En introduction je souhaiterais relever quatre points :
1/ La novlangue est la langue du pouvoir aujourd’hui : c’est-à-dire de la superclasse mondiale qui a pris le
pouvoir en Occident au tournant des années 1990 et des médias par lesquels elle s’exprime.
Comme l’avait vu George Orwell la novlangue est la langue du pouvoir qui veut conserver le pouvoir. Elle a pour fonction :
-de peindre sous des couleurs attrayantes notre triste condition actuelle (de ressource humaine jetable au service de l’économie mondialisée) ;
-d’accompagner le renversement des valeurs que promeut l’oligarchie (« La liberté c’est l’esclavage »). C’est ce qu’écrivait Jean-François de La Harpe en
1797 : « Le propre de la langue révolutionnaire est d’employer des mots connus mais toujours en sens inverse » !
-d’empêcher de conceptualiser toute alternative critique au Système en place, notamment par la diabolisation des opinions dissidentes (en interdisant certains mots,
on pense prévenir les « crimes par la pensée » : comme le montre notamment le sort réservé aux mots race, patrie ou frontières, par
exemple).
La novlangue est la langue de l’oligarchie. Il n’y a donc pas à proprement parler de novlangue populaire, même s’il y a bien une réaction populaire à la domination
de l’oligarchie et même si un certain vocabulaire de l’opposition à l’oligarchie fait son apparition.
2/ Aujourd’hui nous ne vivons plus en démocratie entendue comme le « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » (Constitution de
la Ve République) mais en post-démocratie.
Qu’est-ce que la post-démocratie ? M. Juncker, président de la Commission européenne, en donne une définition à sa manière : « Il ne peut y
avoir de choix démocratique contre les traités européens » (1).
Cela introduit une définition de la démocratie non pas comme processus (le processus électoral par lequel le peuple désigne ses représentants, c’est la démocratie
représentative et élective) mais comme contenu normatif (les fameuses « valeurs ») : serait démocratique ce qui serait conforme aux valeurs de l’Union européenne, c’est-à-dire à
l’idéologie libérale/libertaire qui la sous-tend (donc, par exemple, l’indépendance des banques centrales ou le droit à l’avortement seraient une « valeur ») ; serait au contraire
factieux, fascisant et « populiste », ce qui s’en écarterait.
Cela se traduit au plan institutionnel par ce que l’on nomme « l’Etat de droit » en novlangue et qui correspond en réalité au gouvernement des juges et
plus exactement à la mise en tutelle des législateurs et des gouvernants amovibles par les juges inamovibles (notamment par un changement de sens du contrôle de constitutionnalité des lois, qui
de technique est devenu idéologique) : inamovibles et, si possible, apatrides comme dans le cas des cours internationales (comme les juges dits « européens »).
Cela signifie que le peuple en post-démocratie a encore le droit de changer de gouvernement mais plus celui de changer de politique (c’est également vrai aux
Etats-Unis, comme le montrent les campagnes incessantes et le harcèlement judiciaire contre D. Trump : même aux Etats-Unis, qui est l’épicentre de la superclasse mondiale, le peuple se
voit retirer le droit de changer de politique). Le suffrage sert encore à donner l’onction démocratique aux gouvernants, mais de moins en moins à déterminer la politique qui sera mise en
œuvre.
C’est d’une certaine façon le retour du paradigme de la Terreur : le peuple se transforme en bandits, en hooligans et en factieux qu’il
faut réprimer ou censurer dès lors qu’il montre qu’il n’adhère plus au dogme auquel croient les gouvernants et qu’il conteste l’action de ceux qui prétendent agir en son nom.
Nous vivons d’ailleurs aujourd’hui sous un réel régime de Terreur médiatique, voire judiciaire, avec la censure croissante de la liberté d’expression, partout au
sein de l’UE, vis-à-vis des dissidents.
3/ Dans l’analyse des relations entre le peuple et ses gouvernants, on ne peut faire l’impasse sur un phénomène idéologique
et sociologique majeur qui s’est produit dans les années 1990 : la chute de l’URSS et la fin de l’utopie communiste d’une alternative socialiste au capitalisme.
