Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.
Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).
Alors que la presse occidentale annonce l’imminente inculpation de dirigeants du
Hezbollah par le Tribunal spécial pour le Liban, la revue russe Odnako remet
en cause l’ensemble de l’enquête réalisée par les Nations Unies. Selon Thierry Meyssan, l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri aurait été assassiné avec une arme fournie par l’Allemagne.
L’ancien procureur allemand et premier responsable de l’enquête onusienne, Detlev Mehlis, aurait falsifié un indice pour masquer la responsabilité de son pays. Ces révélations embarrassent le
Tribunal et renversent la donne au Liban.
Les multiples conflits du Proche-Orient se cristallisent désormais autour du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). La paix et la guerre dépendent de lui. Pour les
uns, il doit permettre de démanteler le Hezbollah, de soumettre la Résistance et d’instaurer la Pax Americana. Pour les autres, il bafoue le droit et la vérité pour assurer le triomphe d’un
nouvel ordre colonial dans la région.
Ce tribunal a été créé, le 30 mai 2007, par la Résolution 1757 du Conseil de sécurité pour juger les commanditaires supposés de l’assassinat de l’ancien Premier
ministre Rafic Hariri. Dans le contexte de l’époque, cela signifiait ni plus, ni moins, juger les présidents syrien et libanais en exercice Bachar el-Assad et Emile Lahoud, les bêtes noires des
néoconservateurs. Cependant il s’avéra que cette piste ne reposait sur aucun élément concret et qu’elle avait été alimentée par de faux témoins. N’ayant plus personne à juger, le Tribunal aurait
pu disparaître dans les limbes de la bureaucratie lorsqu’un coup de théâtre le plaça à nouveau au cœur des conflits politiques régionaux. Le 23 mai 2009, le journaliste atlantiste Erich Follath
révéla dans le Spiegel Online que le procureur s’apprêtait à inculper de nouveaux suspects : des dirigeants militaires du Hezbollah. Depuis 18 mois, son secrétaire général, Hassan
Nasrallah clame l’innocence de son parti. Il affirme que cette procédure vise en réalité à décapiter la Résistance pour offrir la région à l’armée israélienne. De son côté, l’administration
états-unienne se pose soudain en défenseur du droit et assure que nul ne saurait se soustraire à la Justice internationale.
Quoi qu’il en soit, la mise en accusation —que tous s’accordent à dire imminente— de leaders chiites pour l’assassinat d’un leader sunnite est de nature à enflammer
la fitna, c’est-à-dire la guerre civile musulmane, plongeant la région dans de nouveaux soubresauts sanglants.
En visite officielle à Moscou, les 15 et 16 novembre, Saad Hariri —actuel Premier ministre et fils du défunt— a répété que la politisation du tribunal risquait
d’enflammer une nouvelle fois son pays. Le président Medvedev lui a répondu que la Russie voulait que la Justice passe et réprouvait tout effort pour discréditer, affaiblir ou retarder le travail
du tribunal. Cette position de principe repose sur la confiance accordée a priori par le Kremlin au TSL. Or celle-ci sera sûrement ébranlée par
les révélations d’Odnako.
En effet, nous avons souhaité faire le point sur l’assassinat de Rafiq Hariri. Les éléments que nous avons découverts font apparaître une nouvelle piste dont on se
demande pourquoi elle n’a jamais été explorée jusqu’ici. Au cours de notre longue enquête, nous avons rencontré de nombreux protagonistes, trop sans doute, de sorte que nos investigations se sont
ébruitées et ont affolé ceux pour qui la piste de la Résistance armée libanaise est une bonne aubaine. Tentant de nous intimider, le Jerusalem
Post a lancé une attaque préventive, le 18 octobre, sous la forme d’un long article consacré à notre travail. De manière purement diffamatoire, il y accuse l’auteur de cet article d’être
payé un million de dollars par l’Iran pour disculper le Hezbollah.
