Mensonges américains à propos de Daech : plus c’est gros, plus ça passe

Par Caroline Galactéros - le  22/08/2016.

Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC.

Colonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.

Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d'aujourd'hui.



Une fois n’est pas coutume, je vous invite à lire un article du “journal de référence”, qui épouse pourtant le plus souvent une ligne « néocons » (sous sa forme droits-de-l’hommiste) que Bouger les Lignes considère comme parfaitement contre-productive et dangereuse. Dans « Un si Proche Orient », l’un des blogs du journal Le Monde, Jean-Pierre Filiu “appuie là où ça fait mal”, en dressant le bilan de la politique étrangère de l’Administration Obama au Moyen-Orient, qu’il accuse d’utiliser les mêmes ficelles que son prédécesseur George W. Bush, à savoir le mensonge. Et des mensonges d’une grande finesse.

En l’occurrence – par où l’on voit au passage que la séparation des pouvoirs et le checks and balances ne sont pas un mythe aux Etats-Unis –, J.P. Filiu commente un article duNew York Times révélant que la Commission du Renseignement de la Chambre des Représentants dénonce une « intoxication systématique » de l’administration Obama au cours des deux dernières années : « Officials from the United States Central Command altered intelligence reports to portray a more optimistic picture of the war against the Islamic State in Iraq and Syria ».

Parmi ces mensonges, le plus énorme est certainement venu du général américain Sean Mac Farland, qui dirige les opérations de la Coalition occidentale anti-Daech. Celui-ci a récemment déclaré : « Nous estimons qu’au cours des onze derniers mois nous avons tué environ 25 000 combattants ennemis. Si on ajoute les 20 000 tués précédemment, cela fait 45 000 ennemis de moins sur le champ de bataille » tout en considérant que « l’Etat Islamique dispose(rait) actuellement de 15 000 à 30 000 hommes ». Sauf à admettre une définition extrêmement extensive de la notion d’ennemi, ces chiffres sont tout simplement farfelus. Jean-Pierre Filiu remarque que la surenchère continue car, déjà, « en juin 2015, le numéro deux de la diplomatie américaine, Antony Blinken, déclare à Paris qu’au moins dix mille combattants de Daech, le bien mal nommé « Etat islamique », ont été tués par la coalition menée par les Etats-Unis en neuf mois. Une telle affirmation suscite des hauts-le-cœur chez les experts militaires, qui estiment alors à un millier, et au maximum à mille cinq cent, le nombre de jihadistes tués ». Rappelons par exemple que pendant la bataille de Manbij qui a duré deux mois, les combattants du Front démocratique syrien, dominé par les YPG kurdes, ont tué 3000 djihadistes alors que cette bataille fut de loin l’une des plus violentes du conflit. A l’inverse, en Irak, où les Américains sont le plus impliqués, les lignes de front bougent très peu. C’est d’ailleurs ce que pointe le rapport de la Chambre des Représentants : les résultats de la Coalition internationale en Irak, qui soutient l’Armée irakienne et les « Peshmergas » du Kurdistan irakien, ont été falsifiés par les Autorités américaines qui laissaient espérer notamment que la reprise de Mossoul pourrait commencer dès avril 2015. Plus d’un an plus tard, la grande bataille de Mossoul – capitale de l’Etat islamique en Irak – n’a pas réellement commencé et les « Peshmergas » kurdes ne se battent pas vraiment, explique Patrice Franceschi dans un grand entretien au FigaroVox. En juin dernier, la Coalition internationale a eu bien du mal à reprendre la ville de Falloujah pourtant très excentrée par rapport au territoire de Daech. En tout état de cause, les rapports du renseignement américain étaient faux, le New York Times considérant, à l’instar des déclarations de la Chambre des représentants, que les erreurs ne peuvent provenir que de pressions politiques venant “d’en haut”.

Les temps n’ont guère changé depuis “la guerre contre la terreur” de George W. Bush. Comme Michel Goya l’a résumé sur Twitter : «J'avais calculé que, selon leurs estimations, de 2004 à 2007, les Américains avaient détruit 5 fois la rébellion en Irak».

 


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