Ce phénomène idéologique et sociologique a eu deux conséquences importantes pour le sujet d’aujourd’hui :
-d’une part, la gauche s’est ralliée au néo-capitalisme et a abandonné le peuple à son sort. Elle a fait mieux encore : avec l’immigration elle s’est trouvé un
peuple de rechange qui lui permet d’ignorer les classes populaires en toute bonne conscience ;
-d’autre part, les super-riches ont perdu la peur du peuple, c’est-à-dire de la perspective du Grand Soir socialiste ; ils ont de fait perdu toute retenue dans
l’exercice de leur pouvoir économique (d’où notamment l’arrêt de la réduction des inégalités de salaires et de revenus). C’est l’aboutissement de ce que l’on a appelé la « révolte des
élites », selon l’expression du sociologue américain Christopher Lasch, initiée dans les années 1960, qui se traduit notamment de nos jours dans la domination de l’idéologie
libérale/libertaire.
Tout cela se traduit dans un discours dominant – et pas seulement gouvernemental – désormais très critique vis-à-vis du peuple, à la différence de ce qui se passait
encore jusqu’à la fin de la première moitié du XXe siècle où, au contraire, les vertus du peuple étaient idéalisées, notamment sous la figure du prolétariat.
4/ La démocratie représentative repose par essence sur la dialectique de la trahison.
Elle oppose les électeurs, c’est-à-dire les mandants, qui ont toujours le sentiment d’être trahis par leurs représentants (puisque le mandat impératif a été
exclu), et leurs représentants, c’est-à-dire les mandataires, qui accusent ceux qui les critiquent de démagogie.
George Orwell
Cette dialectique mandants/mandataires était déjà au cœur de la Première République (opposition entre la Montagne et les Hébertistes, ces derniers étant accusés de
démagogie et de jusqu’auboutisme [on dirait extrémisme de nos jours] et finalement de saper le gouvernement de la République, c’est-à-dire le pouvoir de ses dirigeants issus de
la Montagne). On la retrouve largement dans la critique contemporaine du populisme.
Nous vivons en effet sous un régime de démocratie représentative (élective) et non pas participative.
On aurait d’ailleurs pu concevoir un autre mode de désignation que l’élection : par exemple, le tirage au sort, comme il était pratiqué dans l’Antiquité ou
dans la République de Venise et qui n’a pas donné de mauvais résultats (et qui était considéré par Aristote comme l’exemple de la démocratie et de la liberté puisque chacun pouvait être
gouvernant et gouverné, alors qu’il classait l’élection dans la catégorie de la République, comme moyen de choisir qui gouvernera selon son mérite, ses compétences ou sa richesse :
aristocratie et oligarchie).
La démocratie participative réduit le risque de trahison de la démocratie élective car elle offre l’avantage soit d’une prise directe de décision (exemple Suisse de
l’assemblée du peuple : Landesgemeinde), soit d’une initiative référendaire (alors qu’en France celle-ci reste verrouillée par les parlementaires), soit d’un meilleur contrôle
des représentants par la possibilité de censure des lois votées par les parlementaires.
D’où, d’ailleurs, aujourd’hui le regain du discours relatif au référendum d’initiative populaire dans notre pays, pour contrer la tendance oligarchique de la
post-démocratie.
En tout cas la démocratie représentative s’articule habituellement en 3 temps :
• D’abord,le temps de la candidature à la représentation : c’est le temps de l’offre politique, c’est-à-dire
des promesses. Comme l’a montré Edward Bernays (Propaganda), il y a une similitude fonctionnelle entre la publicité et la propagande politique (c’est même la publicité qui est à
l’origine de la propagande moderne et qui a pris sa source aux Etats-Unis) : car il s’agit avant tout de produire l’appétence pour le candidat, chez l’électeur, comme pour le produit chez le
consommateur. On met donc plus l’accent sur l’affectivité que sur la rationalité. C’est un temps de « post-vérité », comme on dit aujourd’hui.
Le temps de la candidature se caractérise pour cette raison par l’usage d’un vocabulaire fort et simplificateur.
• Ensuite, le temps de l’action gouvernementale, qui diffère toujours de ce qui a été promis car, comme le rappelait le
Pr Jules Monnerot, le principe d’hétérotélie fait que les gouvernements réalisent souvent autre chose sinon le contraire de ce qui a été promis/envisagé. Au cours de cette période les mandataires
s’écartent donc des mandants.
La pratique des dernières années apporte manifestement la preuve d’une coupure croissante entre les mandataires et les mandants (notamment en matière de justice ou
d’immigration, les sondages montrent que l’opinion serait plus conservatrice que les gouvernants) : les majorités élues appliquent rarement leurs promesses électorales quand elles vont à
l’encontre de l’idéologie libérale/libertaire.