Venons-en aux faits, le convoi de Rafiq Hariri a été attaqué à Beyrouth le 14 février 2005. L’attentat à fait vingt-trois morts et une centaine de blessés. Un
rapport préliminaire diligenté par le Conseil de sécurité souligne les réactions peu professionnelles des policiers et magistrats libanais. Pour y pallier le Conseil missionne ses propres
enquêteurs et leur fournit des moyens très importants dont le Liban ne dispose pas. Dès le départ de ces investigations, il a été admis que l’attentat avait été perpétré par un kamikaze qui
conduisait un camionnette bourrée d’explosifs.
La commission des Nations unies ayant été créée pour apporter le professionnalisme qui manquait aux Libanais, on s’attend à ce qu’elle ait suivi scrupuleusement les
procédures criminelles classiques. Or, il n’en est rien. L’analyse de la scène du crime, en se basant sur sa topographie qui est intacte et sur les photos et vidéos du jour, n’a pas été réalisée
en détail. Les victimes n’ont pas été exhumées et autopsiées. Pendant longtemps, rien n’a été entrepris pour vérifier le modus operandi. Après avoir
écarté l’hypothèse d’une bombe enfouie dans le sol, les enquêteurs ont considéré comme certaine la version de la camionnette sans la vérifier.
Pourtant, cette version est impossible : chacun peut observer sur la scène du crime un profond et vaste cratère qu’une explosion en surface ne peut creuser.
Devant l’insistance des experts suisses qui refusent d’avaliser la version officielle, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a procédé à une reconstitution à huis clos, le 19 octobre dernier.
Elle ne s’est pas tenue au Liban, ni même aux Pays-Bas où siège le TSL, mais en France, un des principaux Etats à financer le Tribunal. Les bâtiments de la scène du crime y ont été reconstruits
et de la terre de Beyrouth y a été transportée. Le convoi a été reconstitué y compris avec une voiture blindée. Il s’agissait de démontrer que la hauteur des immeubles en béton avait confiné
l’explosion, de sorte que le souffle avait pu creuser le cratère.
Les résultats de cette coûteuse expérience n’ont pas été divulgués.
Ce qui frappe en regardant les photos et les vidéos prises juste après l’attentat, c’est d’abord l’incendie. Partout des carcasses de voiture et des objets de
toutes sortes brûlent. Puis, ce sont les corps des victimes : ils sont carbonisés d’un côté et intacts de l’autre. C’est très étonnant et cela n’a rien à voir avec ce que provoquent des
explosifs classiques.
La théorie d’un mélange de RDX, PETN et TNT dans la camionnette du kamikaze n’explique pas ces dégâts.
Si l’on observe de près les photos du cadavre de Rafiq Hariri, on remarque d’étranges détails : sa riche montre en or massif a fondu sur son poignet, au
contraire, le col en tissu raffiné de sa chemise de luxe est intact autour de son cou.
Que s’est-il donc passé ?
L’explosion a dégagé un souffle d’une chaleur exceptionnellement intense et d’une durée exceptionnellement brève. Ainsi, les chairs exposées au souffle ont été
instantanément carbonisées, tandis que l’envers des corps n’a pas été brûlé.
Les objets à forte densité (comme la montre en or) ont absorbé cette chaleur et ont été détruits. Au contraire, les objets à faible densité (comme le linge fin du
col de chemise) n’ont pas eu le temps d’absorber la chaleur et n’ont donc pas été touchés.
La dépouille de Rafiq Hariri.
Sur les vidéos, on voit également que des membres de certains cadavres ont été sectionnés par l’explosion. Curieusement, les coupes sont nettes, comme s’il
s’agissait de statues de calcaire. On ne voit pas d’os brisés et proéminents, ni de chairs arrachées. C’est que l’explosion a absorbé l’oxygène et déshydraté les corps qui sont devenus friables.
Plusieurs témoins, présents à proximité de l’attentat, ont d’ailleurs fait état de troubles respiratoires dans les heures qui suivirent. A tort, les autorités ont interprété cela comme la
somatisation d’un traumatisme psychologique.
Ces constatations sont le b. a.-ba de toute enquête criminelle. Il fallait commencer par cela, mais elles ne figurent pas dans les rapports des
« professionnels » au Conseil de sécurité.
