroc par héritage de ses positions pro-Algérie française, la gauche penche plutôt du côté de l’Algérie. Si ce constat est une tendance globale, les soubresauts dans les relations entre la France et le Maroc ainsi qu’entre l’Algérie et la France sont récurrents.

14 juillet

Audrey Azoulay, Najat Vallaud-Belkacem, Myriam El Khomri…quel est le point commun entre toutes ces ministres ? Ces ministres sont toutes d’origine marocaine, et sitôt nommées la presse et certaines dirigeants algériens ont condamnés le tropisme marocain en France. Et ce, alors que le Président François Hollande a donné plusieurs fois des gages à l’Algérie.  En effet, sa première visite d’État à l’étranger hors d’Europe fut en Algérie. Puis, après avoir reconnu le massacre de Sétif (8 mai 1945), le Secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire, Jean-Marc Todeschini a commémoré ce massacre en Algérie en avril 2015, ensuite des soldats algériens ont défilé sur les Champs-Élysées le 14 juillet 2015, et enfin dans le dossier sahélien la France a laissé la diplomatie algérienne manœuvrer pour  que les Touaregs changent de camp. Un changement de camp au Mali illustré par les Accords d’Alger de l’été 2015.

Par ailleurs, les relations entre la France et la monarchie marocaine se sont fortement dégradées ces dernières années. En particulier avec la convocation lors d’un séjour en France d’Abdellatif Hammouchi, un haut-dirigeant des services de renseignement marocain chargé de l’anti-terrorisme, par un juge français suite à des plaintes d’opposants. Cet incident a provoqué une brouille entre les deux pays, mais Abdellatif Hammouchi fut en février 2015 élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur.

En outre, si le Maroc et l’Algérie s’oppose c’est principalement à cause du Sahara occidental.

 

Le conflit du Sahara occidental :

LaSituationActuelleDuSaharaOccidental

A l’origine, l’Espagne a créé en 1884 un protectorat sur la région du Sahara occidental. Plus tard en 1956, le Maroc obtient son indépendance et réclame la « marocanité » de ce territoire. Mais la Mauritanie et l’Algérie dont les indépendances suivirent ne veulent pas d’un « grand Maroc » et d’un Maroc trop saharien.

En 1973, le Front Polisario, le mouvement indépendantiste/nationaliste du Sahara occidentale est fondé.  Au début des années 1970, ce territoire est encore aux mains du colonisateur espagnol. Mais à la faveur du processus démocratique en Espagne, il est convenu d’un contrôle tripartite entre l’Espagne, la Mauritanie et le Maroc. Un accord vain avec en 1975 la « Marche Verte » du Maroc qui implante au Sahara occidental (« province du sud » pour le Maroc) 350 000 Marocains. En 1976, les Espagnols quittent cette région, et le Front Polisario proclame la République Arabe Sahraouie Démocratique  (RASD). Une RASD reconnue par 54 États aujourd’hui (Iran, Mexique, Afrique du Sud…) ainsi que par l’Union Africaine. Une organisation régionale que le Maroc quitte en 1982 en signe de protestation.  Dans les années 1980, le Maroc combat le Front Polisario dans une guérilla, ce dernier reçoit l’aide de l’Algérie, fidèle dans son combat pour l’auto-détermination des peuples.  En outre, le territoire algérien est une base arrière stratégique pour le Front Polisario avec près de Tindouf des camps de réfugiés sahraouies, des écoles sahraouies, et l’administration de la RASD.

RASD

Les combats ont cessé en 1991, et aujourd’hui le Sahara occidental est peuplé de 405 000 habitants, dont 250 000 Sahraouis et 160 000 Sahraouis vivent à Tindouf.  Le Maroc est séparé des régions contrôlées par le Front Polisario par un mur et l’Onu s’est déployé avec la MINURSO.

Au niveau diplomatique, les États-Unis et la France soutiennent le Maroc, et ce dernier s’accommode du Front Polisario en contrôlant l’essentiel du Sahara occidental dont les mines de phosphate près de Boucraa.

Cependant, au-delà de ce conflit, la France se retrouve au milieu d’une guerre froide entre les deux pays. Ces deux pays que tout oppose, ces deux anciennes colonies françaises mais un mandat où le général Lyautey conserva la monarchie, et une colonie de peuplement départementalisée. D’un côté une indépendance pacifique en 1956, de l’autre une indépendance acquise au prix du sang en 1962. Une monarchie parlementaire intégrée par la communauté occidentale avec la création au Maroc à Marrakech en 1994 de l’Organisation Mondiale du Commerce  (alors que l’Algérie n’est que membre observateur de cette organisation), avec un roi descendant du Prophète, contre une république nationaliste aux accents socialistes. Une monarchie  qui mise sur le soft power avec le tourisme et la religion, contre une Algérie qui mise sur le hard power avec l’armée, les services de renseignement et ses ressources gazières.

La religion, justement, est le point d’achoppement entre les deux pays. Une lutte au sein de l’islam qui s’illustre en France.  En effet, dès le règne d’Hassan II, le Maroc s’est lancé dans une politique de contrôle de l’islam malékite et des croyants marocains ou d’origine marocaine à travers le monde. Et ce pour plusieurs raisons. D’une part, dans le cadre d’une politique de soft power classique, d’autre part pour une raison sécuritaire (attentats du 16 mai 2003 à Casablanca). En effet, les services extérieurs marocains (DGED) veulent se prémunir des attentats en infiltrant et en contrôlant les mosquées, dont certaines ont été phagocytées par le MJIM (Mouvement de la Jeunesse Islamique Marocaine). Une infiltration dans les réseaux salafistes et djihadistes par les services marocains qui par collaboration avec la France ont permis de localiser Abdelhamid Abaaoud à Saint Denis après les attentats de novembre. En outre, le Maroc s’inquiète de voir des belgo-marocains originaires du Rif dans les rangs de l’État Islamique. Enfin, la Maroc combine pouvoir feutré (soft power) et anti-terrorisme au Sahel. En effet, pour contrer la diffusion du wahhabisme en Afrique, le Maroc a passé des accords, notamment avec le Mali, pour la formation d’imams, la construction de mosquées…

Enfin, l’islam en France est l’objet de cette guerre par procuration entre l’Algérie et le Maroc. Le Maroc finance pour 787 000 euros la mosquée de Blois, l’Algérie celle de Tours pour 490 000 euros. Le Maroc finance la mosquée de Strasbourg pour un million d’euros, l’Algérie dépense la même somme pour celle de Marseille…Le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) crée en 2003 est d’obédience marocaine, en revanche la Grand Mosquée de Paris est d’obédience algérienne.


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