Le temps de l’action politique se caractérise par un vocabulaire variable en fonction des urgences du moment. Ex. : Sarkozy a utilisé des termes forts et
souvent des oxymores pour appuyer son action (ou son inaction…), comme l’immigration choisie, la laïcité positive, la discrimination positive, l’identité nationale, l’islam à la
Française, le capitalisme régulé.
La tentation était de faire passer de la communication pour de l’action (on mettait à son crédit la réaction des adversaires aux mots prononcés, comme s’ils avaient
été suivis d’action). François Hollande a été beaucoup moins prolixe (sauf Mariage pour tous) et le thème de la présidence normale s’est retourné contre
lui.
• Enfin, le temps de la candidature à la réélection, au cours duquel les gouvernants s’efforcent de se rapprocher à nouveau des
attentes de l’électeur en vue de le séduire ; la candidature à la réélection a donc un effet positif (vertueux) sur les élus ; a contrario, un élu qui n’est pas candidat à sa réélection
peut être tenté d’accentuer l’hétérotélie (ex. : cas Obama ou Hollande).
Le temps de la candidature à la réélection se caractérise par un vocabulaire souvent moins fort que le temps de la candidature initiale : en particulier la
problématique de la rupture n’est plus de mise et l’on insiste, au contraire, sur le besoin de… continuité ou d’approfondissement (ce qui veut dire la continuité
de mon pouvoir). Ex. : « Génération Mitterrand » en 1988 pour suggérer que son action s’inscrivait dans la durée.
***
Venons-en maintenant au vocabulaire de la dialectique gouvernants/gouvernés aujourd’hui.
Du point de vue des gouvernants il y a en réalité trois peuples, objets d’un vocabulaire différent : le peuple idéalisé, le peuple toléré et
le peuple diabolisé.
Le peuple idéalisé
Le peuple idéalisé comprend les résidents d’origine immigrée, qui ont pris la place du prolétariat dans l’imaginaire des partis au pouvoir et
notamment ceux qui se réclament de la gauche. Ainsi, lorsque les médias parlent de quartier populaire il faut comprendre qu’il ne s’agit plus d’un quartier peuplé de personnes
issues du peuple français, mais de personnes issues de l’immigration.
Le Grand Remplacement n’est donc pas seulement démographique mais aussi sémantique car idéologique.
Le peuple idéalisé fait toujours l’objet d’un vocabulaire positif, lénifiant et victimaire.
On pare ce peuple de toutes les qualités (« l’immigration est une chance pour la France » ; les migrants ont « des qualifications
remarquables (2) » etc.) et on le présente souvent sous les traits de la victime : par exemple, il est réputé toujours habiter dans une banlieue
défavorisée – même lorsqu’elle concentre la majorité des subventions publiques –, être sans-papiers (c’est-à-dire être entré irrégulièrement dans notre pays),
être victime du chômage (et non pas vivre de transferts sociaux), de la discrimination, et, bien sûr, du racisme ordinaire de la
part des autochtones (le racisme anti-Français étant réputé ne pas exister).
Et lorsqu’il commet des délits ou des crimes il ne s’agit la plupart du temps que d’incivilités, ou bien de coups de
folie inexplicables, qui ne peuvent être attribués qu’à des isolés ou à des déséquilibrés.
Ce peuple victimaire bénéficie de toutes les attentions des partis au pouvoir parce qu’ils le courtisent en permanence à des fins électoralistes, puisqu’il est en
croissance numérique.
Le peuple toléré
Ensuite, le peuple toléré correspond aux autochtones qui apportent périodiquement leurs suffrages aux partis au pouvoir et qui lui fournissent
donc l’onction démocratique. Cet électorat permet aux partis au pouvoir de s’intituler « majorité », même lorsqu’ils ne rassemblent pas la majorité des inscrits. Le peuple
toléré constitue donc la caution de la post-démocratie.
On dit aussi « peuple de gauche », ce qui est un oxymore puisque la gauche a abandonné le peuple et que les classes populaires autochtones votent de moins
en moins pour la gauche !
Ce peuple doit surtout obéir. On dit alors qu’il adopte un comportement civique, citoyen ou responsable : comme
lorsqu’il trie sagement ses déchets ménagers ou lorsqu’il se déplace à vélo ; ou lorsqu’il manifeste son « indignation » ; ou lorsqu’il participe à des minutes de silence à
l’appel des médias de propagande ; ou lorsqu’il ne commet aucun amalgame ni aucune stigmatisation.
On tolère ce peuple à la condition qu’il se soumette aux valeurs de la République, c’est-à-dire aux commandements de l’idéologie libérale/libertaire
dont la superclasse mondiale est le prophète et le garant ici-bas. Sinon on verse dans la troisième catégorie : le peuple diabolisé.