Lorsque nous avons demandé à des spécialistes militaires quels explosifs pouvaient provoquer ces dégâts, ils ont évoqué un nouveau type d’arme qui fait l’objet de
recherches depuis des décennies et de compte rendus dans des revues scientifiques. En combinant des connaissances nucléaires et nanotechnologiques, on parvient à créer une explosion dont on
contrôle précisément la puissance. On programme l’arme pour qu’elle détruise tout dans un périmètre donné, calculé au centimètre près.
Toujours selon nos spécialistes militaires, cette arme provoque aussi d’autres dégâts : elle exerce une forte pression sur la zone de l’explosion. Lorsque
celle-ci s’interrompt, les objets les plus lourds sont projetés vers le haut. Ainsi, des voitures se sont élevées dans les airs.
Un détail ne trompe pas : cette arme utilise une nano quantité d’uranium enrichi dont les radiations sont mesurables. Or, un passager de la voiture blindée de
Rafiq Hariri a survécu. L’ancien ministre Bassel Fleyhan a été transporté dans un prestigieux hôpital militaire français pour y être soigné. Les médecins ont constaté avec étonnement qu’il avait
été en contact avec de l’uranium enrichi. Personne n’a fait le lien avec l’attentat.
Techniquement, cette arme prend la forme d’un petit missile de quelques dizaines de centimètres de long. Il doit être tiré depuis un drone. En effet, plusieurs
témoins ont assuré avoir entendu un aéronef survolant la scène du crime. C’est pourquoi les enquêteurs ont demandé aux Etats-Unis et à Israël qui disposent de satellites d’observation positionnés
en permanence de leur transmettre les clichés dont ils disposent. Les Etats-Unis avaient également déployé des avions AWACS sur le Liban ce jour-là. Ces enregistrements permettraient de vérifier
la présence d’un drone et peut-être même de suivre son trajet. Mais Washington et Tel-Aviv —qui ne cessent d’exiger la coopération judiciaire de tous avec le TSL— ont refusé ce service.
Le Hezbollah a intercepté et publié des vidéos des drones israéliens effectuant des repérages des habitudes de Rafiq
Hariri et de la scène du crime.
Lors d’une conférence de presse, le 10 août dernier, Hassan Nasrallah a projeté des vidéos tournées selon lui par des drones israéliens et interceptées par son
organisation. Ils auraient observé durant des mois les déplacements de Rafiq Hariri, avant de concentrer leur surveillance sur le virage où l’attentat a eu lieu. Tel-Aviv aurait donc réalisé les
repérages préalables à l’assassinat. Ce qui, ainsi que le souligne M. Nasrallah, ne veut pas dire qu’il l’ait perpétré.
Qui donc a tiré le missile ?
C’est là que les choses se compliquent. Selon les experts militaires, en 2005, seule l’Allemagne était parvenue à maîtriser cette nouvelle technologie. C’est donc
Berlin qui aurait fourni et programmé l’arme du crime.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’ancien procureur berlinois Detlev Mehlis —un magistrat très controversé au sein de sa profession— a tenu à présider la
Commission d’enquête onusienne. Il est en effet notoirement lié aux services secrets allemands et états-uniens. Chargé en 1986 d’élucider l’attentat contre la discothèque berlinoise La Belle, il
n’avait pas hésité à masquer les implications israélienne et états-unienne pour accuser mensongèrement la Libye et justifier le bombardement du palais de Mouammar Khadafi par l’US Air Force. Au
début des années 2000, M. Mehlis a été grassement rémunéré comme chercheur par le Washington Institute for Near East Policy (le think-tank du lobby pro-israélien AIPAC) et par la Rand
Corporation (le think-tank du complexe militaro-industriel états-unien). Autant d’éléments qui jettent un doute sur son impartialité dans l’affaire Hariri et auraient dû le faire récuser.
Mehlis était assisté du commissaire Gehrard Lehmann. Cet officier est lui aussi un agent notoire des services secrets allemands et états-unien. Il a été reconnu
formellement par un témoin comme participant au programme d’enlèvement, de séquestration et de tortures, mis en place en Europe par l’administration Bush. Son nom est cité dans le
rapport ad hoc du Conseil de l’Europe. Cependant, il a échappé à toute poursuite judiciaire grâce à un alibi aussi solide que peu crédible,
fourni part ses collègues de la police allemande.
Mehlis et Lehmann ont promu la thèse du kamikaze et de sa camionnette bourrée d’explosifs afin d’écarter toute investigation sur l’arme allemande qui a servi à
commettre le crime.
Des échantillons de terre ont été prélevés sur la scène du crime. Après avoir été mélangés, ils ont été divisés en trois bocaux qui ont été envoyés à trois
laboratoires différents. Les deux premières analyses n’ont trouvé aucune trace d’explosif. Le troisième bocal a été pris par Mehlis et Lehmann, et envoyé par leur soin au troisième laboratoire.
Celui-ci y a trouvé les traces d’explosifs recherchés. En principe, si l’on décide de recourir à trois experts judiciaires, c’est qu’en cas de désaccord entre eux, on se reportera à l’avis
majoritaire. Que nenni ! Mehlis et Lehmann ont violé les protocoles. Ils ont considéré que seul leur bocal était fiable et ont emmené le Conseil de sécurité sur une fausse piste.
Le caractère profondément malhonnête des investigations du duo Mehlis-Lehman n’a plus besoin d’être démontré. Leurs successeurs l’ont reconnu à demi-mots et ont
annulé des pans entiers de procédure.
Parmi leurs manipulations, la plus célèbre est celle des faux témoins. Cinq individus ont prétendu avoir été témoins de la préparation de l’attentat et ont mis en
cause les présidents Bachar el-Assad et Emile Lahoud. Alors que ces imputations faisaient chauffer le chaudron de la guerre, leurs avocats démontrèrent qu’ils mentaient et l’accusation se
dégonfla.
Le président de la Commission d’enquête de l’ONU, Detlev Mehlis, a violé les règles de procédure pénale, fabriqué de
fausses preuves et utilisé de faux témoignages, pour disculper l’Allemagne et accuser la Syrie.
Sur la base de ces faux témoignages, Detlev Mehlis arrêta, au nom de la Communauté internationale, quatre généraux libanais et les fit incarcérer durant quatre ans.
Pénétrant avec ses cow-boys au domicile de chacun, sans mandat de la justice libanaise, il interpella également les membres de leur entourage. Avec ses assistants —qui s’expriment entre eux en
hébreu— il tenta de manipuler les familles. Ainsi, au nom de la Communauté internationale, il présenta des photos truquées à l’épouse d’un des généraux pour le convaincre que son mari non
seulement lui cachait son implication dans le meurtre, mais la trompait. Simultanément, il tenta une manoeuvre similaire auprès du fils du « suspect », mais cette fois pour essayer de
le convaincre que sa mère était une femme légère et que son père, désespéré, venait de sombrer dans une sorte de folie meurtrière. L’objectif était de provoquer un crime d’honneur au sein de la
famille et de ternir ainsi l’image de gens respectables et respectés.
Plus incroyable encore, Lehmann proposa à un des quatre généraux incarcérés de le libérer s’il acceptait de porter un faux témoignage contre un dirigeant
syrien.
Par ailleurs, le journaliste allemand Jürgen Cain Külbel mit en évidence un détail troublant : il était impossible de provoquer l’explosion avec une
télécommande ou d’utiliser une balise sur la cible sauf à désactiver le puissant système de brouillage dont le convoi de Rafiq Hariri était équipé. Un système parmi les plus sophistiqués au
monde, fabriqué… en Israël.
Külbel fut sollicité par un militant pro-palestinien connu, le professeur Said Dudin, pour promouvoir son livre. Mais Dudin, en multipliant les déclarations
outrancières, s’appliqua surtout à le saboter. Külbel, ancien officier de police criminelle d’Allemagne de l’Est, ne tarda pas à découvrir que Dudin était connu de longue date pour être un agent
de la CIA infiltré dans la gauche allemande. Il publia d’anciens rapports est-allemands attestant du fait et fut alors condamné pour divulgation illégale de documents et brièvement
incarcéré ; tandis que Dudin s’installait à l’ambassade d’Allemagne à Beyrouth et tentait d’infiltrer les familles des quatre généraux.