Le peuple diabolisé
Le peuple diabolisé regroupe enfin tous ceux qui ne se reconnaissent pas ou plus dans le Système post-démocratique actuel et qui refusent les commandements de
l’idéologie libérale/libertaire et, en particulier, le Grand Remplacement des Européens sur leur propre sol. Il regroupe tous ceux qui votent mal, c’est-à-dire contre les partis au
pouvoir.
Le peuple diabolisé n’incarne plus l’avenir radieux de l’humanité (comme au temps du prolétariat lorsque la gauche prétendait renverser le capitalisme) mais, au
contraire, le passé national heureusement révolu (les heures sombres de notre histoire) car il s’oppose aux avancées, forcément progressistes, de l’idéologie libérale/libertaire et
du mondialisme : le peuple diabolisé incarne donc le mal populiste, objet de mépris pour les bien-pensants.
D’où la prolifération de qualificatifs négatifs à son encontre.
Ce peuple diabolisé serait ainsi frileux, ringard, un ramassis de beaufs, de Dupont-la-Joie, de bidochons, de franchouillards, de réacs
et de conservateurs (3). Le fait de parler des Français ou des gens à la 3e personne implique aussi une salutaire distanciation à son
égard. A fortiori quand il s’agit de décrire ceux qui refusent le Grand Remplacement migratoire : c‘est évidemment du racisme, de la xénophobie, du repli sur soi, de
l’islamophobie, de la crispation, de la haine, de l’intolérance, de l’exclusion, un rejet de l’autre, ou de la discrimination. Tout cela renvoie, bien
sûr, à une « France rance » et à une « France moisie », dont on devrait avoir « honte ».
Le penchant totalitaire de la post-démocratie aboutit progressivement à :
-médicaliser l’expression de toute opposition à l’idéologie libérale/libertaire. C’est la signification des « phobies » en tout
genre : islamophobie, homophobie, europhobie (critique de l’Union européenne). De même, la référence aux peurs –qui seraient, bien sûr, infondées – et
aux « -ismes » (ex. : sexisme) sert la même finalité. Les dissidents sont ainsi considérés comme des malades, comme en URSS !
–criminaliser l’expression du peuple diabolisé : on parle alors de propos inacceptables,
sulfureux (donc diaboliques, ce qui voue au bûcher médiatique et/ou judiciaire et à la censure), nauséabond, de dérapage (donc
dangereux), d’extrémisme (le terme extrême droite servant à disqualifier moralement pour éviter de débattre du point de vue contraire). Tous ces propos suscitent, bien sûr,
un tollé, une controverse, une polémique, l’indignation et un nécessaire « appel à la vigilance » de la part des
bien-pensants ;
-censurer, enfin, l’expression populaire : c’est le sens essentiel de la dénonciation du populisme mais aussi du
prétendu racisme. Ainsi, par exemple, la censure vise à empêcher de débattre de l’immigration et de l’islam. Voir aussi les termes positifs pour justifier la
restriction de la liberté d’expression (maîtrise de l’antenne, selon le CSA, responsabilité et retenue des journalistes, diète médiatique, de façon à
éviter les termes inappropriés ou les amalgames, etc. De même la critique de l’action et du projet de l’oligarchie libérale/libertaire devient
un fantasme, du complotisme, du conspirationnisme, une rumeur, une fake-news de
la fachosphère, etc. : il s’agit en effet de diaboliser les informations qui vont à l’encontre de l’idéologie dominante (c’est le rôle des prétendus « décodeurs »
dans les médias mainstream).
La référence croissante à la notion de valeurs (valeurs de la République, valeurs de l’Union européenne, valeurs humaines ou humanistes,
droits humains car il ne faut pas être machiste) sert de même à délégitimer toute opposition au Système post-démocratique. C’est un processus comparable à celui de
l’excommunication : retrancher de la communauté ceux qui ne sont pas bien-pensants ou suspects de l’être (cf. la tentative d’assimiler le djihadisme au populisme, au prétexte que tous deux
combattraient les valeurs de la République !).
De fait, l’invocation de ces valeurs de la République sert à masquer le caractère de moins en moins démocratique de la post-démocratie, selon un
Dictionnaire de Novlangue en vente à la Boutique de Polémia (*)
processus d’inversion accusatoire, qui est, avec la novlangue, l’un des procédés de domination du Système.