Passé inaperçu au Proche-Orient le rôle de l’Allemagne dans cette région doit être souligné. La chancelière Angela Merkel a envoyé un contingent très important pour
participer à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) après la guerre entreprise par Israël contre le pays du Cèdre à l’été 2006. Les 2 400 soldats allemands contrôlent de
dispositif maritime pour empêcher l’approvisionnement en armes de la Résistance via la Méditerranée. A cette occasion, Mme Merkel a déclaré que la mission de l’armée allemande était de
défendre Israël. Ce discours a provoqué un vent de fronde parmi les officiers. Par centaines, ils lui ont écrit pour lui rappeler s’être engagés pour défendre leur patrie et non un Etat étranger,
fusse t-il allié.
Fait sans précédent, le 17 mars 2008 à Jérusalem et le 18 janvier 2010 à Berlin, les gouvernements allemand et israélien ont tenu un conseil des ministres commun.
Ils y ont adopté des programmes divers, notamment en matière de défense. A ce stade, il n’y a plus beaucoup de secrets entre Tsahal et la Bundeswehr.
L’enquête de Detlev Mehlis a sombré non seulement dans le ridicule des faux témoins, mais dans l’illégalité de l’arrestation des quatre généraux. Au point que le
Groupe de travail sur les détentions arbitraires du Conseil des droits de l’homme de l’ONU est intervenu pour condamner fermement cet excès de pouvoir.
Toutefois, l’opprobre qui frappe le travail de M. Mehlis ne doit pas éclabousser le Tribunal spécial pour le Liban qui n’est aucunement responsable de ses
manipulations. Mais, là encore, les choses se compliquent. La crédibilité du TSL dépend de sa capacité à réprimer en premier lieu tous ceux qui ont tenté de masquer la vérité et d’accuser
mensongèrement les présidents Bachar el-Assad et Emile Lahoud pour provoquer une guerre. Or, le Tribunal refuse de juger les faux témoins, donnant l’impression qu’il couvre les manipulations de
la période Mehlis et poursuit des objectifs politiques similaires (cette fois contre le Hezbollah, peut-être demain contre d’autres). Pis, le Tribunal refuse de remettre, à Jamil Sayyed (un des
quatre généraux illégalement emprisonné), les procès-verbaux d’audition des personnes qui l’ont accusé, lui interdisant ainsi de demander réparation et donnant l’impression qu’il couvre quatre
années de détention arbitraire.
De manière plus prosaïque, le Tribunal fuit ses responsabilités. D’un côté, il doit juger les faux témoins pour dissuader de nouvelles manipulations et pour
manifester son impartialité ; d’un autre il ne veut pas se lancer dans une opération « mains propres » au cours de laquelle il lui faudrait peut-être arrêter le procureur Mehlis.
Cependant, les révélations d’Odnako sur la piste allemande rendent cette stratégie intenable. D’autant qu’il est déjà bien tard : le général
Jamil Sayyed a déposé une plainte en Syrie et un juge d’instruction syrien a déjà inculpé le procureur Detlev Mehlis, le commissaire Gerhard Lehman et les cinq faux témoins. On imagine la
confusion qui s’abattra sur le TSL si la Syrie saisit Interpol pour les faire arrêter.
De même que la commission Mehlis devait apporter le professionnalisme qui manquait aux forces de l’ordre libanaises, de même le TSL devait apporter l’impartialité
qui risquait de faire défaut aux juridictions libanaises. On est loin du compte et ceci soulève la question de la légitimité de cette institution.
Kofi Annan souhaitait que le Tribunal pour le Liban ne soit pas une juridiction internationale, mais un tribunal national libanais à caractère international. Il
aurait été régi par le droit libanais tout en étant composé pour moitié de juges internationaux. Cela n’a pas été possible car la négociation a tourné court. Ou plutôt, un accord a été trouvé
avec le gouvernement libanais de l’époque, présidé par Fouad Siniora, l’ancien fondé de pouvoir des entreprises Hariri, mais n’a pas été ratifié ni par le Parlement, ni par le président de la
République. Du coup, cet accord a été avalisé unilatéralement par le Conseil de sécurité (Résolution 1757 du 30 mai 2007). Par conséquent, le TSL est hybride et fragile.