Cela veut dire qu’en post-démocratie le peuple n’est plus la source de la souveraineté mais celle de l’erreur et du « risque », surtout depuis le
Brexit : comme le déclarait D. Cohn-Bendit, « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison » (4) ; ou Jean-Michel Apathie, qui déclare « Il faut
s’interroger sur la question du suffrage universel » (5) ; ou bien M. Macron qui déclare « L’histoire a montré que quand on suit parfois la volonté des peuples, surtout
dans des moments difficiles, on se trompe (6) » ; il ne s’agit plus de s’excuser de ne pas pouvoir suivre la volonté du peuple comme avant, mais de s’en féliciter.
Chaque élection où le peuple risque de mal voter est donc désormais présentée dans les médias de propagande comme un « risque » pour… la démocratie. On
voit donc ressurgir l’idée que le gouvernement d’une élite éclairée – mais hélas autoproclamée – serait bien préférable.
• Du point de vue du peuple maintenant, et comme indiqué en introduction, on ne peut pas parler de novlangue populaire puisque celle-ci est la langue du
pouvoir. Par contre, il y a bien une opposition populaire à la post-démocratie.
Car nous passons du temps des « majorités silencieuses », c’est-à-dire réduites au silence, au temps des majorités dissidentes, qui entrent en résistance
contre les minorités dominantes.
Cette réaction se traduit politiquement (abstention et vote pour les formations alternatives identitaires ou populistes) dans la perte de crédibilité des
médias mainstream, mais aussi progressivement dans l’apparition d’un langage critique spécifique. Ce langage est parfois fondé sur un retournement ironique de la
novlangue du pouvoir, comme cela s’est souvent produit dans l’histoire.
Quelques exemples :
-Justement la diffusion du terme « novlangue », pour désigner la langue des médias et donc du pouvoir, est déjà
significative de cette évolution. De même pour l’expression « politiquement correct », qui devient progressivement un moyen de
dé-légitimation du discours du pouvoir (car on sait de plus en plus que ce qui est politiquement correct ne correspond pas à la réalité mais à l’idéologie, comme pour le marxisme à la fin de
l’URSS). De fait, les sondages montrent que l’image de marque des médias ne cesse de se dégrader (sur le thème : « les médias mentent », d’où le retour des
termes « bobards » et « censure » et l’apparition de l’expression « médias de
propagande » ou « journalistes militants »), comme celle des politiques, ce qui est logique puisque les deux fonctionnent de
concert ;
-l’apparition des termes « oligarchie », « oligarques » pour désigner la
confiscation du pouvoir par un petit cercle (notamment le rôle des super-riches et des puissances financières dans les médias mainstream) qui caractérise aussi la post-démocratie.
Il s’agit d’un retournement du terme appliqué aux Russes (qui sont diabolisés car la Russie incarne la résistance à l’idéologie libérale/libertaire et à l’unilatéralisme occidental). Un
milliardaire russe est appelé un oligarque, alors qu’on ne dit jamais cela d’un milliardaire américain ou saoudien. Le FN avait tenté de promouvoir le terme
« Etablissement » (francisation du mot Establishment) dans le même sens, mais sans trop de succès. On voit aussi apparaître l’expression « superclasse
mondiale » pour désigner l’oligarchie transnationale et mondialiste qui a pris le pouvoir en Occident. Le mot « cosmopolite » a aussi été
utilisé mais il a été vite diabolisé (cf. critique de l’action du ministre de l’Economie de l’époque P. Moscovici). Le mot « mondialiste » lui est préféré
(qui renvoie aussi à une critique de la mondialisation économique, contre le discours de la « mondialisation heureuse » des oligarques) ;
-la dénonciation du caractère factice de l’opposition gauche/droite au sein de la post-démocratie (puisqu’ils mènent la même politique libérale/libertaire).
Ex. : « la banque des 4 » (prononcée par Le Pen reprenant une expression chinoise), « l’UMPS » (ce qui a conduit
l’UMP à changer de sigle) ou « la fausse droite », ce qui correspond à une réalité politique essentielle : la disparition du caractère pertinent de ce clivage
(depuis que la gauche s’est ralliée au néo-capitalisme et que la droite s’est ralliée aux idées sociétales de la gauche).
Cela se traduit aussi sous d’autres formes :
–la promotion du terme « Système » (ou « les partis du Système ») pour décrire l’exercice du
pouvoir par l’oligarchie en post-démocratie : le fait de s’affirmer « anti-Système » devient d’ailleurs vendeur politiquement (même lorsqu’on n’a pas de
programme comme dans le cas d’Emmanuel Macron !). Voir aussi la promotion du terme « dissidence » pour traduire l’opposition au Système ;
–le thème de la corruption des politiques (thème classique en France), qui a connu également une nouvelle jeunesse (notamment avec les
questions de fraude fiscale dans la suite de l’affaire Cahuzac, ou avec le départ de Manuel Barroso vers la banque Goldman Sachs) ; il exprime aussi une réalité de notre temps : la
soumission de la souveraineté politique aux intérêts des grandes entreprises transnationales, la soumission de la politique à la loi de l’argent ;
–le vocabulaire de la critique de l’Union européenne : aujourd’hui l’expression « Europe de Bruxelles » a un fort
contenu péjoratif (Ex. : chahut contre Manuel Valls au dernier Salon de l’Agriculture où on l’a pris à partie en lui disant : « Vous n’avez pas de pouvoir, vous n’êtes que le
mandataire de la Commission européenne »). La défiance vis-à-vis de l’UE s’est intensifiée avec la crise de l’immigration irrégulière depuis 2015. Voir ainsi le débat initié autour du thème
« immigrants clandestins » auquel les médias ont systématiquement et de façon coordonnée préféré les
mots « réfugiés » ou « migrants » pour essayer de provoquer un réflexe compassionnel en leur faveur. Cette manipulation a bien été perçue et
reprise dans la contestation populaire de l’installation de camps d’immigrants (« ce ne sont pas des réfugiés ni des Syriens mais des migrants économiques »). De même la politique
d’hébergement obligatoire des immigrants clandestins conduite depuis la crise de 2015 a suscité en réaction un contre-discours moral sur le thème « les nôtres avant les
autres » (par référence à l’indifférence dont font l’objet les SDF Français, ce qui renouvelle la thématique de la préférence nationale et de la nationalité) ;
–on peut citer enfin la critique du discours officiel sur l’immigration : l’ironie autour du
thème « padamalgam »ou des« déséqulibrés » des « terroristes
belges » ou des « chances pour la France ».
Ce vocabulaire ne bénéficie certes pas de la capacité d’orchestration des médias de propagande : il a donc moins de force institutionnelle que la novlangue,
mais il la concurrence, notamment grâce aux médias alternatifs et à la réinfosphère.
Et aussi parce qu’il exprime un certain état de l’opinion.
C’est d’ailleurs bien la différence avec la novlangue : celle-ci est une construction artificielle et non pas une évolution naturelle de la langue. Elle perd
donc sa crédibilité parce qu’elle est idéologique et que l’idéologie se heurte à l’épreuve des faits. Ce qui n’est pas le cas de l’expression de la réaction populaire.
Michel Geoffroy 4/02/2017
Notes :
Le Figaro du 29 janvier 2015.
L’expression est de M. Macron.
Ainsi pour A. Juppé, ceux qui ne veulent pas travailler le dimanche exprimeraient « une vision paléolithique de
la société ».
Le Figaro.fr du 5 juillet 2016.
Valeurs actuelles du 17 novembre 2017.
interview sur la chaîne israélienne i24 news le 25 décembre 2016.
Trump, le Logos et ...
...par Charles Gave - le 11/02/2017.
Economiste et financier
Président Fondateur de l'Institut des Libertés (www.institutdeslibertes.org)
Diplômé de l'université de Toulouse (DECSS d'économie)
et de l’université de Binghamton (MBA),
Président Fondateur de Gavekal research (www.gavekal.com) et de Gavekal securities (Hong Kong)
Membre du conseil d'administration de SCOR
Co-fondateur de Cursitor-Eaton Asset Management (Londres) (1986)
Créateur de l'entreprise Cegogest (recherche économique) (1973)
Ouvrages
Charles Gave s'est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire :
Des Lions menés par des ânes (Editions Robert Laffont) (2003) où il dénonçait l'Euro et ses fonctionnements
monétaires.
Ouvrage préfacé par Milton Friedman : Un libéral nommé Jésus, Bourin, 2005
C'est une révolte ? Non, Sire, c'est une révolution.
L'intelligence prend le pouvoir, Bourin, 2006
Libéral, mais non coupable, Bourin Éditeur, 2009
'Etat est mort, vive l'état - Editions François Bourin 2009 , dernier ouvrage qui prévoyait la chute de la Grèce
et de l'Espagne.
Pour les Grecs anciens, le "Logos"’ constituait l’essence même de la Raison qui au travers de la connaissance d’une langue
permettait la discussion et la démonstration lors d’un débat de type éthique, politique ou scientifique.