Ainsi que l’a précisé Kofi Annan, ce tribunal n’est comparable à aucun des tribunaux mis en place jusqu’ici par les Nations Unies. « Il n’est pas un organe
subsidiaire de l’ONU, ni un élément de l’appareil judiciaire libanais », c’est tout juste « un organe conventionnel » entre l’exécutif des Nations Unies et l’exécutif libanais. Si
l’on se réfère à l’exigence internationale de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la Justice face à l’Exécutif, on ne peut pas considérer le TSL comme un véritable tribunal, juste comme
une commission disciplinaire conjointe des exécutifs libano-onusiens. Quelque soient ses décisions, elles seront donc frappées de suspicion.
Pis, à tout moment, n’importe quel gouvernement libanais peut y mettre fin, puisque l’accord n’ayant pas été ratifié n’engageait que l’ancien gouvernement. Du coup,
l’actuel gouvernement de coalition libanais s’est transformé en champ de bataille entre partisans et adversaires du tribunal. Tentant de préserver la stabilité gouvernementale, le président de la
République, Michel Sleimane, dissuade semaine après semaine le Conseil des ministres de passer au vote sur toute question relative au TSL. Ce barrage ne tiendra pas éternellement.
Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, la suspicion atteint maintenant le président du TSL, Antonio Cassese. Ce spécialiste réputé du droit
international fut président du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. Or M. Cassese est un fervent partisan de la colonisation juive de la Palestine. Ami personnel d’Elie Wiesel, il a
reçu et accepté un prix honorifique de sa main. Il aurait donc dû se récuser et démissionner lorsque Hassan Nasrallah a révélé que des drones israéliens avaient repéré durant des mois les
habitudes de la victime et la scène du crime.
Selon le président du Tribunal spécial pour le Liban, Antonio Cassese, la Résistance armée en Palestine, Liban,
Irak et Afghanistan doit être jugée pour « terrorisme ».
Plus grave, le juge Cassese incarne une conception du droit international qui fait clivage au Proche-Orient. Bien qu’il ait retiré ce point de son curriculum
vitae officiel, il participa en 2005 aux négociations entre les Etats membres de l’Union européenne et ceux de la Méditerranée (« Processus de Barcelone »). Sa définition du
terrorisme bloqua les discussions. Selon lui, le terrorisme est exclusivement le fait d’individus ou de groupes privés, jamais d’Etats. Il s’ensuit que la lutte contre une armée d’occupation
ne saurait être considérée comme de la « résistance », mais comme du « terrorisme ». Dans le contexte local, cette position juridique relève de l’ordre colonial et
disqualifie le TSL.
Les méthodes du Tribunal spécial ne diffèrent guère de celles de la Commission Mehlis. Ses enquêteurs ont collecté des fichiers de masse : sur les
étudiants libanais, les bénéficiaires de la Sécurité sociale, les abonnés d’Electricité du Liban et de l’Office des eaux. Le 27 octobre, ils ont même tenté, hors de la présence de magistrats
libanais, de s’emparer par la force des dossiers médicaux d’une clinique gynécologique fréquentée par les épouses de membres du Hezbollah. Toutes ces investigations sont évidemment sans lien
avec l’assassinat de Rafiq Hariri. Tout porte les Libanais à croire que ces informations sont destinées à Israël dont le TSL n’est à leurs yeux qu’une simple émanation.
Tous ces problèmes avaient été parfaitement anticipés par le président Poutine qui avait vainement proposé, en 2007, une autre rédaction de la résolution
instituant le Tribunal spécial. L’ambassadeur Vitaly Churkin avait dénoncé les « lacunes juridiques » du système. Il s’était indigné que le Conseil de sécurité menace de recourir à
la force (Chapitre VII) pour créer unilatéralement cet « organe conventionnel ». Il avait souligné que le Tribunal devait œuvrer à la réconciliation des Libanais, mais était conçu
de sorte qu’il les opposerait un peu plus. En définitive, la Russie — comme la Chine— avait refusé d’approuver la Résolution 1757.
Reste que la vérité émerge peu à peu. Les interceptions de vidéos de drones israéliens, rendues publiques par le Hezbollah, montrent une préparation israélienne
du crime. Les faits révélés par Odnako montrent l’usage d’une arme allemande sophistiquée. Le puzzle est presque complet.