Tout citoyen, tout homme d’état devait avoir une maîtrise parfaite du Logos, c’est-à-dire des éléments de langage qui permettaient de communiquer avec les autres
citoyens lorsque des discussions sur l’avenir de la Cité avaient lieu. Et celui – ou ceux- qui contrôlaient le mieux le Logos contrôlait ipso facto la Cité presque
automatiquement.
Et donc, dès les origines de notre civilisation est apparu le concept que contrôler et comprendre le langage amenait à dominer le système politique. Et toute
notre civilisation s’est construite sur ce concept qui fut renforcé lorsque les Chrétiens assimilèrent le Logos à Dieu : "Au commencement était le Verbe (Logos), et le Verbe était
en Dieu, et le Verbe était Dieu".
L’idée centrale de notre civilisation fut donc que le Logos, la Raison et Dieu dans le fond c’était la même chose et que s’attacher à comprendre l’œuvre de Dieu par
la raison et l’expliquer par la parole c’était faire œuvre divine et servir les hommes.
D’où vint le développement de la science dans les pays chrétiens et pas ailleurs. Et du coup, tout bon dictateur comprit
qu’empêcher les gens de se parler était essentiel s’il voulait garder le pouvoir et donc qu’il fallait contrôler le Logos si l’on voulait contrôler le peuple, ce qui nous amena aux
totalitarismes du XXème siècle.
Cette réalité fut expliquée par Georges Orwell dans son livre "1984", qui ne faisait que décrire la situation qui existait en Union Soviétique et dans les pays
communistes en 1948.
Dans cet ouvrage, Big Brother n’essaie pas de contrôler le Logos qui pour les Grecs anciens était synonyme de "Raison" mais bien au contraire d’imposer une nouvelle
façon de parler, la "novlangue" qui empêchera les citoyens de communiquer les uns avec les autres, chaque mot voulant dire presque exactement le contraire de ce qu’il signifiait dans son
acceptation initiale. Paix veut dire guerre, les camps de concentration sont appelés des écoles, la vérité veut dire le mensonge et ainsi de suite.
Le but final est bien sûr d’abord d’empêcher toute discussion entre citoyens, et donc tout complot contre le pouvoir, mais aussi et surtout de signaler les
"déviants" qui utiliseraient les mots dans leur acceptation originale.
Et pour mettre ces déviants en prison, un Ministère de la Vérité est créé qui s’occupe avec beaucoup de compétence d’envoyer les mauvais sujets en rééducation, ce
qui en novlangue veut dire bien sûr à la mort…
Tout cela est connu et a été analysé mille fois.
Mais ce qui n’a pas été expliqué c’est le pourquoi de cette tentative visant à empêcher les hommes de communiquer les uns avec les autres ?
Pour garder le pouvoir, certes, mais cela n’est pas suffisant comme explication.
Et c’est la qu’intervient Chantal Delsol un des derniers géants intellectuels qui reste à notre pays dans son livre prodigieux d’intelligence et de
culture, La Haine du Monde, totalitarismes et postmodernité, aux éditions du Cerf.
Car j’ai enfin compris, grâce à elle, pourquoi les grandes dictatures du dernier siècle s’appuyaient toutes sur une tentative de destruction de la Raison, du Logos
et donc de Dieu.
En voici l’explication, ou la raison, les deux mots étant merveilleusement synonymes dans ce cas.
Au XVIII, comme chacun le sait, nous avons eu en Ecosse, en Grande-Bretagne, aux USA et en France un bouillonnement d’idées que l’on a coutume d’appeler "Les
Lumières". Les Lumières anglo-saxonnes s’attachèrent à établir un système de gouvernement –la Démocratie - qui permettait à chaque homme de se réaliser pleinement en limitant la
capacité qu’avait le pouvoir de brouiller le Logos.
En France, il en alla différemment.
Le but n’était pas d’établir un système de gouvernement qui permette aux hommes de discuter entre eux sans entre-tuer mais de prendre
le pouvoir politique pour changer l’homme et créer de ce fait un "homme nouveau ".
Et pour créer cet homme nouveau, il fallait d’abord casser tous les liens qu’il pouvait avoir avec les autres hommes et donc détruire tous les corps intermédiaires
tels les affinités locales, les églises, les écoles les familles… Il fallait créer un homme sans racines. Et le lien le plus profond qui nous unit aux autres, c’est bien sur le
langage, le "logos" qu’il fallait détruire en priorité si l’on voulait construire cet homme nouveau.
Les anglo-saxons voulaient établir une société conforme aux demandes du Logos, les Français, tels Satan avant eux, voulaient remplacer le Logos et devenir des Dieux
et bien sûr ils amenèrent l’enfer en se prenant pour des démiurges.
Pour arriver au résultat cherché, les héritiers des lumières françaises mirent en effet en place une tyrannie comme l’histoire en
connut peu. Cette tentative échoua comme chacun le sait dans le sang, les massacres de dizaines de millions d’innocent et la misère physique, morale et intellectuelle. Et donc il est exclu
de recommencer une fois encore à tuer des gens par millions pour engendrer un homme nouveau.
Mais l’idée n’a pas disparue, bien au contraire, et ses partisans continuent à la pousser en utilisant sans répit deux armes extraordinairement puissantes.
La première c’est l’exclusion et la deuxième c’est la dérision.
Commençons par l’exclusion.
La novlangue était une tentative pour renverser le sens même du Logos et cela ne pouvait marcher que s’il existait des camps de concentration. Faute de camp de
concentration, les partisans de l’homme nouveau ont décidé que quiconque parlerait de racines chrétiennes, locales, familiales, professionnelles, historiques et que
sais-je encore serait d’abord interdit d’expression dans tous les média ou dans tous les lieux de savoir et ensuite que sa carrière s’arrêterait pour toujours (Voir le sort des
universitaires qui ont contribué au Livre Noir du Communisme par exemple, ou les ennuis de Renaud Camus).
Et en bons Marxistes / Trotskistes, ils ont manœuvré depuis trente ans pour prendre le contrôle de toutes les institutions ou la parole s’exprime. Et pour mieux
repérer les déviants, ils ont remplacé la novlangue, fondée sur le mensonge, par le politiquement correct, c’est-à-dire par l’interdiction
faite à quiconque de prononcer certains mots comme Patrie, Famille, Ville, Chrétienté pour en finir par interdire les mots "homme" ou "femme". Le nouvel homme – ou la nouvelle
femme - ne peuvent même plus se rattacher à leur sexe puisqu’il doit être détaché de tout ce qui relierait à ses racines. Et pour arriver à leurs fins, ils pratiquent non
seulement l’exclusion mais aussi et surtout la dérision.
Quiconque en effet a un discours fondé sur l’enracinement de la personne humaine dans sa famille, dans sa ville, dans sa Nation ou que sais-je encore est
automatiquement traité comme un débile profond, un "beauf"» qu’il est urgent de couvrir de sarcasmes et d’insultes du type Français rancis ou Pétainistes, de partisans de la petite
Angleterre pour ceux qui ont voté le Brexit, le comble ayant été atteint quand Madame Clinton a traité la moitié de la population Américaine de "déplorables".
Pour faire bref, la Liberté d’expression est pour eux et pour eux seuls tant il est entendu que ceux qui ne sont pas d’accord ne
peuvent être que fous. Ce que disait déjà leurs grands amis des totalitarismes précédents qui, ne pouvant plus massacrer leurs opposants les mettaient dans des asiles de fous.
Il est donc tout à fait évident qu’ "ils" ont remplacé le totalitarisme "dur" par un totalitarisme "mou" aussi efficace que son ancêtre pour empêcher le Logos de
dominer le monde comme il le devrait. Et cela fait trente ans qu’ils y travaillent sans relâche, ce qui explique le désert intellectuel qui règne dans tous nos pays.
Et tout d’un coup, stupéfaction !
Monsieur Trump est élu en ayant prononcé au cours de sa campagne tous les mots interdits et il a un but et un seul, faire disparaître le pouvoir que ces
nuisibles s’étaient accaparé. Et du coup on assiste à un spectacle extraordinaire : tous ces gens-là courent en rond comme des poulets sans tête en proclamant son
"illégitimité" ou en disant qu’il est fou, ce qui exactement ce que disait les communistes à Moscou de leurs opposants.
Mais la réalité est différente : c’est eux qui sont illégitimes puisqu’ils ont voulu imposer au peuple ce que le peuple ne
voulait pas, au nom de je en sais quel cauchemar millénariste. La réalité profonde est que le Peuple aime ses racines. Et je ne peux m’empêcher de sourire : encore une fois,
"les voies du Seigneur sont impénétrables" puisque le Logos est en train d’être rétabli à grands coups de tweeters par le Président élu le plus improbable de l’histoire
américaine.
Le règne du Logos rétabli par Tweeter : on me l’aurait dit, je n’y aurai pas cru.
Écrire commentaire